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Réflexions – Claude Sage

«il sera une fois l’automobile», par Claude Sage

On ne présente plus celui qui fut journaliste à la Revue Automobile avant de diriger la Scuderia Filipinetti, puis de fonder Honda Automobiles Suisse, de présider le Salon de Genève et enfin de se voir confier le redressement du Circuit Paul Ricard et de ses sites. claude sage se livre à un jeu de questions & réponses fort

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instructif sur l’avenir de la voiture.

1. Que pensez-vous du tout électrique?

la voiture électrique est semblet-il une bonne solution si on ne considère que son utilisation. En dehors des émissions de poussières des pneus et des freins, son usage est propre. Mais si l’on prend en compte la production de ses batteries et leur élimination, le bilan est moins favorable. Il est encore plus discutable si l’on ajoute à son passif la production d’électricité à l’aide de pétrole, de charbon ou de nucléaire dont plus personne ne semble vouloir mais que personne n’explique comment le remplacer. Reste l’électricité hydraulique qui implique la construction de barrages, les éoliennes et leurs gigantesques structures visibles ou enterrées qu’il faudra bien éliminer au terme de leur vie – car elles ont un terme –. les installations marémotrices, elles aussi discutées, ou encore les cellules photovoltaïques, laides aux yeux de beaucoup et dont la production est elle aussi vicieuse. Alors comment harmoniser le vertueux de la voiture électrique et le vicieux de son utilisation ?

2. comment dès lors expliquer le succès des voitures électriques?

En plus de la conscience écologique qui prend de plus en plus d’importance, deux éléments expliquent l’intérêt des consommateurs. Le premier consiste dans les conditions attractives que les constructeurs proposent (primes ou bonus reprises), le second sur les avantages offerts par les gouvernements sous la forme de bonus à l’achat, a contrario les importants malus qu’ils imposent aux voitures thermiques, d’autant qu’elles sont plus puissantes et émettent davantage de gaz à effet de serre, malus qui rebutent les acheteurs. On peut dès lors penser que la concurrence entre électrique et thermique est faussée.

3. les émissions de gaz à effet de serre sont encore cependant élevées?

Oui et non ! Oui, parce que le parc et le trafic des poids lourds et des voitures augmentent et que les réseaux routiers ne répondent plus suffisamment aux exigences de mobilité. En Suisse, les statistiques font état de quelque 25’000 heures de bouchons. Près de 3 années d’arrêt du trafic par an ! Avec quelles conséquences sur l’environnement ? Oui aussi parce que les voitures et les poids lourds ont gagné en embonpoint. Mais avec quel résultat positif. Les véhicules sont plus sûrs et de bien meilleure qualité. Pour préserver des vies, nos voitures ont été munies, pour beaucoup grâce à l’électronique embarquée, de châssis renforcés avec des zones de déformation intelligentes, des airbags, de multiples systèmes d’aide au conducteur sur les suspensions, les freins, les transmissions, sans compter

Peugeot 508 PSE hybride rechargeable.

les sécurités multiples pour prévenir le conducteur des variations de trafic. Oui encore, parce que le confort a été sans cesse amélioré avec des sièges ergonomiques, fréquemment avec le conditionnement d’air et son filtrage qui assurent une meilleure concentration au volant. Non, parce qu’à cylindrées égales, les moteurs thermiques modernes consomment nettement moins et émettent logiquement moins de gaz nocifs que leurs prédécesseurs et parce qu’ils sont depuis des années munis de catalyseurs. Non également, parce que les carburants ont sensiblement progressé et que le soufre a été supprimé de leur composition.

4. les voitures électriques sont-elles aussi équipées des mêmes éléments de sécurité?

C’est exact. En plus de ces éléments, elles ont encore à traîner le volumineux et pesant pack de batteries. Elles ont donc un handicap de poids par rapport aux voitures thermiques qui se traduit par une importante consommation d’énergie et qu’elles tentent de compenser en ayant recours à des matériaux de construction plus légers.

5. la pile à combustible serait-elle la solution?

Ce serait le rêve, le graal ! L’hydrogène est l’énergie la plus abondante dans l’univers. Produire l’électricité à bord et se passer de l’infrastructure des bornes et, dans une certaine mesure, pour autant que les installations de distribution soient en suffisance et à niveau pour limiter le temps de recharge. Quant à l’adaptation des stations-service à la distribution d’hydrogène sous 700 bars de pression, ce ne sera pas une mince affaire. Isoler l’hydrogène ne sera pas de tout repos non plus. Les méthodes pour le faire sont loin d’être exemptes d’inconvénients lourds. Il n’en existe pas d’autre pour atteindre des volumes suffisants que le reformage du gaz naturel, la gazéification du charbon à des températures de l’ordre de 1000 à 1500 degrés ou encore l’électrolyse. Or, ces méthodes nécessitent de l’énergie, électrique principalement, et sont hautement dommageables pour l’environnement en rejetant du CO2 et du CO. Et revoilà le cercle vicieux. Un espoir existe portant sur les recherches sur les bactéries, qui soumises à la lumière du soleil, produiraient de l’hydrogène. Mais dans quelles quantités et dans quels laps de temps ?

6. seriez-vous finalement réfractaire aux voitures électriques et à pile à combustible?

