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égoïste d’un État. »
Qui avait alors intérêt à un tel découpage ? L’Occident, sûrement. Mais aussi les présidents en place, non ?
L’Occident, d’abord. Et les potentats qu’ils ont installés et pu contrôler.
D’accord, mais pourquoi ce sentiment anti-Français se développe-t-il précisément aujourd’hui selon vous ?
C’est le temps de la germination de la rancœur déclenchée en 2011 et l’intervention militaire en Lybie. La rancune, je le répète, vient de là. Elle a grandi avec les années. Souvenez-vous que Kadhafi, à l’époque, faisait énormément de dons, soutenait les pays financièrement. Et je ne crois pas à l’influence de la guerre en Ukraine et l’offensive russe en Afrique. Cela est très récent. Le soi-disant soutien des peuples africains à la Russie ressemble plus à une revanche, le coup de pied de l’âne contre la France. Pourquoi voulez-vous que l’on aime les Russes ? On ne les connaît pas. On ne parle même pas leur langue. C’est plutôt une réaction du genre : la France nous a embêtés, eh bien tiens, on devient pro-Russes juste pour l’embêter en retour ! Vous dites souvent que cette Afrique, profondément francophone et francophile, n’en veut pas à la France, mais plutôt à sa politique, à ses institutions, à sa posture. Comment tout cela peut-il évoluer selon vous ?
Cela va beaucoup dépendre de l’attitude de la France. Elle doit faire son mea-culpa et remettre sur la table les points d’achoppement avec nos peuples, comme cette décolonisation ratée par exemple, qu’il faut reconnaître et expliquer. Et nous attendons des excuses aussi. Elle ne veut pas les faire, et l’Afrique vit très mal ce manque de considération. La balle est dans son camp. Si l’Hexagone pose ces actes, les relations pourront repartir à la normale. Sinon, les relations entre lui et notre continent vont se détériorer, puis s’arrêter. Je le crains. Et si elle se désengage complètement de l’Afrique, quelles seront les conséquences, selon vous ?
Et sur le plan de la démocratie et des droits de l’homme ? L’Hexagone, contrairement aux autres partenaires que vous citez, est davantage regardant sur ces points.
Les Africains sont-ils très pointilleux sur ces points ? Je ne crois pas. Aujourd’hui, les peuples veulent d’abord manger, se vêtir, avoir de l’eau et de l’électricité. Justement, pour obtenir cela, ne faut-il pas avoir la possibilité de choisir ses dirigeants de façon transparente ?
C’est ce que les Occidentaux pensent. Mais ce n’est pas forcément le cas des Africains. Car sous couvert de démocratie, ils se sont retrouvés avec les plus grands pilleurs de l’histoire, qui ont piétiné leurs citoyens. Peut-être même davantage que dans certaines dictatures ! Ils ont vidé les caisses des nations et clament qu’ils ont été élus démocratiquement. Les coups d’État, avec de nouvelles têtes autoproclamées, redonnent-ils de l’espoir aux jeunes ?
Ils ont besoin de changement, oui. Ils verront bien si ces nouveaux dirigeants vont jusqu’au bout ou pas de leurs ambitions. Et les peuples ne sont pas idiots, ils sauront tirer leurs propres conclusions. On verra dans cinq ans s’ils sont plus heureux. Sinon, ils ressortiront dans les rues. Mais déjà, c’est une nouvelle expérience. Et on verra bien si tout était de la faute de la France ou pas. Pensez-vous que l’Hexagone soit capable de changer de posture envers le continent ?
La France perdra beaucoup sur le plan de son rayonnement international. Plus de 150 millions d’Africains parlent français et participent au poids de la francophonie dans le monde. L’économie, ce n’est pas très important. Je le dis depuis des années, la guerre du futur sera culturelle. Regardez la Russie aujourd’hui, elle mène un combat davantage culturel qu’économique.
L’Hexagone n’a pas intérêt à rompre ses relations avec notre continent. Car, vous savez, les Africains, en deux générations, peuvent facilement troquer le français contre une autre langue.
Et l’Afrique perdrait quoi ?
Une amitié. C’est tout. Nous avons d’autres partenaires, comme la Chine, la Russie, l’Inde, le Brésil. Encore une fois, la part du marché de la France est minime aujourd’hui dans nos pays. Mais ce serait dommage. Car nous avons une histoire commune, des enfants français, etc. Tout le monde y perdrait quelque chose, je pense.
Non. Je pense que les dirigeants parisiens se figurent que l’Afrique est encore celle du début du XX e siècle. Ils ont mis leurs pantoufles, et chaque fois qu’ils sont partis en Afrique, ils les ont gardées. Et aujourd’hui, ils sont totalement déstabilisés. Ils ne connaissent plus notre continent. Ils n’ont même pas eu la curiosité ne serait-ce que de fréquenter leurs propres compatriotes noirs en France pour savoir ce qu’ils pensaient. Nous avions prévu tout ce qui allait arriver. Mais ils n’ont jamais voulu discuter avec nous et nos mouvements. S’ils nous avaient écoutés, je pense que nous n’en serions pas là. Alors, s’ils ne sont pas capables aujourd’hui de demander pardon à l’Afrique, tant pis pour eux. Les enjeux de l’humanité et de notre langue, c’est quand même autre chose que la petite fierté égoïste d’un État.
Pour finir, votre solution pour que le continent s’en sorte, c’est le panafricanisme. Pourquoi et comment pourrait-il se mettre en place ? Est-ce réaliste ?
C’est tout à fait réalisable, car les jeunes générations sont profondément panafricanistes. Les seuls qui n’en parlent pas, ce sont les dirigeants qui veulent conserver leur pré carré. Le panafricanisme, c’est réunir tous les Africains du monde sur un même projet : construire une Afrique forte, grandiose. On n’a rien inventé. C’était déjà un projet porté par des hommes comme Kwame Nkrumah. Et moi, je vous dis que l’on va y arriver. ■