| AVRIL, MAI, JUIN 2021
Lyar, Omer, Sivan, Tamouz 5781
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Revue de l'association Aki Estamos Les Amis de la Lettre Sépharade fondée en 1998
02 H ommage
à Flory Jagoda — JON LOHMAN
06 H ommage à
Annette Cabelli
08 C ommémoration
— ALBERT BOURLA
12 L es archives de
la communauté juive de Salonique — IZO ABRAM
22 Chronique de la famille Arié de Samokov (suite)
38 P ara meldar
— FRANÇOIS AZAR, BERNARD PIERRON, ARIANE EGO-CHEVASSU
44 P ara sintir
L'édito
Ce numéro de printemps est placé sous le double signe de la patience et de l’espérance. Nous sommes encore orphelins de notre programme d’activités habituel puisque seuls les cours hebdomadaires de judéoespagnol se poursuivent grâce à la plateforme zoom. Ils n’ont cependant jamais été aussi fréquentés. Nous participons également activement aux enkontros de alhad dont a pris l’initiative le centre culturel sépharade de Buenos Aires dirigé par Liliana et Marcelo Benveniste. Un article du journal Haaretz publié le 17 février dernier signé par un étudiant d’Oxford, Kenan Cruz Çilli, se faisait l’écho du paradoxe suivant : l’une des conséquences inattendues de la pandémie est l’augmentation significative de la pratique du judéo-espagnol. En témoigne un florilège de cours, de conférences, de publications à travers le monde. Le confinement et le développement des activités en ligne ont eu pour effet de resserrer les liens d’une communauté dispersée. Plus encourageant encore est le nombre des nouveaux locuteurs, parfois très jeunes, qui s’investissent dans les cours de judéoespagnol. Le journal El Amaneser d’Istanbul leur a ouvert une tribune qui rend compte d’une large palette de motivations. Dans le même temps, la revue Aki Yerushalayim renaît à l’initiative d’une nouvelle génération de rédacteurs. S’il faut rester prudent quant à la pérennité de ce mouvement multiforme, il est
porteur d’espérance. Transformer ce regain en une véritable renaissance sera l’enjeu des prochaines années. L’une des leçons à tirer des derniers mois est sans doute le nécessaire développement des activités en ligne dans le sillage de ce que Rachel Amado Bortnick a conçu il y a plus de vingt ans avec ladinokomunita et qu'elle poursuit activement. Persuadés que notre avenir se joue aussi sur ce terrain, nous avons entrepris cette année la refonte de notre site internet. Nous croyons également à la diffusion des projets culturels, universitaires et artistiques qui sont autant d’occasions d’apprentissage et de partage. Saluons ici l’œuvre de Marie-Christine Bornes Varol qui s'est inlassablement investie à l’Institut national des langues et civilisations orientales pour faire reconnaître le judéo-espagnol comme langue à part entière. Le mot retraite n’étant certainement pas le mieux assorti à sa personnalité, nous lui souhaitons plutôt de nouveaux champs de recherche à explorer encore pendant de nombreuses années. Nous abordons les prochains mois avec confiance et le ferme espoir de nous retrouver à nouveau unis dans une même salle. Ce sera, si kere el Dio, le 10 octobre prochain à l’Alhambra pour un concert inédit de Dafné Kritharas. En vous remerciant de votre fidélité tout au long de ces longs mois, nous espérons vous revoir bientôt avec une joie et une affection renouvelées.
KE HABER DEL MUNDO ? |
Ke haber del mundo ? France Vœux à Marie-Christine Bornes Varol C’est avec émotion et une certaine appréhension que nous accueillions la nouvelle du départ en retraite de Marie-Christine Bornes Varol, professeure des Universités à l’Institut national des langues et civilisations orientales au terme d’une carrière exemplaire. Il n’est pas question de résumer ici un parcours si riche en recherches, travaux et publications. Rappelons simplement que sa thèse de doctorat portait sur le judéo-espagnol d’Istanbul où elle a vécu de longues années et qu’elle est l’auteure du manuel de référence pour l’enseignement de cette langue (L’Asiathèque, 1998) traduit en anglais et bulgare. Elle a co-dirigé avec Marie-Sol Ortola le projet ALIENTO financé par l’agence nationale de la recherche et portant sur l’étude comparée des énoncés sapientiels échangés dans la péninsule ibérique au Moyen-Âge. Elle dirige actuellement le CERMOM, Centre de recherches Moyen-Orient Méditer-
ranée qui regroupe une cinquantaine de chercheurs de l’Inalco, de la Sorbonne et de Paris 8. Parmi les nombreux ouvrages qu’elle a publiés nous mentionnerons deux livres exceptionnels : l’édition critique du Proverbier glosé de Madame Flore Gueron Yeschua (Guethner, 2010) et la monographie qu’elle a consacrée au quartier juif de Balat à Istanbul (Isis, 1989). Marie-Christine Bornes Varol est surtout pour nous une militante infatigable de la langue judéo-espagnole qu’elle a défendue et illustrée tant au sein du département des études hébraïques de l’Inalco qu’au sein de l’association Aki Estamos dont elle dirige les cours. Le passé sied mal à cet engagement, et au moment où les initiatives se multiplient pour revitaliser le judéo-espagnol, nous formons le vœu qu’elle guide et inspire encore longtemps les œuvres en devenir.
France Félicitations à Sarah Gimenez Nous adressons toutes nos félicitations à Sarah Gimenez qui a brillamment soutenu sa thèse de doctorat à l’Institut national des langues et civilisations orientales sous la direction de Marie-Christine Bornes Varol le 8 janvier 2021. Son travail de recherche portait sur le proverbier manuscrit du professeur I.S. Révah, un recueil de proverbes judéo-espagnols resté inédit dans les archives de l’Alliance israélite universelle. Il se compose de 1 601 unités recueillies par lui-même à Salonique en 1936. C’est avant tout en tant que linguiste qu’I.S. Révah, lui-même locuteur du judéo-espagnol et salonicien d’origine, s’est attaché à signaler les caractéristiques phonétiques du parler de Salonique. Cette variété dialectale et sa notation ont fait l’objet d’une polémique qui l’a opposé aux linguistes C.M. Crews et J.-P. Vinay.
Le proverbier d’I.S. Révah a pour particularité la description du parler populaire des Judéo-espagnols de Salonique à la veille de la disparition de cette communauté. Il est un témoin d'une culture orale encore vivace et présente, pour cela, des différences notables avec d’autres proverbiers, y compris saloniciens postérieurs à la Shoah. Il compte des unités très diverses, de nombreuses variantes et 80 proverbes non-documentés. L’édition critique examine les partis pris de l’auteur, revient sur les termes de la polémique linguistique et identifie les marqueurs du dialecte salonicien. En l’absence de toute glose de l’auteur, elle établit le sens (littéral et figuré) des proverbes et retrace, autant que faire se peut, leur origine et leur cheminement.
