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| JUILLET AOÛT

SEPTEMBRE 2013 Av, Eloul, Tishri 5773

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Revue de l'association Aki Estamos Les Amis de la Lettre Sépharade fondée en 1998

03 Avlando kon

Enrico Isacco — LINE AMSELEM

07 Aux sources

de l'exception juive salonicienne — GILLES VEINSTEIN

14 La déportation des juifs de Thessaloniki

— ISAAC RÉVAH

19 Los Camondos, Saga de la famiya de bankeres djudios del Imperio Otomano

— ZELDA OVADIA

25 El papaz

inatchí / El haham meldando — LIOR ET SAMUEL AZAR


L'édito Jenny Laneurie

François Azar

Les fondateurs de la communauté d’Amsterdam, nouveaux chrétiens et nouveaux juifs, tout juste sauvés des bûchers de l’Inquisition portugaise, ont choisi le phénix comme symbole de leur retour au judaïsme. L’emblème a été repris par les quelque 800 Juifs portugais rescapés des camps qui ont entrepris de restaurer leur communauté après la Seconde Guerre mondiale. Cet illustre blason – reproduit ci-contre – tous les Judéo-espagnols pourraient se l’approprier. Entre gloire et expansion, les Juifs ibériques risquent toujours l’extinction : proscription dès le VIIe siècle sous les Wisigoths, puis au XIIe siècle sous les Almohades, massacres et conversions de masse à partir de 1391, expulsion d’Espagne en 1492, conversion forcée au Portugal en 1497, bûchers et prisons de l’Inquisition durant plus de trois siècles, sans oublier l’extermination d’une grande partie des JudéoEspagnols d’Europe pendant la Seconde Guerre mondiale. Nous y revenons grâce à l’article qu’Isaac Revah consacre à la déportation des Juifs de Salonique, sa ville natale. Avec constance, en dépit des pertes et au prix des plus grands sacrifices, les communautés ont surmonté ces traumatismes. Dans ce numéro, Enrico Isacco, gardien de la mémoire sépharade, nous rappelle cependant qu’au

terme de cette histoire, une certaine façon d’être et de parler le judéoespagnol ne reviendra plus. Mais l’histoire des marranes nous enseigne aussi que ce sentiment de perte est fertile et que de ce presque rien, de cette « foi des ancêtres » selon la belle formule de Nathan Wachtel, peut renaître une grande communauté, avec ses rites, ses chants, sa vision du monde et ses grands hommes. Dans ce même numéro, nous vous livrons donc quelques nouvelles histoires en judéo-espagnol comme autant de jeunes pousses résistantes à l’assimilation. Notre université d’été du 7 au 12 juillet 2013 sera aussi l’occasion de manifester – nous l’espérons de façon éclatante – la vitalité de notre culture. Ce n’est pas un hasard si nous avons fait de « l’aventure des marranes » le thème majeur de cette édition. Leur histoire, notre histoire, est un appel permanent à la résistance, à la réinvention, à la liberté aussi sans lesquelles la vie juive perdrait son sens et son attrait. Comme tout aujourd’hui est à réinventer, dans la fidélité à l’histoire de nos ancêtres, nous vous invitons à venir partager avec nous cette grande aventure !


KE HABER DEL MUNDO ? |

Ke haber del mundo ? En couverture : Vittorio Isacco

Un cours de judéo-espagnol sur Internet

Prix littéraire pour Myriam Moscona

Pour la première fois, dès l'automne prochain, un cours de langue et civilisation judéoespagnoles sera dispensé sur Internet par notre amie Karen Sharon d'Istanbul. Ce cours permettra aux universitaires d'acquérir l'équivalent de trois unités de valeur.

Myriam Moscona, fille de Sépharades de Bulgarie, auteur et poétesse de talent vivant à Mexico, a reçu en avril dernier le prix Xavier Villaurelle pour son livre Tela de sevoya (Pelure d’oignon). Elle y évoque l’histoire de sa vie et son voyage de Mexico jusqu’à la Bulgarie, à la recherche de ses racines. À l’occasion de la cérémonie de remise de ce prix, elle a évoqué la mémoire de ses parents et celle des nombreux locuteurs du judéo-espagnol disparus dans la Shoah.

Précisions sur : http://online.sksm.edu/courses14.php

Les Sépharades dans la Shoah Vittorio Isacco est né à Sofia le 23 juillet 1897, de Isaac et Rachel Ben David. Après le déplacement de sa famille à Izmir (Smyrne), il fit des études secondaires au collège américain puis des études d’ingénieur à Liège et à Toulouse. Il obtint son premier emploi en Espagne puis suivit l'inventeur italien Pescara qui projetait de construire un hélicoptère. Il participa comme ingénieur en chef à la réalisation du projet et établit la démonstration mathématique de l'autorotation. En 1926, il obtint en France un contrat pour la construction de sa propre machine qu'il appela « helicogire ». Il construisit ensuite deux autres appareils, l’un en Russie (1931-1934), l’autre en GrandeBretagne (1936). De retour en France et dans l'attente de nouveaux contrats, il ouvrit deux boutiques de bonneterie. Il fut emprisonné par les Allemands en 1942, sur dénonciation, pour avoir franchi la zone de démarcation. Ses plans pour la construction d'un hélicoptère individuel furent pillés par les ingénieurs occupants et ils aboutirent à la réalisation d'un engin volant à pales tournantes tractées par des sousmarins. En 1943, les lois raciales l'obligèrent à quitter la France pour l'Italie. Il fut libéré en 1944 à Pérouse où il se fit connaître et fut invité en pleine guerre à se rendre en GrandeBretagne pour participer à l'effort de guerre. Il construisit et expérimenta un parachute à voilure tournante. De retour en France, la société Matra lui confia le projet d'un système de récupération de missiles. Dans les années 1960, il partit pour Israël où il fit les plans d'un hélicoptère léger qui ne vit pas le jour. Il termina sa vie en Espagne, vivant de leçons de mathématique et mourut le 6 décembre 1967.

Jack Karako, le fils de notre regrettée Rosine qui était l’une des modératrices du forum Ladinokomunita, a sponsorisé, en avril dernier, un symposium sur les Sépharades dans la Shoah. Dédié à la mémoire de sa maman, ce symposium a été organisé à l’université de Washington à Seattle principalement par le professeur Devin Naar. Une interview de ce dernier peut être consultée sur internet. www.stroumjewishstudies.org/ HolocaustSymposium/

À Izmir

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www.enlacejudio.com/2013/03/27/ recibe-tela-de-sevoya-de-miriam-mosconael-premio-xavier-villaurrutia/

Nationalité portugaise pour les Sépharades Un article du journal espagnol El Pais daté du 30 mai 2013 indique que le parlement portugais vient d’accepter d’accorder la nationalité portugaise aux descendants des Sépharades portugais. On se souvient que, six mois plus tôt, une décision identique avait été prise par l’Espagne, mais on ne sait pas encore exactement qui est éligible et comment sera appliquée cette décision. Rachel Amado Bortnick qui rapporte cette information dans le forum Internet Ladinokomunita (en date du 31 mai) dit qu’il n’est pas urgent de faire ses valises si l’on souhaite prendre l’une ou l’autre de ces deux nationalités…

Notre voyage à Izmir La Communauté, bien peu nombreuse mais très active, nous a guidés et accueillis avec une exceptionnelle gentillesse à l’initiative de Selim Bonfil qui nous avait suggéré de faire ce voyage lors de la dernière Université d’été et qui l’a soigneusement préparé. Il travaille aujourd’hui, avec quelques bénévoles, à rénover un lieu chargé d’histoire, « la synagogue portugaise » dévastée par un incendie et qui devrait accueillir dans quelque temps un musée mémorial des Juifs d’Izmir. De la synagogue Algazi, toute bleue, dont la Teva centrale accueille encore parfois des mariages, à celle de La Sinyora jusqu’à la grande synagogue Beith Israël, où nous avons participé à un office du vendredi soir, nous avons écouté, dans nos cœurs, les canti-

lations des Hafatrot, les kaddish des endeuillés comme ceux des jours de fête, avant d’être reçus dans le centre communautaire La Liga où nous attendaient les dames de la communauté qui nous ont reçus très chaleureusement (cf. Las komidas de las nonas p. 28). Du haut du célèbre « Asansör », érigé par un Juif philantrope Nesim Lévi, et situé au bout de la rue Dario Moreno, nous avons dominé du regard cette ville qui, dans sa splendeur, a accueilli des centaines et des centaines de familles juives, los muestros. Il faudrait des pages d’anecdotes et de photos pour décrire ce voyage. Ici, nous voulons simplement vous en donner les senteurs, faire partager nos émotions et vous dire que, là-bas aussi, on peut encore dire « aki estamos ».

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| KE HABER DEL MUNDO ?

À Istanbul et Izmir

03.06 > 07.06 Deuxième réunion « Erensya » Après la parfaite réussite de la première réunion « Erensya » à Sofia et Plovdi (Bulgarie) en 2011, une deuxième réunion mondiale s’est tenue à Istanbul et à Izmir du 3 au 7 juin 2013. La plateforme « Erensya » est l’une des pièces maîtresses de l’activité du Centre Sefarad-Israël de Madrid. Des représentants des communautés sépharades du monde entier ont participé à ces rencontres pour faire connaissance, maintenir des contacts et envisager la possibilité de coopérer dans d’importants projets destinés à préserver la culture judéo-espagnole. Conférences, débats sur des thèmes sépharades, concerts se sont succédé alors qu’était célébrée la sortie du numéro 100 du journal El Amaneser que dirige Karen Sharon.

DISTINCTIONS Marie-Christine Bornes Varol, docteur en linguistique générale, professeur des universités à l’Inalco, a été nommée Chevalier dans l’ordre des Arts et Lettres. Cette décoration lui sera remise en septembre prochain par Bernard Cerquiglini. Agrégé de lettres modernes et docteur ès-lettres, celui-ci a été Délégué général à la langue française et aux langues de France au ministère de la Culture. Il est actuellement recteur de l’Agence universitaire de la francophonie.

