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édito
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Mise en abysses
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Par Michel Vino
l n’y a pas si longtemps (à l’occasion du dernier festival de Cannes en date, NDLR), une association éco-citoyenne a décerné la « palme de la pollution en Méditerranée » à « une poubelle au fond de la merpoubelle », en l’occurrence à un conteneur à ordures gisant au fond de l’eau au large de Saint-Jean-Cap-Ferrat. Une mise en abîme selon ce procédé artistique qui consiste à représenter une œuvre dans une œuvre similaire, un film dans le film... pour dénoncer la terrible problématique de nos déchets sur et au fond des mers. Un monde marin que votre free magazine archi, design et urbanisme, Influences, s’en est allé justement questionner de son regard prospectif pour un numéro exceptionnellement rafraîchissant, placé sous le signe de l’eau, et afin de révéler l’incommensurable richesse de cet univers vital, s’il en est, mais encore largement inexploré. Mais comme nous savons (de Marseille) aussi garder les pieds sur terre, nous nous sommes permis également une plongée à l’ombre bienvenue de réalisations de bon ton et d’expositions de saison tombant à pic pour éclairer nos golfes clairs et bords de mer. Embarquement immédiat pour notre odyssée balnéaire et gratis de l’été !
Influences est une publication des Editions Bagatelle 19, avenue de Delphes 13006 Marseille Service commercial : 09 81 80 63 79
Rédacteurs en chef : Julie Bordenave - j.bordenave@8e-art-magazine.fr & Michel Vino - m.vino@8e-art-magazine.fr
Directeur général : Nicolas Martin n.martin@8e-art-magazine.fr
Ont participé à ce numéro : Joël Assuied, Olivier Levallois, et Olivier Pisella.
Directeur de la publication : Frédéric Guerini f.guerini@8e-art-magazine.fr
Conception graphique et direction artistique : Jonathan Azeroual - j.azeroual@8e-art-magazine.fr
Conception/Réalisation : ZAC St Martin - 23, rue Benjamin Franklin 84120 PERTUIS - Tél. 04 90 68 65 56 En couverture : la tour CMA CGM à Marseille en visite exclusive
sous l’objectif de notre photographe Joël Assuied.
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INFLUENCES 08 ombre et lumière 10 Fondation Van Gogh :
la patte de Fluor
12 La villa Gandarillas sauvée des eaux 14 Zétaient chouettes les villas
du bord de mer
16 Kiosque lyrique fondant à souhait 18 Calligraphies camarguaises
en clair-obscur
32 L’eau, matériau 34 L’architecture qu’on voit
se dresser le long des golfes clairs 38 Jeux de jets
40 Eau et design à tous les étages 41 Eau de mer : chauffe Mucem !
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20 Saisonniers de l’art 22 De profundis
24 Plongée océanique au Muséum
25 Le champ envoûtant des sirènes 26 Musique pur port
28 Utopies artistiques aquatiques
30 Surfer sur la vague mécanique à Nantes
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20 000 lieux sous les mers 44 Jacques Rougerie
en profondeur 48 Une œuvre au long cours 50 Des projets à faire
fondre la glace 52 Urbanisme maritime 54 Une réplique
à remonter le temps 56 La mer a droit de cité
à Marseille
portfolio 60 La tour CMA CGM du haut
de ses 147 m
utopie 70 Brasília, utopie avortée
carnet de voyage 72 Le Maghreb sous le trait
de Le Corbusier
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Profiter
des
zones
D’OMBRE
© Jean-Christophe Moine
Irrigués par le soleil estival méridional, architectes, artistes et photographes nous éclairent à force de contrastes sur ce qu’il convient aussi de découvrir de l’envers du décor urbain quand quelques faces sombres s’illuminent.
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FONDATION VAN GOGH : LA PATTE DE FLUOR Dans la cité arlésienne, Fluor architecture a brillamment transformé l’ancienne banque de France pour y loger la fondation Van Gogh dans son nouvel écrin. Visite guidée. Par Michel Vino
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isparus, les locaux tristes et austères de la banque de France ! A Arles, l’ancien hôtel particulier du XVe siècle où cette dernière avait longtemps été installée, a été radicalement transformé. Le bâtiment abrite désormais la fondation Vincent Van Gogh, dédiée à l’illustre peintre hollandais qui, au zénith de son art, produisit en terre provençale ses plus grands chefs-d’œuvre. Ce nouvel équipement culturel est d’ailleurs situé non loin du Rhône, entre la place du Forum et le pont de Trinquetaille, sujets de quelques-uns de ses tableaux. C’est le duo d’architectes Guillaume Avenard et Hervé Schneider qui signe cette métamorphose. Les deux associés avaient déjà réaménagé, dans la cité arlésienne, le théâtre antique, et réhabilité un ancien couvent en hôtel d’entreprises. Pour cette nouvelle réalisation en date, Fluor architecture, puisque tel est leur nom collectif, a encore fait fort. Ils ont réhabilité ces locaux qui ne s’y prêtaient guère à l’origine, en fondation d’art contemporain digne de ce nom, avec espaces d’exposition, billetterie, librairie, bureaux et ateliers d’artistes notamment. La principale qualité de leur réinterprétation, c’est de s’effacer pour mettre en scène les œuvres d’art afin de mieux ressurgir dans d’autres espaces offerts et laissés libres, à l’image des nombreuses terrasses dont est doté l’édifice. « En référence à la relation singulière du peintre aux extérieurs et à la lumière naturelle, le projet se joue des terrasses en cascade du bâtiment pour y installer une topographie, un paysage. En opposition, l’intérieur est une page blanche, un lieu d’expression neutre pour les œuvres existantes et à venir », expliquent les architectes. Ornementées de petits édicules en bois, un peu à la façon des ajouts contemporains opérés par ces mêmes architectes sur le proche théâtre antique, les terrasses en question valent toutes trois qu’on s’y attarde. La plus haute offre une petite vue sur le Rhône et sur les toits de la ville et de ses monuments. L’inLa lumière arlésienne, muse indissociable
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En référence à la relation singulière du peintre aux extérieurs et à la lumière naturelle, le projet se joue des terrasses en cascade du bâtiment pour y installer une topographie, un paysage.
termédiaire recèle un intrigant dispositif de puits de lumière recouvert de bois, ondulant à la surface et filtrant les UV qui pénètrent dans la grande salle d’expo située en dessous. Enfin, tout en sobriété, la terrasse de plain-pied, au sol boisé et protégée d’une grande toile blanche, mérite aussi d’être appréciée. L’ancien hôtel particulier est ainsi totalement traversé par la lumière arlésienne – muse indissociable du peintre à l’oreille coupée –, et disposé tel qu’aurait pu l’être cet atelier du Midi que Van Gogh rêva de créer en son temps dans cette région. Cerise sur le gâteau, l’ajout contemporain de la façade et entrée principale : boîte entièrement vitrée abritant à l’étage la librairie et sous laquelle on passe pour accéder au hall d’accueil, elle est magistralement coiffée de vitraux dichroïques et kaléidoscopiques, dont les tons varient avec la course du soleil ! En fait, une installation artistique de Raphael Hefti, qui a étroitement collaboré pour cela avec les auteurs de cette restructuration à découvrir.
© Hervé Hôte
© Kristin S.
© Kristin S.
Installation artistique sur un toit brûlant...
VAN GOGH LIVE Outre quelques-uns de ses chefs-d’œuvre, dont la Maison jaune ou le Zouave pour les plus fameux, la Fondation Vincent Van Gogh Arles a vocation à héberger les œuvres et installations d’artistes plus contemporains, ou d’autres peintres reconnus en lien avec l’influence que Van Gogh a pu exercer sur eux et inversement. L’exposition baptisée Van Gogh Live, présentée jusqu’au 31 août, comporte ainsi deux volets : une exposition de toiles du maître et d’autres peintres intitulée « Couleurs du Nord, couleurs du Sud » d’une part, et plusieurs installations d’artistes contemporains d’autre part. Débordante d’imagination, la vision du Suisse Thomas Hirschhorn de l’atelier d’une jeune Japonaise complètement obsédée par les mangas et le grand peintre, vaut en particulier la visite.
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LA VILLA GANDARILLAS SAUVÉE DES EAUX Réhabilitée par l’équipe de l’architecte Patrick Bouchain, la villa Gandarillas hébergera bientôt un atelier de mode et de design. Un nouveau lieu dédié à la création, à deux pas de villa Noailles, à Hyères, dans le Var. Texte et photo : Joël Assuied
Lors d’une visite du bâtiment, l’architecte Patrick Bouchain expliquait que la plupart du temps, c’est une simple reconstruction à l’identique qui est choisie pour réaliser la restauration d’un bâtiment de ce type. Mais cette solution, qui implique d’utiliser les matériaux d’origine, n’était pas réalisable ici, compte tenu du budget réduit alloué à l’opération (450 000 euros). L’équipe d’architectes a alors élaboré un projet de restauration à la fois ambitieux, économique et original : la construction gigogne. Le principe est simple, mais il fallait y penser : réaliser un bâtiment dans le bâtiment ! Séduit par cette proposition, l’architecte des bâtiments de France a finalement donné son aval. Ce nouveau bâtiConstruction gigogne
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© Joël Assuied
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a villa Gandarillas, ou château Saint-Pierre, est une vaste bâtisse construite sur le point culminant de la commune d’Hyères, à 200 mètres à peine de la villa Noailles. Ses murs recèlent les mémoires de ses illustres propriétaires successifs depuis 1920 : une riche comtesse belge, une écrivaine américaine, un dandy argentin, puis la vicomtesse Marie-Laure de Noailles, avant que la ville de Hyères ne s’en fasse l’acquéreur. Longtemps à l’état de ruine, sa réhabilitation a été l’enjeu d’âpres discussions. En effet, l’architecte des bâtiments de France proposait deux solutions sans autre recours : la remise en état dans sa forme d’origine, ou sa destruction. Faute de budget suffisant, cette dernière avait été ordonnée et les travaux de démolition entamés. C’est alors qu’une équipe de passionnés, comptant l’architecte Patrick Bouchain comme chef de file, a agi pour sa sauvegarde in extremis. Un an de longues et difficiles négociations fut nécessaire afin d’obtenir l’aval des autorités pour le projet présenté. Projet pour le moins original qui consistait à restaurer cette ruine sans y toucher ! Comment est-ce possible ?
ment, autoporteur, vient donc s’emboîter dans la ruine – dont les murs ont été stabilisés et consolidés – en laissant un vide de quelques dizaines de centimètres entre les deux constructions. Cette double enveloppe de pierre protège ainsi le nouveau bâtiment d’un soleil très présent dans cette région, tout en le laissant respirer grâce aux ouvertures occultées par de simples rideaux de canne de Provence. Le magnifique camaïeu de bleus qui recouvre désormais les murs intérieurs de la ruine donne une personnalité assez particulière au lieu, qui a été choisi pour héberger un atelier de prototypage dédié à la mode et au design. Le nouvel équipement a été inauguré le 4 juillet dernier.
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ZÉTAIENT CHOUETTES LES VILLAS DU BORD DE MER
© Louis-Philippe Breydel
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Plusieurs expos photo ont remis à la lumière dans notre région des villas balnéaires du passé qui, toujours étonnamment modernes, méritent à ce titre de ressortir de l’ombre. Arrêt sur images. Par Michel Vino
L’architecture doit être considérée comme une œuvre qu’on s’approprie parce qu’elle a du sens, qu’elle nous procure une émotion et qu’elle correspond à notre quotidien.
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ous l’appellation Domus mare nostrum, sous-titrée Habiter le mythe méditerranéen, l’exposition du Centre méditerranéen d’art du Conseil général du Var, présentée jusqu’en mai dernier à l’Hôtel des arts, à Toulon, avait donné le ton (le très joli catalogue édité à cette occasion en témoigne toujours, NDLR). Deux nouvelles expos photo ont remis ensuite à l’affiche la villa en Méditerranée, laquelle se plaît souvent en bord de mer, surtout signée d’un grand nom de l’architecture. La première a eu lieu dans le cadre de Photomed, le « petit » festival de la photographie méditerranéenne de Sanary-sur-Mer qui monte. Intitulée Les villas méditerranéennes, celle-ci était à découvrir tout au long de la montée piétonne des Oratoires longeant le littoral pittoresque du port varois.
nique que si la Méditerranée a inventé la ville, la villa méditerranéenne a, elle, inventé la villégiature. « Voilà la vérité incontestable, la leçon offerte par la villa italienne à celui qui franchit pour la première fois ses portes et jette un regard sur la mer et les montagnes qui lui font oublier ce qu’il a vu au-dehors (...). Oui c’est pour lui que le paysage se suspend à la fenêtre ; c’est pour lui seul que la main de Dieu l’a signé » La villa La villa de Curzio Malaparte sur son pro- (Walter Benjamin). méditerranéenne montoire rocheux de Capri, en Italie - un ou le paradis summum du genre qui plus est photogra- Leçon d’archi De son côté, Olivier Amsellem, spéciaretrouvé phié par le grand couturier Karl Lagerlisé dans la photo d’architecture, profeld -, la villa Kérylos à Beaulieu-sur-Mer, pose, jusqu’au 22 août dans une agence le Palais Bulles de Pierre Cardin, conçu par l’architecte Antti immobilière atypique installée à la Cité Lovag, à Théoule-sur-Mer, la villa « tatouée » de Mme Francine radieuse de Marseille, une leçon d’architecture en dix chefsWeisweiller, ou villa Santo Sospir, à Saint-Jean-Cap-Ferrat, en- d’œuvre de villas d’architecte. Et pas des moindres : Le Cortièrement décorée de fresques de Jean Cocteau et surplombant busier, Mallet-Stevens, Eileen Gray… ou plus contemporains, la baie de Villefranche … Qu’elle soit palladienne, néoclassique, Claude Parent, Rudy Ricciotti. Le photographe marseillais a moderniste ou contemporaine, grandiose ou minimaliste, en effet ainsi réuni les clichés de dix des plus belles villas qu’il rationnellement ordonnée ou intégrée le plus naturellement a photographiées dans le cadre de son activité. Une sélection du monde à son environnement, qu’elle s’impose aux regards qui ne comporte que des villas classées monuments historiques « des autres » ou s’y dérobe, toutes ainsi saisies sous l’objectif ou labellisées Patrimoine du XXe siècle, pour la plupart dans de grands photographes, rappellent d’une façon très photogé- la région et très souvent sur la côte ou au moins avec vue mer.
© Olivier Amsellem
Certaines ont pourtant failli disparaître en leur temps. C’est le cas de la villa Noailles, à Hyères, ou encore de la villa E-1027 d’Eileen Gray, à Roquebrune-Cap-Martin, présentée ici d’ailleurs dans son état avant restauration. « Plus qu’une expo, il faut prendre cela comme une performance artistique, confie l’auteur. Ce qui est intéressant, c’est que dans l’agence immobilière où elle est accueillie, ce ne sont pas forcément des amateurs et férus d’architecture qui la verront, mais des gens qui viennent avant tout pour acheter un bien et trouver leur propre maison. C’est une manière de leur indiquer au passage quelques repères, quelques ingrédients essentiels, quelques b.a.ba pour la compréhension et la perception de l’architecture et de son histoire à travers, en l’occurrence, celle du patrimoine moderne du XXe siècle. L’architecture doit être considérée comme une œuvre qu’on s’approprie parce qu’elle a du sens, qu’elle nous procure une émotion et qu’elle correspond à notre quotidien, poursuit Olivier Amsellem. Qui aurait l’idée alors de retoucher un tableau, une toile de maître ? ». Pas lui en tout cas, qui a choisi pour illustrer son propos, non pas de ces photos prétentieuses, mais des images plutôt poétiques et allant à l’essentiel de l’œuvre architecturale.
EXPO ET AGENCE ATYPIQUES
Installée dans une ancienne galerie d’art de la Cité radieuse, l’agence immobilière Espaces atypiques abrite cette exposition jusqu’au 22 août prochain.
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KIOSQUE LYRIQUE FONDANT À SOUHAIT Comme échappé d’un film de Tim Burton, l’Opéra noir fait office d’œuvre architecturale et sonore destinée à redynamiser la place Lulli réhabilitée en 2010. Par Julie Bordenave
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A Marseille, il s’agissait de donner un supplément d’âme à la place Lulli, ancien parking réhabilité par la Communauté urbaine en 2010, devenu depuis lors un carrefour clé du centre ville, au cœur des commerces trendy des rues Sainte et Grignan. Leur idée : s’inspirer de repères urbains en faisant écho au monumental voisin, l’Opéra municipal, comme au kiosque à musique situé en haut de la Canebière. Œuvre fantomatique, l’Opéra Noir intrigue et interpelle : le passant n’a qu’une envie, gravir les quelques marches de l’étrange objet pour accéder à sa coupole. L’audacieux visiteur est alors bercé par un murmure envoûtant : diffusée en continu, la bande sonore qu’il peut en effet entendre est constituée des bruits de l’opéra voisin (machines, voix, bribes musicales...), filtrés, mixés et retransmis en temps réel. « L’Opéra noir offre un prolongement de l’Opéra municipal, un envers du décor, un backstage », commentent Berdaguer et Péjus. Accessible à tous 24h/24, leur création est une jolie manière de poser l’art dans le quotidien, pour singulariser une place publique et la doter d’un nouvel usage ludique.
© Joël Assuied
epuis janvier dernier, à Marseille, un drôle de kiosque, étrangement tarabiscoté, noir comme une friandise au réglisse qui aurait fondu au soleil du Midi, trône sur la place Lulli. Conçue par les artistes Christophe Berdaguer et Marie Péjus, cette pièce baptisée l’Opéra noir a été commandée par les commerçants de l’association Marseille Centre, dans le sillage de Marseille-Provence 2013. Le duo d’artistes, quadragénaires partageant leur temps entre Paris et Marseille, aime à puiser dans diverses disciplines pour imaginer un « ping-pong dialectique », entre art et sciences (médecine, biologie, sociologie...). Ils ont notamment collaboré avec le cabinet d’architecture Décosterd & Rahm, Rudy Ricciotti, ou encore avec le neurologue Jean-François Chermann, pour concevoir des installations plastiques et des dispositifs immersifs ou participatifs. Backstage fantomatique
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LES NOUVEAUX COMMANDITAIRES Lancée en 1993 par la Fondation de France, l’action Nouveaux Commanditaires permet à des citoyens de passer commande à des artistes, en mobilisant des partenaires publics et privés réunis par un médiateur culturel agréé par la Fondation de France. Dans le cadre d’un partenariat passé avec Marseille-Provence 2013, neuf œuvres ont été ainsi commandées à des artistes, de Salon à Marseille en passant par la Camargue, sous la houlette de la médiation culturelle du Bureau des compétences et désirs. www.nouveauxcommanditaires.eu
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CALLIGRAPHIES CAMARGUAISES EN CLAIR-OBSCUR L’architecte marseillais Christophe Gulizzi signe à Plan-d’Orgon un très poétique complexe sportif. Par Michel Vino
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ien qu’il s’en défende, ayant trouvé de nouveaux terrains d’expression – là des halles historiques à remplacer, ici la nouvelle unité de production d’un grand confiseur provençal –, l’architecte marseillais Christophe Gulizzi passe pour un spécialiste des enceintes sportives et équipements de ce type. Orfèvre du Z5, le complexe de futsal du célèbre Zinédine Zidane, à Luynes, il compte également quelques gymnases (à Tarascon, Marignane, Massy, en région parisienne...) et stade (des Olives à Marseille) à son palmarès. L’une de ses dernières réalisations en date dans ce registre musclé, le complexe sportif du Plan-d’Orgon, dans les Bouches-du-Rhône, se veut pourtant comme une œuvre poétique au service de ses utilisateurs. « C’est l’histoire d’un territoire entre eaux et cieux, d’un village à la porte des Alpilles, où les arènes de Plan d’Orgon témoignent et perpétuent brillamment la tradition taurine provençale, parmi lesquelles «la fé di biou» (La foi dans le taureau) », raconte-t-il joliment à son propos. Profondément ancré dans ce paysage camarguais, son projet se fonde ainsi sur l’identité territoriale comme élément narratif. Loin de s’arrêter à la simple évocation intellectuelle, le rapport au territoire s’inscrit dans la matérialité même du bâtiment. « Les façades sont un filtre vers l’intériorité, suivant une mise en scène précise vers l’espace consacré, tel un parcours initiatique, La fé bi diou
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un préalable émotionnel, poursuit l’architecte. Eloge de l’ombre et de la lumière, le béton blanc constitue un hommage à la minéralité et rappelle les façades enduites à la chaux. Enfin, les ouvertures font écho aux entrelacs végétaux évoquant la flore et les mantilles des femmes de Provence, indispensables aux grands après-midis célébrant Lou Biou, taureau de Camargue. » D’une surface de 2 350 mètres carrés, ce complexe, qui comprend une salle de danse, un dojo, une salle de musculation et un gymnase, se compose de deux entités imbriquées. La première, en périphérie, constitue la façade urbaine d’une hauteur de 4 mètres 50, proche du gabarit de l’habitat individuel. La deuxième, en revanche, celle qui abrite le gymnase, s’élève audessus de ce premier bandeau à plus de 8 mètres. Une façon, explique encore son concepteur, de « tisser le lien entre équipements publics, bastides rurales et lotissements néo-provençal à tendance provençale ». Et si l’on perçoit tout d’abord la masse minérale de l’ouvrage, avec ce changement d’échelle, lorsqu’on s’en approche, cette massivité s’altère. Comme formées par l’érosion, des brèches de lumière s’ouvrent dans la matière brute, dessinant comme des arabesques ajourées du plus bel effet. « Une architecture minérale circonstancielle, profondément influencée par son contexte, aussi bien physique que culturel », résume Christophe Gulizzi.
© Lisa Ricciotti
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© Steve Eggleton - Eventdigital.co.uk
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L’ASSAUT des
cimaises L’été venu, on se trouva fort pourvu en explorations et interventions artistiques rafraîchissantes. Un plongeon dans un grand bain culturel bouillonnant d’idées !
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DE PROFUNDIS Le parcours d’exposition, Sous la mer, un monde, imaginé pour la Villa Méditerranée par le critique et réalisateur Alain Bergala, nous propose depuis mars dernier de réfléchir aux multiples relations que les hommes entretiennent avec l’univers marin. Force est de constater que le développement des moyens scientifiques d’exploration et de compréhension des océans n’a pas épuisé la prédominance de l’imaginaire. Par Olivier Levallois • Photos : Gérard Bonnet
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epuis que l’homme conte des histoires, la mer, qualifiée parfois de 6e continent, n’a jamais cessé de hanter notre imaginaire, et une multitude de créatures fantastiques, de divinités, de monstres marins, de civilisations du bout ou du fond des mers, oubliées ou englouties, ont peuplé nos récits littéraires comme cinématographiques. Ce parcours pédagogique, structuré autour de quatre thématiques (l’approche scientifique, la Méditerranée contemporaine, l’imaginaire et les mythes, et les arts), nous le rappelle. L’étroite imbrication entre l’imaginaire et les découvertes scientifiques forme la trame de cette exposition, pensée par Alain Bergala. De l’antique Odyssée d’Homère à un divertissement moderne comme les Dents de la mer, de la baleine mythique que l’on chasse dans Moby Dick, à celle dans laquelle l’on se retrouve enfermé dans Pinocchio, de L’île au trésor et sa promesse d’aventure et de richesse, à l’île-monde de Robinson Crusoë, du mythe de l’Atlantide à celui du capitaine Nemo, les prolifiques créations liées à l’univers de la mer, traduisent toujours une même ambivalence de l’homme. Face à sa présence, il se trouve partagé entre l’attrait de l’aventure et sa crainte de la destruction, la quête d’un paradis perdu et la peur de cette terra incognita, la sécurité de la surface et des rivages et la menace des profondeurs, la fascination et la terreur. La mer a ainsi tou-
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jours été, au fil des siècles, et pour de nombreuses civilisations, porteuse de multiples fantasmes, d’angoisse et de merveilleux. Ce paradoxe des sentiments, on le retrouve dans la plus célèbre des créatures marines nées de l’imagination de l’homme : la sirène, mi-femme mi-poisson, à la fois source de désir et de danger, de félicité et de perdition, parfois bienveillante mais le plus souvent sournoise. Ce dont témoigne de manière générale ce parcours, c’est que de la même façon que l’imagination était l’un des principaux moteurs poussant les explorateurs des siècles passés à percer ses secrets, aujourd’hui encore, l’ambition scientifique se trouve soutenue par cet émerveillement que le monde marin suscite en nous. Ainsi, régulièrement, la découverte d’étonnantes espèces inconnues vivant dans les profondeurs, ravive la mémoire du bestiaire fantastique né de l’imagination fertile des artistes entre le XVIe et le XIXe siècle. Alain Bergala, étant cinéaste et critique, n’a évidemment pas oublié de rendre compte de cette influence marine dans le cinéma contemporain. À travers un montage de films – qu’il a lui-même réalisé à partir d’extraits d’œuvres telles que Pierrot le fou, Et dieu créa la femme, La collectionneuse, Plein soleil, La comtesse aux pieds nus, Respiro, et de bien d’autres –, nous est montrée la place mythique qu’occupe la Méditerranée dans le cinéma mondial depuis l’après-guerre. Une place qui prolonge celle
que lui accordaient les artistes du passé : espace tout à la fois de désir et de mort, mais dans une lecture plus psychanalytique qu’auparavant. La mer se fait la métaphore, non plus d’un monde extérieur, mais d’un paysage intime, d’un inconscient des personnages, qui représente tantôt une source de bonheur et de vitalité, et d’autres fois le lieu obscur d’une profondeur morbide. Mieux connaître la mer et ses liens historiques, physiologiques, affectifs et psychiques profonds avec notre identité, pour mieux l’aimer (et donc mieux la préserver), voilà l’enjeu de cette exposition aussi ludique que pédagogique. Ce que l’on comprend, c’est qu’il faut non seulement protéger nos mers comme vivier de diversité biologique, mais aussi comme source d’enchantement et de merveilleux. Car avec l’exploitation et le désenchantement du monde, elle est sans doute le dernier milieu naturel sur la planète à éveiller, aujourd’hui encore, ce mélange de crainte, de mystère et de fascination que l’on appelait, jadis, le sacré.
Aujourd’hui encore, l’ambition scientifique se trouve soutenue par cet émerveillement que le monde marin suscite en nous.
Jusqu’au 31 août. Villa Méditerranée,Esplanade du J4, Marseille, 2e. Entrée libre. www.villa-mediterranee.org
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PLONGÉE OCÉANIQUE AU MUSÉUM Le Muséum d’histoire naturelle du palais Longchamp à Marseille a lui aussi la fibre maritime pour sa grande exposition estivale.
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i la Villa Méditerranée explore cet été le monde sous-marin, le Muséum d’histoire naturelle du palais Longchamp, rafraîchi et modernisé à l’occasion de Marseille-Provence 2013, plonge lui aussi dans l’univers Des océans et des hommes, titre de sa grande exposition estivale coproduite par la Ville de Marseille, Océanopolis Brest et Columbia River. A la croisée de l’environnement, de l’éducation et de la science, celle-ci présente l’histoire des océans sous le prisme scientifique d’une façon pédagogique et interactive. Elle est organisée pour cela en trois principales séquences. Cela commence tout d’abord par un voyage dans le temps, de l’Antiquité à nos jours, sur les traces des grandes découvertes et de l’évolution des connaissances. La visite se poursuit ensuite par une plongée fantastique au cœur de la biodiversité marine à la rencontre des écosystèmes de la planète. Un tour du monde en 10 étapes sur l’aptitude du vivant à se développer dans tous les milieux, qui n’essaie pas de recréer artificiellement ces derniers, mais plutôt d’en faire sentir l’extraordinaire variété. Un focus particulier est porté sur l’incroyable richesse de la Méditerranée de ce point de vue, ainsi que sur les moyens actuels mis en œuvre pour mieux la connaître et la protéger. Cernée par l’Europe, l’Afrique et le Moyen-Orient, avec ses 46 000 kilomètres de côtes et sa superficie de 2,5 millions de km², c’est une zone écologique importante au niveau mondial, considérée comme un haut lieu de la biodiversité.
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Le cœlacanthe qui existait déjà à l’ère des dinosaures n’en finit pas de passionner les scientifiques. Autre zoom à ne pas manquer, celui sur le cœlacanthe ! Jusqu’à il n’y a pas si longtemps, on pensait que ce « fossile vivant », qui serait vieux de 400 millions d’années, avait disparu avec les dinosaures, avant qu’on ne découvre qu’il avait survécu et qu’il en existe toujours quelques centaines de spécimens dans l’archipel des Comores, quasiment semblables à leurs ancêtres du Dévonien ! On comprend mieux alors pourquoi ce poisson passionne tant les scientifiques. Enfin, l’exposition dresse l’état des lieux du monde océanique, en en soulignant le rôle vital et en appelant à l’émergence de comportements plus durables à son égard. Le dispositif scénographique s’appuie pour ce faire sur les technologies les plus récentes – systèmes interactifs, tables tactiles, applications, jeux – sans pour autant négliger les contenus habituels des muséums : collections de spécimens historiques et autres documents (images, photos, textes) plus classiques. Un océan de savoir à la portée de tous, jusqu’au 4 janvier 2015.
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LE CHAMP ENVOÛTANT DES SIRÈNES « Une sirène de ville qui ne hurle plus pour alerter, mais pour émouvoir » : tel est le credo de la compagnie Mécanique vivante, basée dans les Cévennes, qui a dompté les sirènes de nos villes pour en faire de véritables instruments de musique. Par Julie Bordenave
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ondée en 1989, la compagnie Mécanique vivante construit comme son nom l’indique des dispositifs mécaniques et scénographiques pour le spectacle vivant : moto ascensionnelle, toupie géante, agrès pour le cirque… Tous sont nés de l’imagination fertile de Franz Clochard, qui participait dès les années 80 à la création d’Archaos, mythique compagnie de « cirque de caractère », affectionnant le jonglage à base de tronçonneuses et les « clowns de tôle »… Le chef-d’œuvre du constructeur ? La sirène musicale, sortie de ses ateliers en 1997. Sept ans de recherches menées avec les ingénieurs, musiciens et électrotechniciens de la compagnie ont été nécessaires pour dompter le mécanisme des sirènes d’alerte de nos villes et les transformer en instruments de musique. Les turbines qui insufflent l’air dans les pavillons de la sirène restant soumises au temps d’inertie du moteur, les mélodies produites par les sirènes musicales donnent à entendre tous les intervalles compris entre deux notes, pour des montées d’une déchirante mélancolie.
A découvrir à Avignon, la nouvelle création de Mécanique vivante, le Concerto en suspension, sieste musicale... Au cœur des villes, le résultat est saisissant : accrochés sur des façades de monuments, dans des arbres ou sur des ponts (pont du Gard, façade du palais ducal de Nevers, gare de Metz pour l’inauguration du TGV, inauguration du palais des congrès à Bruxelles…), ces orchestres d’un nouveau genre diffusent un concert de mélopées poignantes, tour à tour nostalgiques, contemplatives ou inquiétantes. A proximité de l’eau, les sirènes s’immiscent sur les fronts de mer, les ports ou les zones fluviales, pour des parades célébrant le patrimoine navigant local, en profitant de la qualité de réverbération exceptionnelle des lieux investis (à la cime des mâts du Far Barcelone pour célébrer le départ de la World Race ou encore le retour du Queen Elizabeth II en terre britannique…). A découvrir à Avignon cet été, la nouvelle création de la compagnie : Concerto en suspension, une sieste musicale à l’écoute du répertoire du Chant des sirènes, à savourer sur un transat les yeux fermés. Au cœur de la ville
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© Julie Bordenave
© Emilien Leroy
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MUSIQUE PUR PORT Des symphonies composées uniquement à partir de sons portuaires, tel est le pari un peu fou d’Emilien Leroy, alias Féromil. Ses cartes postales sonores restituent l’ambiance des ports d’ici et d’ailleurs.
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ingulier personnage qu’Emilien Leroy. On a pu l’apercevoir sous le nom de Féromil, de Calais à Berlin, coiffé d’un masque à gaz et armé d’un détecteur de métaux, d’une pédale delay et d’un sampler, pour faire chanter la ferraille lors de déchirantes litanies. Fasciné par l’univers postindustriel, le musicien poursuit depuis plusieurs années le projet de ses Sonata di porto, véritables symphonies portuaires composées à partir de sons récoltés dans les ports de Saint-Nazaire, Dunkerque, Lisboa (Portugal), Gdynia (Pologne), Annaba (Algérie) ou Istanbul (Turquie)... Empruntant à l’ethnographie musicale, ses « cartes postales sonores » ramènent la clameur des villes traversées : « en immersion dans le port, j’en recherche ses accents, ses odeurs sonores, ses tonalités environnantes, ses harmonies environnementales. Et pour chacun des ports visités, je compose une musique hybride et poétique, un peu comme des histoires sonores de ce port, à partir de ses traces et de mon ressenti singulier d’arpenteur interprète. » Né dans les brumes du Nord, le musicien performer nourrit un goût particulier pour les bouts du monde, où le littoral le dispute à l’horizon, entre passé industriel, mémoire ouvrière et goût d’ailleurs : « Zone de fret et d’échange par excellence, le port, depuis tous temps, est un lieu d’échange
Par Julie Bordenave
et de mouvement, de départ et d’arrivée, de travail et de flânerie, dynamique et poétique, fantomatique et exotique. C’est aussi un territoire existentiel, la métaphore de ma manière d’habiter le monde : toujours en mouvement. » Habile mélange de musique concrète et de mélodies surannées, ses sonates se nourrissent des « petits secrets sonores » des ports : « sons de quais et de cale, sons de grue et de chantiers navals, sons de vigie et des marins d’ici. Sons de machines et turbines, sons d’embarquements et de déchargements, sons de ponts roulants. Marteaux en cadence, sirènes hurlantes, vents sifflants et chalumeaux chantants, les grues dansent... » Parmi ses autres créations protéiformes : Tropfenweise, parcours sonore basé sur l’amplification d’un écoulement d’eau en goutte-à-goutte ; Bouhyeah !, projet vidéo sonore en hommage aux haut-parleurs de la marque Bouyer, utilisés dans les années 50 sur la ligne de l’ancien PLM (Paris Lyon Marseille) ; ou encore L.U. Men, avec le chorégraphe Dominique Boivin.
Territoire existentiel
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Les Sonata di porto sont en écoute sur le site : www.emilienleroy.com
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UTOPIES ARTISTIQUES AQUATIQUES Installée depuis les années 80 en Camargue, la compagnie Ilotopie y peaufine des spectacles qui mêlent enjeux sociétaux et environnementaux, en faisant de l’eau une nouvelle scénographie urbaine.
n bout de terre entre ciel et mer, Rhône et méditerranée, monde industriel et réserve naturelle : c’est à Port-Saint-Louisdu-Rhône, aux confins de la Camargue, qu’une bande de doux dingues a élu domicile au début des années 80 pour activer le pari un peu fou d’emmener l’art où, a priori, il n’était pas attendu. Ilotopie, nom de ce collectif, fait partie des pionniers du théâtre de rue en France. Aimant à chahuter l’ordre établi et jeter des pavés dans la mare pour faire acte de militantisme, ses coups d’éclat sont innombrables : dès 1990, le très politisé Palace à Loyer Modéré (PLM) dénonçait le mal-logement et l’attrait du luxe dans les quartiers nord de Marseille ; atemporels, leurs Gens de couleur déambulent dans les rues pour une allégorie ultra poétique sur le racisme... « La compagnie a proposé dès sa création des actions de désordres artistiques interrogeant l’espace public. Créateurs, acteurs, sculpteurs, danseurs, musiciens, inventeurs, scénographes et chercheurs, forment l’équipe qui a choisi de vivre un travail artistique collectif ouvert sur le monde, opérant aux frontières des enjeux individuels et sociaux », détaille Bruno Schnebelin, directeur artistique de la troupe. Omniprésente en Camargue, l’eau irrigue tout naturellement les créations de la compagnie depuis une quinzaine d’années. Cinq spectacles aquatiques à son répertoire traitent de la condition humaine, dans un théâtre de l’absurde qui se nourrit des paradoxes existentiels et environnementaux : Fous de Bassin pour quinze acteurs et des milliers de spectateurs, sur une musique de Phil Spectrum ; Opéra d’O et son bestiaire à fleur d’eau, issu d’un cauchemar grinçant d’enfant ; Narcisse Guette, pour huit acteurs mobiles et flottants, interrogeant le narcissisme social ; Les Janus, grandes Désordre artistique
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© Klaus Tummers
Par Julie Bordenave
divinités évoquant les cinq continents ; Collectionneurs d’îles, et ses petites insularités flottantes... « L’eau est un nouveau champ d’expérience pour un théâtre contemporain exubérant dans l’énergie d’un élément primordial. Avec l’eau, toutes les mythologies sont déjà là, en nous. Mais le futur fait signe aussi, du surf à la cité lacustre, des énergies nouvelles aux craintes de pénuries, des déluges aux demandes d’eau-delà. Ces surfaces d’eau, scènes vierges de théâtre, ouvrent les respirations non bâties de l’urbain et emportent le citadin, comme à la lisière de la jungle des villes », conclut Bruno Schnebelin. Reconnu à travers le monde, le savoir-faire des artistes les mène désormais de Londres à Sydney, en passant par Chicago, Moscou, Buenos Aires ou Singapour... Chaque année, ils animent aussi le carnaval de Martigues et ont posé l’an dernier une éphémère Cité lacustre au cœur de la ville, dans le cadre de MarseilleProvence 2013. A venir en 2015 : La recette des corps perdus, une parade gustative sur la dévoration d’acteurs.
Omniprésente en Camargue, l’eau irrigue les créations de la compagnie Illotopie.
© Françoise Léger © Steve Eggleton - Eventdigital.co.uk
LE CITRON JAUNE En 1992, les artistes et techniciens d’Ilotopie ont bâti Le Citron jaune à Port-SaintLouis-du-Rhône : un lieu de résidence et de fabrique pour les artistes travaillant en espace public, accueillis ici pour peaufiner leurs spectacles, comme pour y développer de l’action culturelle. Labellisé en 2005 Centre national des arts de la rue par le ministère de la culture, le Citron jaune multiplie les actions sur le territoire : sorties d’ateliers, présentations de spectacles, biennale estivale des Envies Rhônements, événement les Mercredis du Port en juillet, festival Carrément à l’Ouest en octobre... Les Mercredis du port : chaque mercredi du mois de juillet, sur le port de Port-Saint-Louis-du-Rhône. www.lecitronjaune.com
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SURFER SUR LA VAGUE MÉCANIQUE À NANTES A dos d’éléphant, les visiteurs de l’île de Nantes peuvent rallier le Carrousel des mondes marins en bord de Loire : un bestiaire mécanique monumental tout droit sorti des abysses... Par Julie Bordenave • Photos : Jean-Dominique Billaud/LVAN
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epuis 2000, Nantes a fait le pari audacieux, novateur et visionnaire de miser sur la culture comme levier de développement économique et touristique. Sur près de 337 hectares, l’île de Nantes, nouveau pôle d’attractivité, irrigue le territoire, ravive une mémoire industrielle et un patrimoine local, sur le site des anciens chantiers navals réhabilité par l’équipe de l’architecte urbaniste Alexandre Chemetoff. Parmi les infrastructures présentes sur ces bords de Loire : Les Machines de François Delarozière. Ce génial inventeur, ancien constructeur de l’illustre compagnie de théâtre de rue Royal de Luxe, a monté ici ses laboratoires en 2007 : une véritable fabrique artistique, où se côtoient têtes chercheuses et fourmis ouvrières, pour donner vie aux créatures les plus fantasques. Les ateliers des Machines ont investi les anciennes nefs, vastes halles de fer, de béton et d’acier, sur la pointe ouest de l’île. De leurs entrailles, sortent régulièrement des objets poétiques qui réinventent l’art forain ; exposés dans la Galerie attenante, ils partent ensuite en tournée sur les routes
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de France et d’ailleurs, à l’instar de cette araignée géante déjà aperçue sur les façades des buildings de Yokohama ou Liverpool... C’est le Grand Eléphant, devenu le totem de l’île - un pachyderme mécanique qui barrit, prend sa douche quotidiennement et balade les touristes sur son dos -, qui relie désormais les nefs à l’embarcadère des Mondes marins, un espace sur les quais dédié à la thématique maritime. Ici, le visiteur découvre le dernier-né issu de l’atelier des Machines : le Carrousel des mondes marins, inauguré en juillet 2012. Cet immense manège se présente comme un aquarium mécanique de 25m de haut, 22m de diamètre, et semble tout droit sorti du musée Jules Verne qui lui fait face. Son bestiaire fantastique se déploie sur trois étages : au premier, les fonds marins (crabe géant, calamar à rétropropulsion, engin d’exploration, bathyscaphe…) ; au deuxième, les abysses (raie manta, poisson pirate…) ; au troisième enfin, les bateaux, poissons volants et méduses surfent sur 24 vagues mécaniques ! « De 2007 à 2011, les 35 éléments des Mondes marins ont peuplé la Galerie des machines. Les Nantais ont pu les voir se construire sous leurs yeux dans l’atelier, puis en action dans cette galerie. Aujourd’hui, ils embarquent dans le Carrousel ! », commente François Delarozière. Une véritable aventure artistique participative à l’échelle de la ville. Aquarium mécanique
LES ARCHITECTES Architectes de la première tranche des Machines de l’île, inaugurée en 2007, Nicole Concordet et Christophe Theilmann ont aussi assuré la maîtrise d’œuvre des Mondes Marins et de la Déferlante : un espace accueillant des bureaux et locaux techniques, une salle de 120m 2 pour des événementiels et un petit bar, conçus sur le dessin initial de François Delarozière et les études d’exécution de La Machine.
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INFLUENCE
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DÉBROUILLES
d’eaux et
Depuis longtemps, l’eau a été apprivoisée pour servir parfois aussi de cadre et/ou donner matière à différentes réalisations. Une tradition qui perdure contre vents et marées.
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© Olivier Maynard
L’eau, matériau
L’ARCHITECTURE QU’ON VOIT SE DRESSER LE LONG DES GOLFES CLAIRS Corollaire du tourisme de masse, l’architecture balnéaire peut se lire comme un reflet de la société, de son rapport aux loisirs comme à la nature. Tour d’horizon de quelques cas d’école du sud de la France. Par Julie Bordenave
usqu’au milieu du XXe siècle, la villégiature concerne essentiellement l’aristocratie et la bourgeoisie moyenne. L’avènement des congés payés change la donne : il faut construire pour éponger les flux de touristes qui se déversent sur nos côtes chaque été via les nouvelles infrastructures (autoroute du soleil, lignes ferroviaires...). L’urbanisme qui commence alors à grignoter le littoral doit répondre à de multiples et inédits enjeux : il doit en effet à la fois dépayser et faire rêver, tout en étant fonctionnel, et sans entraver le rapport à la mer. Dans les années 60, le Languedoc devient ainsi une terre d’expérimentation : la Mission interministérielle pour l’aménagement touristique du littoral LanguedocRoussillon (Mission Racine) est lancée le 18 juin 1963. Il s’agit de créer une « région » touristique ex nihilo, sur une bande littorale de 180 km, plate et vierge, balayée par les vents et infestée de moustiques. Port-Camargue, Port-Barcarès, Cap d’Agde, Gruissan sortent de terre... Sur le modèle des villes nouvelles, ces stations balnéaires dévoilent des architectures La Grande Motte
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inédites, qui s’agrègent autour d’équipements collectifs. Parmi elles, la Grande Motte fait couler beaucoup d’encre. Fruits de l’inébranlable conviction de l’architecte Jean Balladur, visionnaire et utopiste à sa façon, ces pyramides et grandes conques se distinguent des grands ensembles contemporains de la Costa Brava ou de la Costa del Sol. D’immenses totems de béton, puisant leur inspiration dans le pic-SaintLoup voisin, comme dans les édifices précolombiens.... Rythmées par les modénatures – pièces moulées et répétées en série –, les façades confèrent un étonnant aspect à la ville, dont la conception globale peut se rapprocher du Brasilia d’Oscar Niemeyer, comme du Chandigarh de Le Corbusier. L’architecture courbe ménage un équilibre entre l’intérieur et l’extérieur ; au masculin du centre ville (pyramides du Levant), répond le féminin au couchant (les conques du Ponant). Tout autour, la végétation omniprésente de la Petite Camargue. Aujourd’hui encore, cette architecture labellisée Patrimoine du XXe siècle en 2010 par le ministère de la culture reste l’une des plus étonnantes des bords de mer. Pour célébrer les 40 ans de la station, le photographe Stéphane Herbert exposera dans les rues de la ville, en octobre prochain.
© e-com photos - C Baudot
La célèbre station balnéaire de la Grande Motte à l’architecture toujours aussi futuriste fête ses 40 ans.
Dans les années 60/70, l’usage des bateaux se démocratise, et les initiatives immobilières privées se multiplient : c’est la grande époque des marinas, ces ensembles résidentiels articulés autour d’un port de plaisance. Edifié à partir de 1966 dans le golfe de Saint-Tropez, Port-Grimaud demeure l’exemple type d’une cité lacustre fermée. Passionné de régates, l’architecte François Spoerry qui l’a imaginée, l’a bâtie sur un terrain marécageux en s’inspirant de l’architecture méditerranéenne (tuiles creuses, enduits aux tons pastel, porches...). Organisée en copropriétés privées, qui assument entièrement son entretien et sa préservation, la ville repose sur un système de presqu’îles et de canaux imbriqués (sur 90 hectares, plus de 2 400 logements dont 1 100 maisons individuelles, plus de 2 000 places de bateaux, 7 km de canaux, 12 km de quai, 12 presqu’îles, 14 ponts...). Chaque maison – dont aucune ne ressemble tout à fait à sa voisine, les couleurs de façade et des volets étant inventoriées – possède un jardin et un accès maritime. Le cœur de Port-Grimaud s’ouvre toutefois aux visiteurs, qui feront l’effort de déposer leur voiture au parking extérieur : la circulation maritime et piétonne est ici reine. Décrié ou vanté, Port-Grimaud
D’immenses totems de béton comme des édifices précolombiens...
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© OTVL
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Port-Grimaud a servi de modèles à de nombreuses réalisations ultérieures dans le monde. La cité est labellisée Patrimoine du XXe siècle depuis 2002. Dans les Alpes-Maritimes, l’une des rares constructions littorales de grande ampleur prend le doux nom de Marina Baie des Anges (photo ci-contre). Lancée en 1969 par Lucien Nouvel, l’opération immobilière est confiée à l’architecte André Minangoy. Situés à VilleneuveLoubet, entre rivage et voie ferrée, les logements s’articulent en quatre immeubles – l’Amiral, le Commodore, le Ducal, le Baronnet – aux formes insolites de vagues géantes ondulantes. Culminant à 14 étages, ils entourent le petit port de plaisance central. Le complexe est doté de commerces, d’une piscine et d’un centre de thalassothérapie, et compte aujourd’hui 1 600 appartements, 2 000 parkings couverts et 1 000 places extérieures, répartis sur 16 hectares de superficie dont un tiers d’espaces verts. A l’époque, la polémique a fait rage à propos de ces barres bétonnées obstruant la vue. En 2001, elles ont été à leur tour labellisées Patrimoine du XXe siècle. A ces grands ensembles, s’ajoute l’utopie de l’architecture sculpture, qui épouse le paysage pour s’intégrer dans l’environnement, et non le défigurer. Issues de la contre-culture des années 60, les maisons bulles sont l’apanage de Claude Costy, Pascal Hausermann, et surtout de Jacques Couëlle, qui développa avec Antti Lovag une réflexion sur l’habitat organique. Ce dernier, qui se définit comme « habitologue », conçoit l’incroyable Palais Bulle de Théoulesur-Mer (lire aussi p.14). Les rivages de l’Estérel abritent une autre réalisation hors norme : la singulière résidence de Port la Galère, née en 1968 de l’esprit de Jacques Couëlle. Reprenant la typologie organique du village de Castellaras-le-Neuf près de Cannes, ce domaine privé, pensé pour une clientèle aisée, constitue un ensemble balnéaire insolite : 400 maisons particulières, un club hôtel et un port de plaisance sont adossés à la falaise rouge de l’Estérel, mirant la Grande Bleue. Regroupées en grappes de 6 à 13 logements, les constructions quasi troglodytes se fondent littéralement dans les roches rouges de l’Estérel, dans le pur esprit de la « maison paysage » chère à l’architecte, pour qui « la maison n’est pas seulement faite pour celui qui l’habite, mais aussi pour celui qui la regarde. »
Port la Galère
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Et vogue Port-LaGalère au pied de l’Esterel...
© Office du tourisme de Théoule-sur-Mer
Marina Baie des Anges
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JEUX DE JETS Passés de mode dans nos contextes urbains de plus en plus minéraux, fontaines, ornements et autres jets d’eau ? Quelques exemples récents semblent laisser croire à un retour aux sources.
© RP
Par Michel Vino
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La Ciotat, dans les Bouches-du-Rhône, la ballade du front de mer a été récemment réaménagée : cheminement, piste cyclable, bancs, espace de remise en forme et de bienêtre, jeux d’enfants, plantations et alignement de palmiers. Un traitement plutôt classique, sauf que sur la large esplanade dallée déployée au pied du théâtre en plein air de la chapelle des Pénitents bleus – dont le parterre aux motifs en forme de pel licules de film vient rappeler la présence ici de l’Eden-Théâtre, le plus vieux cinéma du monde aujourd’hui réhabilité –, a surgi une dizaine de jets d’eau que petits et grands se sont immédiatement appropriés. Un peu plus à l’est de l’Eden, à Nice, dans les Alpes-Maritimes, les jeux d’eau, autrefois associés aux grandes réalisations – dont le palais Longchamp à Marseille, édifié pour célébrer l’arrivée dans la cité phocéenne de l’eau du canal de Provence, est dans notre région un des plus beaux exemples –, ont fait également leur retour, mais à plus grande échelle.
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En plein centre de la Cité des Anges et se jetant dans la mer, coulait, il y a quarante ans, un fleuve, le Paillon, recouvert ensuite de bitume, parkings et gare routière. Dans le cadre du réaménagement urbanistique de la ville, entrepris avec le retour du tram dans ses artères, une coulée verte de 12 hectares – dont 22 000 m2 d’espaces verts – lui a succédé et avec elle, l’eau ornementale et ludique a retrouvé droit de cité... Baptisé la Prom’, ce nouveau poumon vert entre la vieille ville et celle plus moderne, conçu par le paysagiste Michel Péna, est doté d’un « lac » artificiel de 3 000 m2, vaste miroir d’eau jouant de ses reflets et scintillements, et surtout, de 128 jets d’eau. Cet endroit, plébiscité par les photographes et adoré des enfants, est devenu le point d’orgue du nouvel aménagement. Et ce d’autant que le plaisir et le dépaysement aquatiques se prolongent de l’autre côté de la place Masséna, dans le jardin Albert 1er avec son « plateau des brumes ». D’une surface de 1 400 m2, cette esplanade au dallage en pierre naturelle de basalte et de calcaire est équipée de près de 1 000 brumisateurs qui font naître au-dessus d’elle un brouillard permanent de gouttelettes bien rafraîchissantes car il est bien entendu vivement conseillé de déambuler dans cet étonnant nuage en suspension. Du vert au bleu
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Oh, miroir d’eau, dis-moi quel est le plus beau des reflets ?
FONTAINES, JE BOIRAI DE VOTRE EAU Dans la cité phocéenne, la Société des eaux de Marseille – chargée de l’alimentation en eau de la ville et qui à ce titre entretient notamment au quotidien les fontaines publiques –, a célébré ces dernières il n’y a pas si longtemps, à travers un très beau livre, Fontaines de Marseille ou les chemins de l’eau. Ses deux auteurs, le photographe Jean-Marie Huron et l’écrivain Olivier Emran, nous font redécouvrir celles-ci, comme autant d’œuvres qu’elles sont avant tout. Qu’elles datent du XIXe siècle – comme celles du palais Longchamp et leurs admirables jeux d’eau –, ou qu’elles soient de facture plus récente – comme cette naïade en bronze se prélassant nue à la Pointe Rouge, ce bateau d’acier et de pierre, tranchant comme une lame de la place Général de Gaulle, ou encore l’arbre-fontaine de l’espérance du parc du XXVIe Centenaire –, elles sont toutes signées de grands artistes. Or, si l’histoire locale a plus facilement retenu les noms d’architectes et sculpteurs de renom ayant apporté leur pierre taillée à l’édifice marseillais (André Allar, Jules Cantini, Auguste Carli, Henri Espérandieu, Henri Lombard ou Pierre Puget, pour ne citer qu’eux), cet ouvrage a en particulier le mérite d’en rappeler tous les auteurs. Jean-Michel Folon, par exemple, à qui l’on doit la très poétique fontaine aux oiseaux du parc Borély, ou encore Bernard Brandi, le père des trois poissons en bronze à la gueule entrouverte de la place Daviel. Fontaines de Marseille ou les chemins de l’eau, par Jean-Marie Huron et Olivier Emran, Label Livre Editions, 120 p., 22 E, disponible en librairie (ou mail : livrefontainesdemarseille@gmail.com), la moitié des bénéfices des ventes étant versée à une association humanitaire.
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EAU ET DESIGN À TOUS LES ÉTAGES Dans nos intérieurs, l’eau est généralement cantonnée à des fonctions utilitaires. Mal canalisée, elle s’avère redoutable et met à mal l’intégrité de nos habitations. Mais la naturelle fascination qu’elle exerce pousse depuis toujours les hommes à domestiquer pour son agrément l’insaisissable élément. À l’instar du feu de cheminée, l’eau se fait objet de contemplation. En témoignent aquariums, fontaines ou murs d’eau. Le clapotis, comme le crépitement, dispense à nos oreilles une mélodie familière et rassurante. L’analogie peut aisément se poursuivre sur le thème du confort. Bain chaud, torpeur, régression amniotique, ou à l’inverse fraîcheur et tonicité, nous adaptons l’eau à nos envies. Les exemples suivants donnent un bref aperçu de ce qui se fait de plus ou moins extravagant dans le domaine. Par Olivier Pisella
JET PRIVÉ
Qui n’a jamais essayé les toilettes japonaises ne peut comprendre combien elles paraissent vite indispensables. Le « Washlet », inventé par la firme Toto en 1980, consiste en un jet d’eau chaude nettoyant, de nos jours ajustable en température et en pression. Si 65 % des foyers japonais en sont équipés, cette technologie reste encore marginale en Europe. Apportant sensation de fraîcheur et de propreté, l’usage du jet d’eau est considéré comme plus hygiénique que le papier toilette. http://fr.toto.com
TÊTE DE LIT AQUARIUM MURS D’EAU EN CASCADE
Venu des mathématiques fondamentales, François Lantigny s’est lancé en 2005 dans la conception de murs d’eau et de fontaines alliant le végétal, le minéral et bien entendu l’eau. Ses créations, destinées aux particuliers comme aux entreprises, apparaissent comme de véritables œuvres d’art vivant faisant honneur au lent et apaisant murmure évolutif de la nature. Ci-contre : création pour une salle de réunion d’une société de recherche généalogique à Paris. http://www.etik-et-o.com
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À Las Vegas, on a l’habitude de faire les choses en grand. Ainsi, la société Acrylic Tank Manufacturing s’est-elle spécialisée dans l’aquarium monumental, spectaculaire et incongru. S’endormir en comptant les poissons, c’est désormais possible avec cette très originale tête de lit. L’entreprise américaine propose toute une gamme d’aménagements aquatiques sur mesure, la seule limite étant votre imagination (et votre budget). www.acrylicaquariums.com
PAS COINCÉE, LA COLONNE À BULLES
2m20 de hauteur pour cette colonne en plexiglas sur base inox Krypton 220, pour laquelle un système d’éclairage LED télécommandé autorise toutes les fantaisies chromatiques. Un objet déco qui en impose, dont les bulles, comme autant de molécules d’oxygène venant irriguer le cerveau, prêtent volontiers leur pouvoir hypnotique à la rêverie du flâneur alentour. www.aqua-sculptures.com
EAU DE MER : CHAUFFE MUCEM ! Bâtiment phare du renouveau de Marseille, le Mucem partage avec son voisin, la Villa Méditerranée, un système de chauffage et de climatisation à l’eau de mer unique en son genre. Par Michel Vino
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éussite architecturale très justement saluée, le Mucem (Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée) se distingue aussi du point de vue environnemental. Pour se chauffer et se climatiser, ce nouveau joyau du front de mer phocéen utilise en effet un système de production thermo-frigorifique fonctionnant à l’eau de mer, et, cerise sur le gâteau, il en fait profiter son voisin immédiat, la Villa Méditerranée. Dès le départ, les promoteurs de l’édifice, en l’occurrence le ministère de la culture, puisqu’il s’agit d’un musée national, avaient souhaité un système de production énergétique écologique permettant de réduire la consommation énergétique. La situation du bâtiment excluant une solution gaz, ainsi qu’une pompe à chaleur qui aurait nécessité une emprise trop importante, le Bureau d’études techniques Garcia (Marseille), en charge de la question thermique, a préconisé une solution de pompe à chaleur à eau de mer. C’est la société Carrier qui a été choisie pour la mettre en œuvre, en raison de son expérience à Monaco, où près de 20 % des besoins énergétiques de la principauté sont satisfaits par un tel système. Et comme de leur côté, les concepteurs de la Villa Méditerranée avaient une volonté écologique similaire, la mutualisation des moyens s’est ainsi imposée.
C’est donc un même système de pompe à chaleur à eau de mer, logé dans le local technique du second sous-sol du musée, qui alimente les deux bâtiments. Carrier y a installé plus précisément deux pompes à chaleur à haute efficacité (30XWHP) et d’une puissance unitaire de 1 000 kW. L’eau de mer est puisée près de la digue du large, à une profondeur de 7 m, puis filtrée avant de passer dans les échangeurs qui alimentent le circuit, et enfin rejetée après l’échange thermique, à une trentaine de mètres du point de captage. Un automate de régulation gère les pompes à chaleur en fonction des besoins. On retiendra que le Coefficient de performance (COP) de cette installation – volontairement surdimensionnée pour produire 2 000 kW et ayant coûté près de 3 millions d’euros –, mesuré, est égal à 7, en chaud comme en froid. Ce qui signifie que chaque kW dépensé en produit sept fois plus ! Distant d’à peine 100 m, le nouveau fleuron des équipements du Conseil régional récupère pour sa part les 600 kW excédentaires.
Logée dans le sous-sol technique du Mucem, une installation performante qui profite également à la Villa Méditerranée située juste à côté.
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DOSSIER
20 000 LIEUX
SOUS LES MERS Embarquez dans notre sous-marin jaune pour un voyage au fil des abysses et des fonds de projets enfouis destinés à nous maintenir la tête hors de l’eau. Salvateur ! Tuba conseillé...
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© SeaOrbiter ® / Jacques Rougerie
ar t en ville 20 000 lieux sous les mers
JACQUES ROUGERIE EN PROFONDEUR Véritable capitaine Nemo de l’architecture et de l’habitat sous-marins, Jacques Rougerie poursuit sans relâche, contre vents et marées depuis les débuts de sa riche carrière, ses recherches, explorations et réalisations, le plus souvent sous le niveau de la mer et au fond des océans. Ayant jeté l’ancre récemment sur les rivages d’Endoume, à Marseille, cet architecte passionné par la mer a bien volontiers accepté de revenir sur ses liens méditerranéens ainsi que sur son parcours et son œuvre hors du commun. Rafraîchissant. Propos recueillis par Michel Vino
La base logistique de SeaOrbiter, votre dernier grand projet en date, pourrait en partie s’installer dans la cité phocéenne. Qu’en est-il ? Jacques Rougerie : J’éprouve un vrai attachement pour Marseille, où je n’ai que des amis et des liens très forts qui remontent à plus de 40 ans, à l’époque de Henri-Germain Delauze, de la Comex et de Gaston Defferre, qui avait notamment un grand projet de centre de la mer. C’est la ville en effet où s’est développée la plongée sous-marine. Souvenir inoubliable, j’y ai passé un Noël sous la mer, dans un habitat sous-marin baptisé Hippocampe, quand la Comex menait au Frioul ses expériences hyperbares. C’est également au même endroit, au large de ce petit archipel, que le commandant Cousteau a mené sa première expérience de vie sous-marine, en 1961. Port mais pas seulement comme on le voit, la cité phocéenne a toujours été ainsi très tournée vers la Grande Bleue. Pour sa candidature à l’exposition universelle de 1978, j’avais même, autour de ce thème de la mer qui avait été retenu, imaginé, avec les technologies dont nous disposions alors, un port flottant : une île artificielle entre le Vieux Port et l’archipel du Frioul, où se seraient trouvés notamment le premier musée sur l’eau, ainsi qu’un centre international de la plongée sous-marine, dont Marseille est après tout la capitale. Cette cité de la mer appartient au monde des Mériens. C’est d’ailleurs toujours au large du Frioul que nous avions mené, avec un autre de mes amis, le professeur Nardo Vincente, le directeur scientifique de l’Institut océanographique Paul Ricard, les premières campagnes d’exploration de l’Aquaspace. L’Aquaspace ? J. R. : Un trimaran à voile d’observation sous-marine, l’un de mes premiers vaisseaux. A ne pas confondre avec l’Aquascope,
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même si tous deux sont inspirés en partie de la raie manta. J’ai inventé et construit l’Aquascope, petit engin d’observation sous-marine mobile, pour Trigano, le fondateur du Club Med. Lui rêvait même au départ d’une maison sous-marine pour héberger ses clients ! Devant les risques associés à une telle entreprise, je lui ai proposé à la place ce petit trimaran semi-submersible, qui permet de regarder sous la mer. Nous en avons construit une vingtaine, qui sont aujourd’hui de véritables pièces de collection, dont certaines naviguent encore (un exemplaire est notamment toujours en fonction aux îles des Embiez, NDLR). La cité des Mériens, un autre de vos derniers grands projets en date, qui adopte également la forme de la raie manta, semble de taille particulièrement impressionnante, si l’on en croit son échelle ou encore les milliers de scientifiques qu’elle pourrait héberger. Croyez-vous sincèrement qu’elle puisse voir le jour ? J. R. : Complètement. J’en suis intimement persuadé. Cellelà ou une autre, avec ou sans moi et sans doute pas par moi d’ailleurs… L’essentiel, c’est que les hommes aient à l’avenir un équipement de cette ampleur, pour explorer et comprendre les grands enjeux planétaires. Par rapport à ce monde gigantesque qu’est l’univers marin, cette cité est finalement toute petite. Elle n’est qu’une goutte dans l’océan. Cela sera une cité internationale, un peu à la façon de la station spatiale ISS. Le dessein est volontairement provocateur. Elle est là pour faire émerger des idées et donner envie aux jeunes, aux générations qui arrivent, de rebondir dessus et d’aller plus loin encore. A ce titre, vous semblez toujours repousser les frontières du possible… Où en est ainsi le premier musée sous-marin au
que Didier Réault, désormais président du parc national des calanques et adjoint au maire de Marseille en charge des questions maritimes, qui se bat depuis plus de quatre ans dans ce sens et qui connaît mon attachement pour la cité phocéenne, a souhaité que je le lui présente en mairie. Sa démarche était logique. Comme la station spatiale, SeaOrbiter dont la forme est inspirée, elle, de l’hippocampe, est en effet appelé à dériver dans l’océan. S’il peut accueillir jusqu’à une vingtaine de chercheurs
© Créations Jacques Rougerie
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monde qui vous a été confié pour la baie d’Alexandrie, en Egypte ? J. R. : Parfaitement au point, sauf que le projet, dont la construction aurait dû effectivement commencer, est aujourd’hui en stand-by, en raison de la situation dans ce pays, mais pas abandonné. Pour cet équipement estimé à 150 millions d’euros, la décision est évidemment politique. Or les pouvoirs politiques ont, en Egypte, bien d’autres préoccupations à l’heure actuelle. Ce qui est sûr, c’est que c’est une nécessité pour l’activité touristique de la ville d’Alexandrie, où les bateaux de croisière ne s’arrêtent pas. Enfin, en ce qui concerne sa réalisation, même si l’audace consiste ainsi à amener le public à moins 6 mètres sous l’eau, ce n’est absolument pas une utopie. Pour sa construction, nous sommes restés très pragmatiques, et nous ne ferions appel qu’à des technologies existantes que l’on connaît très bien, avec par exemple l’utilisation de polycarbonates, comme dans les très grands aquariums. L’étanchéité est très au point, rassurez-vous ! Cerise sur le gâteau, cet écrin muséographique sous-marin sera édifié au pied des vestiges du palais de Cléopâtre…
De vaisseaux d’exploration en îles futuristes, les créations de Jacques Rougerie nous entraînent dans son sillage.
« Une dynamique marine centrée autour d’un grand projet de centre de la mer pourrait être le prétexte d’un nouvel élan pour la cité phocéenne »
Et la base du SeaOrbiter au pied de la colline du Rove, c’est possible aussi ? J. R. : Marseille, dont la rade a accueilli la première maison sous la mer, qui a connu tout ce foisonnement extraordinaire autour de l’aventure de la plongée industrielle de Delauze et de la Comex, avec qui j’ai milité, aurait légitimité à accueillir éventuellement une partie de la base logistique à terre du SeaOrbiter, d’autant plus que son premier programme d’exploration scientifique aura lieu en Méditerranée. C’est dans ces circonstances
et d’équipiers, il aura cependant besoin d’une base à terre pour le roulement des équipages, son approvisionnement, le suivi de sa progression… Après la formidable dynamique née de l’année de capitale européenne de la culture, une dynamique marine centrée autour d’un grand projet de centre de la mer pourrait être le prétexte d’un nouvel élan pour la cité phocéenne et SeaOrbiter pourrait s’y raccrocher. Comment devient-on ainsi architecte de la mer ? J. R. : J’allais dans l’eau avant même de marcher ! J’ai depuis toujours et très tôt été ainsi fasciné par le grand large, la houle, la mer, l’horizon… et « Vingt mille lieues sous les mers » de Jules Verne a, bien entendu, compté parmi mes premières lectures.
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Mon père était lui aussi explorateur. J’étais encore au lycée lors de la première expérience d’habitat sous-marin du commandant Cousteau. Dans les années 60, c’était également l’ère de la conquête de l’espace. Et comme construire me titillait aussi, que je suis un grand rêveur pragmatique et que je n’aime pas rester sur mes rêves, mais au contraire les bâtir, j’ai accompagné tous ces précurseurs à la conquête du monde sous-marin en étant donc architecte ; un métier fabuleux, qui m’a permis de vivre mes deux passions de front, l’architecture et la mer. Deux passions que vous aimez partager désormais à travers votre fondation… J. R. : Exact. J’ai créé cette fondation pour aider les jeunes qui sont, comme moi, passionnés par cette conquête de l’espace et des océans. Les résultats du concours qu’elle organise depuis trois ans sont fabuleux. Ils ont même des idées que je n’aurais jamais pu avoir. Et si mon parcours peut être une source d‘inspiration pour les prochaines générations à propos des grands enjeux de la mer, j’en suis le premier ravi ! En architecture, le biomimétisme que vous avez, vous, toujours revendiqué, est aujourd’hui de plus en plus tendance. J. R. : Ce n’est pas une mode. L’émergence dans les années 80 et 90 de notions comme la préservation de l’environnement, le développement durable, le respect du cadre de vie, a favorisé son essor. Aujourd’hui, de grands architectes comme Zaha Hadid ou encore Vincent Callebaut - qui a fait ses premières armes à mes côtés dans mon atelier, un vrai talent ! – ont adopté eux aussi le biomimétisme. Attention, il s’agit d’une vraie démarche en profondeur et non pas d’un ou des coups à faire. L’architecture est trop importante. Elle accompagne toutes les civilisations et explorations humaines.
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Pour ma part, cela fait longtemps que j’ai adopté la bionique, fondée sur l’observation de la nature, comme repère dans ma manière de concevoir, mais ce n’est pas tout à fait nouveau… Léonard de Vinci, le premier, a souligné tout l’intérêt qu’il y avait de s’inspirer du génie de la nature. Les débuts de l’aviation, qui s’est elle-même nourrie des idées de ce dernier, en sont un autre exemple. Que je m’inscrive parmi les précurseurs suffit à mon bonheur, mais en tant que compétiteur, tout comme n’importe quel sportif de haut niveau, participer ne me comble pas. Il me faut décrocher des médailles et émarger dans le Top 10 ! Et si je vous suis bien, votre spécialité a donc un grand avenir. J. R. : Et comment ! Il faut toutefois savoir rester réaliste. Comprenez-moi bien, il ne s’agit pas d’aller vivre définitivement sous la mer, mais temporairement, pour explorer ce monde gigantesque car avez-vous une idée de la dimension réelle du monde sous-marin ? Non, eh bien, imaginez que la totalité des routes maritimes parcourues par les navires depuis Christophe Colomb couvrent à peine 10 % de la surface des mers et des océans, ce 6e continent qui recouvre lui-même les trois quarts de la planète. Imaginez toute cette masse d’eau de 3,5 km d’épaisseur en moyenne, c’est infini ! Un monde quasiment inexploré, qui renferme beaucoup de ressources qu’il faudra exploiter d’une autre façon qu’on ne l’a fait sur terre au cours de ces deux derniers siècles. Car, comme j’aime à le penser, « c’est de l’océan que naîtra le destin des civilisations à venir. » Une dernière confidence… J. R. : Mon attachement pour Marseille se concrétise de manière personnelle : je viens d’acquérir, il y a peu, une maison à Endoume, à Malmousque, avec une vue imprenable sur la baie et accès direct à la mer…
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Sous la mer, Jacques Rougerie a déjà tout imaginé - opéra, hôtel, musée archéologique, vaisseau de recherche, centre international… - et déjà beaucoup construit. Sous l’océan, il y a aussi passé pas mal de temps (dont un Noël, en 1981, au large du Frioul) pour diverses expériences et explorations. Et sur terre, finalement, il aura de même beaucoup bâti et le plus souvent d’importants équipements liés à l’univers marin comme les grands centres aquatiques Nausicaa (Boulogne-surMer), Océanopolis (Brest), le Pavillon de la mer à Kobe (Japon), ou encore comme la piscine Molitor qu’il vient de réhabiliter. Un architecte de la mer qui a donc su garder les pieds sur terre ainsi qu’en témoigne son riche palmarès où les grandes réalisations côtoient les projets les plus audacieux. Par Michel Vino Illustrations et photos : Jacques Rougerie
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SEAORBITER,
SI BELLE SENTINELLE Son projet de sentinelle des océans, SeaOrbiter, est présenté comme l’aboutissement de 30 années de recherche consacrée à l’architecture bionique et à l’exploration du milieu marin. Vaisseau d’exploration appelé à dériver à la surface des mers, même s’il disposera aussi de moyens de propulsion de grande autonomie, ce sera à la fois un laboratoire scientifique et un équipement opérationnel. Construit en aluminium recyclable et à demi immergé, haut de 58 m dont 27 au-dessus du niveau de l’eau, l’étrange « animal » comprendra 12 niveaux dont une base sous-marine (à – 12 m), point de départ vers les abysses. Pesant 550 tonnes, ce vaisseau futuriste aux allures d’hippocampe pourra accéder aux ports en relevant sa quille et en utilisant ses ballasts pour passer alors à un tirant d’eau de 8 m. Conçu pour un équipage d’une vingtaine de personnes, il mènera des missions en mer de longue durée dont la première est prévue en Méditerranée. D’ici là, le singulier navire, financé par des investisseurs privés, devra donc avoir été construit.
© SeaOrbiter® / Jacques Rougerie
UNE ŒUVRE AU LONG COURS
LA CITÉ DES MÉRIENS, MONDE À PART ENTIÈRE
© Agence Jacques Rougerie
© créations Jacques Rougerie
Concept bionique ultime et université océanographique internationale, la Cité des Mériens adopte la forme stylisée d’une raie manta. Véritable ruche dédiée à l’observation et à l’analyse de la biodiversité, cette ville scientifique flottante pourrait accueillir à l’horizon 2050 jusqu’à 12 000 personnes dont 7000 chercheurs, scientifiques, étudiants… Longue de 900 m et large de 500, elle comprendrait notamment, telle une île, un lagon intérieur où pourraient mouiller des navires jusqu’à 90 m de long, ainsi que les SeaOrbiter et autres véhicules marins et sous-marins. Entièrement autonome grâce à l’utilisation d’énergies marines renouvelables, d’une hauteur de 60 m et plongeant à moins 120 m de profondeur au niveau du rostre, cette réalisation hors du commun abriterait également, dans le chenal d’accès au lagon, des fermes aquacoles, et aux extrémités de ses deux ailes, des serres de culture hors-sol.
© créations Jacques Rougerie
LA PISCINE MOLITOR,
DE TARZAN À COLONY CAPITAL Réhabilitation controversée – pour sa nouvelle vocation de pôle hôtelier et club privé, et non pas pour sa restitution patrimoniale en elle-même, unanimement saluée –, la célèbre piscine Molitor de la porte d’Auteuil, à Paris, renaît de ses cendres. Le fameux bassin d’hiver de 33 m sous verrière où Tarzan (le champion de natation et acteur Johnny Weissmuller) était venu plonger à sa belle époque, et son double niveau de cabines rouges et bleues qui l’entourent, ont ainsi retrouvé leur superbe des années trente (et la façade, sa couleur jaune tango), après avoir failli disparaître jusqu’à ce que ce paquebot art déco soit finalement classé, puis ainsi sauvé. 33 mois de travaux ont été nécessaires à l’équipe d’architectes composée de Jacques Rougerie, Alain Derbesse et Alain-Charles Perrot pour mener à bien ce bain de jouvence.
ALEXANDRIE,
SA BIBLIOTHÈQUE, SON MUSÉE D’ARCHÉOLOGIE SOUS-MARIN… Lauréat du concours international lancé en 2007 par le gouvernement égyptien et l’Unesco, ce concept de musée est unique au monde. Celui-ci sera le premier en effet à offrir à ses visiteurs (3 millions prévus par an) la possibilité d’effectuer un véritable voyage sous la mer, pour y découvrir les merveilles archéologiques découvertes au cours de décennies de fouilles. Situé non loin de la nouvelle bibliothèque
d’Alexandrie, cet équipement de 22 000 m2 se compose, d’une part d’une vaste agora en plein air le long de la corniche surplombant la baie d’Alexandrie, et d’autre part d’une large salle sous-marine s’enfonçant jusqu’à 6 mètres sous l’eau et abritant un grand espace scénographique aquatique constellé de vestiges du palais de Cléopâtre, du port des galères royales et de l’ancienne cité de Canopée.
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DES PROJETS À FAIRE FONDRE LA GLACE Découvrir et faire naître les Jules Verne, Gustave Eiffel et Jacques Rougerie de demain, telle est l’ambition de la fondation qui porte le nom de ce dernier et du concours qu’elle lance chaque année. Par Michel Vino
L
a Fondation Jacques Rougerie qui agit sous l’égide de l’Institut de France organise chaque année depuis trois ans un grand concours international d’architecture autour des grandes passions de l’architecte dont elle porte le nom, la mer et l’espace. Celui-ci vise à offrir aux jeunes générations les moyens de bâtir demain un cadre de vie prenant en compte le développement durable et valorisant les richesses de la planète. En encourageant ainsi l’audace et l’innovation architecturales ainsi que les techniques et le design dans ces domaines particuliers, ô combien encore inexplorés, de la mer et de l’espace, la fondation souhaite faire naître des vocations de façon pérenne. Pour l’édition 2013, le prix Innovation et architecture de la mer est revenu à trois jeunes étudiants de l’Ecole de Paris-Malaquais, Meriem Chabani, Maeva Leneveu et Etienne Chobaux, associés en la circonstance à un anthropologue britannique. Leur projet, l’Artic Harvester, qui prend la forme d’une communauté agricole flottante dérivant entre le Groenland et le Canada, repose sur deux constats : une quasi inexistence de l’agriculture dans ces contrées polaires et la non-utilisation des ressources issues des icebergs. Le village flottant qu’ils ont imaginé et qui peut accueillir jusqu’à 800 habitants avec tous les équipements publics nécessaires à son bon fonctionnement, tire, lui, au contraire, sa ressource première de l’exploitation des icebergs qui contiennent les nutriments pour la mise en place d’une agriculture hors-sol et hydroponique nomade. Selon ces lauréats, la mise en place d’un réseau de plusieurs de ces Artic Harvester permettrait de subvenir aux besoins maraîchers de la population groenlandaise. Dans cette même catégorie, relevons aussi le coup de cœur attribué par un collectif d’étudiants en architecture associé au jury. Décerné à un jeune architecte belge de 29 ans, Bram Van Cauter, il met en avant son projet d’université flottante. Résidant dans les terres basses en Belgique, une des zones en Europe directement concernée par la montée du niveau des océans et donc sensibilisé à cette problématique, ce dernier a imaginé une
Une communauté agricole flottante au Groenland
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très originale université flottante ayant la faculté d’être utilisée aussi bien en position… horizontale que verticale ! Inspirée des procédés de stabilité des plateformes pétrolières et des paquebots actuels, il suffit pour la positionner à la verticale et l’immerger à 55 % de sa structure, de remplir d’eau son noyau. Vrai faux navire pouvant accueillir un équipage de 140 personnes, il comprend unités de vie, salles de travail et de conférence, bureaux de recherche et même une piscine. L’ensemble du mobilier est, bien entendu, conçu pour être utilisé dans les deux positions. Une arche de Si le deuxième prix du concours consaNoé au Bengale cre, lui, des projets tout aussi anticipateurs
et avant-gardistes mais dans le domaine de l’espace cette fois, le troisième prix est en revanche également en lien direct avec la mer puisque s’intéressant à la problématique de la montée du niveau des océans, et à ce titre, soutenu par l’Unesco. Dans cette catégorie, au-delà du prix remis à une équipe hongroise pour son projet de protection des mangroves et des littoraux des deltas, il est intéressant de s’arrêter sur le coup de cœur du jury accordé à Agnès Laycuras-Gandar et Laura Guépin, deux jeunes architectes de Nantes. Constitué d’une mosaïque d’îlots autosuffisants respectant aussi bien l’environnement que les traditions et les valeurs de ses habitants, leur projet de cité des eaux au cœur du golfe du Bengale se pose en alternative aux déplacements auxquels sont souvent contraintes les populations de cette région. Il est à noter que les structures de cette véritable arche de Noé sont en bambou dont le Bengladesh est un des principaux producteurs au monde et que les poteaux de la construction sont, eux, conçus notamment de manière à servir de refuge à la faune aquatique. Entre les différents îlots s’étend par ailleurs un système de rizières et dans la partie extérieure de la mosaïque sont prévus différents systèmes d’autosuffisance (nettoyage des eaux usées par photofiltration, culture de crevettes, système de désalinisation de l’eau… ).
L’Artic Harvester, communauté agricole flottante pour contrées polaires.
Jala Pur, cité des eaux et mosaïque d’îlots autosuffisants.
LES MONUMENTS SAUVÉS DES EAUX Autre coup de cœur dans la catégorie « Architecture et problématique de la montée du niveau des océans », celui accordé au Russe Mikhaïl Kudryashov, qui nous fait, lui, basculer encore davantage dans un monde futuriste et qui souligne en tout cas si besoin est, l’urgence qui monte elle aussi en la matière. Avec son projet « Drop in the ocean » conçu pour préserver les lieux historiques et de patrimoine de la montée des eaux et faire des villes inondées des musées à part entière, on plonge dans un univers encore plus proche de la science-fiction ou des films catastrophe hollywoodiens. Au moins, auronsnous été prévenus…
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URBANISME MARITIME Architecte visionnaire, disciple de Jacques Rougerie, Vincent Callebaut pense la ville de demain en s’inspirant du biomimétisme. C’est un nénuphar qui a donné naissance au projet Lilypad, une ville flottante pour les réfugiés climatiques... Par Julie Bordenave
Pensée pour 50 000 habitants, Lilypad, destinée aux réfugiés climatiques, se développe à la fois sur et sous l’eau.
S’
inspirer de la nature pour bâtir des constructions, c’est le principe du biomimétisme architectural. Au cœur de son cabinet situé à deux pas du jardin du Luxembourg, l’architecte belge Vincent Callebaut en a fait son cheval de bataille, pour penser une « ville résiliente », qui conjugue enjeux écologiques et économiques. Militant pour une ville verticale verte, dense et hyper connectée, ses projets combinent innovations technologiques et prouesses esthétiques : à couper le souffle, ses prototypes en 3 dimensions nous projettent directement dans un futur pas si lointain… Son premier projet manifeste : Lilypad, véritable ville flottante destinée aux réfugiés climatiques. Cette cité amphibienne est conçue pour dériver sur les océans. Inspirée par la feuille d’un nénuphar géant d’Amazonie agrandie 250 fois, elle est connectée au littoral par trois grandes marinas, chacune dédiée à un usage : travail, commerces, loisir. Pensée pour 50 000 habitants, Lilypad se développe à la fois sur et sous l’eau. Végétalisée par des jardins et vergers suspendus, elle vise l’autosuffisance énergétique : eaux douces récoltées dans un lagon central et filtrées par des jardins, panneaux photovoltaïques, recyclage des déchets via des algues vertes... Sa forme, radiale et concentrique, ainsi que les nervures en aluminium de sa coque, lui permettent de suivre le mouvement des vagues de surface, sans rompre. Cette incroyable ville auto-suffisante flottante a été initialement imaginée pour les réfugiés climatiques, sur les territoires menacés d’ici 2100 par la montée des océans : Bangladesh, Egypte, Pays-Bas, Maldives... Afin de trouver des sources de financement, le proVille résiliente
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gramme a été présenté à l’ONU et au parlement européen. Ce dernier envisage une plate-forme de crowd funding international, destinée à financer les dérèglements climatiques. Mais le projet intéresse aussi des territoires plus riches et limités géographiquement, désireux d’étendre des quartiers habités en offshore pour pallier un fort taux démographique : Monaco, Singapour, Hong Kong... Autre projet phare : Dragon Fly, destiné à réintégrer l’agriculture en milieu urbain. Haute de 300 m, cette ferme verticale copie la plasticité de l’aile de libellule. Autour d’un programme mixte de logements, de bureaux et de laboratoires en génie écologique, chaque étage abrite des espaces agricoles, cultivés en partie par ses propres habitants. En journée, les bureaux génèrent de l’énergie, récupérée le soir par les logements. Initialement pensée pour le cœur de Manhattan, Dragon Fly intéresse désormais aussi Kuala Lumpur, mais aussi les Emirats arabes unis. En attendant que ces utopies se concrétisent, un autre projet est en cours de réalisation, qui sortira de terre en 2016 à Taipei : l’Agora Garden, une tour végétalisée de 50 000 m2, dont la forme torsadée est inspirée... de l’hélice en double révolution de l’ADN ! Le cabinet Callebaut a remporté ce projet devant deux Prix Pritzker, Norman Foster et Zaha Hadid. « Challenge politique et social, le développement durable urbain doit, plus que jamais, rentrer internationalement en résonance avec le développement durable humain ! », conclut Vincent Callebaut. Ferme verticale
http://vincent.callebaut.org
© Vincent Callebaut Architectures
Ci-dessus : une projection de Dragon Fly, vu depuis le pont de Queensboro, à New York. Ci-contre : Lilypad, implantée virtuellement en rade de Monaco.
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Le “cheval noir”, l’un des joyaux de la grotte Cosquer.
UNE RÉPLIQUE À REMONTER LE TEMPS Plusieurs fois relancé, le projet de réplique de la grotte Cosquer verra-t-il le jour sous les profondeurs du fort d’Entrecasteaux ? Cette restitution demeure en tout cas à l’étude. Retour vers le futur. Par Michel Vino
D
écouverte dans les calanques depuis plus de vingt ans près du cap Morgiou par un plongeur dont elle porte le nom, la grotte Cosquer, à laquelle on accède par un conduit souterrain dont l’entrée se situe à 37 m sous l’eau, est aujourd’hui un monument enfoui interdit au public afin de le conserver. Celui-ci renferme sur ses parois un véritable trésor datant du paléolithique, entre 19 000 et 27 000 ans avant notre ère, de quelque 400 dessins et gravures, dont un nombre d’animaux terrestres et marins ainsi qu’un surprenant « homme tué ». Un patrimoine inestimable qu’il conviendrait de mettre en valeur et de rendre accessible. C’est pourquoi il existe un projet d’en construire une réplique, qui n’a toujours pas émergé… Consulté à ce propos ainsi que d’autres dans le cadre d’un appel à projet autour du fort d’Entrecasteaux à Marseille, l’un de ses principaux défenseurs, l’architecte André Stern, est persuadé qu’elle se finira par se faire. « Nous planchons sur une réflexion plus globale autour de cette partie du Vieux-Port à des fins en particulier touristiques et en étudiant aussi la mise en place d’un moyen de transport aérien de style téléphérique ou autre», indique-t-il. La copie conforme, de 50 m de long pour 20 de large et 10 de haut, qu’il a imaginée prendrait place ainsi dans une galerie souterraine creusée par l’armée allemande sous le fort.
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Un monument enfoui de quelque 400 dessins et gravures du paléolithique.
L’auteur des effets spéciaux du Mémorial de la Marseillaise dans la cité phocéenne et de la renaissance du plus vieux cinéma du monde, l’Eden-Théâtre de La Ciotat, a prévu en particulier une plateforme qui, montée sur un immense vérin hydraulique, enverrait le public dans les profondeurs de la terre pour leur conter « 26 000 ans d’histoire extraordinaire à l’aide de ce véritable sous-marin à remonter le temps », s’enthousiasme-t-il. Initialement chiffrée à 20 millions d’euros, cette réplique grandeur nature n’est pas pour déplaire à la ville de Marseille, qui n’entend pas non plus la financer seule. Un premier appel auprès d’éventuels contributeurs financiers est resté lettre morte, mais là aussi, au niveau du financement, les choses devraient évoluer, espère celui qui compte bien bâtir ce « rêve de scénographe ». 26 000 ans d’histoire
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© Joël Assuied
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LA MER A DROIT DE CITÉ À MARSEILLE Pour faire honneur à son patrimoine maritime, et ses forces vives parfois méconnues, la Ville de Marseille envisage l’ouverture d’un centre de conservation et d’études de la mer, à horizon 2024. Réel projet ou serpent de mer ? Par Julie Bordenave
Marseille possède un potentiel de recherche unique dans le domaine de l’océanographie.
arseille entretient des relations ambivalentes avec sa Méditerranée. Il aura ainsi fallu attendre 1848 et le percement du second Prado, pour rendre plus aisé l’accès à la mer depuis le centre ville. Et si elle compte désormais de nombreuses plages, la cité phocéenne n’est jamais devenue pour autant une station balnéaire, à la différence de ses voisines de la Côte d’Azur. Ses liens sont d’une autre nature : port de commerce, plongée, recherche... C’est pour valoriser ce patrimoine, et renouer avec une histoire forte, que certains appellent aujourd’hui de leurs vœux l’édification d’une superstructure qui rende hommage à ces richesses, tant historiques et scientifiques qu’économiques. « Marseille possède un potentiel de recherche unique dans le domaine de l’océanographie. Elle est aussi la capitale méditerranéenne de la plongée sous-marine et des travaux sous-marins avec la Comex, mais elle n’a pas de vitrine pouvant fédérer toutes ces activités au sein d’un grand centre de la mer », déplore le professeur Nardo Vicente, océanologue, qui ouvrait par ces mots avant les récentes élections municipales une pétition en faveur d’une telle création. Qu’en est-il exactement?
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Faisant écho aux grands travaux d’Euroméditerranée et à la volonté de la cité de poursuivre la requalification du littoral nord de la ville, le projet est en effet souhaité par l’équipe municipale de Jean-Claude Gaudin depuis 2008. C’est Gérard Chenoz, délégué aux grands projets d’attractivité, qui a en a désormais la charge : « Marseille est une plaque tournante de la mer, explique-t-il. C’est pourquoi nous souhaitons faire un tel centre international dans l’esprit d’un futuroscope. Son nom de code pour l’instant : C3M, pour Centre Maritime Marseille Métropole. » Ce dernier prendrait place à l’ouest de l’Estaque, sur une bande littorale courant au sud de la route départementale, entre l’Espace Mistral et le tunnel du Rove. Ce grand projet prévoit en premier lieu un centre d’études et de conservation, misant sur les forces vives déjà existantes. Le Drassm (Département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines du ministère de la culture) verrait ses locaux agrandis. « Son directeur, M. L’Hour, serait partant pour permettre aux visiteurs d’assister à une fouille en temps réel, menée par les archéologues plongeurs de son école, sur une épave dans un bassin dédié ! », s’enthousiasme Gérard Chenoz. Le C3M compterait aussi sur la relocalisation éventuelle de Requalifier le littoral de l’Estaque
UN PATRIMOINE MARITIME ANCRÉ DANS LA VILLE
Disséminés dans la ville, les emblèmes maritimes sont légion à Marseille, pour qui sait les repérer. Dès la Canebière, l’iconoclaste tourelle de plongée expérimentale de la Comex trône au pied de la CCI. Le long de la Corniche ensuite, au n°174, se trouve le Marégraphe, construit à la fin du XIXe siècle. Dominant la Grande Bleue, ce petit monument historique (classé en 2002) signale le « point d’altitude zéro » de référence, qui détermine l’origine des altitudes françaises. Au cœur de Malmousque, il y a également la Station marine Endoume. Cette bâtisse jaune pâle construite au XIXe siècle dépend du Centre d’océanologie de Marseille, lui-même rattaché à l’université d’Aix-Marseille et au CNRS. C’est le seul observatoire du milieu marin situé en zone urbaine. Sur l’eau enfin, si la rade aime à accueillir régulièrement des régates, c’est un fleuron local qui a tous les honneurs : la barquette marseillaise, chouchoutée par l’association Boud’Mer, et labellisée « patrimoine vivant à valoriser » par l’Office de la mer. Evénements à venir : Septembre en mer, organisé par l’Office de la mer ; 41e édition du Festival mondial de l’image sous-marine, du 30 octobre au 2 novembre.
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© Philippe Mura
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LA SAGA DU SAGA Le secret le mieux gardé de l’Estaque est tapi dans un hangar depuis les années 90. Véritable Yellow Submarine grandeur nature, c’est un petit joyau technologique conçu dans les années 80, à la suite de l’Argyronète du commandant Cousteau : long de 28m, capable de tenir 21 jours avec un équipage de 7 personnes à son bord, pour une immersion maximale de 600 m, le Saga (pour Sous-marin d’assistance à grande autonomie), plus grand sous-marin civil au monde, a été développé par la Comex et l’Ifremer. Mais le projet est stoppé net en 1990, suite à la troisième crise pétrolière. Laissé en désuétude depuis lors, c’est grâce à la motivation d’une poignée de bénévoles, accompagnés par l’Office de la mer et soutenus par Didier Réault, qu’il a entamé sa seconde vie. Ces anciens de la Comex, pour certains plongeurs chez Cousteau, ont œuvré avec patience à sa restauration et au nettoyage du hangar qui l’accueille, en espérant pouvoir bientôt l’ouvrir aux visites publiques. Objectif à terme : « y accueillir des événements et des expositions, et en faire le totem de la future Cité de la mer ! », s’enthousiasme Michel Bourhis, l’un de ces activistes. Pour l’heure, le Saga se visite virtuellement, sur le site : www.officedelamer.com/sous-marin-saga/visite-virtuelle-saga/ Prochain événement autour du Saga : Fête de l’Estaque, les 6 et 7 septembre 2014.
la Station marine universitaire d’Endoume, la création d’un pôle associatif lié aux activités maritimes, le déplacement et la modernisation des Bains de l’Estaque, avec un volet thalassothérapie.... Au programme également : la création d’un centre international de plongée, intégrant une fosse de 12 m. S’ajouteraient inévitablement les compléments que requièrent de tels équipements : restauration, hôtellerie, parking... Cette première phase de travaux serait réalisable sous le mandat municipal actuel. A moyen terme, il s’agirait de renforcer ces évolutions urbaines, en modernisant notamment la halte ferroviaire de l’Estaque, et en assurant aussi une liaison mécanique avec le littoral. « L’étude de faisabilité urbaine est en cours, poursuit l’élu marseillais en charge du dossier. Les premiers travaux pourraient démarrer fin 2016, pour s’achever d’ici dix ans. » De nombreux acteurs sont dès à présent mobilisés : publics (Etat, ville, département, région, Université Aix Marseille, chambre de commerce, Grand port maritime de Marseille...), privés (Sanofi, Retial...), mixtes (Pôle Mer Méditerranée) et associatifs (Festival mondial de l’image sous-marine, Septentrion, Planète Mer...).
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Se pose aussi la question d’un aquarium géant sur lequel les avis divergent. Certains le voient implantés sur le site de l’Estaque, d’autres préfèrent l’imaginer entre le J1 et le J4 : « Si on en fait un, il faut qu’il soit à échelle internationale, capable de rivaliser avec les plus gros du monde, ceux de Géorgie, Dubaï, Lisbonne, Valence, Gênes, Shanghai !, estime pour sa part Gérard Chenoz. Celui-ci pourrait compter 20 000 m3 d’eau, avec des baleines, des requins... Avec tous les visiteurs que draine déjà le Mucem, on peut garantir aux investisseurs une fréquentation d’au moins 2,5 millions de personnes. Marseille sort de l’adolescence, elle devient une jeune femme. Nous sommes là depuis 20 ans, il est temps pour la ville de se structurer, de s’ancrer dans le développement économique pour créer des emplois ! »
Un aquarium géant ?
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Por tfolio
LA TOUR CMA-CGM
DU HAUT DE SES 147 M Nouveau phare et plus grand Immeuble de grande hauteur (IGH) de Marseille, ciselé dans le style déconstructiviste par l’architecte Zaha Hadid, la tour CMA CGM restera à jamais, avec ses 33 étages, la plus haute et la première à s’être dressée dans le skyline phocéen du quartier d’affaires Euroméditerranée où devraient la rejoindre prochainement d’autres tours comme la Marseillaise ou encore H 99. Abritant le siège social d’une des plus grandes compagnies maritimes mondiales de transport de conteneurs, l’édifice demeure strictement privé. Influences vous offre l’occasion rare de le découvrir de l’intérieur...
Photos : Joël Assuied
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© Stephane Herbert - Globe Vision
Utopie
BRASÍLIA, UTOPIE AVORTÉE Cette année de Coupe du monde de football a mis sous le feu des projecteurs la mégalopole capitale du Brésil, Brasília, créée de toutes pièces dans les années cinquante. Une ville dont l’édification révèle l’échec d’un paradigme architectural aujourd’hui révolu.
L
Par Olivier Pisella
orsque Juscelino Kubitschek est élu à la présidence du Brésil en 1955, il promet pour son pays, avec une certaine arrogance, « 50 ans de progrès en 5 ans de gouvernement ». La création d’une nouvelle capitale devient son cheval de bataille. Sous son impulsion, Brasília, inaugurée le 21 avril 1960, sera construite en moins de quatre ans et conçue pour devenir la capitale emblématique d’un Brésil tourné vers une nouvelle ère de modernité. Elle a dû depuis abandonner nombre de ses illusions fondatrices. L’idée de repositionner la capitale à l’intérieur des terres courrait en fait depuis le début du XIXe siècle. En 1955, la façade océanique du Brésil concentre l’essentiel de la population et des activités économiques du pays. Brasilia avait ainsi pour but de rééquilibrer spatialement l’essor brésilien et la répartition des habitants. Mais d’autres intérêts ont motivé ce transfert : Rio de Janeiro, l’ancienne capitale, ville surpeuplée, était vulnérable aux attaques armées et fut le théâtre de plusieurs épisodes in-
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surrectionnels inquiétants pour le pouvoir. Brasília doit être la rampe de lancement de tout le pays vers le capitalisme national. Le rêve d’un Brésil fort et autonome, industriel et urbain, alors que, sortant tout juste de l’âge colonial, son économie repose encore largement sur la production de matières premières. C’est le plan de l’urbaniste Lucio Costa qui est retenu. Le chantier commence en 1957 au milieu de la Cerrado, sur un plateau élevé au cœur de l’Etat de Goias. Le tracé originel de la ville – le Plan pilote, classé par l’Unesco en 1987 – évoque celui d’un avion. Dans un tel engin, les ailes permettent en effet de stocker le carburant. À Brasília, les ailes sont les zones résidentielles, la force de travail. Quant au fuselage de l’appareil, appelé « axe monumental », il abrite les bureaux du gouvernement. Le célèbre architecte Oscar Niemeyer, mort il y a deux ans, réalise la plupart des bâtiments prestigieux de la ville et conçoit même l’organisation des appartements qui sera standardisée. L’avion de la Cerrado
© CAU BR
Un plan urbanistique symptomatique des illusions de l’époque.
L’utopie égalitaire est restée une chimère tuée dans l’œuf. Si on parle d’utopie en ce qui concerne Brasília, c’est que Niemeyer et Costa prédéterminent, chacun dans leur ouvrage, une vision définitive – et assez rigide – de ce qu’elle sera et de la manière qu’auront ses habitants d’y vivre. « C’est symptomatique des illusions de l’époque, commente David Urgoiti, architecte espagnol de 44 ans. On ne peut pas imposer un mode de vie par l’architecture. Leur proposition de ville allait de pair avec une proposition sociale. Ça ne fonctionne pas. Brasília est issue des principes établis par Le Corbusier à travers la Charte d’Athènes, mais ni le facteur temps, nécessaire pour que les habitants s’approprient la ville, ni le facteur sociologique n’ont été correctement évalués. » Selon ses concepteurs, Brasília devait devenir un exemple de mixité sociale, un peu comme en France les HLM étaient censées regrouper diverses classes et servir d’instrument d’élévation sociale. Pourtant, le président Kubitschek s’opposa à ce que la population travaillant sur le chantier habite en ville (comme Capricieuse pauvreté
il en était question au départ pour un tiers), lui préférant nettement celle des élites et des classes moyennes. L’afflux massif, dès le début du chantier, de migrants pauvres du Nord-este et de l’Ouest brésilien précipita l’édification des villes satellites. Contrairement à la planification, elles virent le jour de façon anarchique en parallèle du Plan pilote. La vitrine du Brésil aura certes permis de désenclaver et dynamiser l’intérieur du pays, mais en ce qui concerne l’utopie égalitaire, celle-ci est restée une chimère tuée dans l’œuf. Brasília ressemble donc de nos jours à une forteresse dorée pour nantis, autour de laquelle la « chienlit », pauvre et laborieuse, gravite.
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Car net de voyage
Oasis de Laghouat. Le boulevard le long du mur d’enceinte.
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CARNET DE
VOYAGE
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MAGHREB SOUS LE TRAIT DE
LE CORBUSIER Texte : Michel Vino • Dessins : Le Corbusier
Dans les années trente, le célèbre architecte Le Corbusier effectue deux voyages au Maroc et en Algérie, l’un en touriste, le deuxième d’affaire. Comme à son habitude, il en rapporte de nombreux dessins et croquis. Outre ses habituels carnets de poche, il utilise pour cela deux grands albums à spirale recouverts d’une couverture cartonnée grise. Retrouvés récemment, ces derniers ont fait l’objet d’un livre coédité par la Fondation Le Corbusier et la maison d’édition belge Archives d’architecture moderne. Intitulé « Le Corbusier, Albums d’Afrique du Nord - Voyages au M’Zab 1931 et 1933 », cet ouvrage nous les restituent dans leur jus, reproduction de la spirale du carnet comprise. D’après son auteure, Danièle Pauly, une historienne de l’art spécialiste de Le Corbusier qui les a commentés, ils comptent aujourd’hui parmi les documents les plus précieux détenus par la fondation. Ces deux carnets de voyage recèlent selon elle des dessins caractéristiques de la production la plus heureuse de l’inventeur de la Cité radieuse, celle des années trente. « Le premier album, » écrit-elle, est celui « d’un voyageur parti pour de réelles vacances et dessinant avec curiosité, au fil des endroits traversés (Casablanca, Fès, Meknès… NDLR), paysages, scènes de genre et personnages : études attentives où le pastel rend les ombres et les volumes, esquisses au crayon, parfois rehaussées de couleur, traçant les contours d’une figure ou les lignes d’un panorama. A la fin, seules quelques pages, où sont ébauchées des silhouettes d’immeubles dans une étendue côtière, renvoient au métier. » Le second album, en revanche, est celui « d’un architecte qui visite des lieux, étudie et crayonne sites naturels, vues de villes, constructions, en de rapide croquis d’analyse – sorte de « sténographie » - qui en saisissent les caractéristiques. » Soit, selon elle encore, des pages éloquentes quant à la méthode mise au point en la matière par Le Corbusier. Ce deuxième carnet de voyage retrouvé contient quelques-unes des problématiques majeures chères à l’architecte : l’habitat et la question du standard, l’architecture et le paysage, la ville et le territoire. Ensemble, les deux albums illustrent également le thème féminin, l’un des sujets prédominants chez le peintre que fut aussi Le Corbusier. Au cours de ces deux périples nord-africains, sensible à l’exotisme des scènes et au charme des femmes mauresques, le dessinateur couche en effet sur bon nombre de pages de ses albums de remarquables portraits de femmes : principalement nus, mais aussi tenancières de maison close, femmes berbères tatouées et parées de bijoux… dévoilant ainsi une autre des facettes artistiques du célèbre architecte.
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Car net de voyage Vue des îles du Frioul, depuis le bateau arrivant à Marseille.
Vue vers la palmeraie de Laghouat depuis une chambre de l’hôtel Saharien
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Nu féminin à la peau claire, assise dans un fauteuil.
Deux femmes, l’une dénudée assise en tailleur.
Ghardaïa la ville. La cour de la mosquée et, au loin, la ville de Beni Isguen.
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