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Terre de Ciel

Terre de Ciel PATRICK BASTARDOZ WIENERBERGER Place Broglie

D’un côté Wienerberger, entreprise fondée à Vienne en 1819, leader d’innovation et premier briquetier mondial implanté sur le sol alsacien depuis 1995, de l’autre, Patrick Bastardoz, artiste-peintre né à Strasbourg en 1970, fasciné par les lieux en devenir et les perspectives. De cette collaboration, s’érige une toile en trois dimensions pour donner à lire à tous ceux

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qui auront des yeux pour voir… Par Valérie Bisson Photos Christoph de Barry

Au premier mot limpide

« Allons ! Faisons des briques et cuisons-les au feu ! » Genèse 11, 1-5.

C’est ainsi que la monumentale tour de Babel Terre de Ciel, toute de briques et de tuiles, a vu le jour. La rencontre entre deux univers a priori éloignés : celui des tubes de couleur, du glacis, des pinceaux, des toiles et celui de la terre, de la poussière, du feu, de la brique ocre, a donné naissance à une construction architecturale qui met en résonance le travail du peintre et le travail de l’industriel. Habitué à l’intimité et à la solitude de l’atelier, Patrick Bastardoz a fait de la lumière un élément plastique fondamental. C’est elle qui immerge le spectateur dans des ambiances aux accents proches de la peinture hollandaise du XVIIe siècle. Elle qui donne du relief, elle qui révèle ce qui demeure caché. Pas de lumière sans feu ni chaleur, c’est de cette même énergie qu’une terre meuble et friable se transforme en brique solide et pérenne. Puisant à la même source, l’artiste et l’industriel sont sortis chacun de leurs sentiers battus. « C’est la première fois que je sors de la peinture, j’ai toujours eu besoin d’un cadre, de la fac à l’enseignement et de l’atelier sécurisant, que j’ai longtemps représenté dans mes tableaux, aux galeries d’exposition. Cette incroyable expérience en extérieur et en 3D marque un tournant important dans mon parcours. Pratiquer, c’est faire des choix et prendre des décisions tout le temps, je me demande souvent comment évoluer dans un univers où tout a déjà été fait. Un premier tableau représentant le chantier de la pharmacopée européenne m’a mis en relation avec le bâtiment à proprement parler mais aussi avec les lignes de construction, les grues, les chantiers et tout ce que j’allais explorer ensuite à travers les lieux en devenir. Je travaille beaucoup en séries que je décline avec de petites modifications, les wagons, le chantier de la médiathèque Malraux et bien sûr la Tour de Babel qui est un de mes sujets de prédilection. » La Tour de Babel, inspirée par la grande ziggurat de Babylone que Nabuchodonosor II fait construire en l’honneur du dieu Marduk, symbolise le moyen de relier le ciel, le monde divin, avec la terre et le monde souterrain. La ville de Babylone était plurilingue au moment de la construction de la tour et abritait des populations très diverses. Cette disparité culturelle a inspiré la légende biblique qui veut que la ville, orgueilleuse et viciée, fut punie de ses péchés en faisant disparaître une langue unique et compréhensible de tous. Il faut attendre les premières fouilles archéologiques et le déchiffrement du cunéiforme pour que la Mésopotamie soit perçue non plus comme l’antithèse de la civilisation, mais comme l’un de ses berceaux. Ce motif est repris dans de très nombreuses peintures, enluminures et gravures.« Le sujet de la Tour de Babel m’a été inspirée par les chantiers et des bâtiments très contemporains, par un grand vertical qui a été un des premiers. Au départ, toutes les tours de Babel sortaient de mon imaginaire et puis je me suis rapproché des représentations plus traditionnelles. » Patrick Bastardoz, qui aime travailler en série, s’était déjà réapproprié ce motif pictural ; il était évident que la confrontation avec la brique lui offrirait une opportunité incroyable de concrétiser ce projet. Du côté de Wienerberger, la rencontre s’est déroulée lors d’une exposition de l’artiste. L’ancien président du groupe, Francis Lagier, décédé le 30 août dernier, était très sensible à la peinture de Patrick Bastardoz et la collaboration ne se fit pas attendre. Il n’aura malheureusement pas eu le temps de voir l’œuvre finale.