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Hommage à Flory Jagoda
1. Ankica Petrovic et Mischa Livingstone The Key From Spain : The Songs and Stories of Flory Jagoda (2002).
La Nona mos desho la buena vida. Flory Jagoda s’est éteinte le 29 janvier 2021 à l’âge de 97 ans dans la ville américaine d’Alexandria (Virginie). Née Flora Papo le 21 décembre 1923 à Sarajevo, elle était l’une des plus célèbres interprètes et compositrices de chants judéo-espagnols. Flory Jagoda était issue d’une famille sépharade de Bosnie. Après sa naissance, sa mère Roza Altarac quitta son mari et retourna vivre auprès des siens dans la petite ville de Vlasenica. Elle se remaria plus tard avec Michael Kabilio et ils s’établirent à Zagreb où son mari possédait un atelier de fabrication de cravates. Après l’invasion par les nazis du royaume de Yougoslavie en avril 1941, son beau-père plaça Flory sous une fausse identité à bord d’un train en partance pour Split. La ville de Split était alors en zone d’occupation italienne à l’abri des déportations. Durant tout le trajet, Flory chanta et joua de l’accordéon avec les passagers ce qui, expliqua-telle bien après, lui évita d’être contrôlée. Ses parents la rejoignirent à Split quelques jours plus tard. Les Juifs furent ensuite transférés par les Italiens sur des îles de la côte dalmate. Flory et ses parents vécurent jusqu’à l’automne 1943 sur l’île de Korčula. À la capitulation italienne, les Juifs internés purent fuir sur des bateaux de pêcheurs jusqu’à Bari qui venait d’être libérée par les Alliés. En Italie, elle fit la connaissance d’un soldat américain, Harry Jagoda. Après leur mariage, ils s’établirent à Youngstown en Ohio puis en Virginie. Ils eurent ensemble quatre enfants. Tous les membres de sa famille restés à Vlasenica ont été exterminés durant la Seconde Guerre mondiale. Tout en s’investissant dans la pratique et l’enseignement de la musique, Flory Jagoda
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s’abstint longtemps de chanter les chants sépharades de son enfance. Sa mère ne supportait pas d’entendre ce qui lui rappelait le sort tragique de sa communauté. Ce n’est qu’au décès de ses parents dans les années 1970 qu’elle s’investit pleinement dans la transmission du répertoire judéo-espagnol, élevant un monument musical à la mémoire de sa grand-mère, la nona, dont le chant avait bercé son enfance. Elle se consacra d’abord à l’interprétation du répertoire dans les albums Kantikas di mi Nona (1989) et Memories of Sarajevo (1989). Devenue à son tour grand-mère, elle décida d’écrire ses propres compositions pour ses petits-enfants. C’est ainsi que naquit l’album La Nona kanta (1992). Son dernier album Arvoliko (2005) évoque l’arbre signalant l’emplacement de la fosse où furent jetés les corps de 42 membres de sa famille. L’une des compositions de Flory Jagoda, Ocho Kandelikas devint non seulement un classique du chant sépharade, mais un succès international repris par de multiples interprètes bien au-delà du monde juif. La version arrangée par Pink Martini en 2010 pour l’album Joy to the World contribua largement à sa popularité. Flory Jagoda a reçu de nombreux prix pour son œuvre. Un film documentaire réalisé par Ankica Petrovic lui a été consacré 1. Plus important sans doute à ses yeux, son œuvre de transmission a essaimé permettant à de jeunes interprètes d’investir ce répertoire polymorphe. De nombreux artistes ont témoigné de sa générosité et de sa disponibilité. Nous reproduisons ci-après l’hommage de Jon Lohman qui de 2001 à 2020 dirigea le programme de formation aux musiques traditionnelles de Virginie et qui à ce titre fut un proche de Flory Jagoda.
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Flory Jagoda à son domicile d'Alexandria (Virginie. ÉtatsUnis) en 2002.
La disparition le 29 janvier de Flory Jagoda, interprète émérite du répertoire sépharade, musicienne et compositrice nous a profondément affectés. Notre peine est atténuée par un flot de tendres souvenirs, notre incommensurable gratitude pour tout ce qu’elle a apporté au monde et la joie de se remémorer une vie pleinement accomplie. De manière symbolique, elle s’est éteinte dans les heures précédant le Shabbat Shirah, un shabbat particulier dédié aux chants d’allégresse qui suivirent la sortie d’Égypte et la traversée de la Mer rouge. On ne saurait trop souligner l’importance de Flory Jagoda comme artiste et comme gardienne du répertoire sépharade. En plus de cinquante années de carrière, elle est devenue l’une des artistes juives les plus célèbres, interprétant non seulement les chants du répertoire traditionnel bosniaque et sépharade qu’elle avait appris auprès de sa bien-aimée nona, mais aussi ses propres compositions évoquant la vie de la
communauté de son enfance avant sa tragique disparition. Au cours de sa carrière, Flory Jagoda enchanta le public des festivals et des salles de concert, publia cinq disques salués par la critique, fut le sujet de plusieurs livres et documentaires, et reçut un nombre incalculable de prix parmi lesquels la plus haute distinction attribuée à un artiste folkloriste par la Fondation nationale pour les Arts à Washington. Ses chants sont interprétés et appréciés à travers le monde et sa composition festive Ocho Kandelikas est devenue un hymne de Hanoukka. « La musique doit continuer » disait souvent Flory et elle a consacré sa vie à faire en sorte qu’il en soit ainsi. Flory est devenue « la gardienne de la flamme » pour la musique, la culture et la langue judéo-espagnoles, et elle s’est consacrée à en entretenir cette flamboyance avec passion comme le prouve le nombre considérable des disciples qu’elle a accompagnés, des esprits qu’elle a éveillés et des cœurs qu’elle a touchés.
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Mariage de Flory et Harry Jagoda en juin 1945 (Italie). Harry Jagoda porte son uniforme de sergent-chef de l'armée américaine. La robe de Flory Jagoda a été confectionnée dans une toile de parachute.
