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Médecine
from Zut Strasbourg n°48
by Zut Magazine
La Cité—Sciences Depuis une dizaine d’années, la méditation a le vent en poupe. Dans les hôpitaux, les entreprises et les écoles, il n’est plus rare de trouver cette pratique d’intériorité, issue du bouddhisme, pour accompagner la douleur, stabiliser l’attention ou réguler les émotions. Des bienfaits scientifiquement validés par de nombreuses études. Mais alors, que fait réellement la méditation au cerveau ? Le point avec Jean-Gérard Bloch, le médecin strasbourgeois qui a fait rentrer la méditation à l’hôpital et à l’université. Par Chloé Moulin / Photo Brokism
Le corps et l’esprit
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Comment un rhumatologue strasbourgeois s’est-il retrouvé à méditer à l’orée des années 2000 ?
Jean-Gérard Bloch : Dans le cadre de mes études de médecine, j’avais l’impression que les savoirs étaient très cloisonnés, le corps séparé de l’esprit, la personne séparée de son environnement. Je cherchais donc à intégrer une composante d’intériorité et à réunifier ces savoirs. La méditation m’a beaucoup apporté, au niveau personnel comme dans ma relation aux patients. En 2010, j’ai ainsi introduit aux Hôpitaux universitaires de Strasbourg le programme MBSR [réduction du stress basé sur la pleine conscience, développé en 1979 par le biologiste américain Jon Kabat-Zinn, ndlr]. La méditation joue un rôle dans la façon de faire face aux maladies graves, dans la prévention des maladies chroniques, elle apporte beaucoup aux soignants dans leur relation aux patients et dans la prévention du burnout qui les touche particulièrement.
Vous créez en 2012 à l’Université de Strasbourg le premier diplôme universitaire français à porter sur la méditation puis, en 2014 et en 2016, des modules d’enseignement de la méditation auprès des étudiants en psychologie et en médecine. Était-ce une évidence pour les soignants et les enseignants ?
Il a fallu un peu convaincre. Et c’est compréhensible parce que la méditation implique des connaissances dans des domaines très variés. Elle touche aux sciences cognitives, aux neurosciences, au fonctionnement du corps et de l’esprit… Cela bouscule le dogme de séparation entre le corps et l’esprit, où on considère l’être humain et sa santé à l’aune de problèmes d’organes. Il a d’abord fallu offrir une lisibilité claire de ce qu’est la méditation et de ce qu’elle peut apporter. Petit à petit, ces approches ont gagné en considération, dans le domaine de la santé comme dans la société. Ce développement pose aussi question dans ce qu’il reflète du fonctionnement de notre société, avec une certaine marchandisation des savoirs.
Ce dernier point questionne. En 2020, vous créez le DU « Leadership, méditation et neurosciences » à l’EM Strasbourg, une école de commerce. On pourrait penser que la méditation consiste à s’extraire du monde et de sa logique productiviste. Comment conciliez-vous ces deux réalités ?
Je suis aussi engagé dans l’Initiative Mindfulness France, think-tank au sein duquel je propose des programmes MBSR aux parlementaires de l’Assemblée nationale. Ce qui a été fait à l’Université de Strasbourg d’une part, avec les politiques d’autre part, m’a convaincu que l’on pouvait transposer ce modèle dans le monde de l’entreprise. Il y a un intérêt à permettre à des dirigeants d’intégrer cette démarche de prise de recul. La méditation peut les aider à sortir de
l’hyperactivité du quotidien et de se réinterroger sur l’organisation de leurs entreprises, sur leur rôle sociétal aussi. C’est réinterroger les dogmes de l’économie. C’est une démarche d’humilité, de lucidité, des valeurs dont ne doit pas être exempte l’entreprise.
Vous parlez de régulation attentionnelle et émotionnelle : que fait la méditation au cerveau pour qu’on observe de tels bienfaits ?
On a des données scientifiques très solides. On sait que la pratique répétée de la méditation a un impact sur la structure physique du cerveau, d’abord, avec des zones impliquées dans les régulations émotionnelles positives qui augmentent de taille, et des zones impliquées dans des fonctionnements fondamentaux de peur qui diminuent de taille. On observe aussi des transformations au niveau de mécanismes qui soustendent l’attention. L’attention est un domaine d’intérêt majeur, parce que si notre réponse de stress nous a permis, au cours de l’évolution, de survivre en réagissant vite et fort à des dangers mortels, des restes de ce cerveau primitif provoquent aujourd’hui des réactions pas toujours adaptées. Avec la pratique de la méditation, les mécanismes de l’attention se régulent et permettent d’être moins victimes de ces automatismes inconscients.
On retrouve cette régulation au niveau de ce qu’on appelle le réseau par défaut. Certaines zones du cerveau forment un réseau qui fonctionne en permanence, dont on retrouve l’activité en IRM fonctionnelle : c’est le vagabondage mental, une espèce de brouhaha dont on prend conscience dès qu’on ferme les yeux et qu’on essaie de ne rien faire. Il consomme beaucoup d’énergie et brouille les messages. Chez les personnes qui méditent, il est bien moindre. Sa diminution développe la capacité d’être plus lucide, de mieux discerner ce qui est important et ce qui, dans le corps, nous alerte sur le fait qu’on rentre dans un mécanisme de réactivité et de stress.
La méditation a-t-elle des effets dans le corps, au-delà du cerveau ?
La méditation a des effets très signifiants sur nos télomères, nos horloges biologiques situées à l’extrémité de nos chromosomes. Plus elles rapetissent, plus notre espérance de vie diminue. On sait que le stress accélère leur diminution et que la méditation la ralentit. Elle a donc un effet sur notre espérance de vie.
Autre domaine avec des impacts importants : l’épigénétique. Nos gènes, impliqués dans la fabrication des protéines, présentes dans toutes les cellules, peuvent être conditionnés par l’environnement et les conditions de vie – l’alimentation, le sommeil, le stress, les pensées positives et négatives… On pense que la méditation a une influence sur les gènes qui codent la fabrication de protéines impliquées dans l’inflammation. Cela nous donne des pistes pour les maladies inflammatoires et les douleurs chroniques.
Voilà ce que peut viser tout un chacun en pratiquant la méditation. Avec une petite réserve : la méditation, c’est comme le running. Si vous courez une demi-heure tous les dimanches, cela transformera peu votre santé physique, si vous le faites tous les jours, les effets seront plus prononcés.
pleineconscience-mindfulness.fr