| J UILLET, AOÛT,
SEPTEMBRE 2021 Tamouz, Av, Eloul, Tichri 5781
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Revue de l'association Aki Estamos Les Amis de la Lettre Sépharade fondée en 1998
04 L e dictionnaire
du judéoespagnol al reverso. La grande œuvre de J. Nehama enfin complétée
06 L e Nehama al reverso
— EDMOND COHEN
12 J . Nehama, le Mentor
— MICHEL AZARIA
17 J . Nehama,
Notre grandpère, nos souvenirs — ELENA ET MARIA SAPORTA
21 A ventures dans les Balkans L’enlèvement d’un pâtre juif par les Comitadjis
27 R afael Moshe
Kamhi. Un Comitadji juif — FRANÇOIS AZAR
30 C hronique
de la famille Arié de Samokov (suite)
38 P ara meldar
— JEAN-YVES LANEURIE, MARTINE SWYER, FRANÇOIS AZAR
L'édito Éloge du temps long et de la transmission
Ce numéro d’été est presque entièrement consacré à deux œuvres magistrales qui ont nécessité plusieurs décennies, si ce n’est plusieurs générations, d’efforts pour s’accomplir. Encore faut-il préciser que ce travail demeure ouvert et attend d’autres volontés pour franchir de nouvelles étapes. Ces deux œuvres ce sont le dictionnaire du judéo-espagnol de Joseph Nehama et la chronique des Ariés de Samokov. Du dictionnaire encyclopédique de Joseph Nehama, il est rappelé ici que son auteur a employé les quinze dernières années de sa vie à l’établir et qu’il n’en vit jamais la parution. Il n’avait toutefois pas travaillé en vain, puisque son œuvre posthume est devenue pour tous « Le Nehama », le dictionnaire de référence du judéo-espagnol balkanique. Le plus bel hommage lui est rendu aujourd’hui par Alain de Toledo qui publie un Nehama al reverso, c’est-à-dire un lexique français/judéo-espagnol pendant du dictionnaire éponyme judéoespagnol/français. Ce projet rêvé et engagé par son auteur il y a plus de quarante ans est le fruit de sa fidélité et de sa ténacité. Comme le Nehama, il n’aurait pas pu voir le jour sans le soutien et le concours de multiples volontés et, comme tout travail fécond, le Nehama al reverso suscite à son tour de nouvelles vocations : édition turque, édition anglaise… Il est une pierre de touche indispensable de notre culture. Que dire alors de la chronique de la famille Arié de Samokov ? Elle est l’œuvre de plusieurs chroniqueurs dont le dernier a assuré l’unité et la solidité de l’ensemble. Les Ariés de Samokov ce sont d’une certaine façon les Rougon-Macquart judéo-espagnols. L’ambition démesurée de peindre la vie de
toutes les branches d’une famille sépharade de Bulgarie sur cinq générations, de 1767 à 1913. Nous y croisons aussi bien de riches banquiers familiers des Camondo et des Carmona que de pauvres hères rongés par la misère et l’alcool, de grands pédagogues de l’Alliance israélite universelle et des pionniers sionistes à Richon Letsion, des sidérurgistes et des paysans qui sont parfois les mêmes tant la vie impose de changer fréquemment de métier. Moche A. Arié II, le compilateur de la chronique, était très conscient de faire œuvre pour la postérité. Il pressentait que le monde traditionnel qu’il avait connu était appelé à disparaître et qu’il fallait en recueillir d’urgence le témoignage. Il ne ménagea ni son temps ni sa peine, écrivit en toute franchise ce qu’il avait vu ou ce qu’on lui avait rapporté, plus en pionnier de l’anthropologie qu’en historien. Les quelque 2 200 pages en judéo-espagnol qu’il nous a léguées sont un monument qu’il nous appartient de révéler pas à pas. Car le mot de la fin revient à Moche A. Arié II : comme l’or ou l’argent, le savoir n’a de valeur que s’il est partagé, transmis, enseigné. C’est toute la vocation d’Aki Estamos qui tient dans ce court paragraphe, écrit il y a plus d’un siècle, et qui conclut le passage de la chronique Arié de ce numéro. Pour aller plus loin dans ce partage, nous avons plus que jamais besoin de vous. Vous avez été nombreux à nous témoigner de votre fidélité par vos adhésions et vos dons. Soyez en chaleureusement remerciés. Mais nous ne nous sentirons aunados i kumplidos, que lorsque vous nous aurez tous rejoints. C’est pourquoi nous vous prions, si vous ne l’avez pas encore fait, de bien vouloir nous renouveler votre adhésion. Mersi muncho ! Enveranada buena i saludoza !
KE HABER DEL MUNDO ? |
Ke haber del mundo ?
Crédit photo : Chloé Kritharas Devienne.
Paris, France
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Dafné Kritharas en concert à l’Alhambra Après plus d’un an de séparation physique, nous vous invitons à renouer avec la chaleur de nos rencontres lors d’un grand concert à l’Alhambra de Paris autour des chants du monde ottoman. Dafné Kritharas puise son inspiration dans un répertoire né de la convergence des cultures ayant cohabité pendant quatre siècles sous l'Empire ottoman : chants grecs, sépharades, bosniaques, arméniens, turcs… Son deuxième album Varka qu’elle présentera à cette occasion, réunit des musiciens de divers horizons et donne un nouveau souffle à ces chants oubliés. Nourrie de jazz, de folk, d’une subtile note électro et de riches sonorités, portée par des instrumentistes virtuoses et des répertoires multiples, la voix à la fois intimiste, pure et déchirante de Dafné Kritharas chante l'exil, l'amour et la joie, tout en dévoilant également quelques-unes de ses propres compositions inédites en grec : histoires vraies transformées en contes mystérieux où des femmes
bafouées deviennent de redoutables reines des montagnes et où la mer grondante protège les opprimés. Quintet : Paul Barreyre : guitare, chant (France) ; Camille El Bacha : piano, claviers, MAO (France/Liban) ; Matthias Courbaud : contrebasse (France) ; Milàn Tabak : batterie (France). Musiciens invités : Naghib Shanbehzadeh : percussions persanes (Iran) Ruşan Filiztek : saz (Turquie, kurde) ; Saddam Novruzbayov : clarinette, zurna (Azerbaïdjan) ; Yulian Malaj : chant. Dafné Kritharas est lauréate du prix des musiques d’ici/Diaspora Music Awards 2020. Billetterie : Tarif unique : 20 € placement libre www.weezevent.com/concert-de-dafne-kritharas L’Alhambra, 21 rue Yves Toudic, 75 010 Paris. Métro République. KAMINANDO I AVLANDO.39 | 1 |
| KE HABER DEL MUNDO ?
Izmir, Turquie Vers un musée du patrimoine juif à Izmir La ville d’Izmir abrite en son cœur un remarquable ensemble de neuf synagogues dont la fondation remonte pour certaines au XVIe siècle. Ces édifices communiquent entre eux par un réseau de kortijos (cours intérieures), ruelles et passages. Les synagogues Algazi, Neve Shalom ou encore La Signora se visitent et abritent des fêtes religieuses. D’autres édifices, comme la synagogue de Los Forasteros (Orahim), le Talmud Torah (Hevra) et l’ancien siège du grand rabbinat nécessitent en revanche d’importants efforts de préservation. Un plan a donc été élaboré ces dix dernières années par la communauté juive d’Izmir avec le soutien de la fondation Kiriati de Tel-Aviv pour redonner vie à ce complexe et l’ouvrir au public. Les synagogues Portugal, Beit Hillel ont été les premières à bénéficier d’une remise en état. La restauration de la synagogue Etz Hayim, sans doute la plus ancienne, vient également de s’achever. Une couverture provisoire a été récemment installée au-dessus de l’enceinte abritant la synagogue Talmud Torah dont le toit s’était effondré dans les années 1990. Les dimensions de cette synagogue et sa situation au centre du complexe permettraient d’y abriter un espace muséal. Une toiture provisoire devrait être installée prochainement au-dessus de la synagogue mitoyenne Orahim permettant de mettre à jour le sol originel envahi par la végétation.
Enfin l’un des points essentiels du projet concerne l’interaction avec la ville et ses habitants. Izmir abritant aujourd’hui moins de 1 000 Juifs, le musée s’adressera en priorité à un public non-juif curieux du passé juif en Turquie et aux visiteurs de l’étranger. Un festival de la culture sépharade a été fondé en 2018 avec le soutien de la municipalité permettant de faire connaître aux habitants d’Izmir la réalité de la présence juive d’hier et d’aujourd’hui. Le projet placé sous la responsabilité de la communauté juive d’Izmir est coordonné par un natif de la ville, Nisim Bencoya, ancien directeur de la cinémathèque de Haïfa. Il est principalement financé par la fondation israélienne Kiriati, l’Union européenne, l’Agence de développement d’Izmir, les ministères des Affaires étrangères des ÉtatsUnis et d’Allemagne.
Le musée du patrimoine juif à Izmir intégrerait l’ensemble des bâtiments restaurés autour de la rue des synagogues (Havra Sokak) du quartier de l’ancien bazar (Kemeraltı). Chaque synagogue possède ses spécificités, en lien avec la famille qui l’a fondée. La synagogue Algazi, où officia le célèbre chantre Isaac Algazi, deviendrait ainsi un espace consacré au chant et à la musique. Une autre facette du projet concerne la conservation des quelque 2 000 livres et objets d’art du patrimoine liturgique. Les parohet (rideaux) protégeant l’Aron Hakodech (l’armoire sainte abritant les rouleaux de la Torah), les housses brodées recouvrant les Sefer Torah, sont ainsi répertoriées et restaurées au sein du département de conservation des textiles de l’université d’Helsinki.
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Ci-dessus : Synagogue Algazi. Page de droite, de haut en bas et de gauche à droite : synagogue de Los Forasteros (Orahim) restant à restaurer ; synagogue Talmud Torah en cours de restauration (2021) ; synagogue Etz Haim avant restauration ; synagogue Etz Haim restaurée. Image du bas : synagogue Etz Haim restaurée.
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| FIGURES DU MONDE SÉPHARADE
Figures du monde sépharade
Le dictionnaire du judéoespagnol al reverso La grande œuvre de Joseph Nehama enfin complétée
En 1978, paraissait le dictionnaire du judéoespagnol de Joseph Nehama avec une préface de Jesús Cantera dans une édition du Consejo Superior de Investigaciones Científicas (CSIC). Rédigé durant plus de 15 ans par Joseph Nehama, ancien inspecteur général de l’Alliance israélite universelle et déporté à Bergen-Belsen, « le Nehama » est une encyclopédie et un compagnon essentiel pour tous ceux qui veulent découvrir la culture et la langue judéo-espagnoles.
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FIGURES DU MONDE SÉPHARADE |
Joseph Nehama. Archives de l'Alliance israélite universelle.
La satisfaction intense qu’il procure par l’abondance des termes, des expressions, des proverbes qui illustrent chaque mot se double cependant d’une frustration : le dictionnaire de Joseph Nehama est uniquement dans un sens, judéoespagnol/français. Indispensable pour la version, il ne servait que marginalement pour le thème c’est-à-dire pour l’usage le plus vivant de la langue. De nombreux essais, plus ou moins solitaires, ont essayé de pallier, ici ou là, ce manque. Il revient à Alain de Toledo assisté de deux bonnes fées 1 d’avoir patiemment relevé le défi et réalisé ce Nehama al reverso ou lexique français/judéoespagnol comportant 16 000 mots. La graphie particulière adoptée par Joseph Nehama a été conservée pour faciliter la consultation de la version originale. Le Nehama al reverso arrive à un moment particulier dans l’histoire du judéo-espagnol :
alors que disparaissent les derniers locuteurs natifs, ceux qui connaissaient la langue por boka de madre, les efforts se multiplient pour lui redonner vie : conférence et cours en ligne, forum de discussion sur les réseaux sociaux, avalanche de vidéos sur you tube, nous assistons depuis un peu plus d’un an à un foisonnement d’initiatives. Le Nehama al reverso est donc une pierre essentielle pour soutenir ces efforts du moins dans le monde francophone. Nous voulions saluer cette réalisation comme elle le mérite et l’on trouvera dans les pages suivantes la préface en français et judéo-espagnol d’Edmond Cohen qui revient sur sa pratique quotidienne du Nehama et de son complément, le texte de Michel Azaria qui revient sur la vie et la personnalité de Joseph Nehama et enfin les souvenirs plus personnels d’Élena et Maria Saporta, les petites-filles de Joseph Nehama.
