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Les militaires décernent un carton rouge à la Défense « À quel point est-ce intéressant de travailler à la Défense aujourd’hui ? Quels sont les points forts et points faibles de la Défense en tant qu’employeur ? Les militaires choisiraient-ils à nouveau un job à l’armée et dans quelle mesure recommandent-ils ce travail à des employés potentiels ? Comment le personnel voit-il son travail et son propre avenir ? » Les réponses ci-dessous…
Entre le 2 et le 31 mai 2017, les 31.716 membres du personnel de la Défense ont été invités par le CHOD à participer à une enquête ayant pour objectif d’analyser l’identité de l’organisation de la Défense. Au bout du parcours, 3.856 personnes ont répondu au questionnaire ; 91% d’entre elles étaient militaires. Les autres sont des civils. Dans le Flash Défense du 27 avril dernier, le général Compernol promettait de publier un résumé des résultats. Ce dernier devrait être accompagné par les points d’action indispensables découlant de cette enquête. Selon nous, cinq mois après la fin de ce sondage, les résultats ne sont toujours pas diffusés. Voilà pourquoi l’ACMP-CGPM a jugé utile d’en rendre lui-même publiques les conclusions. Dans cet article, nous nous concentrons sur les résultats relatifs aux réponses des militaires. Compte tenu de l’ampleur de l’enquête, nous n’aborderons que les points les plus marquants.
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pour, par exemple, le recrutement, le soutien généré par l’opinion publique et la politique, et le bien-être du personnel.
Photo : D. Orban
Mais d’abord, quelques mots d’explication sur le pourquoi et le comment d’une enquête sur l’identité. L’identité organisationnelle porte sur le comportement et la personnalité d’une organisation, sur sa façon de communiquer et sur la manière dont ses employés vivent ces aspects. Il s’agit donc de sujets tels que les « services » rendus par une organisation ou une entreprise, sur sa compétence, sa gestion et son leadership, ses prestations et son fonctionnement ainsi que les relations et la communication internes. L’identité d’une organisation indique comment elle est perçue par son personnel. Cela est primordial pour son attractivité en tant qu’employeur et pour l’image que le monde extérieur s’en fait. Des aspects à leur tour importants
Les conclusions principales sont les suivantes : - L’image générale que les militaires se font de leur organisation est plus négative (46%) que positive (34%). Spontanément, les collaborateurs de la Défense associent celle-ci à des éléments négatifs comme, entre autres, « une mauvaise organisation » (16%), “limitée” (8%), « un avenir incertain » (8%) et « dépassée » (8%). Il faut aussi signaler l’image un peu plus positive dans les composantes Marine et Médicale. Les économies perpétuelles à la Défense commencent clairement à exiger leur tribut auprès de son personnel. Indubitablement, les récentes décisions concernant le relèvement de l’âge de la retraite, tout comme l’inconnue sur la fermeture de certaines casernes, jouent un rôle important dans ce résultat assez négatif.
- Pourquoi le personnel de la Défense voit son département plus négativement qu’avant ? La Défense fait-elle son travail/s’acquitte-t-elle moins bien de ses tâches ? Bien qu’une minorité (23%) pense qu’il en est réellement le cas, 38% des membres du personnel estiment que l’armée fait bien son travail. Il existe bien un groupe important de 39% qui doute que les tâches/ le travail soient/soit bien fait(es). Avec les 23% de réponses négatives, cela se révèle considérable. - Il est remarquable que 41% pensent que la Défense n’effectue pas les bonnes tâches ou ne participe pas aux bonnes missions. Cela pourrait être une explication possible pour les doutes sur la façon dont la Défense accomplit ses tâches/ses missions. L’opération Vigilant Guardian (OVG) pour soutenir la police dans nos villes peut ici jouer un rôle, parce qu’aux yeux des militaires, elle pourrait nuire à la bonne exécution d'autres tâches et missions permanentes. - À propos d’OVG, il n’y a pas non plus d'uniformité. Presque 40% pensent que celle-ci est une mission pour l’armée, tandis que 40% se prononcent contre ; environ 20% en doutent. Il est vrai que par rapport à 2015, cette mission trouve moins de soutien. Au début d’OVG, 83% soutenaient tout de même l’opération. Entre-temps, après 2 ans et demi, le poids de cette mission et son impact sur la vie familiale pèsent sur la motivation d’une partie du personnel. - Il est frappant, en outre, que le personnel de la Défense pense
que la population ne soit pas fière de lui (61%). Ce n’est pas le cas dans la réalité : bien qu’il y ait des doutes, près de la moitié des Belges sont fiers de leurs militaires.
- Il règne une démotivation et une méfiance relatives, surtout chez les militaires âgés entre 25 et 33 ans et, dans une moindre mesure, chez les 34-40 ans. Au fond d’eux-mêmes, ils semblent encore aimer leur métier – ils aiment être militaires – mais le contexte leur est devenu défavorable, ce qui les fait douter : ils se sentent moins valorisés et les informations sur leur avenir leur manquent. - La méfiance auprès de ces groupes de militaires pointe aussi une communication interne à la Défense qui, d’après eux, se répand plus vite par le biais de rumeurs que par les canaux of-
ficiels. Ils trouvent également que la majeure partie des informations en circulation sont moins utiles, moins crédibles, moins fiables et moins claires. Que la communication interne constitue un problème, cela semble être l’avis d’au moins 51% de militaires qui estiment être mal informés. A côté de cela, l’information s’avère aussi trop peu transparente. - Chez les jeunes de 17 à 24 ans, cela semble, à première vue, un moindre problème : ils se déclarent plus positives vis-à-vis de la Défense, même en tant qu’employeur. Bien qu’il s’avère qu’ils ne se sentent pas vraiment impliqués dans l’organisation : ils évoquent peu de perspectives d’avenir et peu d’appréciation. - Les militaires souhaitent aussi surtout une carrière complète à la Défense, et même la majorité des jeunes de 17-24 ans (66%) de la Défense la veulent. Seule une petite minorité est partisane d’une carrière courte, avec une durée limitée. La sécurité d’emploi se révèle donc primordiale. - Par conséquent, le personnel recommande moins la Défense comme employeur potentiel : non pas parce que le travail est dangereux (comme le pense la population), mais bien parce que les collaborateurs estiment qu’il n’existe plus de perspectives d’avenir au sein de la Défense. Les militaires conseilleraient-ils encore aux jeunes de s’engager à l’armée ? La réponse fait réfléchir : plus de la moitié (55%) dit « non » ou en doute. - Il est même décevant d’observer que 56% des personnes in-
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terrogées ne choisiraient plus la Défense comme employeur. - Il existe aussi un problème de leadership manifeste : la qualité du management est jugée bonne par à peine 33% des sondés. Ajoutons que les déclarations telles que « Mon supérieur est préoccupé par mon bien-être » et « Je reçois assez de reconnaissance pour mon travail » obtiennent un score positif faible, avec, respectivement, à peine 35 et 25% des membres du personnel qui approuvent. Bien qu’il y ait encore beaucoup de confiance envers la hiérarchie militaire, ce point attire l’attention. Environ 1 militaire sur 5 ne fait plus confiance à ses chefs. Les 25-44 ans, surtout, donnent beaucoup moins de crédit à leurs chefs militaires. Ce groupe constituant le « visage » principal de la Défense vers l’extérieur, nous faisons face à un point noir sérieux. Notamment parce que le sentiment de participation et la possibilité d’exprimer son opinion ne sont pas bien vécus. - Moins de 30% des militaires se déclarent satisfaits des possibilités de carrière à la Défense ; 33% sont mécontents et 37% nourrissent des doutes sur les opportunités de carrière. - La carence en personnel (66%) et le manque de matériel (55%) sont des facteurs de démotivation importants chez les militaires. - Pour le groupe des 17-33 ans, trois facteurs majeurs interviennent dans le choix professionnel : la sécurité d’emploi, la nature du travail et les perspectives d’avenir. La récente poli-
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tique de la Défense s’oppose totalement à ce constat. - Sans réelle surprise, les membres du personnel de la Défense ne sont pas vraiment contents de celle-ci comme employeur : 35% sont très satisfaits, 36% ont des doutes et 29% se déclarent très mécontents. Surtout, le groupe des 25-44 ans, les militaires de carrière, les officiers et sous-officiers sont significativement moins satisfaits. Lorsqu’on analyse les raisons de ce mécontentement, il est fait référence aux nombreuses « réformes » (22%) et à « l’avenir incertain » (22%). Ensuite, l’on dénombre les « moyens limités » (18%) et une « mauvaise organisation » (15%). Le sentiment de « manque de respect » (13%) envers les collaborateurs de la Défense est aussi un point non négligeable. Aux membres du personnel s’étant déclarés satisfaits – il s’agit surtout des groupes des 55-64 ans, des militaires à durée limitée et du personnel civil – on a demandé les raisons de cette satisfaction : avoir surtout un « travail stable » (22%) est la principale raison de satisfaction, suivie d’un « travail intéressant » (22%), d’un « bon employeur » (19%), d’une « diversité dans le job » (18%) et de « perspectives d’avancement » (15%).
« Sur base des résultats ci-dessus, nous ne pouvons que conclure que les perspectives d’avenir incertaines pèsent sur les collaborateurs de la Défense. À tel point qu’ils s’identifient de moins en moins à leur employeur, ce qui, au final, se révèle néfaste pour l’identité de la Défense et, enfin aussi, pour l’image et la réputation de la Défense. Que faudra-t-il faire à l’avenir avec la Défense ? La décision de raccourcir les carrières à la Défense était-elle judicieuse ? Qu’en pensent les jeunes de la Défense ? » Ce paragraphe provient du rapport de l’enquête. L’ACMP-CGPM ne peut aller que dans le sens de ces conclusions et questions de bon aloi. Comme un autre avertissement du rapport, auquel nous ne pouvons que souscrire : « L’identité plutôt négative de la Défense ne lui fera aucun bien. Ainsi, l’armée risque de perdre un soutien solide. De plus en plus d’acteurs peuvent, à terme, s’interroger sur la raison d’être d’une Défense belge. Cette question ne fera que conduire à de nouvelles incertitudes quant à l’avenir de la Défense, ce qui suscitera un scepticisme croissant auprès du personnel et mènera, par conséquent, à une identité plus faible. » En réalité, nous ne pouvons rien faire d’autre que de tirer la conclusion suivante de cette enquête : les militaires décernent un carton rouge à la Défense. L’ACMP-CGPM attend donc avec impatience le plan d’action annoncé le 27 avril dernier.