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Destin - Chuck Graemiger - chapitre I
HANES, CHARLES ET CHUCK GRAEMIGER, TROIS PRÉNOMS POUR UN SEUL, POUR NE PAS DIRE «UNIQUE» CONSTRUCTEUR AUTOMOBILE. C’EST À RENNAZ (VD) QUE L’ON A RETROUVÉ LE PÈRE DES CHEETAH, APPENZELLOIS NÉ LE 8 JUILLET 1937 À MANILLE. CHAPITRE I* Par Pierre Thaulaz
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JE NE M’INTÉRESSAIS ABSOLUMENT PAS AUX VOITURES.
AUTO : Pourquoi ce nom de Cheetah ? Chuck Graemiger : C’est le guépard en anglais, l’animal le plus rapide sur terre. J’ai toujours été fasciné par l’animal, encore aujourd’hui. Il est très racé, fin, élégant et rapide, ça représentait ce que je voulais pour mes voitures. Malheureusement, c’est est aussi le nom du singe de Tarzan. 30 ans après on me dit : «Est-ce qu’il vit encore ce singe ? Et est-ce que Tarzan est encore en vie ?»
Des Cheetah qui ne vous appartiennent plus ? C’est exact. Il faut dire que suis un peu spécial. J’adore les concevoir, les construire, mais je pense déjà à la suite. La plupart des pilotes et constructeurs affirment avoir conduit la voiture de leurs parents à 4 ans. Moi, à 4 ans, je ne m’intéressais absolument pas aux voitures.
Vous viviez encore aux Philippines ? Oui, et c’était durant la période de la guerre marquée par l’invasion des Japonais. Je crois d’ailleurs qu’on n’avait pas d’automobile.
Quel est votre prénom ? Hanes. Mais lorsque j’ai atterri en Suisse romande afin d’entreprendre mes études d’architecture, j’ai eu un problème avec ce prénom qui se prononçait «ânesse» en français. J’ai choisi Charles, malheureusement nous étions quatre étudiants à porter ce prénom dans la classe. Le professeur a dit : «J’en ai marre, quand j’appelle Charles il y a un troupeau qui se pointe.» Il a donc décidé que j’allais m’appeler Chuck.
Et Chuck est parti en Angleterre ? L’architecture ne me convenait pas et mon père m’a envoyé dans un technicum à Londres où l’on apprenait à souder et démonter un moteur. J’avais 19 ans, du jour au lendemain j’ai eu le coup de foudre pour l’automobile. Un jour, un jeune homme débarque dans l’école et nous demande de souder son différentiel pour bénéficier d’un autobloquant à 100 %. Je soude ce
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C’ÉTAIT FRANK WILLIAMS.
différentiel et le mec me dit : «Je fais des courses à Londres, viens comme spectateur.» C’était Frank Williams. Il pilotait une Austin A40, une petite caisse sympa qu’il avait transformée. A la troisième course, il me présente à Jonathan Williams, un Anglais qui allait faire parler de lui par la suite en sport proto chez Ferrari. Je suis devenu son mécanicien en formule Junior. Puis est arrivé Ronnie Peterson, d’autres encore. Mes parents avaient une petite maison à Corseaux, c’est devenu un peu la base européenne de tous ces jeunes pilotes. Nous avons finalement partagé un appartement à Londres. Tous ces gens sont devenus célèbres.