Flory avait avant tout une vocation d’enseignante, et parmi tous ses talents, c’est ce qui nous a d’abord rapprochés et déterminé notre collaboration et notre amitié. J’ai rencontré pour la première fois Flory à Washington lors de la remise de son prix à la Fondation nationale pour les Arts. J’étais en vérité intimidé à l’idée de rencontrer une artiste fabuleuse qui avait eu une vie d’une telle amplitude. En la voyant pour la première fois, j’ai eu un mouvement de recul. Elle était étonnamment belle à quatre-vingts ans
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arborant un sourire qui aurait illuminé n’importe quelle pièce. Elle ne devait pas mesurer plus d’un mètre cinquante et je me suis demandé comment autant de force pouvait tenir dans un si petit être. « Vous avez vu ce gars ? » dit-elle avec son bel accent bosniaque en s’efforçant de m’embrasser. Peu après, alors que je mettais sur pied la master class inaugurale de notre programme de formation au répertoire traditionnel, Flory a été la première que j’ai appelée. Flory avait toujours accueilli une foule d’étudiants chez elle, venant d’un peu tous les horizons, non seulement pour avoir la chance de chanter avec leur idole, mais pour passer du bon temps avec elle, l’écouter raconter ses histoires, et s’ils étaient réellement chanceux, d’entr’apercevoir le secret de ses acrobatiques et émouvantes vocalises et, à tout le moins, le chemin de la fontaine de Jouvence. Au moment où je l’ai connue, parmi ses élèves se distinguait une jeune chanteuse ashkénaze qui vivait près de chez elle, Susan Gaeta. « J’ai une belle étudiante en ce moment qui sait vraiment chanter », me dit Flory. « Elle est en parfaite harmonie avec moi. » J’ai écouté Flory et Susan chanter ensemble pour la première fois dans la belle maison de Flory à Falls Church, dans son salon de musique aux larges baies vitrées donnant sur le lac. J’ai rendu visite à plus de 150 collectifs depuis la création de notre programme de formation, mais les premiers ensembles dont je me suis occupé seront toujours magiques à mes yeux et ils ont été la source de mes travaux les plus pérennes, de mes amitiés les plus profondes et les plus durables. Flory et Susan figurent au premier rang de celles-ci. Mon souvenir le plus marquant de cet après-midi est la façon dont le regard de Flory était constamment fixé sur Susan alors qu’elles jouaient, perçant à travers ses lunettes posées sur son nez d’une manière très professorale (c’est le seul souvenir que j’ai de Flory portant des lunettes et j’en suis venu à penser qu’elle les portait surtout pour cet effet.) Fory interrompit plusieurs fois le chant durant la leçon, notant ici un défaut de justesse,
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là une respiration mal placée. Chaque mot judéoespagnol devait être prononcé parfaitement avec un accent bosniaque qui plus est. Malgré toutes les reprises, il y avait un sentiment de légèreté grâce auquel leurs voix s’accordaient facilement. Flory s’en rendait très bien compte et voyait en Susan non seulement une élève talentueuse, mais aussi sa future partenaire sur scène. Le perfectionnisme de Flory était à la fois un mode d’enseignement et l’expression de sa nature profonde, et en Susan elle avait trouvé une élève parfaite. Susan acceptait avec grâce chaque directive, encouragée peut-être en sentant que le chant sépharade vivait déjà en elle et elle avait le chic pour absorber les leçons de Flory avec une vitesse et une constance étonnantes. Elles se produisirent en duo jusqu’à ce que Flory mette fin à sa carrière en 2017. Susan lui rendit encore visite presque chaque semaine, et durant la pandémie, elle lui chanta régulièrement par le truchement d’un écran jusqu’à ses derniers jours. Flory patronna de nombreux autres musiciens en particulier ses propres enfants qui l’ont accompagnée de nombreuses fois sur scène et lors de ses enregistrements. « Chez nous, vous deviez chanter, vous n’aviez pas le choix ! » disait en riant sa fille Betty. Flory a aussi formé en 2014 une autre chanteuse avec le soutien de notre programme : la très talentueuse Aviva Chernick de Toronto. L’enseignement de Flory se poursuivait lors de ses performances sur scène, qui consistaient en un canevas sans couture de récits et de chants. Assister à un concert de Flory signifiait assister à une sorte de master class où se déployaient les richesses du chant, de l’histoire et de la culture sépharades. Le sort des communautés où Flory a grandi est inextricablement lié à l’une des plus grandes tragédies du XXe siècle, mais elle n’a jamais mis l’accent dessus. Bien qu’elle ait pu aborder ses souvenirs traumatiques à la fin de sa carrière, ce qui définit le mieux sa musique et sa vie est un sens profond de la joie. Ses concerts étaient une ode à Vlasenica, la bourgade bosniaque où elle avait grandi. À travers les paroles et les chants,
Flory peignait le tableau vivant d’un lieu où la naissance d’un enfant était l’occasion de réjouissances dans tout le quartier, où les enfants étaient trop excités pour dormir à la veille de la célébration de l’une des nombreuses fêtes qui rythmaient le calendrier, où le chant d’une grand-mère était considéré comme le plus précieux des cadeaux concevables et où les gens dansaient sans retenue et s’abandonnaient à l’amour. Je garderai toujours précieusement en mémoire mes visites à Alexandria dans l’appartement où Flory et son mari Harry s’étaient installés. Une sorte de royaume magique haut perché sur les berges du Potomac. Je prenais l’ascenseur jusqu’au cinquième étage, frappais à la porte 505 et j’étais accueilli par cette petite femme au large sourire qui disait : « Hé ! Regardez-moi ce gars ! » Nous échangions des histoires autour d’un thé et de böreks, et je m’esquivais souvent pour parcourir l’appartement orné d’objets à la beauté discrète assemblés au fil d’une vie. Les murs en particulier étaient couverts de dizaines d’instruments de musique, d’affiches de concert et d’œuvres artistiques dont beaucoup peintes par Flory elle-même. Des photographies de Flory encore jeune fille, posant avec fierté avec l’accordéon qui l’accompagnait lors de son départ clandestin de Zagreb. Une autre qui la représentait avec son mari le jour de leur mariage en Italie, radieuse dans la robe qu’elle s’était taillée dans un parachute de l’armée américaine. Il y avait toujours de douces odeurs qui émanaient de la cuisine, des conversations animées et la préparation méticuleuse du prochain concert, accompagnées de beaucoup de rires et parfois de larmes. Et il y avait la musique. Toujours la musique. Flory était plus qu’une amie et une participante de notre programme de musique traditionnelle ; elle était notre nona et nous la chérirons toujours tendrement.
Jon Lohman
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Hommage à Annette Cabelli
1. Elle a été interviewée en 2012 par Bella Lustyk et Enrico Isacco en judéoespagnol et son témoignage a été recueilli par Pandelis Mavrogiannis à l’occasion du projet de Muestros Dezaparesidos.
Annette Cabelli, l’une des dernières déportées survivantes de Salonique, nous a quittés le 16 janvier dernier. Elle était née le 25 avril 1925 de Jacques Florentin et Ida Taboh. Son père travaillait avec ses frères dans l’import-export à la gare de Salonique. Il mourut alors qu’elle avait seulement quatre ans. Sa mère travailla alors dans la confection, puis comme employée de maison pour subvenir aux besoins de ses trois enfants. Alors que ses deux frères, Albert (Abraham) et Dino (Daniel) fréquentaient l’école de l’Alliance, elle effectua sa scolarité à l’école hébraïque jusqu’à l’âge de seize ans. Les troupes allemandes occupèrent Salonique en avril 1941. La famine ne tarda pas à sévir. Annette ravitailla régulièrement sa famille en allant s’approvisionner chez des paysans. En 1942, l’un de ses frères fut astreint au travail forcé dans une carrière de chaux et elle put obtenir sa libération contre une rançon. En avril 1943, Annette, sa mère, sa tante et ses deux frères furent internés dans le ghetto du Baron Hirsch. Là, elle vit pour la dernière fois son frère Dino, emporté avec d’autres jeunes par un SS. Au terme de huit jours de voyage dans des conditions tragiques, Annette arriva au camp d’Auschwitz Birkenau. Sa mère fut gazée dès son arrivée. Sauvée par une cousine, Annette fut affectée à un dispensaire réservé à des détenues polonaises chrétiennes. Elle y resta jusqu’en avril 1944 avant d’être transférée dans une usine de munitions, l’Union Werke. Sa connaissance des langues, notamment de l’allemand, lui servit de sauf-conduit tout au long de son séjour au camp. Elle put ainsi aider son frère Albert à échapper aux expériences médicales et lui permettre de rejoindre l’usine où elle travaillait.
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Après l’évacuation du camp, elle participa à l’une des « marches de la mort » jusqu’au camp de Ravensbrück. Elle rejoint ensuite le camp de Malchow avant que ses gardes désorientés finissent par l’abandonner au terme d’une nuit en forêt avec ses camarades déportées. Non sans mal, elle réussit à rejoindre la zone américaine. Décidée à ne pas retourner en Grèce où elle avait fait l’expérience de l’antisémitisme, elle choisit de se rendre en France. Elle rencontra en zone d’occupation française un ancien déporté, condisciple de son frère à Salonique, qui allait devenir son mari, Harry Cabelli. Tous deux arrivèrent à Paris le 20 mai 1945 et furent hébergés à l’hôtel Lutétia. Au terme d’une vie marquée par les épreuves, Annette a consacré beaucoup de temps et d’énergie à transmettre la mémoire de sa communauté et à faire connaître son sort funeste durant la guerre 1. Des milliers d’enfants, d’adolescents, d’adultes, de professeurs, d’associations, ont assisté à ces rencontres émouvantes. Elle put nouer ainsi des amitiés durables qui éclaireront les dernières années de sa vie. L’une de ses amies de Nice, Linda Calvo Sixou, la présenta au Centro Sefarad-Israël de Madrid. Des voyages de la mémoire qu’elles firent ensemble en Espagne naquit le désir d’acquérir la nationalité espagnole. En 2017, elle fut l’une des premières à bénéficier des dispositions de la loi sur la nationalité pour les Sépharades. Le 28 janvier 2019, le roi d’Espagne la reçut au palais de la Zarzuela à l’occasion de la journée de la commémoration de l’Holocauste et de la prévention des crimes contre l’humanité. Annette a eu deux filles, Denise et Jacqueline, et un garçon prématurément disparu. Nous présentons à sa famille et à tous ses proches nos très vives condoléances. En pas ke deskanse.
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De gauche à droite : Daniel Florentin, Annette, Ida Florentin (née Taboh), Albert Florentin. Salonique, 1933. Daniel et Ida sont morts en déportation. Collection Cabelli. Photothèque Enrico Isacco.
Annette Cabelli accueillie par le roi d'Espagne Felipe VI au Palais de la Zarzuela à Madrid le 28 janvier 2019.
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Albert Bourla
Commémoration 1. Notamment dans un entretien avec Robert Krulwich organisé par le Museum of Jewish Heritage de New York https ://forward. com/culture/ 464340/pfizerceo-albertbourlacovid-vaccinethessalonikijewishholocaust/ [consulté le 11 mars 2021] 2. https:// www.linkedin. com/pulse/ my-familysstory-why-werememberalbert-bourla/ [consulté le 11 mars 2021]
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Le Dr Albert Bourla, président directeur général de la société pharmaceutique Pfizer a évoqué pour la première fois en public le destin de sa famille durant la Seconde Guerre mondiale. Comme nous l’évoquions dans notre dernier numéro, le Dr Albert Bourla est né et a grandi dans une famille juive de Salonique. Au cours des dernières semaines, malgré un agenda chargé, il a tenu à partager l’histoire de ses parents durant la Shoah 1. Nous reproduisons la traduction française de son texte prononcé le 28 janvier dernier à l’occasion de la Journée de la commémoration de l’Holocauste à Washington DC 2. Commémoration. C’est ce mot peut-être plus que toute autre chose qui m’a conduit à partager l’histoire de mes parents, car je suis conscient à quel point j’ai eu de la chance qu'ils me transmettent leur histoire ainsi qu’au reste de la famille.
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Beaucoup de survivants de la Shoah n’ont jamais évoqué avec leurs enfants les horreurs qu’ils ont subies parce que c’était trop douloureux. Dans ma famille, en revanche, nous avons pu en parler de façon approfondie. Alors que je grandissais à Thessalonique en Grèce, nous nous réunissions avec nos cousins en fin de semaine et mes parents, mes tantes et mes oncles partageaient avec nous leurs récits. Ils le faisaient pour que nous nous en souvenions. Pour que nous nous souvenions de toutes les vies perdues. Pour que nous nous souvenions de ce qui peut arriver quand on laisse le virus du mal se répandre sans restrictions. Et surtout pour que nous nous souvenions de la valeur de la vie humaine. Quand mes parents nous parlaient de la Shoah, ils n’en parlaient jamais avec haine ou un esprit de revanche. Ils ne nous ont jamais enseigné à haïr ceux qui ont fait cela à notre famille et à nos amis. Au contraire, ils disaient combien ils avaient de la chance d’être en vie et à quel point nous devions tous nous construire à partir de ce sentiment, célébrer la vie et aller de l’avant. La haine ne serait qu’un obstacle sur la route. C’est donc animé de cet esprit que je partagerai ici l’histoire de Mois et Sara Bourla, mes chers parents. Nos ancêtres ont fui l’Espagne à la fin du XVe siècle, après que le roi Ferdinand et la reine Isabelle aient promulgué l’édit de l’Alhambra qui décrétait que tous les Juifs d’Espagne devaient soit se convertir, soit être expulsés. Ils se sont établis à Thessalonique dans l’Empire ottoman avant que la ville ne devienne grecque après sa libération en 1912. Bien avant qu’Hitler n’entame sa marche à travers l’Europe, Salonique abritait une communauté juive sépharade florissante. À tel point que la ville était surnommée La madre de Israel, « la mère d’Israël ». Pourtant, une semaine après l’Occupation, les Allemands avaient déjà arrêté les responsables juifs, expulsé des centaines de famille juives et confisqué leurs appartements.
Mois Bourla en uniforme de l’armée grecque vers 1945. Mois Bourla prit part à la guerre gréco italienne de novembre 1940 à avril 1941. En 1945, il est à nouveau appelé comme réserviste dans l’armée grecque.
Leur projet de destruction de la communauté fut accompli en moins de trois ans. Au moment de l’invasion de la Grèce par les Allemands, environ 50 000 Juifs vivaient dans la ville. À la fin de la guerre, seuls 2 000 avaient survécu. Par chance pour moi, mes deux parents faisaient partie des 2 000. La famille de mon père, comme tant d’autres, a été chassée de chez elle et conduite dans une maison bondée de l’un des ghettos. Ils devaient partager l’appartement avec plusieurs autres familles juives. Ils pouvaient entrer et sortir du ghetto à condition de porter l’étoile jaune. Un jour de mars 1943, le ghetto a été encerclé par les forces d’occupation et toute sortie désormais interdite. Mon père, Mois et son frère Into se trouvaient à l’extérieur quand cela est arrivé. En revenant, ils ont croisé leur père qui se trouvait également à l’extérieur. Il leur a dit ce qui était arrivé et leur a demandé de partir et de se cacher. Quant à lui, il devait rentrer, car sa femme et ses deux autres enfants se trouvaient
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à la maison. Plus tard dans la journée, mon grand-père Abraham Bourla, sa femme Rachel, sa fille Graciela et son plus jeune fils, David ont été conduits dans un camp aux abords de la gare ferroviaire. De là, ils ont été déportés à AuschwitzBirkenau. Mois et Into ne les ont jamais revus. Lors de la même nuit, mon père et mon oncle ont fui à Athènes où ils ont pu se procurer de fausses pièces d’identité avec des noms chrétiens. Ces documents leur ont été fournis par le chef de la police qui à ce moment-là aidait les Juifs à échapper aux persécutions des nazis. Ils ont résidé là-bas jusqu’à la fin de la guerre en faisant croire qu’ils n’étaient pas juifs, qu’ils n’étaient pas Mois et Into, mais Manolis et Vassilis. Quand l’occupation allemande a pris fin, ils sont rentrés à Thessalonique et ont découvert que tout ce qui leur appartenait avait été volé ou vendu. Ne possédant plus rien à leur nom, ils ont dû repartir de zéro en s’associant et en développant avec succès un commerce de spiritueux qu’ils ont dirigé ensemble jusqu’à leur retraite. Ma mère a aussi dû se cacher dans son propre pays et elle a échappé de justesse aux horreurs d’Auschwitz. Des liens de famille ont soutenu son moral et au sens propre sauvé sa vie. Comme dans le cas de ma famille paternelle, la famille de ma mère a été transférée dans une maison du ghetto. Ma mère était la benjamine d’une fratrie de sept enfants. Sa sœur aînée avait épousé un chrétien dont elle était tombée amoureuse avant-guerre et s’était convertie au christianisme. Elle et son mari vivaient dans une autre ville où personne n’était au courant de son passé juif. À cette époque, les mariages mixtes n’étaient pas acceptés par la société et mon grandpère n’adressait plus la parole à sa fille aînée pour cette raison. Pourtant quand il devint évident que la famille allait être conduite en Pologne, où les Allemands faisaient espérer une vie nouvelle dans une colonie juive, mon grand-père demanda à sa fille aînée de venir le voir. Lors de leur dernière
