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L’Après Histoire par Michel Déjean & Meazza Marbrerie
Après une première œuvre, Hula-Hoop pour la première édition, Michel Déjean s’est rapproché de Meazza Marbrerie pour élaborer L’Après Histoire : sorte de parallèle entre le monde d’avant et d’après où il est question de la place de l’Homme et des traces qu’il laisse, là, au milieu des éléments. Par Pierre Cribeillet Photos Christoph de Barry
Retour à l’âge de pierre
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L’œuvre est prête depuis un an et « l’impatience est là », confirme Olivier Meazza, patron de la marbrerie du même nom et mécène de Michel Déjean. En état de récidive après son Hula-Hoop place Saint-Étienne en 2018, l’artiste installé à Dingsheim avait carte blanche. Intitulée L’Après Histoire, cette œuvre massive transporte le spectateur dans un futur plus ou moins proche selon les avis. « L’idée hypothétique, un peu pessimiste et en même temps d’actualité, est que notre civilisation se termine. Que va-t-il rester après que l’Homme a disparu de la Terre ? », questionne Michel Déjean. Du marbre, du grès et du granit, a-t-il sans doute pensé au moment de contacter son mécène. Les deux hommes se connaissent, ils ont déjà travaillé ensemble. « Michel vient me voir, son projet est faisable, ça me parle, raconte Meazza. Par contre je ne voulais pas juste financer mais vraiment participer. » Rendez-vous est pris à Mundolsheim au siège de l’entreprise. L’artiste amène sa vision, ses idées, ses croquis. Le tailleur de pierre étudie, soupèse, mesure. On discute et soudain, l’inspiration
L’Après Histoire MICHEL DÉJEAN MEAZZA MARBRERIE Place Broglie
s’invite. « Je me suis promené dans l’entreprise et j’ai flashé sur un gros bloc de marbre de carrare blanc pas travaillé, se souvient Déjean. Ils avaient ça en stock, reçu tel quel, un rocher sorti de la montagne. J’ai dit : “Ça, c’est pour moi !” » Symbole de l’esprit humain, ce bloc inentamé trônera au centre de l’œuvre. Tout autour, quatre autres sculptures se dressent : l’eau, le feu, le vent et le travail de la main.
L’idée arrêtée, l’artiste s’efface
En somme, L’Après Histoire sera vide de la chair et du verbe de l’Homme. En revanche, son esprit et ses réalisations demeurent. L’artiste a choisi deux symboles pour matérialiser cette idée. D’abord le cercle pi chinois, un disque avec un trou au milieu, qui semble avoir eu jadis des fonctions rituelles en rapport avec le cosmos. S’il est aujourd’hui vendu à la sauvette comme amulette porte-bonheur, cet objet vieux de 5 000 ans au moins était autrefois enterré avec les défunts. Ce cercle rejoint d’ailleurs les travaux précédents d’un Déjean minimaliste, lequel confesse une obsession pour cette figure géométrique qu’il reproduit des millions de fois sur tous les supports possibles. Voilà pour l’esprit humain. La main de l’homme, et donc ses réalisations, est quant à elle représentée via une hache polie, comme un retour à l’indestructible premier outil. L’idée arrêtée, l’artiste s’efface, le tailleur de pierre Meazza et son équipe s’attaquent à la pierre. « Rodin n’a jamais sculpté un bout de marbre, il modelait la terre et laissait à des sculpteurs la charge de la reproduire », note d’ailleurs celui-ci. Farouche héritier de cette armée d’anonymes, celui-ci a néanmoins entretenu un réel dialogue artistique. Ainsi, lorsque se pose la question d’un socle pour soutenir cette œuvre, il émet l’idée d’un grand cercle de gravier formant une horloge. « C’est son idée et elle est très bonne : l’homme disparaît certes, mais la planète suit son cours, le temps continue », explique Michel Déjean, dont la compagne Catherine Gangloff expose place Saint-Guillaume. Terminée, l’œuvre ne l’était pas tout à fait en l’absence de public. Un an plus tard, elle s’offre enfin à tous place Broglie. « Pour une fois que l’art contemporain parle à tout le monde et pas qu’à des initiés qui vont dans des lieux assez fermés parler un langage que personne ne comprend, autant qu’il descende dans la rue et que chacun puisse s’approprier des objets beaux, des trucs qu’on apprécie par le simple regard », savoure Olivier Meazza. Et après ? Pas question pour le mécène de transformer cette œuvre en trophée. « Elle ne m’appartiendra pas, elle sera à la cité, à celui qui en voudra bien. Une œuvre, ce n’est pas fait pour être dans mon atelier, c’est fait pour être exposé. » Indestructible ou presque, elle attendra alors silencieusement que sa prophétie se réalise, lorsque, au lieu de bipèdes alsaciens masqués, ses spectateurs seront des lézards, renards et autres cigognes de passage.