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DOSSIER

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REPORTAGE

REPORTAGE

DOSSIER Bulles de savons

Par Sylvia Dubost

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À l’heure où les savonneries artisanales se multiplient et les ventes de savon explosent (plébiscité pour son côté zéro déchet, il s’est récemment hissé sur le podium des meilleurs alliés contre les virus), l’Alsace n’échappe pas au phénomène. La savonnerie Argasol fait figure de pionnière et s’inscrit dans la proximité et l’authenticité, L’Esperluète associe élégance, raffinement et cosmétiques, et d’autres maisons viennent grossir les rangs. Tour d’horizons.

À la savonnerie Argasol à Sainte-Marie-aux-Mines. Photo : Dorian Rollin

Les défricheurs

La savonnerie Argasol

« Au départ, on était des hurluberlus, maintenant on est des notables. » En une seule formule bien troussée, Cathy Mendez résume à la fois le parcours de la savonnerie et l’histoire récente du produit. Avec Lahcène Renanne, lorsqu’ils se lancent dans la production en 2006, ils sont aux avant-postes de la tendance écolo-bio-circuits courts. Comme souvent, il s’agit de combler un vide, d’inventer le produit dont on a besoin et qui pourtant n’existe pas. Lahcène est asthmatique, sa maladie provoque de l’eczéma. Les médecins lui recommandent de se laver avec des savons de pharmacie, «qui ne moussent pas du tout… Je voulais un savon doux et agréable avec seulement quelques ingrédients». Chimiste de formation, avec pour débouché probable l’industrie textile de la vallée de SainteMarie-aux-Mines, puis soudeur et inventeur, récipiendaire de plusieurs prix au concours Lépine, il revient à ses savoirs initiaux et se met à fabriquer son propre savon. À l’époque, les savonniers artisanaux se comptent sur les doigts d’une main. Lui se forme à la technique et aux matières premières un peu partout dans le monde, entre Maroc et Canada. «On sait tout faire quand on veut.» C’est parfois vrai. En même temps, fabriquer du savon n’est pas réellement compliqué. Les vendre, c’est une autre histoire. «Au début, on nous prenait pour des fous, ça ne se vendait pas du tout. » À l’époque du savon liquide en flacon-pompe plastique, les savonnettes sont une relique de grand-mère. Mais il y a quand même une petite demande, une infime brèche dans laquelle s’engouffre Cathy, directrice commerciale. « On en a vendu au marché de Noël de Colmar en 2007, et on a tout de suite fidélisé une clientèle.» Une petite clientèle, qu’il faut élargir. «J’ai fait beaucoup de sas de supermarché, se souvient Cathy, c’était vraiment la galère…» Elle écume aussi les foires et les salons, où il lui faut se battre pour avoir une place. Un premier magasin bio – Univers bio à Ingersheim – leur fait confiance. La marque obtient le label Nature et progrès, le plus ancien et le plus exigeant, qui garantit la qualité des ingrédients, leur cycle de culture, le processus de fabrication comme les conditions de travail. «On a travaillé dur pour l’obtenir… » Les ingrédients sont tous suivis, évidemment, «et le côté humain, c’est important», insiste Lahcène.

En 2016, la savonnerie descend de la montagne pour s’installer dans le village de Sainte-Marie, dans une ancienne église désacralisée où les vitraux baignent l’espace unique d’une lumière chaude et presque irréelle. Aujourd’hui, Argasol emploie entre 17 et 18 personnes, administration comprise, qui fabriquent, conditionnent et commercialisent désormais 22 sortes de savons, contre une dizaine au départ. Deux savonniers, celui du matin (5h-12h) et celui de l’après-midi (12h-19h), fabriquent quotidiennement 300 pièces. «Chacun suit la fabrication de son savon jusqu’au bout», ça c’est le principe, et le processus a gagné en efficacité au fil des années. «Avant on était à trois et on n’en faisait pas la moitié.» Au fil des années, Argasol a ajouté à sa gamme huiles, dentifrice en poudre, shampooings solides, savon à barbe et même le nettoyant multi-usages Qilav’tout, fabriqué à partir des chutes de savon. Des produits aujourd’hui largement distribués, dans de petites boutiques bio comme en supermarché, dans toute la France et à l’étranger. Du haut du balcon, où repose encore l’harmonium utilisé pour la messe, on observe le ballet des employés: à gauche la fabrication du savon et le séchage des grandes «barres» en attente de découpe, à droite le conditionnement. Au fond, la boutique où l’on trouve toute la gamme, et aussi, depuis le premier confinement,

Les beurres de savons doivent durcir 24h avant d’être découpés. Photo: Dorian Rollin

des pochons à savon et un semainier beauté : des lingettes démaquillantes fabriquées elle aussi localement. «Cela permet aussi la continuité au niveau du savoir-faire textile, précise Cathy Mendez, et de faire travailler les gens. C’est vraiment complémentaire avec ce qu’on fait. » Le mobilier, des tables de travail aux étagères de stockage en passant par les petits présentoirs destinés aux boutiques, est entièrement fait maison, dans un petit atelier menuiserie «qui permet aussi de créer de l’emploi ». Ici, malgré le développement, on tient à préserver les valeurs et la simplicité des origines. Lahcène y tient: «On continuera à évoluer, mais on veut garder le côté humain. On embauchera, on ne veut pas de machines.» Le prix du savon témoigne lui aussi de cette volonté: 4,20€ les 140g. « On veut que le bio soit accessible à tout le monde, revendique Cathy Mendez, et proposer un produit qui ait un bon rapport qualité-prix. On veut garder le côté simple et authentique.» Et de rappeler que «certaines personnes âgées font encore la conversion en francs… » Un positionnement qui s’est avéré fructueux. Dans l’allée centrale, des palettes attendent le service de livraison. Sur les étiquettes, on lit Spar de Quiberon, Carrefour bio, l’adresse de La cabane à vrac à Woerth et des lieux mystérieux à Taïwan. «La France a une belle image par rapport à l’artisanat, confirme Cathy Mendez, c’est un gage de qualité. En Asie, nos produits sont précieux.» Au Japon, on apprécie par exemple le côté simple, «pas trop parfumé» des savons. En France aussi, la clientèle a évolué depuis la création de la marque. Si tous les âges sont concernés, Cathy et Lahcène notent un rajeunissement, et une autre attitude. «Des gens qui lisent les compositions, il y en a de plus en plus», sans compter ceux qui utilisent des applis comme Yuka. «Le savon a été remis au goût du jour aujourd’hui car il comporte moins d’ingrédients, moins d’emballage, et est plus économique. Tout cela va dans le bon sens. On accueille ici des groupes pour des visites, qui sont de plus en plus attentifs et réceptifs à notre travail.» Et Cathy de poser le constat: «On a évolué avec les changements d’habitude. » Leur petite entreprise a fait des émules, Lahcène a aidé plusieurs savonniers à s’installer: «Certains clients le sont devenus à cause de nous.» Aujourd’hui, les savonneries artisanales sont légion, mais toutes ne perdurent pas. « Fabriquer, c’est une chose, vendre c’en est une autre», répètet-il. Pas si hurluberlus que ça, Cathy et Lahcène, plutôt une solide combinaison de flair, de ténacité et de sens des affaires. Avec, fruit du hasard ou vision, une sacrée adéquation avec l’époque. «On a un savonnier dans l’équipe qui a 20 ans, conclut Lahcène. Il y a dix ans, c’était impossible.»

41, rue d’Untergrombach à Sainte-Marie-aux-Mines Visites libres du lundi au vendredi de 8h à 12h et de 14h à 16h30 argasol.fr

La fonceuse L’Esperluète

Souvent galvaudé, le qualificatif de tornade est pourtant celui qui décrit le mieux Maud Siegel. «Quand j’ai un truc en tête, je suis un bulldozer.» Il semblerait. Le savon et les cosmétiques, c’est son truc depuis 20 ans, après quelques hésitations au démarrage et des cahots sur la route. Après un bac scientifique, Maud veut faire un BEP diététique pour travailler avec de jeunes filles anorexiques, puis se lance dans la psychologie clinique, qu’elle abandonne en cours de route pour se lancer dans la communication visuelle. Elle y œuvrera en freelance pendant plusieurs années, comme en témoigne le design graphique de ses packagings, qu’elle a évidemment signé. À la base de son parcours dans l’artisanat, il y a, comme souvent, un problème

: Alexis Delon Photos de peau. Sa maman naturopathe lui parle d’huiles, et elle commence à bricoler ses cosmétiques, longtemps avant la tendance. Sur un forum, elle lit que le savon à froid est idéal pour les peaux acnéiques. Son compagnon de l’époque la défie, elle s’équipe en une semaine pour en fabriquer à la maison. « J’ai fait mon premier savon avec de l’huile essentielle d’orange et de la poudre de cacao pour faire un marbrage, que je déteste aujourd’hui. Moi qui étais toujours devant l’ordi, c’était une vraie révélation!» Elle se forme d’abord pour le plaisir, puis de manière pro, lance sa première savonnerie en 2010, se sépare de son associé, et est contactée par une entreprise qui lui passe une grosse commande. Maud crée sa boîte, investit dans un labo. Finalement la commande tombe à l’eau, mais l’Esperluète est née de cet aléa, en même temps (enfin presque) que sa fille. C’était il y a cinq ans, et aujourd’hui, sa marque est en plein développement, « malgré le covid », boostée par ses atouts : packagings élégants, odeurs raffinées et boutiques revendeuses soigneusement sélectionnées. Mais la maman solo conserve une activité salariée, un mi-temps comme directrice marketing dans l’immobilier d’entreprise. Cela ne l’empêche pas d’étoffer une gamme déjà bien complète (des baumes à lèvres jusqu’aux sérums) et même de lancer une 2e marque, Oop, à prix plus modique et destinée aux pharmacies. L’Esperluète, elle, conserve son côté exclusif, auquel elle tient. «J’ai dit non à Naturalia, je sais qu’ils vont finir par serrer les prix. Et ce serait un couteau dans le dos des petites structures qui m’ont fait démarrer.» Ce qu’elle veut développer maintenant, ce sont des actions solidaires (comme les dons de savon à l’association Strasbourg Action Solidarité) ou écologiques, notamment dans les pays de ses fournisseurs. Aider les autres, c’est quand même une constante dans son parcours. Et la RSE, «un pilier important». Elle tient à nous le rappeler. Même si la situation est encore un peu fragile et qu’il va falloir patienter pour certains projets, la formation à la fabrication de savon à Madagascar, d’où proviennent quand même les matières premières… Mais comme elle l’a décidé, elle y arrivera…

lesperluete.com

Le savon selon Argasol

Pour faire du savon, c’est presque simple: il faut de l’huile, de l’eau et de la soude qui va transformer la matière. Le principe de la saponification à froid, c’est qu’on chauffe très peu les ingrédients pour qu’ils conservent leurs qualités, un peu comme en cuisine. Ici, on utilise de l’huile d’olive, d’argan ou de coco, laquelle est «désolidifiée» à 30°C, puis refroidie afin d’atteindre la même température que le combo eau + soude. On mélange, on mixe moins d’une minute («beaucoup mélangent plus longtemps mais cela chauffe les ingrédients»), on coule dans les moules et on laisse reposer une journée. Après la découpe, le savon repose encore. Le truc bon à savoir pour la maison: plus on conserve le savon, plus il se déshydrate, et plus il dure longtemps au moment de l’utilisation.

La sélection Zut

— Le Chat dans l’armoire

Qui? La marque aux belles bougies se recentre désormais sur le savon et les cosmétiques haut de gamme. Quoi? On retient le savon au sel de Méditerranée, riche en minéraux. Disponible notamment chez Curieux? Store et Curieuse! à Strasbourg. lechatdanslarmoire.com

— Savonnerie du Cèdre

Qui? Une entreprise familiale fondée à Kilstett par un frère et une sœur. Quoi? On retient le shampoing solide au rhassoul, élu produit bio de l’année 2020 par le site Bio à la une. savonnerieducedre.com (e-shop)

— Les Prairies du Hang

Qui? La Ferme du nouveau chemin à Bourg Bruche, qui fait aussi auberge et chambre d’hôtes. Quoi? Des produits particulièrement doux à base de lait de juments élevées à la ferme. Disponible à La Nouvelle Douane à Strasbourg.

— Savonnerie Scala

Qui ? Une savonnerie créée en 2014 à Colmar par un ancien cuisinier, Marc Glasser. Quoi? 11 savons, des produits pour la maison et pour les animaux, comme le savon Wouaf wouaf. savonnerie-scala.com (e-shop)

— Chanvréel

Qui? Des aliments et cosmétiques à base de chanvre alsacien, plante aux mille vertus écologiques et agronomiques. Quoi? On aime le baume multi-usages riche en oméga 3 et 6, émollient et raffermissant. chanvreel.fr

— Fun Ethic

Quoi? Des gammes pour ados, jeunes femmes et femmes, avec eau micellaire, crème visage, huile de soin et déodorant. funethic.bio

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