Zone d’architecture possible Numéro — 04 Gratuit / 03.2021
Construire avec l’existant
École nationale supérieure d’architecture de Strasbourg
002 Directeur de la publication Philippe Cieren Coordination de projet Frédérique Jeanroy Contributeurs Éric Albisser Géraldine Bouchet-Blancou Joël Danet Anne Jauréguiberry Anne-Sophie Kehr Remerciements à Emmanuel Ballot, AnneLaure Better, Gauthier Bolle, Guillaume Christmann, Jérémy Hawkins, Didier Laroche, Barbara Morovich, François Frédéric Muller, Xavier Nachbrand, Julien-Pierre Normand, Antoine Oziol, Julie Peschard, Emmanuelle Rombach
Une publication réalisée par chicmedias Rédaction en chef Sylvia Dubost Direction artistique et mise en page brokism
Rétrospective La vie de l’école 04 Portrait Philippe Cieren, nouveau directeur 06 de l’ENSAS
Carnet de voyage Dans la jungle urbaine de Mumbai 08 Tribune Pour le retour du politique, 14 par Anne Jauréguiberry
Construire avec l’existant 18
Dans l’histoire
Construire avec l’existant hier, aujourd’hui, demain.
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Dans l’atelier
Les étudiants planchent sur l’hôtel des Postes avenue de la Marseillaise.
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Mise au point
Le regard des Architectes des Bâtiments de France.
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Étude de cas
Gros plan sur le projet Nextmed, dans l’enceinte de l’hôpital civil.
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Lectures d’espaces
Rédacteurs Cécile Becker Emmanuel Dosda Sylvia Dubost
Promenade urbaine dans la Neustadt.
Photographes Pascal Bastien Jésus S. Baptista
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Illustration couverture Vincent Broquaire
40 Tribune De la surélévation, par Géraldine Bouchet-Blancou.
Plan large
Quelques réalisations exemplaires, choisies et commentées par les enseignants de l’école.
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Travaux d’école
Deux projets d’étudiants qui réinventent un territoire à partir d’une ressource locale.
Ce magazine est édité par l’École nationale supérieure d’architecture de Strasbourg 6-8, boulevard du président Wilson BP1003 67068 Strasbourg cedex www.strasbourg.archi.fr
54 Perspectives
Tirage : 4000 ex Dépôt légal : mars 2021 ISSN : 2646-8336 Impression : Ott imprimeurs Diffusion : Novéa
Construire avec les habitants pour transformer les quartiers populaires : pourquoi et comment ?
58 Perspectives
Densifier ou dé-densifier, that is the question. Entretien avec l’architecte-urbaniste Antoine Brès.
62 Du grain à moudre Quelques références théoriques et littéraires, par Anne-Sophie Kehr
64 Tribune
À propos de Intersection conique de Gordon Matta-Clark, par Joël Danet.
68 Agenda
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Vagabondage et voyage dans le temps Par Philippe Cieren, directeur de l’École nationale supérieure d’architecture de Strasbourg
Construire avec l’existant n’est-elle pas la manière de bâtir et d’aménager qui fonde l’architecture ? Les premières grottes, dans lesquelles on organisait l’espace en spécialisant et hiérarchisant les volumes, n’en sont-elles pas la démonstration ? Quand on observe les vestiges connus, on y découvre une économie de moyens allant de pair avec un sens aigu des emplacements pour aboutir à des positions signifiantes, fonctionnelles ou symboliques. Ces implantations attestent également de choix impliquant une appréciation géographique. Somme toute, gestion des moyens, définition et composition des espaces, prise en compte du contexte sont bien les bases de l’architecture… Plus tard, bien que les possibilités techniques élargissent le champ des possibles et ouvrent la possibilité de s’affranchir de l’existant, l’utilisation de l’existant perdure. La récupération de matériaux est un principe récurrent et nos centres anciens regorgent de colonnes, d’arc ou de modénatures des époques antérieures. Dans ce domaine, chacun a quelques projets qu’il a découverts et qu’il affectionne pour ce qu’ils évoquent ou les questions qu’ils posent. À Sutri, près de Viterbe, les Romains de l’époque tardorépublicaine taillèrent dans le roc un grand amphithéâtre là où la morphologie du lieu en donnait l’ébauche et ils le complétèrent par une entrée monumentale. Le site de Pingwellir est plus étonnant encore. On y voit le premier parlement connu, installé par les islandais au xe siècle à partir d’une sorte d’amphithéâtre naturel, formée sur la faille médio-atlantique. Si ces deux exemples illustrent la question de l’utilisation de l’existant pour économiser temps et moyens, il s’en dégage une grande puissance et c’est le choix du lieu qui le provoque. Il y a bien sûr les icônes du genre. Citons le théâtre Marcellus à Rome, dont la forme façonne un morceau de ville et dont les vestiges furent transformés en immeuble d’habitations. L’Alcazar de Séville est un autre exemple étonnant. Quant au xiiie s, les rois catholiques prennent le pas sur les derniers Almohades, les premiers réaménagements du palais islamique adopteront le style gothique avec toute la portée symbolique qu’il a dans ce contexte tandis qu’un siècle plus tard, ce palais sera encore agrandi dans un magnifique style Mudejar rendant difficile la lecture chronologique de l’ensemble. Cette question de l’économie de moyens est en fait permanente, les raisons varient au fil du temps, mais ont toujours été une réponse à l’équation « matériaux-transport-main d’œuvre-temps » quand le choix du neuf ne s’impose pas. À notre époque se rajoute les questions de la mémoire et du développement durable…
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LA VIE DE L’ÉCOLE
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WORKSHOP
Rural Studio 04.02
08.02.21
Avec le soutien du Sycoparc, du Parc naturel régional des Vosges du Nord et de la Communauté de communes de Sauer-Pechelbronn.
À l’invitation du Sycoparc et du Parc naturel régional des Vosges du Nord, les 24 étudiant.e.s d’Emmanuelle Rombach – maîtresse de con férences et architecte – ont investi le territoire de la communauté de communes de Sauer- Pechelbronn (dans le Nord de l’Alsace) pour réfléchir à son évolution à l’horizon 2023. Ce terrain d’exercice grandeur nature était pour la plupart d’entre eux un espace inconnu, vierge de toute projection. Ils ont pu y développer des projets en s’appuyant sur les acquis théoriques et techniques de leurs études mais aussi sur un travail d’enquête (contraint par la situation sanitaire) auprès des élu.e.s et des opérateurs. Puisqu’il n’était pas possible de rencontrer les habitant.e.s, les étudiant.e.s devenus scénaristes ont imaginé les désirs des usagers de leurs projets. Un travail d’écriture qui valorise l’étape d’écoute, d’observation et de documentation
préalable à toute esquisse. Le Rural studio propose alors des projets novateurs mais pas utopiques pour autant. Ils ont tous en commun une synergie avec l’environnement. Le renouveau est insufflé par des programmes mixtes intégrant activités culturelles ou artisanales, économie sociale et solidaire. Les projets architecturaux soulignent la qualité du patrimoine bâti et naturel existant, et fait la part belle aux techniques et matériaux écologiques de rénovation. Il s’inscrit ainsi dans la démarche de développement durable et de transition environnementale chère à l’ensas et partagée par le Parc naturel régional des Vosges du Nord. Enfin, il fait écho au plan « Territoire à énergie positive 2037 » dans lequel s’est inscrite l’intercommunalité de Sauer-Pelchelbronn. Ces propositions n’ont pas vocation à être réalisées, p lutôt à inspirer élu.e.s, habitant.e.s, entreprises… à charge à chacun de les faire siennes.
LA VIE DE L’ÉCOLE
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PORTRAIT
Philippe Cieren En fonction depuis le 1er février 2021, le nouveau directeur de l’ensas raconte son parcours, son goût du patrimoine et sa nouvelle mission. Propos recueillis par Sylvia Dubost Photo : Jésus s.Baptista
Pedigree : né à Pau, architecte de formation, Architecte des Bâtiments de France à Paris et chef du service départemental de l’Essonne, ancien adjoint à la sous-direction des monuments historiques, Inspecteur général de l’architecture et des espaces protégés à la direction générale des patrimoines du ministère de la culture et de la communication.
D’où venez-vous ? « J’ai fait mes études dans les années 80 à l’up5 de Nanterre, dans l’atelier d’Alain Sarfati. On était dans le post-modernisme à la française, la fin de la constitution des villes nouvelles, et on essayait de redonner
de la convivialité aux grands ensembles. Je faisais partie d’un petit groupe qu’il avait pris sous son aile, moitié à l’école, moitié à l’agence, où j’ai travaillé sur la réhabilitation du Haut-du-Lièvre à Nancy [quartier construit à la fin des années 60, ndlr ]. Après mes études, j’étais destiné à travailler à l’agence, sur des Ehpad. Ce chemin pré-tracé m’agaçait, et je suis parti à l’agence SaubotJullien. C’était totalement une autre filiation. À l’époque, ils avaient construit la moitié de La Défense : c’étaient des constructeurs, l’objectif était de livrer un bâtiment en bonne et due forme et dans les temps. L’architecture, c’était en plus. Je peux dire que j’ai appris
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l’architecture avec Sarfati, mais j’ai appris mon métier avec Saubot. Je ne conçois plus de dessiner sans savoir comment ça tient. Quand l’agence a commencé à décliner, je me suis mis à mon compte. Roger Saubot m’a recommandé à un client qui avait une maison à rénover, j’ai enchaîné les projets de restauration. Au bout de cinq ans, j’étais éreinté. J’avais trois enfants, je bossais sans arrêt, j’avais un carnet de commande à six mois seulement. Un jour, je suis sorti d’une réunion de chantier où j’avais passé la matinée à discuter de la couleur de carrelage chez une dame qui avait un immense appartement… Ça a été le déclic. J’ai passé le concours d’architecte urbaniste de l’État, je me suis retrouvé abf, puis chef de service, j’ai découvert Évry et le département de l’Essonne : c’était passionnant ! » Pourquoi l’architecture ? « J’avais commencé des études de médecine, je n’aimais pas ça du tout… J’ai toujours aimé l’histoire de l’art, dessiner, regarder les bâtiments. J’ai passé six mois à prendre des cours de dessin, y compris industriel, et à lire. En arrivant à l’école, j’ai su que j’étais au bon endroit. » Pourquoi le patrimoine ? « Quand on est traîné enfant dans les châteaux et les musées, ça laisse des traces ! Pendant mes études, j’ai suivi l’enseignement de Michel Conan, spécialisé dans les jardins de la Renaissance, et j’ai eu à lire L’Institution harmonique de Salomon de Caus. J’ai trouvé ça fantastique. J’avais en main un bouquin qui avait 500 ans, avec des annotations à la main de l’auteur. J’ai eu un flash. Maintenant, quand je vois un bâtiment, j’essaye de comprendre pourquoi il est comme ça, s’il obéit à une histoire ou un site. »
Quelles sont les qualités d’un architecte ? « Savoir regarder et savoir dessiner. La transcription de l’espace à la main oblige à terminer le trait et à se demander comment ça tient. Et aussi la capacité de synthèse, à voir large, à comprendre un contexte. Être architecte, c’est jongler entre science et humanisme. » Et celles d’un bon directeur ? « La formation d’architecte est une grande aide, car on a la capacité d’être un chef d’orchestre et la connaissance de la matière – sans quoi ce serait du management pur. Être un bon directeur, c’est mettre tout le monde autour de la table et d’un projet commun et partagé. Pour le reste, j’ai peu de dogmes, à part honnêteté, loyauté et respect des règles administratives (ça c’est mon côté fonctionnaire !). » À quoi sert une école ? « Le métier, on ne l’apprend pas à l’école. L’école permet en revanche de concentrer une culture plus vaste que celle qu’on apprend sur le terrain. C’est le lieu du débat et des échanges. Il y a des chapelles différentes, les enseignants défendent ardemment leurs convictions, et c’est intéressant que les étudiants y aient accès. » Un bâtiment que vous auriez aimé construire ? « La cathédrale dans la mosquée de Cordoue, construite par les catholiques au XIVe siècle. Il n’y a pas eu de destruction, de négation de l’architecture préexistante mais une communion des deux. On rentre dans une mosquée et on commence petit à petit à voir apparaître du gothique, la transition est d’une subtilité incroyable. »
CARNET DE VOYAGE
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Une foule dans la ville
Densités complexes : on pourrait croire que l’atelier de projet piloté par Emmanuelle Rombach a été inventé pour Mumbai… En 2016, inaugurant le partenariat et l’échange avec l’école krvia, elle y emmène un premier groupe d’élèves de l’ensas. Ils y découvrent une situation urbaine inconnue, en ont saisi les ambiances contrastées pour mieux la comprendre. On peut dire qu’en matière de densité et de complexité, Mumbai est une sorte de parangon… Construite sur un archipel d’îles reliées par des terre-pleins artificiels, la ville est « prisonnière » d’une situation géographique qui l’empêche de s’étendre, tandis que la montée des eaux menace de réduire encore sa surface. La population, elle, n’en finit pas d’augmenter, portée par une forte migration intérieure. Une équation ardue pour les autorités, qui devront à terme reloger 7 millions d’habitants… Officiellement, Mumbai en compte aujourd’hui plus de 12 millions, repartis dans une mosaïque de quartiers extrêmement contrastée, où se manifestent des inégalités sociales les plus brutales, entre stars de Bollywood et habitants des slums (bidonvilles). Celui de Dharavi, le 2e d’Asie, accueille entre 500.000 et 1 million d’habitants (des statistiques difficiles à établir, comme on l’imagine). De toute évidence, à Mumbai comme ailleurs, la densité est inversement proportionnelle au niveau de vie… Dans les slums, un habitant dispose
en moyenne de 2,5m2, contre 25 en moyenne en France*. Le développement urbain constant, exponentiel et chaotique, largement sous-tendu par la corruption, exacerbe encore la dureté de la ville. On imagine sans peine la sidération des étudiants à leur arrivée. « La notion de densité est peu abordée à l’école, explique Emmanuelle Rombach, et les étudiants ne sont pas familiers avec la densité forte. » Avant de se lancer dans l’élaboration de leur projet (un ensemble de logements pour catégories moyennes, à moindre impact écologique), ils ont abordé ses différents degrés à travers l’exercice de la dérive urbaine. Avec le médium de leur choix, ils approchent la ville par ses ambiances, avant de passer aux outils paramétriques qui permettent de prendre en compte un grand nombre de données (cet atelier est d’ailleurs le seul à Strasbourg à utiliser cette technologie). Combiner datas et approche sensible, observer la manière dont les gens y vivent, c’est assurer que, contrairement aux pratiques parfois expéditives de la promotion immobilière locale, « la planification ne se fasse pas au détriment des modes de vie ». * Pour autant, comme ils l’ont confié aux étudiants, ils ne souhaitent pas être relogés dans des immeubles neufs, préférant « rester au village », quand bien même ce « village » à la population d’une métropole
Croquis : Juliette Frasie
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Croquis : Juliette Frasie
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Croquis : Juan Londoño
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Photos et croquis : Antonin Gilles
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C’EST MAINTENANT ! LE RETOUR DE LA POLITIQUE EST URGENT.
TRIBUNES
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exte et dessin par Anne Jauréguiberry, T architecte-urbaniste et enseignante à l’ENSAS
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Le bien commun, on a tendance à ne plus savoir ce que c’est. Pourtant, c’est le ferment de notre société. C’est aussi l’une des motivations centrales du métier d’architecteurbaniste. Imaginer et préparer le futur de façon démocratique, décider, débattre, conclure pour agir : autant d’expressions qui mettent en action le résultat de discussions. Et si nous cherchions à prévenir l’avenir, à réserver des possibilités de s’adapter, à préfigurer des solutions, en développant la première étape d’un changement sans obérer les développements futurs, qui peuvent être multiples, voire amendés, abandonnés, mais dont le fil directeur est tenu par une décision politique : penser demain ? L’urgence climatique est décrétée. Avons-nous le temps d’hésiter ? Ou faut-il expérimenter ? L’aménagement de notre territoire est censé être porté par l’État de façon à répartir harmonieusement les ressources auprès de la population et de diminuer les inégalités, les discriminations, donner accès à l’éducation, à la culture, assurer la qualité du cadre de vie pour le plus grand nombre, car il ne suffit pas de manger et d’être logé pour garder notre humanité. En réalité, l’aménagement du territoire est devenu, au fil des dernières années, sa partition entre des territoires métropolitains reliés par des trains à grande vitesse, des banlieues disqualifiées et des campagnes surexploitées où l’isolement des habitants donne le vertige. Les villes moyennes et les villages ont parfaitement répondu aux injonctions de la grande distribution, déportant aux périphéries leurs lieux de vie, le peu de chair qui leur restait. Ici, plus de pain, plus de médecin, plus de bureau de poste, pas un lycée et pas un banc pour accueillir les vieux se chauffant au soleil ! Pour préparer notre futur, il est temps d’envisager autre chose, de créer les espaces
propices à la pensée, à la transition écologique, intellectuelle et politique. Il est temps de passer au « ménagement du territoire », pour citer Jean-Claude Mensch, maire d’Ungersheim. Il est temps aussi de parler à nouveau politique, de prendre des décisions, d’essayer, d’intéresser les citoyens à notre devenir. C’est une affaire collective et de première importance. L’importance d’une élection, la formation au débat et à la discussion, l’envie de prendre nos affaires en main doivent être enseignés à l’école. Se préoccuper de la société et de politique doit redevenir l’objet de notre éducation nationale. En reprenant les idées de Pierre Frey (Learning from vernacular : pour une nouvelle architecture vernaculaire), commençons pour regarder les ressources que nous avons sous nos pieds, à proximité. Nous pouvons les associer, les échanger, les transformer, les rendre contemporaines. Les « petits projets locaux » peuvent en s’assemblant constituer de nouvelles visions pour demain : un développement local auto soutenable, un « projet local » et une « bio région urbaine » que défendaient l’architecte et urbaniste Alberto Magnaghi. Il est temps également de faire évoluer notre métier d’architecte-urbaniste. Et il est sans doute temps d’enseigner ce métier de façon alternative. De remettre en question les chaînes de décision, sans oublier la qualité architecturale. Ne dénigrons pas cette culture et ce savoir du projet, mais trouvons une manière d’intégrer de nouvelles approches pour fabriquer la ville. Favorisons les utopies, rendons-les concrètes. Il est temps, c’est maintenant !
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Construire avec l’existant
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La ville se construit inévitablement sur elle-même, et pour des questions écologiques, économiques et sociales, il semble aujourd’hui de plus en plus évident que réhabiliter et transformer vaut mieux que de détruire et reconstruire. Dès lors, comment intégrer le bâti de demain à celui d’aujourd’hui et d’hier, qu’il soit monumental ou banal, classé ou non ? Peut-on préserver sans muséifier ? Quelle liberté pour l’architecte ? Quelles contraintes et quelles règles, pourquoi ? Quelle est la bonne distance ? Comment permettre à un centre historique de rester une ville contemporaine ? Construire avec l’existant, c’est renouer le sens commun, c’est-à-dire réparer, rénover, recycler, réemployer. C’est envisager l’architecture et l’urbanisme avec une logique écologique. Cette logique correspond-t-elle aux désirs et besoins des habitants ? Mais d’abord, de quoi parle-t-on quand on parle d’existant ? Parle-t-on de patrimoine, ou plus largement des habitants, des coutumes, des ressources, de l’histoire et de la géographie ? Comment les inclure dans le projet ? Contrairement à d’autres périodes de l’histoire de l’architecture, il apparaît aujourd’hui évident qu’on ne construit qu’avec l’existant, quand bien même celui-ci serait un terrain vierge. Et que, dès lors, c’est d’abord une attitude et une attention.
CONSTRUIRE AVEC L’EXISTANT DANS L’HISTOIRE
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Questionner les matériaux, la topographie, la conservation et la destruction… Pour Didier Laroche, archéologue-architecte, historien de l’architecture et enseignant à l’ENSAS, construire avec l’existant est, aujourd’hui comme hier et demain, une affaire de sensibilité et de bon sens.
Une question d’attention Propos recueillis par Sylvia Dubost
On ne construit qu’avec l’existant… et pourtant « On pourrait dire que lorsqu’on projette, c’est toujours avec l’existant, même si c’est un champ de patate. Pourtant, à l’époque du mouvement moderne, on a considéré que le projet pouvait faire fi de tout ce qui existait. Le Corbusier, Frank Lloyd Wright et Mies van der Rohe n’ont jamais transformé de bâtiment existant : c’était inconcevable. À Izmir, où j’habite, Le Corbusier avait participé à un concours pour un grand projet urbain. Il a perdu, et comme lot de consolation, la mairie lui a proposé un bâtiment abandonné, un très bel endroit sur le front de mer. Le Corbusier a refusé, expliquant qu’il ne faisait jamais de projet à partir de ce qui existait. Lorsque j’étais étudiant, entre 1973 et 1979, on ne se posait jamais la question de ce qu’on pourrait réutiliser. Quelqu’un qui construit devrait toujours d’abord se demander ce qu’il peut réutiliser. On peut choisir de conserver tout, une partie seulement, ou rien du tout. J’ai pour cela une approche très pragmatique. Pour le chantier
de Notre-Dame par exemple, il ne s’agit pas de savoir s’il faut reconstruire la charpente en bois, mais quel est le matériau le plus adapté. Si c’est du plexi, alors on devrait prendre ça. Ce n’est pas une question de principe, mais de sens commun. »
Réemployer les matériaux et les bâtiments « On commence par les matériaux. J’aime beaucoup le mot réemploi, car c’est une façon de continuer l’histoire. Les civilisation arabes ou grecques ont toujours réutilisé les matériaux. C’est la paresse qui crée l’intelligence ! Les dolmens par exemple sont de l’existant trouvé sur place, un peu taillé. Sur le site de Delphes en Grèce, où je travaille, il y a un mur célèbre avec des pierres gigantesques. Avec des collègues on s’est rendu compte qu’il était fait avec des rochers trouvés sur place suite à un éboulement, qui ont été taillés et assemblés. Ils n’ont pas eu besoin d’ouvrir une carrière mais avaient le matériau sous leurs pieds.
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Tirer parti d’une topographie naturelle… En bas, la maison d’Albert Frey à Palm Springs (1963-1964) Photo : Darren Bradley
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La variété du sol fait la variété de l’archi tecture : celle de Norvège n’est pas la même que celle du Sahel. À Milan par exemple, vous trouvez surtout des constructions en brique*, parce que dans la plaine du Pô il n’y a pas de caillou, pas de forêt, que des champs d’argile dont on a fait des cathédrales et des châteaux extraordinaires. Renzo Piano se vante d’avoir recouvert la Fondation Beyeler d’une pierre venue d’Argentine. Je ne trouve pas cela raisonnable. D’ailleurs, aujourd’hui, on ne le ferait plus… Ensuite, il faut réutiliser des parties d’architecture. Pour la transformation de la Manufacture des Tabacs à Strasbourg, par exemple, on aurait dû faire une expertise sur les fonctions que le bâtiment doit remplir au vu de ce qu’il est. On ne l’a pas fait. On est venu fourrer des choses dans un bâtiment pas prévu pour cela, et on l’a scié dans tous les sens. La BNU a ainsi perdu 100% de ses qualités… Il devrait y avoir une mission générale à Strasbourg sur ces questions. Par exemple, tous les bâtiments militaires finiront par être vendus. On devrait déjà se poser la question de ce qu’ils pourraient devenir. » « La cathédrale de Milan a été construite en pierres [ « d’après des vestiges archéologiques trouvés lors d’une fouille dans la sacristie, il semble que l’édifice devait à l’origine être construit en briques », cf Wikipedia], qu’il a fallu faire venir de très loin. Cela a nécessité l’aménagement d’un canal spécifique – le Navaglio Grande – dont le tronçon qui arrive à Milan constitue aujourd’hui, à l’instar de la Petite France à Strasbourg, le quartier touristique pittoresque de la ville. Je trouve ce rapport entre un impératif technique et le « patrimoine » d’aujourd’hui très émouvant : personne à l’époque n’aurait imaginé une seconde que les rives du canal, quartier réputé peu salubre pendant des siècles, deviendraient une attraction patrimoniale majeure 500 ans plus tard. » *
Ancien et contemporain « Dans une ville, il faut ensuite trouver comment exprimer le rapport entre ancien et moderne. Dans la plupart des opérations récentes, comme le Tribunal ou la Bnu, on a gardé l’enveloppe et on a construit le bâtiment contemporain à l’intérieur. Je me demande ce que les gens verront de la ville contemporaine dans 50 ans… Il faut accepter que le bâtiment ne soit pas que du 20e, mais aussi du 21e. Quand vous regardez la façade sur l’Ill du Palais Rohan, vous voyez qu’à gauche on a ajouté un petit morceau. Sur cette parcelle, il y avait des maisons que le cardinal n’avait pas pu acheter. Quand cela a été possible, il a construit le bâtiment, dans un style différent du premier. C’était accepté à l’époque, ça ne l’est plus aujourd’hui. À une époque, la grande mode était d’établir une confrontation entre l’ancien et le moderne. Le musée juif de Daniel Libeskind à Berlin par exemple est très réussi, mais dans son musée militaire à Dresde, il y a une sorte d’antipathie pour le bâtiment ancien (qu’il légitime d’ailleurs). Je pense qu’on peut établir un dialogue entre deux périodes qui ont chacune leur vocabulaire. [Les architectes strasbourgeois] Patrick Weber et Pierre Keiling font ça très bien, leur extension de l’école Schoepflin est très réussie, avec des jeux subtils sur les modénatures, les pleins et les vides. »
À Paros en Grèce, mur médiéval construit avec des spolia antiques.
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La valeur de l’ancien « Aloïs Riegl a écrit le bouquin le plus génial sur le sujet*, avec une vraie rigueur de pensée, et a établi une grille d’analyse pour expertiser la valeur des biens anciens suivant leur intérêt historique, artistique, mémoriel. Il faudrait sans doute la réactualiser en intégrant aussi les valeurs culturelles et cultuelles, mais elle reste valable… La première question qu’on doit se poser est : qu’est-ce qui est intéressant à utiliser ? Il faudrait faire une évaluation pour chaque bâtiment. Dire que c’est beau ou ancien n’a aucune valeur. À chaque fois, c’est une question d’intelligence face à une situation. Parfois, je ne suis pas choqué qu’on détruise un bâtiment. Je vois beaucoup d’églises transformées en logements, et je trouve cela à pleurer. L’église est l’édifice qui doit pouvoir accueillir toute la population de la « Ce qui compte, c’est que le bâtiment ait sa place dans le développement de la ville. Si on n’arrive pas à y injecter de nouvelles fonctions, c’est un échec. En cela, la Cour du Corbeau est une réussite. » Photo : Pascal Bastien
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Piscina das Marés à Leça de Palmeira près de Porto (1961-1966). Architecte : Álvaro Siza – Photo : Vanessa Jones
paroisse (l’ecclesia en grec), or dans ces projets on ne voit plus du tout l’espace : je trouve ça complètement con. Il vaut mieux raser et faire un beau bâtiment contemporain. Ce qui compte c’est que le bâtiment ait sa place dans le développement de la ville. Si on n’arrive pas à réinjecter de nouvelles fonctions dans ces bâtiments, c’est un échec. En cela, je trouve que la Cour du Corbeau est très réussie. La cathédrale de Strasbourg par exemple a été construite sur une église romane, et si on s’était posé la question de la valeur historique, elle n’existerait pas. À ce moment-là, l’approche patrimoniale était inexistante – elle n’arrive qu’à la Renaissance –, on faisait tout en fonction de ce qui était le plus utile. » * Aloïs Riegl, Der moderne Denkmalkultus - Le Culte moderne des monuments (1903 pour la première édition)
Le patrimoine : quelle définition ? « Les bâtiments ont commencé à être c lassées à partir de 1835, avec la création des Monuments historiques par Prosper Mérimée. Il s’agissait d’empêcher les destructions, notam ment pour utiliser les matériaux. Ensuite, les réglementations se sont succédées, avec une complexité inouïe. Le mot patrimoine est apparu dans les années 1930. Mais, étymologiquement, le patrimoine est ce qu’on hérite et qui se transmet. Sur les chantiers archéologiques, je dis souvent que les édifices qu’on déterre ne sont pas du patrimoine car ils n’ont pas été transmis, même s’ils ont une valeur historique au sens de Riegl. D’ailleurs, on ne devrait pas utiliser ce mot, sinon tout est patrimoine. Il vaudrait mieux lui garder son sens originel.
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Quand vous montrez des photos de famille à vos enfants, si vous ne les expliquez pas, cela ne se transmet pas et reste un objet. Pour moi, le patrimoine n’est pas l’objet, le bâtiment, mais ce qu’il porte en lui de l’expérience d’une vie. Ce ne sont pas les murs de la Manufacture, c’est ce qui s’est passé ici. Au Japon, les temples sont reconstruits régulièrement, car le patrimoine c’est le savoir-faire de construction. Ainsi, l’Œuvre Notre-Dame est aussi importante que la cathédrale car, si elle devait disparaître, les artisans sauraient comment la construire. »
Une question d’attention « Construire avec l’existant est une question d’attention, c’est être inspiré par la qualité du lieu. Qu’est-ce qui fait le génie du lieu ? Parfois c’est un arbre, un rocher. C’est ce qu’on fait avec les étudiants. Avec Dominique Coulon [architecte et enseignant à l’Ensas. Ils collaborent dans le cadre de l’atelier de projets de fin d’études Architecture et Complexité, ndlr], on leur dit que le projet commence le jour où l’on choisit le site. Il faut avoir une relation amoureuse avec lui, pour que le projet trouve son langage. On peut l’avoir avec n’importe quoi – une usine, des hangars, des édifices a priori sans intérêt – et tirer parti de ce qu’on a. Je crois aussi, et c’est très banal, que faire un projet avec l’existant c’est mettre en sourdine le côté artiste. »
Un exemple de construction avec l’existant ? « De façon provocatrice, je citerais la Maison du port de Zaha Hadid à Anvers (en haut). D’abord, j’ai trouvé ça horrible, c’est tout ce que je déteste. Puis j’ai regardé de plus près, et je trouve que c’est un projet d’une intelligence extraordinaire. L’intervention ne touche pas du tout le bâtiment ancien, elle se met en tension dessus et donne à l’espace extérieur une qualité qu’il n’avait pas du tout. Cela me fait penser à un petit enfant avec son grand-père, qui se côtoient avec un respect mutuel. Je pense aussi à Metropol Parasol à Séville (en bas), par l’architecte allemand Jürgen Mayer, une immense superstructure qui recouvre toute une place. Elle lui redonne une qualité, avec des zones couvertes et ombragées, et maintenant elle revit. C’est ce qui compte, qu’on aime ou pas importe peu. Je ne crois pas qu’on aurait le courage d’un tel projet en France. En Espagne, comme en Italie, le passé n’est pas une période autre, révolue : on vit avec lui. »
CONSTRUIRE AVEC L’EXISTANT DANS L’ATELIER
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Dans l’atelier d’Antoine Oziol, à l’ENSAS, les élèves imaginent pour l’Hôtel des Postes, monument de la Neustadt, un avenir en phase avec l’époque. Une tâche complexe et stimulante.
Redonner vie Par Sylvia Dubost Photos : Jésus s.Baptista
C’est jour de rendu intermédiaire à l’ensas. 30 élèves de Master 1 et Master 2 doivent présenter l’avancée de leur projet dans le cadre de l’atelier « Transformer une situation construite » piloté par Antoine Oziol. Chaque année, il propose aux étudiants d’imaginer le devenir d’un bâtiment strasbourgeois dont la transformation est effectivement programmée. Après la Manufacture des Tabacs, le bâtiment de la Sérigraphie à la Coop, c’est au tour de l’Hôtel des Postes, avenue de la Marseillaise, actuellement en cours de réhabilitation par les architectes strasbourgeois Weber et Keiling. « C’est la première fois qu’ils se confrontent à l’existant », explique Antoine Oziol qui, accompagné de Julien-Pierre Normand, accueille
ce jour-là les étudiants partie en visio, partie en présentiel. Un existant imposant – une emprise au sol de 6500 m2 pour une surface totale de 20 000 m2 –,construit entre 1897 et 1899 dans le style néogothique par Ewald von Rechenberg et Ernst Hake pour le service impérial des Postes. Antoine Oziol a posé aux étudiants quelques contraintes : il faudra des logements, le bureau de poste et une auberge de jeunesse, et construire une extension dans la cour (ce que le règlement du Secteur Sauvegardé du Site Patrimonial Remarquable de la Neustadt et de la ville ancienne interdit dans la réalité). Pour le reste, ils sont libres. « 13 groupes et autant de réponses. »
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Le quartier Il s’agit d’abord d’observer les alentours, la façon dont les gens les habitent, ce qui existe et ce qui manque. Le bâtiment paraît presque étanche à ce quartier somme toute assez universitaire et culturel, où voisinent la bnu, le tns et l’engees. Seuls les employés et usagers de la Poste accédaient à ce qui occupe un îlot tout entier, entre l’Avenue de la Marseillaise, la seule à aligner des commerces et où passe le tramway, l’Avenue de la Liberté, où ne passe plus grand monde, la petite rue Wencker, où ne passe personne et la rue André Malraux, qui sépare l’Hôtel du tns et s’avère extrêmement fréquentée par les voitures, puisque c’est l’une des principales pénétrantes vers l’ellipse insulaire. Pour leur projet, Lucille Bauer et S arah Hitz ont « choisi de relier les deux avenues [Marseillaise et Liberté, ndlr] par l’intérieur du bâtiment de manière à le rendre poreux, à rendre la cour accessible et traversante, à créer une nouvelle place. En clair, pour en faire un espace public et non privé… » Une volonté partagée par tous les élèves (mais pas par le projet qui sera effectivement construit), qui intègrent tous des lieux publics à leur programme : petit supermarché ou autres commerces, centre sportif, lieu d’exposition, espaces de co-working, médiathèque, restaurants… Le projet de Léa Masson, Bruno Morin et Julianne Meyer imagine un Food hall au sous-sol, qui nécessite un percement de la façade rue A ndré Malraux. « Attention, prévient à cet égard A ntoine Oziol, les ouvertures doivent se caler sur les lignes existantes. » Dans la réalité, le bâtiment se trouvant en secteur sauvegardé*, une telle opération s’avère improbable…
De manière générale, tous s’attachent à rendre le quartier plus vivant. « Il y a peu de stagnation et beaucoup de circulation », constatent Constance Portier et Mathilde Olszak Olszewski. Leur projet veut créer ici la fameuse ville du quart d’heure, dont on parle beaucoup actuellement, qui offre tous les services à deux pas de chez soi. Elles y intègrent une boutique avec des produits issus des circuits courts, un pôle santé pour centraliser les cabinets, une crèche, un tiers-lieu* avec une cantine-cafète, une résidence d’artistes en lien avec les lieux culturels alentour, un espace d’exposition, une ressourcerie*, une boutique solidaire et un atelier participatif. L’Hôtel des Postes devient ainsi « un centre de quartier actif à n’importe quelle saison ou heure ». * Secteur sauvegardé : zone choisie pour son intérêt historique, esthétique et culturel, et au regard de sa qualité architecturale et urbaine, où s’appliquent des règles d’urbanisme particulières, regroupées dans un plan de sauvegarde et de mise en valeur (PSMV). Tiers lieu : de plus en plus difficile à définir, on entend souvent par là un lieu de travail partagé par des entreprises des domaines des nouvelles technologies, de la culture et de l’artisanat, organisé sur un mode convivial. Ressourcerie : structure qui gère la récupération, la valorisation et la revente de biens. Elle a également un rôle d’éducation à l’environnement.
La cour Entièrement minérale car utilisée comme parking pour les services de La Poste, à distance certaine des rez-de-chaussée surélevés, la cour de 3800m2 est un élément majeur de cette réhabilitation. Son accessibilité est une évidence pour les élèves, comme on l’a vu plus haut, sa végétalisation aussi. Planter des arbres ne va pas sans problème, surtout si l’on installe un parking au sous-sol. Mathilde Guilbaud et Marie Grandhay Lavigne imaginent carrément un espace de forêt où « manger et lire, avec
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Les projets doivent articuler des espaces aux fonctions et aux publics différents.
un espace d’eau, une pergola avec végétation grimpante ». C’est dans cette cour que prend place l’extension, enjeu important de cet atelier puisque c’est souvent par ce biais (avec la surélévation) que les futurs architectes seront amenés à transformer les bâtiments existants, ce qui constituera une grande part de leur activité. Ici, elle fait souvent le lien entre les éléments du programme, répartis autour de la cour. Chez Lucille Bauer et Sarah Hitz, une forme organique en béton (« car plus malléable ») accueille l’accueil de l’hôtel et son restaurant. Le toit forme une rampe qui permet d’accéder jusqu’au 2e étage, « comme si le sol venait se soulever ». Celle de Justin Sargenti et Serena L’Assainato (4000 m2) est travaillée comme un pont reliant le nord et le sud de la cour. Elle accueille notamment un espace d’exposition et un centre sportif au sous-sol, dont la salle d’escalade qui jaillit du sol fait entrer la lumière côté pile et sert d’écran pour des projections en plein air côté face. Des gradins permettent d’accueillir des spectacles
le soir, une plateforme peut être le lieu d’un marché. Les logements C’est sans aucun doute la partie la plus complexe du programme. Le bâtiment manque de circulations verticales, or les logements sont placés dans les étages élevés et les lieux publics en bas. L’accessibilité pmr (personnes à mobilité réduite) donne elle aussi du fil à retordre, dans la mesure où l’on essaye de percer le moins possible la façade. Mais c’est surtout le volume des espaces qui pose souci aux étudiants. Les couloirs sont monumentaux – dans une logique toute impériale –, ils longent la façade intérieure tandis que les pièces, très hautes mais pas vraiment larges, donnent sur les rues. Cette trame fait le tour du bâtiment et se répète à chaque étage. En la reprenant, on obtiendrait des logements mono-orientés, alors qu’on les préfère traversants pour des questions de lumière et de ventilation.
Quant aux combles, ils sont eux aussi très hauts et sans fenêtre. « On l’a fait exprès car on sait que c’est compliqué ! », explique Antoine Oziol. Si la hauteur sous plafond est moins problématique pour l’auberge de jeunesse – élément obligatoire du programme –, où elle peut accueillir les lits superposés des dortoirs, elle l’est pour les logements… « Les chambres ont 4m de plafond alors qu’elles ne sont pas très larges, comment faire pour que ce soit habitable ? », les interroge Antoine Oziol. Des mezzanines permettent de gérer la double hauteur mais les proportions restent à affiner. Justin Sargenti et Serena L’Assainato ont pris le parti radical de supprimer le mur entre le couloir et les pièces pour agrandir les logements. « Trop cher, leur rétorque Antoine Oziol, et on ne peut pas dire qu’on travaille avec l’existant ! » « Attention aux envies, aux intentions », ajoute-t-il. Elles doivent entrer en dialogue avec le bâtiment. Les élèves ont encore 6 semaines pour résoudre quelques épineux problèmes et affiner leur projet. Tous s’y sont employé avec respect, tout en échafaudant dans cette monumentalité des scénarios dans l’air du temps.
Chez Justin Sargenti et Serena L’assainato, la structure qui relie la cour du nord au sud abrite plusieurs activités.
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Chez Lucille Bauer et Sarah Hirtz, une forêt de piliers viendra soutenir une structure de forme organique, qui reliera la cour au 2e étage.
Dans presque tous les projets, le bâtiment s’ouvre plus largement sur la rue, favorisant l’accès à la cour.
CONSTRUIRE AVEC L’EXISTANT MISE AU POINT
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Construction neuve ou extension, à la ville comme à la campagne : un projet architectural est fréquemment en relation, même à distance, avec des bâtiments classés. Et c’est là que l’Architecte des Bâtiments de France* donne son avis. Une mission pas toujours bien comprise… Questions à Jean-François Vaudeville et Sandu Hangan, architectes et urbanistes de l’État, qui œuvrent en tant qu’ABF dans le secteur du Bas-Rhin.
Passé-présent Quel est le rôle de l’abf ?
Qui fait appel à vous ?
Les architectes des bâtiments sont en charge de la protection des « abords » des monuments historiques, mais pas du monument en luimême, qui est du ressort de la Conservation régionale des monuments historiques. Pour tout projet architectural dans un rayon de 500m autour d’une monument historique, ou dans son périmètre délimité des abords (pda) lorsqu’il y en a un, l’abf est saisi. Il doit s’assurer de l’insertion harmonieuse du projet dans les abords du monument. S’il y a co-visibilité entre le monument historique et le projet objet de la demande d’autorisation, l’accord de l’abf est obligatoire. Cette accord peut être donné sous réserve de prise en compte de prescriptions obligatoires. S’il n’y pas de co-visibilité, l’abf formule des recommandations dans son avis qui n’ont pas le même caractère obligatoire que les prescriptions. La décision sur la prise en compte de ses recommandations appartient au maire. Nous donnons également des avis sur des demandes d’autorisations de projets dans les sites inscrits ou classés au titre de l’environnement. L’année dernière, les quatre abf du département du Bas-Rhin ont rendu environ 12000 avis.
Nous sommes consultés par les architectes dans le cadre de consultations préalables sur leurs projets avant le dépôt du permis de construire ou d’aménager. Certains viennent nous voir très en amont. Les propriétaires nous consultent aussi directement, d’abord pour savoir s’ils sont dans un espace protégé. Ensuite, la demande type est : qu’est-ce que j’ai le droit de faire ? On a toujours l’impression qu’être en secteur abf est une punition. Pour nous, c’est tout le contraire, car cela signifie que le bien est situé dans un secteur qui doit être protégé et qui bénéficie d’une gestion de sa qualité urbaine.
Sur quoi appuyez-vous vos avis ? Nous nous appuyons sur notre expertise architecturale et notre connaissance de la construction et du terrain pour apprécier les projets. Ensuite, il y a le caractère du tissu bâti existant, qu’on essaye de ne pas contrarier, qui permet de faire des choix architecturaux plus ou moins libres. On nous demande toujours quel est le cahier des charges. Il n’y en a pas : chaque projet et chaque situation sont
029 uniques. Par exemple, le choix de certaines tuiles peut faire du sens ou a un caractère d’obligation sur certains bâtis traditionnels, ce qui ne sera pas le cas pour un bâti proche de facture différente. Le contexte est important. Nous sommes là pour accompagner les demandeurs, les sensibiliser à la qualité de leur bien ou de son environnement. L’objectif est d’aller vers le « oui » en accompagnant le demandeur dans un projet respectueux de son environnement.
Le rapport au patrimoine a-t-il changé ? Ce qui était vrai il y a 20 ans l’est moins aujourd’hui. Comme la valeur environnementale, la valeur patrimoniale semble plus reconnue et on commence à se poser des questions éthiques avant de se poser des questions économiques. Il y a aussi tout un patrimoine après-guerre, qui n’avait pas acquis ses lettres de noblesse et qui maintenant interroge. Les demandeurs commencent à être plus attentifs au contexte et prêts à interroger les existants dans le cadre de projets de rénovation.
Comment voyez-vous votre rôle ? Les porteurs de projets nous opposent souvent que réinvestir l’existant est trop compliqué, trop cher, qu’ils préfèrent le neuf. Il y a pourtant une intelligence et une
cohérence dans le tissu ancien, plus flexible que ce que les constructeurs proposent dans le périurbain. Nous sensibilisons les pétitionnaires ou les maîtres d’ouvrage à ces questions, mais tout cela est très fragile. Pour nous, il n’y a pas de petit patrimoine, comme il n’y a pas de petits projets. De manière générale, nous essayons de coconstruire : notre intervention est toujours de la réorientation. Souvent, nous invitons à questionner et réinterpréter l’existant, pour qu’il y ait un dialogue, que ce soit harmonieux. On travaille dans l’intérêt général, et l’on se met à la place du public, actuel et futur. Mais nous ne sommes pas là pour mettre l’Alsace sous cloche, et mettre en valeur le patrimoine signifie aussi le modifier. L’Unité Départementale de l’Architecture et du Patrimoine (udap) du Bas-Rhin, rattachée à la Direction Régionale des Affaires Culturelles, compte quatre Architectes des Bâtiments. Trois autres services s’occupent de patrimoine au Palais du Rhin : la Conservation régionale des monuments historiques (crmh), le Service régional de l’archéologie (sra), rattachés également à la drac, et le Service Régionale de l’inventaire rattaché à la Région Grand Est. * L’Unité Départementale de l’Architecture et du Patrimoine (udap) du Bas-Rhin, rattachée à la Direction Régionale des Affaires Culturelles, compte quatre Architectes des Bâtiments. Trois autres services s’occupent de patrimoine à la DRAC : la Conservation régionale des monuments historiques, Service de l’inventaire et le Service régional de l’archéologie.
“ On nous demande toujours quel est le cahier des charges. Il n’y en a pas : chaque projet et chaque situation sont uniques ”
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CONSTRUIRE AVEC L’EXISTANT ÉTUDE DE CAS
Dans l’enceinte de l’Hôpital civil de Strasbourg, l’agence strasbourgeoise Richter architectes et associés réhabilite deux bâtiments, premières pierres de Nextmed, le futur Campus des nouvelles technologies. Un lifting complet dans le plus grand respect du bâti originel avec pour mots d’ordre : ouvrir et révéler.
Médecine douce Par Emmanuel Dosda
Le projet pour le bâtiment ORL
Nextmed Parc des technologies médicales Hôpital civil de Strasbourg Réhabilitation et extension du pavillon Blum et du bâtiment ORL en bureaux et laboratoire
Maîtrise d’ouvrage SERS Maîtrise d’œuvre Richter architectes et associés (architectes mandataires) / Devillers et Associés (architectes associés pour la future extension) Paysagiste Bruno Kubler Livraison 2022 Surface de plancher 10 000 m2 Coût 16,2 M € HT
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Le bâtiment ORL avant le démarrage des travaux
Où ?
Quoi ?
L’Hôpital civil de Strasbourg est une véritable ville dans la ville. Et comme le reste de la cité, il a été construit par phases, du début du xii e siècle jusqu’à aujourd’hui. Sa dernière grande extension – en direction de l’actuel parc du Heyritz – est menée entre 1904 et 1917 par les architectes Friedrich Rupel et Karl et Paul Bonatz. En 1911, le journal spécialisé Der Profanbau la décrit ainsi : « l’ensemble urbain se développe le long d’une promenade, associant la diversité des corps de bâtiment, laissant découvrir des cours privées, et déployant une promenade à travers des places pareilles à des jardins ou à des cours structurées par les formes bâties. Le caractère uniforme de l’ensemble procure une image d’un calme et d’une harmonie extraordinaire. » Un tout homogène traversé par un axe central structurant, où le plein est au service du vide, et inversement. Le plan Bonatz alterne pièces urbaines et espaces de nature, dans la veine des cités-jardins : une structure jugée bienfaisante par les théories hygiénistes de l’époque. La sers, Société d’aménagement et d’équipement de la région de Strasbourg, va y implanter un vaste (30 000 m2) campus de technologie médicale, Nextmed, qui réunira chercheurs, médecins et industriels.
L’agence Richter et associés réhabilite deux bâtiments qui seront les premiers du campus (viendront plus tard des constructions neuves). Le Pavillon Blum de 1921, ancienne extension de la clinique médicale B, est l’œuvre de Patrice Bonnet et abritait un amphithéâtre et un laboratoire. Le bâtiment dédié à l’oto-rhino-laryngologie date de 1914 et est signé Karl et Paul Bonatz. Également auteurs de la gare de Stuttgart (1910-1928) ou du Kunstmuseum de Bâle (1931-1936), l’œuvre remarquablement cohérente des deux frères révèle une vision équilibrée de l’architecture, inspirant la sérénité. Le projet de réhabilitation de ces deux bâtiments de l’Hôpital civil tient à respecter « une architecture urbaine entre cour et jardin », comme la qualifie Anne-Laure Better, architecte associée à l’agence et enseignante à l’ensas.
Le bâtiment orl : un profil élégant « Lignes horizontales, stratification de la façade, volumes géométriques purs » : pour l’architecte Pascale Richter, les qualités des bâtiments de Karl et Paul Bonatz, notamment celui-ci,
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Les couloirs du bâtiment ORL avant le démarrage des travaux
sont indéniables. Elle évoque un nécessaire « travail des tracés régulateurs en présence », où il s’agit de retrouver le dessin des lignes du bâtiment, et son refus « de toucher à l’essence de la structure ». Il a d’abord fallu « nettoyer les ajouts qui dénaturent son caractère initial », en supprimant ou modifiant un certain nombre de « verrues », comme des chiensassis non-alignés sur la trame dessinée par les B onatz, et venus au fil des ans polluer l’harmonie initiale. Une phase d’observation du bâtiment et un travail de fourmi, voire d’archiviste, a été nécessaire pour retrouver puis révéler la « carcasse d’origine » et le rythme de la façade. On pénétrera dorénavant dans le bâtiment par le sud, côté parc technicomédical, et non plus par le nord. Une inversion facilitée par les propriétés de la construction, « qui résiste au temps et à laquelle on peut trouver d’autres usages ». Et Anne-Laure Better d’ajouter : « Toute architecture devrait tendre à cela ! »
Une extension par l’élévation Comment faire supporter de nouveaux usages à un ancien hôpital sans le dénaturer ? Comment opérer une reconversion « en douceur », une transformation pour des nouvelles fonctions ? Les toits seront surélevés par un couronnement en zinc plié et agrafé répondant à l’ordonnancement du socle. Une coiffe à l’écriture contemporaine
La charpente de l’aile centrale du bâtiment ORL sera rendue visible et les combles aménagés
au service d’un patrimoine noble. Cette surélévation permet de réaménager les combles, qui abritaient un local technique et seront métamorphosés en immense open-space, ouverts sur l’extérieur grâce à une grande lucarne de couronnement. L’impressionnante charpente en bois laissée brute sera conservée et, sur la façade, le grand tambour ajouré enfermant la cage de l’escalier central sera prolongé.
Un intérieur spacieux À l’intérieur, il s’agit là encore de « partir de l’existant et de souligner ses qualités », en le débarrassant « des appendices venus grignoter l’esprit du lieu ». Avec le « tambour » en guise de phare, la circulation se veut fluide et la distribution des espaces plus lisible. Pour ce faire, ceux-ci seront recloisonnés. Les laboratoires, salles de travail ou lieux de détente qu’ils accueillent seront habillés d’une douce palette bleutée, écho au carrelage d’époque, et offriront aux chercheurs un environnement élégant et apaisé, plus fidèle à l’architecture des Bonatz. Là encore, plus de faux plafonds, mais un traitement brut, avec une économie de moyens revendiquée, où chemins de câbles et gaines de ventilation seront laissés visibles.
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Le pavillon Blum : des propriétés soulignées… Avec sa toiture évasée et ses hautes cheminées, le Pavillon Blum fait figure de « lanterne » somme toute assez incongrue dans le plan bonatzien… L’idée est de préserver ce site si pittoresque et de redonner son lustre d’antan à ce « miniPoudlard » aux contours de pagode, avec ses tuiles traditionnelles, ses menuiseries extérieures en bois, son soubassement en grès des Vosges et son enduit très rustique. Afin de souligner son caractère pavillonnaire, le projet renforce les liens entre architecture et paysage, transformant notamment le sous-sol en rezde-jardin. Celui-ci abritera un restaurant et un café, qui se prolongeront au 1er étage. Les architectes souhaitent également révéler la structure en béton du pavillon en supprimant les cloisons et le faux plafond. Les bureaux accueillis dans les étages bénéficieront ainsi d’espaces généreux et lumineux, avec vue sur la nature environnante. Le pavillon Blum
Et ensuite ? Une extension du bâtiment orl est également prévue. Réalisée par l’agence Devillers et Associés, elle s’attachera elle aussi à mettre en valeur la qualité du plan d’origine. La restructuration et l’extension de Richter & Devillers pourrait « faire jurisprudence » pour la suite du chantier et l’autre bâtiment du campus Nextmed qui se construira sur la parcelle adjacente. On espère que l’ordre et le calme bonatzien continueront à régner ici.
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CONSTRUIRE AVEC L’EXISTANT LECTURE D’ESPACES
Déambulation dans la Neustadt avec trois enseignants de l’ENSAS. Comment ce quartier construit à la fin du 19e siècle, pour partie classé au patrimoine mondial de l’Unesco et qui doit donc garder son caractère et son unité, s’inscrit-il dans la ville d’aujourd’hui ? On y parle harmonie, monotonie, et efficacité énergétique.
Accords et désaccords Par Sylvia Dubost Photos Pascal Bastien
Promeneurs François Frédéric Muller (FFM) architecte Jeremy Hawkins (JH) écrivain Emmanuel Ballot (EB) ingénieur génie climatique et énergies renouvelables
17h — Le Tribunal
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RDV est donné sur l’esplanade aménagée en 2018, à l’issue des travaux d’extension du Tribunal. Nous sommes mercredi, fin d’après-midi, la météo est favorable, enfants et ados ont investi les lieux. Emmanuel Ballot, en bon énergéticien, dégaine l’application thermographie infrarouge de son smartphone pour scanner le bâtiment. L’écran rougeoie. « Ce n’est pas vraiment bien isolé », confirme-t-il. Il aura à cœur de toujours nous rappeler l’importance de l’aspect écologique. FFM « Que de polémiques autour de cette place… Aujourd’hui, c’est sale de faire minéral, c’est considéré non seulement comme une faute esthétique mais aussi comme une faute morale. Pourtant, la ville, c’est beaucoup de minéralité. Il faudrait apprendre à la gérer plutôt que de la dénigrer. Or, cela apporte de la vie, comme on le constate aujourd’hui. En été, ça grouille de gens : c’est ça la ville. » JH « Je trouve dommage qu’ils aient enlevé les graffitis sur les colonnes… On aurait pu mettre une pelouse, on ferait peut-être moins de skate mais les gens auraient trouvé une autre manière de se l’approprier. » FFM « En revanche, comme îlot de chaleur, c’est top… » EB « Et encore, le revêtement est plutôt clair… Ce que j’apprécie sur cette place, c’est la diversité des modes constructifs, de différentes époques. Mais aujourd’hui on est rattrapé par l’urgence climatique, la question du confort d’été va arriver très vite, et je me demande combien de temps on va mettre pour y parvenir… On va notamment devoir replanter des arbres qui ont été enlevés… » Que vous inspire le fait que l’extension du Tribunal par Jordi Garcés ne soit pas visible de l’extérieur, comme si l’intervention contemporaine devait être cachée ? FFM « On n’est pas obligé d’être démonstratif. L’intervention se voit bien sur la toiture, surtout depuis la rue Finkmatt.
Les velux d’angle donnent un indice, on voit quelque chose de contemporain mais la nature du bâtiment a été préservée. Cela ne me choque pas qu’on veuille préserver des formes existantes, ce qui me choque c’est que, dans une dent creuse ou dans le cas d’une destruction du bâtiment, on construise à l’identique ou dans le même style. » En face, on note la surélévation de la Villa Quai Sturm (architecte : Jacques Molho), à l’angle de la rue du Général de Castelnau, où le toit semble avoir été soulevé pour laisser place à une large baie vitrée. FFM « C’est élégant, on reste dans le gabarit de l’existant, mais on ne veut pas faire croire que c’est ancien. » EB « Pourtant, une majorité des gens crie au scandale quand on ne fait pas de “ faux vieux ”. » JH « C’est très anglo-saxon, le faux vieux [JH est américain, ndlr]. Aux États-Unis, les gens demandent beaucoup de maisons de style victorien, géorgien [les roi George I,II,III et IV ont régné en Angleterre entre 1714 et 1830, ndlr], des sosies d’un style ancien. Ces maisons se font souvent sans architecte. On appelle ça folly, folie ! Les États-Unis sont beaucoup à la recherche d’une histoire, et les bâtiments permettent cela. Dans le sud des États-Unis, les villes qui ont beaucoup d’argent construisent entièrement en briques rouges, pour donner un côté ancien. Ce qui créerait la polémique, ce serait de construire quelque chose de moderne. Ça passe mieux sur la côte ouest, mais sur la côte est c’est difficile. » EB « En regardant ce toit, je pense que demain il sera photovoltaïque. On verra que tous les toits seront équipés, comme ceux du ministère de la Défense. »
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17h25 — quai Sturm Passant devant quelques soubassements boudinés (sur le mode « ce n’est pas parce que c’est ancien que c’est beau »), on pénètre dans la cour n°7. Au cœur de l’îlot, ce bâtiment de logements construit par l’agence strasbourgeoise Oslo est invisible depuis la rue au passant distrait. Les promeneurs relèvent la qualité du dessin, l’inscription dans le site, la discrétion élégante. La façade sombre en zinc prépatiné soulève quelques questions quant à son confort d’été. L’architecte du groupe salue au passage les abf, installés à quelques encablures, dans le Palais du Rhin, et qui ont donné l’autorisation à cette construction. L’énergéticien tique quant à lui sur l’énergie grise nécessaire à la production de l’acier dont sont fait les très beaux locaux poubelles. Tous s’accordent sur le fait qu’une ville construite dans un même matériau serait bien monotone. La question « Où est le bois ? » ouvre un débat sur la filière et l’impossible construction de gros œuvre à partir de ressources locales, que nous ne relaterons pas ici mais peut-être dans un prochain numéro… Au n°9, un bâtiment des années 60 (architectes : Charles Treiber et Oscar Burger) s’insère entre deux édifices xixe. Serait-ce encore possible aujourd’hui ? Le bâtiment de l’agence Oslo montre bien qu’on peut intégrer des éléments contemporains au quartier classé, mais il n’est pas visible de la rue… « Ce serait dommage qu’on ne puisse plus faire ça, note François Frédéric Muller. Cela entérinerait l’idée qu’aujourd’hui on ne sait plus dessiner… À Paris, il y a beaucoup d’exemples de bâtiments plus récents qui se sont glissés entre deux édifices haussmanniens. »
17h42 — Place de la République JH « Je trouve dommage qu’à Strasbourg il n’y ait pas beaucoup de nouveau… On sent qu’on a du mal à accepter un changement esthétique. Il faut trouver le juste milieu entre construire en contexte et construire sans contexte, trouver quelque chose qui fasse le lien entre les valeurs actuelles et le respect pour l’ancien. En Allemagne, c’est différent, il y a un autre rapport à l’espace. C’est sans doute leur côté libéral : si un espace est libre et que quelqu’un a les moyens de construire, il le fait. À Strasbourg, on ressent une inertie. Mais ce n’est pas toujours négatif, cela représente aussi la stabilité. C’est intéressant de regarder les choses à grande échelle, les édifices sont liés par des rythmes, des séquences, pas toujours logiques, peut-être poétiques. Même la mocheté donne du caractère : elle marque une expérience, on s’en souvient ! » FFM « Je te suis ! Si tout est beau, alors comment faire la différence ? Il faut des accidents, cela peut être charmant. C’est aussi une question de combinaison. Et aussi, ce qui est moche un jour peut redevenir beau demain. » JH « Si tout est lisse, cela devient monotone. J’ai visité Monaco, je m’ennuie à fond ! » FFM « Avec le classement de la Neustadt, il y a le risque que ce soit encore plus figé… Des bâtiments comme celui avenue des Vosges [référence au n°22, construit entre 1951 et 1953 par l’architecte Edmond Picard, ndlr ], ce ne serait plus possible aujourd’hui. »
Comment rompre l’uniformité dans ce secteur classé ? JH « Cela pourrait être fait par le mobilier urbain. [Pointant la Spirale Aby Warburg. Monument aux vivants de Bert Theis, ndlr ] J’aime bien ça ! Au niveau du végétal, j’aimerais quelque chose de plus sauvage. J’ai du mal avec l’art topiaire. Je suis pour un ensauvagement de la ville. »
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Dans la cour du n°7, quai Sturm
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17h57 — Avenue de la Marseillaise L’arrière du tns, reconstruit après la destruction partielle du bâtiment (alors Parlement) lors de la seconde Guerre mondiale, fait l’unanimité. « Une écriture contemporaine qui adopte les gabarits, les invariants, et qui s’inscrit sans se cacher », résume François-Frédéric Muller. En passant devant l’Hôtel des Postes, actuellement en chantier et dont la cour accueillera un petit édifice, on interroge sur l’interdiction de construire dans la plupart des cœurs d’îlot de la Neustadt. Une règle qu’approuve Emmanuel Ballot : « Il faut arrêter de densifier. » François Frédéric Muller relève que le système haussmannien (similaire à celui de la Neustadt) a beaucoup de vertus, notamment celle de permettre une densité forte en rythmant les vides et les pleins, ménageant la circulation de l’air et de la lumière. On s’arrête évidemment devant la surélévation de l’engees (entre la rue Wencker et le quai Koch), réalisée en 1998 par l’agence
eber-Keiling (qui réhabilite justement W l’Hôtel des Postes). FFM « Ici, on joue des alignements, des modénatures, des bandeaux, en intégrant de nouveaux matériaux. C’est une intervention qui se glisse dans la composition existante sans chercher à impressionner, mais sans avoir honte. Je préfère cette attitude à celle de [Daniel] Libeskind [voir aussi entretien avec Didier Laroche, p.18, ndlr ], c’est bien que ça existe de temps en temps mais je préfère le dialogue. » JH « On se croirait en Inde avec cette partie ajourée, dans une architecture de Balkrishna Doshi, qui a obtenu le prix Pritzker [le « Nobel » de l’architecture, ndlr ]. En tout cas à l’intérieur, pour y avoir enseigné, c’est génial ! On voit beaucoup ce genre de greffes à Berlin, comme des Ovni descendus sur un bâtiment. Mais là-bas, ça donne lieu à beaucoup de spéculation. »
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Lorsqu’on parle de construire avec l’existant, la surélévation est un mode majeur… FFM « C’est toujours compliqué car c’est difficile de prouver que le bâtiment va pouvoir supporter cette nouvelle charge. On a du mal à le faire assurer, et il faut souvent ajouter des fondations, comme dans le cas des Docks de l’agence Heintz-Kehr [sur la presqu’île André Malraux, ndlr]. C’est un très beau sujet, mais construire dans les dents creuses est plus facile. » EB « La surélévation peut apporter des systèmes énergétiques que la ville n’a pas encore : panneaux photovoltaïques, toiture végétale… Et puis, cela permet de dédensifier au sol. »
18h23 — Boulevard de la Victoire Passage rapide devant les Bains municipaux, que les promeneurs sont ravis de retrouver bientôt restaurés à l’identique. Jeremy Hawkins avoue sa passion pour le bâtiment abritant les Meubles Vogt, excroissance grise
et vitrée entre deux maisons médiévales. « Un petit ravalement, et ça pourrait être magnifique… » Son enthousiasme n’est pas vraiment contagieux… Pourtant, le bâtiment est peut-être le plus discret parmi les constructions récentes juxtaposées de ce côté-ci du boulevard… qui marque clairement la limite entre deux morceaux de ville. À droite, côté esplanade, un « déferlement d’objets » qui borde le campus ; à gauche, côté Neustadt, un alignement de façades majestueux et cohérent. « Qu’est-ce qui fait qu’une architecture survit à son époque ?, interroge alors François Frédéric Muller. C’est une modestie, une harmonie. » De plus, comme le relève Emmanuel Ballot, « on a ici un aménagement par le flux, et on n’a pas du tout envie d’y rester. » La monotonie a aussi ses vertus…
SUR ÉLÉVATION(S). UN FORT POTENTIEL
TRIBUNES
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ar Géraldine Bouchet-Blancou, P architecte, docteure en architecture et urbanisme et enseignante à l’ENSAS
illustration de Joost Swarte pour l’article Get out of town de Nicolas Lemann dans le New Yorker du 27 juin 2011
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La surélévation, processus constructif d’ajout en toiture ou de continuation verticale d’un édifice 1, a fait partie du développement de beaucoup de villes d’Europe 2. À la fois construction neuve et travail sur l’existant, un projet de surélévation peut créer un dialogue architectural avec l’édifice ancien tel, que les deux éléments deviennent indissociables. Comme dans un mariage heureux, malgré les différences, les deux ne font qu’un. À l’échelle urbaine, la surélévation est depuis une décennie regardée de plus près 3 par les municipalités de nombreuses métropoles et grandes villes européennes car elle permettrait de répondre à plusieurs enjeux urbains contemporains : densifier intramuros, contribuer à financer la rénovation thermique du parc bâti, mettre en valeur le patrimoine remarquable ou ordinaire, ou encore créer de nouveaux logements abordables ou sociaux dans des secteurs où le foncier disponible est inexistant ou inaccessible. Ces objectifs, visés par différentes politiques urbaines métropolitaines, doivent cependant être considérés à la lumière du potentiel qu’offre réellement cette « solution » aux maux de la ville : les besoins de rénovation du parc bâti et les besoins de construction de logements sont bien plus vastes que le potentiel de surélévation des villes, sans compter la complexité et la compétitivité du marché immobilier 4. Plus encore, cette solution ne doit pas faire oublier des mesures qui seraient réellement efficaces pour lutter contre l’étalement urbain et contre les disparités socio-spatiales et ne doit pas se soustraire à une considération du territoire dans sa globalité. Si ce sont surtout les métropoles qui ont été surélevées, c’est en raison de la rente immobilière et de l’attractivité des centres, mais densifier le déjà-dense n’est pas nécessairement judicieux.
À quoi, alors, et où la surélévation peutelle être réellement utile ? Étant donné qu’elle nécessite de toute manière une gestion des projets au cas par cas, elle devient alors un outil formidable pour cibler des immeubles à fortes déperditions thermiques, pas seulement au cœur des grandes villes, mais partout où le projet est faisable, là où l’ajout d’un ou deux étages à l’édifice ne nuirait pas au quartier (ensoleillement des immeubles voisins, densité du quartier, etc.) et là où elle permet de financer tout ou partie des travaux de rénovation thermique, tout en créant des logements abordables sans consommer de foncier. Quant à ses matériaux et procédés constructifs, ils doivent servir les mêmes enjeux écologiques que ceux convoqués par les politiques urbaines métropolitaines. Il s’agit en fait de trouver l’équilibre du projet pour qu’il serve les intérêts collectifs à l’échelle de l’immeuble, de l’îlot et de la ville, pour qu’il apporte les bienfaits de la densité sans en apporter les méfaits. L’intérêt urbain de la surélévation ne réside donc pas tant dans des projets de penthouses construits tout en acier et maçonnerie, au cœur de secteurs très denses dont le marché immobilier est sous forte tension, bien que ceux-ci peuvent être très stimulants sur le plan architectural et réellement mettre en valeur un édifice ancien. Exploitée judicieusement, la surélévation constitue un acte architectural extrêmement intéressant et à fort potentiel. 1— À la différence des travaux catégorisés en « modification des combles », une extension verticale peut être qualifiée de surélévation lorsqu’il y a « exhaussement de la panne faîtière centrale », c’est-à-dire lorsque l’édifice gagne un ou plusieurs nouveaux étages. 2— À Paris, près d’un immeuble sur cinq a déjà été surélevé par le passé. 3— D ans son rapport de 2014, l’Atelier Parisien d’Urbanisme estimait à plus de 11000 les immeubles parisiens rehaussables. apur, Construire mieux et plus durable : incidence de la loi alur sur l’évolution du bâti parisien, décembre 2014 - www.apur.org. 4— G éraldine Bouchet-Blancou, Densifier et rénover à l’échelle urbaine par la surélévation ?, thèse de doctorat, soutenue le 18 novembre 2020
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CONSTRUIRE AVEC L’EXISTANT PLAN LARGE
Les bâtiments connaissent souvent plusieurs vies, parfois plusieurs usages. Ils sont rénovés, transformés, augmentés, parfois radicalement, parfois tout en finesse. Nous avons demandé à quelques enseignants de l’ENSAS de choisir et commenter une réalisation exemplaire.
Second Life
Le choix de Julie Peschard
Kaaspakhuis Gouda Loftwoningen Transformation en bâtiment de logements Lieu Gouda (Pays-Bas) Architecte Agence Mei architects and planners Livraison 2017
« Implanté il y a 100 ans dans un quartier industriel, cet entrepôt de fromages est désormais en pleine ville de Gouda. La rénovation de ce monument national fait partie de la dynamique de cette ville, très étudiante : l’idée était de préserver l’histoire de la ville active en introduisant un autre usage et en activant une nouvelle polarité à cet endroit. Il s’agit là de deux bâtiments légèrement différents, avec une ruelle technique au milieu. Ce qui est intéressant, c’est que les architectes ont gardé leur gabarit, ont maintenu certaines ouvertures et conservé les modénatures [les proportions et dispositions des éléments d’ornement d’une façade, ndlr ] les plus significatives des
façades sur rue. Ils ont aussi conservé le passage entre les bâtiments, qu’ils sont venus révéler en l’élargissant de 3 à 15m. Sur 10m, ils ont ainsi ouvert les façades « intérieures », en partie conservées, et ont crée une rue couverte et vitrée, un atrium où sont placés les ascenseurs et toutes les coursives qui desservent les logements. J’ai pu visiter ce bâtiment, faire le tour des étages : j’y ai croisé un grand nombre de jeunes, cela circulait beaucoup. On a vraiment l’impression que cet atrium est une rue. Il permet aussi de faire descendre la lumière en profondeur, et des loggias creusées dans les façades sur rue apportent également de la luminosité aux logements. J’ai aimé la façon dont les architectes ont révélé les lieux. Ils ont récupéré les 40km de planches où les ouvriers déposaient les fromages, les ont poncé et réutilisé pour habiller les murs des coursives. Cela raconte vraiment l’histoire du lieu, et l’on sait toujours où on est. La vie des gens et l’histoire du bâtiment se voient sur les murs. » Julie Peschard est architecte et Maîtresse de conférences en Théories et pratiques de la conception architecturale et urbaine
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“ La vie des gens et l’histoire du bâtiment se voient sur les murs ” L’ascenseur s’installe dans la largeur de l’ancienne ruelle entre les deux bâtiments. De part et d’autre, les architectes ont maintenu des pans des anciennes façades. Les murs des coursives sont habillés de planches récupérées dans l’entrepôt. Photos : Ossip van Duivenbode
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“ Matérialiser l’idée de transmission ”
Sur la rue, l’enclos de l’ancien convent est conservé, et rien de laisse devenir la transformation qui s’est opérée à l’intérieur. Photos : Gauthier Bolle
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Le choix de Gauthier Bolle Il Magistero Transformation d’un couvent en faculté des sciences de l’éducation Lieu Urbino (Italie) Architecte Giancarlo de Carlo Construction 1968-1976
« Je suis très sensible aux questions de liens entre architecture et histoire, et dans le contexte actuel d’enseignement virtuel, j’avais envie de choisir un bâtiment qui matérialise ce besoin de lien entre enseignants et étudiants. Giancarlo de Carlo (1919-2005) était très proche du recteur de l’université d’Urbino, Carlo Bo, et y a édifié toute une série de projets. Celui-ci est en plein cœur de cette cité de la Renaissance, sur un promontoire au cœur duquel se trouve le Palazzo ducale, où Frédéric III de Montefeltro [1422-1482, NDLR] avait fait venir de nombreux artistes [dont Piero della Francesca, NDLR]. C’est vraiment un lieu où paysage et histoire sont en confrontation permanente. Giancarlo de C arlo a travaillé à Urbino durant de nombreuses années, il en a acquis une connaissance intime, d’une profondeur très différente de celle qu’on peut avoir quand on vient réaliser un bâtiment dans le cadre d’un concours ou lors d’une commande unique. Dans ce projet, il réutilise un couvent, dont il reprend et respecte l’enclos. De l’extérieur, on ne voit que des murs en briques, on ne soupçonne pas la substance et la richesse spatiale de l’organisation intérieure. On y entre par le niveau haut, qui nous projette dans le paysage, puis on descend. Dans ce lieu encaissé,
une cour circulaire et de grandes baies qui épousent la forme d’un amphithéâtre amènent la lumière dans les salles. L’architecte avait un positionnement politique très fort : il était ouvertement anarchiste. Il voulait vraiment faire ses projets avec les étudiants. On l’associe au groupe de Team Ten, qui s’inscrit dans la continuité du Mouvement moderne héroïque mais de manière critique, avec la volonté de revenir à la ville et à la rue. De Carlo ne produit pas une architecture très dessinée ou très « léchée », mais elle est riche de beaucoup d’intentions, une architecture qu’il veut démocratique, avec des lieux de débats partout. La préoccupation n’est pas le détail ou la finition mais ce que l’architecture peut matérialiser, comme ici l’idée même de transmission. Les circulations sont aussi importantes que les salles d’enseignement elles-mêmes : c’est comme une wmini-ville dans la ville. Ce bâtiment est très imprégné de la dimension urbaine d’Urbino, avec ses petites ruelles, on y retrouve le forum, l’esprit latin et la volonté de rénovation politique de l’enseignement supérieur typique des années 70. Dans ce sens, il y a continuité entre le projet contemporain et l’existant, c’est-àdire la ville et son histoire. Il y a toute une scène italienne de années 60-70 qui peut encore nous donner des leçons sur le rapport à l’histoire et la manière d’intervenir dans l’existant. Les Italiens ont compris plus tôt que les Français que c’était une question de sédimentation. Pour voir des projets atteindre cette qualité-là en France, cette qualité de lecture du site, il faut attendre au moins une dizaine d’années. » Gauthier Bolle est architecte Docteur et Maître de conférences en Histoire et culture architecturale
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Le choix de Xavier Nachbrand et Guillaume Christmann La Grande halle Réhabilitation d’une halle industrielle en tiers-lieu (Société métallurgique de Normandie) Lieu Colombelles (Calvados) Architecte Agence Encore heureux Livraison 2019
« Cette friche industrielle reconvertie en tiers-lieu nous enthousiasme à plusieurs égards. D’abord parce que ce projet valorise un patrimoine, et les études montrent qu’il vaut presque toujours mieux rénover que reconstruire. Travailler à partir de l’existant aura très souvent un meilleur bilan carbone qu’un bâtiment neuf. Le programme aussi nous parle : économie collaborative et circulaire, mutualisation d’espaces et de compétences… tout cet immatériel avec lequel l’architecte peut composer pour donner du sens à son travail. Il nous convainc également par son audace constructive, avec un réemploi massif de matériaux. Équipements sanitaires, radiateurs, faïences, bois, et même portes coupe-feux ou matériaux isolants sont issus de bâtiments alentours en déconstruction. Avant d’en arriver au recyclage d’un matériau, le réemploi a un rôle essentiel à jouer pour ralentir sa dévalorisation progressive. Bien sûr, le pratiquer est complexe et chronophage, surtout dans le cadre des procédures des marchés publics. Les équipes de maîtrise d’œuvre et d’ouvrage ont ici dû anticiper la possibilité du réemploi pour les consultations, trouver un bureau de contrôle coopérant, adapter les assurances dommage-ouvrage… Logiquement, l’agence
Encore Heureux a également utilisé beaucoup de matériaux facilement démontables. Qui pratique le réemploi ajuste forcément sa façon de construire, préférant des éléments constructifs modulaires qui pourront à leur tour être réemployés. Il s’agit de construire pour la déconstruction. Enfin, pour le clin d’œil, le collectif d’origine strasbourgeoise etc fût chargé de préfigurer les usages du lieu avec une cité de chantier, occupation transitoire qui a servi de base aux ouvriers, aux architectes et aux futurs usagers. Nous sommes sensibles à ce genre d’initiative, ayant nous-même œuvré dans un collectif semblable à nos débuts, 3RS. Ce projet est juste, tant par la volonté de la maîtrise d’ouvrage de porter un tel projet que par la posture très positive d’Encore Heureux. Là où certains grincent encore des dents à l’idée de réduire drastiquement nos consommations énergétiques et matérielles, d’autres trouvent l’opportunité de donner du sens à leur pratique. Ce projet préfigure selon nous la manière de construire d’ici une ou deux décennies. « Plus de matière grise, moins d’énergie grise » : en cela ce bâtiment est exemplaire et précurseur ! » Xavier Nachbrand est architecte et enseignant en Sciences et techniques pour l’architecture Guillaume Christmann est architecte et Maître de conférences en Théories et pratiques de la conception architecturale et urbaine
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Les architectes ont conservé la structure du bâtiment et un maximum d’équipements. Photos : Cyrus Cornut
“ Un réemploi massif et ambitieux des éléments anciens ” Les éléments en bois pourront être démontés et réutilisés en cas de nouvelle transformation du bâtiment.
CONSTRUIRE AVEC L’EXISTANT TRAVAUX D’ÉCOLE
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Encadrée par François Frédéric Muller et Jérôme Villemard, la préparation au projet de fin d’études du domaine Mutations incite les étudiants à considérer comme patrimoine toutes les ressources d’un territoire. Ils en articulent ainsi l’histoire, la sociologie, la politique, l’environnement ou l’économie pour imaginer son avenir. Gros plan sur deux projets qui ont fait des ressources naturelles le ferment d’un renouveau.
Mutations et permanences Par Cécile Becker
« Nous proposons à nos étudiants de ne pas considérer uniquement comme patrimonial ce qui permet de sauvegarder le passé, mais plutôt ce qui doit être préservé pour l’avenir. » Par cet extrait d’un texte publié dans la revue de l’École nationale supérieure d’architecture de Bretagne, François Frédéric Muller et Jérôme Villemard résument l’objet de l’atelier Mutations. Un texte qui prend des airs de manifeste pour une nouvelle architecture. Pour « élargir le cadre », « comprendre le contexte », « postuler des scénarios souhaitables », les étudiantes et étudiants, qui préparent là leur projet de fin d’études, dépassent la méthode et les outils pour « acquérir un discernement », et in fine, une ouverture à tous les frottements qui agitent la vie des habitantes et habitants.
Avant le dessin, de longs mois de recherches, d’analyses, de promenades et de lectures sont nécessaires pour enrichir leurs savoirs (parfois dans des domaines aussi précis que l’agroforesterie) et inscrire leur projet dans la durée. Que ce soit à Marseille ou en Écosse, il a fallu saisir autant le palpable (les politiques en cours, l’économie, le patrimoine architectural, la géographie, le paysage…), que le sensible (le devenir potentiel d’un lieu, la manière dont on habite et traverse un espace, la transmission de la mémoire, etc.). En d’autres termes, approcher des réalités multiples pour une architecture qui agit à toutes les échelles, du bâtiment au territoire.
Lisa Busmey et Coraline Huot-Marchand imaginent un nouveau quartier dans la carrière Sainte-Marthe de Marseille. Les espaces publics et les bâtiments, construits avec les pierres extraites sur place, s’adaptent à la topographie du lieu et aux habitudes de vie dans la ville.
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050 Vers Les Aygalades
B
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Vers le Mont de l’étoile
Vers Marseille
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3 4 A
A’
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Vers La Batarelle
PLAN MASSE
PLAN MASSE DU QUARTIER
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1— Bassin d’eau, qui remplit désormais le fond de la carrière 2— Parc minéral, large bande non-construite qui évoque les lieux avant transformation
Lisa Busmey et Coraline Huot-Marchand Projet Matière à urbaniser / 2018 Lieu La carrière de Sainte-Marthe à Marseille
Le contexte Sainte-Marthe est l’une des trois carrières de Marseille, située en bordure d’une ville dont le développement s’étend jusqu’à ses pieds. Étendue sur 28 hectares, bordée à l’est et à l’ouest par les quartiers des Aygalades et de La Batarelle, on dit qu’elle dispose du plus beau panorama
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B’
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1:1000e
1:1000e
Plan de masse du quartier
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3— Place publique, avec l’ancien bâtiment de transformation des pierres 4— Zone de densité forte 5— Zone de densité moyenne
sur la ville. « Après leur exploitation, ces territoires marqués par l’Homme d eviennent des no man’s land. On s’est demandé comment faire émerger un bout de ville là où l’activité humaine avait déjà laissé des traces, où l’on n’aurait donc pas à grignoter sur le paysage. On peut s’appuyer sur la matière pour les constructions et sur les infrastructures déjà existantes, notamment la voierie. Pourtant, les reconversions de ce genre de sites ne sont d’ordinaire pas favorisées, la nature y reprend ses droits tandis que la pression foncière s’exerce sur la ruralité. » Leur projet intègre également « deux enjeux antagonistes » pour la ville de Marseille : son nécessaire développement lié à l’essor économique du port et l’éternelle ostracisation des quartiers nord limitrophes.
051 Les contraintes et les réponses « Les différences de niveaux topographiques sont très marquées, nous avons donc opté pour deux typologies. En fond de carrière, là où il fait plus chaud et plus sec, nous avons favorisé l’îlot [bâtiments mitoyens autour d’un espace central, ndlr], qui nous rappelle une médina. Sur les flancs de la carrière, le plot [bâtiments juxtaposés, ndlr ] nous permettait de nous inscrire dans les strates de l’exploitation et de connecter ce nouveau quartier avec la ville, où l’on retrouve cette même composition. Les éléments fondateurs du quartier sont le parc minéral 2 et le bassin d’eau 1 . Installés au fond de la carrière, ils sont également générés par la topographie des lieux. Nous sommes parties de la manière dont les habitants vivent à Marseille et avons partout favorisé une mixité d’usage : logements, commerces, mais aussi équipements sportifs et culturels, pour inscrire le projet dans l’histoire du site, enseignement supérieur pour répondre
Le grand Bassin d’eau est un lieu de promenade et un îlot de fraîcheur
au développement de la ville. L’objectif était de réer un quartier attractif, autant pour celles et ceux qui y vivent que pour celles et ceux qui n’y habitent pas. »
Les formes et les matières « Progressivement, nous nous sommes dirigées vers une architecture et une urbanisation méditerranéennes, avec des rues étroites et des éléments adaptés au climat, comme le moucharabieh ou les voûtes et les arches. Le matériau, extrait et transformé sur place, façonne vraiment l’identité du quartier, et sa mise en œuvre permet des dispositifs spaciaux et lumineux variés. Nous avons visité la carrière, discuté avec les ouvriers et conclu à une construction en quatre phases qui correspondrait à la diminution de l’activité de la carrière [au moment du diplôme, la fin de l’exploitation était programmée, ndlr]. »
La façade avec parement de pierres et moucharabieh s’inspire de l’architecture méditerranéenne
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Maxence Noiret
Projet Au fil du bois / PFE 2020 Lieu Village de Tolsta, Île de Lewis, Écosse
La sylviculture enclenche un cercle vertueux qui permet le développement économique du village.
Le contexte
La filière
« En Écosse, il y a très peu de forêts et on exploite très peu le bois. On trouve surtout des collines et de montagnes, dans un climat très humide et soumis aux vents, notamment dans les îles. Cet archipel est le plus isolé, paradoxalement le plus peuplé, et progressivement les habitants partent pour trouver un emploi [le gouvernement local table sur une baisse de la population de 14% d’ici à 2040, ndlr]. L’idée était donc de redynamiser le territoire, de le rendre attractif et de faire en sorte que les habitants le reconquièrent à l’aide des ressources qu’on peut y apporter. Sur l’archipel, une association a lancé un programme de plantation d’arbres, et plusieurs fermes forestières ont vu le jour. Je me suis servi de cette impulsion pour amener de nouvelles manières de construire, en me basant sur l’agroforesterie et l’agriculture : on vient planter des arbres, on produit des abris pour le bétail qui fertilisent les sols et tout un écosystème permet alors de nourrir ce cycle. Se fournir avec du bois produit localement réduit les coûts de construction par cinq. »
« J’ai pensé mon projet sur une temporalité de 5 à 10 ans, le temps que le système de production se mette en place. Tout suit le cycle de vie du bois, de la culture de la matière première à sa transformation en matériau de construction. Je me suis demandé : quels sont les besoins pour faire fonctionner cette économie ? D’abord exploiter la ressource en créant une scierie en lisière de village, un pôle pour débiter le bois et une chaufferie pour la production énergétique. 1 Pour valoriser le bois et ses débits, j’ai dessiné des ateliers où des tonneliers, ébénistes, charpentiers et menuisiers peuvent s’installer mais aussi des producteurs avec des espaces agricoles. On trouve les espaces de travail au rez-de-chaussée et des logements à l’étage. Il y a également un marché d’artisans et de producteurs destinés aux habitants de l’archipel. 2 Pour former et sensibiliser les habitants à l’agroforesterie, j’ai imaginé un centre de formation. Un équipement public semi-enterré où l’on trouve des salles de réunion et de formation, mais aussi des espaces d’exposition et de workshops. »
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La rocade agricole, organisation urbaine de la production 1 — La scierie 2— Le centre produtif avec ses ateliers d’artisans, le marché des producteurs et des logements 3— Sylviculture 4— Les bandes alternent agriculture, sylviculture et conservation forestière 5— Les bâtiments qui ferment la rocade comptent des coop ératives agricoles, des serres et des espaces de séchage pour le bois.
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Les choix architecturaux « Tout se structure autour de la rocade productive (voir ci-dessus). La scierie a une cour centrale autour de laquelle s’organise tous les corps de bâti. Il n’y a pas de building et les maisons ne dépassent pas deux étages. Il s’agissait de respecter l’histoire et les gabarits des logements pour laisser toute sa place au paysage. Les logements et ateliers sont construits selon une typologie de maison en bande, en lien avec les parcelles de production à l’arrière, pour renforcer le lien des habitants à la terre. »
Les maisons en bande sont ouvertes sur des parcelles de terre à cultiver.
CONSTRUIRE AVEC L’EXISTANT PERSPECTIVES
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Anthropologue et enseignante à l’ENSAS, Barbara Morovich travaille sur les quartiers populaires et leurs transformations. Comment sont-elles vécues par celles et ceux qui l’habitent, et comment les intégrer réellement dans la réflexion ? Une approche exigeante, qui demande une compréhension fine du terrain.
Déconstruire le regard Propos recueillis par Sylvia Dubost
Visite du quartier Piedrabuena de Buenos Aires par les élèves de l’ENSAS en 2018 Photo : Barbara Morovich
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Quels sont vos terrains de recherche, et pourquoi ? La question urbaine a toujours été au cœur de mes recherches. Je me penche actuellement sur la transformation urbaine induite par des grands projets de « revitalisation » ou de « rénovation urbaine » dans des quartiers populaires de trois pays différents, la France (Hautepierre, Polygone et Port du Rhin à Strasbourg), l’Argentine (quartiers sud de Buenos Aires) et l’Afrique du Sud (centre-ville de Johannesburg). Au-delà du fait qu’il s’agit de changements à long terme (une dizaine d’années, voire plus), il m’intéresse de montrer non tant l’imposition d’en haut d’une stratégie urbaine – qui est bien sûr présente – mais des dynamiques de réaction à cette imposition. Elles peuvent aller de la mobilisation à la ruse et à l’accommodement, individuel ou collectif. Je me penche particulièrement sur des réactions de structures associatives, surtout artistiques, et sur des formes de riposte. Comment y travaillez-vous avec les étudiant.es ? À l’occasion de mon séminaire et de workshops, notamment celui mené de 2014 à 2019 à Buenos Aires, j’essaye de sensibiliser les étudiant.es à l’altérité, aux modes de vie des classes populaires, à l’importance du terrain, d’aller voir avec ses propres yeux et de ne pas partir d’une vision stéréotypée des groupes sociaux. Avec deux collègues architectes argentins (Daniel d’Alessandro et Mariela Corbellini) et des artistes sonores et visuels, nous coproduisons avec des collectifs et des associations des actions qui symbolisent une rencontre ou une idée qui pourrait se transformer en projet. Elles découlent de l’enquête, on essaye de
passer du temps avec les acteurs. La très grande majorité des étudiant.es ne connaît les quartiers populaires que par des images médiatiques, qu’il faut impérativement déconstruire par un discours sur les inégalités sociales persistantes. Il faut aussi ouvrir leur regard sur la notion de « culture ». En école d’architecture, on a parfois tendance à idéaliser le vernaculaire, le traditionnel, avec le danger de s’imaginer des sociétés « autres » comme statiques et passéistes. On peut être Amérindien du Mato Grosso, lutter contre la déforestation et avoir un téléphone portable ! La dichotomie entre « tradition » et « modernité » est particulièrement dangereuse. La rénovation des quartiers populaires implique souvent la destruction de bâtiments. Qu’est-ce que cela signifie pour les habitants ? La démolition a induit des effets différents suivant les époques. J’examinais récemment avec les étudiant.es le cas emblématique de la mobilisation du quartier de l’Alma-Gare dans les années 1970 à Roubaix, un cas d’étude très connu. Il s’agissait d’une opération de Résorption d’Habitat Insalubre qui aurait sans doute conduit à la « déportation » des habitants de classe populaire du quartier. Mais une mobilisation, chapeautée par l’Association Populaire des Familles et appuyée par une assistance technique dans le cadre d’un Atelier Populaire d’Urbanisme, a permis de garder la moitié des maisons, de les rénover et de construire un projet de logement concordé avec les habitants. Aujourd’hui, les rénovations urbaines sont gérées par l’anru (Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine), qui a une vision sécuritaire du changement urbain et voudrait « faire revenir les classes moyennes », ce qui
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est très stigmatisant pour les habitants actuels qu’on assimile bien souvent à une « classe dangereuse ». Les démolitions visent à faire disparaitre des lieux problématiques (comme les immeubles caractérisés par le deal), mais n’éliminent pas les problèmes sociaux comme le chômage massif ou la discrimination à l’embauche. De plus, ces rénovations ne provoquent pas forcément un changement important de population, mais souvent la hausse des prix et une stérilisation de l’espace public pour des raisons sécuritaires. Par ailleurs, elles se révèlent assez inutiles pour l’image des quartiers, qui restent stigmatisés. Il faudrait des dispositifs de véritable concertation, s’appuyant sur les réseaux associatifs, très étendus dans les quartiers populaires. J’ai mené cette expérience à Hautepierre avec l’association Horizome, dont le but est d’impulser des changements des images non pas pour mais avec les habitant.es du quartier. L’expérience de la Place Erasme a été un moment très fort de cette expérience associative… Comment intégrer les habitant.es dans les projets urbains ? La question n’est pas simple car, si l’on parle de quartiers populaires, les règles qui régissent le logement social sont très strictes. Toutefois, des projets participatifs existent au moins depuis les années 60, et des architectes ont réussi à transformer des quartiers populaires sans passer par la démolition et en impliquant réellement les habitants. Ils passent souvent pour des idéalistes, comme Lucien Kroll avec l’incrémentalisme, par exemple dans le quartier du Luth à Gennevilliers, une méthode où chaque étape se décide avec les habitant.es. Je pense aussi à l’atelier de Patrick Bouchain, à l’expérience
de Sophie Ricard, jeune diplômée à l’époque, qui s’installe dans le quartier du Chemin Vert à Boulogne-sur-Mer et propose aux habitant.es un Atelier permanent d’architecture, ou plus récemment au travail de Cyrille Hanappe dans le cadre du dsa Risques majeurs rattaché à l’école d’architecture de Paris-Belleville, dans les bidonvilles ou les camps de migrants. Il y a aussi beaucoup de collectifs qui font cela très bien. J’aime p articulièrement le discours des Saprophytes, surtout composé de femmes architectes (dont Claire Bonnet, qui avait donné une conférence à l’ensas), qui affirme notamment s’inscrire dans des processus longs dit de « design social » pour faire émerger et accompagner des dynamiques durables. À mon avis, non seulement il ne s’agit pas d’idéalisme, mais c’est la seule manière de respecter réellement des populations stigmatisées : avec une sensibilité au contexte, à des groupes sociaux qui possèdent une expertise des lieux et ont beaucoup d’idées. Le processus architectural et urbain peut être une forme d’empowerment des populations concernées. Construire avec l’existant, c’est aussi construire de manière durable. En école d’architecture prime encore cette vision de l’architecture de grands projets, avec des grands noms, mais cela ne parle pas forcement à des étudiant.es de plus en plus sensibles au respect de l’environnement et, je l’espère, au participatif, qui est le respect du social. Quelles sont les limites de ces approches ? À quoi faut-il faire attention ? Aujourd’hui, la multiplication de ces démarches est bienvenue, mais le risque est que cela devienne une mode. Il faut se rendre compte que ces collectifs doivent aussi répondre à des commandes, qu’il s’agit de
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La place Erasme à Hautepierre, après sa transformation par les habitants, accompagnés par l’association Horizome et Délit d’Archi (diplômés de l’ENSAS) Photo : Horizome
nouveaux métiers de l’architecture, qu’ils ont des casquettes plurielles mais pas forcément toutes les compétences. Ce ne sont pas des travailleurs sociaux, par exemple, or c’est parfois ce qu’on leur demande ! Il faut évaluer cas par cas, beaucoup de chercheur.es ont étudiés ces structurations et leurs productions, je pense aux travaux de Federica Gatta ou Elise Macaire, ou à mes propres écrits. L’autre critique, qui vient du monde de l’architecture, est l’absence d’une qualité esthétique dans ces projets. C’est la caricature du « projet de palettes », et je crois en réalité que ces projets ont évolué aussi dans l’esthétique. Peut-on dire qu’aujourd’hui deux approches s’opposent : planification vs co-construction ? Je ne pense pas qu’il faille faire des oppositions, l’architecture est une question de compromis, d’acteurs et de complexité.
Les élus sont-ils désormais plus sensibles à ces questions ? Tout pourrait indiquer que le changement politique récent, qui implique plus d’écologie et une volonté d’impulser une démarche « citoyenne », est un très bon signe. Attention cependant à ne pas être naïf. J’ai étudié ce processus à Hautepierre pendant 10 ans, et au Polygone (Neuhof) pendant quelques années, et le changement de municipalité de droite à gauche n’a pas induit un changement radical de perspective. Les projets sont restés quasiment les mêmes. Actuellement, je me permets d’être un peu plus optimiste car parmi les élus de la nouvelle majorité il y a des sensibilités certaines envers les contextes populaires. À voir de quelle manière elles et ils pourront impulser plus de justice sociale… Je suis curieuse de voir cela notamment sur le quartier Port du Rhin, où une gentrification se poursuit inexorablement à détriment du quartier ancien, la cité Loucheur, et de ses habitants qui observent s’accroître les prix de l’immobilier et de l’alimentation autour d’eux…
CONSTRUIRE AVEC L’EXISTANT PERSPECTIVES
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Donner une nouvelle vie aux bâtiments va souvent de pair avec l’idée de construire la ville sur la ville, de la densifier plutôt que de grignoter sur la campagne. Antoine Brès, architecte-urbaniste et chercheur, préconise une approche moins systématique et une analyse plus fine. Densifier ou dé-densifier, cela dépend de chaque territoire, de ses besoins et de son « déjà-là ».
Entrer dans le dense ? Un sujet proposé par Éric Albisser et Géraldine Bouchet-Blancou Propos recueillis par Géraldine Bouchet-Blancou Géraldine Bouchet-Blancou est architecte et Docteure en architecture et urbanisme Éric Albisser est architecte et Maître de conférences Tous deux sont enseignants à l’ENSAS.
Vous êtes une des voix qui s’élèvent contre la doxa de la densification métropolitaine. Selon vous, doit-on chercher à densifier ou dé-densifier nos métropoles ? Il y a une grande confusion autour des notions de densité et de densification, parce que les débats se poursuivent à partir de postures figées : ville compacte/ville étalée, éclatée, dispersée, émiettée, ville/campagne, urbain/rural ou, pire, métropole/territoire. Or les métropoles sont en situation d’interdépendances avec de multiples territoires sur des aspects très concrets, matériels et énergétiques, comme les démarches de métabolisme urbain le mettent bien en lumière. Ces oppositions binaires conduisent à mettre en place des politiques sectorisées et ciblées, en descendant progressivement la hiérarchie des établissements humains, de la métropole à la ville moyenne, à la petite ville, au bourg, au village, comme si ces échelles s’emboîtaient encore. Une métropole n’est pas une ville en plus grand mais une combinaison de diverses
figures urbaines plus ou moins compactes ou dispersées [voir Les Figures discrètes de l’urbain, à la rencontre des flux et des territoires, ndlr ]. Elle présente des morphologies très contrastées, décourageant tout mot d’ordre univoque. La question n’est donc plus de densifier ou de dé-densifier les métropoles en général mais de privilégier une vision territoriale, englobant dans un même regard la ville héritée, les petites villes, les bourgs, qui en forment le grain et la trame, en même temps que les espaces ouverts, agricoles et forestiers, essentiels si l’on se préoccupe de transition écologique. Cette vision se rapproche du regional planning de Benton MacKaye [forestier et universitaire américain, 1879-1975, l’un des pionniers de la préservation de la nature, ndlr ] ou du territorialisme d’Alberto Magnaghi [architecte et urbaniste, fondateur et président de la Société des territorialistes, ndlr ], et à se poser la question : où est-il le plus pertinent d’encourager et donc de ménager l’accueil de nouvelles populations ?
Grappes de proximité représentant l’accès aux commerces de différentes catégories. Visuel : Antoine Brès / UMR Géographie-Cités
Lotissement et terres agricoles à Ichtratzheim. Photo : Pascal Bastien
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Dans votre dernier article (Faire durablement territoire sans densifier les villes), vous parlez d’urbanisme distribué (dod, pour Distribution Oriented Development) pour « sortir du dilemme concentration-dispersion ». L’urbanisme distribué a-t-il un lien avec la notion de densité optimale ? L’urbanisme distribué trouve son origine dans le constat que les villes sont l’une des composantes du territoire, et dans l’observation du déjà-là. Les campagnes puis les villes et maintenant les métropoles se sont développées de manières différenciées suivant les époques avec, si l’on s’en tient au siècle précédent, d’abord une attraction des villes, à laquelle se substitue depuis les années 90 une certaine « renaissance rurale » – tout cela étant à spécifier suivant les régions. L’armature territoriale du territoire de la France continentale est donc riche, complexe et maillée : où que l’on soit, on n’est jamais très loin d’une ville, grande ou petite, ou d’un bourg et des services qui s’y trouvent encore. Faire avec le déjà-là, c’est aussi faire avec l’accroissement de population que la grande majorité des communes connaissent depuis ces 70 dernières années. Parler alors de densité optimale devient très compliqué ! Comment calculer la densité en prenant en compte la multiplicité des échelles et la grande diversité morphologique des établissements humains ? La densité optimale correspond pour moi à une distribution des populations selon le mode d’occupation le plus pertinent et le plus durable d’un territoire, en fonction des ressources qu’il offre et des contraintes qu’il présente, de ses composantes humaines et non humaines, de ses espaces bâtis et ouverts. Il y a ainsi des bourgs aussi denses que des
villes, et des secteurs citadins moins denses que les premiers. Ce qui me fait dire qu’il ne faut pas hésiter à dé-densifier là où les modes de vie contemporains – à la recherche de lumière, d’air, d’espaces de détente privés ou publics – ne trouvent pas leur compte, comme l’actuelle pandémie l’a encore confirmé ; par exemple les centres de certaines villes, pour faire en sorte de mettre l’habitat ancien aux normes environnementales et de construire du neuf, éventuellement plus dense, en tout cas plus adapté aux exigences de la transition écologique et aux attentes des populations. La priorité est en tout cas d’éviter à tout prix que les primo-accédants soient tentés de construire du pavillonnaire de faible qualité environnementale et architecturale sur les terres agricoles, faute de trouver ce qu’ils cherchent au sein des secteurs déjà artificialisés. C’est que j’appelle faire le territoire sur le territoire plutôt que faire la ville sur la ville, ce qui ne signifie pas grandchose à l’heure de l’urbain généralisé. Quelle est la place du concept de polycentrisme* dans votre approche de l’urbanisme distribué ? Du coup, le polycentrisme est intrin sèquement associé à cette approche territoriale distributive qui s’appuie sur le déjà-là, mais une fois de plus, en prenant en compte les singularités des territoires avec leur diversité de lieux d’intensité sociale et économique. On trouve ainsi des bourgs où se rendent les citadins, parfois de très loin, parce qu’ils offrent des aménités urbaines et paysagères dont les grandes villes ne disposent pas ; des zones commerciales ou d’activités qui fonctionnent en synergie avec un centre ancien situé à proximité ; de simples fermes qui bénéficient d’une large attractivité parce
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Antoine Brès Architecte-urbaniste, Antoine Brès exerce au sein de l’agence Brès+Mariolle et associés. Docteur en Urbanisme-Aménagement, il enseigne à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne et est membre du laboratoire de l’UMR (unité mixte de recherche) Géographie-Cités. Il a obtenu en 2020 la Médaille de l’Urbanisme et est depuis 2012 membre du Conseil scientifique de l’Atelier international du Grand Paris (AIGP). — À lire
Évolution de la démographie des bourgs en Seine-et-Marne. Le bâti noir sur fond blanc correspond à 1962, le bâti rouge sur fond gris à 2010. Visuel : Antoine Brès / UMR Géographie-Cités
Antoine Brès, Faire durablement territoire sans densifier les villes, Métropolitiques, 2020 Antoine Brès, Francis Beaucire, Béatrice Mariolle (dir.) Territoire frugal, La France des campagnes à l’heure des métropoles, MétisPresses, Lausanne, 2017 Antoine Brès, Les Figures discrètes de l’urbain, à la rencontre des flux et des territoires, MétisPresses, Lausanne, 2015
que leurs exploitants ont su combiner un marché de producteurs bio, un fournil, des événements festifs et culturels ; des petites villes dont le dynamisme économique fait que leurs relations se situent à d’autres échelles, même internationale, sans passer par une connexion intermédiaire avec la grande ville ou la métropole d’à-côté. Il faut surtout éviter de hiérarchiser et d’opposer, de penser en termes de « ruissellement » de la métropole au village, mais il faut combiner les liens et les lieux de manière à en faire bénéficier tous les styles spatiaux de l’habiter contemporain. * Le polycentrisme est un système d’organisation du territoire basé sur le développement de plusieurs centralités ou polarités, en rupture du schéma traditionnel d’évolution monocentrique des villes, de type centre-périphérie.
CONSTRUIRE AVEC L’EXISTANT DU GRAIN À MOUDRE
L’architecture, le passé et le génie du lieu vus par des architectes, penseurs et écrivains. Une sélection subjective d’Anne-Sophie Kehr architecte et enseignante à l’ENSAS
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« Rien ne périt, croyez-moi, dans le monde entier ; mais tout varie, tout change d’aspect. Ce qu’on appelle naître, c’est commencer une existence différente de la précédente ; mourir, c’est la terminer. » Ovide, Les Métamorphoses
« Le temps, qui est le véhicule de l’oubli, est aussi celui de la trace, et l’immobilité, loin d’être une parure trompeuse, devient, pour qui sait la contempler et lui donner le temps de se déployer, la réserve silencieuse où tous les signes sont inscrits. » Jean-Christophe Bailly
« L’aqueduc vit à partir du moment qu’il a cessé de transporter de l’eau. » Luigi Snozzi
« L’architecture est un mélange de nostalgie et d’anticipation extrême. » Jean Baudrillard
« Toute région se distingue des régions sauvages par le fait d’être un immense dépôt de fatigues humaines. Elle n’est donc pas œuvre de la nature, mais œuvre de nos mains : une patrie artificielle. » Carlo Cattaneo
« Si un projet ne fait que puiser dans l’existant et dans le répertoire de la tradition, s’il répète ce que l’endroit lui fixe d’avance, il manque le dialogue avec le monde, le rayonnement du contemporain. » Peter Zumthor, Penser l’architecture, 2008
« Un bâtiment existe par son contexte, il peut réagir à ce lieu. Le lieu lui-même est composé de la topographie, de l’histoire, des relations humaines, mais aussi des atmosphères. »
« Quand l’esprit du futur ne nourrit pas la préservation du patrimoine, on tombe dans la nostalgie et la muséification. »
Peter Zumthor, Penser l’architecture, 2008
François Barré
« Être moderne pour un architecte, c’est avoir conscience qu’il y a un acquis, une histoire, qui continue, se prolonge. (…) Cela veut dire être de son temps mais cela veut dire aussi appartenir à une histoire. »
« Le seul geste transgressif que j’estime encore possible aujourd’hui est le retour intelligent à la tradition. C’est le geste réellement efficace. » Luigi Snozzi, L’architecture inefficiente, 2016
Bernard Desmoulin, Transmettre en architecture, Le Moniteur, 2002
« L’architecture naît des besoins réels, mais elle les dépasse. Si tu veux la découvrir, regarde les ruines. »
« On lance une pierre dans l’eau. Un tourbillon de sable s’élève puis s’apaise à nouveau. L’agitation a été nécessaire. La pierre a trouvé sa place. Mais l’étang n’est plus le même qu’auparavant. »
Luigi Snozzi
Peter Zumthor, Penser l’architecture, 2008
UNE OEUVRE FAITE DE MAISONS CASSÉES À propos du film sur l’œuvre Intersection conique de Gordon Matta-Clark *, 1975
TRIBUNES
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ar Joël Danet, programmateur P et enseignant à l’ENSAS
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C’est un film muet d’une vingtaine de minutes tourné à Paris en 1975. Il témoigne de la réalisation d’une œuvre d’art par Gordon Matta-Clark au cœur de la ville, dans un coin de rue, à même le bâti. Le site de son intervention est une paire d’immeubles situés au 27-29 de la rue Beaubourg, construits en 1690 pour le ménage Bonnville, promis à la démolition dans le cadre des rénovations du quartier des Halles. Un pâté de maison plus loin se dessine le chantier du Musée Beaubourg. Gordon M atta-Clark et son équipe entreprennent de percer, fracturer, évider les bâtiments qui leur ont été confiés. Ils attaquent les murs à la masse, scient les charpentes, déblayent par-dessus les ruines. La sculpture avance à la main, au bord du précipice, parmi les gravats qui s’amoncèlent dedans et dehors. Au milieu du film, un travelling avant depuis la rue, sans doute tourné en voiture, montre le résultat : une grande cavité torse, commencée dans la façade, qui continue en profondeur, dessinant une étrange spirale à travers les murs et planchers. Le plan suivant unit la façade du Centre Pompidou, avec sa structure emblématique, aux immeubles travaillés par Gordon Matta- Clark. Il s’agit bien sûr d’opposer deux styles de chantier et deux états de ville. D’un côté, l’ex-nihilo de la construction impeccable, vitrine de l’innovation architecturale, promise à dynamiser la monumentalité de Paris. De l’autre côté, un bâtiment historique, que les ans ont rendu gris, dont la décision municipale prévoit la destruction, et auquel le geste de l’artiste apporte un dérisoire sursis. Fragmentation, jeux de lumière, purs motifs Gordon-Matta Clark est réputé pour le caractère subversif et critique de ses œuvres. Il parle d’« anarchitecture » au sujet de sa démarche. Pratiquée dans les bâtiments du xviii e siècle parisien, elle prend une portée particulière que le film met en évidence. Certes, le geste de casser à travers la structure et
d’exhiber une façade trouée peut passer pour une provocation. Mais par son dessin et son caractère invasif, il devient création. Ce que la caméra révèle de l’intérieur ainsi travaillé, c’est sa fragmentation, son aspect désormais composite dans un emmêlement de niveaux et l’effacement des fonctionnalités. Ici, un reste de porte ouvrant sur le vide, ailleurs un lavabo et son placard avec un unique mètre de recul. Des marqueurs d’habitation demeurent, un pan de tapisserie ou un poêle à mazout près d’un châssis de fenêtre encore intact. Dépouillés de leur cadre initial, ces éléments de logement deviennent purs motifs, échantillonnés et réduits à leur aspect comme les « papiers collés » dans les peintures cubistes. Il en résulte une « sculpture minimaliste sans souci de logique architecturale », pour reprendre les mots du critique d’art Daniel Soutif. Selon les éclairages du soleil, le contour arrondi ou ovoïde des différentes perforations créé de surprenants jeux de lumière sur ses surfaces. Point de vue inédit et éphémère Les interventions par Gordon Matta-Clark et son équipe se sont déroulées côté rue pour que les passants en deviennent les spectateurs. De fait, le film les montre avançant le nez en l’air pour observer les progrès de ces travaux auxquels ils ont du mal à donner sens. Réactifs et curieux, ils entrent en relation chronique avec l’œuvre qui s’élabore sous leurs yeux. En contrechamp, le point de vue tourné depuis l’intérieur de l’immeuble place la rue parisienne dans un écrin de ruines, œil-de-bœuf étrange qui permet une perspective inédite et éphémère. Tout ceci, comme le montre la fin du film, est appelé à disparaître à coups de pelleteuse dont les attaques successives rejoignent la sculpture creusée. C’est là la démolition véritable, celle qui ne met le vide ni en tension ni en majesté, mais produit du pur néant. *Étant d’art pour locataire - Conical intersect, images de Gordon Matta Clark et Bruno De Witt
AGENDA
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13.04.21 - 20H30
> 16.05.21
21.05.21
Exposition Kinshasa Chroniques
Rodin/Arp
Resatas Urbanas
[Fondation Beyeler]
[Lieu à définir]
Cette exposition confronte deux figures de la sculpture, Auguste Rodin et Jean Arp, deux novateurs qui ont marqué le développement de la≈sculpture moderne. fondationbeyeler.ch
Les Rencontres européennes de l’architecture auront lieu les 21 et 22 mai 2021 et sont comme chaque année organisées par les maisons de l’architecture de la Région Grand Est. Le pays invité cette année est l’Espagne, avec pour thème la construction écologique. La conférence strasbourgeoise est prévue à 19h avec comme conférencier Santiago Cirugeda. Le lieu n’est pas encore fixé et une visioconférence est envisagée si la situation sanitaire ne permet pas une conférence en présentiel.
[Visite en ligne]
Soixante-dix artistes, la plupart issus de la très jeune garde kinoise, racontent la richesse et la complexité de Kinshasa. L’exposition de la Cité de l’architecture & du patrimoine en propose une lecture à travers neuf chroniques, facettes imbriquées ou contradictoires : ville performance, sport, paraître, musique, capital, esprit, débrouille, futur, mémoire. RDV à 20h30. citedelarchitecture.fr 26.04.21
Habiter le futur La Maison européenne de l’architecture-Rhin supérieur organise chaque année en collaboration avec l’Académie de Strasbourg un vaste concours adressé aux établissements scolaires du territoire transfrontalier. Cette édition propose aux élèves de rêver au logement du futur. Habitat hautement futuriste ou en écovillage, dans des maisons imprimées en 3D ou en terre, dans une ville flottante en autarcie ou dans des capsules sur une base lunaire, il appartient aux élèves d’imaginer le futur et notre mode de vie de demain !
20.05.21
Françoise Fromonot
Critiques détectives IV Une histoire environnementale de la maison Farnsworth 1951-2021 [ENSAS]
Françoise Fromonot est architecte dplg. Après plusieurs années d’exercice libéral et diverses expériences d’enseignement, elle devient enseignante titulaire des ensa. En parallèle, elle s’est engagée depuis 1990 dans une activité de critique. Rédactrice pour l’Architecture d’aujourd’hui, puis pour le Visiteur, elle cofonde Criticat en 2007. L’ensas a le plaisir de l’accueillir pour la quatrième fois, et sa conférence ne sera pas enregistrée, un rendez-vous à ne pas manquer !
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Construire avec l’existant ? La ville se construit inévitablement sur elle-même, et pour des questions écologiques, économiques et sociales, il semble aujourd’hui de plus en plus évident que réhabiliter et transformer vaut mieux que de détruire et reconstruire. Dès lors, comment intégrer le bâti de demain à celui d’aujourd’hui et d’hier, qu’il soit monumental ou banal, classé ou non ?
Zap / Zone d’architecture possible, magazine de l’École nationale supérieure d’architecture de Strasbourg