1. Sa mère Nora de Toledo née Saporta et sa tante Daisy Saporta.
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Edmond Cohen
Le Nehama al reverso Alain de Toledo pensava eskapar mas presto su Nehama al reverso i demandar muy naturalmente la akdama al Profesor Haïm Vidal Sephiha. Malorozamente el mos desho en desyembre 2019, antes de pueder eskrivir esta akdama, i es un grande onor ke me izo Alain en demandandome de remplasarlo, ma kyen puedriya pretender remplasar un tal benadam i un tal linguisto ? Por syerto no yo, ke, entre otras imperfeksyones, no puedo, salvo en derecho, pretender a dingun diploma universitaryo ni por siguro de linguistika. No tengo dunke la entisyon de remplasar el profesor Sephiha, ma al kontraryo kyero atorgar alto i fuerte mis karesimyentos en djudeo-espanyol, i djustamente rengrasyar a Alain por el ayudo ke me trae kadal diya, a mi ke tengo tan menester, su lavoro de leksikolojiya absolutamente irremplasavle. Deke irremplasavle ? Ay munchas repuestas a esta kuestyon, ma la primera, a eya sola bastante afillu si kreo ke no va plazer, no es posivle de no darla. Es ke desde el tyempo ke agoniza (akodra-
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Alain de Toledo avait prévu de terminer plus tôt son Nehama al reverso et d’en confier tout naturellement la préface au professeur Haïm Vidal Sephiha. Malheureusement, celui-ci nous a quittés en décembre 2019, avant d’avoir pu rédiger cette préface, et c’est un grand honneur que m’a fait Alain en me demandant de le remplacer, mais qui pourrait prétendre remplacer un tel personnage et un tel linguiste ? Certainement pas moi, qui, entre autres imperfections, ne peux, hormis en droit, revendiquer aucun diplôme universitaire et certainement pas de linguistique. Je ne prétends donc pas remplacer le professeur Sephiha, mais bien au contraire reconnaître haut et fort mes carences en judéo-espagnol, et précisément remercier Alain pour l’aide que m’apporte quotidiennement, à moi qui en ai tant besoin, son travail de lexicologie absolument irremplaçable. Pourquoi irremplaçable ? Il y a plusieurs réponses convergentes à cette question, mais la première, à elle seule suffisante même si je crois qu’elle ne va pas plaire, il n’est pas possible de l’éluder. C’est qu’à force d’agoniser (rappelons que c’est en 1977, autrement dit il y a
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remos ke es en 1977, kijo dizir ay 44 anyos, en un tyempo ande los avlantes dainda biviyan, ke el Profesor Sephiha ya puvlikava « La agoniya de los Djudeo-espanyoles ») la lingua djudeo-espanyola ya se izo malorozamente, en todo kavzo en Fransya, una lingua muerta. Una lingua muerta no es syempre una lingua ke no se entyende mas, komo lo era el ejipsyano antes de Champollion. Se entyende, uno puede mismo esforsarse de avlarla i de eskrivirla, komo se aze del latino en el Vaticano o ande otros lugares, ma no nase mas en Fransya un bebe al kual su madre avle en djudeo-espanyol. I los ke nasyeron en el eks-imperyo osmanli i ke teniyan el djudeo-espanyol pour lingua maternala son kaji todos muertos agora. Kuando una lingua es muerta, no se puede mas avlarla o eskrivirla ke kon la kondisyon de ambezarsela, no mas de su madre, ma de un ensenyante, o de si para si. I es byen por esto, malorozamente, ke un buen diksyonaryo se aze no solo djusto provechozo, ma enteramente indispensavle. I esto es indimas vedra kuando el diksyonaryo va del franses al djudeo-espanyol. Por pura konvensyon, se yama versyon la traduksyon del ajeno al franses, i tema la traduksyon del franses al ajeno. I es uzo de admirar los fuertes en tema ; nunka se avla de los fuertes en versyon. Ay a esto una buena razon : afillu si un Franses no konose todos los byervos del teksto del kual aze la versyon, los byervos ke ya se ambezo i ke uvyera puede ser olvidado le vyenen mashkados, i sus traduksyon le vyene kolay. I andevina asigun el kusur, i antes mismo de ir a ver en un diksyonaryo, los byervos ke no konose. Por lo ke es del tema, es una koza muy diferente : los byervos ajenos no vyenen mashkados, las maneras de avlar tampoko, el diksyonaryo se aze indimas menester ! Esto dicho, kale yene ke atorge un abuzo de konfyensa inkontestavle ke tengo kometido : deve azer a lo manko dyez anyos ke Alain me teniya fiyado su eskrito, para ser presizo un teksto daktilografyado, no para mi uzo personal, ma para ke lo melde i ke lo korije. En vez de esto, guadri su lavoro
44 ans, à une époque où les locuteurs vivaient encore, que le professeur Sephiha publiait déjà L’agonie des Judéo-espagnols) la langue judéo-espagnole est, en tout cas en France, devenue hélas une langue morte. Une langue morte n’est pas nécessairement une langue qu’on ne comprend plus, comme l’était l’égyptien avant Champollion, on la comprend, on peut même s’efforcer de la parler et de l’écrire, comme on le fait du latin au Vatican ou ailleurs, mais il ne naît pas en France de bébé à qui sa mère parle judéo-espagnol. Et ceux qui sont nés dans l’ancien Empire ottoman et qui avaient le judéo-espagnol pour langue maternelle sont quasiment tous morts à présent. Quand une langue est morte, on ne peut plus la parler ou l’écrire qu’à condition de l’apprendre, non plus de sa mère, mais d’un enseignant, ou de façon autodidacte. Et c’est bien pour cela, hélas, qu’un bon dictionnaire devient non plus simplement utile, mais totalement indispensable. Et c’est encore plus vrai lorsque le dictionnaire va du français au judéo-espagnol. Par pure convention, on appelle version la traduction de l’étranger au français, et thème la traduction du français à l’étranger. Et il est coutume d’admirer les forts en thème ; on ne parle jamais des forts en version. Il y a à cela une bonne raison : certes, un Français ne connaît pas forcément tous les mots du texte dont il fait la version, mais les mots qu’il a appris et qu’il aurait pu oublier lui viennent tout mâchés, et leur traduction s’impose à lui. Et il devine d’après le contexte, et avant même de recourir à un dictionnaire, les mots qu’il ne connaît pas. Pour le thème, c’est une tout autre paire de manches : les mots étrangers ne viennent pas tout mâchés, les tournures lexicales encore moins, le dictionnaire devient encore plus nécessaire ! Cela dit, il faut malheureusement que je confesse un abus de confiance caractérisé que j’ai commis : il doit bien y avoir au moins dix ans qu’Alain m’avait confié son manuscrit, plus exactement un texte dactylographié, non pas pour mon usage personnel, mais pour que je le relise et le corrige. Au lieu de cela, j’ai conservé l’ouvrage avec moi sans le corriger, et je m’en suis outrageusement servi tel quel et, comme je l’ai dit, quoti-
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ande mi sin korijarlo, i lo kulanei sin verguensa tal i kual i, komo lo dishe, kadal diya, para, en partikolar, el aparejamyento de mis emisyones en djudeo-espanyol en la radyo. Oh puedriya bushkarme diskulpas : demaziya lavoro, manko de tyempo, ets. Ma las diskulpas, tan djustas ke sean (i es ke lo eran en vedra ?) no tapan el delikto. Este penivle atorgamyento syendo echo, me topo en buen lugar, ya se entyende, para deklarar ke este uzo abuzivo de su lavoro me tendra a lo manko dado kalifikasyon para avlar del livro de Alain de Toledo kon yena konosensya de su grande valor i de su grande utilidad. I, vinyendo a esto, keriya dizir dos byervos sovre la persona de Alain de Toledo, ke, en mismo tyempo ke se amostra kon grande i haliz umeldad, komo zaten todos los ombres de valor, i por empesar Moshe Rabenu el mismo, es un temerozo i ambisyozo lavorador i en mismo tyempo un diplomato eksperimentado. Por preva la manera kon la kuala a dirijido kon delikateza ma de mano de maestro, federando basho su direksyon todas las asosyasyones interesadas, el Memoryal de los Deportados Djudeo-espanyoles de Fransya, haliz monumento ke kedara para syempre. Ma kon esto no se kedo su aksyon en favor de los djudeo-espanyoles i de sus lingua, i abolto sovre este livro de agora. Ay mas de kuarenta anyos ke, konstatando la mankansa totala en este tyempo de un diksyonaryo fransez- djudeoespanyol, tuvo la idea, syendo ke a la rovez teniyamos el famozo diksyonaryo djudoespanyol- fransez de Joseph Nehama, de tomarlo al reverso i de tomar komo entradas los byervos fransezes de las traduksyones de Nehama, i komo traduksyones kada una de las entradas djudeo-espanyolas de Nehama. Puede ser ke algunos toparan la idea kolay, yene kaliya toparla, komo diziya Christophe Colomb. Michel Azaria mos akodra en su prezentasyon kyen era Joseph Nehama i lo ke es su « Diksyonaryo del djudeo-espanyol », ovra majistrala i ensiklopedika, malorozamente se muryo antes de pueder verla publikada, ma una ovra entre otras eyas tambyen magistralas.
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diennement, pour, en particulier, la préparation de mes émissions en judéo-espagnol à la radio. Oh je pourrais me chercher des excuses : trop de travail, manque de temps, etc. Mais les excuses, aussi justifiées soient-elles (et l’étaient-elles vraiment ?) n’effacent pas la faute. Ce pénible aveu étant fait, je suis bien placé, on l’aura compris, pour déclarer que cet usage abusif de son manuscrit m’aura qualifié à tout le moins pour parler de l’ouvrage d’Alain de Toledo en pleine connaissance de sa grande valeur et de sa grande utilité. Et, à ce propos, je voudrais dire deux mots sur la personnalité d’Alain de Toledo, qui, tout en se montrant d’une grande et réelle modestie, comme le sont d’ailleurs tous les gens de valeur, à commencer par Moïse lui-même, est un redoutable et ambitieux travailleur doublé d’un diplomate consommé. À preuve la façon dont il a dirigé en douceur, mais de main de maître, fédérant sous sa houlette toutes les associations concernées, le Mémorial des déportés judéo-espagnols de France, véritable monument qui restera à jamais. Mais là ne s’est pas limitée son action en faveur des Judéo-espagnols et de leur langue, et je reviens sur le présent ouvrage. Il y a plus de quarante ans que, constatant l’absence totale à l’époque d’un dictionnaire français-judéo-espagnol, il a eu l’idée, puisqu’en revanche il existait le fameux dictionnaire judéoespagnol-français de Joseph Nehama, de le prendre à rebours et de prendre comme entrées les mots français des traductions de Nehama, et comme traductions chacune des entrées judéo-espagnoles de Nehama. Peut-être que d’aucuns trouveront l’idée simple, encore fallait-il y penser, comme disait Christophe Colomb. Michel Azaria rappelle par ailleurs qui était Joseph Nehama et ce qu’est son Dictionnaire du judéo-espagnol, œuvre magistrale et encyclopédique, malheureusement posthume, car il est mort avant d’avoir pu le voir publier, mais une œuvre parmi d’autres tout aussi magistrales. Idée simple que de le prendre à rebours, ai-je imprudemment écrit. Peut-être l’idée était-elle simple, mais sa réalisation l’était beaucoup moins ! Les difficultés, en effet, pouvaient paraître insurmontables : Tout d’abord, et c’est d’ailleurs ce qui fait sa richesse, le Nehama n’est nullement un lexique, où un mot est
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Idea kolay de tomarlo al reverso, eskrivi sin pensar. Puede ser la idea era kolay, ma su realizasyon lo era muncho manko ! Las difikultades, en vedra, puediyan pareser imposivles de ser rezolvidas : Por empesar, i es zaten lo ke aze su rikeza, el Nehama no es del todo un vokabularyo solo, ande un byervo es trasladado por un otro. El Nehama es una ensiklopediya, ande el traduktor da a entender las varyasyones del sentido de un byervo, azyendo mas un estudyo ke una sola traduksyon. Egzemplos ? Son muy munchos, ma tomaré un solo, ke abastara para azerme entender : Resfolgar, mos propoza Nehama : « se reposer, se détendre dans un complet bien-être, se mettre à l’aise pour respirer à pleins poumons, sans être dérangé par rien ni personne ». Komo ir al reverso ? Por siguro, se puede tomar komo entrada « reposer (se) » o « détendre (se) », ma no se puedra, i es pekado, tomar la entrada mas djusta ma demaziya larga ke seriya « mettre (se) à l’aise pour respirer à pleins poumons, sans être dérangé par rien ni personne ». El lavoro kumplido por Alain de Toledo, al kual kale adjuntar los i las ke lo ayudaron, i por empesar su propya madre, es una ovra de benediktino (de benediktino djudyo, por siguro, lo ke adjunta al akto de bravura). Para kada entrada del diksyonaryo de Nehama, kaliya ir a tomar todas las traduksyones ke propozava, asigun el sentido eksprimido o la manera de dizir indo kon el byervo de entrada. Es koza sigura ke el Nehama al reverso no es, kale atorgarlo, un diksyonaryo komo los otros. Kale, por siguro, akonsejar a su utilizador de tomar el diksyonaryo de Nehama el mismo, para ir averiguar lo ke mos dize de las solusyones propozadas por su reverso. Es zaten por esta razon, para permeter al meldador de topar pishin el byervo djudeoespanyol en el Nehama, ke Alain de Toledo a konservado en su lavoro la grafiya del Nehama. Halbuki es bueno de akodrarse que Nehama a eskrito su diksyonaryo savyendo ke seriya editado
traduit par un autre. Le Nehama est une encyclopédie, où le traducteur donne à comprendre les nuances du sens d’un mot, faisant plus un exposé qu’une traduction proprement dite. Des exemples ? Ils sont innombrables, mais je n’en prendrai qu’un, qui suffira à me faire comprendre. Resfolgar, nous propose Nehama : « se reposer, se détendre dans un complet bien-être, se mettre à l’aise pour respirer à pleins poumons, sans être dérangé par rien ni personne ». Comment aller à rebours ? Certes, on pourra toujours prendre comme entrée « reposer (se) » ou « détendre (se) »,
Joseph Nehama. Archives de l'Alliance israélite universelle.
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Joseph Nehama. Archives de l'Alliance israélite universelle.
en Espanya, de una parte, i de otra parte en un tyempo ande no aviya dainda sido, a poko a poko, adoptado la grafiya uzada agora, dicha de Aki Yerushalayim, asigun el titolo de la revista ke la adopto en primero, i ke es a la vez fonetika i internasyonala, i por esto echando afuera todo aksento o signo komo el tilde, por egzemplo, ke no se topa, a lo manko kolay, sovre todos los klavyeres. Alain de Toledo se esforso kon muncho tino, i no era kolay kon un klavyer fransez, de guadrar kon fidelidad la grafiya del djudeo-espanyol propya a Nehama.
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mais on ne pourra pas, et c’est dommage, mettre l’entrée plus nuancée qui serait « mettre (se) à l’aise pour respirer à pleins poumons, sans être dérangé par rien ni personne ». Le travail accompli par Alain de Toledo, auquel il faut associer ceux et celles qui l’ont assisté, à commencer par sa propre mère, est une œuvre de bénédictin (de bénédictin juif, bien sûr, ce qui ajoute au tour de force). Pour chaque entrée du dictionnaire de Nehama, il a fallu aller répertorier toutes les traductions qu’il proposait, selon la nuance exprimée ou l’expression associée au mot d’entrée. Il est évident que le Nehama al reverso n’est pas, il faut le concéder, un dictionnaire comme les autres. On ne saurait trop conseiller à son utilisateur de se prémunir d’abord du dictionnaire de Nehama lui-même, pour aller vérifier ce qu’il nous dit des solutions préconisées par son inverse. C’est d’ailleurs pour cette raison, pour permettre au lecteur de retrouver immédiatement le mot judéoespagnol dans le Nehama, que Alain de Toledo a conservé dans son ouvrage la graphie du Nehama. Or il est bon de se souvenir que Nehama a rédigé son dictionnaire sachant qu’il serait édité en Espagne, d’une part, et d’autre part à une époque où n’avait pas encore été progressivement mise au point la graphie en cours à présent, dite d’Aki Yerushalayim, selon le titre de la revue qui l’a adoptée en premier, et qui est à la fois phonétique et internationale, et de ce fait excluant toute accentuation ou signe tels que le tilde, par exemple, que l’on ne trouve pas, du moins facilement, sur tous les claviers. Alain de Toledo s’est astreint avec minutie, et ce n’était pas facile à partir d’un clavier français, à reproduire fidèlement la graphie du judéo-espagnol propre à Nehama. Dernière observation : le Nehama s’intitule Dictionnaire du judéo-espagnol. Il faudrait ajouter l’épithète « salonicien ». Le stambouliote ou le smyrniote constateront que fils se dit fijo (écrit, pour ce qui est du j, avec un z particulier dans la graphie du Nehama) et parler favlar, quand eux diraient ijo ou avlar. Le haricot se dit fijon chez Nehama (avec le même z particulier pour transcrire le son j) alors qu’un stambouliote dirait
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Ultima observasyon : el Nehama se intitula « Diksyonaryo del djudeo-espanyol ». Seriya byen de adjuntar la presizyon « selanikli ». El estambolli o el izmirli van a konstatar que fils se dize fijo (eskrito, por lo ke es del j, kon un z partikolar en la grafiya del Nehama) i parler favlar, quand eyos diriyan ijo o avlar. El haricot se yama fijon ande Nehama (kon el mismo z partikolar para dar el sonido j) kuando un estambolli diriya avika si es blanko i fasulya si es vedre. El byervo écuelle es trasladado por chanaka (eskrito por Nehama kon un c partikolar) emprestado al turko çanak kon el mismo sentido… kuando para un izmirli la chanaka es el chukal. Lo ke mos amostra ke en vezes es urjente de azer la diferensya… Asigun mi umilde saver, esta diferensyasyon de las avlas djudeo-espanyolas asigun el lugar de orijen no fue dainda bastante bushkada ; es un lavoro urjente ke keda de azer, i no solo entre selaniklis, estambollis o izmirlis, ma tambyen en tenyendo en kuenta los partikularismos de los Bulgaros, de los orijinaryos de la ex-Yugoslaviya, ets. Una vez echas estas presizyones, mantengo ke afillu la egzistensya de a lo manko dos otros diksyonaryos fransez-djudeoespanyol publikados despues i ke son leshos de ser sin valor, la ovra de Alain de Toledo es absolutamente irremplasavle. Ke sea aki rengrasyado.
avika s’il est blanc et fasulya s’il est vert. Le mot écuelle est traduit par chanaka (transcrit par Nehama avec un c particulier) emprunté au turc çanak avec le même sens… alors que pour un smyrniote la chanaka, c’est le pot de chambre. Comme quoi il est parfois urgent de faire la différence… À mon humble connaissance, cette différenciation des judéo-espagnols selon le lieu d’origine n’a pas encore été suffisamment explorée ; c’est un travail urgent qui reste à faire, et pas seulement entre Saloniciens, Stambouliotes ou Smyrniotes, mais aussi en tenant en compte les particularismes des Bulgares, des originaires de l’ex-Yougoslavie, etc. Ces précisions étant faites, je persiste à attester qu’en dépit de l’existence d’au moins deux autres dictionnaires français-judéo-espagnol parus depuis et qui sont loin de démériter, l’œuvre d’Alain de Toledo est absolument irremplaçable. Qu’il en soit ici remercié.
