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DOSSIER
from Zut Hors-série — L'artisanat dans l'Eurométropole de Strasbourg et en Alsace #3
by Zut Magazine
DOSSIER La construction bois en forme olympique
Par Fabrice Voné
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La construction à ossature bois est en plein boom. La future réglementation environnementale et la perspective des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024 ont boosté la commande publique. De quoi mettre en lumière l’historique savoir-faire alsacien, malgré un contexte de plus en plus tendu en raison de la hausse du coût des matières premières.
Peut-on prédire un destin olympique à la construction bois? En décrochant l’organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques 2024 à Paris, la France a envoyé un signal fort à cette filière en lui proposant une formidable vitrine à l’image du village des athlètes, qui s’étalera sur 260 000 m2 et sera réalisé à 50% en bois dont la moitié d’origine française. Une partie de ce vaste chantier est assurée par l’entreprise Mathis, basée à Muttersholtz, et qui finalise actuellement l’imposante charpente du Grand Palais éphémère à l’ombre de la Tour Eiffel. Autre fleuron alsacien du secteur, la société Schilliger Bois. Une scierie implantée à Vogelsheim, spécialisée dans la production de bois massif, lamellé-colle et lamellé-croisé et qui se démarque par la production de panneaux de haute technicité. À Urmatt, le groupe Siat, dont l’expertise s’articule autour du bois de construction, du bois d’aménagement et de l’énergie durable à travers la production d’électricité et de granulés de chauffage, est également leader européen dans son secteur. Soit trois sagas familiales, parmi d’autres, qui perdurent depuis le XIXe siècle et témoignent d’un savoir-faire dont l’écorce n’est pas près de se fendre au pied des Vosges. « La construction bois est très utilisée dans le bassin germanique, c’est ainsi que l’Alsace s’est développée, grâce à son domaine de forêts très denses en sapins», rappelle Laurent Braun. Le président de la Chambre syndicale des industries du bois confirme l’embellie du moment et prévoit «des courbes de croissance à deux chiffres » pour les années à venir. Selon lui, outre «les gros qui tirent tous les autres vers le haut», le développement de la filière repose aussi sur son organisation. À savoir la Fibois Alsace. L’interprofession créée en 1995 rassemble aussi bien les sylviculteurs, les charpentiers, les scieurs que les transporteurs et les facteurs d’orgues. Cette entité a favorisé l’émergence de l’Îlot bois derrière la clinique Rhéna à Strasbourg où la tour Sensations, conçue par Bouygues Immobilier et Eiffage en 2019, est toujours la plus haute de France avec ces 146 logements et commerces répartis en trois immeubles de huit à onze étages. Mais la construction bois ne se limite pas aux ouvrages pharaoniques. Loin de là. Le phénomène des tiny houses, importé des États-Unis il y a une dizaine d’années, fait de plus en plus d’émules. L’attrait pour ces petites maisons nomades et écologiques, montées sur roulettes à la manière d’une caravane, a été accentué par la pandémie de Covid-19. Le rêve d’être libre d’habiter là où l’on veut, avec le strict minimum, a tendance à supplanter les façons traditionnelles, et de plus en plus onéreuses, d’accéder à la propriété. Pour autant, peu franchissent le pas en France, où la législation est encore floue sur ce type d’habitat qui dépend davantage du Code de la route que de celui de la construction. À l’inverse, l’engouement est réel pour les maisons individuelles à ossature bois, qui représentent aujourd’hui 11,3% du marché et jouissent de performances environnementales de premier ordre à l’aube de la RE 2020, future réglementation environnementale. Mais la frénésie pour ce matériau renouvelable, réputé pour être un puits de carbone, rencontre aujourd’hui ses premières limites. En raison de bisbilles commerciales avec le Canada, les États-Unis ont jeté leur dévolu sur le marché européen. Entraînant une vertigineuse hausse des coûts des matières premières qui impactent directement la filière locale, obligée de repenser son modèle. Le revers de la médaille, en quelque sorte.