À Paris

29.09 Conférence-dégustation sur la cuisine sépharade Les Journées Européennes de la Culture et du Patrimoine Juifs auront cette année pour thème « La Nature en Héritage». À cette occasion, Aki Estamos, l’Association des Amis de la Lettre Sépharade, propose une conférence de Claudia Roden qui sera suivie d’une dégustation de spécialités. L’auteure a fait rééditer, il y a quelques mois, son merveilleux livre de la cuisine juive agrémenté, comme le précédent, de superbes illustrations. Après 15 années de recherches et de voyages, elle y a rassemblé

plus de 800 recettes ashkénazes, sépharades ou orientales, mais y raconte aussi, avec une rare érudition et de nombreuses anecdotes personnelles, l’histoire de tout un peuple, depuis son exil et sa dispersion à travers les continents jusqu’à nos jours. « L’art culinaire est important dans la mesure où il constitue un lien avec le passé, un hymne aux racines, un symbole de continuité. C’est la part d’une culture d’immigration qui survit le plus longtemps » écrit Claudia Roden. Ce sera un grand plaisir que de l’écouter le 29 septembre prochain, à 15 h, au Centre Médem 52, rue René Boulanger Paris 10ème. Réservations au 06 98 52 15 15 et sur le site www.sefaradinfo.org

À Skopje ( Macédoine)

29.09 > 02.10 Colloque sur les Juifs des Balkans À l’occasion de la commémoration du soixante-dixième anniversaire de la destruction des Juifs de Macédoine et des Balkans (1943-2013), un colloque se tiendra du 29 septembre au 2 octobre au Mémorial de la Shoah de Skopje. Parmi les thèmes présentés notons : judéoespagnol ; langue et culture ; Juifs des Balkans pendant et après la Shoah ; situation légale et

politique des Juifs des Balkans ; Sabbatéens et sabbataïsme ; etc. Cette rencontre est organisée par le Centre Salti pour les études du judéo-espagnol à l’université de Bar Ilan (Israël) et par le Centre Aharon et Rachel Dahan pour la promotion de la culture et de l’éducation sépharades, en partenariat avec l’université St Cyril et Methodius de Macédoine. internacional.elpais.com/ internacional/2013/05/30/actualidad/ 1369933286_504904.html

Carnet gris Nous avons la tristesse d’annoncer le décès de notre ami Elie Szapiro, survenu le 31 mai dernier. Médecin de formation, il était devenu expert en judaïca et s’était intéressé très tôt à la promotion de la culture et du patrimoine juifs. À ce titre, il avait été l’un des membres fondateurs des Journées Européennes de la Culture et du Patrimoine Juifs de France. Il dirigeait la galerie Saphir située rue du Temple à proximité du Musée d’art et d’histoire du Judaïsme. Au nom d’Aki Estamos, nous présentons à sa famille nos très sincères condoléances.

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Le célèbre chanteur compositeur Georges Moustaki est décédé à Nice le mardi 23 mai 2013. Il avait 79 ans. De son vrai nom Giuessepe Mustacchi, il était né en Égypte, à Alexandrie, en 1934, dans une famille d’émigrants juifs venus de Corfou. Il était arrivé en France en 1951. La chanson Milord composée pour Édith Piaf, l’avait rendu célèbre, mais c’est avec Le Métèque qu’il avait conquis la sympathie d’un public plus large encore. Nombreux sont ceux qui sont venus lui rendre un dernier hommage le 29 mai au Père Lachaise.


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Enrico Isacco

Enrico Isacco, Venise, 2012.

Cinéaste de la mémoire judéo-espagnole Nos lecteurs ont pu découvrir au fil des derniers numéros de remarquables photos du monde sépharade faisant partie de la photothèque d’Enrico Isacco. À côté du développement de ces archives photographiques, Enrico Isacco a entrepris de filmer en judéo-espagnol des témoins de la culture sépharade. Nous vous proposons de découvrir un peu mieux cette œuvre grâce aux propos recueillis le 7 février 2013 par Line Amselem à l’occasion de son émission « Rendez-vous en français » sur radio Sefarad. Line Amselen : Vous êtes cinéaste et expert en art oriental, mais ce qui m’amène à m’entretenir avec vous c’est le travail que vous réalisez pour la mémoire judéo-espagnole. Pouvez-vous nous l’expliquer ? Enrico Isacco : Je fais des interviews dans une langue qui est en train de disparaître : le judéoespagnol d’Orient. Je réalise ces interviews en vidéo parce qu’il y a une gestuelle qui est particulière à cette langue. Actuellement, il y a peu de gens qui la parlent encore. Il y a une petite communauté en Turquie, en Israël. Les communautés de Salonique en Grèce ou de Yougoslavie ont été exterminées. Les gens qui la parlent aujourd’hui sont des gens généralement âgés et ils la parlent avec l’accent de

leur région. Cela doit permettre à des chercheurs d’étudier cette langue avec la gestuelle qui l’accompagne. Si on ne le fait pas, elle aura disparu, et on n'en aura aucune trace. Vous recherchez donc l’authenticité de l’accent. Il faut que cela ait été transmis en ligne directe. Que ce soit des enfants, des petits-enfants qui aient eux-mêmes parlé judéo-espagnol chez eux. Oui, qu’ils l’aient parlé chez eux, car les différences d’accent sont presque aussi importantes que celles que l’on trouve en Espagne entre un Catalan et un Andalou. C’est la même chose avec le judéo-espagnol, sauf qu’il y a des judéoespagnols que l’on n’entendra jamais plus.

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Donc vous êtes pris dans l’urgence de cette histoire. Ce qui a été intéressant, ce sont les interviews que j’ai faites en Israël. Il faut dire que la communauté juive d'Israël était originaire de l'Empire ottoman où les Juifs parlaient espagnol. La communauté juive de Jérusalem était donc en grande partie de langue espagnole. À quelle époque ? À l’époque de l’Empire ottoman et dans une certaine mesure à l’époque anglaise avant l’émigration sioniste. Par exemple Ytshak Navon, l’ancien président d’Israël parle un judéo-espagnol un peu édulcoré… Un peu « castellanisé » parce qu’il a vécu en Amérique Latine comme il le raconte dans l’interview. Oui. L’autre personne figurant dans ce film est une conteuse qui s’appelle Esther Lévy. Elle est aussi d’une famille de Jérusalem et elle parle un espagnol absolument comparable à celui de ma grand-mère. Elle parle avec une très grande spontanéité, elle est drôle… Elle a un talent de conteuse. Il y a aussi dans ce DVD un certain Ermoza… Ce qui est intéressant c’est que les deux familles Ermoza et Lévy se sont connues. Au moment des troubles de l’entre-deux guerres, la famille Ermoza a sauvé l’un des Lévy. L’ancêtre Ermoza était une espèce de bandit, il avait plusieurs femmes, une vie un peu agitée, il jouait du révolver. Vous avez fait combien d’interview jusqu’à présent ? Plus de vingt. Et vous continuez à en faire ? Oui. Les interviews sont conservées en France au Centre de documentation juive contempo-

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raine et au musée d’Art et d’histoire du Judaïsme. En Israël, elles sont déposées au musée de la Diaspora Beth Hafutsoth de Tel-Aviv et auprès de l’Autorité nationale du ladino présidée par Ytshak Navon et dirigée par Moshé Shaul qui fait un travail magnifique pour la préservation de la langue judéo-espagnole. Vous avez imaginé un protocole, un fil conducteur pour les interviews afin que les auditeurs puissent entrer dans chaque histoire de façon comparable. Cela facilite le travail de montage. Il y a une certaine logique. On demande d’abord aux gens qui ils sont, qui sont leurs parents, ce qu’ils ont fait, d’où ils viennent, quel était leur métier, quel est leur trajet personnel, comment ils ont traversé la guerre. Beaucoup sont âgés et ont traversé difficilement la guerre. Beaucoup ne sont pas arrivés jusqu’à nous. Actuellement je cherche à interviewer en judéo-espagnol les rescapés de la Shoah, puisqu’ils ont parlé judéo-espagnol jusqu’au bout dans les camps. Ils ont gardé leur langue et ils ont été remarqués parce qu’ils parlaient cette langue. J’ai interviewé l’été dernier une dame à Nice et j’ai d’autres projets d’entretien avec des rescapés. Ce sont des personnes très âgées qui ont vécu la Shoah dans leur enfance. La personne que j’ai interviewée devait avoir près de 90 ans, mais il y a des personnes très vives à cet âge-là et qui ont une mémoire assez précise. Malgré la distance, c’est éprouvant d’écouter ces témoignages. Oui, absolument c’est difficile. Il faut les écouter et les laisser parler jusqu’au bout et les encourager à le faire. Bien sûr les choses sont connues mais pas en judéo-espagnol. C’est notre langue. Pour moi le judéo-espagnol, ce sont les premiers mots de tendresse que j’ai entendus. C’est pour cela que l’on est attaché à cette langue.


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Est-ce que vous pouvez maintenant nous dire quel a été le trajet de votre famille. Comment êtes-vous arrivé en France ? Mes parents sont nés à Sofia en Bulgarie et avaient la nationalité italienne acquise au moment du démembrement de l’Empire Otoman comme c’était le cas pour beaucoup de Juifs d’Orient. Mon père était un ingénieur aéronautique et il a eu un contrat en Union soviétique. Il a construit un hélicoptère là-bas et je suis né à Moscou en 1932. Je suis arrivé en France quelques années après vers 1934-36. Au moment de l’occupation, les Juifs italiens et turcs, qui étaient relativement protégés et ne portaient pas d’étoile, ont reçu une sorte d’ultimatum. Ils devaient retourner dans leurs pays avant le 31 mars 1943. C’est à ce moment-là que nous sommes partis en Italie. Un pays que l’on ne connaissait pas et dont mes parents ne parlaient pas la langue. On a appris l’italien. J’ai été dans une école juive pour la première fois de ma vie, car les lois raciales en Italie interdisaient aux Juifs l’accès aux autres écoles. Cela a duré quelques mois jusqu’aux vacances scolaires. Les vacances passées, le 8 septembre 1943, les Italiens ont signé l’armistice avec les Alliés. À ce moment-là, les Allemands sont entrés en Italie et ont commencé à massacrer des Juifs. Des gens de notre famille ont été tués. Nous sommes partis au sud vers le front. Mon père, qui était caché par la résistance italienne, a été libéré et les Anglais qui le connaissaient l’ont fait partir en Angleterre pour travailler dans l’industrie de l’armement. Comme l’Italie était encore en guerre, ils l’ont fait passer par l’Afrique du Sud.

Enrico Isacco avec sa mère Rosa Caleff Isacco à Moscou en 1933. Collection Enrico Isacco.

Vittorio Isacco à sa table de travail. (Paris, 1952) Collection Enrico Isacco.

Et vous avec ? Moi non. Il m’a fait venir en Angleterre juste après la guerre. J’ai eu un bac anglais et j’ai fini mes études en Angleterre. Et le reste de la famille ? Le reste de la famille n’a pas été en Angleterre. Ma mère qui avait divorcé de mon père est restée en Italie.

Après avoir appris l’italien vous avez donc appris l’anglais et c’est pour ça que vous êtes très attaché au judéo-espagnol… C’est pourquoi je suis très attaché au judéoespagnol et que je mélange tout !

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La France est venue après… Je suis revenu en France où vivait ma mère et j’ai étudié à l’Institut des Hautes Études Cinématographiques. Je n’ai pas pu travailler tout de suite car j’étais Italien. Il n’y avait pas de marché commun à l’époque. J’ai été photographe pendant un certain nombre d’années. Je suis ensuite devenu français et j’ai fait mon service militaire dans le service cinéma de l’armée où j’ai tout appris. C’était mieux que l’IDHEC ! Vous avez travaillé sur de nombreux films ? Oui, cela a été tout seul jusqu’aux années 70 où j’ai changé de métier. Je m’étais intéressé à l’art oriental. J’ai ouvert une galerie et je suis devenu spécialiste en art indien, plus particulièrement en peintures indiennes.