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Michel Azaria
Joseph Nehama, le Mentor (1881-1971)
Joseph Nehama est né à Salonique le 17 mars 1881. Il souffrait d’une cyphose (il était voûté) et devait se déplacer avec une canne. Son infirmité faisait partie intégrante de sa personnalité et « expliquait en partie son caractère de fer, la puissance de sa volonté, à laquelle rien ne résistait. » a La même source dira de lui : « Ce que j’en peux dire avec certitude, c’est qu’il s’est agi d’un homme qui se place très loin hors du commun. » a Joseph Nehama appartient à l’illustre famille Nehama de Salonique dont un des membres, le savant rabbi Juda Nehama, fut l’un des précurseurs de la Haskala hébraïque en Turquie. Après avoir terminé ses études primaires hébraïques, il entra à l’école de l’Alliance israélite universelle en septembre 1890 et fut envoyé à Paris (première promotion 1901) pour terminer ses études secondaires à l’École normale israélite orientale. À Paris, il a bénéficié d’un « enseignement spécial dispensé soit en Sorbonne, soit dans l’établissement de l’École normale même par des professeurs du Collège de France et de la Sorbonne. » b
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En 1897 (âgé de 16 ans !) il fonda l’Association des anciens élèves de l’Alliance qui servit de modèle aux groupes similaires qui ont été créés par la suite. Revenu comme professeur à l’école de l’Alliance de Salonique, il est nommé directeur de l’école (1910), puis directeur général du groupe. En 1920, il est nommé membre du comité central de l’A.I.U. « C’est le seul professeur du cadre de la Société qui ait été honoré de cette distinction. » b Son éducation fera de lui un francophone francophile ardent pendant toute sa vie. Nehama faisait référence (avec un peu d’exagération, certes) à l’éducation intrinsèquement française des Juifs saloniciens qui pensent « dans la langue de Racine. » b Maurice Benusiglio, son disciple et ami, réfugié en 1940 comme la famille Nehama à Athènes raconte : « Voir maman, parler français, m’entretenir avec lui, c’était comme si les Allemands cessaient à ces moments-là d’exister » a. Le couple Joseph et Mery Nehama née Ezratty avait eu : « une fille unique (née le 18 août 1915), Nora, d’une extraordinaire beauté. Blonde comme sa mère, très indépendante, frôlant sans cesse le scandale, très intelligente et cultivée. Après la Libération, elle s’est mariée à un architecte, Isaac Saporta, résistant juif pendant la guerre, et ils sont partis aux États-Unis. » a Nora Saporta, dans les pas de son père, fonda en 1963 l’Alliance française d’Atlanta. Joseph Nehama est généralement présenté d’abord comme un éducateur. Comme le dit Maurice Benusiglio : « Il était né éducateur. Sa voix chaude et vibrante de baryton, les traits forts de son visage et ses yeux pénétrants faisaient qu’on ne pouvait oublier ce qu’il avait dit. » a Ses très nombreux élèves lui furent très reconnaissants. II compte « une légion innombrable d’anciens élèves dans la Diaspora juive mondiale éparpillés un peu partout aux États-Unis d’Amérique et en France. » b Il croyait en l’élite et estimait que, quel que soit le régime, c’est une élite qui, réellement, conduit la marche des affaires. Mais il voulait une élite cultivée et éduquée et il était anxieux
de la rechercher et de la former. « Il vaut mieux être du côté du manche, répétait-il sans cesse en citant les mots de Talleyrand et de Morny » a confie Maurice Benusiglio. Difficile de le classer, car il est beaucoup plus qu’un éducateur. Écrivain, savant, conférencier, journaliste, dirigeant politique, financier, membre influent du Comité central de l’Alliance israélite universelle, Vénérable de la loge du Grand-Orient. Il fut un homme d’action dans tous les domaines en même temps qu’un grand penseur. Et l’on peut ajouter un troubadour, car « il instillait dans la connaissance du monde des Juifs de Salonique une dimension poétique » c. Parallèlement à ses activités professionnelles, il publia deux livres intitulés : Las Leyes del comercio et Los usos del comercio, un recueil de biographies des hommes célèbres destinées aux écoles, La Salud (publié à 10 000 exemplaires en 1908), sur l’hygiène mise à la portée des familles, une adaptation en judéo-espagnol de l’Avare de Molière sous le titre de Han Binyamín. Il publia des centaines d’articles sous le pseudonyme de Yachar (tout droit en hébreu), dans les périodiques La Epoca et El Liberal en judéo-espagnol, et dans Le Progrès de Salonique et L’Indépendant en français et fit des centaines de conférences au Club des anciens élèves de l’A.I.U. à Salonique. Il fut même publié au Mercure de France à Paris. Pour faire vivre sa famille, il mena une double existence de financier et d’intellectuel. Il fut d’ailleurs un redoutable homme d’affaires. Homme aux multiples facettes, il est décrit comme dur en affaires, mais aussi comme un être plein de tendresse, altruiste et protecteur pour ses familiers et ses disciples. Fondateur de la Banque Union de Salonique en 1926, Joseph Nehama invita immédiatement un Chrétien orthodoxe à siéger au Conseil d’Administration. Il agit très tôt en mécène et finance ainsi des travaux de recherche qu’il a confiés à Michaël Molho notamment sur les pierres tombales des cimetières de Salonique aujourd’hui hélas disparues. Dans une liste des rescapés de Bergen Belsen établie
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par David Benbassat-Benby et publiée dans un journal turc en 1945, il est présenté comme « le banquier Nehama ». Dans les périodes très difficiles, il connut des revers. Ainsi, après l’invasion de Salonique par les Allemands, il perdit tout ce qu’il avait apporté avec lui en espèces : cent mille livres sterling et alors que l’inflation prenait un caractère surréaliste, « Joseph, sur les conseils et assurances d’une personne haut placée au ministère des Finances, convertit le tout en drachmes » a. Après la Libération, à son retour de Bergen-Belsen, ruiné, il se remit avec acharnement au travail et retrouva la prospérité. C’est un notable juif. Entre les années 1920 et 1930, il mène une campagne publique à fort retentissement contre (déjà !) l’appropriation du cimetière juif par la municipalité de Salonique qui estimait que les restes des corps représentaient un matériau intéressant pour des recherches sur l’agriculture dans le cadre de l’expansion de l’université Aristote e. Joseph Nehama est avant tout un citoyen éclairé et un leader communautaire de la grande cité de Salonique. Déjà en 1913, il avait fait une déclaration intense dans un français très alerte à sa ville en publiant à Paris La Ville convoitée sous le pseudonyme de P. Risal (Paris Salonique). Il puise sa force dans ses racines profondes dans sa ville. Dans sa préface à son œuvre monumentale (qualifiée de « Opus Magnum » par El Maleh b) en sept volumes ( dont quatre apparaîtront entre 1935 et 1937 et le 5e en 1959 avec l’aide de la Claims Conference), Histoire des Israélites de Salonique, il parle de sa ville natale « comme une mère patrie » c et d’un travail qui est le reflet de son amour pour cette collectivité juive. Aujourd’hui, pour Devin Naar, lui-même un jeune historien américain prometteur, Joseph Nehama, « le Mentor parmi tous les historiens de cette ville, est l’historien de référence. » c C’est lui qui définit les contours de la discipline. Contrairement aux autres, Il est né et mort à Salonique. Il a une autre particularité très intéressante : il est le seul des illustres historiens de la commu-
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nauté à ne pas avoir eu de formation rabbinique ou à avoir fréquenté les séminaires rabbiniques de Salonique. « Tous les autres historiens, sauf Mercado Covo, ont été professeurs d’hébreu pour la communauté. » c Cette caractéristique pourrait être considérée comme un inconvénient, car cela l’a peut-être empêché d’accéder plus complètement à certains textes. En effet, toutes les sources historiques (décrets, statuts, inscriptions sur les pierres tombales) pour construire un récit historique de Salonique (fraguar en judéo-espagnol) étaient en hébreu. D’ailleurs, on retrouvera cette difficulté beaucoup plus tard lors de l’élaboration de son dictionnaire. En revanche, cela a dû renforcer sa perspective franc-maçonne et son dynamisme pour favoriser l’ouverture au monde moderne. On mentionnera, en incidente, une idée qui interpelle dans l’Histoire des Israélites de Salonique : selon lui, les premiers Dönmes qui ont voulu s’émanciper des rabbins rétrogrades ont été de fait pour leurs générations suivantes des vecteurs de progrès. C’est une idée assez répandue qu’ils pourraient avoir été à l’origine de la chute de l’Empire ottoman ou, comment une minorité ayant successivement connu deux systèmes oppressants aspirait naturellement au progrès. Ce n’est pas sans rappeler l’opinion émise par Benzion Netanyahu sur les marranes. Cependant, un des objectifs sous-jacents majeurs de cette œuvre (nous nous situons très peu avant la Deuxième Guerre mondiale), vise à un « rapprochement cordial » avec les Grecs et plus généralement d’une réflexion sur l’assimilation. Il s’agit là d’un thème clé pour Nehama qui cherche à démontrer une Histoire et des intérêts communs entre populations et donc un rapprochement possible alors qu’un mouvement similaire avec la société ottomane trop fermée était impossible. Il garde une opinion certes nuancée, mais qui reste à cette époque de sa vie assimilationniste, au carrefour de différents courants (Histoire des Israélites de Salonique, p. 806 – 807) : « Pour le Juif, c’est un devoir et une nécessité de
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concilier sa fidélité envers sa tradition religieuse − son honneur devant l’Histoire − avec l’assimilation morale la plus complète à ses concitoyens d’autres cultes […] Assimilation n’est pas identification. L’union morale peut s’établir sans qu’il y ait fusion complète. » Il lui fallut, après-guerre, revisiter le thème de l’assimilation compte tenu de ce qui s’était passé à Salonique pendant la chasse aux Juifs, mais également en réaction à la situation de fait des communautés juives non-judéo-espagnoles présentées au début, par ruse, par les Allemands, comme épargnées parce que parlant grec. Après la deuxième guerre mondiale, Joseph Nehama publiera en 1947 un Hommage aux victimes juives des nazis en Grèce en deux tomes et intitulé In memoriam avec Michaël Molho, rabbin de la communauté israélite de Salonique. Les auteurs y affirment : « que les communautés romaniotes de Grèce avaient une confiance excessive dans l’idée que leur grécité les sauverait. Cet orgueil amena les Romaniotes à se suicider en se constituant une proie facile pour les Allemands. » d Malgré le désir exprimé de rapprochement avec les Grecs, il opta finalement, au moment clé, pour la citoyenneté espagnole confortant ainsi son fort sentiment d’appartenance au peuple espagnol comme le témoignent ses échanges antérieurs avec le sénateur Pulido à qui il doit l’insertion du vocable sépharade dans son vocabulaire c. Cette décision sur sa citoyenneté lui sauva la vie ainsi que celle de sa femme et de sa fille. Les Nehama ( Joseph, Mery et Nora, leur fille) faisaient partie d’un second convoi des Juifs de nationalité espagnole, mais, entre-temps, le débarquement des Alliés en Normandie et les bombardements intensifs du territoire allemand s’étaient produits et le convoi s’arrêta en pleine Allemagne. Ces déportés ‘privilégiés’ furent internés au camp de Bergen-Belsen, dans des conditions relativement supportables : ils recevaient un peu de nourriture et ne risquaient pas, comme les déportés à Auschwitz, la mort quasi-certaine. À BergenBelsen, Joseph Nehama a mené sa lutte contre le
laisser-aller, l’attente sans activité. Il donna des conférences, structura le groupe en organisant des cours et des conférences sur le judaïsme, l’Histoire universelle et même sur le dessin industriel. Il a relevé le moral de ses codétenus. Les nazis mirent la main sur la grande et riche bibliothèque de Joseph Nehama où il avait accumulé des trésors inestimables au service de son savoir encyclopédique prodigieux. Après qu’il eut appris que toute sa bibliothèque, restée à Salonique, avait été emportée par les Allemands, il en avait les larmes aux yeux. Ida Benusiglio, mère de Maurice, rapporte son chagrin : « Et surtout, Ida, plus que tout, ça me fait mal d’avoir perdu un certain calendrier perpétuel que j’avais fignolé, amélioré, enrichi. Je ne l’ai jamais entendu se plaindre sur la fortune perdue, sur son ‘séjour’au camp. Mais je l’ai souvent entendu revenir sur la perte de ce calendrier » a. En 1961, à l’âge de 80 ans, il visite Israël pour la première fois. Face au grand miracle de résurrection de l’ancienne patrie juive et de tout ce que ses coreligionnaires y ont accompli en un laps de temps relativement court et à l’héroïsme de la jeunesse d’Israël, il doit revisiter son désintérêt pour le sionisme pendant l’entre-deux-guerres quand il répliquait par exemple en 1919 : « De quelle Palestine, me parlez-vous ? La Palestine, c’est ici (Salonique). » c Après la guerre, avec un travail démarré probablement bien avant, les quinze dernières années de sa vie furent consacrées en grande partie à la rédaction de ce dictionnaire judéo-espagnol/ français. C’est le type de travail auquel on s’attelle à la fin de sa vie entre 75 et 90 ans parce que l’on considère qu’il est absolument indispensable. Il écrira : « Si moi, presque un ancêtre, je ne me résous pas à collectionner le patrimoine verbal évanescent et même mourant, le judéo-espagnol ne laissera pas un tableau d’ensemble suffisant. » f Il s’agit du travail d’un octogénaire qui reconstitue une langue encore très vivante du temps de sa jeunesse. « Cette œuvre sort presque uniquement de mon souvenir. » Il s’y plonge, comme à
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son habitude, avec une énergie exemplaire. « Je consacre une grande partie de mes loisirs à noter les expressions et les vocables que ma mère et ma grand-mère avaient coutume d’employer dans leur langage de tous les jours […] Je repêche dans ma mémoire ces expressions et vocables qui y flottent encore et qui risquent de s’évanouir complètement. » Il prendra même contact avec des Saloniciens immigrés au Mexique pour vérifier certaines expressions. Le dictionnaire de Joseph Nehama est en réalité une encyclopédie. Edmond Cohen expliquera en judéo-espagnol à ses auditeurs qu’en effet : « l’auteur s’arrête sur un mot, puis à partir de ce mot, c’est l’histoire de Salonique qui apparait. La vie comme elle était avant. Avant que la Shoah ne la fasse disparaitre. » g Il laissa une œuvre inachevée. L’Institut Arias Montano de Madrid prit le relai grâce aux contacts noués auparavant et coopérait déjà sur ce travail. Arnald Steiger directeur de l’Institut puis, à sa mort, Jesús Cantera ont mis en forme et finalisé le travail effectué. Le dictionnaire parait pour la première fois en 1977, six ans après le décès de son auteur. Le dictionnaire qualifié de saut quantique (quantum leap) par le grand linguiste contemporain David Bunis qui souligne, une fois de plus, est-on tenté d’écrire pour Joseph Nehama, qu’il agit en précurseur : « le dictionnaire est un modèle pour sa discipline par sa conformité aux exigences fondamentales de la lexicographie moderne […] Innovation facilitée par la collaboration avec Steiger et Cantera. » h Le résultat n’est certes pas en tous points parfait. Un avertissement écrit de façon diplomatique et confraternelle prévient le lecteur en introduction. Le reproche principal porte sur les nécessaires améliorations qu’il faudrait apporter du point de vue linguistique, notamment, pour tout ce qui concerne les langues non-hispaniques. Il reste que pour les séfarades judesmophones comme les appelle Jesús Cantera, ce dictionnaire reste, à jamais, un trésor inestimable.
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Joseph Nehama s’éteint le 29 octobre 1971. Il est enterré au nouveau cimetière de Salonique. Michel Azaria, Docteur ès lettres Président de l’association Judéo-espagnol à Auschwitz
Sources principales : a. Benusiglio, Maurice, A Tribute to Joseph Nehama. Salonique – Raconte-nous tes histoires par Jacques Aelion. Gémenos : collection L’Échelle de Jacob, Cousins de Salonique éditeurs, 1998. Son père D. Peppo Benusiglio directeur de la Banque de Salonique était très proche de Joseph Nehama. Il avait été son élève à l’Alliance et était également francmaçon. b. Elmaleh, Abraham, Un serviteur fidèle de l’Alliance et des lettres : Joseph Nehama, éducateur, écrivain, historien et homme d’action, Mahberet ( )מחברתn°21, 1er avril 1965, supplément au volume 14, n°118-120, pages 518-521 : www.bibliotheque-numerique-aiu.org/idurl/1/2455 c. Naar, Devin, Jewish Salonica: Between the Ottoman Empire and Modern Greece, Stanford Studies in Jewish History and Culture – September 7, 2016. d. Fleming, Katherine E., Greece, A Jewish History, Princeton University Press, 2008. e. Stein Sarah Abrevaya, Family Papers, A Sephardic Journey Through the Twentieth Century, 19 novembre 2019. f. Cantera, Jesús, Consejo Superior de Investigaciones Científicas, Instituto Benito Arias Montano, 1977. g. Cohen Edmond, Joseph Nehama, Emisyon Muestra lingua, Radio J, 21 avril 2016. h. Bunis, David M, Judezmo Glossaries and Dictionaries by Native Speakers and the Language Ideologies behind Them, www.academia.eu 3 mars 2021.
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Elena Saporta Maria Saporta
Joseph Nehama
Notre grand-père, nos souvenirs Notre grand-père avait l’habitude de raconter que seuls 4 % de la population juive de Salonique avaient survécu à la Seconde Guerre mondiale. Nous nous demandions alors et essayons d’imaginer aujourd’hui ce que cela avait dû être pour nos grands-parents, Joseph et Mery Nehama, de revenir dans leur ville bien-aimée après une année d’emprisonnement à Bergen-Belsen. Avant la guerre, ils habitaient une jolie maison de ville de trois étages dans un quartier élégant de la fin de l’époque victorienne, juste à l’est de la ville. Après la guerre, ils ont passé le reste de leur vie dans des appartements plus exigus situés au centre de Salonique. Notre mère, Nora Nehama (Saporta), était l’unique enfant de Joseph et Mery (Ezratty) Nehama. Avant son mariage avec notre grandpère, notre grand-mère s’était installée à Paris où elle avait épousé un dentiste et lui avait donné un fils, Henri Bourla. Ce mariage s’est avéré malheu-
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De gauche à droite : Nora Saporta, Elena Saporta, Joseph Nehama. Parc de la Tour Blanche, Salonique (1954).
reux et Mery est retournée à Salonique pour se rapprocher de sa famille. Là, elle et Joseph Nehama se sont rencontrés et sont tombés amoureux, ma grand-mère se lamentant sur le fait qu’elle et mon grand-père ne pouvaient pas se marier, car elle était mariée. « Que ton problème devienne mon problème », lui a dit Joseph. Il a réussi à lui obtenir un divorce, ce qui était très inhabituel dans la Salonique du début des années 1900. Nos grands-parents sont restés très amoureux, bien qu’ils aient semblé former un couple extrêmement improbable. Grandpapa qui souffrait
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d’arthrite rhumatoïde depuis la fin de son adolescence était voûté et marchait avec hésitation à l’aide de deux cannes. Sa vie était centrée sur ses recherches et ses écrits. Nona, en revanche, était pleine de vie. Mesurant près de 1,80 m, elle était athlétique et sociable et avait un rire contagieux, un rire dont ses deux enfants ont hérité. Une grande chauve-souris en fonte était suspendue au-dessus du lit conjugal de nos grands-parents. Seul un amour aussi fort que le leur pouvait résister à cette présence nocturne sur le point de surgir. Grandpapa était un père également très dévoué à
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son enfant unique, notre mère, qu’il a personnellement instruite à la maison jusqu’au début de son adolescence. Grandpapa avait l’habitude de garder un carnet sur sa table de nuit. Chaque nuit, des proverbes en judéo-espagnol lui revenaient en mémoire. Chaque matin, il inscrivait dans son carnet trois ou quatre proverbes dont il se souvenait. Ces proverbes, ainsi que ceux fournis par des membres de la communauté juive de Salonique, ont été intégrés dans le Dictionnaire du Judéo Espagnol. En plus du judéo-espagnol et du français, Joseph Nehama écrivait en 13 langues ! Son bureau, situé dans un coin de l’appartement où vivaient nos grands-parents, servait de centre culturel et intellectuel pour Salonique. Nous avons entendu notre grand-père décrit comme le maire officieux de la communauté juive de Salonique. Il a écrit un ouvrage en sept volumes, L’Histoire des Israélites de Salonique et d’innombrables autres ouvrages importants, dont le dictionnaire judéo-espagnol-français. Parmi ses autres réalisations : il fut banquier de la communauté juive et directeur de l’Alliance israélite universelle de Salonique. De fin 1959 à début 1960, nous avons accompagné notre mère à Salonique où nous avons passé six mois exceptionnellement formateurs chez nos grands-parents. Nous étions jeunes. Maria avait 4 ans, puis elle a fêté son cinquième anniversaire à Salonique et Elena avait 8 ans. Pendant ce séjour prolongé, la famille commençait généralement la matinée avec du pain grillé, de la confiture d’abricots que nous trempions dans nos cafés au lait. Après le petit-déjeuner, Grandpapa se retirait dans son bureau où il était accueilli par ses secrétaires dévouées et très coquettes, Mery et Popi. Sur le bord avant du bureau de Grandpapa, les visiteurs étaient accueillis par un écriteau en bronze où l’on pouvait lire : « L’exactitude est la Politesse des Rois ». Une autre phrase souvent prononcée par Grandpapa était « Fais bien tout ce que tu fais ». Cette phrase est restée gravée dans notre mémoire jusqu’à aujourd’hui !
Pendant que Grandpapa passait la matinée à travailler, notre mère nous emmenait souvent prendre un bateau pour se rendre à la plage de Remvi ou sinon, nous nous rendions à Agia Triada − alias « la Plage » (prononcée « Plaz » en grec). Nous revenions pour un copieux déjeuner avec mes grands-parents. Une sieste de deux heures nous permettait de laisser passer le moment le plus chaud de la journée. Vers 4 heures de l’après-midi, une brise marine rafraîchissante nous attirait de nouveau à l’extérieur. Nous nous promenions le long du Paralia, la promenade du bord de mer de Salonique, en mangeant des pepitas (graines de citrouille grillées) et des koulouria, un pain grillé agrémenté de sésame en forme de grand anneau. Nous terminions la soirée sur la Platia Aristotelous la grande place centrale de Salonique, où les enfants couraient et jouaient au ballon pendant que les adultes discutaient dans l’un des nombreux cafés qui entourent la place. De retour à l’appartement, Nona préparait à Grandpapa un petit bol de soupe au poulet avec de petites nouilles, un rituel quotidien. Le dimanche, mes grands-parents louaient un taxi pour nous emmener tous à la campagne pour un somptueux déjeuner composé de plusieurs plats. À la fin du repas, mon grand-père commandait toujours une bouteille de « Souroti », la marque d’eau gazeuse caractéristique de la Grèce, qu’il buvait pour faciliter sa digestion. Ma sœur et moi étions totalement amoureuses de notre chauffeur de taxi habituel, Giordano, que nous surnommions « Mustafa ». Mustafa avait l’habitude de nous faire plaisir en jouant des 45 tours sur le petit tourne-disques qu’il avait installé sous le tableau de bord. Notre chanson préférée était le grand succès européen du début des années soixante, « Ya Mustafa », que nous avons dû écouter des centaines de fois. Ces sorties dominicales étaient spéciales, car elles donnaient à Grandpapa l’occasion de s’éloigner de ses multiples obligations et de passer du temps en compagnie de sa famille et de ses amis. La famille Saporta est retournée à Salonique en 1965, puis en 1967. Ce sont les moments que
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De gauche à droite : Nora Saporta, Joseph Nehama, Maria Saporta, Mery Nehama, Elena Saporta. Sortie du dimanche à Aretsou, plage près de Salonique (1960).
nous, les deux sœurs, avons pu passer ensemble en présence physique de notre grand-père. Cependant, malgré les quelque 9 000 km qui nous séparaient, Grandpapa a toujours occupé une place importante dans nos vies. Récemment, nous sommes tombées sur une grande boîte contenant des centaines de lettres que Grandpapa nous avait écrites au cours de notre enfance. Après le décès de notre grand-père en 1971, notre mère a pris l’initiative de faire publier certains de ses écrits. Le Dictionnaire du JudéoEspagnol, est sorti en 1977. Maman a également passé des années à travailler avec la communauté juive de Salonique pour faire publier un catalogue de l’Histoire de Salonique en sept volumes, afin que les chercheurs puissent mieux assimiler la richesse des connaissances présentes dans ses écrits. Devin Naar, titulaire de la chaire Isaac Alhadeff d’études sépharades au Stroum Center for Jewish Studies de l’université de Washington, a repris le flambeau. En écrivant Jewish Salonica : Between
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the Ottoman Empire and Modern Greece, Salonique juive : entre l’Empire ottoman et la Grèce moderne (publié en 2016), le professeur Naar a fini par bien connaître Grandpapa, nous confiant : « Je vis avec votre grand-père depuis deux ans », Il a relaté comment le fait d’être immergé dans le monde de Joseph Nehama et du Dictionnaire du judéo-espagnol l’a aidé à apprendre à parler judéo-espagnol. C’est à ce moment-là que nous avons réalisé que Grandpapa et ses œuvres étaient toujours vivants. Tous les ouvrages consacrés aux Juifs de Salonique citent les livres et les enseignements de notre grand-père. Nous sommes ravies de la réédition de son dictionnaire, qui passe cette fois du français au judéo-espagnol. C’est un autre exemple de l’héritage durable de Joseph Nehama, qui sera toujours pour nous « Grandpapa ». Elena Saporta (Cambridge, MA) et Maria Saporta (Atlanta, GA), 28 avril 2021
AVIYA DE SER… LOS SEFARDIM |
Aviya de ser… los Sefardim 1. C’est-à-dire le commerce des denrées en provenance des colonies : café, épices, sucre. [cf. J. Nehama]
Aventures dans les Balkans
2. Nom en turc de la ville de Plovdiv (en bulgare) ou Philippoupoli (en grec). 3. Forme dialectale de la conjugaison du verbe ver.
L’enlèvement d’un pâtre juif par les Comitadjis
E
l Sr Refael en este anyo fue indo muy flako de la salud i lo todo era porke los etchos de el kolonial 1 i ke lo aziya non le estava kaminando del entodo bueno i era ke kaji ya non le aviya kedado nada de el kapital ke le aviyan dado sus Tios, en Filibe 2, i era ke non saviya kualo azer, i tambien ke estava sufriendo por el suyo mantinimiento sigun ke ya lo veen 3 ke la familia teniya grande, i lo todo ya fue karo en este tiempo, i mas non fue a Filibe porke ya non tuvo mas paras, i ansi fue ke se empeigo torna en el etcho de los kachkavales ke en este anyo le pagaron 20 liras, i se fue a los Balkanes de Kyustendil4, kon la kompaniya entera, i denpues ke ya estuvo komo 15 diyas, era en akeyos tiempos ke el Governo Bulgaro aviyan empesado a mandar revolosiyonarios, por la Makedoniya para revoltar ke son los Komites 5, ke estos aparte ke kemavan i matavan por los kazales de la Makedoniya era ke kuando los prisiguiyan de la parte de el Turko se fuiyan a la Bulgaria i lo todo por los Balkanese i en este tiempo era ke soidiyavan a los merkaderes
Extrait de la chronique de la famille Arié de Samokov de l’an 5643 [1882-1883]
Cette année-là, M. Rafael [Arié] avait mauvaise mine, car son commerce d’épicier ne marchait pas du tout et il ne lui restait pratiquement plus rien du pécule que lui avaient donné ses oncles à Filibe. Il ne savait plus quoi faire et peinait pour assurer le quotidien, car il avait une grande famille et que la vie était chère en ce temps. Il ne retourna pas non plus à Filibe, car il était à court d’argent. Et c’est ainsi qu’il trouva de nouveau à s’embaucher pour aller faire du kachkaval. Cette année-là, on lui offrit une paye de 20 livres et il partit avec toute une troupe dans les montagnes aux alentour de Kyustendil. Une quinzaine de jours passèrent. On était au temps où le gouvernement bulgare avait entrepris d’envoyer des révolutionnaires en Macédoine, les Comitadjis, pour fomenter un soulèvement. Non seulement ceux-ci mettaient les villages de Macédoine à feu
4. Le texte proposant plusieurs variantes pour transcrire le nom de la ville de Kyustendil (ici Kiostendil) nous avons opté pour la forme moderne. 5. Les Comitadjis sont des insurgés bulgares et macédoniens en lutte contre les Turcs après la division de leurs territoires entre la Bulgarie et l’Empire ottoman au Congrès de Berlin (1878). Leur nom vient du comité exécutif de l’ORIM (Organisation révolutionnaire intérieure macédonienne.) La guerilla des Comitadjis ne débute que dans les années 1895-1898, soit plus de dix ans après la date figurant dans la chronique Arié.
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La compagnie de Comitadjis d'Atanas Babata en 1903. Source : Archives de l'État bulgare.
6. Du turc çiftlik : ferme. 7. Métathèse du verbe mesklar (mélanger). Cette métathèse étant régulière dans le tapuscrit nous avons choisi de la maintenir. 8. Du grec ancien μάνδρα : bergerie, parc à bestiaux. [ J. Nehama] 9. De l’hébreu : détresse, angoisse, épouvante.
ke los enkontravan i kuando esto non topavan se rovavan personas de los kampos, i de los tchiflikes 6, i tambien i de las sivdades, i se los yevavan kon eyos por los Balkanes ande eyos ivan kaminando, i para delebrarlos era ke les aziyan eskrivir al aprezado ande sus parientes porke le mandaran kual 500 i kual 1 000 i algunos i 2 000 liras, i le fiksavan el lugar ande deviya de entregar la suma ke en kavzo ke fin al diya ke le fiksavan si non las remetiya era ke lo ivan a matar, sigun ke esto ya lo izieron kon unos kuantos ansi aprezados, i esto non era solo los komites ke lo aziyan aviya tambien i otras ansi unas kompaniyas de ladrones ke eran mleskados 7 de bandidos Bulgares i Makedoniyales i Albanezes, i eyos tambien lo aziyan esto ke se revatavan personas de ande los topavan i denpues le demandavan la suma ke eyos la keriyan, I Sr, Refael, sigun ditcho, ke estava en la mandra 8 de los Balkanes de Kyustendil, fue ke en una notche lo rekojeron i se lo yevaron kon eyos por los Balkanes, ke ya se kere entendido el Saar 9 ke se
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et à sang, mais lorsque les Turcs les poursuivaient, ils venaient se réfugier dans les montagnes en Bulgarie. Ils dévalisaient les marchands qu’ils rencontraient et quand ils n’en trouvaient pas, ils volaient les gens des campagnes, les fermiers et aussi les habitants des villes. Ils les emmenaient dans les montagnes cheminer avec eux. Pour les libérer, il fallait que le prisonnier écrive à ses parents en demandant qu’ils envoient pour celuilà 500, pour celui-ci 1 000 et pour certains jusqu’à 2 000 livres en leur disant le lieu où l’argent devait être remis et, que si le jour dit, l’argent venait à manquer, ils les tueraient. Et ils mirent leurs menaces à exécution avec un certain nombre de prisonniers. Les Comitadjis n’étaient pas les seuls à agir ainsi ; il y avait aussi quelques bandes de voleurs, un ramassis de bandits bulgares, macédoniens et albanais qui pratiquaient les enlèvements contre rançon. M. Rafael [Arié] qui comme je l’ai dit était dans une bergerie près de Kyustendil, fut capturé une nuit et emmené dans les montagnes. On peut imaginer quelle
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tomo, ma komo era muy kurajiozo i la energia de Arie ke ya la tiene, non les vino kontra, en alguna manera para poderse defender, ke ya lo saviya ke non iva a ganar nada, fue ke se fueron djuntos i ivan kaminando de balkan en balkan lo todo era ke non podiyan restar en un lugar porke siempre eran presiguidos de los Turkos, ke i a el tambien le izieron eskrivir kartas a sus parientes kon los amenazos ditchos ariva porke les remetieran 500 liras, ke las ditchas ya veniyan a sus parientes, ma non era posible ke se le podiya rekojer esta suma, i ansi fue ke estuvo mas muntcho de un mez kaminando kon eyos, ke sigun mos kontava kuando vino deziya ke non lo apretavan por nada, solo ke kaliya ke estuviera siempre delantre de eyos, i no lo dechavan kaminar solo, i en su tiempo kon eyos djuntos komiyan lo todo era gainas i poyos i kodreros ke se los rovavan de los kazales i de las mandras i tambien muntcho vino i modos de bevrajes de los mas mijores, i el pan lo aziyan traer en kada diya fresko, i le davan tambien buenas kuviertas, para ke se kuviyara, era de esta manera ke lo fue pasando, el una vez ke buchko a fuirse, lo atinaron i sovre este yero ke penso de azerlo fue ke le ataron una kuedra en el pie solo en las notches, i la una punta, la deteniya una persona, ma i por esto non se espanto, ke ya durmiya tambien muy bueno porke beviya muntcho vino i se enboratchava, la kompaniya entera era de 80 personas, i seya en los diyas komo tambien i en las notches, era ke metiyan de todas las 4 partes de ande eyos estavan lo todo kon durbines 10 ivan mirando non seya ke vinieran por presiguirlos, i todos eran muy bien armados, i teniyan kon eyos muntchos kavayos kargados de modos i maneras de munisiones de guera, eyos teniyan sus komandir i detras de el primer unos kuantos otros, ke guiyavan i reintchiyan a los komandos, de el komandir, i muntchas vezes lo vido kuando se defendiyan de los Turkos presiguidores, ke de esto ya se los aziyan saver de mas antes estos 4 guadradores ke estavan siempre mirando kon los durbines, ke komo eran la djente mas pokos de eyos aziyan gueras, ma komo eran mas muntchos de eyos buchkavan a ir en otros balkanes, i fue en una vez ke los saradiyaron 11,
fut sa détresse, mais comme il était très courageux et qu’il possédait l’énergie des Ariés, il ne fit rien pour se défendre. Il savait qu’il n’y gagnerait rien. Ils partirent ensemble, cheminant par monts et par vaux. Ils ne pouvaient jamais rester en un même lieu, car ils étaient tout le temps pourchassés par les Turcs. Lui aussi dut écrire des lettres à ses parents assorties des menaces que j’ai évoquées afin qu’ils leur remettent 500 livres. Les lettres parvinrent à ses parents, mais il était impossible qu’ils puissent rassembler une telle somme et c’est ainsi qu’il passa un mois et plus à cheminer en leur compagnie. D’après ce qu’il nous raconta à son retour, ils ne le traitèrent pas mal, simplement il devait toujours être devant eux et ils ne le laissaient jamais aller seul. Il partageait leur repas qui était à base de poules et de brebis volées dans les villages et les bergeries et arrosé de beaucoup de vins et de boissons fines. Ils faisaient venir du pain frais chaque jour. Ils lui donnaient de bonnes couvertures pour s’abriter. C’est ainsi qu’il allait en leur compagnie. Une fois, il chercha à s’échapper et ils s’en aperçurent. Après l’échec de cette tentative, ils lui attachèrent les nuits une corde au pied dont une personne gardait l’autre bout, mais il n’en conçut aucune crainte. Il dormait profondément, car il buvait beaucoup de vin et était pris de boisson. La bande comptait 80 personnes, et de jour comme de nuit, ils disposaient des sentinelles avec des jumelles aux quatre coins du lieu où ils se trouvaient pour voir si personne ne les poursuivait. Ils étaient tous bien armés et ils avaient avec eux beaucoup de chevaux chargés de toutes sortes de munitions de guerre. Ils avaient leur commandant et, à son service, d’autres hommes qui guidaient et faisaient exécuter les ordres. À plusieurs reprises, il les vit se défendre contre les Turcs qui les poursuivaient. Ils étaient prévenus par les quatre guetteurs équipés de jumelles. Quand ceux qui venaient étaient moins nombreux qu’eux, ils les affrontaient, mais quand les poursuivants étaient plus nombreux, ils cherchaient refuge dans d’autres montagnes. Une fois, ils se trouvèrent encerclés par un fort détachement turc. Comme ils ne pouvaient pas se
10. Durbin, du turc dürbün : lunettes d’approche, jumelles. [ J. Nehama] 11. Saradear du verbe turc sarmak : cerner, entourer, encercler.