Maisons booa, un jour, une maison
La raillerie reste sans doute le meilleur point de départ à toute success story. Il y a dix ans, Bertrand Burger présentait le premier modèle d’exposition d’une maison booa, déjà bien identifiable par son ossature bois, ses performances énergétiques, sa luminosité et son style résolument contemporain avec son toit plat, sans omettre des possibilités de sur-mesure selon les desiderata des clients. «À l’époque, en Alsace, on nous disait qu’on n’en vendrait jamais », se souvient le président du groupe Burger & Cie, en esquissant un sourire dans son bureau au siège de Lièpvre, chaleureusement boisé et décoré d’originaux de Keith Haring et de Christophe Meyer. En 2011, l’entreprise familiale, fondée en 1847 dans la vallée de Sainte-Marieaux-Mines à partir de l’acquisition d’un moulin transformé en scierie mécanique, cherche à se diversifier. Et à prendre quelques distances avec les enseignes de bricolage de la grande distribution pour lesquelles elle fournit divers produits pour l’aménagement intérieur et extérieur, comme des balustrades ou encore des terrasses. « Il y avait une grande concentration dans ce secteur et nous avions de moins en moins de clients. Cela devenait dangereux pour la pérennité de l’entreprise», poursuit le frère du musicien Rodolphe Burger. La décision est prise de travailler en B to C, c’est-à-dire en direction du particulier, en lui proposant des maisons à ossature bois. Voilà pour l’idée, reste à affiner le concept. Éric Sembach s’en charge. Le publicitaire strasbourgeois trouve le nom de booa associé à un logo où quatre ronds laissent suggérer les anneaux olympiques. La médaille ne se fait guère attendre. « On a eu un développement beaucoup plus important que tout ce qu’on pouvait espérer ou même imaginer», relate Bertrand Burger.
L’atelier de Maisons booa à Châtenois où les éléments des futures maisons sont préparés. Photos : Christoph de Barry
«Comme un Lego®»
Dix ans plus tard, une maison sort chaque jour du site de Châtenois. À savoir un bâtiment tout en longueur avec vue sur les majestueuses forêts du Val d’Argent. Les portes s’ouvrent sur le bureau d’études qui dessine à 100% les demeures finalisées dans l’atelier situé au bout d’un couloir. «C’est comme un Lego® », prévient Jeremy Kirscher, qui guide la visite d’un lieu «dimensionné pour fabriquer 1 000 maisons à l’année». Une grosse agrafeuse commence à découper sur une façade l’espace dévolu aux fenêtres avant que des ouvriers n’apposent manuellement les matières isolantes. Quelques mètres plus loin, d’autres réalisent le bardage. Une équipe s’attaque aux menuiseries et aux finitions. En utilisant la plupart du temps des termes introuvables dans les dictionnaires, comme le fait de «knapper» des murs. Verbe plus ou moins barbare qui désigne leur assemblage final au moment de la pose de la maison qui, généralement, se fait aussi en une journée. Cette dernière étape relève pratiquement de l’événementiel. Il n’est ainsi pas rare que booa convie, via ses réseaux sociaux, la population à assister à ces chantiers éphémères mais non moins spectaculaires. Pour l’heure, la société dispose d’un show-room grandeur nature et à ciel ouvert à Logelbach, entre Colmar et Wintzenheim. Un lotissement composé de 35 maisons hétéroclites, c’est-à-dire pour toutes les bourses, bâties sur les décombres de l’usine Velcorex. Cet assemblage compose un quartier à part entière auquel est récemment venu se joindre une boulangerie. D’autres ébauches s’apprêtent à sortir de l’usine de Châtenois pour des lotissements à Burnhaupt-leHaut et à Mollkirch.
Stratégie de marque
L’entreprise s’est orientée vers une stratégie de marque à partir de ses savoir-faire et de ses capacités de production. Forte de près de 250 salariés, elle vise les 100 millions de chiffre d’affaires cette année pour l’ensemble du groupe Burger & Cie. Un tiers de cette manne devrait provenir de la construction de maisons individuelles à ossature bois qui n’ont absolument pas été impactées par la pandémie. Bien au contraire. «Il n’y a pas de grandes marques nationales dans la construction de maisons, c’est assez surprenant», constate Bertrand Burger. Il raisonne sur le long terme. Tout en songeant à Lou et Paul, ses deux enfants en train de reprendre le flambeau. Outre son style joliment épuré qui fait office de signature, booa se positionne également sur «la garantie de qualité». Car, mine de rien, leurs maisons semblent avoir esquissé une tendance lourde en Alsace et au-delà, au gré des réglementations environnementales. «Des constructeurs se sont mis à faire des copies plus ou moins réussies. Aujourd’hui, on voit plein
La pose d’une maison booa. Photo: Franck Paubel
de cubes de la sorte», indique le dirigeant qui ne conçoit pas de se limiter aux maisons individuelles. Le manque d’espace en milieu urbain et les problématiques environnementales modifient sensiblement la donne. Comme à Hambourg où les élus écologistes ont décidé de rejeter tout nouveau permis de construire pour les maisons individuelles. L’initiative des politiques de la cité hanséatique ferat-elle des émules de ce côté-ci du Rhin? À voir.
Des modules et de la hauteur
En attendant, booa envisage de prendre de la hauteur. «Notre objectif est de nous diversifier aussi bien sur du tertiaire que des immeubles collectifs», révèle Bertrand Burger. Un premier ensemble de plus de 1 500 m2 sur trois étages, accueillant un cabinet d’experts-comptables, devrait bientôt voir le jour dans les environs de Colmar. Sur la base d’un nouveau modèle constructif, plutôt révolutionnaire, et qui bénéficie du soutien de la Région Grand Est. Jusqu’à présent, booa se « contentait » d’assembler des murs entre eux. La prochaine étape concernera des modules entiers. « Pour demain, on veut aller plus loin. C’est-à-dire intégrer le second œuvre en usine puisqu’on a une vraie maîtrise de la qualité», détaille Bertrand Burger. Bonus non négligeable, cela atténuerait les contraintes inhérentes aux chantiers d’aujourd’hui. Pour réaliser un immeuble collectif traditionnel, les travaux s’échelonnent habituellement sur un an et demi. «On peut le faire sur un mois et demi voire deux mois, assure le boss de booa. Avec beaucoup moins de nuisances pour des constructions à économie circulaire. » Autre avantage, ces pièces de puzzle en 3D peuvent être ensuite réaménagées ou démontées en un tour de grue. Promesse d’un avenir radieux ? Pas complètement puisque booa, comme la majorité des acteurs de la construction bois en Alsace, se trouve aujourd’hui confronté à la hausse des prix des matières premières. Du fait d’un déséquilibre structurel entre l’offre et la demande, mais aussi en raison de la razzia opérée par les États-Unis qui s’approvisionnent massivement en Europe. Ainsi, l’entreprise du Centre-Alsace réfléchit à utiliser du hêtre à la place du sapin et de l’épicéa. Quitte à aller se fournir plus loin, jusqu’en Scandinavie ou en Sibérie. D’une vallée à une autre en quelque sorte.
booa.fr
Thomas Walter et Angèle Maillard, Atelier Ordinaire. Photos : Jonathan Mauloubier
Atelier Ordinaire, home sweet dogme
On a d’abord écouté Thomas Walter. Ne serait-ce que via ses projets musicaux à foison: T., Herzfeld Orchestra, Loyola puis Thomas Joseph – ses deux prénoms – dont le dernier album Effortless est sorti en 2019. « Manifeste minimaliste et sensible», lit-on sur le site du label strasbourgeois Herzfeld. La formule pourrait convenir à Atelier Ordinaire, studio d’architecture créé en 2014 auquel contribue Angèle Maillard depuis 2019. «Les règles d’Atelier Ordinaire sont simples: analyser les informations sur le terrain et être dans l’acceptation totale du sol et de l’environnement. Proscrire les matériaux pétrochimiques et travailler essentiellement avec le bois, utiliser des pieux de fondation pour impacter à minima le terrain, assurer l’isolation avec de la fibre de bois et de la ouate de cellulose biosourcées et recyclables, minimiser le chauffage à l’utilisation d’un poêle à bois, cadrer par de grandes ouvertures à châssis fixes des tableaux végétaux, dépressurisant l’espace et offrant une fenêtre vers l’imaginaire», précise Thomas Walter. Né d’un père menuisier établi à Goetzenbruck, diplômé de l’école d’architecture de Strasbourg en 2008, il fait ses gammes à Bâle auprès de JeanFrédéric Lüscher, participant à la transformation de la villa Pierre de Meuron. Aujourd’hui encore, il revendique cet « héritage suisse », alliant la rigueur au dogme. « Mettre une ampoule, ce n’est pas gratuit. » Le tout au bénéfice de l’épure propre aux réalisations d’Atelier Ordinaire en CLT (bois lamellé-croisé qui se présente sous la forme de panneaux massifs) qui leur permet d’aller à l’essentiel. Avant de rejoindre pleinement Atelier ordinaire en 2019, Angèle a œuvré sous le nom de By Spielplatz. En parallèle d’un travail photographique et de set design pour différentes marques et magazines, Angèle et Thomas ont imaginé objets, tables et tabourets. Pensés avant tout pour leurs deux enfants, ils les ont fabriqués en petites séries et sur commande depuis la menuiserie familiale des Vosges, puis envoyés au Japon, aux États-Unis et à travers toute l’Europe. La styliste et photographe Aurélie Lécuyer tombe sous le charme. Au point de leur commander une maison près de Nantes. Avec ses façades recouvertes d’un bardage de bois brûlé, au milieu d’un décor naturel de pins maritimes, la demeure ne passe pas inaperçue sur la toile. Notamment sur Instagram, où Atelier Ordinaire draine 23,2 K d’abonnés. « Construire une maison met beaucoup de choses en jeu. On se retrouve investis dans la vie d’un couple ou d’une famille», souligne Angèle. «Chaque projet est différent, dans le format et le lieu, indique Thomas. Comme si on fabriquait un grand meuble dans lequel on va pouvoir vivre.» Quoi de plus ordinaire? Si ce n’est que le magazine anglais Wallpaper a sélectionné Atelier ordinaire comme l’une des 20 agences internationales émergentes en 2020.
Instagram : @atelierordinaire
Üte, des cabanes à l’âge de la raison
Construire une cabane a toujours été un rêve d’enfant. Ce mythe intemporel est en train de s’inscrire dans le paysage alsacien avec Üte (Hütte, « cabane », en alsacien) qui réunit trois entités locales : la scierie Soller, l’atelier d’architecture Lien d’horizon et l’agence de Jean-Christophe Brua, architecte du patrimoine. Ensemble, ils remportent l’appel à projet «Nano-Habitat et architecture en bois local» initié en 2019 par le Parc naturel régional des Vosges du Nord. Il s’agissait alors d’imaginer une simple cabane de 5m2, comme celles qui vont très prochainement jalonner le GR 53, entre Wissembourg et le Col du Donon, et qui feront office d’abri pour les randonneurs tout en leur offrant des vues d’exception. «Puis on a tâté le marché, trouvant un réel intérêt pour des produits avec une démarche éthique et plus structurés en terme d’habitat», révèle Pierre Marc en charge du développement commercial d’Üte. Trois autres modèles de 12, 20 et 40m2, tous produits en Alsace, sont proposés avec possibilité d’assembler les différents modules entre eux. Le tout avec une majorité de bois alsaciens comme le sapin et le pin Douglas mais aussi du hêtre, du châtaignier et du pin sylvestre. La philosophie d’Üte se rapproche de celle des tiny houses, ces micro-maisons roulantes posées sur remorques censées réduire l’emprise au sol. «Mais on part du principe que tout le monde ne souhaite pas avoir de mobilité dans son habitat.» Ce qui permet à Üte de voir plus haut avec des volumes pouvant aller jusqu’à 6 m sous leur toit pointu. « Cette belle hauteur est connectée avec la nature par le biais d’une immense baie vitrée qui permet de respirer et de ne pas se sentir à l’étroit.» Le module de 40m2 est vendu à partir de 47 300 €. De quoi envisager une enveloppe plus importante en terme de foncier par rapport au coût des constructions traditionnelles. Cette année, douze maisons vont être produites. Les cadences devraient ensuite doubler mais guère plus. «L’objectif n’est pas le nombre produit mais de pouvoir garantir le même degré de qualité sur chaque module, comme pour un projet d’architecte», explique Pierre Marc. Si Üte est soucieuse de l’environnement, elle se préoccupe aussi de ses hommes. Pour ne pas dénaturer «le savoir-faire, la maîtrise et la fierté » des artisans associés à ce projet finalement pas tant dénué d’envergure.
ute-nanohabitat.fr