Vous archivez également des photos. Ce n’est que le début du travail de mémoire. J’espère que d’autres reprendront ce travail après moi tant qu'il y aura encore des gens qui parleront cette langue. Cela va s’arrêter. Nous ne sommes plus une communauté issue de l’exil. Le judéo-espagnol se parlait parce que nous étions exilés. Pour que cette langue se perpétue, il faut que le papa et la maman parlent à la maison, ça ne marche pas autrement. Aujourd’hui on se marie avec quelqu’un dont on est tombé amoureux pas parce qu’il est judéo-espagnol. On peut aimer aussi un judéo-espagnol… Cela peut arriver mais ils sont difficiles à trouver… Les entretiens filmés par Enrico Isacco ont été mis en ligne par l’Autorité nationale du Ladino sur la plateforme YouTube et sont consultables aisément depuis le site d’Aki Estamos-AALS www.sefaradinfo.org à la rubrique « Documents / entretiens filmés ».

Enrico Isacco avec Juan Manuel Fangio sur le tournage du film Grand Prix. (Monza, Italie, 1966) Collection Enrico Isacco.

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AVIYA DE SER… LOS SEFARDIM |

Gilles Veinstein

Aviya de ser… los Sefardim

Aux sources de l’exception juive salonicienne Salonique est une ville très ancienne, millénaire qui a eu une grande importance politique, culturelle et commerciale, à la fin de l’Empire romain et à l’époque byzantine, en particulier grâce à sa position géographique puisque cette ville est au carrefour des voies maritimes menant de l’Adriatique à la Mer Égée et des voies terrestres menant de l’Europe centrale et balkanique à l’Europe méditerranéenne. Comme toute grande ville méditerranéenne, Salonique possédait une communauté juive formée de Grecs judaïsés qui est attestée par exemple dans l’épitre de Saint Paul aux ThessaloKAMINANDO I AVLANDO .05 | 7 |


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niciens. Plus tard, au Moyen-Âge, on a quelques éléments qui attestent de cette communauté mais comme dans toutes les grandes villes méditerranéennes en ce temps-là, les Juifs représentent 5 à 10 % de la population.

Une ville à majorité juive durant cinq siècles Pourtant Salonique va devenir un cas tout à fait exceptionnel dans l’histoire du judaïsme puisqu’à partir de la domination ottomane, Salonique sera une ville à majorité juive et que cette prépondérance durera presque cinq siècles. Salonique est une ville où les Juifs donnent le ton : le port de Salonique, les boutiques étaient fermés le samedi jusqu’en 1923. Les fêtes juives étaient fêtées par toute la population de la ville durant la période ottomane et lorsque les futurs pères fondateurs d’Israël comme Ben Gourion, Ben Zvi ou Jabotinsky visiteront Salonique, ils y verront une préfiguration de ce que pourrait être une ville dans un État juif. Après la conquête définitive de Salonique par les Ottomans en 1430 le premier recensement ottoman de la ville en 1478 ne fait curieusement état d’aucun Juif. Cela est très probablement dû au fait que Mehmet II, le conquérant de Constantinople, a déporté la plupart des communautés juives de son Empire à Istanbul pour que cette population travaille à l’essor et au renouveau de cette ville. Il y avait, à Istanbul, parmi les nombreuses congrégations juives, une congrégation de Salonique qui avait été constituée, au départ, de ces déportés de Salonique à Istanbul. S’il n’y a plus de Juifs en 1478 à Salonique, on voit en revanche dans les recensements ottomans qui suivent, à partir du début du XVIe siècle, que la situation a complètement changé. En 1519, par exemple, 56 % de la population de Salonique est d’ores et déjà juive. Bien évidemment, les dimensions des villes de cette époque n’ont rien à voir avec celles d’aujourd’hui. En 1519, d’après ce premier recensement ottoman, Salonique

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comptait 4 073 foyers. En multipliant par cinq, on a une idée de ce que pouvait être la population de Salonique à cette époque. Cette majorité juive est confirmée par les recensements suivants : en 1530, ils sont 52 % de la population et en 1613, ils atteignent une sorte d’apogée avec 68 % de la population. Les Juifs ne sont pas seuls. À leurs côtés, coexistent des Musulmans dénommés Turcs, des Grecs, des Slaves, des Tziganes. Au fil du temps, des Arméniens et des Occidentaux viendront également s’établir à Salonique. Néanmoins la ville est en majorité juive et cela reste vrai au XIXe siècle. Même après l’annexion de Salonique par l’État grec, en 1912, les Juifs restent une composante très conséquente de la population. En 1914, sur les 170 000 habitants de Salonique, 90 000 sont encore juifs. Comment expliquer ce phénomène si exceptionnel surtout dans sa durée ? Car par exemple, une ville comme Safed / Tsfat, en Galilée, a eu aussi, à certaines époques, au XVI e siècle, une majorité juive, mais ça n’a pas duré, tandis qu’à Salonique, ça a duré.

Un havre pour l’émigration des Juifs ibériques La première explication, globale qui vaut aussi pour l’évolution d’Istanbul et d’Izmir, c’est bien sûr l’expulsion des Juifs d’Espagne, puis du Portugal. C’est une nouvelle et massive composante de la judaïté ottomane qui apparaît à la fin du XVe siècle et au début du XVIe siècle. Une partie notable de ces exilés ira dans l’Empire ottoman, soit directement, soit après plusieurs étapes de périples souvent très complexes. L’Empire ottoman de la fin du XVe siècle est un lieu attractif pour les émigrés juifs : les sultans ottomans, pragmatiques, comprennent très bien l’intérêt qu’ils ont à accueillir cette population. Ce pragmatisme les engage à une attitude positive vis-à-vis de l’arrivée des Juifs : cela est vrai de Mehmet II qui a estimé qu’il était indispensable


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pour sa nouvelle capitale, d’avoir une composante juive de la population et ce sera vrai de son successeur et fils, Bayezid II, qui accueillera ces réfugiés. Sur le plan doctrinal, juridique et religieux musulman, l’acceptation de ces réfugiés ne posait pas de problèmes puisque la charia stipulait le statut de zimmi qui leur permettait de pratiquer leur religion avec certes des mesures restrictives et même discriminatoires, voire vexatoires mais qui néanmoins faisait que leur existence en tant que telle n’était pas mise en question comme elle pouvait l’être à la même époque dans de nombreux pays chrétiens. Si l’on comprend l’attrait de l’Empire ottoman, d’où vient le choix de Salonique ? C’est une question à laquelle l’historien ne peut répondre qu’en échafaudant des hypothèses car on ne possède aucun document positif nous expliquant pourquoi peu à peu les Juifs se sont regroupés particulièrement à cet endroit. Si Mehmet II avait voulu concentrer les Juifs à Istanbul, ce n’est plus du tout le cas sous son successeur et l’émigration sépharade a constitué dans les Balkans et même en Asie Mineure, toute une série de communautés, dans un grand nombre de villes, mais dont Salonique a été l’un des principaux pôles.

Le rôle des mines d’argent de Sidré-Capsa Deux réalités historiques nous aident à comprendre ce qui a pu faire la fortune de Salonique aux yeux des Juifs : il y avait en Chalcidique, à proximité de Salonique, les mines d’argent de Sidré-Capsa qui existent toujours. Des documents attestent que les Juifs se sont engagés auprès des autorités ottomanes à investir des capitaux permettant le fonctionnement de ces mines d’argent. Ils ont assumé le sarraflık de la mine de Sidré-Capsa : c’est eux qui achetaient l’argent aux fondeurs et qui le revendaient aux ateliers monétaires établis près de la mine. C’était une opération qui, économiquement, n’était guère rentable, puisque le prix auquel ils

devaient revendre cet argent était limité par les autorités et représentait en vérité une subvention, de 50 000 aspres, la monnaie ottomane, par an, assurant le bon fonctionnement de la mine et de l’atelier monétaire. Grâce au témoignage d’un voyageur, Belon du Mans [Pierre Belon du Mans, né en 1517 dans la Sarthe s’embarque pour Constantinople en 1547. Il publie un récit de voyage en 1553. Il meurt en 1564 à Paris, ndlr], nous savons qu’au XVIe siècle, dans la mine de Sidré-Capsa, tout le monde parlait l’espagnol.

Un rôle prépondérant dans la draperie ottomane Moyennant ce service rendu aux autorités ottomanes, ces dernières accordent aux Juifs très tôt (on en a une attestation en 1509, soit moins de vingt ans après l’expulsion des Juifs d’Espagne), le privilège de fournir le drap servant à tailler les uniformes des janissaires, composante de la fameuse infanterie ottomane. Cela constitue un formidable marché d’État qui a amené une grande partie des Juifs de Salonique à entrer dans les différents métiers de la fabrication du drap. D’après ce que l’on peut inférer de la documentation, ce privilège était accordé aux Juifs en contrepartie de leur rôle dans la mine de Sidré-Capsa. Quel était l’intérêt des fabricants juifs de tissus de laine pour les Ottomans ? Contrairement à d’autres industries textiles de cette époque (le coton, la soie…), le drap, c’est-à-dire les tissus de laine, était peu répandu dans l’Empire ottoman. Alors qu’au contraire, dans les différents royaumes espagnols, il y avait, durant tout le Moyen Âge, de grands centres d’industrie drapière. D’une part, les émigrés juifs ont apporté un certain savoir technique, et même des innovations qui n’étaient pas connues dans l’Empire ottoman, comme par exemple le moulin à foulon qui apportait une aide considérable dans une étape essentielle de la fabrication du drap. D’autre part, cette industrie drapière était rendue possible

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Marchands de Poteries. Carte postale. Éditeur Panisse et Gallenca. Salonique vers 1900. Collection Hasson. Photothèque Sépharade Enrico Isacco.

Balayeurs des rues. Carte postale. Salonique vers 1910. Collection Hasson. Photothèque sépharade Enrico Isacco.

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par le fait que, comme en Espagne, il y avait en Bulgarie et en Macédoine, dans l’arrière-pays de Salonique, des troupeaux de moutons dont la laine pouvait servir de matière première. La place de Salonique dans l’histoire juive s’explique par la conjonction de ces éléments favorables. Même si les Juifs de Salonique se sont ensuite tournés vers d’autres activités que la draperie, elle a été longtemps leur activité de base. Cela permet de comprendre le développement et l'organisation de la population juive.

Une communauté juive organisée mais divisée Il y avait au XVIe siècle une vingtaine de congrégations différentes dont les noms rappelaient l’origine géographique de leurs membres. De nouvelles synagogues furent édifiées, bien que, en principe, la charia n'autorisait que la réparation d'édifices religieux existants, chrétiens ou juifs.. Mais les Ottomans, très pragmatiques, n'hésitaient pas à contourner la difficulté en cas de besoin et ainsi on vit de nombreuses synagogues apparaître. La plus fameuse et importante est connue comme le Talmud Torah de Salonique, édifié en 1520 qui était la maison commune des Juifs de Salonique, c’est-à-dire une synagogue mais aussi un hospice pour les orphelins, une salle de réunion, une salle de fêtes, tout ce qu’il fallait pour donner malgré tout une certaine unité à cette communauté qui était en fait extrêmement divisée, morcelée, en kahals, en congrégations, toutes jalouses de leurs traditions et de leurs droits. L’influence culturelle, religieuse, juridique de la communauté sépharade va progressivement s’imposer mais non sans résistance des autres communautés qui existaient dans la ville : les Romaniotes, bien sûr, qui étaient présents avant l’arrivée des Sépharades, mais aussi des Ashkénazes venus d'Europe centrale, des Juifs venus d’Italie. Chacun essayait de sauvegarder son identité face à l’ascension de l’influence séfarade.