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muntcha armada, turka i eyos ke non podiyan defendersen, les kaliyo muy presto, ke decharan el lugar ke estavan, i presto fuirsen, i Sr Refael tambien fue ke i el tambien iva djunto kon eyos, kaminando, i siempre su intision era de topar un momento favoravle, para espartirse de eyos, se entiende ke se va a fuir, i ansi fue ke todos djuntos fuyendo arivaron en una abachada muy unda, ke fue un estretcho entre dos montaniyas, de una undura de 500 a 600 metros, de undura i kaliya muy presto ke se toparan abacho i todos eyos ke ya estavan uzados para abachar ansi unduras, se ivan muy presto abachando i lo ivan gritandolo a Sr Refael porke i el tambien presto ke abachara, ke aun kon todo ke i el tambien ya podiya abachar ma se izo de el bovo komo ke non estava pudiendo i de vez en kuando se iva kayendo i fin ke se levantava ke ya pasava unos dos momentos, i lo fue ansi aziendo unas dos vezes lo todo de esta manera lo topo para ir alechandose de eyos, i kuando ya arivaron en otro estretcho ke era yeno de arvoles muntcho espesos, lo izo ke se eskondio debacho de un grande arvol, i los ladrones ke ya se ivan fuiendo, el los iva mirando fin ke ya se alecharon kamino largo i ke non podiyan boltar para buchkarlo sovre lo todo en la espesura de los grandes arvoles i la tadre ke ya era, se kedo la notche, en la chara, i komo estava muy kanso i espantado ke, ya estava, fue ke se durmio, en el lugar ke estava, i kuando ya fue komo la mediya notche, se esperto de los mauyos de los lovos, i de los ronkiyos, de los puerkos divipe, ke se estremesio muy muntcho i dicho fuyimos de el prichil i lo enkontrimos en la nariz, ma komo ya era una persona muy kurajioza, i la energia de Arie, ke ya la enpatrona muy fuertemente, lo topo de bueno de suvirse en el arvol i se asento en una de las ramas de el grande arvol ke el estuvo de el presipio eskondido, fin ke amanesio el diya ke ya estava bien klaro, ke si en kavzo non lo aziya esto i si es ke lo enkontravan, seya los lovos komo tambien i los puerkos, era ke los aziyan pedazos, porke ni los lovos ni los puerkos a el arvol non se asuven, i mas tambien ke el non teniya dinguna arma kon si, i lo ke teniya le kedaron en la mandra, de kuando se lo yevaron, ke kuando ya
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défendre, il leur fallut abandonner au plus vite le lieu où ils se trouvaient et prendre la fuite. M. Rafael [Arié] allait de concert avec eux, et, s’il comprenait qu’ils allaient fuir, son intention était toujours de trouver le bon moment pour s’esquiver. C’est ainsi, alors qu’ils fuyaient tous ensemble, qu’ils empruntèrent une pente escarpée, formant un défilé entre deux montagnes, d’une profondeur de 500 à 600 mètres. Il leur fallait descendre au plus vite, et tous qui étaient habitués à dévaler de telles pentes, se pressaient et criaient après M. Rafael [Arié] pour qu’il se hâte, et bien que celuici sache aussi bien descendre qu’eux, il faisait l’idiot comme s’il ne savait pas, et de temps en temps il tombait, et le temps de se relever, il gagnait quelques instants. Il chuta ainsi deux fois de façon à s’éloigner et quand ils arrivèrent dans une autre gorge qui était tapissée d’arbres très épais, il se cacha sous l’un d’eux. Il regarda les ravisseurs qui s’enfuyaient jusqu’à ce qu’ils se soient suffisamment éloignés et qu’ils ne puissent plus revenir le chercher, qui plus est sous les frondaisons de grands arbres. C’était déjà le soir et il passa la nuit dans la forêt. Comme il était très fatigué et effrayé, il s’endormit à l’endroit même où il se trouvait. Vers minuit, il se réveilla en entendant les loups hurler et les sangliers grommeler. Il était terrorisé et se dit, nous avons fui le péril et voilà qu’il nous pend au nez ! Mais comme c’était une personne très courageuse et qui avait chevillé au corps l’énergie des Ariés, il trouva bon de grimper dans le grand arbre sous lequel il s’était caché et de s’asseoir sur l’une de ses branches jusqu’à ce que le jour se lève et qu’il fasse bien clair. S’il n’avait pas agi ainsi, et si les loups ou les sangliers l’avaient trouvé, ils l’auraient mis en pièces d’autant plus qu’il n’avait aucune arme avec lui et que ses affaires étaient restées à la bergerie quand il avait été enlevé ; sauf que ni les loups ni les sangliers ne peuvent monter aux arbres. Quand le jour se leva, il descendit de l’arbre, et entreprit de gravir à nouveau la montagne qu’il avait descendue la veille, et sans éprouver ni peur ni fatigue, il se trouva vers midi à son sommet. Il avait pris ce chemin sans savoir où il menait. Quand il atteignit la cime, il s’assit pour se reposer et il sentit la faim qui le tenaillait. Il s’allongea alors pour mieux se délasser
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Les chefs comitadjis Mihail Ganchev, Sotir Atanasov, Bobi Stoychev, Anton Shipkov, Atanas Babata en 1903. Source : Archives d'État bulgares
Le troisième détachement du chef comitadji Nikola Dechev. Septembre 1903. Source : Archives de l'État bulgare.
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12. Vlahos ou Vlachos terme grec pour désigner les Valaques, populations des Balkans parlant une langue romane (ou « Roumains ») 13. La prière du Birkat HaGomel est un cantique d’action de grâce récité à la synagogue après avoir été sauvé d’un péril.
amanesio el diya, el se abacho de el arvol, i enpeso a suvir de muevo la muntaniya, ke la aviyan abachado, i sin kansarse i por nada espantarse, el se topo serka de la mediyo diya, en la punta de la muntaniya, i este viaje lo izo sin ke saviya ande iva a salir, i kuando estuvo en la punta de la muntaniya el se asento para deskansarse, i estava tambien muy ambierto, i en este tiempo ke estava asentado se estiro para repozar i pensar tambien por kuala parte azer su kamino, i en esto se le asemejo komo ke estava sintiendo un sonido de clochette (djenguirtak) i mas tadre le vino komo un aire un ruido de sonido de karneros, i de esto se gusto muy muntcho, i se asento por sintir mas mijor, i lo vido ke era muy verdad el soneto seya de los clochetes komo tambien, i los ruidos de los karneros, ma non los estava pudiendo verlos, ande es lo ke estavan, i sin tadrar, enpeso a kaminar al sonido de los karneros, lo todo kon ir abachando i asuviendo de montaniya en montaniya, fin ke se aserko, i vido ke ya eran mandras de Vlahos 12, solo ke non se pudo aserkarse, por razon ke los peros de los Vlahos son mas fuertes de los lovos, ke lo aziyan pedazos, i le kalio ke se estuviera i akeya notche, lechos enfrente de las mandras, tambien ambierto ke non teniya lo ke azer, i los peros, de kontino la notche entera aun kon todo ke estuvieron gritando el non se espanto, porke le eran muy lechos, i a la maniyana ke los Vlahos ya lo vieron, porke les iva yamandolos, kon muntchos gritos, fin ke se le aserkaron a el i lo tomaron ke ya lo saviyan ke los ladrones se aviyan rovado i a un Djidio tambien, ke ya lo konosiyan, i le dieron a komer, i denpues ke lo detuvieron 2 diyas en sus mandras, lo yevaron a la mandra de ande se lo rovaron, i non se vino a Samokov otro ke les izo saver kon karta, i ke ya estava bueno, i ke non lo esperaran fin ke se eskapava el etcho de la mandra, por non pedrer la paga, solo lo izo siendo ke en Chabad non lavorava, se abacho a Kyustendil ke ya era serka, i se fue a el Kaal i se izo yamar a Sefer Tora, ke kijo azer Agomel 13, i en diziendo la Beraha de el Agomel le kayeron las lagrimas i se mojio el Sefer Tora.
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et réfléchir à quel chemin prendre. Il était ainsi étalé quand il lui sembla entendre le son d’une clochette et plus tard, le vent porta comme le bruissement d’un troupeau de moutons. Il en éprouva beaucoup de joie, et s’assit pour mieux entendre, et constata que c’était bien le son de clochettes et de moutons, mais qu’il ne pouvait voir où ils se trouvaient. Sans plus tarder, il commença à marcher en se guidant au bruit des moutons, tout en dévalant et en gravissant, montagnes après montagnes. Quand il fut plus près, il vit que c’étaient des bergeries des Valaques, mais il ne put s’en approcher, car leurs chiens sont plus forts que les loups qui vous taillent en pièces. Il lui fallut passer aussi cette nuit affamé et à distance des bergeries. Il n’y avait rien à faire. Les chiens aboyèrent sans relâche toute la nuit, mais malgré tout il n’avait pas peur, car il était à bonne distance d’eux. Le matin, les Valaques l’aperçurent quand il les appela à grands cris. Ils s’approchèrent de lui et le recueillirent. Ils étaient au courant que des voleurs s’étaient aussi emparés d’un juif et ils le connaissaient. Ils lui donnèrent à manger et après l’avoir gardé deux jours dans leurs bergeries, ils l’accompagnèrent à celle d’où on l’avait ravi. Il ne revint pas à Samokov et envoya seulement une lettre pour faire savoir qu’il était sain et sauf et que l’on ne l’attende pas avant qu’il ait terminé son travail à la bergerie de façon à ce qu’il ne perde pas son salaire. Simplement, comme il ne travaillait pas le jour du Shabbat, il descendit à la ville proche de Kyustendil et se rendit à la synagogue. Il se fit appeler au Sefer Torah, car il voulait rendre grâce à Dieu et, en disant la prière du Birkad HaGomel, les larmes lui coulèrent des yeux et vinrent mouiller le texte sacré.
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Rafael Moshe Kamhi Un Comitadji juif Rafael Moshe Kamhi, ou Skander Beg d’après son nom de guerre, est né le 15 décembre 1870 à Monastir, l’actuelle Bitola en Macédoine du nord, au sein d’une famille judéo-espagnole 1. Son père Moshe Salomon Kamhi (1842-1891) était un commerçant aisé de la ville où environ 4 000 juifs vivaient à la fin du XIX e siècle. Rafael Kamhi étudia à l’école française et parlait le judéoespagnol, le turc, le grec, le français et le bulgare. À l’âge de vingt-trois ans, il décida d’ajouter un étage à la maison paternelle pour s’y établir. Il embaucha pour cela un jeune militant nationaliste natif du village de Smilevo, Fidan Gruev qui lui présenta son frère, Dame Yovanov Gruev, alors à la tête de l’Organisation révolutionnaire intérieure macédonienne (OMRI). Rafael Kamhi intégra les rangs de l’OMRI en 1894 soit juste un an après sa fondation. Il aménagea sa maison pour qu’elle devienne un refuge et une cache pour les archives de l’organisation. Dans les années qui suivirent, la plupart des chefs des Comitadjis, Gotse Delchev, Gyorche
1. Les sources ayant servi à la rédaction de cet article sont consultables sur le site wikipedia : https:// en.wikipedia. org/wiki/Rafael_ Moshe_Kamhi [consulté le 19 juin 2021]
Rafael Moshe Kamhi à Tel Aviv en juillet 1970. Source : Wikipedia.
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Voivodes (commandants) de l'OMRI lors d'une réunion dans les Balkans d'Osogovo. Assis de gauche à droite : Panayot Baichev, Pitu Guli, Kosta Mazneykov, Hristo Chernopeev, Andrey Hristov, Todor Hristov. De gauche à droite : Nikola Zhekov, Konstantin Kondov, Sotir Atanasov, Timo Angelov, Nikola Dechev et le courrier Kolyo Sarafcheto. 24 mars 1903. Source : Archives de l'État bulgare.
Petrov, Milan Matov, Pere Toshev, Boris Sarafov furent hébergés chez lui. Son activité clandestine ne passa pas inaperçue des autorités ottomanes et conduisit à une première arrestation. Il put cependant obtenir sa libération en corrompant des officiels ottomans. En 1896, il est élu délégué de la ville de Bitola lors du congrès de l’OMRI à Salonique. C’est lors de cette assemblée que l’organisation décida d’ouvrir ses rangs à des non-bulgares. En 1901-1902, Rafael Kamhi est impliqué dans le kidnapping de Miss Ellen Stone, une missionnaire protestante américaine, enlevée avec sa consœur enceinte, Katerina Cilka dans l’espoir d’obtenir une importante rançon. La couverture exceptionnelle par les médias de l’époque en fait la première crise des otages moderne et un premier exemple du « syndrome de Stockholm ». Les deux captives sont finalement relâchées après le paiement par les Ottomans de 14 000 livres-or.
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Lors du soulèvement macédonien de 1903 planifié par l’OMRI, Rafael Kamhi est chargé des relations entre les autorités bulgares et le mouvement révolutionnaire. Son commerce sert de couverture à ses missions politiques. Il est en contact avec la plupart des hommes politiques bulgares y compris le prince Ferdinand I et le futur Tsar Boris III. Ses fréquentes visites en Bulgarie finissent par alerter les autorités ottomanes et il se trouve à nouveau détenu avec son frère Mentech Kamhi à la prison de Debar. Après l’écrasement de l’insurrection par les forces ottomanes et la répression qui s’en suivit, les deux frères organisèrent une collecte au sein de la communauté juive de Macédoine pour venir en aide aux victimes. En 1905, il participa au congrès de l’OMRI qui vit la scission du mouvement en deux branches concurrentes : une aile gauche dont il se sentait proche favorable à une solution fédéraliste dans
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les Balkans, et une aile droite inclinant de plus en plus vers le nationalisme bulgare. À l’issue des guerres balkaniques, en 1913, il quitta Monastir tenue par les Serbes pour s’établir à Xanthi alors contrôlée par l’armée bulgare. À la fin de la Première Guerre mondiale, il rejoignit l’une des émanations de l’OMRI qui prônait l’autonomie de la Macédoine et son adhésion à une fédération balkanique. La Bulgarie étant du côté des puissances vaincues, elle avait beaucoup à perdre des traités de paix. Lors d’une rencontre en 1919 avec le premier ministre bulgare Teodor Teodorov, Rafael Kamhi accepta de se rendre à Salonique pour défendre les intérêts de la Bulgarie auprès des vainqueurs. Le général français Charpy l’autorisa à résider dans la ville. Tout en commerçant, il soutint les intérêts de la Bulgarie en Grèce durant l’entre-deux-guerres. Il fut également le gabbaï de la synagogue des Monastirlis. Lorsque l’armée allemande occupa Salonique en avril 1941, Rafael Kamhi s’y trouva pris au piège. Ses activités au service de la Bulgarie, alliée du Reich, ne lui permirent pas d’échapper à l’arrestation lorsque les Allemands entreprirent de déporter la communauté juive au printemps 1943. Sa libération n’intervint qu’après la mobilisation de plusieurs organisations bulgares et surtout le soutien du Premier ministre Bogdan Filov et du Tsar Boris III. S’il put rejoindre Sofia, son frère Mentech qui résidait à Monastir fut déporté et assassiné à Treblinka comme la quasitotalité de sa communauté. De sa famille macédonienne, Rafael Kamhi ne retrouva après guerre qu’une nièce Rosa 2, fille de Mentech Kamhi, un frère Solomon Kamhi et son fils Joseph. Rosa épousa après-guerre le général yougoslave Beno
Ruso qu’elle avait connu avant-guerre au sein de l’Hashomer Hatzaïr de Bitola et dont elle partageait l’engagement communiste. Solomon et Joseph s’établirent en Israël. Rafael Kamhi résida à Sofia jusqu’en 1949, date de son aliya. Après la guerre, à la demande de l’Institut scientifique macédonien et de l’Institut juif de Sofia, il commença la rédaction de ses mémoires. Il est décédé à Tel-Aviv en 1970 après avoir fêté son centième anniversaire. Rafael Kamhi a intégré le récit national tant en Bulgarie qu’en Macédoine avec toutefois de notables différences d’interprétation. Pour les Macédoniens, il a su très tôt reconnaître et défendre l’identité particulière de leur pays. Pour les Bulgares, il est un héros de la lutte anti-ottomane ayant œuvré au projet de Grande Bulgarie. Les archives de Rafael Kamhi font aujourd’hui partie de la section juive des Archives d’État bulgares. Elles sont rédigées tant en bulgare qu’en judéo-espagnol. Ses mémoires ont été publiées une première fois en 2000 à Sofia sous le titre Le commandant Skender Bey puis à nouveau en 2013 sous le titre de Souvenirs d’un révolutionnaire juif macédonien. En mars 2011, le président macédonien lors de la cérémonie du souvenir de la déportation des Juifs de Macédoine a mis en avant le rôle de Rafael Kamhi comme « l’un des promoteurs de l’idée d’une Macédoine libre et indépendante. » Une figure de cire représentant Rafael Moshe Kamhi figure parmi les 109 notables macédoniens exposés au musée de la lutte pour la Macédoine. À l’initiative de la Bulgarie, un cap de l’Antarctique, le cap Kamhi, été nommé en son honneur.
FA
2. Le témoignage de Rosa Kamhi est accessible sur le site centropa : www.centropa. org/biography/ roza-kamhi [consulté le 18 juin 2021]
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El kantoniko djudyo
Chronique de la famille Arié de Samokov (suite) Nous poursuivons la publication bilingue de la chronique de la famille Arié de Samokov. Ce tapuscrit qui comprend plus de 2000 pages en judéoespagnol en caractères latins retrace la vie d’une famille de grands commerçants sépharades de Bulgarie du milieu du XVIIIe siècle jusqu’au début du XXe siècle. Bannie de Vienne par un édit impérial, la famille Arié s’est d’abord établie à Vidin en 1775, sur les bords du Danube. C’est là que le patriarche Moche A. Arié, soutenu par ses trois fils Samuel, Isaac et Abraham développe avec succès un premier négoce. À sa mort en 1789, ses fils héritent du commerce qui est ruiné lors du pillage de la ville de Vidin par des troupes irrégulières. Sans ressources, les trois frères
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se séparent. Alors qu’Isaac demeure à Vidin, Samuel se rend à Tourno-Severin en Roumanie et Abraham M. Arié I part pour Sofia. Il y fait la connaissance d’un pharmacien juif, M. Farhi, qui l’embauche et ne tarde pas à lui confier la gestion de son commerce où se rendent des notables turcs. Il y rencontre l’Agha Mehmed Emin de Samokov qui lui confère le titre de fournisseur officiel [Bazirjan Bachi] et lui permet ainsi de s’installer et de commercer dans sa ville où il devient un notable apprécié des habitants et de ses coreligionnaires. Vers 1805, secondé par ses fils maîtres Tchelebi et Josef, il étend son activité au prêt d’argent et achète la ferme des impôts à Sofia. À Istanbul, il se lie d’affaires et d’amitié avec Bohor Karmona, le banquier de la Sultane-mère.
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Une réception entre femmes ottomanes où l'on reconnaît la longue pipe ou chibouque. Extrait du livre de Mary Adelaïde Walker. Through Macedonia to the Albanian Lakes. London Chapman and Hall. 1864.
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Année 5569 [1808/1809]
n este anyo de 5569, le nasio a Hr. Tchelebi I un ijo i el senyor Abraam I. ke estava en Sofia se vino a Samokov, para resivir a su esfuegro el Rav Zehor Le Abraam, ke vino djuntos kon la su Rabanid, ke ivan a ser los Sandakes, eyos fueron muy bien resividos i la parida ke pario muy kolay sigun ke ya saven ke era muy sana fue muy gustoza, i le izieron todos los saltanates, kon la kama alta i adornada kon muntcho mas brozlados de todas, las otras paridas, i en kada dia le ivan todas las mujeres, a vijitarla, i a todas las resiviyan kon grande onor, i las serviyan kon los kahves i tchibukes i muntchos modos de dulses las ivan adulsandolas a unas kuantas vezes i en las notches le yamava a los mas viejos i notavles de la sivdad a ke komieran djuntos kon el Rav en onor de el Rav, i kantavan i se alegravan en kada notche, i en los dias el Rav, se iva
En 5569 [1808/1809], Maître Tchelebi eut un fils et M. Abraam I qui se trouvait alors à Sofia vint à Samokov pour accueillir son beau-père, le rabbin Zehor Le Abraam, qui venait avec son épouse pour être les parrains [de l’enfant]. Ils furent très bien reçus et la parturiente accoucha très facilement, car, comme vous le savez, elle avait une bonne constitution. Elle fut très heureuse et ils lui rendirent tous les honneurs, surélevant son lit et le décorant avec beaucoup plus de broderies que pour les autres naissances. Chaque jour, toutes les femmes venaient la visiter et on les recevait toutes avec beaucoup d’honneurs en leur offrant des cafés et des chibouques à fumer et en les régalant plusieurs fois de toutes sortes de douceurs. Les soirées, ils invitaient les notables les plus vénérables de la ville à venir partager le repas donné en l’honneur du rabbin. Ils chantaient et se réjouissaient tous les soirs.
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1. Il s’agit vraisemblablement de la grande famille des Tadjher. D’origine ashkénaze, ses ascendants se sont réfugiés en Bulgarie après un pogrom en Bavière en 1492. Le colonel Avram Tadjher (1872-1961) présida le consistoire central de Bulgarie et protesta contre les mesures antisémites durant la Seconde Guerre mondiale.
a el Midrach i komiyan djuntos kon los Hahamim ke aviyan en Samokov, i en este tiempo tambien los djuzgava a algunos djidios ke teniyan sus diferensias, era ansi ke izieron todos los 8 dias ke la parida estuvo en la kama, i el dia de Chabad, denpues ke todas las formaledades ke ya las tengo eskrito ke ya se izieron, fue de mizmo i kon la hevra kon los rakis i los guevos i los djenetis encharopados, i el Rav izo una kurta i muy rika deracha, i denpues de mizmo el kolel entero vijitaron i en la medio dia todos los hahamim i muntchos konvidados, i en el dia de el Birkad Mila, ke fue el sandak el Rav kon la Rabanid, i lo yamaron Gavriel, kon la meza de Eliyau Anavi ke ya saven, lo izieron kon yamar a la sivdad entera, seya a los ombres komo tambien i a las mujeres, kon el mas grande Saltanat, i denpues ke ya pasaron otros 8 dias partio el Rav por Dupnitsa, i la Rubisa resto unos kuantos dias otros, i el S-r Abraam I tambien partio por Sofia, i resto Hr. Tchelebi I. solo en Samokov, eya la madre lo aletchava al ijo i tambien lo kudiava, sigun i el otro, el prezente ke le dio el Rav a la parida fue unas krikmas de perla, i todos los de kaza les mandaron kada uno diferentes prezentes seya para la parida komo tambien i para el ijo muevo nasido. Hr. Tchelebi I. ke estava en Samokov, se fue a Sofia, i se vino Hr. Josef, a Samokov i en este tiempo ya avia deskaido, el tiempo de la Haratcheria, uvo de los Tatcheris 1, ke la kijeron tomar, i el senyor Abraam I. les dicho komo keriyan ke ya la pueden tomar en hevra, solo kon la kundision ke la moneda ke deviya de resivirla solo el Senyor Abraam I. ansi lo izieron ma el Senyor Tatcher, non lo savia la echpekulasion ke aviya en los trokes de las monedas, i a esta razon ke eran Haverim, los yamava las notches kon los dias de los Chabatod, en su kaza a komer i mas tadre enpesaron a yamarlos i otros djidios, notables de Sofia, i de esto mas tadre vinieron i a konsuegrar. En kaza las mujeres sigun ditcho ke eyas siempre fueron aunadas, eyas de mizmo tambien van kontinuando, es la Bulisa Buhuru, ke las guiyava a sus nueras, eya siempre las akonsejava i les kontava todo sigun de lo ke pasaron en
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Durant la journée, le rabbin se rendait au midrash [la maison d’études] et partageait son repas avec les sages de Samokov. Il profitait de ce temps pour juger des litiges qu’avaient certains Juifs. C’est ainsi qu’ils passèrent les huit jours où l’accouchée demeura au lit. Le jour du shabbat, après que se soient déroulées toutes les formalités que j’ai déjà décrites, tout se passa de même avec la congrégation religieuse, les rakis, les œufs et les fruits enrobés de sirop. Le rabbin prononça un bref et excellent sermon. Ensuite, comme d’habitude, toute la communauté vint en visite et à midi [à déjeuner] ils reçurent tous les sages et beaucoup d’invités. Le jour de la circoncision, le rabbin et sa femme furent les sandak [parrains] et ils appelèrent [l’enfant] Gabriel. Avec le plus grand faste, ils invitèrent toute la ville, les hommes comme les femmes, à la table du prophète Elie comme vous le savez. Après que huit autres journées se soient écoulées, le rabbin partit pour Dupnitsa et sa femme resta quelques jours de plus. M. Abraam I partit aussi pour Sofia et Maître Tchelebi resta seul à Samokov. La mère allaita et prit soin de l’enfant comme elle l’avait fait pour le précédent. Le rabbin lui avait fait présent d’un assortiment de perles et chacun des membres de la maisonnée lui adressèrent différents cadeaux tant pour la mère que pour le nouveau-né. Maître Tchelebi qui était à Samokov se rendit à Sofia et Maître Josef vint à Samokov. Comme la ferme des impôts était arrivée à son terme, certains membres de la famille Tatcher [Tadjher] voulurent la prendre à leur compte. M. Abraam I leur proposa, s’ils le voulaient, de s’associer pour la reprendre ensemble à la seule condition que M. Abraam devrait être le seul à encaisser l’argent. Ils en firent ainsi, mais M. Tatcher [Tadjher] ignorait tout de la spéculation résultant du change des monnaies. Comme ils étaient associés, il les invitait à manger les soirs de shabbat chez lui et ensuite, ils invitèrent aussi d’autres notables juifs de Sofia de sorte que, plus tard, ils en vinrent aussi à contracter des alliances matrimoniales. Les femmes à la maison étaient très unies comme je l’ai dit et elles poursuivaient ainsi leur vie. Madame Buhuru gouvernait ses brus. Elle les conseillait sans cesse et leur montrait comment tout se passait lorsqu’elle résidait à Vidin afin qu’elles prennent exemple. Ce qui
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su estar en Vidin, i ke tomaran estos enchemplos, ke para eyos agora ke ya son viejos non es nada, sigun savido ke los pleitos de kaza, nasen al presipio de las kriaturas, i kuando las mujeres se peleyan es de suyo ke viene a traer i pleito entre los ombres, i ansi es ke se bozdeyan los repozos de kaza, i kavzan a traer enojamientos i los etchos de la plasa, eyas sus nueras ke ya eran todas las 2 muy meoyudas i la sentiyan a los konsejos de sus esfuegra, era ke davan de pasadas, mizmo kuando teniyan algunas tchikas diferensias, los ijos mas tchikos ke eran en kaza i la ija, eyos kuando el senyor Abraam I non estava en Samokov, non se ivan komo los otros ermanos mas grandes a la eskola en kada dia, otro ke eyos se estavan en kaza, para djugar, ke el H. Refael, era kantar, i el H. Haimatche ke era flako, i la Bulisa Donna, se tomava el santur eran diyas enteros ansi djugando, i sus senyora madre, non los malsinava ande sus padre, sigun todas las madres ke los malsinan a los ijos, era al kontrario ke eya se gustava ke ya estavan djugando. Eyos los ombres ke ivan i veniyan a Sofia, ivan siempre mirando ke los yamaran en algunas kazas de los djidios, para puede ser toparan de Sofia tomarle novia para el H. Refael ke ya era kaji i grande para akeyos tiempos i ke ya kalia ke estuviera i kazado, mizmo i ansi fue ke toparon a la Bulisa Veneziana, de los Ben-Basat, de Sofia, i fueron avlando sovre eyo, ke ya reucheron i lo decharon el etcho ke kijeron ver al novio, i mas tadre se lo yevaron a el novio H. Refael a Sofia, i ya les plazio seya a la novia komo tambien i a sus djenitores, el novio ke ya saviya bueno kantar i kuando estuvo en la kaza de la novia una notche de Chabat para ke lo vieran fue ke les kanto unos kuantos Pizmonim, ke non los uzavan a kantar en Sofia, ke a H. Refael, se los enbezava su senyor Padre, ke se los enbezava en Kostan, i tambien i en Edirne, i denpues fue ke lo izo solo. El senyor Abraam, el espozorio, ke sovre las kondisiones lo vo a eskrivir kuando van azer de tomar el kinyan, i denpues de esto ke H. Refael ya se vino a Samokov, mas non kijo ir a la echkola para estudiar, se
n’était pas rien maintenant qu’ils étaient devenus vieux. Comme on le sait, les conflits domestiques ont pour source les enfants et quand les femmes en viennent à se disputer, elles transmettent également leurs querelles aux hommes et c’est ainsi que se trouble l’harmonie de la maisonnée et que les affaires en ville en sont perturbées. Ses brus qui étaient toutes les deux très intelligentes et écoutaient les conseils de leur bellemère, ne tenaient pas compte des petites différences qu’elles pouvaient avoir entre elles. Quand M. Abraam I n’était pas à Samokov, les garçons plus petits et la fille n’allaient pas comme leurs grands frères chaque jour à l’école. Ils restaient jouer à la maison. Maître Refael chantait. Maître Haïm qui était de faible constitution [se reposait]. Mademoiselle Donna prenait le santour et passait ainsi des journées entières à jouer ; madame sa mère ne la dénonçait pas à son père comme le font toutes les mères avec leurs enfants. Tout au contraire, elle se réjouissait qu’ils soient en train de jouer. Les hommes qui faisaient la navette à Sofia faisaient toujours en sorte d’être invités là-bas chez des Juifs en espérant pouvoir trouver une fiancée pour Maître Refael qui, pour l’époque, pouvait être considéré comme déjà grand et en âge de se marier. Et c’est ainsi qu’ils trouvèrent Mademoiselle Veneziana chez les Benbasat de Sofia. Ils allèrent parler à son propos. Ils réussirent et ils offrirent au fiancé la situation qu’ils souhaitaient voir pour lui. Ensuite, ils se rendirent à Sofia avec le fiancé, Maître Refael, et il plût autant à la fiancée qu’à ses parents. Le jeune homme savait bien chanter et un soir de shabbat où il se trouvait à la maison de la fiancée, pour qu’ils s’en rendent compte, il leur interpréta quelques cantiques qu’ils n’avaient pas l’habitude de chanter à Sofia et qu’il tenait de Monsieur son père qui les avait appris à Constantinople et aussi à Edirne avant de les interpréter seul. Quant aux conditions des fiançailles, j’écrirai à ce propos au moment de l’engagement. Après cela, Maître Refael rentra à Samokov et ne voulut plus retourner à l’école pour étudier. Il restait à la maison ; cela déplaisait beaucoup à Monsieur son père, mais il ne voulait plus lui parler des études, car il avait déjà vu que cela ne l’intéressait pas. Quand il s’adressait à Maître Haïm, il ne le pressait en rien, car il était d’une nature très
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2. Non le travo : cela ne lui plaisait ou ne l’attirait pas. 3. Du turc kiafir : infidèle, blasphémateur, impie. 4. Konvenirse : s’entendre, s’accorder. 5. Senet du turc sènèd (pl. sènèdat) : preuve authentique, document, preuve par écrit, acte qui fait foi.
estava en kaza, ke de esto le dezplaziya muncho a su senyor padre ma non le avlava mas sovre los estudios ke ya lo vido ke non le travo 2 kuando viene al H. Haimatche non lo apretava del en todo porke era muy flako de la natura, i la Bu. Donna, ke estava el dia entero kon el Santur, aziendo exersis, kon ke le iva enbezando su ermano Ham, Refael, los mekames. Kon el etcho ke davan moneda kon interes a los Turkos, ya lo eskrivi de kuala forma era, uvo un turko ke non le kijo pagar los interesos, kon dizirle ke la lei de el Muhamed non alesensia ni a pagar ni menos a kovrar Revah, i el ke viene kontra a esto kere dizir ke es Kiyafir 3, i a ansi personas deven ser kondenados a la muerte, estas todas leis a un kon todo ke ya las savia el Senyor Abraam I ma non le paresia ke iva aver un Turko ke se las iva a rekodrarselas, i kon el kual Turko presto se lo konvino 4 i denpues lo azia en otra forma, kon ke en el senet 5 ke azia le pujava de el prinsipio los interesos, i eskriviyan komo ke si las dio enprestado toda la suma, i ansi era ke por nada non lo podiyan kondenar, i mas muntcho era ke non se espantava de dinguno porke estos djuzgos se miravan ande el Mehmed Emin AA, i el por si mizmo ke ya teniya muy grande influensa en todas las administrasiones, ansi era ke non teniya nada de espanto de dinguno, la suma de los interesos ke les kovrava eran sovre 20 % al anyo, i menos de 6 mezes de tiempo non les dava moneda i esto era solo a los de la klasa mediana, i muntcho a la sikreta por razon ke aparte ke era defendido era tambien i verguensa.