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entrevue, il lui demanda de prendre sa plus jeune sœur, ma mère, avec elle. Chez eux ma mère serait en sécurité, car tout le monde ignorait là-bas que sa sœur et elle étaient d’origine juive. Le reste de la famille fut envoyé à Auschwitz Birkenau. Alors que la fin de la guerre approchait, le beau-frère de ma mère est revenu s’installer à Thessalonique. Ma mère était connue en ville et elle devait donc rester cachée jour et nuit à la maison de peur d’être identifiée et remise aux Allemands. Mais elle était encore une adolescente et, de temps en temps, elle s’aventurait à l’extérieur. Malheureusement, lors de l’une de ces sorties, elle fut repérée et arrêtée. Elle fut internée dans une prison de la ville. Ce n’était pas une bonne nouvelle. Il était de notoriété publique que chaque jour, vers midi, un certain nombre de prisonniers étaient embarqués dans un camion et transférés dans un autre lieu où ils étaient exécutés le lendemain à l’aube. Sachant cela, son beau-frère, mon cher oncle chrétien Kostas Dimadis, est allé trouver Max Merten, un criminel de guerre notoire qui était en charge des forces d’occupation nazies en ville. Il paya à Merten une rançon en échange de sa promesse de ne pas exécuter ma mère. Mais sa sœur, ma tante ne faisait pas confiance aux Allemands. Chaque jour, elle se rendait à la prison à midi pour assister au chargement des prisonniers dans le camion qui devait les transférer vers le lieu d’exécution. Un jour, elle vit ce qu’elle redoutait : ma mère monter dans le camion. Elle courut à la maison prévenir son mari qui appela immédiatement Merten. Il lui rappela leur accord et chercha à lui faire honte de ne pas avoir respecté sa parole. Merten lui dit qu’il verrait ce qu’il en était et raccrocha brusquement. Alors commença pour ma tante et mon oncle la nuit la plus longue de leur vie, car ils savaient qu’au matin suivant ma mère serait probablement exécutée. Le lendemain – de l’autre côté de la ville – ma mère fut alignée contre un mur avec d’autres prisonniers. Quelques instants avant
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que soit donné l’ordre de tir, un soldat sur une motocyclette BMW arriva et tendit des papiers à l’homme en charge du peloton d’exécution. Ils firent sortir ma mère et une autre femme du rang des prisonniers. Alors qu’elles s’éloignaient, ma mère entendit le son des mitrailleuses abattant ceux qui étaient restés en arrière. C’est un son qui devait la hanter tout le restant de ses jours. Deux ou trois jours après, elle était libérée de prison et quelques semaines plus tard, les Allemands quittaient la Grèce. Huit années se sont écoulées et mes parents ont fait connaissance lors d’une rencontre organisée par leurs familles comme cela se pratiquait à l’époque pour marier les jeunes. Ils se sont plu et ont accepté de se marier. Ils ont eu deux enfants, ma sœur Seli et moi. M o n p è re n o u r r i s s a i t d e u x rê v e s m e concernant. Il souhaitait que je devienne un scientifique et que j’épouse une agréable jeune fille juive. Je dois dire avec joie qu’il a vécu assez longtemps pour voir ces deux rêves se réaliser. Malheureusement il est décédé avant que nos enfants voient le jour, mais ma mère a vécu assez longtemps pour les connaître, ce qui a été la plus grande des bénédictions. Ainsi s’achève l’histoire de Mois et Sara Bourla. Une histoire qui a eu une influence déterminante sur ma vie et ma vision du monde et que je partage pour la première fois publiquement. Quand j’ai été invité à intervenir à cette occasion – dans ce moment particulier où le racisme et la haine déchirent le tissu de notre grande nation américaine – j’ai senti que le temps était venu de partager l’histoire de deux personnes modestes qui ont été aimées de leur famille et de leurs amis. Deux personnes qui ont su résister à la haine et construire une vie pleine d’amour et de joie. Deux personnes dont le nom est connu de très peu, mais dont l’histoire vient d’être évoquée devant les membres du Congrès des États-Unis, l’assemblée législative la plus importante et la plus prestigieuse au monde. De cela leur fils est très fier.
Cela me ramène à la notion de commémoration. Alors que le temps s’écoule inexorablement et que les évènements du présent s’éloignent un peu plus de nous chaque jour, je ne m’attends pas à ce que vous reteniez le nom de mes parents, mais je vous demande instamment de garder en mémoire leur histoire ; car le fait de commémorer donne à chacun d’entre nous la conviction, le courage et la compassion nécessaires pour tout faire afin que leur histoire ne vienne pas à se répéter.
Mois et Sara Bourla lors de leur voyage de noces à Istanbul sur le Bosphore.
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Izo Abram
Les archives de la communauté juive de Salonique L’histoire de la communauté juive de Salonique remonte à 2 300 ans. Avec l’arrivée au début du XVIe siècle des expulsés d’Espagne, du Portugal et de l’Italie du Sud − qui à l’époque était rattachée à la couronne d’Aragon − elle devient la communauté religieuse majoritaire de la ville. Le système administratif ottoman lui accorde une large autonomie dans la gestion de la vie quotidienne de ses membres, ce qui l’oblige à tenir des registres détaillés et à constituer des archives pour toutes ses activités. La tenue des registres et des archives se poursuivra après la fin de la période ottomane et l’incorporation de la ville à la Grèce en 1912, jusqu’à nos jours ; mais en 1941 lors de l’occupation allemande, les archives accumulées jusque là sont confisquées et transférées en Allemagne. Toute la population juive est alors déportée vers les camps de la mort ; seuls 4 % des Juifs de Salonique survivront à la guerre et s’efforceront de redonner vie à la communauté. Quant aux archives, elles ont été retrouvées pour partie par les armées alliées
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et envoyées dans leurs pays respectifs. C’est ainsi, qu’aujourd’hui une grande partie d’entre elles se trouve à Moscou, une autre partie à New York et en Israël et seuls quelques dizaines de documents se trouvent encore à Salonique. La dispersion géographique des archives représente un défi important tant pour les historiens que pour le public intéressé par l’histoire familiale. Actuellement, la communauté s’efforce de reconstituer ses archives d’avant-guerre, à partir de microfilms et de documents numérisés. Cet article présente les différents registres d’état civil de la communauté de Salonique et les informations qu’ils peuvent fournir.