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La « Jérusalem des Balkans » au XVIe siècle On a évoqué, au XVIe siècle, avec une certaine exagération « l’âge d’or de la Salonique juive ». Bien que « l’âge d’or » n’existe pas du point de vue historique, il est cependant exact qu’au XVI e siècle, Salonique est, sur le plan économique, religieux et culturel, une référence pour tout le judaïsme méditerranéen et même au-delà avec des grandes figures qui ont un prestige et une influence considérable : des rabbins comme Moïse Almosnino qui sera aussi un historien, un chroniqueur ; comme Samuel de Medina dont les Responsa font autorité non seulement à Salonique mais un peu partout. C’est lui qui écrit :

« Nous abondons en savants et en bibliothèques. La science est largement répandue parmi nous. » On peut encore citer un autre rabbin fameux, Benjamin ha-Levi Eshkénazi qui écrit : « Orateurs, sermonnaires, mathématiciens, philosophes, jurisconsultes, érudits, chantres et poètes sont légions. » Et c’est à Salonique aussi que le fameux médecin, grand savant, Amato Lusitano va séjourner pendant plusieurs années. Par rapport à cette époque brillante où Salonique joue un rôle éminent dans le judaïsme, il y a pour le judaïsme ottoman en général, et pour celui de Salonique en particulier, une nette détérioration de la situation au XVIIe et au XVIIIe siècles.

Marchand ambulant. Carte Postale. Benroubi et Pessah, Salonique vers 1900. Collection Hasson. Photothèque sépharade Enrico Isacco.

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La récession (XVIIe-XVIIIe siècle) D’une part, l’industrie du drap, qui a été sûrement une aubaine au départ pour les Juifs saloniciens, va devenir un piège redoutable. Les Janissaires étant de plus en plus nombreux, alors qu’au XVIe siècle on demandait 1200 pièces de drap, au XVIIe siècle, on leur en demande 4 000. Compte tenu de l’inflation qui affecte l’Empire dès la fin du XVIe siècle, on rémunère de moins en moins l'achat de ces pièces de drap et la production devient de plus en plus mauvaise. Il y a des tricheries sur la fabrication, sur les dimensions, à tel point qu’un rabbin important, Judah Covo, est convoqué à Istanbul en 1637 : tenu pour responsable de la mauvaise qualité des draps saloniciens, il est jugé et pendu. Et comme l’écrit un rabbin à cette époque, « c’est une verge de fer qui frappe Israël à la nuque ». D’autre part, la fiscalité salonicienne est de plus en plus lourde ; au XVIIe siècle, l’Empire ottoman mène différentes guerres contre Venise, contre les Habsbourg, puis contre les Russes, qui vont affecter Salonique, car les troupes qui y sont cantonnées vont commettre toutes sortes d’exactions. Au XVIIIe siècle, ce sont les Janissaires locaux qui dominent la ville et qui maltraitent les Juifs. Enfin, dans la seconde moitié du XVIIe siècle, Salonique sera sûrement une des villes les plus affectées, peut-être la plus affectée, par ce que l’historien Joseph Nehama a appelé la « Tourmente Sabbatéenne », c'est-à-dire la profonde crise religieuse suscitée par la prédication de Sabbatay Tzevi. Le seul élément positif, et qui annonce un avenir plus prometteur, c’est l’installation au cours du XVIIIe siècle de quelques familles très dynamiques de Juifs livournais, qui vont réveiller la communauté qui s’était repliée sur elle-même. Ce d’autant plus qu’après avoir été, pendant une bonne partie du XVIe siècle, un lieu d’émigration, non plus pour les Juifs sépharades, mais pour les marranes, l’Empire ottoman n’est plus une destination appréciée. Les marranes vont désormais plus vers Hambourg, Londres, Amsterdam, vers

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l’Amérique du Sud, et désertent l’Empire ottoman qui offre moins de perspectives d'avenir.

Salonique et la modernisation de l’Empire ottoman Il faudra attendre la seconde moitié du XIXe siècle pour assister à une forme de réveil de Salonique en général et de la communauté juive en particulier. Salonique va être, à partir du milieu du XIXe siècle, la ville la plus moderne, la plus en pointe à tous égards, de l’Empire ottoman : que ce soient les installations urbaines, que ce soit l’industrie, que ce soient les courants politiques… C’est à Salonique qu’apparaîtra un socialisme ottoman, au début du XXe siècle, et le créateur de ce mouvement, Abraham Benaroya, est un Juif de Sofia venu à Salonique. Salonique sera aussi la ville d’où partira la révolution Jeune Turque en 1908. Dans ce mouvement de modernisation, de dynamisme de la ville en général et de ses différentes communautés, les Juifs jouent un rôle très important. Il y a incontestablement un réveil mais qui sera malgré tout limité : en 1912, la ville est annexée par la Grèce, et même si les Juifs gardent un statut raisonnable dans le nouvel ordre politique, la préoccupation des nouvelles autorités est d’helléniser la ville le plus possible. Le grand incendie de 1917, dont les quartiers juifs situés au centre ont été les premières victimes, va détruire les trois-quarts de la ville . La fin – pas la fin absolue puisqu’il y a encore une petite communauté juive à Salonique mais la fin de ce qu'on pourrait appeler « l'exception » salonicienne – a été consommée en 1943 avec la déportation à Auschwitz de 96 % de la communauté. On estime à 56 000 Juifs le nombre de victimes de cette déportation. Gilles Veinstein (1945-2013) était depuis 1998 titulaire de la chaire d'Histoire turque et ottomane au Collège de France. Sa maladie puis son décès survenu le 5 février 2013 ne lui auront malheureusement pas permis de relire le texte de la conférence qu’il a prononcée le 10 juillet 2012 lors de la première université d’été judéo-espagnole. Nous la transcrivons ici à titre d’In Memoriam. Le titre et les intertitres sont de la rédaction. Transcription : Suzanne Varol.


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Théâtre à l'école italienne de Salonique. Juin 1932. Salonique. Collection Dolly Modiano Benozio. Photothèque sépharade Enrico Isacco.

Gilles Veinstein s’est intéressé au cours de ses recherches aux Juifs de l’Empire ottoman et leur a consacré une année de ses séminaires au Collège de France. Il a consacré de nombreux textes à la vie des Juifs sous l’Empire ottoman dont on trouvera le recensement ci-dessous : Une communauté ottomane, les Juifs d’Avlonya (Valona) dans la deuxième moitié du XVIe siècle dans Gli Ebrei e Venezia, secoli XIV-XVIII, G. Cozzi, ed., Milan, 1987, p. 781-828. Sur la draperie juive de Salonique (XVIe-XVIIe siècles) dans Les Balkans à l’époque ottomane, sous la direction de D. Panzac, Revue du monde musulman et de la Méditerranée, 66, 1992/4, Aix-en-Provence, 1993, p. 55-62 (accessible en ligne sur Persée : http://www.persee.fr/web/ revues/home/prescript/article/remmm_0997-1327_1992_ num_66_1_1572). Note sur les transferts technologiques des Séfarades dans l’Empire ottoman dans Coloniser au Moyen Âge, sous la direction de M. Balard et A. Ducellier, Paris, Armand Colin, 1995, p. 268-273.

The Clothes of Salonika : A Reassement of Nehama’s Views dans The Days of the Crescent. Chapters in the History of the Jews in the Ottoman Empire, M. Rosen ed., Université de Tel-Aviv, 1996, p. 39-48 (en hébreu). Les Juifs de l’Empire ottoman in La Méditerranée des Juifs. Exodes et enracinements, sous la dir. de P. Balta, C. Dana et R. Dhoquois-Cohen, Les Cahiers de Confluences, Paris, L’Harmattan, 2003, p. 115-130. L’établissement des Juifs d’Espagne dans l’Empire ottoman ( fin XVe-XVIIe siècle) : une migration dans C. Moatti, Wolfgang Kaiser et Christophe Pébarthe, (dir.), * Le Monde de l’itinérance en Méditerranée de l’Antiquité à l’époque moderne. Procédures de contrôle et d’identification, Bordeaux, Ausonius, 2009, p. 667-683. Les résumés des cours et des séminaires du Collège de France sont accessibles en ligne : http://www.college-defrance.fr/site/gilles-veinstein ainsi que sa bibliographie complète.

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Le lecteur consultera avec intérêt les ouvrages suivants :

Isaac Révah

In Memoriam, Hommage aux victimes juives des nazis en Grèce, Michaël Molho (sous la direction de) 1. The destruction of European Jews, Raoul Hilberg, Quadrangle Books / Chicago. The Last Days of Jewish Salonica, Cecil Roth, Commentary July 1950, Published by the American Jewish Committee. Mémorial de la Déportation des Juifs de Grèce, Aure Recanati, Jerusalem, Abraham CohenErez Publ., 2005. 3 volumes. The Jews of Thessaloniki, Yakov Benmayor, The Jewish Museum of Thessalonoiki. http://www. jmth.gr Zvi Koretz Grand Rabbin de Salonique (1933-1943) : la réalité des faits. Par un groupe de descendants de Saloniciens. 2011, Archives de Yad Vashem, n° de registre 9611399. The Agony of Greek Jews, 1940-1945, Steven Bowman. Stanford Studies in Jewish History and C [Hardcover]

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La déportation des Juifs de Thessaloniki (Salonique) Nous commémorons en 2013, le 70ème anniversaire de la déportation des Juifs de Salonique. Ce triste anniversaire est l’occasion de rappeler les conditions tragiques dans lesquelles la plupart des Juifs saloniciens ont trouvé la mort. Isaac Révah, témoin de ces évènements et lui-même déporté avec sa famille à Bergen Belsen nous en livre le récit.

