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Le dossier Le beau avant le bon

La Table—Le dossier L’art de la table. Ces dernières années, à table, comme dans l’assiette, c’est l’épure qui prime. Exit l’opulence, les nappes et les chichis, bonjour les ustensiles chinés, la céramique du coin et la simplicité. Élégante sans être clinquante, la table célèbre enfin

le produit, juste le produit. Par JiBé Mathieu et Cécile Becker / Photos Christophe Urbain

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Le beau avant le bon

Inventaire à la Prévert des objets perdus (de gauche à droite)

En haut • Pince à sucre • Cuillère pour bébé en os • Pousse purée • Pic à pickles • Cuillère à absinthe • Couteau à pamplemousse

En bas • Cuillère à mœlle • Hatelet (pic à viande garni de fruits ou de légumes) • Pince à côtelettes d’agneau • Épluche orange • Cuillère à médicaments • Fourchette à sardines • Pic à fruits secs

Sur la table

Pour Pascal Obrecht, enseignant « l’art et la manière de servir à table » au lycée hôtelier Alexandre-Dumas, Meilleur Ouvrier de France depuis 2007, les arts de la table englobent tout ce qui touche aux sens : de la vue, le plus évident avec l’accueil et le décor, jusqu’au toucher – songez au grain d’une nappe ou au buvant d’un verre – en passant par l’olfactif avec la décoration florale… ou sonore. Le professionnel de se remémorer ce chef étoilé ayant fait concevoir sur mesure des tables en pierre de lave. D’abord appréciées pour leur aspect brut, elles ont finalement été nappées après s’être révélées, à l’usage, beaucoup trop… bruyantes !

« Dresser une table… » Au Moyen Âge, l’expression signifiait littéralement poser une planche sur des tréteaux. On vous parle là d’un temps où chaque convive était muni de son propre couteau – la fourchette n’ayant quitté la cuisine pour s’inviter à table qu’à la Renaissance avec Catherine de Médicis – et où l’assiette était un tranchoir, autrement dit, une épaisse tranche de pain imbibée de sucs à la fin du repas ! « Les restaurants tels que nous les connaissons se sont développés après la Révolution. Jusqu’à il y a 30 ans, le dressage était relativement uniforme. » Et d’inspiration avant tout bourgeoise. Tout le contraire d’aujourd’hui où piqués par la concurrence, les restaurants rivalisent d’inventivité pour livrer leur version du beau avant même l’arrivée de l’assiette : tables de bois brut ou, au choix, recouvertes de nappes plongeantes, mais aussi de chemin de tables ou de sets… Des codes unanimement bousculés côté vaisselle : couverts disposés dans une boîte chez Umami, assiettes réalisées par des artisans céramistes… ou côté service avec le retour, dans certains établissements, de la découpe voire de la cuisson en salle. « Aux Semailles à La Wantzenau, j’ai assisté à la cuisson d’une langoustine sur un galet du Rhin. » Chaque nouveauté, aussitôt colportée par les réseaux sociaux, devient d’autant plus éphémère qu’elle est immédiatement copiée. Aujourd’hui, toutes les tendances cohabitent et s’interpénètrent, cherchant à susciter la curiosité. « J’ai déjà vu des restaurants où l’épure était telle qu’il n’y avait qu’une serviette sur la table. » Pour Pascal Obrecht, dresser revient à faire une table agréable à l’œil, mais aussi pragmatique. « Les couverts en argent ont peu à peu quitté les tables lorsque les restaurateurs se sont aperçus qu’ils disparaissaient avec le client ! » Il suffit d’un simple coup d’œil sur sa collection personnelle pour aussitôt le déplorer. Tant les orfèvres par leur talent, mariaient l’utile et le beau.

Échalote confite dans sa propre peau au four, puis cuite sur un barbecue Binchotan. L’échalote est ensuite laquée d’huile de colza et accompagnée d’une crème glacée noisettes du Piémont et échalotes. On verse ensuite une sauce miso montée comme un beurre blanc.

L’assiette du Buerehiesel

Compression de poireau brûlé, grosses coques marinières, mousseline de poireaux iodée et vinaigrette à la mandarine mikan.

Dans l’assiette de de:ja

La construction

David Degoursy et Jeanne Satori construisent leur dressage en même temps que leur recette, pour eux, l’un ne va pas sans l’autre. L’idée est davantage de se concentrer sur le produit et d’une certaine manière, de faire disparaître tout le travail en cuisine. Les assiettes sont achetées en fonction des plats et dressages.

Leur truc

« On aime les plats en mono-texture et les produits dont les couleurs sont très proches. On recherche la pureté, la neutralité. En général, les aliments ont la même hauteur et sont traités de la manière la plus brute possible. En fait, le dressage annonce l’harmonie des saveurs que l’on recherche en bouche. On se considère plus comme des passeurs de produit mettant en valeur le travail des paysans. Il nous arrive tout de même de dérouter nos clients avec quelques éléments, par exemple en amuse-bouches, où tout est déconstruit. »

Notre avis

Chez de:ja, l’esthétique se vit jusqu’au bout des ongles. Leur dressage est construit en symbiose avec le décor du restaurant, minimaliste, et est même raccord avec la manière dont le couple s’habille: cols mao, sobriété et camaïeu de couleurs…

1, rue Schimper deja-restaurant.com

Dans l’assiette du Buerehiesel

La construction

Ici, les assiettes sont le fruit d’une réflexion collective. Éric Westermann, le chef, et le trio de tête Fabrice, François et Paul. « Moi, je suis juste l’empêcheur de tourner en rond », précise Éric. Pour eux, c’est d’abord le goût, l’assaisonnement et la cuisson. Le dressage est donc une étape pour « mettre en scène » et doit renseigner sur le goût.

Leur truc

« Je vais être bien plus marqué par le goût que par l’apparence. Les wagons d’herbes, les germes… bon… À trop vouloir compliquer, on perd le sens. J’écarte le cinéma pour aller à l’essentiel. Mais ce n’est pas minimal non plus, on se donne du mal, on s’applique sur les détails. Le but étant de concilier toutes les composantes d’une assiette. »

Notre avis

La brigade qui s’active en cuisine donne le ton. Le dressage vient servir le plat et doit aller droit au but. Il y a aussi un aspect pratique : pas de décorum inutile, c’est la cuisine qui compte et l’aspect pratique des ustensiles et assiettes. Un ballet bien rôdé célébrant une éloquente élégance.

RIS TORANTE PIZZERIA

PIZZA

& CUCiNA iTALiANA

16 RUE SAINT ALOISE

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