Salonique au XXe siècle Au début du XXe siècle, la ville de Salonique est encore partie intégrante de l’Empire ottoman. Outre son port qui dessert tous les Balkans, elle abrite la plus grande communauté juive du pourtour méditerranéen. Selon le recensement ottoman de 1905, parmi les 98 000 habitants de Salonique, 48 000 étaient juifs, 32 000 musulmans − dont la majorité étaient des dönmes, c’est-àdire des Juifs convertis à l’Islam au XVIIe siècle à la suite de leur « messie » Sabbetaï Sevi, et qui pratiquaient des rites crypto-judaïques − et 15 000 Grecs. La prééminence de la communauté juive donnait à la ville un caractère particulier, où l’activité du port et du marché s’arrêtait le samedi, et où toute la population parlait – ou du moins comprenait − le judéo-espagnol. La majorité des Juifs, quelque 8 000 familles, étaient pauvres et travaillaient dès leur plus jeune âge quinze heures par jour comme ouvriers dans les usines de tabac, de textiles, de chaussures ou comme portefaix et dockers au port. Ils habitaient dans des quartiers subventionnés par la communauté juive, tels que les faubourgs « Baron Hirsh » − nommé d’après le bienfaiteur qui l’avait subventionné −, Reji Vardar − près de l’usine de la régie des Tabacs − ou le Tenekyel Malé − ce qui en turc signifie bidonville. Une classe moyenne
de boutiquiers et d’agents commerciaux, regroupait quelque 2 000 familles, et on comptait aussi quelques dizaines de familles de grands industriels, banquiers et propriétaires, comme les Allatini ou les Modiano, d’ascendance italienne. Après l’incorporation de la ville à la Grèce en octobre 1912, le premier recensement grec d’avril 1913 révèle une augmentation de la population de Salonique qui atteint alors 158 000 personnes (+60 % en huit ans), comprenant 61 500 juifs (+28 %), 46 000 musulmans, dont la moitié des dönmes (+44 %) et 40 000 grecs (+166 %). Une partie de cette augmentation est probablement due à l’enregistrement plus fiable de la population par le gouvernement grec, mais son amplitude témoigne néanmoins de l’attractivité de la ville. L’intense activité économique de Salonique attirait de nombreux migrants venus des villes voisines, surtout de Monastir, de Stroumsa ou de Cavala. La deuxième décennie du XX e siècle fut marquée par d’incessants conflits. Les guerres balkaniques de 1912 à 1914, suivies de la Première Guerre mondiale de 1914 à 1918, et enfin la guerre greco-turque de 1919 à 1922. Lors de la Première Guerre mondiale, Salonique se trouvait en première ligne du front d’Orient, et quelque 250 000 soldats alliés (Français, Italiens, Anglais), ont été stationnés dans des camps militaires autour de la ville. Le 18 août 1917, un incendie majeur dévasta la totalité du centre-ville, où habitait la majorité des Juifs réduisant en cendres les maisons, les boutiques, les institutions de la communauté y compris 35 synagogues, les écoles et les bibliothèques. Quelque 52 000 Juifs restèrent sans abri. La communauté les hébergea au début sous des tentes, puis dans des logements sociaux qu’elle construisit dans les quartiers n° 6 et n° 151 nommés d’après les hôpitaux militaires qui occupaient ces terrains lors de la Première Guerre mondiale. La destruction de la ville amorça une émigration des Juifs de Salonique vers l’Europe − surtout vers la France, grâce à la langue qui était enseignée dans les écoles de l’Alliance israélite
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universelle et à la Mission laïque française −, les États-Unis et la Palestine, mouvement renforcé par la récession de la Première Guerre mondiale. Le gouvernement grec saisit l’occasion pour moderniser la ville, changer son caractère multiethnique et la transformer en ville grecque, surtout après l’expulsion des musulmans − y compris des dönmes − et l’aff lux de 100 000 réfugiés grecs d’Asie Mineure à la fin de la guerre gréco-turque et les accords de Lausanne en 1923. L’hellénisation de la ville se poursuivit avec l’imposition du repos dominical − au lieu du samedi qui était de règle à Salonique jusque-là −, l’interdiction de la comptabilité en caractères judéo-espagnols ou solitréo dans les boutiques, l’interdiction de rédiger des affiches en d’autres langues que le grec, l’établissement de bureaux de vote et de collèges électoraux séparés pour les Juifs et, dans les années 1930, l’interdiction des écoles en langue étrangère. L’arrivée des réfugiés en 1923 créa une rivalité intercommunautaire qui ne fit que s’accroître avec des campagnes de presse et la formation d’organisations antisémites. Ce mouvement atteint son point culminant avec le pogrom et l’incendie criminel du quartier ouvrier juif de Campbell en 1931. Ce pogrom renforça l’émigration et quelque 10 000 Juifs prirent alors le chemin de la Palestine mandataire, dont en particulier des dockers vers le port de Haïfa. À l’entrée en guerre de la Grèce en octobre 1940, quelque 9 000 Juifs de Salonique furent appelés sous les drapeaux pour aller se battre en Albanie contre les Italiens. Les Allemands venus en renfort des Italiens occupèrent Salonique en avril 1941, et au bout de quelques mois commencèrent les mesures restrictives, les confiscations, les travaux forcés, les ghettos. Le 15 mars 1943, le premier convoi de 2 800 personnes partit à destination d’Auschwitz Birkenau. Les convois se succédèrent tous les deux ou trois jours transportant au total 48 000 personnes. Cinq mois plus tard, il n’y avait plus de Juifs à Salonique. Quelque 500 Juifs qui possédaient une nationalité étrangère − espagnole, italienne ou britannique − ont pu
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se sauver avec l’aide des consuls de leurs pays, quelque 650 jeunes hommes et femmes ont pu rejoindre la Résistance organisée par le parti communiste pour combattre les Allemands, et quelques-uns ont pu se cacher, souvent en partant vers les villes du sud ou vers la Turquie. Après la guerre, 2 000 Juifs survivants revinrent à Salonique, la plupart seuls, ayant perdu tous les autres membres de leurs familles. Ils essayèrent de refaire leur vie avec l’aide d’organismes comme l’American Joint Distribution Committee, mais trouvèrent tous leurs biens, quelque 2 000 boutiques et 10 000 maisons ou appartements, occupés par leurs anciens voisins ou par des collaborateurs des Allemands. Ils se lancèrent alors dans d’interminables batailles juridiques pour en obtenir la restitution, mais seules 50 boutiques et 300 maisons revinrent à leurs anciens occupants ou propriétaires. Aujourd’hui, la communauté juive de Salonique compte moins de 1 000 membres.
Les registres de la communauté juive de Salonique Dans l’Empire ottoman, chaque communauté religieuse, juive, chrétienne ou musulmane, était considérée comme une nation à part, un millet en turc. Les musulmans constituaient la communauté dominante et les autres étaient considérées comme « protégées ». Chaque communauté outre ses lieux de culte, synagogues, églises, ou mosquées, avait également ses écoles, hôpitaux, services médicaux, orphelinats, logements pour les pauvres, pour les personnes âgées, services d’assistance aux nécessiteux, leur procurant nourriture, vêtements, dot pour le mariage des filles, etc. Les communautés disposaient de leurs propres tribunaux, police et prisons. Elles fonctionnaient comme de petits états autonomes au sein de l’Empire ottoman, et par conséquent elles étaient dotées d’un appareil bureaucratique et d’archives administratives. Le gouvernement ottoman ne traitait donc pas
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directement avec ses citoyens, mais à travers leurs communautés. Le montant des impôts et des taxes était fixé pour chaque communauté qui devait ensuite en répartir la charge entre ses membres, le collecter et le reverser au gouvernement ottoman. Tout sujet ottoman devait s’enregistrer auprès de la communauté de son lieu de résidence et recevait un certificat appelé tezkere qui faisait office de carte d’identité ou de passeport pour toute démarche officielle. Ainsi, la communauté juive de Salonique disposait de registres d’état-civil complets, couvrant les naissances, les mariages et les décès de tous ses membres, ainsi que de registres de famille. Ces registres étaient manuscrits en judéo-espagnol dans la graphie dite solitréo, la cursive sépharade de l’alphabet hébraïque. Salonique a été incorporée à la Grèce en 1912, mais la tenue des registres communautaires de
la période ottomane a perduré encore plusieurs décennies. Pour chaque acte d’état civil, il fallait d’abord être déclaré dans les registres communautaires et, ensuite, présenter le certificat de la communauté aux services municipaux. L’enregistrement obligatoire auprès de la communauté s’est poursuivi au moins jusqu’en 1982, lorsque le mariage civil a été instauré en Grèce. La suppression de la mention obligatoire de la religion sur les cartes d’identité grecques n’a été acquise que par une loi de 1997 et une décision du Conseil d’État de 2001. Lors du grand incendie d’août 1917, presque toutes les archives de Salonique ont été détruites. Le seul registre antérieur à l’incendie préservé jusqu’à nos jours est un registre de migrants de 1905, concernant des personnes nées en dehors de Salonique. Après l’incendie, à la fin de 1917 et au
Présentation des registres avec le fac-similé de l'original en caractères hébraïques et sa transcription en caractères latins. Source : Izo Abram.
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début de 1918, la communauté a lancé un recensement en inscrivant tous ses membres, groupés par familles, dans 24 volumes comprenant chacun de 200 à 300 pages. Ces livres ont été utilisés par la suite comme registres de famille, en ajoutant dans la section correspondant à chaque famille toute nouvelle naissance, mariage ou décès ; en outre, toute nouvelle famille venant à s’installer à Salonique était ajoutée aux registres. En 1917, ont été créés également, de nouveaux registres de naissance, de mariage et de décès où étaient inscrits au jour le jour les actes correspondants. En plus des registres, les archives comprenaient également les milliers de documents produits par les différents départements administratifs de la communauté. Les Allemands ont confisqué en 1941 toutes ces archives et les ont transférées en Allemagne, afin de constituer un musée « de la race disparue ». Ils les ont entreposées en deux ou trois localités différentes. À la fin de la guerre, l’armée russe a retrouvé une grande partie de ces archives et les a envoyées à Moscou. Le musée de l’Holocauste de Washington a réalisé des microfilms de ces documents et les a numérisés les mettant ainsi à disposition du public. Des microfilms des archives de Moscou se trouvent également au Centre de recherches sur la diaspora de l’université de Tel Aviv. L’armée américaine a aussi retrouvé des archives. Une partie se trouvait dans un entrepôt qui contenait également des archives de Vilna et d’autres villes d’Europe de l’Est. L’ensemble du contenu de l’entrepôt, y compris les archives de Salonique, a été envoyé au YIVO, l’institut d’études yiddish de New York. Ces archives ont également été microfilmées et numérisées et sont désormais accessibles au public. Une deuxième partie des archives a été restituée à la Grèce par les Américains et conservée par la communauté de Salonique. En 1970, la communauté a envoyé la plupart de ces documents aux Archives centrales pour l’histoire du peuple juif (Central Archives for the History of the Jewish People – CAHJP) à Jérusalem. Deux ou trois caisses sont restées à Salonique et ont été retrouvées
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et cataloguées par Devin Naar, un étudiant américain, aujourd’hui professeur titulaire de la Chaire d’études sépharades de l’université de Washington à Seattle, venu à Salonique en 2006 comme Fulbright Scholar pour y effectuer des recherches doctorales. C’est dans ces caisses qu’il a identifié le registre d’immigrants de 1905.
Le registre d’immigrants de 1905 Le registre d’immigrants de 1905 est l’un des rares documents administratifs de l’époque ottomane à avoir survécu à l’incendie de 1917 et à la Seconde Guerre mondiale. Il se trouve aujourd’hui au musée juif de Salonique. C’est un document en judéo-espagnol de 80 pages, manuscrit en solitréo, que la communauté avait préparé pour le recensement ottoman de 1905. Comme il s’agit d’un texte administratif, il contient un grand nombre de termes en turc ottoman, particulièrement lorsqu’il s’agit d’actes officiels ou de professions. Il est intitulé Defter nefus yabandji ce qui signifie en turc « registre de la population étrangère », et répertorie tous les sujets ottomans établis à Salonique originaires d’autres villes. Après 1905, la communauté a continué à utiliser ce registre pour inscrire les nouveaux arrivants jusqu’en 1925, en inscrivant à chaque fois la date de leur installation à Salonique. Ce registre comprend 1 465 personnes, groupées par familles, et résidant dans quatre quartiers différents de Salonique. La section recensant les personnes déjà établies à Salonique en 1905 comprend 227 familles, correspondant à 388 hommes et 318 femmes. Avec l’enregistrement des mariages et des naissances qui ont eu lieu après 1905, le total s’élève à 452 hommes et 408 femmes. Parmi les immigrants présents en 1905, on note l’historien réputé Merkado Kovo, trente-deux ans, venu de Serres et de profession « enseignant ». La section des immigrants arrivés après 1905 comprend 157 familles, correspondant à 333 hommes et 272 femmes. La prépondérance numérique des hommes est due au fait que
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plusieurs « familles » sont composées d’un seul membre, ce qui est assez courant dans une population immigrée. Les immigrés sont originaires de 63 villes différentes, principalement de Gallipoli en Turquie (254 individus), de Cavala aujourd’hui en Grèce (206 individus), de Tchanakkale en Turquie (134 individus) et d’Istanbul (92 individus). Il faut noter que même après 1912 et le rattachement de Salonique à la Grèce, l’immigration provenant de villes restées turques n’a pas cessé. Les chefs de famille exercent 105 métiers différents, principalement ouvrier (112 individus), docker (35 individus), domestique (20 individus), vendeur de tissus imprimés (17 individus).
Le recensement de 1917-1918 Après l’incendie de 1917, toute la population de la communauté juive de Salonique a été recensée dans 24 grands volumes, utilisés par la suite comme registres de famille jusqu’en 1941, quand les Allemands les ont confisqués. Parmi ces 24 volumes, 7 ont été identifiés. Les volumes 13B (lettre Nun), 16 (lettre Kof ) et 17B (lettre Shin) se trouvent à l’institut YIVO à New York, alors que les volumes 9 (lettre Yod), 10 (lettre Kaf ), 13A (lettre Mem) et 14 (lettre Sameh) se trouvent à Moscou ; des microfilms et des pages scannées sont disponibles au musée de l’Holocauste de Washington. Toutes les personnes qui ont vécu à Salonique entre 1917 et 1941, regroupées par familles, sont répertoriées dans ces registres. Chaque volume comprend de 5 000 à 6 000 noms, mais avec quelques doublons ; quand l’enfant d’une famille se marie, il est ainsi inscrit dans la section concernant sa nouvelle famille. Pour chaque personne, plusieurs informations sont fournies, réparties en colonnes identifiées par des titres imprimés. En particulier, on note l’âge déclaré au recensement, les dates de naissance, de mariage et de décès si elles sont postérieures à 1917, la profession, l’adresse, et si la famille a été sinistrée lors de l’incendie. Plusieurs colonnes concernant
la situation lors de l’incendie (intitulées dégâts subis, somme assurée, catégorie sociale, aide matérielle reçue) n’ont pas été renseignées lors du recensement. Elles ont été utilisées par la suite pour inscrire des renseignements administratifs autres que ceux correspondant aux intitulés, tels que les références des différents certificats ou les déclarations concernant les actes d’état civil. Un exemple d’une page du recensement transcrit en caractères latins est reproduit en page 18. Il s’agit de la page 360 du volume 13B (lettre Nun). La dernière famille sur cette page (n° 507) est celle de l’historien Joseph Nehama, auteur entre autres de l’œuvre monumentale Histoire des israélites de Salonique en 7 volumes et du Dictionnaire du Judéo-espagnol. Après son prénom est noté le prénom de son père (David), sa date de naissance le 1er mars 1880, sa profession « directeur d’école » et il est indiqué que sa maison fut sinistrée lors de l’incendie. À la deuxième ligne figure le nom de son épouse Meri née le 29 juin 1887 ainsi que la date de leur mariage, le 14 décembre 1914, déclarée a posteriori au grand rabbinat le 15 décembre 1933. À la troisième ligne est reporté le nom de leur fille Nora née le 18 août 1915.
