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Sur le chantier de rénovation de la maison de Cyril et Zoé, l’entreprise Brenner œuvre sur la structure et la charpente.

Rénover plutôt que construire

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Par Corinne Maix Photos Christoph de Barry

Le marché de la rénovation a fait mieux que résister à la crise. Il s’envole. Porté par de nouvelles aspirations pour nos lieux de vie, par des enjeux écologiques et par quelques aides. Comment les artisans ont-ils repensé leurs métiers pour inventer la seconde vie d’un logement?

La grande tendance de l’immobilier

Rénover plutôt que construire. Une tendance qui semble avoir le vent en poupe sur le territoire strasbourgeois et qui résulte de multiples facteurs. Le coût et la rareté du foncier d’abord, qui poussent les accédants à la propriété à chercher des biens à rénover, pour ne pas trop s’éloigner de l’Eurométropole de Strasbourg. «Le poids du foncier est noyé dans le budget global quand on achète de l’ancien, explique Lionel Streicher, gérant de KS Aménagement. Quand on cherche un terrain à construire, le seul budget foncier peut être dissuasif!» S’ajoute à cela une politique d’urbanisme qui lutte contre l’étalement urbain, encourage la protection de l’environnement et milite contre l’artificialisation des sols. Puis une crise sanitaire qui a eu pour incidence, en 2020, de diviser par près de deux les chantiers de construction neuve… Autant de marqueurs d’un contexte qui porte la rénovation à son plus haut niveau. Au-delà de ces caractéristiques, propres aux grandes agglomérations, il faut aussi compter avec une petite révolution sociologique qui pousse les nouveaux accédants à une réflexion écologique quand il s’agit de bâtir leur nid. Ce n’est pas l’étude de l’Ademe, publiée en mai 2020 1, qui les contredira, tant ses chiffres ont fait l’effet d’une bombe: la construction d’une maison neuve individuelle consomme 40 fois plus de matériaux que sa rénovation. Le chiffre atteint même 80 quand on parle de construire un bâtiment de logements collectifs. Un choix pour le moins vorace. « Depuis un ou deux ans, et depuis le Covid, beaucoup ont pris conscience de la nécessité d’une transition écologique en matière de bâti. La demande est portée par les particuliers, mais artisans et fabricants suivent. Nous sommes au début de préoccupations qui vont prendre de l’ampleur! », analyse Lionel Streicher. «Et puis, il faut aussi compter avec une autre tendance de fond: aujourd’hui, tout le monde veut personnaliser son logement. Ce qui est plus facile en le rénovant qu’en construisant du neuf, toujours assez formaté.»

Penser global

En 2020, le marché de la construction neuve accuse une forte baisse, avec 22 000 logements de moins dans le Grand Est (-40%). «L’activité a été portée par la rénovation. Dans le Bas-Rhin, les travaux liés à l’éco-prêt à taux zéro [destiné à financer des travaux de rénovation énergétiques, ndlr] enregistrent une hausse de 40% en un an. On attend aussi beaucoup de l’extension du dispositif MaPrimRénov’, étendue à de nouveaux propriétaires et aux bailleurs, depuis le début de l’année », souligne Jean-Luc Wiedemann, président de la Fédération Française du Bâtiment 67. À l’échelle nationale, avec plus de 20 millions de logements à rénover d’ici 2050, le marché potentiel s’élève à 14 milliards d’euros de travaux par an. Une manne qui demande aux entreprises de travaux et aux artisans d’adapter leur offre aux clients et d’aborder les chantiers autrement. «Les travaux sont plus complexes et requièrent une approche globale pour intégrer la dimension transversale de la performance énergétique des bâtiments. Aujourd’hui, en rénovation, on peut améliorer l’isolation de l’enveloppe, l’efficacité énergétique des équipements techniques, utiliser des énergies renouvelables… Tous les métiers sont concernés et la FFB propose de nombreuses formations à ses adhérents pour répondre aux mémoires techniques, être vigilants sur le choix des matériaux ou se qualifier RGE.» La qualification Reconnu Garant pour l’Environnement oblige au respect d’une charte de qualité. C’est un passage obligé pour bénéficier d’aides pour financer les travaux engagés.

Détails du chantier de rénovation entrepris par l’entreprise Brenner.

