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Interview
Décalée d’un an en raison de la pandémie de Covid-19, la deuxième édition de L’Industrie Magnifique (LIM) s’est en quelque sorte faite désirer. Pour finalement retrouver son écrin strasbourgeois du 3 au 13 juin, après avoir longtemps navigué à vue. Entretien avec son capitaine, Jean Hansmaennel, président de l’association Industrie & Territoires qui organise
cet événement depuis 2018. Par Fabrice Voné Photo Pascal Bastien
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Sans LIMites
L’Industrie Magnifique repose sur le triptyque créer, exposer et raconter. Justement, que va raconter cette deuxième édition, du 3 au 13 juin, à Strasbourg ?
Ces trois mots — créer, exposer, raconter — fonctionnent comme des poupées gigognes : on raconte ce qu’on crée et ce qu’on expose, on crée ce qu’on expose et ce qu’on raconte ! LIM2021 commence, il y a plus de 24 mois pour les plus anciens, par la création de binômes associant artistes et entreprises. Puis chacun de ces binômes conçoit et réalise une œuvre d’art originale, souvent monumentale, dans un long travail de coopération entre l’artiste et l’entreprise mécène, ses hommes, ses savoir-faire, ses ressources, ses matériaux et parfois ses valeurs. Et enfin, arrive le temps de l’exposition, en partenariat avec les collectivités locales, de ces créations sur les places publiques de la ville de Strasbourg. Plus d’une trentaine d’œuvres ainsi créées, par plus de 70 artistes, soutenus par 35 entreprises alsaciennes au cours des 2 dernières années, occuperont 20 places durant 11 jours. Le spectateur pourra gratuitement admirer 26 sculptures et installations artistiques, dont une méga-installation, Cosmos District, place du Château (mobilisant à elle-seule plus de trente artistes des quatre coins du monde !), ainsi que trois expositions photos à l’Aubette et un parcours photographique outdoor du Wacken à la place de la République. Chaque œuvre sera accompagnée d’un totem explicatif, avec QR code. Des médiateurs, tout au long du parcours, répondront aux questions des visiteurs. Ceux-ci pourront aussi suivre les visites guidées organisées par l’Office du Tourisme ou encore rencontrer directement les artistes et les mécènes sur leur place, dans le cadre des rendez-vous À pied d’œuvre. À l’Aubette se tiendront les cérémonies d’ouverture et de clôture, des conférences et des débats quotidiens à partir de 16 h, avec retransmission en live et en replay.
Du fait du report de cette édition, qui devait initialement se dérouler en 2020, certains binômes ont pu bénéficier de 24 mois de collaboration...
Je ne voulais pas d’une Industrie Magnifique dégradée ou au rabais. Certains binômes, en raison de la pandémie de Covid-19, n’étaient pas prêts l’an dernier car ils n’avaient pas pu pleinement travailler ensemble, à cause du premier confinement. Pour avoir lieu, L’Industrie Magnifique demande de réunir beaucoup de conditions. Il faut notamment que l’espace public soit disponible à Strasbourg… Or, la place est rare ! C’est pourquoi, nous avons pris la décision en juin 2020 de reporter carrément d’une année. À cette époque, je ne pouvais pas imaginer qu’un an après, à l’heure où je vous parle, on aurait presque toujours autant d’incertitudes… C’est juste dingue !
Finalement, le public aura-t-il droit à une édition augmentée de L’Industrie Magnifique ?
Il aura droit à une version exceptionnelle. À plus d’un titre. On compte 180 partenaires aujourd’hui, soit le double de la première édition en 2018 ! 30 œuvres d’art ont été créées dont l’une comporte 30 œuvres supplémentaires [Cosmos District, ndlr]. On a travaillé un an de plus, Covid oblige. LIM2020 devenu LIM2021, c’est un gros paquebot qu’il a fallu tenir dans la tempête et sur un voyage beaucoup plus long que prévu, démarré en mai 2019. J’ai le sentiment que tout le monde a hâte de le voir arriver à bon port, autant les acteurs que les spectateurs ! Il y a une telle envie de sortir, de respirer, de gambader et de pouvoir s’exposer, en quelque sorte, alors qu’on était confinés. C’est typiquement ça, nous avons été confinés tout à nos créations et, désormais, nous aspirons au grand air et à l’exposition. C’est une édition qui, de ce
On était confinés tout à nos créations et, désormais, on aspire au grand air, à l’exposition.
point de vue et par la force des choses, est exceptionnelle. Elle est aussi plus large dans le sens où il y a plus d’engagement de la part des commerçants, des hôteliers, des écoles et des associations par exemple. On a la chance de grandir en quantité mais aussi en qualité et en profondeur. L’Industrie Magnifique, c’est la création par la coopération. Elle a vocation à associer le plus de monde possible, dans une grande fête populaire, la fête de l’art et l’industrie sur la place publique. La plupart des œuvres créées seraient impossibles à réaliser pour l’artiste sans le concours de l’entreprise, ne serait-ce qu’à cause du matériel, des savoir-faire et des ressources. L’Industrie Magnifique est une sorte de show-room des savoir-faire croisés de l’artiste et de l’entreprise, à travers une création commune, fruit de la coopération entre l’artiste et l’ouvrier.
Comment fait-on pour composer un événement d’une telle ampleur et dont la programmation se retrouve finalement intercalée entre les différentes étapes du déconfinement?
On s’adapte, tout simplement. Et, mine de rien, dans l’adaptation, il y a bien souvent l’invention, la création, l’innovation. Tout d’un coup, on transforme la contrainte en opportunité. Par exemple, la médiation (qui consiste à plus et mieux expliquer les œuvres et l’exposition au visiteur) sera renforcée cette année, à la fois in situ, près des œuvres tout au long du parcours, mais aussi à travers les conférences à l’Aubette et en ligne. Les interdictions sanitaires empêchent d’autres animations comme les concerts ou les spectacles. Il est vrai aussi qu’au milieu de L’Industrie Magnifique, le 9 juin, le couvre-feu sera repoussé à 23 h. Cela entraînera la modification des horaires de fermeture des sites avec la possibilité de visiter plus longtemps mais aussi de profiter des œuvres éclairées en soirée. Par définition, l’événementiel, c’est gérer de la contrainte. Là, il y en a juste un peu plus… Limite un peu trop, quand même !
Les artistes participant à L’Industrie Magnifique semblent exprimer une forme de libération dans le fait d’exposer et de renouer avec le public. L’avez-vous ressenti de votre côté ?
J’ai observé chez eux une grande stupeur au moment du premier confinement [au printemps 2020, ndlr]. Parce que les artistes qui étaient en résidence dans les entreprises en ont subitement été exclus puisque tout s’était arrêté. Ils n’ont donc pas pu continuer à travailler dans un premier temps. Je pense à Bénédicte Bach avec la Tannerie Haas, à Benjamin Kiffel chez L&L Products et à tous les autres. Ils se sont retrouvés tout d’un coup à la maison, un peu désœuvrés en quelque sorte. Mais finalement, le temps de travail s’est considérablement allongé avec le report de l’expo, puisqu’on a bénéficié d’un an supplémentaire. Cela nous a permis de communiquer sur la partie jusqu’alors invisible de l’iceberg LIM, à savoir la création. De mai 2020 à mai 2021, les quelques 30 binômes artistes/entreprises ont, à travers la poursuite de leurs travaux, constitué une sorte de mouvement résistance de la culture face au Covid-19. On sent aussi depuis plusieurs mois l’attente, voire l’impatience, et en tout cas l’espérance d’une libération par l’exposition. Les incertitudes ont été légion, elles ne sont pas toutes levées. LIM2021 ouvre le bal des grandes manifestations publiques en France, mais va peut-être aussi essuyer les plâtres, c’est comme ça. On se retrouve avec une semi-liberté du 3 au 9 juin, un protocole sanitaire renforcé mais on se retrouve, et c’est déjà énorme !
Vous ne cachez pas votre volonté d’étendre le concept de L’Industrie Magnifique à d’autres territoires, voire au niveau national. Qu’en est-il ?
Cette édition est une vitrine pour Strasbourg, pour l’Alsace, pour les artistes qui ont réalisé les oeuvres et les entreprises mécènes. C’est une vitrine ouverte sur toute la France. Il y a une grosse mobilisation de la part de nos partenaires institutionnels (Ville et Eurométropole de Strasbourg, CEA, Région, CCI Alsace, Adira…) pour faire découvrir LIM à leurs homologues des autres villes et territoires de France. Nous souhaitons que ceux-ci viennent et vivent l’expérience LIM2021 du 3 au 13 juin à Strasbourg, et qu’ils repartent chez eux avec l’envie de faire la même chose pour leurs territoires. J’aimerais que L’Industrie Magnifique se déroule partout en France, dans un maximum de régions et de villes à la fois, et de façon récurrente au niveau national. Car LIM est un formidable mouvement de développement de la coopération entre des secteurs et des gens différents, et un vecteur de promotion de la création (sous toutes ses formes : artistique, invention, innovation…) et de la valorisation des savoir-faire et du patrimoine des entreprises d’un territoire. J’espère qu’il y aura d’autres éditions strasbourgeoises mais aussi sur d’autres territoires pour faire une grande fête nationale de l’art et de l’industrie sur la place publique.