Cinq étages inclinés pour une tour de 7 mètres de haut

Une fois les quatre éléments réunis, l’eau, l’air, la terre, et le feu, la transformation alchimique a pu commencer. Tous deux étaient d’accord pour l’aspect imposant et monumental nécessaire à l’œuvre. Il fallait une structure solide, c’est le groupe Métallerie Hanssen à

Koenigshoffen qui modélise et réalise la structure complexe en aluminium qui repose sur le socle carré de 4x4 mètres et d’1 mètre de hauteur. Cinq étages inclinés, dont le degré d’inclinaison augmente à chaque fois, totalisent une tour de 7 mètres de haut qui accueille les morceaux de briques savamment agencés. « Plus de 300 tiges filetées sont fixées sur la structure avec des crochets faits sur mesure. Sur chaque tige, j’ai pu assembler divers types de briques. J’ai utilisé 2 ou 3 palettes de briques et de tuiles. Afin de rendre la matière malléable, j’ai pu la découper avec une scie particulière et adaptée, je travaillais en scaphandre pour me protéger des poussières, puis je collais les briques ensemble pour faire des modules et les empaler sur les tiges. Enfin tout a été fixé, vissé et peint. » Les équipes de Wienerberger sont présentes du début à la fin et, dans chaque étape, de la direction aux équipes logistiques ou industrielles en passant par les hommes de terrains, chacun s’investit et guide l’artiste. «Le prescripteur m’a guidé dans les centaines de références de briques aux nuances de couleurs très riches ; je pouvais choisir entre bardages, briques de parement, tuiles, et j’étais toujours conseillé sur la tenue, l’effet, la résistance avec un professionnalisme et un investissement curieux et impliqué. » Patrick Bastardoz insiste sur le fait qu’il ne soit pas pour autant devenu sculpteur. « Le passage du plat au volume s’est fait sans problème, j’ai dû dompter la brique avec les outils adaptés, l’idée était de garder mon univers, les teintes, l’emploi de la peinture mais je ne me revendique pas comme sculpteur, je tournais autour de l’œuvre mais sculpter est une autre manière de travailler, cette forme est uniquement le fruit d’une rencontre, une aventure unique. »

Entre désir d’élévation et plongée dans la matière brute

Une aventure qui fait sens dans le parcours de cet artiste de l’intime qui s’est peu à peu professionnalisé notamment grâce à sa rencontre avec le galeriste Bertrand Gillig. « Dans mes débuts, on est plutôt à l’intérieur, le passage à l’extérieur était une nécessité, j’avais besoin de me décentrer et j’ai commencé à peindre les ciels, les nuages, les thématiques varient aussi en fonction des rencontres et des hasards, j’aime aussi les lieux de peinture : galerie du Louvre, Orsay, Musée Jean-Jacques Henner, Musée Rodin. Je ne veux surtout pas m’enfermer dans un motif. Au fur et à mesure des choix, des choses sont apparues. J’ai focalisé sur la lumière, sa répartition dans l’espace, je crée beaucoup de dossiers avec mes références dont la peinture hollandaise que j’adore. Ces influences alimentent mes choix thématiques autant que ma palette ». Comme celui qui parle choisit ses mots, l’artiste choisit où il va poser ses touches, celui qui bâtit choisit ses éléments de construction. Il en fallait peu pour que ces deux univers se frottent, s’assemblent et s’élèvent pour contribuer à nous faire rêver. Construire, le mot semble évident dans la mise en relation entre la fascination de Patrick pour les bâtiments et cette figure biblique et mythique de la Tour de Babel ; entre son désir d’élévation et la plongée dans la matière brute de matériaux de constructions de Wienerberger ; la brique, la tuile, une terre cuite, un matériau sain, qui répond idéalement aux projets de construction à haute performance énergétique et qui offre une durée de vie d’au moins 100 ans. La Tour de Babel est intégrée dans notre paysage urbain et s’élance vers un ciel fait de couleurs changeantes, le gris-bleu lumineux embrasse des terres d’ocre ou de sienne pour donner le temps d’un instant une image mythique et éternelle aux passants de tous horizons. Avec deux expositions parallèles, à la Galerie Bertrand Gillig et dans un lieu éphémère du centre-ville, Patrick Bastardoz poursuit son travail de peintre happé depuis peu par le grès rose et les verticalités de la cathédrale. Qui a affirmé que le XXIe siècle serait spirituel ?

Wienerberger, toujours plus haut

Présent dans 30 pays, le groupe Wienerberger emploie près de 17 000 personnes dans ses 204 usines réparties à travers le monde. En France, 800 salariés travaillent dans huit usines dont trois sont implantées en Alsace sur les communes de Betschdorf, Seltz et Achenheim. C’est dans cette localité de l’Eurométropole de Strasbourg qu’est situé le siège social de l’entreprise, leader mondial de la terre cuite, qui fait travailler plus de 350 collaborateurs dans la région. Fréderic Didier en est le nouveau directeur général depuis la disparition de Francis Lagier en août dernier.

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