Consommer local

La question de la rénovation est sur toutes les bouches. Dans le cadre du plan climat, l’Eurométropole de Strasbourg à un objectif de 8 000 rénovations de logements par an, avec un budget de 50 millions d’euros inscrit sur la durée du mandat. L’Ademe a récemment étudié 2 les conditions techniques d’une rénovation de maison individuelle au niveau Bâtiment Basse Consommation (BBC). Pour les maisons d’avant 1982, un parcours de rénovation performante comprend nécessairement six postes de travaux : isolation des murs, de la toiture, du plancher bas, remplacement des menuiseries extérieures, systèmes de ventilation, de chauffage et eau chaude sanitaire. Elle souligne que la réalisation de travaux de rénovation énergétique, non coordonnés ou partiels, peut conduire à des impasses techniques incompatibles avec une rénovation performante. Pour Maurice Karotsch, président de la CAPEB 67, «les artisans ont su s’adapter à ces nouvelles exigences grâce au label Ecoartisan, car les cahiers des charges sont de plus en plus techniques et fondés des diagnostics précis». Pour ce syndicat, qui fédère les entreprises artisanales du bâtiment, la rénovation représente un marché en plein développement. «Axer toute la politique immobilière sur du neuf, c’est une autre époque! Les artisans ont une carte à jouer sur les chantiers de particuliers, car ils sont soucieux des mêmes résultats: mieux vivre, mieux habiter, rénover en étant plus respectueux de l’environnement. Faire appel à un artisan, c’est faire le choix de la proximité, de la flexibilité, d’une entreprise à taille humaine, d’un conseil et d’un contact client très différents. En Alsace, le tissu artisanal est aussi dense en ville qu’à la campagne, cela profite au dynamisme local. »

1) Ademe magazine – Mai 2020 – Faits et chiffres 2) Ademe magazine – Janvier 2021 –La rénovation performante par étape

Deux appartements rénovés par KS Aménagement. Photos: Stéphane Spach

Points de vue

Lionel Streicher

Gérant de KS Aménagement, filiale de KS Groupe spécialisée dans les travaux de rénovation et d’aménagement

«Notre équipe compte des compagnons plâtriers, peintres, menuisiers, mais aussi des artisans partenaires. Aujourd’hui, la grande majorité des ventes s’accompagnent de travaux d’amélioration du logement et les propriétaires y consacrent, dès le départ, un budget et un délai ! Beaucoup ont pris conscience qu’il n’est plus nécessaire de construire pour avoir un bien qui leur ressemble. On réinvente l’espace pour s’adapter au mode de vie de la famille, on apporte des performances énergétiques, de la domotique, du confort, tout en gardant le charme et la personnalité de l’ancien. Parfois, le budget global est plus élevé que pour du neuf, mais les matériaux sont plus pérennes et la valorisation du bâti bien meilleure! Depuis un an ou deux, les clients nous interrogent sur l’origine des matériaux, ils veulent du local, a minima du français. Plus question de construire une terrasse en bois exotique ; aujourd’hui elles sont en chêne ou en hêtre. Petit à petit, toute la chaîne s’organise, des fabricants aux artisans, et la demande accélère cette petite révolution. Sur le volet de la transition énergétique, en dix ans, l’approche globale du traitement du bâtiment a permis de gros progrès. Hélas, les aides d’État comportent trop de contraintes, des seuils de déclenchement trop modestes et surtout les règles du jeu changent tous les ans. Ces effets d’annonce créent de la déception et masquent la réalité d’un État qui se désengage, alors que la dynamique est là. Les clients n’attendent pas que l’État se substitue à leur portefeuille, mais sont très sensibles à un soutien.» ks-amenagement.fr

Noël Bolidum

Chauffagiste à Wissembourg

«L’entreprise travaille essentiellement sur des chantiers de rénovation, initiés par des particuliers. La plupart espère de réelles économies d’énergie, plus de confort et un retour sur investissement raisonnable. C’est tout à fait possible en rénovation, parce que nous travaillons sur la base de diagnostics précis et que les technologies ne cessent d’évoluer. Dès les années 80, j’ai pris le parti d’abandonner les énergies fossiles. Aujourd’hui, les pompes à chaleur sont à modulation de puissance, le photovoltaïque a de bien meilleurs rendements, les équipements sont connectés et capables de stocker l’énergie quand elle est disponible, pour la redistribuer au bon moment. L’installateur peut assurer la maintenance à distance et le client suivre ses consommations pour mieux les piloter… Cette course à la performance énergétique a fait grandement évoluer notre métier. Il faut cumuler des compétences de chauffagiste, d’électricien et de frigoriste. J’ai formé mes cinq salariés en interne, en suivant de nombreuses formations fabricants, en passant les habilitations… Il faut près de cinq ans pour être totalement opérationnel. J’essaie de travailler avec les corporations et les écoles pour faire évoluer les formations vers nos besoins réels.» bolidum.fr

• MaPrimRénov’, aide de l’État pour la rénovation énergétique, a été renforcée dans le cadre du Plan de relance de l’économie. Critères d’éligibilité et simulateur d’aides. maprimerenov.gouv.fr

• Le réseau FAIRE donne des conseils gratuits, neutres et adaptés à chacun pour ses travaux de rénovation. faire.gouv.fr

• L’aide Habiter Mieux de l’Eurométropole de Strasbourg, pour l’amélioration de l’habitat ancien privé. strasbourg.eu

• L’aide Rénov’ Habitat 67 du Département, pour améliorer le confort énergétique. basrhin.fr

• L’aide Climaxion, portée par l’Ademe et la Région Grand Est, pour les projets de transition énergétique. climaxion.fr

• L’aide du CAUE (Conseil d’architecture d’urbanisme et de l’environnement), pour la sauvegarde du patrimoine alsacien. caue67.com

Les Bonnes Matières

90% des déchets du bâtiment proviennent des chantiers de démolition et de réhabilitation. Pour traiter ces déchets qui ont un impact direct sur la qualité des sols, de l’air et de l’eau, l’association BoMa a décidé, en 2019, de passer à l’action. Elle propose ses services d’ingénierie pour trouver des solutions de valorisation et de réemploi de ces matériaux. À partir d’un diagnostic sur chantier, elle repère les céramiques, les fenêtres, les portes, les radiateurs, les luminaires… qui peuvent être sauvés de la benne. Puis elle fournit au démolisseur les consignes de tri et les entreprises de collecte qui pourront débarrasser leur chantier à moindre coût et moindre impact environnemental. Elle réalise aussi des opérations de collecte plus ponctuelles, pour sauver des matériaux qui passeront directement d’un chantier à un autre. Pour aller au bout de sa démarche d’économie circulaire, BoMa a ouvert en janvier un magasin de vente pour les particuliers. On y trouve des matériaux de réemploi, mais aussi des fins de stock de produits neufs, issus de fournisseurs locaux, qui se préparent à l’obligation de ne plus détruire leurs invendus. Carrelage, papiers peints, peintures, sanitaires… Seuls les prix sont cassés, avec des étiquettes qui ne dépassent pas 25 à 30 % du prix initial. boma.alsace L’entreprise Brenner de Hochfelden rénove des maisons alsaciennes depuis 40 ans. Pour nous initier à ce savoir-faire unique, Stéphane Duchossois, son nouveau patron, nous donne rendez-vous à Melsheim, à quelques kilomètres de là. Cyril et sa compagne Zoé, 27 ans, sont les jeunes commanditaires de ce chantier de rénovation.

Dès la première visite, ils sont tombés amoureux de cette ancienne ferme, composée d’une maison et d’une grange à colombages. « La vigne qui court sur la maison, la cour où l’on se sent comme dans un cocon et les deux corps de bâtiments, nous ont séduits, autant que l’histoire de cette ferme, où s’étaient accumulés des morceaux de patrimoine alsacien. Ayant vécu dans une ferme, je savais où je mettais les pieds», explique Cyril. Zoé, elle, a tout de suite vu le produit fini. «Nos amis nous ont traités de fous, alors qu’on est juste motivés par l’idée d’une maison qui nous ressemble! » Après trois mois de vidage des lieux et de déconstruction, qu’ils ont assumés eux-mêmes – à grands renforts de bonnes volontés – pour économiser leur budget, ils sont rejoints par l’équipe Brenner vient d’investir la cour pour mener de front deux chantiers: conforter la structure en bois de la grange mise à nue et refaire une nouvelle charpente sur la partie habitation. L’entreprise artisanale ne travaille qu’avec des bois et des tuiles de réemploi, issus de la déconstruction de maisons alsaciennes. Dans son atelier de menuiserie, les poutres sont déclouées, brossées puis stockées, jusqu’au jour où elles trouveront le chantier idéal. « La sélection des bois fait partie de notre savoir-faire. Nous sommes les seuls à gérer toute la chaîne,

L’équipe Brenner sur le chanter de Cyril et Zoé. Photo: Christophe de Barry

pour un résultat vraiment authentique», explique Stéphane. Pour Steeve Faller, son chef d’équipe, « il faut compter dix ans pour connaître pleinement ce métier. Savoir écouter le bois, respecter les codes de chaque maison, aussi bien pour l’aspect du colombage que pour le respect d’une harmonie d’ensemble ». Pour rénover la maison à leurs goûts, Cyril et Zoé ont pris le parti de mettre en valeur tout ce qu’ils pouvaient conserver. Pour Stéphane, qui a construit luimême sa maison alsacienne durant cinq ans (avec l’aide de l’entreprise Brenner, dont il fût d’abord client), «il faut s’adapter aux attentes des clients, qui veulent décloisonner l’espace pour gagner en luminosité, apporter de l’isolation par l’intérieur. Avec un peu d’ouverture d’esprit et de savoir-faire, on peut obtenir quelque chose de très confortable à l’intérieur, sans dénaturer l’aspect traditionnel de l’extérieur. » Ce chantier prévoit d’ailleurs la rénovation de la toiture avec des tuiles biberschwanz (tuile alsacienne) et la taille d’un nouveau colombage pour habiller le dernier étage de la maison. Côté grange, Zoé rêve d’un espace de stockage, de shooting photo et de préparation de commandes pour son activité de prêt-à-porter. Après avoir redressé et conforté la structure du colombage, l’équipe remplace actuellement les solives (qui reposent sur les colombages) et pose des chevrons neufs pour accueillir la nouvelle toiture. À l’étage, tout l’espace a été dégagé pour obtenir un bel espace cathédrale. Un nouvel escalier, taillé sur-mesure, permettra l’accès à l’étage par l’extérieur, apportant un cachet supplémentaire à cette ancienne grange. Dans les 150 m2 de la partie habitation, les murs seront isolés par l’intérieur avec de la laine de bois, un poêle et une chaudière à granules de bois viendront réchauffer l’atmosphère. Seules concessions à la modernité, de larges baies vitrées percées côté cour et une installation domotique, dissimulée dans les nouvelles cloisons. «On apprécie de travailler avec un artisan, qui n’est pas juste là pour faire un devis. Ils savent exactement quels styles de rambardes, de poteaux ou de colombages choisir pour notre projet. Ils sont très pédagogues et nous incluent pleinement aux travaux.» Après une reconversion professionnelle et deux ans de chantier, Stéphane est bien placé pour parler de la complexité de ces gestes qui se transmettent d’homme à homme. «On utilise des procédés qu’on n’apprend plus à l’école! Rien n’est industrialisé, tout se fait à la main. La rénovation d’une maison à colombages passe par un gros travail préparatoire en atelier. Après déconstruction et rénovation, chaque façade de colombages est d’abord montée à plat, au sol. Puis les pièces sont numérotées selon une méthode ancestrale. Bien souvent, après un mois de travail en atelier, quatre jours suffisent pour assembler les façades sur place, telles un jeu de construction.» Il peut même arriver que l’on déplace une maison, comme ils l’ont fait l’an dernier, 15 kilomètres plus loin. Un déracinement qui ne risque pas de tenter les nouveaux propriétaires de Melsheim, séduits par l’environnement rural de leur village d’adoption. «Les voisins voient notre projet d’un très bon œil. Ils sont curieux du résultat et heureux de voir cette ancienne ferme reprendre vie, sans perdre son authenticité. Nous espérons emménager au début de l’automne, après moins d’un an de travaux. Avec un investissement de 360 000 €, nous aurons 300 m2, façonnés à notre image.» Un lieu pour vivre, pour travailler, pour agrandir la famille et entretenir sa passion de la restauration de véhicules anciens. Qui a dit qu’il fallait être fou pour se lancer?

Brenner Tradition, rénovation et création de maison à colombages brenner.fr

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