Les Juifs de Salonique : quelques points de repère 1 Il est admis que la présence des Juifs à Salonique date du début de l’ère commune quand les Romains détruisirent le Second Temple et expulsèrent les Juifs de Judée. En 1170, le grand voyageur Benjamin de Tudèle mentionne l’existence d’une communauté de 500 Juifs s’exprimant en grec, dénommée Romaniote en référence à Rome. À cette population juive peu nombreuse s’ajoutent ultérieurement des italiotes et des ashkénazes. C’est en 1492, après l’expulsion des Juifs d’Espagne par Isabelle la Catholique et lors de l’arrivée des expulsés à


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Salonique, que la population juive salonicienne croît de façon significative. À cet égard on notera que, en 1530, le poète et marchand Samuel Usque nomme cette ville « une mère en Israël » et dit qu’elle « est devenue le refuge de la plupart des Juifs expulsés d’Europe et d’autres parties du monde… comme si elle était Jérusalem, notre mère vénérée ». Sous l’Empire ottoman et jusqu’à la première guerre balkanique (1912-1913) la population juive intervient avec succès dans les activités économiques (les samedis et les jours de fêtes juives sont chômés, les trains ne circulent pas), culturelles ou spirituelles. Mais après l’occupation de Salonique par les Grecs (1912), on assiste au déclin du rôle des Juifs dans la vie urbaine. C’est ainsi que le travail le samedi devient obligatoire et que la concurrence commerciale avec les entrepreneurs grecs est sévère. On note également que les Grecs manifestent une grande méfiance à l’égard des Juifs soupçonnés d’être proches des Turcs. Au début du XX e siècle, Salonique compte environ 80 000 Juifs sur une population totale de 150 000 habitants. En 1912, la population juive est d’environ 85 000 personnes alors que la population grecque compte environ 40 000 personnes. Le déclin économique est aggravé par l’incendie du quartier juif en 1917, ce qui a pour conséquence une émigration vers la Palestine, la France, les États-Unis et le Royaume Uni. En 1923, à la suite d’un échange de populations avec les Turcs, après le Traité de Lausanne, 100 000 Grecs d’Asie Mineure sont installés à Salonique. À l’aube de la Seconde Guerre Mondiale la population juive, qui compte environ 50 000 personnes (ouvriers, artisans, industriels, commerçants, intellectuels), jouit encore d’une certaine prospérité. En 1943, la barbarie nazie fera disparaître cette population : environ 47 000 Juifs saloniciens sont déportés à Auschwitz-Birkenau (soit 95 % de la population juive) dont 2 000 personnes seulement ont survécu. Aujourd’hui la communauté juive de Salonique comprend environ 1 000 personnes.

La Déportation des Juifs de Salonique Les Italiens envahissent la Grèce le 28 octobre 1940 mais les armées grecques (dans lesquelles 4 000 Juifs de Salonique sont enrôlés), résistent et les mettent en déroute. Devant cette défaite, le 6 avril 1941, les Allemands envahissent la Grèce et trois jours après ils occupent Salonique. Comme le décrit Joseph Nehama dans In Memoriam, les Allemands « multiplient les atteintes à la liberté : interdiction de publier les journaux, réquisition de l’hôpital Hirsch, arrestation des membres du conseil communal et confiscation des archives de la communauté, la bibliothèque est pillée et, un grand nombre d’ouvrages, de manuscrits et de documents de grande valeur sont confisqués. Le grand rabbin Zvi Koretz est emprisonné à Vienne. En 1941, l’hiver est très froid et les conditions de vie de la population sont critiques . Le manque de nourriture et les températures très basses ont pour conséquence une forte augmentation du nombre de décès (soixante décès par jour au lieu de quinze par semaine en temps normal) ». Les Allemands appliquent les lois raciales et les mesures antijuives dès 1942 : travaux forcés obligatoires, réquisition de locaux, expropriations, restrictions dans l’activité et les déplacements de la population juive, destruction du cimetière historique. Le Kommando Rosenberg poursuit le pillage de tous les biens culturels précieux. Le 11 juillet 1942, les hommes de 18 à 45 ans, avocats, ouvriers, médecins, commerçants, employés et directeurs de banque, sont rassemblés place de la Liberté afin de recenser les Juifs valides pour des travaux forcés sur des chantiers militaires répartis en Grèce. Entre 6 000 et 7 000 adultes sont malmenés, brutalisés pendant des heures sous 40° de température. Des hommes et des femmes grecs proches des nazis assistent avec des cris de joie aux scènes horribles qui se déroulent sous leurs yeux 2 : « Tout Juif qui s'écarte qui tente de s'asseoir sur le trottoir… qui essaye de s'abriter du soleil avec un chapeau… qui se protège les yeux derrière des lunettes

2. In Memoriam, Hommage aux victimes juives des nazis en Grèce, Michaël Molho (sous la direction de). Seconde édition, revue et augmentée par Joseph Nehama Réédité par la communauté Israélite de Salonique, 1973. Tomes I à VII.

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Humiliation publique des Juifs sur la place de la Liberté lors de l’inscription obligatoire pour le travail forcé. Salonique, Grèce, juillet 1942. Jewish Museum of Thessaloniki.

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fumées… est empoigné violemment et conduit… devant des officiers qui le condamnent à exécuter des mouvements de gymnastique exténuants. Ceux qui tombent inanimés sont relevés à coup de botte. On les oblige à faire des culbutes, se rouler par terre, exécuter des gymkhanas… sous la ruée des coups… Plus d’un meurt des suites de ces brimades. » Le 13 juillet 1942, nouveau rassemblement au cours duquel 5 000 hommes valides sont sélectionnés et transférés sur des chantiers. Un grand nombre d’entre eux meurent de fatigue, de maladie, de manque de nourriture. Quelques mois plus tard, ces travailleurs juifs sont exemptés de travaux forcés grâce à une énorme rançon payée par la communauté : 2 milliards et demi de drachmes et la cession aux Allemands par la communauté de l’ancien cimetière juif. Après ces événements les Allemands accentuent la pression sur la Communauté. Le 6 février 1943, Dieter Wisliceny et Alois Brunner les émissaires d’Adolf Eichmann, et Max Merten, arrivent pour organiser la déportation et l’extermination massive des Juifs saloniciens : étoile jaune pour tous, les commerces et bureaux des Juifs sont réquisitionnés, inventaire détaillé des propriétés des Juifs, interdiction aux Juifs d’utiliser les moyens de transport et de communication et, surtout, regroupement total de la population dans des ghettos. Trois ghettos sont installés dont le principal, le baron Hirsch, est situé près de la gare de Salonique. Ce quartier a été construit par le Baron Hirsch à la fin du XIXe siècle pour accueillir les réfugiés des pogroms de Russie. Les Juifs qui ne sont pas de nationalité grecque ne sont pas assujettis à ces mesures. 2, 3 Le 14 mars, les occupants du ghetto Hirsch sont rassemblés à la synagogue. Le grand rabbin Koretz les informe qu’ils vont partir pour Cracovie en Pologne « où la grande communauté juive les attend pour les aider dans leur installation et pour trouver un emploi conforme aux goûts, aptitudes et connaissances de chacun 2. À Cracovie ils auront une nouvelle maison au sein de leur peuple ». Le lendemain matin, le 15 mars 1943, tous les habitants

du quartier sont rassemblés et embarqués dans un convoi d’une quarantaine de wagons. Chaque wagon est scellé avec 80 personnes à bord. C’est le premier départ pour Auschwitz. Les Allemands rassemblent alors dans le quartier de Hirsch les Juifs qui seront déportés à Auschwitz par le convoi suivant : il part le 17 mars. 19 convois de 3 000 déportés environ chacun se succèdent entre mars et août. Le dernier quitte Salonique le 2 août 1943. Dates de départ des convois de déportés de Salonique : Mars 15, 17, 19, 23, 27 Avril 3, 5, 7, 10, 13, 16, 20, 22, 28 Mai 3, 9, 17 Juin 1 Août 2 95% de la population juive de Salonique a été déportée à Auschwitz Birkenau, et 2 000 personnes seulement ont survécu. Un très faible nombre de Juifs a fui Salonique pour se cacher dans la région ou pour rejoindre la résistance. Joseph Nehama 2 décrit dans In Memoriam les raisons probables de cette passivité : – les propos rassurants du grand Rabbin Koretz qui induisait en erreur les fidèles en inventant le transfert de la population à Cracovie ; – le manque de moyens financiers pour payer un passeur ; – une fraction importante de la population ne s’exprimait pas en grec et était facilement repérable ; – la multiplication des dénonciations par les voisins grecs faisait que l’on hésitait à contacter des passeurs ; – la trop grande distance qui séparait Salonique des centres de résistance et leur difficulté d’accès. En outre le manque d’organisation ou l’absence de la résistance à Salonique ; – la solidarité familiale : les jeunes ne voulaient pas se séparer des parents âgés, et ceux-ci souhaitant garder leurs enfants avec eux pour les protéger ; – le zèle à l’égard des Allemands manifesté par

3. The Jews of Thessaloniki, Yakov Benmayor, The Jewish Museum of Thessaloniki. http://www. jmth.gr

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Service religieux : on aperçoit la famille et le rabbin. L’ancien cimetière juif de Salonique, établi sur les restes d’un cimetière byzantin, couvrant 324 000 m2 et comptant environ 300 000 sépultures datant du 15e siècle, a été ravagé et rasé par les Allemands en 1942 avec la complicité des Grecs. Sur son emplacement est installée maintenant l’Université 3. Carte postale de Yannis Mega / Images of the Jewish Community Salonika 1897-1917 Editions Kapon, Athens 1993

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les dirigeants communautaires, en particulier par le grand rabbin Koretz qui a collaboré avec les Allemands et leur a été très proche (ceci n’a pas évité sa déportation à Bergen-Belsen par le dernier convoi). Il convient de rappeler ici le destin particulier des 367 Juifs saloniciens ressortissants espagnols dont faisait partie ma famille. Ce groupe, étant espagnol, a été déporté à Bergen Belsen par le dernier convoi d’août 1943, et a été libéré et transféré en Espagne en février 1944, grâce à l’action du consul d’Espagne à Athènes, Sebastian de Romero Radigales. Celui-ci négocie avec les Allemands, sans autorisation de ses autorités, afin d'éviter notre déportation et, après notre internement à Bergen-Belsen, afin d’obtenir notre libération. Les autorités espagnoles refusent de nous rapatrier car il est « impossible d'intégrer un si grand nombre de Juifs, ressortissants espagnols ». Cela ne décourage pas le consul qui finalement réussit à nous faire libérer du camp. Une proposition d’attribuer le titre de « Juste parmi les Nations » à Sebastian de

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Romero Radigales a récemment été présentée à Yad Vashem par l’International Raoul Wallenberg Foundation. Cette démarche vise à faire reconnaître l’importance de ses actions pour obtenir des autorités espagnoles, qu’elles changent de politique et nous rapatrient. Sebastian de Romero Radigales dans ses interventions pour nous sauver de l’extermination a agi sans être autorisé par ses autorités.


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Los Camondos

Saga de la famiya de bankeres djudios del Imperio Otomano en los siglos 18 – 19 Zelda Ovadia

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l primer Camondo mensionado en la istoria de esta eminente famiya es Haim Camondo, una de las personas mas rikas i uno de los notables de la comunidad djudiya de Estambol. En 1782, el fue ekspulsado de Estambol kon su famiya sovre el orden del ministro de eksterior de akeya epoka en el Imperio Otomano abandonando ayi todos sus bienes. La razon de sus ekspulsion nunka fue aklarada. Se aresentaron en Trieste ma, kontrariamente a lo ke se podia pensar, en Italia empeso para eyos una epoka de enfloresimiento i prosperidad. Djuntos kon esto, los bienes de la famiya en Estambol no avian sido konfiskados, fakto muy sovresaliente en la istoria del Imperio.