5570 En este anyo de 5570, ke las ropas de la butika de Samokov ya fueron en manko el senyor Abraam I. le izo una nota de los artikolos ke eran menester i le eskrivio tambien kartas para todos los merkaderes de ande el empliava, i lo mando a su ijo el grande Hr. Tchelebi Moche A. Arie I a Kostan, para ke iziera los empleyos, i ansi fue ke partio Hr. Tchelebi I por Kostan i merko todos los
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faible. Quant à Mademoiselle Donna, elle passait la journée entière à s’exercer au Santour avec lequel son frère Maître Rafael lui apprenait les makams [modes musicaux orientaux]. J’ai déjà écrit quelle forme prenait le prêt à intérêt aux Turcs. Il arriva que l’un d’eux ne veuille pas payer les intérêts en disant que la Loi de Mahomet n’autorisait ni le paiement ni la perception de bénéfice et que celui qui dit le contraire est un blasphémateur et que de telles personnes doivent être condamnées à mort. Même si M. Abraam I connaissait bien toutes ces lois, il lui semblait qu’aucun Turc ne s’en rappellerait. Il s’accorda vite avec le Turc en question et ensuite il procéda différemment dans le contrat en inscrivant dès l’origine les intérêts, comme s’il avait prêté toute la somme [intérêts inclus] et ainsi il n’y avait rien qui puisse le faire condamner. De plus, il n’avait peur de personne, car ces litiges étaient jugés chez l’Agha Mehmed Emin. Il avait par lui-même une très grande influence au sein de toutes les administrations et n’avait rien à redouter de quiconque. Il percevait un intérêt de 20 % par an, ne prêtait pas d’argent à moins de six mois, seulement à ceux de la classe moyenne et dans le plus grand secret, car outre le fait que c’était défendu, c’était aussi une source de honte.
Année 5570 [1809/1810] En 5570 [1809/1810], les marchandises de la boutique virent à manquer. Monsieur Abraam I prit note des articles qui étaient nécessaires et écrivit aussi des lettres à tous les marchands chez qui il se fournissait et envoya à Constantinople son fils aîné, Maître Tchelebi Moche A. Arié pour qu’il réalise les achats. C’est ainsi que Maître Tchelebi I partit pour Constantinople et acheta tous les articles indiqués et sans trop s’attarder, il rentra à Samokov. Monsieur son père s’en trouva très satisfait. Au premier shabbat qui suivit son retour, toute la communauté vint leur rendre visite en sortant de la synagogue. Il leur conta mille et une choses de tout ce qu’il avait vu à Constantinople. Ensuite, dans la semaine, il était d’usage que toutes les femmes viennent en visite chez la femme de celui qui était rentré de voyage. C’était elle qui
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artikolos asinyalados, i sin muntcho tadrarse se vino a Samokov, i su senyor padre se topo muy kontente, en el primer Chabat ke vino lo vijitaron el Kolel entero kuando salieron de el Kaal, i les fue mil kozas kontandoles de todo esto ke vido en Kostan, i denpues en la semana entera era el uzo ke la vijitavan las mujeres todas a la mujer de el ke vino de el viaje va a ser eya ke les va a kontar a las mujeres de todo lo ke vido su marido en el viaje, i tambien les amostrava los presentes ke le trucho el marido, ke esto ya era komo ley, i en este tiempo vino tambien i Hr. Josef a Samokov, para ke viera i el tambien los artikolos i decharon unos kuantos dias el etcho de Sofia en uno de sus amigos, i denpues ke ya resentaron todo partio solo el senyor Abraam I por Sofia, ke el primer etcho ke izo en Sofia fue ke lo konvino el etcho de el espozorio kon la Bu. Veneziana de la Familia de los Ben Basates de Sofia, para su ijo el tresero H. Refael i la konvension fue, 1) ke el espozorio devian de azerlo en Sofia ke les ivan a tomar el Kinyan, al novio i a la novia, en el mizmo dia i esto en la kaza de la novia, kon ke el gaste devia ser kontar a metad, i 2) ke le teniya de dar 250 groches por kontado, i achugar a la onor de el padre de la novia, i 3) ke la yevadura de la novia iva a ser, a los gastos de parte el novio, i 4) ke la boda iva a ser en Samokov, i denpues de un anyo, sovre estas kundisiones, se adulsaron i se dicheron el Besiman-Tov, de parte a parte, i la novia le bezo la mano de el esfuegro, i el senyor Abraam I pasando unos kuantos dias se vino a Samokov, i tomo a su mujer la Bu. Buhuru, i al novio i a su ija la Donna, i partieron por Sofia, ke ya lo tengo eskrito ke el viaje de akel tiempo era a kavayo i al sigundo dia arivaron a Sofia i se abacharon en la kaza de la novia, ke fueron kon grande gala resividos, i a la maniana izieron el espozorio kon ke uvieron muntcho konvidados, komo tambien i el senyor Abraam I se konvido a su viejo amo el senyor Nesimatche Farhi kon toda su familia, i kon muntchos kantares, i bailes i dulses i kon muntchos Hazanim, i Hahamim kantando les tomaron el Kinyan a el novio i a la novia, i denpues a la notche uvieron de muevo muntchos
racontait aux femmes tout ce que son mari avait vu en route. Elle leur montrait aussi les cadeaux que lui avait apportés le mari. [Cette coutume] avait comme force de loi. À ce moment-là, Maître Josef se rendit aussi à Samokov pour qu’il puisse voir également les articles et ils laissèrent quelques jours les affaires de Sofia aux mains l’un de leurs amis. Une fois qu’ils eurent tout bien ordonné, M. Abraam I partit seul à Sofia et la première affaire dont il s’occupa là-bas fut de conclure le contrat de fiançailles de son troisième fils, Maître Refael avec Mademoiselle Veneziana de la famille Ben-Basat de Sofia. Le contrat stipulait que : 1°) Que les fiançailles devaient avoir lieu à Sofia où l’on recueillerait l’engagement [kinian] du fiancé et de la fiancée le même jour et ce dans la maison de la fiancée, les frais étant partagés à moitié. 2°) que [le père de la fiancée] devait donner 250 groches de dot et que l’honneur de faire réaliser le trousseau lui incombait. 3°) Que les frais de déplacement de la fiancée était à la charge du fiancé. 4°) Que le mariage aurait lieu dans un délai d’un an à Samokov. Ces conditions définies, ils prirent des douceurs et formulèrent des vœux entre eux. La fiancée baisa la main de son beau-père. Après avoir passé encore quelques jours, Monsieur Abraam I rentra à Samokov. Il prit sa femme, la Bulisa Buhuru, le fiancé et sa fille Donna et ils partirent pour Sofia. J’ai déjà écrit que le voyage en ce temps-là s’effectuait à cheval ; au second jour, ils arrivèrent à Sofia et descendirent à la maison de la fiancée où ils furent reçus avec beaucoup de cérémonie. Le lendemain matin, ils procédèrent aux fiançailles en présence de beaucoup d’invités. M. Abraam I avait aussi convié son ancien patron, M. Nesimatche Farhi avec toute sa famille. On chantait, on dansait, on se régalait de douceurs et on recueillit les serments du fiancé et de la fiancée au son de la voix de nombreux chantres et rabbins. Il y eut à nouveau en soirée de nombreux invités qui mangèrent, se réjouirent et se contentèrent. Des deux côtés on offrit beaucoup de gratifications à la fiancée et au fiancé et tous très contents se congratulèrent et s’embrassèrent, devenant de nouveaux parents. Après être demeurés trois autres jours, ils repartirent pour Samokov, joyeux et réjouis. Le fait que la fiancée et le fiancé célèbrent ensemble leurs fiançailles sous un
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6. Beza manos : des gratifications, des sommes d’argent. 7. Motchorlok : du bulgare motchurishte (marécageux). Noter le suffixe turc -luk. 8. Du turc lağım : égoût.
konvidados i komieron i se alegraron i se kontentaron, i dieron de todas 2 partes bezas de manos 6 a la novia i al novio i todos muy kontentes se abrasaron i se bezaron, izieron parientes mueva, i denpues ke ya estuvieron 3 dias otros partieron por Samokov, gustozos i alegres, esto de azer el espozorio djuntos la novia kon el novio fue koza mueva para Sofia de estarsen el novio kon la novia, debacho de un tetcho, ke ya lo tengo eskrito mas antes ke era komo un pekado, eyos los konsfuegros se miraron el konto de los gastes ke se izieron para el espozorio i fueron ke le toko a el senyor Abraam I 25 groches, ke esto ya fue muntcho ma izieron grande Saltanat, i aparte tuvo mas el senyor Abraam I ke le kosto otros 10 groches para gaste de el viaje, i la razon ke se apresuro el senyor Abraam I para espozarlo a H. Refael era porke ya era grande, i si es ke arivara a la edad de 18 anyos mas ya non topava novia, ke era igual al tiempo de agora, kuando el novio ya tiene la edad de 30 40 anyos komo yeva algo de pena para kazarse ansi era i en akel tiempo por kuando arivava a la edad de 18 anyos. En Samokov a razon ke el Senyor Abraam I iva muntcho tiempo mankando ansi fue ke los etchos de el Kolel fueron kedando atras fin a el grado ke seraron el Talmud-Tora por non poder sostenerlos a los profesores, ke de esto fue muy muntcho ensaniado i sin tadrar les dio a todos los Mechartim un akonto de moneda, de su petcho i denpues salia el mizmo en kada dia por rekojer una tchika suma, i les pago a todos esto ke buchkavan i aparte tambien el Kaal teniya menester de reparasion, porke el lugar es motchorlok 7 i le avrio lagumes 8 deredor de el Kaal entero sigun ke fin agora son akeyos lagumes, i todo lo gasto de su petcho, i denpues troko a los mimonim, i los akavido ke en kada semana devian de asentarsen en el lokal ande aziyan las adjuntas de el Kolel i ke non decharan de rekojer esto ke kedavan a dever en kada semana, i de esta manera fueron kontinuando, ma el senyor Abraam I era ke kudiava por lo todo, i tambien los djuzgava, i todos se kontentavan a la suya kondana, i tambien les darchava en todos los Chabatot, kuando estava en Samokov,
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même toit était une chose nouvelle pour Sofia. J’ai déjà écrit auparavant que cela était vu comme un pêché. Les beaux-pères firent le compte des dépenses réalisées pour les fiançailles et il apparut que M. Abraam I devait 25 groches. C’était beaucoup, mais on lui avait fait beaucoup d’honneur. De plus, les dépenses de voyage coûtaient encore 10 groches à M. Abraam I. Si Monsieur Abraam I se dépêchait de fiancer Maître Refael, c’est qu’il était déjà grand et que s’il atteignait l’âge de dix-huit ans, il ne trouverait plus de fiancée. C’est la même chose qu’aujourd’hui quand le fiancé atteint l’âge de trente ou quarante ans et qu’il éprouve des difficultés à se marier. C’était déjà le cas en ce temps-là quand on arrivait à l’âge de dix-huit ans. À Samokov, en raison de l’absence prolongée de Monsieur Abraam I, les affaires de la communauté avaient pris un tel retard qu’on en vint à fermer le Talmud-Torah faute de pouvoir subvenir aux besoins des professeurs. De cela, M. Abraam I fut très fâché et sans délai il donna à tous les enseignants un acompte en argent de sa poche. Ensuite, lui-même se rendit chaque jour recueillir une petite somme et paya tous ceux qui le cherchaient. La synagogue avait aussi besoin de réparations, car l’endroit était marécageux et il fit ouvrir des égouts tout autour de la synagogue qui existent encore aujourd’hui, et le tout de son argent. Ensuite il changea les administrateurs et les prévint que chaque semaine ils devraient se réunir dans le local où se tenaient les assemblées de la communauté et qu’ils ne devaient pas manquer de collecter ce qui était dû pour la semaine. Ils continuèrent de cette façon, mais c’était M. Abraam I qui prenait soin de tout et qui les jugeait également et tous s’en remettaient à son jugement. De même, il prononçait le sermon tous les shabbats quand il était à Samokov. Plus tard, quand M. Abraam I n’était pas à Samokov, c’était Maître Tchelebi I qui disait le prêche et ensuite également Maître Josef. Certains lecteurs de cette chronique pourront s’interroger d’eux-mêmes en se disant quel besoin avaient Monsieur Abraam I et ses fils de s’occuper des affaires de la communauté et de laisser leurs affaires pour juger le peuple et d’aller leur tenir des sermons et encore tant d’autres choses. Pourquoi ? Je me permets de leur dire qu’il n’en va pas ainsi et que chaque personne possède
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i mas tadre kuando non estava el senyor Abraam I les darchava Hr. Tchelebi I mas tadre les darchava tambien i Hr. Josef algunos de los meldadores de esta biografia, podran demandarsen eyos mizmos, en diziendo, ke menester teniya seya el senyor Abraam I seya tambien i sus ijos, por okuparsen sovre los etchos de el kolel, i de dechar sus etchos, para djuzgar al puevlo, i de ir aziendoles Derachiot, i ansi ainda kuantas kozas, para kualo ? No, no es ansi yo me permeto a dezirles, ke kada persona, tiene un modo de karakter i esto kale ke lo reintcha, ke sigun ya lo eskrivi mas antes ke entre los karacteres, de el senyor Abraam I era i el uno de azer plazer i bien a lo todo, sin ke se le enportava mizmo kuando i sagrifikava moneda de su petcho, ansi de mizmo vemos ke ivan darchandoles a el puevlo ke para esto tambien kalia ke se prontara de mas antes i de suyo ya se entiende ke pedria tiempo, i para kualo ? Ke sovre esto tambien puedo dizirles, ke todos ya lo saven ke la Hohma (saverisio) es enchemplado a la plata, de manera ke sigun la plata o bien el oro, ke non tiene valor eya por si mizmo, ansi tambien es i el Saverisio ke a la prima, punto de vista ya es i de eiyr 9, el dizir ke la plata o el oro non tienen valor, ma si lo kalkulamos kada uno ya lo puede topar ke ya es verdad ke non tiene dinguna valor, ke es verdad ke ya mos matamos i mos sagrifikamos por eya, ma es solo para sirvirmos kon eya, ma de eya non mos podemos sirvir, por razon, si por echemplo mos topamos en medio de mar, i si non tenemos pan, podemos komer la plata o el oro ? Siguro ke non ? Es ke viene a ser ke la plata o el oro mos va a servir para merkarmos kon eya los muestros menesteres para el muestro bivir, i kale darla, a el otro para entonses va a tener valor, ke en estando en el petcho muestro, non tiene valor de nada ansi es i kon la Hohma persona ya se enbezo, i kuando lo detiene en su meoyo, sin ke konta a dinguno nada de el su saverisio, ke valor tiene ? Es a saver ke kale lo diga al otro i es entonses ke va a tener valor, i esto es la natura, komo todas las otras kozas, i por esto es ke i eyos aziyan.
son propre caractère et qu’il faut qu’il le suive. Comme je l’ai écrit auparavant, parmi les traits de personnalité de Monsieur Abraam I le premier était de faire plaisir et du bien à tous, sans rechigner même quand il devait y sacrifier son propre argent. De même, nous voyons qu'il adressait les sermons au peuple et que pour cela il devait se préparer bien à l’avance et qu’il y perdait de son temps et à quoi bon tout cela ? À ce propos, je peux leur dire que tous savent que la sagesse est semblable à l’argent, de sorte que comme l’or ou l’argent, qui n’ont pas de valeur propre, il en va de même pour la sagesse. De prime abord cela parait risible de dire que l’or et l’argent n’ont pas de valeur, mais si nous y réfléchissons bien chacun peut se rendre compte qu’en vérité l’or et l’argent n’ont aucune valeur. S’il est vrai que nous nous tuons et nous sacrifions pour eux, c’est seulement pour pouvoir nous en servir ; et de l’or et de l’argent [par eux-mêmes] nous ne pouvons nous servir, car, si par exemple nous nous trouvions au beau milieu de la mer, et si nous n’avions pas de pain, pourrionsnous manger l’or ou l’argent ? Bien sûr que non ! C’est qu’en fait l’or et l’argent nous servent à acheter de quoi subvenir à nos besoins et qu’il faut les donner à un autre pour qu’ils prennent de la valeur. En restant en notre possession, ils n’ont aucune valeur et il en va de même aussi de la sagesse qu’une personne a acquise. Quand il la garde en son for intérieur sans la partager avec personne, quelle valeur a-t-elle ? Cela signifie qu’il faut qu’il la transmette à un autre pour qu’ensuite elle prenne de la valeur. Ainsi en est-il de sa nature comme de toute autre chose et c’est pour cette raison qu’ils agissaient ainsi.
9. Faute de frappe. Il faut lire riyir.
Nous remercions vivement Marie-Christine Bornes Varol, professeure à l'Institut national des langues et civilisations orientales qui a bien voulu éclairer le sens de certains passages.
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| PARA MELDAR
Para Meldar Diplomates et espions français, héros oubliés
René Arav avec la collaboration de Jeanne Montagnon Balkans, 1940-1945 Les impliqués éditeur, octobre 2019. ISBN : 978-2-343-18567-5
René Arav donne très justement à son travail le qualificatif de « témoignage » et il a tout à fait raison. Car même s’il s’attache à suivre au plus près la vérité historique, il souligne que « la Mémoire est une forme d’exactitude » et se définit comme un simple témoin dans le siècle le plus sanglant de l’histoire. Et pourtant il avait bien commencé ce siècle pour cette « dynastie » venue d’Espagne, passée par Vienne pour s’établir à Samokov, à une heure de Sofia, puis à Sofia. Même après la libération de la Bulgarie par les Russes en 1878. Famille très prospère que celle de René Arav, dont les parents se marièrent au Cercle militaire, en présence de personnalités du monde diplomatique, politique et intellectuel de Sofia. Cette insertion dans la « mondanité » bulgare se révèlera décisive, aux moments sombres dont il semble bien que le point d’orgue fut donné par la mort du Roi Boris III en août 1943. Il semble bien aussi que cette mort, survenue juste après une entrevue entre le Roi et Hitler, qui n’avait pas du tout obtenu ce qu’il souhaitait, n’était pas vraiment accidentelle. Survient alors pour le père de René Arav une rencontre avec un officier allemand qui, à voix basse, lui décrit les horreurs du ghetto de Varsovie et lui dit : « je crois que cet ouragan viendra ici, en Bulgarie ».
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Choqué à l’extrême, il n’a d’abord pas cru à cette description d’apocalypse, puis a fait le tour de gens mieux informés. Le consul général Colonna Césari la lui confirme et lui déconseille de quitter le pays : votre passeport français, ici peut sans doute mieux vous protéger et c’est ainsi que la famille se vit offrir l’asile à la Légation de France. À partir de ce moment, René Arav porte témoignage des angoisses de la famille et de l’incroyable succession de bonnes volontés et de courages rencontrés sur leur chemin de fuite depuis Sofia. C’est ce chauffeur qui, devant leur camionnette embourbée par la neige décide de les sortir de là. C’est cet accueil, dans une propriété au milieu de la campagne bulgare, d’une famille juive en route vers un exil incertain. Ce sont tous ces diplomates en poste en Bulgarie qui, chassés de Sofia par les bombardements, vont aider la mère de famille à sortir indemne du poste de police où il y avait pourtant à l’entrée l’inscription suivante : « Vous qui entrez ici, n’ayez aucun espoir d’en sortir. » C ’est le capitaine Thomson , chef d’un commando anglais parachuté en Bulgarie, qui va tout faire pour sauver des jeunes filles envoyées par la résistance bulgare pour leur indiquer leur route. René Arav a raison de citer ces mots, pour une fois positifs, d’Hannah Arendt : « Le problème n’est pas ce que nos ennemis ont fait, mais ce que nos amis ont fait. » C’est en cela que le livre, pardon « le témoignage », de René Arav est roboratif : au milieu des pires détresses, des pires inquiétudes, se lèvent ça et là des efforts surhumains, inattendus, pour sauver l’humanité. Après ces évènements dramatiques, René Arav poursuivra sa route en France où il pourra accéder
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grâce à M. de Warren, nouveau consul de France à Sofia. Il rend hommage ici à tous les diplomates français en poste dans les pays occupés qui ont, au mépris de leur carrière, et peut être de leur vie, mis tout en œuvre pour tenter de sauver des familles menacées, suivant en cela la devise inscrite au fronton du lycée Pasteur à Neuilly : « Quand l’heure sonne, homme soit debout, l’heure française sonnera toujours. » René Arav signe là des pages d’histoire et d’espoir, qu’il en soit remercié. Peut être va-t-il nous réconcilier avec le Quai d’Orsay ?
Jean-Yves Laneurie
Si mon père m’était conté… Un Juif du Maroc peu ordinaire Félix M. Perez
L’Harmattan 2009 ISBN : 978-2-296-10390-0
Qui peut mieux parler de son père si ce n’est un de ses enfants se demande l’auteur ? Pourtant peu de pères eurent l’honneur d’un livre écrit par un fils. Les mères (juives notamment) ont été glorifiées, les pères plus rarement. Car la relation entre un père et un fils est toujours ambivalente : un mélange d’admiration et d’agacement, voire d’opposition. Dans cet ouvrage, l’auteur dresse le portrait intime d’un homme qui n’a cessé de l’étonner tout au long de sa vie. Le soustitre du livre, Un Juif du Maroc peu ordinaire, illustre bien le propos. La tonalité générale est celle d’une commedia dell’arte à la marocaine, un genre fondé sur l’imagination et la malice. Le personnage principal est un Juif marocain de la « zone espagnole », un lieu mal défini que les initiés reconnaîtront cependant : « La zone espagnole n’est pas seulement une zone géogra-
phique du Maroc » précise l’auteur « elle a aussi une âme, une façon d’être et de se sentir, toute faite de candeur, de tranquillité et d’une distance amusée à l’égard des choses ». Mais elle a aussi un marqueur d’identité – l’espagnol ou plutôt le judéo-espagnol – dans un pays et à une période où le français était la langue du pouvoir et l’arabe celle de la rue. Bien que sa date de naissance soit restée mystérieuse – probablement au début du XXe siècle – José Perez vécut cent ans ou plus en bonne santé, sans perdre son humour et son regard caustique sur le monde et sur les autres. Il fut caissier pendant trente ans à la Banque commerciale de Casablanca. Un métier qui demande du sérieux, voire de la rigueur. Après sa retraite, il se rendit quotidiennement à la synagogue de son quartier pour y lire les textes de la Torah. Jusqu’à la fin de sa vie, il prépara les jeunes de sa communauté à la bar-mitsva. Une vie de travail donc, et d’attachement à la famille et aux traditions. Et pourtant… cela ne l’a jamais empêché de vivre intensément dans un univers parallèle, celui de l’imaginaire. Il concevait une véritable passion pour le cinéma et pour ses vedettes internationales. C’était l’époque où Hollywood faisait rêver le monde. L’univers de fiction mis en scène dans les films était pour lui plus vrai que nature. Charlton Heston était vraiment Moïse, Yul Brynner un authentique Pharaon et les Dix commandements de Cecil B DeMille l’incontestable histoire de l’Ancien Testament. Ce n’était pas forcément de la naïveté mais un désir d’enchanter le monde. De même, dans la vraie vie, il avait tendance à caractériser les gens qu’il rencontrait comme des personnages de fiction, issus d’un roman ou d’une comédie. Il adorait raconter des histoires et savourait les récits humoristiques. Il avait d’ailleurs un rapport au réel un peu particulier qui médusait son fils, mais le bluffait également. Toujours cette dualité, cette ambivalence de sentiments. Ainsi le père, en vacances en Espagne avec sa famille, se faisait-il passer pour un grec orthodoxe, ou bien un turc, ou parfois encore pour un descendant de Christophe
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Colomb. Dans quel but ? Simple fantaisie de l’esprit ou difficulté à expliquer qu’on est marocain de nationalité, mais pas vraiment ? Qu’on parle espagnol, tout en ne l’étant pas ? La situation des Juifs au Maroc devait être suffisamment ambiguë pour qu’un nombre considérable d’entre eux éprouve le besoin de s’exiler aux quatre coins du monde. Ainsi, Papa José, le héros de notre histoire, passa-t-il ses dernières années, alors qu’il était devenu veuf, à rendre visite à ses enfants à Paris, Tel Aviv ou Montréal où chacun d’eux a fini par s’établir. Les fictions à la télévision remplacèrent alors le cinéma où il avait plus de mal à se rendre, mais il vivait les intrigues aussi intensément et se passionnait pour les personnages à l’égard desquels il continuait néanmoins à exercer son esprit critique et son humour. Il est mort en 2006 dans son pays natal. Son fils, qui a souhaité lui rendre hommage dans ce livre, est devenu professeur de philosophie et disciple d’Emmanuel Lévinas, ce penseur paradoxal, lecteur attentif de la Torah. Ce n’est peut-être pas le fait du hasard.
Martine Swyer
La boz de Bulgaria (vol. 5) The Marketing of a life. The Young Turk and Zionist Santo Bey de Semo (1878-1950) and his Drama ‘Don Isaac’. Michael StudemundHalévy
Tirocinio. Barcelone. 2021. ISBN 978-84-949990-6-2
Michael Studemund-Halévy poursuit avec ce cinquième volume de La boz de Bulgaria, la publication de la riche bibliographie des Juifs bulgares. Cette monographie a pour but de présenter Don
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Isaac − Don Isaac Abravanel − une œuvre de Santo Bey de Semo. Cette pièce de théâtre met en scène les vicissitudes qui entourèrent l’expulsion des Juifs de la péninsule ibérique en 1492 en se centrant sur l’élaboration de l’édit de l’Alhambra. La pièce a connu un succès considérable au cours du premier quart du XXe siècle et a été traduite en plusieurs langues et jouée dans plusieurs pays. Seules trois versions nous en sont parvenues qui font l’objet de cette édition trilingue : français, espagnol, hébreu. Santo Bey de Semo (Ruse 1878 - Paris 1950) était un visionnaire de grande ambition, un conseiller informel des Grands de ce monde, un politicien Jeune Turc et un sioniste, un candidat au poste de Grand Vizir, un militant de la paix, un ingénieur des travaux publics, un commerçant et un financier, un génie linguistique autodidacte et un historien de l’art de formation. Il était également membre de la communauté sépharade de Paris et de la franc-maçonnerie à Bucarest et à Paris, conseiller de l’empereur Guillaume II et de ses généraux Hindenburg et Ludendorff, et collaborateur occasionnel des nazis à Paris. Féru d’utopies, dramaturge et romancier, traducteur et guide touristique, fondateur du mouvement conspirationniste « Les rayonnants », tuteur privé du prince de Galles et secrétaire privé du sociologue et penseur ottoman le prince Mehmet Sabahaddin, vibrant explorateur et infatigable conférencier, mais aussi intéressé par le système d’irrigation historique de la Mésopotamie et les plans très controversés de transferts radicaux de population (en particulier des Arabes des zones juives de Palestine), la coiffe des femmes françaises, le clan Senussi dans la Libye coloniale, les mythes, les secrets et l’érotisme du harem du sultan, et des femmes qu’il gardait.
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Las komidas de las nonas BAKLAVA RECETTE DE RHODES
Cette recette est universellement connue en Méditerranée orientale, mais chaque communauté l’a adaptée à sa façon. Les Judéo-espagnols de Rhodes ont conçu une version en tricorne avec des noix que l’on appelle trigonas. Ces baklavas individuels prennent la forme d’une corolle de fleur avec en son cœur une farce aux amandes parsemée d’éclats de pistache. Ils peuvent servir de dessert raffiné ou accompagner un café turc.
Ingrédients pour 40 pièces
Préparation de la farce
– Une tasse de beurre doux fondu mélangée avec une tasse d’huile végétale – 500 g (soit environ 16 feuilles) de pâte filo à température ambiante.
Monter les blancs en neige au mixer puis continuer à battre en ajoutant le sucre. Avec une spatule, incorporer peu à peu les amandes, les pistaches hachées puis l’eau de fleur d’oranger.
Pour la farce
Préparation du sirop
– 3 blancs d’œufs – ½ tasse de sucre en poudre fin – 250 g d’amandes blanchies grossièrement hachées – 250 g de pistaches grossièrement hachées – Une cuillère à café d’eau de fleur d’oranger
Chauffer à feu doux le sucre, le miel et l’eau dans une casserole en remuant constamment pendant deux minutes puis porter au point d’ébullition. Ajouter le jus de citron et le bâton de cannelle. Réduire le feu et laisser mijoter 15 minutes jusqu’à ce que le sirop soit assez épais pour enrober le dos d’une cuillère. Ajouter l’eau de fleur d’oranger. Retirer le bâton de cannelle. Laisser refroidir. Préchauffer le four à 180 °C. Enduire un grand plat à four avec le mélange de beurre fondu et d’huile.
Pour le sirop – Une tasse de sucre en poudre fin – Une tasse de miel – Une tasse et demie d’eau – Une cuillère à café de jus de citron – Un bâton de cannelle – Une cuillère à café d’eau de fleur d’oranger
Pour le saupoudrage – ½ tasse de pistaches mondées grossièrement hachées
Assembler les baklavas Poser une feuille de pâte filo sur une surface de travail et couvrir le reste avec un linge. Enduire unifor-
mément la pâte avec le mélange beurre/huile. Couvrir avec une nouvelle feuille de pâte filo et enduire à nouveau. Répéter l’opération jusqu’à obtenir une épaisseur de sept feuilles. Découper les feuilles assemblées en carrés de 7 cm avec des ciseaux de cuisine. Placer une cuillère à soupe de farce au centre de chaque carré. Presser doucement de façon à ce que les feuilles forment une corolle et enserrent la farce. Agir de même avec les autres carrés. Disposer les pièces en rangs serrés sur le plat à four sans laisser la farce sortir.
Cuisson Placer le plat au milieu du four et laisser cuire environ 30 minutes. Les baklavas doivent être croustillants et légèrement dorés. Verser le sirop froid uniformément sur les baklavas chauds. Saupoudrer d’éclats de pistaches au centre des pâtisseries. Verser ce qui reste de sirop. Se garde à température ambiante couvert d’un film alimentaire.
Traduit et adapté du livre de Stella Cohen. Jewish family recipes from the Mediterranean island of Rhodes. 2012.
Directrice de la publication Jenny Laneurie Fresco Rédacteur en chef François Azar Ont participé à ce numéro Michel Azaria, François Azar, Marie-Christine Bornes Varol, Edmond Cohen, Stella Cohen, Jean-Yves Laneurie, Jenny Laneurie Fresco, Elena et Maria Saporta, Martine Swyer, Alain de Toledo. Conception graphique Sophie Blum Image de couverture Femme juive de Salonique. Elle porte le tokado traditionnel. Éditeur de carte postale Albert J. Barzilaï. Vers 1916. Salonique. Collection Pierre de Gigord. Impression Caen Repro Parc Athéna 8, rue Ferdinand Buisson 14 280 Saint-Contest ISSN 2259-3225 Abonnement (France et étranger) 1 an, 4 numéros : 40 € Siège social et administratif MVAC 5, rue Perrée 75003 Paris akiestamos.aals@yahoo.fr Tel : 06 98 52 15 15 www.sefaradinfo.org www.lalettresepharade.fr Association Loi 1901 sans but lucratif n° CNIL 617630 Siret 48260473300048 Juillet 2021 Tirage : 900 exemplaires Numéro CPPAP : 0324G93677
Aki Estamos – Les Amis de la Lettre Sépharade remercie ses donateurs et les institutions suivantes de leur soutien