Absolument pas. Je voudrais seulement que la question des motorisations électriques ou thermiques soit abordée avec honnêteté et transparence. Que la comparaison entre eux soit objective. Si l’on parvient à résoudre le problème d’une production d’électricité et d’hydrogène qui ne surcharge pas l’environnement, si la technologie permet de produire et détruire les batteries de manière adéquate, il est évident que la propulsion électrique peut être une alternative élégante. L’autonomie demeure cependant encore discutable, ce qui tendrait à réserver les voitures électriques à un usage sur courtes et moyennes distances, les grandes distances étant réservées aux véhicules thermiques, à moins que pour les premières les temps de recharge s’abaissent et que la disponibilité des bornes s’améliore. A ce propos, je me demande comment seront acceptées et financées les bornes sur de nombreuses places de stationnement, dans les parkings publics et privés, et je me demande aussi si la disponibilité en électricité sera suffisante pour satisfaire les besoins, alors que la tendance est à la suppression des unités de production lourdes pour les remplacer par des moyens aléatoires basés sur le vent, le soleil et l’eau.

7. l’hybridation vous paraît-elle dès lors une solution plus attractive?

Dans l’immédiat, certainement. Elle allie réduction des émissions et autonomie sans augmentation exagérée du poids du véhicule. Encore faut-il distinguer les types d’hybridation. Celle qui semble aujourd’hui récolter le plus de suffrages allie moteur thermique et moteur électrique en alternance. En laissant faire l’électronique de contrôle, l’alternance est automatique pour optimiser les consommations. Ce système est efficace aussi bien sur les voitures de tourisme que sur celles plus sportives et n’impose aucune modification des infrastructures de distribution de carburant.

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8. le moteur thermique a-t-il encore de beaux jours devant lui?

Je pense que le développement des moteurs thermiques, qu’ils soient à essence ou diesel, n’est pas à son terme. Le rendement qui touche entre autres la carburation, laquelle dispose d’une intéressante marge d’amélioration en travaillant sur le mélange air/carburant, la variabilité du taux de compression et la compression elle-même en ce qui concerne le diesel, l’appauvrissement du mélange air/carburant et l’allumage pour faire progresser la combustion, les frictions internes, l’harmonisation de la circulation des gaz à l’admission et l’échappement, le traitement thermique, etc., sont des secteurs dans lesquels les ingénieurs auront la possibilité d’exprimer leurs talents. Le rendement des moteurs de formule 1 en est par exemple la preuve.

9. Une taxe carbone pour financer l’automobile propre?

Je crois au contraire qu’elle la pénalise. La taxe carbone est une pénalité imposée aux pollueurs, aux émetteurs de dioxyde de carbone. L’automobile est l’un d’eux. C’est donc bien l’industrie automobile qui prend en charge une part de la taxe. Cela représente des milliards, en euros et en dollars, payés par les producteurs et pour partie par les acheteurs. Dans une certaine mesure cependant, elle apporte une aide sous la forme de ristournes ou de primes que les gouvernements attribuent sous la forme des bonus mentionnés précédemment. S’agirait-il d’un autre cercle vicieux ?

10. Vous ne semblez pas convaincu par cette taxe carbone?

Je le serais si la totalité de la part payée par l’industrie automobile lui revenait sous une forme ou une autre. Mais voilà, quelle part de cette taxe va dans la caisse des états ? Ces montants affectés aux budgets de fonctionnement généraux privent l’industrie de moyens de recherche. Or, c’est par la recherche, par l’intelligence, que la solution à la protection de l’environnement sera trouvée. Car je doute que la mobilité, les besoins de mobilité, diminuent dans le futur. Tout semble au contraire prouver qu’ils se développent, alors que les réserves d’énergie fossile ne sont pas inépuisables. Il faut donc en faire un usage adéquat. Et donc améliorer les rendements. Et pour cela, la recherche est indispensable. Je ne crois pas qu’il existe d’autres issues que celles de la réflexion, de la recherche, du développement permanent pour amener le progrès. C’est ainsi que l’automobile, au cours des décennies depuis ses premiers tours de roues, est devenue plus performante, plus sûre, plus fiable, plus confortable. C’est ainsi qu’elle continuera de progresser.

11. les constructeurs devraient-ils faire preuve de plus d’initiative?

Ce n’est certainement pas à moi de me prononcer sur ce point. Chaque constructeur a sa propre politique et l’applique à son gré. Mais ils sont aussi contraints de s’adapter aux normes administratives nombreuses, pas seulement en termes d’émissions. Ils doivent également suivre les modes car ce sont finalement les clients qui décident. Dire qu’ils manquent d’esprit d’initiative serait leur faire une mauvaise querelle. Il n’y a qu’à observer la diversité de l’offre dans tous les segments pour se convaincre du contraire. Il est vrai toutefois qu’un grain de folie ferait du bien, et tant mieux si certains osent encore parfois.

12. Quel est votre souhait pour l’avenir de l’automobile?

Que l’on lâche la bride aux départements de recherche et de développement, aux ingénieurs, à l’intelligence humaine. Que d’importantes ressources financières soient mises à disposition pour récompenser et promouvoir les meilleures technologies, sans esprit de caste. Et puis aussi, et surtout, que l’on accepte le principe de l’harmonisation des moyens de transport et de leur type, sans faire de la mobilité une guerre de religion.

VW ID4 électrique.

«JE VOUDRAIS SEULEMENT qUE LA qUESTION DES MOTORISATIONS éLECTRIqUES OU ThERMIqUES SOIT AbOrdée AVec hOnnêTeTé

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