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Rivière de Verre par L’École du TNS Philippe Berthomé & CIC Est
Dans le théâtre, l’art passe par tous les interstices, dont la technique. Alors que la LED s’impose désormais sur les scènes, certains, dont Philippe Berthomé, créateur lumière et responsable de la formation technique de l’école TNS, croient dur comme fer au faire… et au verre. Il a invité les étudiantes et étudiants à fabriquer leurs propres ampoules
et à imaginer une installation. Par Cécile Becker Photos Christoph de Barry et Thomas Werlé
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Une question de geste
Philippe Berthomé n’aimera pas, en lisant ces lignes, que l’on commence par lui. C’est que tous les lauriers reviennent aux étudiantes et aux étudiants de l’École du TNS qui ont planché des semaines durant sur cette Rivière de Verre. Mais on ne peut pas faire comme si ce passionné n’avait pas enclenché les choses. Créateur lumière et responsable de la formation technique de l’école, il se définit comme un « amoureux des ampoules », et c’est peu dire. Il y a presque deux ans, alors que la LED déferlait sur le marché et s’imposait sur les scènes des théâtres, il s’est mis vent debout, convaincu par les vertus et les beautés de l’incandescence : hors de question de perdre en qualité. « J’ai cru qu’on n’allait plus en avoir, mais sa force poétique est restée puissante », dit-il aujourd’hui. Un jour, il s’est mis à fabriquer ses propres ampoules, jusqu’à décrocher une résidence à Murano en 2014 pour tester, expérimenter, « apprendre à faire » et collaborer. Le geste lui est resté, il a aussi exposé. Car si la technique, c’est son boulot, il est artiste – d’ailleurs, nous estimons que toutes les techniciennes et techniciens sont des artistes, qu’est-ce que l’art sinon trouver des solutions et des gestes pour exprimer les choses au plus juste ? « C’est l’émotion qu’on donne aux gens qui est importante », trépigne Philippe Berthomé. Et puis : être artiste ne s’apprend pas, s’approprier des outils, oui. C’est justement cette question qui l’a animé et incité à proposer à dix élèves du Groupe 46 (les étudiantes et étudiants rentrés à l’école du TNS en 2019 pour trois ans) « de faire un travail de recherche autour de l’ampoule ». L’avantage, c’est qu’à deux pas de Strasbourg est installé le Centre international d’art verrier, à Meisenthal. Un lieu magique où les maîtres verriers n’ont jamais été avares en transmission. Les élèves des sections Scénographie Costume et Régie Création y ont donc suivi un stage pour rencontrer les artisans, apprendre à connaître leur travail et les contraintes de la matière. Clara Hubert, étudiante en Scénographie Costume a été complètement emballée : « D’habitude, on fait des spectacles, là, l’approche était totalement différente. Il a fallu apprendre, désapprendre et s’approcher d’un travail vraiment plastique. On a constamment dû s’adapter. Ce qui était drôle c’est qu’on avait à la base un ou deux projets d’ampoules et les maîtres verriers allaient beaucoup plus vite que nous. » Des modèles,
Les ampoules ont été conçues au CIAV de Meisenthal. Photo Thomas Werlé
Rivière de Verre PHILIPPE BERTHOMÉ & LES ÉTUDIANTS DU TNS CIC EST Place Kléber
ils en ont imaginé, beaucoup. En moyenne, cinq ampoules par élève sont sorties du sable en fusion. Sans compter tout le travail d’électrification. Une fois l’enveloppe créée, expérimenter encore pour apporter le graal : la lumière. Thomas Cany, en Régie Création, a « apporté ses connaissances techniques aux autres et essayé de trouver des solutions ». Le stage se termine en mars et Philippe Berthomé veut amener le travail plus loin : « J’avais en tête d’exposer quelque chose. » Et puis L’Industrie Magnifique est arrivée. Le projet séduit l’équipe de l’événement qui tente de trouver un mécène : ce sera le CIC Est. Tout s’accélère mais “Bertho” part en création à l’Opéra Garnier, les étudiantes et étudiants imaginent alors un dispositif pour montrer leur travail. « Le projet n’avait pas été pensé pour une exposition collective, ni pour se montrer en extérieur. En un temps record, toutes les équipes du TNS se sont adaptées à l’urgence : les ateliers de construction et les électro ont fourni un travail phénoménal. » Le tout alors que les élèves occupent leur théâtre et sont en pleine réflexion sur l’avenir, les fonctionnements et l’essence de leur discipline minée par les décisions (ou non-décisions…) politiques. Le collectif les porte, avec un mode de travail très horizontal, en dehors de la hiérarchie qu’imposent d’ordinaire les mises en scène. En fait, la forme de l’installation a découlé de toutes ces réflexions : un “serpent” monté sur châssis en ligne brisée. « Ce mode d’exposition linéaire c’était un moyen de donner corps à l’équité, explique Thomas Cany. Il fallait aussi qu’on trouve quelque chose qui puisse faire symbole avec la période que nous traversons. On a donc réalisé des ampoules noires supplémentaires qui sont placées en bout. » Il a fallu aussi penser autrement le regard des spectatrices et spectateurs : « Il fallait dépasser l’objet, revenir au geste artistique avec une technicité particulière. Changer de cadre. Le geste artistique c’était le dessin et les verriers en sont les interprètes. » C’est sûr, ça a bousculé tout le monde. De son côté, Caroline Strauch, responsable du mécénat au TNS, s’est employée à donner régulièrement des nouvelles au CIC. Sur ces formes de partenariat, elle se montre intransigeante : « On est très attentif à la liberté des artistes. La position du mécène, c’est qu’il n’a pas à intervenir sur l’artistique, c’est la base. Là, le CIC a eu un vrai coup de cœur et une confiance absolue. Il y a eu un véritable appétit de leur part. Le travail a été joyeux et très fluide. » C’est rare et forcément notable. Depuis six ans, le théâtre strasbourgeois a mis en place le service mécénat « qui se place davantage à l’endroit de la formation des jeunes artistes et de l’éducation artistique et culturelle » avec une emphase depuis trois ans sur la précarité étudiante et la création de bourses privées. Un enjeu de taille à l’heure où la jeunesse (la société dans sa totalité ?) peine à envisager demain.
Les étudiantes et étudiants ont suivi un stage auprès des maîtres verriers du CIAV. Photo Thomas Werlé