5 minute read

Portée aux Nues par Bénédicte Bach & Tanneries Haas

C’est au pied de L’envolée chromatique en 2018, fruit d’une première collaboration avec les Tanneries Haas pour L’Industrie Magnifique, qu’est née l’idée de Portée aux Nues. L’envie de prolonger cette expérience singulière, de mêler encore poésie et industrie, d’aller à la rencontre d’hommes et de femmes et de révéler des savoir-faire : poursuivre le rêve des papillons aux nuages. Avec Jean-Christophe Muller, PDG des Tanneries Haas spécialisées dans le cuir de luxe, nous étions sur la même longueur d’ondes. C’est ensuite Julien, Olivier et Vincent qui ont accompagné l’arrivée de cette idée de nébuleuse légère. Journal de création. Textes et photos Bénédicte Bach

Dans la peau d’un nuage

Portée aux Nues BÉNÉDICTE BACH TANNERIES HAAS Rue des Hallebardes

Janvier 2020 Le théâtre des opérations

La saison du blanc est ouverte aux Tanneries Haas. Les machines tournent et les hommes s’affairent sans relâche tandis que le soleil paresse encore au cœur de la nuit. Après une plongée revigorante en rivière, les peaux s’égouttent et les nuages s’étirent pendant la mise au vent, laissant échapper des volutes légères. Vincent planche sur la définition des finitions tandis que les peaux blanchissent au fil du tan. Un grain blanc s’annonce mais point de tempête à l’horizon : la nébuleuse de Portée aux nues accompagnera la course du soleil et fera jaillir la lumière de ces peaux immaculées.

Février – mars 2020 L’atelier des nuages ouvre ses portes

Créer des nuages en cuir, c’est un peu avoir la poésie dans la peau, toucher du doigt l’insaisissable, donner corps au rêve. C’est aussi une aventure extraordinaire qui confine à la démesure. Pour 30 nuages, 900 cercles de cuir ont été découpés dans les 70 peaux préparées, puis incisés délicatement pour y dessiner des triangles autour desquels 2 700 morceaux de Velcro® sont collés. Mais rien n’arrête ces tanneurs sachant tanner ! Ce n’est plus un atelier mais une véritable manufacture qui vit au rythme du « dur-dur-doux » et du « doux-doux-dur » : ça décloisonne, ça scratche et ça colle ! Venus de tous les ateliers de la tannerie, Emmanuel, Franck, Frédéric, Jean-Luc, Jessy, Marc, Monique, Philippe et Rachel ont accompli cette première phase en un temps record et avec le sourire ! L’énergie est palpable. Il flotte dans l’air une certaine folie joyeuse, un enthousiasme débordant : la magie de la collaboration opère.

Septembre 2020 Le numéro 0 prend l’air

Entre mars et septembre, le temps s’est arrêté, le projet est figé en plein vol. Malgré cette longue apnée, le travail de création reprend de plus belle avec une équipe resserrée pour faire apparaître le premier nuage. Une entrée en matière destinée à valider l’ensemble des choix techniques avant de lancer la production à grande échelle. Olivier, Vincent et Marc mettent tout leur savoir-faire au service de la création. Les nuages nous donnent du fil à retordre : alors on teste et on révise nos formules géométriques pour que nos icosaèdres se muent en cumulus immaculés. Des étapes d’assemblage aux solutions d’étanchéité et de maintien du nuage, tout est disséqué, analysé et compilé pour définir le processus de production adéquat. L’atelier des nuages se transforme en laboratoire où science et poésie dialoguent pour inventer la recette des nuages. Et puis un matin, dans un rayon de soleil automnal, le nuage numéro 0 de Portée aux nues prend son envol. Le voici désormais à l’épreuve de la pluie et du vent, au cœur des ateliers de Mittelbergheim, comme l’emblème d’un savoir-faire plus que centenaire annonçant l’arrivée prochaine d’une nuée légère dans le ciel strasbourgeois.

Octobre 2020 – février 2021 Amoncellement nuageux dans le ciel de l’atelier

Pour faire éclore un nuage, tout est question de recette. Après la dégustation convaincante du numéro 0, nous avons opté pour une création généreuse et poétique qui nécessite maestria et patience. Pour façonner un nuage, recueillir une écume de cuir légère. Laisser reposer pour qu’elle reste bien blanche. Rassembler ensuite quelques morceaux d’écume dans un récipient. Mêler le tout avec des gestes aériens et précis. Une chantilly de nuage apparaîtra sous vos yeux. Incorporer enfin deux cuillerées de ce nébuleux appareil pour former un joli nuage. Le laisser prendre de la hauteur. Et se régaler les yeux ! La brigade de petites mains suit à la lettre cette recette. Au fil des semaines, Doris, Monique et Rachel donnent corps à une nuée blanche tandis que Marc cloue et coud les nuages dans des gestes répétés à l’infini, avec soin et minutie. Au cœur de l’hiver, l’alchimie opère et les cumulus immaculés conquièrent désormais le ciel de l’atelier.

Mars – avril 2021 Vous en reprendrez bien une tranche ?

Nous avons quitté la Terre et évoluons désormais à une altitude stratosphérique au milieu des cumulus de cuir. L’atelier s’est transformé en station spéciale. Accompagnés de deux explorateurs du ciel, nous mettons la dernière touche aux tranches de nuages. La mission est délicate : caresser les nuages pour les faire blanchir de plaisir. Le travail en apesanteur nous emmène loin au fil des 1 320 arêtes. Les corps sont éprouvés au bout de ce long voyage mais le charme opère et la poésie nous insuffle son énergie, comme par magie. Les 30 cumulus immaculés de Portée aux nues sont désormais prêts à habiller le ciel strasbourgeois. En attendant l’exposition, parés de leur cape noire et à l’abri des regards, ils hantent désormais l’atelier silencieux. C’est avec une pointe de nostalgie déjà, à la fois mélancolique et heureuse, que se clôt cette collaboration industrialo-poétique. Malgré les aléas extérieurs, dans la bulle de l’atelier des nuages aux Tanneries Haas, nous avons vécu ces longs mois en continuant à rêver au ciel, en partageant petites et grandes joies, casse-têtes techniques, et la poésie de chaque instant.

This article is from: