24 minute read

FOCUS

Next Article
Focus

Focus

FOCUS COVID: APRÈS TOI LE DÉLUGE?

Par JiBé Mathieu

Advertisement

Dans le monde du «faire» comme ailleurs, la crise sanitaire a jeté son voile, opaque et paralysant, sur tout un pan de l’économie : celui des artisans et des manufactures, des artistes et des indépendants. Leur agilité et la foi qu’ils mettent dans leur travail les aident à bâtir des arches. Dans l’espoir qu’elles les préservent du déluge annoncé.

Le temps est comme suspendu. L’outil et le geste stoppés en pleine course. «L’élan créatif est anesthésié», témoigne cet artiste. S’il est prématuré de chroniquer une hécatombe, tant les aides institutionnelles et l’appui conjugué des Chambres consulaires maintiennent l’essentiel des entreprises et ateliers sous perfusion, ce qui domine, c’est plutôt le calme plat. Avec son corollaire: la peur de rester planté là. «On a face à nous des gens déboussolés», relate Annick Sittler, chargée de mission à 60 000 Rebonds, une association qui vise à accompagner les entrepreneurs post-faillite et encourage leur reconstruction. Un fait, néanmoins, est avéré: la pandémie a causé l’annulation de nombreux salons qui, au-delà d’une vitrine, sont aussi et avant tout un moyen pour l’artisanat de se vendre, de tisser des réseaux et de rencontrer son public. Si la troisième édition de l’expo-vente Haut la Main, organisée par la frémaa (Fédération des métiers d’art d’Alsace) a finalement eu lieu à Obernai en septembre 2020, entre deux confinements, elle fait figure d’exception. La plupart des expositions publiques ont en effet été sacrifiées sur l’autel de l’urgence sanitaire, à l’instar de Oz, le Noël des métiers d’art, et surtout de Résonance(s), salon phare en France, rencontre annuelle et incontournable pour les créateurs et amateurs d’objets singuliers faits main. L’Institut National des Métiers d’Art (INMA) a lancé au mois de mars 2020 un travail d’enquête, en partenariat avec le Pôle Métiers d’Art de la Région Grand Est pour faire le point sur les difficultés des professionnels d’un secteur très protéiforme, composé aussi bien de manufactures, de grandes entreprises que de professionnels libéraux, d’artistes-auteurs, voire de fonctionnaires (en charge de la conservation, de l’enrichissement et de la mise en valeur du patrimoine national, notamment). Il en ressort que le secteur enregistre une perte de 50% de son chiffre d’affaires annuel. Pas étonnant, dans la mesure où ce sont les activités de vente et à destination du public qui souffrent le plus. À telle enseigne que la majorité des répondants anticipe encore des perturbations très significatives de leur activité au premier semestre 2021. On ne déplore pas, pour l’instant, de faillites massives, bien que la situation soit plus tendue pour les micro-entreprises. Du côté de 60 000 Rebonds : « Voilà plus de six mois que l’on se prépare à un tsunami.» Au point que les entreprises maintenues en vie à coup de reports de charges ou de fonds de solidarité sont parfois qualifiées de «zombies». En attendant la catastrophe et parce qu’ils ne veulent en rester là, beaucoup d’artisans, de créateurs, d’entrepreneurs cherchent à rompre la paralysie. Pour retrouver le lien qui les unit à leurs acheteurs. Au point parfois de se réinventer. «Les entreprises artisanales sont plus petites, donc plus agiles, martèle fréquemment Jean-Luc Hoffmann, président de la Chambre de métiers d’Alsace. Elles peuvent plus aisément changer de rythme de travail, voire d’organisation.» Certaines ont fait un «bon de modernité » en créant des sites Internet ou en communiquant massivement sur les réseaux sociaux. Les projetant de fait dans l’artisanat 2.0. Une volonté confirmée par l’enquête de l’INMA. Les professionnels estiment en effet que les efforts doivent se concentrer sur les gains de visibilité, la meilleure valorisation de leurs métiers et le développement des solutions de commercialisation mieux adaptées à leur type d’activité. 41% d’entre eux espèrent très concrètement des aides au développement des outils numériques – ce que proposent les Chambres de métiers par l’intermédiaire du Plan de relance et de l’initiative France Num mais aussi le dispositif Beecome (voir page 16). Internet, nouvelle arche de Noé ? La réponse est plus nuancée. Notamment lorsque l’on se réfère aux piètres résultats d’un salon comme Résonance(s), dont l’édition virtuelle n’a, en 2020, engrangé que 30 000€ après avoir pour la première fois dépassé le million en 2019. Pour de nombreux créateurs, qu’ils soient artistes ou artisans, rien ne remplace la relation directe avec l’acheteur, qui seule permet de prendre conscience d’une pièce, de son volume et de sa matière. Bien sûr, les réseaux sociaux ont clairement permis à certains de limiter la casse. Voire d’afficher de réelles réussites grâce, notamment, au click & collect. Même si rares sont ceux qui par ce biais affichent un chiffre d’affaires équivalent à celui d’une période normale. L’essentiel, de toute manière, est ailleurs. Dans le besoin de lien, comme le soulignait cette restauratrice dont les plats à emporter, confectionnés par son époux, rencontrent pourtant un franc succès: «Nous ne sommes pas des traiteurs. Le coup de feu, le contact avec le client, cela nous manque!»

La Chambre de métiers d’Alsace Jean-Luc Hoffmann président

Propos recueillis par Cécile Becker Photo Simon Pagès

En 121 ans d’existence, la Chambre de métiers d’Alsace en aura vu… mais la crise sanitaire, personne n’aurait pu l’anticiper, et surtout pas Jean-Luc Hoffmann qui, en plein marasme et de façon inattendue, en a pris la présidence. Ce boucher-charcutier originaire de Haguenau, bien conscient des réalités de terrain, fait de la formation et de l’avenir ses chevaux de bataille.

Qu’avez-vous mis en place à la Chambre de métiers d’Alsace pour accompagner les artisanes et artisans durant cette période?

Notre ligne d’écoute téléphonique a surtout fonctionné quand les artisans étaient à l’arrêt. Nous avons des agents qui vont aujourd’hui sur le terrain pour écouter les entreprises en difficulté. Depuis plus d’un an, les Chambres consulaires ont prouvé leur pertinence, notamment en permettant aux entreprises d’accéder à toutes les aides possibles, financières ou judiciaires. On est en quelque sorte le dernier kilomètre de l’État, puisqu’on met en œuvre le Plan de relance auprès des artisans. Ce qu’il faut comprendre c’est qu’un artisan n’embauche jamais de personnel en se disant: «Si ça ne va pas, je licencie.» Un artisan est très lié à ses collaborateurs, donc ces moments de crise sont véritablement des crève-cœurs. Depuis un an, nous faisons aussi des remontées de terrain vers la Préfecture et l’État pour mettre en avant les manquements de certains dispositifs.

Quels sont ces manquements?

Le secteur de l’événementiel souffre: du traiteur au photographe en passant par le fleuriste, ces métiers sont en souffrance. Bien sûr, tout ce qui est lié au

tourisme: les potiers, les métiers d’arts qui n’ont pu tenir salon depuis plus d’un an. Aujourd’hui, il y a un problème de disparités d’aide: les salons de thé, malgré une perte d’activité, ne bénéficient pas des aides octroyées aux restaurants. Si certaines entreprises s’en sortent mieux que d’autres – il faut le dire – je considère que la perfusion de l’État, on ne pourra pas l’enlever d’un coup, sans parler des caisses de l’État qui se vident et, de fait, des dommages collatéraux que nos artisans subiront. Il y aura sans doute un fort rebond dans l’économie, et là aussi, il faudra être présent.

Et les prêts garantis par l’État qu’il va falloir rembourser…

Une partie des entreprises qui ont contracté ces prêts ne les ont pas utilisés. Si l’État a permis de les rééchelonner, il faut espérer que l’économie reprenne l’an prochain. Car ils sont souvent corrélés à d’autres prêts d’investissement qui permettent aux entreprises d’évoluer. À un moment, il va y avoir un problème…

Quelles sont vos priorités?

Accompagner les entreprises artisanales vers une sortie de crise fin d’année ou début 2022. Ce fameux monde d’après, on y arrive. Ce monde sera certainement plus respectueux de l’environnement, on y emmènera les entreprises artisanales, de la même façon que le reste de la société. Pour que les entreprises intègrent totalement cette question, il faudra du temps. En tant que responsable de nos deux CFA [Centre de formation Bernard Stalter – récemment renommé en hommage au précédent président de la CMA décédé – à Eschau et Centre de Formation d’Apprentis de l’Artisanat à Mulhouse, ndlr], c’est une vraie richesse de devoir s’occuper de l’avenir de nos jeunes, donc de l’avenir de nos métiers. Pour moi, ce volet formation et transmission, c’est le plus important. Entre la Collectivité européenne d’Alsace naissante, la régionalisation des Chambres de métiers, les particularités alsaciennes [droit local, existence des corporations, entreprises artisanales dont l’effectif peut dépasser les dix salariés, contrairement au reste de la France, ndlr], la loi pour la Liberté de choisir son avenir professionnel qui dégage la Région de ses précédents financements et responsabilise les entreprises… il y a de nombreux chantiers. Sans parler de la nécessité d’intégrer de nouveaux métiers à nos centres de formation, par exemple la réparation de vélos qui a repris du poil de la bête. Il faut que nous nous appuyions sur les évolutions de la société.

Des diagnostics numériques gratuits existent. Cette aide est particulièrement intéressante car on parle de plus en plus de la nécessité pour les artisanes et artisans de se rendre visibles et de conserver le lien à leur clientèle à travers site Internet, click & collect, livraison à domicile, paiement en ligne, réseaux sociaux…

De ce côté, la crise a donné aux entreprises artisanales un coup d’accélérateur qu’on n’aurait peut-être pas réalisé en 5 ou 10 ans. Mais il faut toujours les aider à maîtriser ces outils. Dans un premier temps, on offre un diagnostic numérique, puis nos agents vont faire du sur-mesure et déployer un plan d’action: comment se développer sur Internet ? Par quel biais? La plupart des artisans sont dans des petites et moyennes structures, de 5 à 20 salariés, et leur rôle, c’est de connaître parfaitement leur métier, d’être DRH, gestionnaire, vendeur, acheteur, communicant… Les casquettes sont multiples et, quelque part, on demande à l’artisan de savoir tout faire. Je pense qu’il y a des domaines où on peut être moins efficace. Il ne faut pas hésiter à faire appel à des gens compétents ou à la formation, d’ailleurs nous en proposons un certain nombre, que ce soit sur la réponse aux appels d’offres ou la question de la communication.

La crise a renforcé nos désirs de proximité, une valeur intrinsèque de l’artisanat…

Je ne suis pas le seul à avoir dit que le monde d’après serait différent, mais après avoir dit ça, il faut agir. J’ai envie d’inscrire les artisans alsaciens dans la proximité avec la création d’une marque qui va lier des artisans respectueux d’un cahier des charges, en phase avec la proximité – fournisseurs, clients mais aussi l’emploi. L’idée étant de mettre en lien les artisans vertueux avec les clients qui veulent acheter de façon vertueuse.

C’est quoi, un artisan vertueux?

Un artisan qui respecte et rémunère convenablement ses salariés, qui respecte l’environnement, qui effectue ses achats au plus proche – je suis conscient que certains matériaux ne sont pas disponibles localement –, qui a recours à la formation. Il faut remettre l’humain au cœur de l’entreprise, c’est la plus grande valeur ajoutée. De ce point de vue-là, l’entreprise artisanale se démarque des géants. L’artisanat en Alsace, c’est 40 000 entreprises, 160 000 personnes en lien avec l’artisanat, 10% de la population environ et plus de 20% de la population active, alors n’y aurait-il pas un cercle vertueux à créer qui puisse infuser plus globalement?

Avez-vous encore le temps de travailler à la boucherie?

J’y suis présent deux heures par jour, mais la présidence de la Chambre de métiers, c’est un job à plein temps. Je ne mets pas en avant mon métier mais tous les métiers. Aujourd’hui, je suis couvreur, zingueur, fleuriste… tout sauf boucher-charcutier. [Rires] Mais je constate que quelque chose nous réunit nous tous: la passion, le goût du travail bien fait et l’honnêteté. On ne pense pas au business plan – au contraire de la nouvelle génération ou des entreprises classiques –, gagner de l’argent c’est pour nous la résultante d’un beau produit et de la satisfaction du client.

cm-alsace.fr

Une machine de guerre face à la crise La Maison Luquet

Par JiBé Mathieu Photo Dorian Rollin

Pour Soumia et son mari Simon à Munster, la crise et le premier confinement ont boosté leur activité. « On a eu un bon de 30% quasiment dès les premiers jours.» Dans l’esprit du couple, la raison est évidente: «Les gens ont compris qu’ils allaient rester enfermés chez eux. Puisque cela s’est accompagné du beau temps, c’était parti sur des activités d’entretien de la maison et de jardinage.» L’argument est solide. Et pas vraiment nouveau. Mais de là à supputer une transhumance massive vers son forgeron, il y a tout de même un pas, non ? «On accompagne un phénomène qui ne date pas de la crise: les gens cherchent de l’autonomie dans leur consommation. Ils cherchent aussi à comprendre le monde qui les entoure, à ne pas céder à la facilité en se ruant sur le tout fait.» Une aspiration pleinement intégrée par les créateurs du collectif Wecandoo rassemblant dans toute la France des artisans de tous les métiers qui ouvrent leurs portes au public. Pas uniquement dans l’idée de faire visiter leur atelier et présenter leur savoir-faire, mais bien pour initier les novices curieux et faire participer les gens à l’élaboration d’un produit, qu’il s’agisse d’un sac en cuir, une belle céramique, un parfum ou bien encore… une hache, justement avec Simon! Au total, quarante-cinq ateliers sont proposés dans et autour de Strasbourg et plusieurs centaines dans toute la France. L’expérience utilisateur. Si le mot est très en vogue sur Internet, Soumia, qui a connu une première vie dans la gestion de projet dans le monde des startups à Strasbourg, en est convaincue: cela correspond aussi à une tendance lourde du monde de demain. « S’immerger chez l’artisan pour comprendre par les yeux et les mains comment l’objet qu’ils manipulent est fait.» « Après sa licence d’arts pla, Simon a appris le métier durant deux ans chez un forgeron, grâce à un dispositif de la frémaa. Puis il a travaillé à l’Ecomusée d’Alsace. C’est là que son modèle économique a pris corps, affirme son épouse au parler franc. Jusque-là, cela s’était résumé à un fantasme, celui de forger des outils et des bijoux vikings comme la plupart des forgerons qui arrivent sur le marché. Là-bas, il s’est rendu compte de l’utilité de travailler main dans la main avec celui qui utilisera l’outil, puisqu’il réparait ceux des agriculteurs et des autres artisans de l’Ecomusée.» Aujourd’hui, dans sa forge de 25 m2 Simon restaure bel et bien des outils et en fabrique d’autres. De ceux qui n’existent plus guère dans les rayons de bricolage, mais dont l’utilité n’avait pas échappé aux anciens. Car Simon aime le sur-mesure… « Comme chez Louis Vuitton », s’amuse Soumia, qu’il soit destiné au particulier à la recherche d’un outil ergonomique ou à des labels, à l’instar des Charpentiers sans frontières avec lesquels la Maison Luquet collabore à la restauration de Notre-Dame de Paris. Mais qu’on ne s’y méprenne pas. Si l’idée de favoriser une économie circulaire, une certaine idée de la décroissance, fait bien partie de leur ADN, le couple de taillandiers ne s’inscrit pas pour autant dans la mouvance anthroposophique. « Nous avons un banquier qui nous attend chaque matin. On ne peut pas troquer notre savoir-faire contre des pots de miel!», décrète Soumia. « Dans la vielle culture artisanale, l’artisan avait l’expertise, c’est précisément ce que les gens attendaient de lui. Aujourd’hui, dans leur esprit, le forgeron fait de la lumière et du feu dans une sorte d’animation événementielle. Pour le réindexer dans l’économie actuelle, il faut être sensible à la demande du client, savoir ce qui se trame dehors, mais aussi s’inscrire dans l’air du temps.» Surtout s’agissant des outils de communication, dans laquelle Soumia est passée experte. Quitte à bousculer, parfois. « Nous nous sommes mis à dos énormément de forgerons parce que nous manipulons les outils modernes. Pour eux, des projets comme Wecandoo reviennent à brader leur savoir-faire. À en ôter l’authenticité. Mais quelle authenticité y a-t-il à exercer un métier que l’on oublie, un métier que l’on regarde s’éteindre, sans réagir?» Montée en 2018, sur la base d’une opération de crowdfunding au succès phénoménal, la forge de la Maison Luquet rayonne aujourd’hui depuis Munster. Au point qu’il existe un objet forgé de leurs mains sur chaque continent. «Il y a 48h encore, on me commandait une hache aux États-Unis.» À ce jour, leur plus beau coup est sans doute ce deal avec Ubisoft, l’un des champions mondiaux du jeu en ligne, éditeur d’Assassin’s Creed. «Pour la sortie du jeu, ils nous ont commandé quarante haches uniques destinées à des press kit ultra VIP pour des YouTubeurs et des influenceurs.» À moins que leur percée la plus notable soit à chercher du côté des enjeux sociétaux, relève brusquement Soumia. «Peu de forgerons masculins toléraient ma présence. De leur point de vue, j’étais juste là pour développer la communication de Simon. Du coup, il m’apprend à forger. Je suis son frappeur.» Une amie qui travaille le cuir lui confectionne un tablier de forgeron bleu. Un autre ami photographe publie des photos sur Facebook. «Il y a eu une réaction immédiate. Cette publication a suscité plus de likes encore que la hache d’Assasin’s Creed.» Comme quoi, l’authenticité…

lamaisonluquet.eu

2

Adopte un costume! Atelier La Colombe Rita Tataï 1

Par JiBé Mathieu Photo Simon Pagès

40 ans que Rita Tataï œuvre dans le costume depuis sa boutique-atelier à la configuration improbable. Elle emploie sept personnes et travaille aussi bien pour des particuliers que pour des compagnies théâtrales, des cinémas ou des parcs d’attraction, à l’instar d’Europa Park, sa plus belle commande. L’Atelier de la Colombe a réalisé les costumes de la nouvelle parade, en 2019. En plein dans l’événementiel. Mais la crise a mis ce bourdonnement festif au point mort. «On travaille avec des personnes considérées comme moins essentielles. Même les particuliers sont priés de ne plus s’amuser en reportant leur mariage ou leur anniversaire…», argumente, un peu amère, Aurélie, qui travaille au développement de l’entreprise depuis trois ans. 2020 a été une année particulièrement frustrante. «Les locations ont été annulées les unes après les autres pendant le carnaval, puis est survenu le confinement.» Si le déconfinement n’a pas permis de relancer l’activité, la suite n’aura été qu’une longue et morne plaine. « Halloween, Noël, tout était au point mort!» D’où cette idée de procéder au déstockage de plus de 1 000 pièces. « C’était vital, notre seule rentrée d’argent. Nos costumes retrouvent une nouvelle famille, cela nous a permis de respirer.» Pour s’y retrouver parmi le labyrinthe de penderies et de portants qui tapissent les lieux, mieux vaut être accompagné d’un bon guide. «Cela a suscité beaucoup de rires et d’émotion de tout inventorier, de tout étiqueter… » Des costumes de femmes et d’hommes, quelques-uns pour enfants, dont les prix se sont échelonnés de 25 à 250€. « Cela ne représente parfois qu’un dixième de la valeur du produit», poursuit notre interlocutrice. Un silence. Suivi d’un soupir, puis d’une bouffée d’optimisme. L’opération a été un succès, un tiers des costumes ayant trouvé preneurs. «Nous sommes contents d’avoir eu autant d’adoptants. Certains acquéreurs nous donnent même des nouvelles de nos costumes!», s’enthousiasme Rita Tataï. De quoi mettre un peu de baume au cœur de la couturière, dont les échéances sont sans cesse repoussées. Si cette campagne « d’adoption » aura fait de la place sur les portants, elle aura aussi stimulé la créativité. «Nous essayons de repenser l’atelier d’après-Covid en montant en gamme. Dans notre domaine, on ne peut pas se réinventer dans le numérique!»

atelierlacolombe.fr gehts-in.com

Une arche contre la solitude La CabAnne des Créateurs 2+3

Par JiBé Mathieu Photos Simon Pagès

Il y a cinq ans, Anne Klarer montait dans l’ancienne gare de marchandise de Bischheim (aujourd’hui située sur la commune voisine de Schiltigheim) un tiers-lieu d’un nouveau genre: 400m2 où accueillir celles et ceux qui créent de leurs mains. Tout est parti d’un besoin. Le sien. Après une formation en fonderie d’art, la jeune femme cherchait un lieu à mutualiser. Elle constate alors que ce concept n’existe pas dès lors que le travail requiert du matériel plus lourd ou bruyant; l’idée naissait de créer un espace dédié à la bricole. La CabAnne met à disposition en le louant au mois tout le nécessaire pour «créer, fabriquer, coller ou rénover», qu’il s’agisse d’une perceuse ou d’une ponceuse, d’un four à céramique ou d’une imprimante 3D. Avant que la crise ne fige les énergies, vous pouviez trouver ici en journée graphiste et illustrateur, webdesigner et céramiste, couturière et réparateur de vélo. Bien sûr, la crise a mis à mal bon nombre de ces modèles économiques fragiles. Et si la CabAnne a stoppé ses ateliers, goûters, formations et séminaires d’entreprises et déjà hébergé jusqu’à sept artisans, «là, on est plutôt sur quatre ou cinq», reconnaît sa fondatrice. Fin octobre, la CabAnne a été labellisée «Fabrique de Territoire». Grâce à ce dispositif, Anne voit s’ouvrir de nouvelles portes: «L’idée est de créer une formation longue d’éco-conception numérique afin d’amener les jeunes décrocheurs ou les personnes en reconversion à l’utilisation des outils numériques.» Une aide aussi dispensée à des seniors, pour l’heure mise en sommeil par la crise. Alors qu’elle désespérait de voir ses projets freinés par le Covid, Anne obtient l’autorisation par la Préfecture d’ouvrir gratuitement aux publics fragiles début janvier. Plutôt que d’axer son programme sur les jeunes décrocheurs, elle décide alors d’éviter le décrochage aux étudiants, eux-mêmes marginalisés par la déferlante sanitaire. « Même des médecins m’ont appelée pour me dire qu’ils avaient des jeunes en détresse et que cette aide pouvait réinsuffler de l’énergie… » Des échanges naissent forcément entre étudiants et artisans, notamment durant la pause déjeuner, «comme au bon vieux temps» et malgré le strict respect des gestes barrières. « Ces rencontres redonnent espoir.»

la-cabanne-des-createurs.com

Vente en ligne oui, mais après? Xavier Noël

Par JiBé Mathieu Photo Simon Pagès

Xavier Noël ne passe plus autant de temps qu’avant dans son atelier. «Avec cette crise, c’est compliqué de se remettre au travail, assure l’artiste de 37 ans. Cela fait une dizaine d’années que je suis artisan. Janvier est toujours une période un peu creuse, mais là, nous sommes en février et je n’ai toujours pas retrouvé le moteur.» Passé du métier d’art à la création artistique, Xavier Noël s’est formé via la restauration de cadres chez un Meilleur Ouvrier de France. Après des débuts en enseignement à la fac d’art plastiques, le fait d’avoir constamment le nez dans les bouquins l’assèche. «J’aime avoir les mains dans la matière, c’est pour cela que je suis devenu artisan.» Chez son maître aussi, le doute s’installe très vite. Sans réseau ni débouchés pour se tailler une place dans le milieu fermé de la restauration classique, Xavier Noël assure que «la création artistique s’est imposée». Après avoir ouvert son atelier en 2012, le jeune homme commence à travailler autour du masque deux ans plus tard. « Mon inspiration est très large. On parle de masques traditionnels, pas nécessairement africains, d’ailleurs. Mais je ne fais pas de pastiche et je suis très attentif à la notion d’appropriation culturelle. En réalité, je m’inspire beaucoup de la pop culture (ayant grandi dans les années 1980-1990), une source à laquelle j’ajoute des techniques d’ornementation du XVIIIe siècle. » Si au fil du temps, Xavier Noël a su se constituer une clientèle de particuliers, il travaille aussi avec les centres d’Art. Ainsi, en 2018, l’artiste élabore une grande installation baptisée Solstice à l’abbaye royale de Fontevraud, «un dragon de 45 mètres de long». À partir de mars 2020, il voit les événements sur lesquels il est attendu annulés. «J’ai eu le sentiment de me faire licencier cinq fois ! » S’ensuit une situation économique désastreuse, malgré les aides. «J’ai perdu 78% de mon chiffre d’affaires durant cette période. » À tel point que lorsque survient une nouvelle annulation pour une expo d’envergure prévue à la villa Noailles à Hyères, Xavier Noël se décide à franchir le pas et à vendre en ligne, alors qu’il s’y était toujours refusé. «J’ai demandé conseil à une amie dont la boutique en ligne fonctionnait bien et je me suis lancé. Les outils de e-commerce à notre disposition sur Internet sont très efficaces. Il m’a fallu à peine trois heures pour monter la boutique et organiser une vente éphémère de mes petites pièces. » Une promotion via Instagram et c’est l’effervescence. « En un quart d’heure, j’avais vendu dix pièces. Certaines commandes venaient de Hong-Kong, de Californie ou du Canada. En 24 heures, tout était parti!, se souvient-il avec surprise. Cela m’a convaincu de reproduire ce type d’événement une à deux fois par an. Le fait de concentrer cette activité sur un laps de temps assez court me permet de m’organiser.» Emballer, expédier, suivre les colis requiert en effet une mobilisation de tous les instants. De quoi insuffler à l’atelier de l’artiste une bouffée d’oxygène. «Dans la création, trouver l’inspiration est déjà en soi quelque chose de difficile. Cette crise a un effet anesthésiant. » Pour couronner le tout, Xavier Noël s’est vu notifier l’obligation de quitter son atelier pour la rentrée 2021, le bailleur de son local ayant décidé d’en changer la destination. Un mal pour un bien? À condition de trouver un nouveau lieu approprié. Et que cette crise desserre enfin son étau.

atelierxaviernoel.fr

Nourrir

Michel-Jean Amiel

PÂTISSIER

Par Lucie Chevron / Photos Jésus s. Baptista

Une rencontre, parfois, suffit à chambouler toute une vie. Pour le pâtissier de formation Michel-Jean Amiel, c’est celle de sa femme Caroline, qui deviendra son épouse. Franco-libanaise, elle lui fait découvrir les arômes gourmands de son pays natal. Après de nombreux séjours dans tout le Moyen-Orient, où il transmet les bases de la pâtisserie française et découvre de nombreuses saveurs, le couple rentre définitivement en France. En 2003, la pâtisserie Amande & Cannelle ouvre le rideau, portée par une devise: «l’art d’être différent.» Et pour cause, c’est dans le mariage entre Orient et Occident et la rencontre entre tradition et innovation que le pâtissier excelle depuis maintenant 18 ans. Délicatement disposées dans les vitrines, les cornes de gazelle et makrout croisent les tartes au citron et Paris-Brest. Créateur sans limite, Michel-Jean Amiel conçoit aussi ses propres recettes, mariant avec finesse au sein d’un même gâteau deux univers et leurs saveurs rarement confrontées. Son best-seller du moment? Le Beyrouth, un entremets enivrant et parfumé composé d’un «fond sablé, d’une confiture de framboise, d’un biscuit à la pistache, d’un flan à base de fleur d’oranger, d’eau de rose et de meské, une résine d’arbre cultivée sur l’île de Chios ». Chez Amande & Cannelle, «tout est fait maison et avec des produits nobles. C’est la matière première qui donnera un gâteau de qualité.» Quand il n’achète pas local, il se procure des épices exotiques tout droit importées de leurs pays d’origines. Dans sa cuisine, Michel-Jean abaisse la pâte, cuit à la nappe ou fonce ses tartes avec toujours la même envie, celle de «faire voyager le client vers des arômes inconnus ou pour lui rappeler des saveurs d’antan, celles de sa jeunesse. Chaque pâtisserie raconte une histoire.» Quelle soit curieuse ou plutôt classique, la clientèle en tout cas, est fidèle. Et désormais, chocolats et produits salés sont aussi de la partie. Amande & Cannelle 8, rue du Travail à Strasbourg amandecannelle.fr

Jacqueline Riedinger-Balzer

BOUCHÈRE ET TRAITEURE

Par Déborah Liss / Photos Pascal Bastien

«On peut vraiment avoir une belle carrière dans l’artisanat», estime Jacqueline Riedinger-Balzer en pensant à l’un de ses fils qui l’a rejointe «sur le tard», à 30ans. Une manière aussi de convaincre celle qu’elle était à la fin des années 70: ne voulant pas faire le même métier que ses parents, fondateurs des boucheries Riedinger à Vendenheim puis à Mundolsheim, elle avait entamé des études de droit. Finalement, en rencontrant son mari Charles, boucher, elle s’est dit qu’il serait plus pratique de travailler ensemble. Alors, elle rejoint toute la bande en 1982. «Il a fallu trouver ma place et faire mes preuves.» Elle se retrousse les manches et choisit de se distinguer en prenant également la casquette de traiteure. En 1996, elle prend la direction de l’entreprise, marchant en quelque sorte dans les pas de ses aînées: «Ma grand-mère tenait déjà les rênes de l’entreprise, et ma mère les cordons de la bourse. Mon père a fini par reconnaître que j’avais des talents de dirigeante.» Elle consacre la décennie suivante à faire grandir sa marque, en ouvrant une troisième boutique à La Wantzenau et en rénovant les autres. En parallèle, elle s’engage pour la défense de sa profession en entrant à la Corporation des Bouchers. Depuis 2020, elle est Présidente de la Confédération internationale. Une façon de «sortir un peu de chez soi». La pandémie ayant mis fin aux voyages, elle apprécie le fait d’avoir dû «revenir aux sources» et d’être ainsi plus proche de ses équipes. Et de ses fils, Samuel et Simon, ses futurs successeurs. Elle sait qu’ils feront honneur à ses principes: favoriser le circuit court, produire de la charcuterie plus saine… Mais aussi échanger avec les clients, les écouter, bref, coller aux évolutions de la société. Par exemple en conseillant de manger moins de viande, mais de qualité. Pour Jacqueline, être artisan, c’est s’adapter. Boucherie-Charcuterie-Traiteur Riedinger-Balzer 5, rue du Général Leclerc / Vendenheim 2, rue de la Gare / Mundolsheim 24a, rue du Gén. Leclerc / La Wantzenau riedinger-balzer.fr

This article is from: