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Jochen De Smet Président EV Belgium :

« 1,5 à 2 millions de véhicules électriques d’ici 2030 ? Possible ! »

Jochen De Smet – Président d’EV Belgium

Jochen De Smet, expert en mobilité électrique au sein du bureau d'études Sweco, est depuis quelques mois président d'EV Belgium. Le 8 juin, AVERE Belgium, la fédération pour la mobilité électrique, et EV Belgium, la communauté des conducteurs de véhicules électriques (VE) en Belgique, ont uni leurs forces. La communauté des conducteurs de VE, qui compte plus de 2.000 conducteurs de VE, est intégrée à AVERE Belgium. Ensemble, ils continuent sous le nom de « EV Belgium ». Nous avons mis Jochen De Smet sur le grill, histoire de tout savoir sur les voitures électriques !

Philip De Paepe – philip.depaepe@effectivemedia.be

Le secteur des infrastructures de recharge se professionnalisera et se développera suffisamment, mais le goulet d'étranglement se situera principalement du côté de la logistique.

Pourquoi cette fusion entre AVERE Belgium et EV Belgium ?

Cette coopération est extrêmement importante pour le déploiement de la mobilité électrique en Belgique. Les utilisateurs et les fournisseurs de services et de produits collaboreront plus étroitement pour réussir cette transition vers une mobilité sans émissions. Les entreprises de ce jeune secteur veulent se développer rapidement dans les années à venir afin de pouvoir aborder cette transition de manière qualitative et professionnelle. Les producteurs de biens et de services actifs dans la chaîne de valeur de l'e-mobilité bénéficient également d'une caisse de résonance composée de conducteurs de VE qui valident leurs offres mais indiquent également les points à améliorer et à optimiser.

Une idée du nombre de voitures électriques qu’il y aura en Belgique dans les prochaines années ?

De plus en plus de constructeurs automobiles abandonnent progressivement le développement des moteurs à combustion. De plus en plus de nouveaux modèles arrivent sur le marché. Et le système fiscal pénalise les moteurs à combustion et encourage les VE. Sur la base de ces paramètres et des chiffres existants de la Febiac sur le parc automobile actuel, j'ai fait le pronostic prudent que dans un peu moins de dix ans, il y aura au moins 1,5 million de voitures électriques en circulation dans notre pays. Cela pourrait même grimper à 2 millions. Ce qui signifierait qu'en 2030, une voiture sur trois en Belgique serait électrique. Au début de l'année 2021, il y en avait 40.000.

Combien d'entre elles seront des voitures de société ?

Il est clair que les voitures de société prendront la tête de l'électrification du parc automobile. Certainement avec l'échéance de 2026 en vue, date à laquelle seuls les véhicules à émission zéro bénéficieront d'une déductibilité fiscale. A partir de 2026, nous supposons dans notre pronostic que 100% des voitures de société nouvellement immatriculées seront électriques, soit quelque 200.000 unités par an. Nous avons été prudents dans notre pronostic car nous supposons que cette législature - comme l'a annoncé le ministre des Finances Vincent van Peteghem - verra une révision du statut fiscal de la voiture de société en tant qu'avantage extralégal. Le marché total des VE, y compris les particuliers, s'élèverait alors à 250.000 véhicules immatriculés par an à partir de 2030. Il s'agit toutefois d'une estimation très prudente.

L'infrastructure de recharge sera-t-elle capable de suivre cette croissance exponentielle ?

L'Europe applique une clé de calcul d'une borne de recharge publique pour 10 voitures électriques vendues. C'est donc surtout après 2025 qu'il faudra installer des milliers de points de charge. En 2030, selon le scénario le plus optimiste, 124.620 points de recharge publics seront même nécessaires. Les chiffres de l'Observatoire européen des carburants alternatifs montrent que l'année dernière, on en comptait environ 8.500. Mais ce chiffre augmente chaque jour. Le secteur des infrastructures de recharge se professionnalisera et se développera suffisamment, mais le goulet d'étranglement se situera principalement du côté de la logistique.

Aurons-nous assez d'électricité pour recharger tous ces véhicules électriques ?

L'année dernière, la production en Belgique a chuté de 5% en raison d'une baisse de la demande d'énergie, due notamment à la rénovation des logements mais aussi au réchauffement climatique. En supposant que - dans le scénario optimiste - deux millions de VE circuleront en Belgique d'ici 2030, la demande d'électricité serait supérieure de 9,8 % à celle de 2020. Donc, si la tendance à la baisse de la demande se poursuit, il n'y aura pas de problème. Ce qui m'inquiète, c'est que l'électricité devra être au bon endroit. La distribution de l'énergie verte produite localement sera très importante à l'avenir. Il est donc essentiel de l'utiliser directement pour charger les VE. La transition vers les VE et celle vers les énergies renouvelables doivent aller de pair dans les années à venir.

Est-ce une bonne décision pour le gouvernement de construire des centrales au gaz ?

Vous en aurez de toute façon besoin temporairement pour répondre à la demande de base. Et il existe également des solutions techniques pour capter ces émissions de CO2. Ce n'est donc pas vraiment un problème tant que la part des énergies renouvelables continue d'augmenter dans les années à venir. En outre, dans un futur plus ou moins proche, de plus en plus de grandes centrales électriques à batteries de 25 mégawatts seront ajoutées. Ceux-ci peuvent stocker l'énergie et la réinjecter dans le réseau lorsque la demande atteint un pic.

Quid de la technologie « vehicle to grid », des stations de recharge intelligentes, comme celle que votre employeur Sweco a récemment mise en service ? Quelles perspectives pour cette technologie ?

D'autres VE dotés de la technologie bidirectionnelle arriveront bientôt sur le marché et ils serviront également de tampon. Non seulement pour les entreprises, mais aussi pour les familles. Un soir, une famille moyenne a besoin de 2 à 3 kWh d'énergie, ce qui est très peu comparé aux batteries des VE qui ont entre 60 et 80 kWh. D'ailleurs, les opérateurs de réseau le demandent. Vous avez maintenant un décalage entre la production et la consommation d'énergie renouvelable. Les panneaux solaires produisent pendant la journée, moment où les besoins énergétiques des ménages sont moindres. Une voiture électrique chargée à l'énergie solaire au travail pendant la journée peut aplanir ces courbes en fournissant de l'énergie pendant les pics du matin et du soir.

Dans un scénario idéal, vous pouvez recharger à la maison ou au travail. Mais les personnes qui vivent dans une maison mitoyenne ou un appartement, par exemple, et qui ne peuvent pas recharger sur leur lieu de travail, devront compter sur le réseau public. Que faire s'il n'y a pas de bornes de recharge à proximité ?

Il existe encore le principe de la « borne de recharge suit la voiture », selon lequel - du moins en Flandre - vous pouvez demander l'installation d'une borne s'il n'y en a pas dans

un rayon de 500 mètres autour de votre domicile. Si vous êtes propriétaire/locataire de votre propre place de stationnement dans un immeuble d'habitation, vous pouvez y installer une borne de recharge. Cela ne devient plus compliqué que lorsqu'il y en a plusieurs et que l'installation électrique n'est plus adéquate. Car dans ce cas, des investissements supplémentaires sont parfois nécessaires et vous entrez dans le domaine des co-propriétaires. Cela nécessite donc une réglementation supplémentaire.

Les conducteurs de VE qui ne peuvent recharger que dans les lieux publics paieront alors toujours plus cher leurs sessions de recharge que ceux qui peuvent recharger à domicile ou au travail ?

Pas nécessairement. On voit de plus en plus d'entreprises faire l'effort d'investir dans des infrastructures de recharge, non seulement pour les voitures de société mais aussi pour les employés qui possèdent leur propre véhicule électrique.

Ainsi, à terme, 90 % des conducteurs de VE pourront y recharger. D'un autre côté, il ne faut pas partir du principe que la recharge publique sera toujours beaucoup plus chère. Plus il y aura de bornes de recharge, plus le prix sera bas car la concurrence sera plus forte. J'ai récemment vu des spécifications pour deux projets à Gand et à Anvers. Les tarifs proposés sont considérablement plus bas que les 32 à 39 cents/kWh actuels. Je pense qu'ils iront donc de plus en plus dans le sens du taux domestique.

Le problème de la perte de revenus due aux accises demeure dans le chef du gouvernement. Il faudra aussi compenser le fait qu'il y ait moins de voitures à essence sur les routes ...

Nous savons que quelque chose va se passer. Une taxe à la recharge me semble être une mauvaise idée. Il est préférable d'avoir une taxe kilométrique intelligente où l'on paye plus à mesure que l'on roule. Seulement, ce n'est pas facile en Belgique. Parce que les accises sur les carburants sont une matière fédérale et la taxe routière est gérée par les Régions. Les niveaux de pouvoir vont devoir trouver un consensus.

EV Belgium travaille avec le gouvernement fédéral à une loi sur la transparence des prix des infrastructures de recharge. Le conducteur de VE saura combien cela lui coûtera avant, pendant et après la charge.

Le projet de loi de M. Van Peteghem prévoit que la déductibilité fiscale à 100 % des VE sera progressivement supprimée après 2026. Qu’en pensez-vous ?

Je suis d'accord avec ça. Il est important que le gouvernement apporte son soutien pour accélérer la transition. Mais le principe selon lequel chacun contribue au financement d'un système consolidé est également important. Une suppression progressive des déductions fiscales me semble donc logique et équitable. N'oubliez pas non plus que les entreprises feront de toute façon des économies substantielles par rapport à leurs flottes qui fonctionnent actuellement au carburant.

De nombreuses entreprises sont évidemment intéressées par ces économies. Pouvez-vous les estimer ?

Si l'on considère que la consommation moyenne d'une voiture à essence est de 6 l/100 km, elle vous coûtera 8 €/100 km au prix actuel du carburant. Le prix moyen que les entreprises paient pour l'électricité est d'environ 15 cents/kWh. Si l'on prend une consommation de 18 kWh pour un VE, on arrive à 2,7 euros/km. On peut donc prétendre qu'une voiture de société électrique est environ trois à quatre fois moins chère en termes de coûts opérationnels. Bien sûr, cela ne dit pas tout. Il faut également prendre en compte le prix du véhicule et de la recharge publique pour le TCO. Mais il est clair que vous avez tout intérêt à recharger le plus possible dans les locaux de l'entreprise. Parce qu'à la maison, vous payez en moyenne 25 centimes, et qu'il faut aussi tenir compte de la facturation occasionnelle dans les lieux publics.

L'ACEA a récemment déclaré que la concentration des ventes de VE se fait dans quelques pays européens seulement et qu'il existe également un écart entre ce que les gens peuvent/veulent payer pour un VE. Les VE sont-ils encore trop chers ?

Je n'attends pas de baisse des prix avant 2025, car les constructeurs automobiles vont

Plus il y aura de bornes de recharge, plus le prix sera bas car la concurrence sera plus forte.

investir massivement dans le développement des batteries. Les choses bougent : batteries solides, alternatives au cobalt et une usine européenne en Allemagne qui produira suffisamment de lithium pour toutes les voitures européennes. Les batteries seront plus légères, leur production sera plus durable et leur autonomie plus grande. À long terme, tous les consommateurs en bénéficieront. Il y aura plus de modèles, ce qui permettra également aux fabricants de récupérer ces investissements et de baisser le prix. Il est normal que les VE soient encore plus chers aujourd'hui. Il ne faut pas oublier que l'électrification est la plus grande révolution que l'industrie automobile ait connue ces dernières décennies. Cela coûtera des milliards au secteur automobile, qui doit être en mesure de récupérer ces investissements. Mais des études montrent qu'à partir de 2026/2027, il y aura un nivellement des prix : un VE coûtera autant qu'une voiture à moteur à combustion interne.

Nous constatons que près de 90 % des VE en Belgique sont des voitures de société actuellement. Une bonne chose ? Les particuliers ne doivent-ils pas se brancher d'urgence ?

Oui, c'est une bonne chose. Les voitures de société sont le moteur de cette transition. En outre, les VE peuvent facilement atteindre une durée de vie de 250.000 à 300.000 km, ce qui signifie qu'ils peuvent être utilisés comme des voitures d'occasion intéressantes à court terme. Ces VE ont beaucoup moins de pièces susceptibles de s'user. C'est bon pour la valeur résiduelle et le prix d'achat ou de location correspondant. Les contrats de leasing couvrent en moyenne entre 40.000 et 60.000 km, de quoi garantir encore une longue durée de vie sur le marché de l'occasion. La voiture de société jouera donc aussi son rôle pour inciter les particuliers à se tourner vers le marché de l'occasion.

Aujourd'hui, il n'y a pratiquement aucune transparence des prix pour les infrastructures de recharge publiques. Peut-on espérer une amélioration dans ce domaine ?

EV Belgium travaille avec le gouvernement fédéral à une loi sur la transparence des prix des infrastructures de recharge. Le conducteur de VE saura combien cela lui coûtera avant, pendant et après la charge. Il y aura donc un règlement, et nous examinons actuellement comment nous pouvons le faire de manière pratique. Cela passera probablement par des applications. Les prix de l'électricité peuvent être très volatils. Les applications sont donc la meilleure solution pour calculer le prix en temps réel.

Les véhicules à pile à combustible ne produisent pas non plus d'émissions. L'hydrogène jouera-t-il également un rôle dans l'électrification du parc automobile ?

Je ne peux que constater que les voitures à hydrogène constituent aujourd'hui un business case difficile. Les voitures équipées d'une pile à combustible sont trois fois moins efficaces en termes de coût de ravitaillement que les voitures électriques à batterie. Si cela change à l'avenir, la part pourrait augmenter. Mais il n'en demeure pas moins que les marques ne sont guère incitées à investir dans ce domaine. L'offre actuelle est très limitée et n'est pas du tout comparable à la croissance exponentielle de l'offre de véhicules électriques à batterie.

Je n’attends pas de baisse des prix avant 2025 car les constructeurs vont devoir investir massivement dans le développement des batteries.

La dernière et inévitable question : voyezvous encore un avenir pour les hybrides rechargeables ?

Le concept est toujours un peu double. Même avec des plug-in conséquents, vous devez déplacer le poids supplémentaire du moteur à combustion. Et si, pour compenser, vous fabriquez des plug-in avec des batteries plus grandes, votre véhicule devient encore plus lourd. S'il est peu ou pas rechargé, le concept n'est pas du tout positif en termes d'émissions. En fait, je suis convaincu que tout le monde peut rouler à l'électricité aujourd'hui. Je pense que pour la plupart des gens, le passage aux VE est plus une barrière psychologique qu'un obstacle objectivement raisonné. Notre parc automobile est à l'arrêt 95% du temps, ce qui laisse beaucoup de temps pour la recharge. Je l'admets : tout le monde ne pourra pas faire cela devant sa porte. Mais à mesure que l'infrastructure de recharge se développera au cours des prochaines années - avec notamment des chargeurs rapides -, il y aura peu d'arguments pour ne pas opter pour un VE.

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