Verso la fin del siglo 18 se empesa a oyir de muevo de la famiya Camondo en Estambol, aun ke no ay una informasion sovre la data exakta de su retorno. En esta epoka i en la primera metad del siglo 19, la komunidad djudia de Estambol, ke era entonses una de las mas grandes del mundo, i era kompuesta en su mayoria por los sefaradis, desendientes de los djudios ekspulsados de Espanya en 1492, estava pasando por una seria de desvelopamientos sosiales, ekonomikos i kulturales. En el anyo 1802, Isaac Camondo, ijo de Haim, fondo la banka ke yevava su nombre en Galata, onde bivia kaje la metad de la povlasion djudia de la sivdad. Ma la prinsipal razon de avrir esta KAMINANDO I AVLANDO .05 | 19 |


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banka ayi es el fakto ke este kuartier se topa serka del porto i del sentro komersial de Estambol. Kuando Isaac murió en 1832, su ermano, Avraam-Salomon Camondo eredo la banka i la desvelopo muy muncho. El tuvo un solo ijo, Refael, ke desho detras de el dos ijos: AvraamBehor i Nissim. Eyos fueron los ke yevaron a su kolmo los bienes de la famiya. Avraam-Salomon Camondo i despues sus dos inyetos Avraam-Behor i Nissim fueron los konsejeros privados, los bankeres i los amigos de los pashas Rashid, Ali i Fuad, arkitektos del Tanzimat Devri – la Epoka de Reformas en el Imperio Otomano. En el anyo 1865, Avraam Salomon Camondo resivio del rey de Italia Victor Emmanuel II el titolo de nobleza de konde por sus servisios finansiarios en la unifikasion de la Italia i desde entonses los Camondos fueron yamados los kondes de Camondo. El manadero de las rikezas de la famiya no era solamente la banka sino ke los numerozos immobles de los kualos tenia grandes revinidos. Malgrado ke tenia suditansa italiana le fue permetido de merkar terrenos i edifisios. En 1889 los Camondos tenian en Estambol 10 hanes, 9 apartamentos ; en Pera i Galata 5 apartamentos privados ; terrenos ; un teatro, el Alcazar ; magazenes en Uskűdar i Galata ; fabrikas ; terrenos kon plantasiones de arvoles de azetunas i una ferma en Çorlu. Frente al estado deskayido de la sivdad, los abitantes kosmopolites de Pera izieron presion sovrel Babiali i obtuvieron rezultados pozitivos. Se formo una « Komision Munisipala para el Bienestar de la Sivdad » ke Avraam-Salomon Camondo era uno de sus miembros. Las kayes son ancheadas i arelumbradas kon elektrisidad. Los viejos edifisios son derrokados i son fraguados muevos en sus lugares. Diez de los hanes de los Camondos son fraguados en la kaye yamada oy Bankalar Caddesi. En esta epoka Avraam-Bohor i Nissim son una parte de la aristokrasia de la sivdad i empesan a bivir una vida de luso. Fraguan kada uno su konak (rezidensia privada) a pokos metros de sus lavoro.

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Ma eyos no se kontentan kon esto. Estas kazas, kada una de las kualas tiene 20 kamaretas, fueron dekoradas kon los mas karos mobles i ovras de arte de la epoka. Para fasilitar sus idas i vinidas a la banka eyos azen konstruir las famozas eskaleras de Camondo en el estilo Art Nouveau ke era muy de moda en esta epoka i pueden ser vistas asta oy. El titolo « Rothschildes del Oriente » dado a los Camondos no fue una simple komparasion entre las dos famiyas sino ke eyas tenian munchos puntos en komun : Eyas no se okupavan solamente de kestiones finansiarias i bankarias sino ke de aktos de bienfezensia tambien, ayudando kon sus donos a sus korelijionarios i a otros tambien. Lo ke keren antes de todo es desvelopar una edukasion moderna i laika en lingua franseza i en turko. Eyos eran miembros en el Komite Sentral de la Alliance israelite universelle no solo en Estambol sino ke en Paris tambien. Elevos ke se distingian en sus estudios en la eskola de Hasköy en Estambol resivian bolsas para kontinuar a embezarsen en la Aliansa en Paris. De mizmo ke sus gran papa, Avraam-Salomon, ke se avia aresentado en la kapitala franseza, los dos ermanos Camondo, Avraam-Behor i Nissim eyos tambien, ya estavan aprontandosen a deshar el Imperio i realizar sus esfuenyo : bivir en la sivdad de las luzes, Paris. Ma entremientres le imperatrisa de Fransia, Eugenie, pasa por Estambol en su viaje a Cairo, para partisipar en el anyo 1869 a la aviertura del kanal de Suez, i eya deskoje a la Banka Camondo komo la banka ke le dara servisios finansiarios durante su estadia ayi, i eyos atrazan sus partensia por un sierto tiempo, aprovechando esta okazion para pujar sus fama al seno del governo otomano i en el mundo tambien. Mas tadre, i grasias a la amistad i las buenas relasiones ke existen entre los dos ermanos, eyos reushen a superar todos los obstakolos en sus kamino a Paris. En el anyo 1870, Avraam-Behor se fragua, en la kaye Monceau 61, un chiko palasio mientres ke su ermano Nissim fragua su rezidensia en la kaye Monceau 63.


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AbrahamSalomon de Camondo et son petit-fils Nissim de Camondo. Abdullah frères. Péra, Constantinople vers 1868 Paris, Les Arts Décoratifs, archives du musée Nissim de Camondo.

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Todo en ovrando para enreziar sus estatuto en el mundo bankario en Paris los dos ermanos no se olvidan de sus sivdad natala, Estambol. Eyos se enkargan del transporto publiko de la sivdad i forman la kompaniya yamada Sirket-i Hayriye. En la mar, eyos remplasan kon vaporikos las barkas a ramos ke azien el kamino entre las dos kostas del Bosfor, konektando ansi Asia a Evropa kon una rapidez ke no era konosida en akeyos tiempos. Este muevo medio de transporto ansi ke los tramwayes travados por kavayos trokaron konsiderablamente la vida de los sivdadinos de Estambol. Los ermanos Avraam-Behor i Nissim saven ke en desparte de los negosios eyos deven integrarsen kompletamente en la vida sosial de Paris i ser una parte de la « haute societé ». Una de las reglas es de arekojer objetos de arte de muy alta valor, merkar pinturas i dekorar sus rezidensias a los estilos gotiko, barok o neoklasiko. Sus rezidensias en Paris devienen puntos de atraksion para la alta sosiedad. Eskritores, pintores, bankeres i politisianos se arekojen ayi para gostar de los mijores platos i bever vinos de las mas karos ke existian. Los dos ermanos Avraam-Behor i Nissim murieron en 1889, a unos 10 mezes de diferensia el uno del otro. Los ijos, Isaac i Moise, kontinuan el kamino de sus padres i de sus biznono, Avraam Salomon, ma eyos se aleshan mas i mas de Estambol i de los negosios ayi ke son dirijidos por empiegados de konfiensa. Isaac nunka se kazo i no tuvo desendientes. Moïse se kazo kon la ija de una famiya de bankeres, Irene Cahen d’Anvers. De este kazamiento nasieron Nissim i Beatrice. Sus vida pasa en resepsiones i balos, i partidas de kasa en sus rezidensias leshos de la sivdad. Ma esta vida ke parese ser tan oroza se interrompe despues ke Irene se enamora del konde Sampieri, desha a su marido i sus kreaturas i se va kon su namorado. Moise se divorsa i para olvidar su grande pena se dedika al arte i a la muzika ke el tanto ama. Entremientres desbrocha la I Gerra Mundiala i su ijo Nissim es mobilizado. En un komunikado publikado el 5 de Disiembre 1917 fue dicho ke el

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avion del kapitan Nissim Camondo fue abatido en un kombate kon el enimigo. Esta muerte es un duro golpe para Moise de Camondo. La alegria de su vida son agora sus dos inyetos Fanny i Bertrand, los ijos de su ija Beatrice ke se kazo kon Leon Reinach. Su okupasion preferada, los artes i las koleksiones de pinturas, son para Moise komo una terapia ke le azen olvidar parsialmente su dolor. El konde Moise de Camondo transforma su rezidensia en la kaye Monceau 61 en un muzeo ke yama al nombre de su padre el konde Nissim de Camondo i de su ijo, el kapitan Nissim de Camondo. El transfera esta rezidensia kon todo su kontenido al governo de Fransia. El Muzeo Nissim de Camondo fue inaugurado un anyo despues de su muerte, el 21 de Disiembre 1936 i el es avierto asta oy dia i puede ser vijitado por el ancho publiko. Viniendo a Beatrice, eya bive una vida simple i engrandese a sus kreaturas ke ya tienen las edades de 16 i 13 anyos kuando desbrocha la II Gerra Mundiala. Paris es trespizada por las botas de los nazis. Eya se konverte al kristianismo i esta segura ke no sera tokada. Ma eya se yerro… En el enverano de 1943 fue deportada kon su famiya al kampo de konsentrasion de Drancy. Entre el 20 de noviembre 1943 i el 4 de Marso 1944, Beatrice, Leon, Fanny i Bertrand son yevados al kampo de eksterminasion Auschwitz de onde no tornaran mas. Kon sus muerte se termina el ultimo kapitolo de los Camondos, esta famiya ke desho sus trasas en todo lugar onde paso. Zelda Ovadia Salinas est née à Istanbul et a fait son aliya en Israël en 1965. Elle est rédactrice des programmes et des informations pour les émissions judéo-espagnoles de Kol Israël et vice-rédactrice de la revue culturelle Aki Yerushalayim. Elle enseigne aussi le judéo-espagnol et fait des conférences sur la culture des communautés judéo-espagnoles. Elle est actuellement directrice de l'Association Sefarad et membre du Conseil Public de la Otoritad nasyonala para el Ladino (Israël).


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Haïm Camondo

Isaac

Ventura

Camondo

Camondo

(? - 1832)

Abraham-Salomon

Camondo (1781-1873) Clara Lévy

sans postérité

Raphael-Salomon

Camondo

(1810-1866) Esther Fanny Fua

Abraham Behor Camondo (1829-1889) Régina Baruch

Clarisse

Isaac

(1848-1917) Léon Alfassa

(1851-1911)

de Camondo de Camondo 2 enfants non reconnus

Rachel (1869-1899) Albert (1871-1893) Georges (1872-1919) Alice (1874-1826) Maurice (1877-1826) Marguerite (1880-1861)

Nissim de Camondo

Rebecca Camondo

Moïse

Régina (1851-1922) Salomon (1854-1923) Hortense (1858-1932) Esther (1859-1941)

(1830-1889) Élise Fernandez

de Camondo

(1860-1935) Irène Cahen d’Anvers

Nissim

Béatrice

(1892-1917)

(1894-1945) Léon Reinach

(1832-1863) Michel Halfon

de Camondo de Camondo

Fanny Reinach

(1920-1944)

Bertrand Reinach

(1923-1944)

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Les Camondos

Saga d’une famille de banquiers juifs de l’Empire ottoman aux XIXe et XXe siècles

Nissim et Béatrice de Camondo dans le parc du château de Champs-surMarne, chez leurs grandsparents Cahen d'Anvers 1916. Paris, Les Arts Décoratifs, archives du musée Nissim de Camondo.

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Le premier Camondo mentionné dans l'histoire de cette éminente famille de banquiers et de mécènes installés dans l'Empire ottoman dès la fin du XVIIIe siècle fut Haïm Camondo. L’aîné de ses fils, Isaac, reprend la banque familiale fondée en 1802 à Galata, quartier d’Istanbul situé à proximité du port et du centre commercial de la ville. Au décès d’Isaac, en 1832, son frère Abraham Salomon, devenu son héritier, développe largement les activités financières et immobilières de la famille. Anobli par le roi d’Italie Victor Emmanuel pour l’aide qu’il lui apporta dans l’unification italienne, le Comte de Camondo participe à la modernisation de la ville d’Istanbul. Conseillers privés, banquiers et amis des pashas, les petits-fils d’Abraham Salomon, Abraham Behor et Nissim, poursuivent l’action de leur grand-père. Les Camondo sont appelés « les Rothschild de l’Orient », tant du fait de leurs activités bancaires et financières que par les œuvres de bienfaisance qu’ils multiplient, notamment dans le domaine de l’éducation. On les retrouve bientôt à Paris, où s’installe aussi leur grand-père Abraham Salomon, et ils s’intègrent à la haute société française. Les deux frères collectionnent alors les œuvres d’art et reçoivent, dans leurs résidences privées, écrivains et artistes aussi bien que banquiers et politiciens. Mais ils suivent toujours de près leurs affaires à Istanbul où ils contribuent notamment au développement des transports urbains. Isaac, fils d’Abraham Behor, et Moïse, fils de Nissim poursuivent l’œuvre de leurs pères, mais s’éloignent de plus en plus d’Istanbul. Isaac n’aura pas d’héritier alors que Moïse aura deux enfants : Nissim et Béatrice. Le premier, engagé dans l’aviation, sera abattu en combat aérien en 1917. L’hôtel de Camondo, rue de Monceau, perpétue son souvenir comme celui de son illustre grand-père dont il portait le prénom.

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Quant à Béatrice, elle sera déportée, avec son mari et leurs deux enfants en 1943, d’abord à Drancy puis à Auschwitz d’où ils ne reviendront pas. Avec leur disparition, se termine tragiquement cette saga d’une famille longtemps vénérée par la communauté juive d’Istanbul.


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El haham meldando Le vieux sage lisant

Muevas konsejikas djudeo-espanyolas Contées par Lior et Samuel Azar Yéndose para el echo, un mansevo pasava kada diya i diya delantre de un haham aedado ke meldava asentado a la sombra de un arvolé. Kada diya i diya el mansevo le demandava al vyejo de ké meldava tanto i kada diya i diya el vyejo le arespondiya : « para irme al Ganedén ». Un diya, el mansevo no topó al vyejo en su lugar. El mansevo estava merekiyozo i desho su echo para ir a bushkar al vyejo por el mundo. Duspués de vyajar buen karar de tyempo por tyeras ajenas, se topó al pye de una montanya muy muy alta. Empesó a suvirla. Serka de la punta de la montanya, se topó aryentro de una diruchá espesa i eskura. Kuando el sol arondjo la diruchá, el mansevo vido ke estava en medyo de una guerta muy ermoza. Al pye de un penyasko, estava asentado el ombre aedado, meldando un livro. El mansevo le demandó : « Aki estamos en Ganedén ? ». El vyejo le arespondyó « Si, akí es Ganedén ». « Alora, de ké estás ainda meldando ? » disho el mansevo, enkantándose. « I es ke agora ke estó en Ganedén entyendo todo lo ke estó meldando » le arespondyó el haham.

Nous présentons ici deux histoires recueillies par des enfants et qui trouvent ici une nouvelle vie en judéo-espagnol. Si vous connaissez d’autres histoires de la sagesse juive merci de les adresser à la rédaction. Nous serons heureux de les traduire et de les partager avec nos lecteurs.

Un jeune homme passait chaque jour en allant travailler devant un vieux sage lisant à l’ombre d’un arbre. Le jeune homme demandait chaque jour au vieil homme pourquoi il lisait tant et chaque fois le vieil homme lui répondait : « pour aller au Gan Eden ». Un jour le jeune homme ne retrouva pas le vieil homme à sa place habituelle. Il s’inquiéta et partit à sa recherche à travers le monde. Après avoir traversé plusieurs pays étrangers, il arriva au pied d’une grande montagne qu’il escalada. Au sommet de la montagne, il se trouva pris dans un épais brouillard. Quand le soleil chassa le brouillard, il vit qu’il se trouvait dans un très beau jardin. Au pied d’un rocher se trouvait le vieux sage assis en train de lire. Le jeune homme lui demanda « c’est ici le Gan Eden ? ». Le vieil homme lui répondit « oui, c’est ici ». « Alors pourquoi continues-tu à lire ? » s’étonna le jeune homme. « Parce que maintenant que je suis au Gan Eden, je comprends ce que je lis » lui répondit le vieux sage.

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El papaz inatchí (kavesa de arnavut)

Le prêtre têtu (tête d’Albanais) Erase una vez una sivdad ande abasho un mabul de espantar. El papaz kedó emprezo en la klisya ke s’estava inchendo de agua poko a poko. Ya teniya el papaz las patchás enteras en la agua. Pishin vinyeron los tulumbadjis ande él para ayudarle i le rogaron al dezmazalado de papaz ke salyera kon eyos afuera. Ma el papaz no kijo salir del santo lugar i les arespondyo : « si kere el Dyo, El me va salvar ». I estuvo rogando al Dyo, a la Panaya i a los santos a ke le kitaran de estrechura. Duspues de kinze puntos la agua le asuviya fin a los ombros i tornaron los tulumbadjis a dizirle al papaz ke salyera de la klisya kon eyos porke se iva a undir i aogar. Ma el papaz refuzó de muevo dizyendo « Si kere el Dyo, El me va salvar » ; pasaron kinze puntos, la agua le yegó fin a la boka. Esta vez vinyeron kon barko los tulumbadjis, arogándole ke salyera de vista de la klisya i vinyera kon eyos. El papaz ya no podiya mas avlar pormo de la agua ke le inchiya la boka, ma kon la kavesa amostró ke no keriya salir de dinguna manera. Kuando otra vez tornaron los tulumbadjis, ya toparon ke el papaz se aviya aogado por entero. Myentres ke los tulumbadjis kitavan el puerpo del papaz de la klisya, su alma vino al pye de su Kriyador. El papaz le avló al Dyo kon birra dizyendo : « Sinyor Dyo, me enganyates tu ! Duspues de rogarte vida entera desde la demanyana matrana fin a la noche, por una vez ke tuve menester de tu ayudo, me lo arefuzates ! ». El Dyo se ensanyó i le arespondyó kon ravya : « Me izites rizil del mundo ! Tres vezes te mandí los tulumbadjís i tres vezes tu les refuzates kon inat » i lo arondjó de vista en el forniko de Geinam. | 26

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Un terrible déluge s’abattit un jour sur une ville. Le curé était resté enfermé dans l’église qui se remplissait d’eau peu à peu. Il avait déjà les jambes entièrement couvertes d’eau. Les pompiers vinrent vite à son aide et prièrent le pauvre curé de sortir avec eux. Mais le curé ne voulait pas sortir du lieu saint et leur répondit : « Si Dieu le veut, il me sauvera » et il priait Dieu, la Sainte Vierge et les saints pour qu’ils viennent à son aide. Quinze minutes plus tard, l’eau atteignait les épaules du curé et les pompiers retournèrent prier le curé de sortir avec eux pour lui éviter de se noyer. Le curé refusa de nouveau en disant : « Si Dieu le veut, il me sauvera » ; passèrent quinze minutes de plus et l’eau arriva jusqu’à la bouche du curé. Cette fois les pompiers vinrent en barque, suppliant le curé de sortir immédiatement de l’église et de venir avec eux. Le curé ne pouvait plus parler à cause de l’eau qui lui emplissait la bouche, mais avec la tête il montra qu’il ne voulait sortir d’aucune façon. Quand les pompiers revinrent une nouvelle fois, ils trouvèrent le curé noyé pour de bon. Pendant que les pompiers retiraient le corps du curé de l’église, son âme était déjà arrivée devant son Créateur. Le curé s’adressa avec colère à Dieu en lui disant : « Seigneur tu m’as bien trompé ! Après que je t’ai prié toute une vie des matines jusqu’à la nuit, pour une fois où j’avais besoin de ton aide, tu me l’as refusée ! ». Dieu s’énerva et lui répondit avec rage : « Tu m’as tourné en ridicule ! Je t’ai envoyé trois fois les pompiers et trois fois tu les as refusés avec entêtement » et il le jeta aussitôt dans les feux de l’enfer !


PARA MELDAR |

Para meldar Dictionnaire illustré du Judéoespagnol de Turquie Judéo-Espagnol / Français Français / JudéoEspagnol Isacco Hazan

Éditions du Divit avec le soutien d’Etsi, 2013. ISBN : 978-2-9544562-0-1 Prix : 36 €

La publication en juin 2013 du dictionnaire judéo-espagnol de notre ami et adhérent Isacco Hazan est l’aboutissement d’un long travail et était attendue de longue date. Elle vient en effet combler un manque important. Ce travail monumental comprenant plus de 10 000 mots et expressions reflète la variante du judéo-espagnol parlé à Izmir dans la famille d’Isacco Hazan. Il présente les deux entrées français / judéo-espagnol et judéo-espagnol / français ce qui est rare même dans des ouvrages de référence comme le dictionnaire de Joseph Nehama (judéoespagnol de Salonique) ou celui de Klara Perahya (judéo-espagnol d’Istanbul). Nous saluons donc à sa juste valeur la publication de ce dictionnaire que nous dénommerons bientôt affectueusement « le Hazan » comme nous disons habituellement « le Nehama » ou « le Perahya ». Nous aurons l’occasion de consacrer une étude à cette importante publication dans un prochain numéro.

Mémoires d’un fermier juif en Turquie Albert Kant

Édité par Rifat Bali. Libra, Istanbul, 2013. ISBN : 9786054326679

D’Istanbul en exils Diana Canetti

Éditions Petra. Collection : Méandre. ISBN : 978-284743-062-2

Diana Canetti est née à Istanbul d’un père juif turc sépharade et d’une mère gréco-espagnole. Sa vie commence sous les meilleurs auspices, malgré la Seconde Guerre mondiale : ses parents ont fait un mariage d’amour et les affaires de son père sont florissantes. Mais l’harmonie du couple se lézarde, sa mère

fait du « Cercle d’Orient » et ses tables de jeux sa seconde maison où elle côtoie la société huppée et cosmopolite stambouliote. Son frère et elle sont mis en pension. Les pogroms contre les minorités non-musulmanes, la crise économique font éclater le couple et l’ensemble de la famille, qui se retrouve dispersée de par le monde. Restée seule, Diana Canetti n’aura de cesse de concilier sa vie de femme, sa vocation d’écrivain et de journaliste ainsi que ses origines aux racines multiples. Elle s’ouvre à la culture française et c’est en français qu’elle écrit ce témoignage d’une enfant puis d’une adulte en proie à l’éloignement et au déracinement.