Puis vous êtes rentré en Suisse ? Nous avions repris un garage à Lausanne. Un client suédois amène sa Volvo à réparer, je ne le connaissais pas. Il me dit : «Je m’appelle Bonnier. Je monte une galerie de peinture à Lausanne, je vous invite au vernissage. Il me présente un copain pilote, Ulf Norinder, un viking avec une énorme barbe qui venait d’acheter une GTO. Il avait besoin d’un mécanicien pour participer à des courses du championnat du monde. Il me demande : «Vous connaissez les Ferrari ?»Je réponds : «Bien sûr!» Je n’avais jamais touché une Ferrari de ma vie. Lors de ma première course, la Targa Florio, je rencontre l’équipe de Caroll Shelby qui engageait ses premières Cobra
LES ENGUEULÉES DE SIFFERT
Quels étaient vos rapports avec Jo Siffert, votre aîné d’une année (Jo est né le 7 juillet 1936) ? Chuck Graemiger : Dans notre garage lausannois, nous vendions des anglaises et avions bien sûr des occasions. Jo Siffert, qui avait son garage à Fribourg, faisait sa tournée une fois par semaine pour acheter des occasions. Nous avions aussi toute une série de Suisses allemands, mais Siffert était le plus sévère, le plus grossier et le plus dur des acheteurs. Il choisissait une voiture, il mettait les plaques de garage et partait directement sur une course de F1 ou de sport proto. Parfois il tombait en panne et il me téléphonait : «Tu m’as vendu une vraie merde !» La fois d’après, c’était une engueulée encore plus puissante.» A un certain moment, on a décidé de monter une affaire ensemble. On voulait importer des remorques anglaises et une multitude d’autres choses. Malheureusement, il a eu l’accident. Vous auriez créé cette société autrement ? Oui. Je me suis d’ailleurs retrouvé avec sept remorques sur les bras…

en Europe. En Sicile, on parle italien ou français, c’est moi qui traduisais. Le lundi matin, le team manager de Shelby me prend à part : «On est en train de construire la Daytona Coupé, pointe-toi à Modène, on t’engage!»
Evidemment, vous avez dit oui ? En effet. En 1964, j’étais sur toutes les courses de l’équipe Shelby avec la Cobra, en parallèle avec Norinder qui courait de manière ponctuelle. Norinder ne pouvait pas venir aux 12 Heures de Reims car il divorçait je crois pour la énième fois. Il m’a donné un peu d’argent : «Pars avec la GTO et trouve un pilote. A l’époque, des jeunes issus de la formule Junior étaient toujours prêts à courir. Le paddock de Reims ? Un pré à vaches… J’avais un problème avec la Ferrari qui marchait sur 10 cylindres. Une bougie est tombée dans l’herbe et je ne la trouvais plus. Je ne pouvais pas pousser la voiture car il y avait des bosses et des «beuses». Arrive un petit pilote avec sa femme. Il me raconte un truc, j’étais énervé et je l’ai envoyé ch… Je continuais à chercher ma bougie, il revient une deuxième fois, puis une troisième, je devenais de plus grossier. Bonnier arrive et me dit : «Tu pourrais quand même te calmer un peu, ce n’est pas n’importe qui.» C’était Jackie Stewart et sa femme, je me suis excusé. Il fait trois tours d’essais et me dit : «Je ne vais pas conduire, c’est une poubelle.» Il disparaît, j’engage alors Chris Amon. Il avait un copain mécanicien et avec un ami anglais on a sorti le moteur pour le réparer. La voiture tournait enfin sur 12 cylindres. Il fallait se qualifier le samedi à 16h et Stewart s’est représenté miraculeusement. J’avais donc Chris Amon et Jackie Stewart. Une course assez amusante, on a fini je crois 5e de classe. Je n’ai jamais revu Chris Amon, parti dans sa ferme de Nouvelle-Zélande, mais je vois de temps en temps Jackie Stewart. A l’époque, c’était déjà un homme du monde, pas le gamin qui avait juste envie de peser sur l’accélérateur.
La Ferrari GTO du Suédois Ulf Norinder et de... Jackie Stewart
Vous êtes devenu à votre tour pilote, puis constructeur automobile… J’ai d’abord transformé une Hillman Minx, voiture avec laquelle j’ai participé au championnat suisse. Puis j’ai acheté une Chevron B8. J’ai effectué deux saisons du championnat d’Europe de voitures de sport 2 litres, c’est là que j’ai commencé à comprendre ce qu’était une voiture. Quand on est mécanicien de course, on entend ce que les pilotes nous racontent. Ce sont souvent des salades incroyables. Finalement, j’ai décidé de créer ma propre voiture. J’ai téléphoné à Ron Tauranac, l’homme qui avait conçu les Brabham. Il m’a donné une quantité énorme d’informations qui confirmaient ce que j’avais lu et me permettaient de filtrer tout ça…

*RETROUVEZ DANS NOTRE PROCHAIN NUMÉRO DU 24 MARS LA SAGA DES CHEETAH, DE LA G 501 À LA G 606, AINSI QUE LES MULTIPLES «DADAS» DE CHUCK GRAEMIGER.