3 minute read
Calixthe Beyala « Les dirigeants français ont gardé leurs pantoufles ! »
La romancière franco-camerounaise, connue pour ses prises de position tranchées et son franc-parler, milite pour un changement de paradigme.
propos recueillis par Emmanuelle Pontié
AM : Comment expliquez-vous le rejet de la France par les peuples africains, un phénomène qui se répand dans les pays francophones ?
Calixthe Beyala : Je ne pense pas qu’il y ait un rejet des Français. Mais des institutions françaises, oui. Parce que la décolonisation s’est très mal passée. Nous n’avons pas soldé le passé. Il y a eu des guerres d’indépendance, comme en Algérie ou au Cameroun, mais on n’est jamais revenus sur cette histoire avec la France afin de mieux comprendre les nouveaux mécanismes qui se sont mis en place par la suite. Et surtout, la France a donné le pouvoir à ceux qui voulaient le moins des indépendances en Afrique, et non à ceux qui les souhaitaient.
De fait, elle s’est trouvée compromise dans les actions des divers dirigeants africains, qui se sont montrés très peu généreux avec leurs peuples. Du coup, cette rancœur envers ceux installés après la décolonisation a rejailli sur les relations avec la France. La vraie cause, ce n’est pas tant l’histoire coloniale de cette dernière, ou l’esclavage, que la décolonisation. Un peu partout, des régimes de terreur ont été mis en place. On a vu la légion française sauter sur Kolvesi, le Katanga, le meurtre de Sankara, ou celui de Kadhafi. Et il ne faut pas se cacher derrière son petit doigt : les Africains n’ont pas accepté ce qui s’est passé en Libye. Pour nos peuples, le « Guide » représentait un espoir de se libérer du joug occidental, n’en déplaise justement aux Occidentaux.
Vous incriminez en particulier l’activisme des « Françafricains ». Est-ce que la Françafrique existe toujours ?
La Françafrique de Foccart n’existe plus. Mais l’ingéniosité humaine a permis au système de continuer sous une autre forme. Avec à la fois des élites africaines et françaises qui ont permis de perpétrer le système d’exploitation des peuples. Quand la France intervient en Afrique soi-disant pour sauver des gens, c’est en réalité pour sauver les Françafricains. Ils possèdent des entreprises très florissantes, alors que les employés n’ont rien et travaillent pour trois sous. Ils arrivent même à déplacer l’armée française pour leurs propres intérêts, au motif de sauver les Africains. Il s’agit presque d’une nouvelle race. Ils opèrent ensemble, car même si leurs sociétés ont des enseignes françaises, des Africains en possèdent des parts. Et ces derniers, lorsque les populations s’échauffent contre la France, jouent double jeu en les soutenant. Pour sauver leur peau. Ils crient alors : « Regardez, ce sont les Français qui pillent vos pays ! » Alors qu’ils sont complices. Parce qu’en réalité, les intérêts français sur le continent ne sont pas aussi importants que l’on peut penser. Si l’on prend le cas du Cameroun, elle en a 9 % de parts de marché. Et encore moins dans d’autres pays. Ce sont les Noirs françafricains qui profitent le plus du gâteau.
On a assisté ces dernières années à cinq coups d’État dans des pays qui rejettent la France. N’est-ce pas pratique pour ces putschistes de la pointer du doigt afin de rester en place ? On sait que l’Hexagone est plus exigeant sur l’organisation d’élections.
Je pense que les coups d’État sont secondaires. Ces actualités africaines sont dues fondamentalement à la déstabilisation du Sahel depuis la guerre en Libye, avec ces djihadistes qui mettent les populations en danger. Il y a toujours cette même rancœur. Même au Cameroun, nous subissons les exactions de Boko Haram, qui enlève des jeunes filles et tue les populations dans les villages. Et au-delà de cette rancœur, il se trouve que la France a fait l’erreur de vouloir absolument intervenir par la suite. Or, il ne fallait pas. Je l’ai toujours dit. En effet, quand une armée étrangère stationne quelque part assez longtemps, les gens se sentent étouffés, veulent la voir partir. C’est comme si on leur enlevait quelque chose de leur dignité. Les peuples ont besoin de souveraineté, de liberté, de fierté. Et dans le cas du Sahel, les populations se sont rendu compte que les djihadistes continuaient leurs exactions malgré la présence de l’armée française.
En ce qui concerne le Mali, vous ne pensez pas que le conflit en Ukraine et l’influence russe à travers la milice Wagner ont joué un rôle dans la flambée de l’hostilité contre la France ? Depuis, il semble que la fierté des Maliens, qui ont vu leur armée reprendre le flambeau dans la lutte contre le djihadisme, ait été douchée par de piètres résultats.
La solution que j’ai toujours prônée, c’est de mettre sur pied une très grande armée africaine ! Parce que nos micro-États ne peuvent pas avoir d’armées fortes. Et cela est dû encore aux trahisons qui ont eu lieu au moment des indépendances. Car il n’a jamais été question que soient créés de tels micro-États, dont la plupart sont enclavés, sans ouverture sur la mer, sans possibilité d’échanges ou de commerce. On peut d’ailleurs remarquer que ces derniers, coupés du monde, subissent le plus de coups d’État : la Centrafrique, le Mali, le Burkina Faso… Ces nations sont fermées, et leurs peuples plongés dans une forme de désespoir. Ils ne voient pas l’horizon. Les pères des indépendances africaines ne voulaient pas de ce morcellement surréaliste. Ils rêvaient de panafricanisme. Le nom de la Centrafrique par exemple devait recouvrir plusieurs pays actuels, qui auraient été des sortes de gouvernorats ou des États fédérés. En nous privant de créer cette géographie, on nous a empêchés de bâtir une ou plusieurs vraies nations fortes. Ce découpage portait déjà en lui les germes de la guerre.