Izmir Sephardic Cuisine with its lost and existing 100 recipes

Lina Eskinazi, Ester Antebi, Ora K. Gürkan, Nüket Franco, Sara Enriquez, V. Jinet Sidi Sarfati. Etki Printing Publishing co. Izmir, 2012. ISBN 978-605-4387-694 En anglais. 140 pages. Kada uno al savor de su paladar. À chacun selon son goût. Ce livre magnifiquement illustré et présenté est une bible pour tous les amoureux de la cuisine sépharade.

Ce livre autobiographique écrit en français évoque la vie d'un Juif et de sa famille immigrés de Bessarabie à Constantinople au début du XXe siècle. L'auteur Albert Kant était fermier dans une ferme de la côte égéenne établie par la Jewish Colonization Association pour soutenir les Juifs de Russie fuyant les pogroms Russes. Tout au long de son récit, l’auteur évoque comment sa famille a fait face aux diverses difficultés survenues pendant la guerre d’indépendance menée par les forces kémalistes contre l’armée grecque puis sous la jeune république turque.

Six cuisinières de la communauté juive d’Izmir ont joint leurs efforts pour présenter 100 recettes pratiquées dans leurs familles en espérant ainsi transmettre une culture vivante mais menacée. Le livre s’ouvre sur une préface expliquant en détail les liens étroits entre cuisine, fêtes et traditions. Les recettes sont très agréablement présentées grâce à de nombreuses photos d’excellente qualité. Une postface présente les souvenirs des épiciers, traiteurs, bouchers et poissonniers juifs d’Izmir autrefois nombreux.

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| PARA MELDAR

Adapazarı 1942 – Le Journal d’un soldat juif dans l’Armée turque Léon Benavram

Éditeur Libra. Istanbul, mars 2013 ISBN : 9786054326662 En 1941 a lieu la mobilisation de vingt classes d'appelés « minoritaires », Juifs, Grecs, Arméniens et Syriaques. Connue sous le nom de «Yirmi sınıf ihtiyat askerli » (Service militaire de vingt classes de réservistes), elle concerne seulement les non-musulmans nés entre 1896-1916. Ces appelés sont incorporés dans des unités mises à la disposition du ministère

Sefarad an der Donau. Lengua y literatura de los sefardíes en tierras de los habsburgo. Contributions en espagnol, judéoespagnol, anglais, français, allemand de :

Pilar Romeu Ferré, Paloma DíazMas, Ivana Vucina Simovic, Michael Halévy, David Bunis, Manuela Cimeli, Tamar Alexander, Marie-Christine Varol, Eliezer Papo, Ana Stulic-Etchevers, Soufiane Rouissi, Pandelis Mavrogiannis, Susann Fischer, Stephanie von Schmädel, Gaelle Collin, Christian Liebl, Aitor García Moreno, Cristina Martínez Gálvez, Amor Ayala. Éditeur : Tirocino, Barcelone, 2013. ISBN 978-84-940083-2-0 Nous saluons la publication des Actes du colloque international organisé par Michael Studemund-Halévy en juin 2011 à Vienne sur la présence et l’influence des Sépharades sur l’axe de communication majeure que constituait le Danube entre les Empires ottomans et austro-hongrois. Cette histoire est celle de nombreuses familles judéo-espagnoles qui remontant le Danube découvrent Vienne, sa modernité, ses universités, sa vie mondaine s’y installent ou s’en inspirent à leur retour en terre natale. En témoignent notamment les mémoires de l’écrivain Elias Canetti ou encore de l’éditeur Sa’adi Besalel a-Levi dont les presses d’imprimerie venaient de Vienne.

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des Travaux publics (Nafıa Vekâleti). Ils logent sous la tente dans des camps improvisés et sont affectés notamment à la construction de routes. Ce texte est le témoignage d'un homme, mobilisé pour une durée indéterminée, qui quitte les siens, abandonne son emploi et va vers l'inconnu. Les conditions de vie sont dures, le travail est pénible, la promiscuité dérangeante. Il est inquiet pour sa femme et sa sœur restées à Izmir d'autant plus qu'il ne sait pas quand il va retourner chez lui. Il attend avec impatience une lettre d'Izmir ou un colis ; une permission d'une demi-journée le métamorphose ; le manque d'argent le soucie. Il est entièrement pris dans ses problèmes quotidiens, comme pouvoir se laver dans une rivière, faire sécher ses vêtements après une averse, pouvoir acheter des œufs pour améliorer l'ordinaire. Ces carnets ont été écrits en français. Le style télégraphique s'explique par le fait que ces notes étaient plus un « aide-mémoire » personnel, qu'un « journal ». Malgré les quelques libertés qu'il se donne, son journal reste sobre et se cantonne au quotidien. La guerre n'est pas loin, et pourtant il n'en parle pas !

La Mare aux tortues, souvenirs d’un sépharade du Levant Maurice Deunailles

Nouvelle édition revue et augmentée. Présentée par Corinne Deunailles. L’Harmattan, Paris, 2013, coll. Graveurs de Mémoire ISBN : 978-2-343-00621-5 Sépharade de Turquie, Maurice Deunailles est né au début du XXe siècle dans une petite ville anatolienne, Aydin. L’Empire ottoman a connu de profonds bouleversements qui ont poussé de nombreuses familles à l’exil, surtout à partir des années 1920. Certains se sont embarqués pour l’Amérique latine, d’autres pour la France qui jouissait d’une image idéale auprès de la communauté juive de Turquie. Ces carnets personnels retracent l’histoire mouvementée d’une famille qui, malgré les épreuves de la guerre gréco-turque, de l’exil, puis de l’occupation nazie et de ses persécutions, a pu maintenir sa cohésion tout en s’intégrant à son pays d’accueil, faisant sien le vieux dicton « heureux comme Dieu en France ». À quatre-vingt-deux ans, l’auteur s’est décidé à prendre la plume, motivé par trois raisons essentielles : transmettre ce qu’il savait de son histoire à ses petits-enfants pour qu’ils puissent répondre aux questions de leurs propres enfants, contribuer à préserver la mémoire de la culture judéo-espagnole en voie de disparition, témoigner des richesses d’une culture métissée et d’une intégration réussie malgré les tribulations de l’Histoire. Le livre est présenté par Corinne Deunailles, fille de l’auteur et professeur de lettres. Corinne Deunailles évoquera le livre de son père le mercredi 10 juillet 2013 à 16 h 30 lors de l’université d’été judéo-espagnole.


Las komidas de las nonas Kuando el grupo de Aki Estamos estuvo en Izmir (ver los

Haberes p. 1 ), los miembros de la komunida sefaradi mos aresivieron en el sentro ke yaman « la Liga ». Las mujeres avian preparado komidas delisiozas para mozotros : fritadas, mogados, mustachudos i, entre otros, los famozos boyos ke son una espesialidad de Izmir i ke fueron gizados delantre de mozotros. Aki keremos agradeser muncho a muestras amigas Izmirlias de bendichas manos. / Lors de notre récent voyage à Izmir (cf. p. 1) nous avons été reçus à plusieurs reprises dans le centre communautaire, La Liga, où s’étaient réunis un grand nombre des membres de la communauté sépharade d’Izmir. De délicieuses spécialités de la cuisine judéo-espagnole avaient été préparées pour nous : fritadas, mogados, mustachudos et entre autres de délicieux boyos, spécialité locale, qui ont été confectionnés sous nos yeux par les « Dames d’Izmir » aux « bendichas manos ». Qu’elles soient ici chaudement remerciées. − J.L.F.

BOYOS Ingredientes Para la masa : 1 kupa i media de agua 1 kuchara de supa de azete 1 kuchara de supa de vinagre o de sumo de limon un poko de sal 5 kupas (o mas) de arina Preparasion Mesklar los ingredientes likidos i adjustar la arina asta ke se aze una masa no muy dura (dizen ke deve ser komo el lobulo de la oreja). Amasarla bueno. Para fasilitar el amasar, kortar la masa en 4 pedasos, i amasar kada pedaso aparte. Despues, azer pedasikos boy de mues, echarlos en un tepsi i kuvrirlos de azete. Deshar repozar los pedasikos a lo menos 30 minutos. Avrir kada pedaso kon la mano i estirarlo asta ke se aze un kare muy muy delgado, en sarpikando unas gotas de azete ensima. Meter una kucharika de gomo en medio. Duvlar la masa de los quatro cantones enriva del gomo. Kuajar los boyos 20 minutos al orno (200°C) asta ke se azen dorados.

Ingrédients 5 verres de farine 1 verre et demi d’eau 1 cuillère à soupe de vinaigre ou de jus de citron 1 cuillère à soupe d’huile végétale 1 pincée de sel Préparation Dans une grande jatte, mélanger les ingrédients, ajuster la quantité de farine et pétrir jusqu’à former une pâte de fermeté moyenne (la tradition veut qu’elle ressemble à celle du lobe de l’oreille). Pour faciliter la manipulation, séparer la pâte en 4 parts et travailler chacune successivement. Former alors des boules de la grosseur d’une noix.

Placer celles-ci dans un plat creux et les recouvrir d’huile végétale. Laisser reposer au moins 30 minutes. Aplatir chaque boule de la paume de la main et l’étirer très délicatement en aspergeant de quelques gouttes d’huile. Placer au centre une cuillerée de farce de votre choix (à base de fromage râpé, œuf et pomme de terre écrasée par exemple). Replier les quatre côtés pour recouvrir la farce en formant un petit paquet. Placer les boyos sur une plaque huilée et mettre au four à 200 ° pendant 20 minutes jusqu’à ce qu’ils soient dorés.


Directrice de la publication Jenny Laneurie Fresco Rédacteur en chef François Azar Ont participé à ce numéro Laurence Abensur-Hazan, Line Amselem, François, Samuel et Lior Azar, Rachel Bortnick Amado, Corinne Deunailles, Jenny Laneurie Fresco, Enrico Isacco, Zelda Ovadia-Salinas, Isaac Révah, Marie-Christine et Suzanne Varol, Gilles Veinstein. Conception graphique Sophie Blum Image de couverture La première Maguen David de l'aviation juive sur les pales de l'hélicoptère de Vittorio Isacco (Le Bourget, 1926). Photothèque sépharade Enrico Isacco. Impression Caen Repro ISSN 2259-3225 Abonnement (France et étranger) 1 an, 4 numéros : 40 € Siège social et administratif Maison des Associations Boîte n°6 38 boulevard Henri IV 75 004 Paris akiestamos.aals@yahoo.fr Tel: 06 98 52 15 15 www.sefaradinfo.org www.lalettresepharade.fr Association Loi 1901 sans but lucratif n° CNIL 617630 Siret 48260473300022 Juin 2013 Tirage : 800 exemplaires

Aki Estamos - AALS remercie de leur soutien M. Dominique Romano et les institutions suivantes :


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