Le registre des mariages Le registre des mariages consiste en deux volumes où les mariages sont consignés par ordre chronologique, jour par jour. Il commence le 13 août 1917, date du calendrier julien, correspondant au 26 août du calendrier grégorien, immédiatement après l’incendie de la ville et se termine le 24 juin 1941, quand il a été confisqué par les Allemands. Il contient la mention de plus de 10 000 mariages. Comme l’indique l'extrait reproduit en page 19, pour chaque mariage se trouve la date selon le calendrier hébraïque et le calendrier julien, le nom complet de chacun des deux époux (prénom, nom du père et du grand-père paternel, nom de famille). Parfois, le prénom est accompagné de la mention yat’’ pour les hommes et yet’’ pour les femmes, ce
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Numero de orden
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reportado de ariva
reportado abasho
se raporto al folio 349
8
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19
741
se raporto al folio no' 321
9
Sotosektor
No' del resansiman
Numero Sektor
Nombre de la kaleja i numero de la morada atuala
kazamiento kontraktado el 14/12/914 segun G.R. 39/1279 15/12/933 18 Agosto 1915 37/368
1/3/1880
11/6/922 djornal 1/139
Nehama
kazo al 22 Elul 680 - 1/57
Yosef David
Total de almas por famiya Ombres Mujeres
su ijo Yosef
retirador
ergat
komertchante
10 Nisan 678
Anyo de nashita
su mujer Estrea nasida Ben Veniste
37
26
" " Eliezer
Nehama
38
" ijo Shelomo
58
54
Nehama
su mujer Sara
Yosef Shelomo
" " Sinyora
" ijo Estrug
5
" ija Mazal Tov
37
37
Nehama
su mujer Oro
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8
506/2 Saoul Yosef
506
505
14
" " Alegre
47
" ija Sol
Nehama
Idad
37
Nehama Itzhak
504
Alkunya
Idad aproksimativa
si
si
non
si
Sinistrado o non
su mujer Ester
Nombre i nombre de su padre
Nombre i alkunya Kaza
Mobilia
5004
O2250
4998
Butika
Djenero del danyo somportado
Extrait de la transcription du registre du recensement des Juifs de Salonique (1917-1918).
No. de orden
360 Suma asegurad a Prove
39/1279
37/368
39/1279
39/1279
146/50
39/824
NonMediano menest erozo
Kategoria del sinistrado Pan
Karvon
Ropas
63/153
58/224
29/284
29/284
Letche
Djenero de los ayudos dados
djornal 1/21
n''e el 27 Nisan 5694 - 3/199
n''e 11 Agosto 1937 - 4/88
Observasion
360
| AVIYA DE SER… LOS SEFARDIM
AVIYA DE SER… LOS SEFARDIM |
120
Anyo 5697
1937
Data del kazamiento
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yat'' Yakov
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David (Haim)
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Shemuel Itzhak
Shemuel Beniamin
Moshe Yosef
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Ovadia Barzilai
Yosef
Itzhak (Haim) Yosef
Haim Ishaya
yat'' Avraam (Alberto) Shelomo Merkado
Izak
Mordohai David
Shelomo Itzhak
Nisim Aaron
Shelomo Avraam
Shemuel Ovadia
Moshe Shemuel
Moshe Sulema
Nisim Aaron
Itzhak Yosef
Yosef Moshe
Yuda Bohor
Yakov Matatia
Yuda Yakov
Haim Yosef
Menahem Moshe
Yosef Moshe
Levi Moshe
Aruh
Kazes
Shelomo
Hasid
Karaso
Asher
Barzilai
Itzhak
Monson
Tores
Atias
Taboh
Barzilai
Israel
Sirioti
Koen
Levi
Veisid
Arditi
Saias
Pilo
Hazan
Nehama
Sion
Faradji
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Italia Yashan
Estrug
Pulia
Italia Hadash
Provinsia
Kiana
Mayor
Gerush
Aragon
Italia Hadash
Portugal
Gerush
Aragon
Otranton
Neve Tzedek
Pulia
Oreah
Pulia
Mayor
Italia Yashan Sisilia Hadash Kastilia
Kastilia
Nombre dela novia
No' del estado sivil
No. del rejistro ande el akto fue raportado
Eliaou Haim
Israel
Andjel
Salem
13/351
14/266
15/291
17/348
16/177
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9/76
1/210
17/183
"
"
"
"
"
Saloniko
401
490/1
1056
642
166
535
172
8/180
15/410 181
13/16
9/76
1/210
472/2
12/250 826/3
774/1
758/2
17/183 876/2
7/136
13/490 B/383
14/383 B/369
15/402 B/394
17/450 B/390
16/322 B/372
Sivdad de nasensia
Itzhak Itzhak
Modiano
"
Familia (Novia) Numero (Novio) Ester yet'' de
Shelomo Yosef
Meshulam
15/410
Novia
Djulia yet'' de
Itzhak Moshe
8/180
Novio
Luna yet'' de
Pinhas Shem Tov
7/136
Alkunya
Djulia ija de
15/108
Nombre del padre
Sol yet'' de
Amarilio
Grasia yet''
Estrea yet'' de
Sinyora ija de
Itzhak Yakov
Yuda Shemuel
Itzhak
Nahum Eliaou
Mordoh
Gatenio
Huli
5/262
2/274
14/160
13/73
6/98
7/59
"
"
"
1238
203
37
5/182
7/49
13/73
6/98
7/59
293
265/4
187/2
5/266
2330/2 2/446
B/398
B/396
B/391
B/387
517b/2 14/406 B/388
88/5
10/117
11/287
15/416 B/389
Reina ija de
1298
10
B/395
14/392 B/386
"
B/400
"
542/2
9/317
5/182
6/120
117/2
B/384
7/49
254
7/22
5/72
10/117
"
38
12/196 1014
11/109
6/120
"
486
Beja
14/168
7/22
"
Huli
Gatenio
9/55
12/196
Haim Yosef Yosef Bohor
Zara
5/72
B/393
Shelomo Haim
Sara ija
Menahem Moshe
Molho
8/204
Alegre yet'' "
Redjina yet'' "
Shelomo Haim
15/163 42b/1
"
Miriam ija de
267
B/402
15/170 786/B/3 12/426 B/401
"
B/405
15/163
460/2
B/403
8/20
1036/1 5/342
Pardo
296
9/92
16/340 B/406
David Sabetai
203b
7/397
17/244 2469/1 2/328
5/81
17/477 B/407
" "
1037
16/231 B/411
Sara
"
388
827/2
17/166 451/2
7/231
847/3
B/399 15/170
Ksanthi
395
14/67
2254/1 2/251
1895/1 2/77
9/92
"
Saloniko
105
11/160
195b/2 8/86 12/297
5/81
"
196
1/264
2/72 Varsano
9/208
17/244
"
442b
4/15 Pardo
5/81
7/231
"
647
1883 Yuda Eliaou
Yosef
2/325
17/166
"
35
" "
Eliaou Shemuel
Barzilai
16/30
14/67
"
" Rikula
" "
Yosef Baruh
Saltiel
7/259
11/160
" Duka
Shalom Aaron
Hagouel
17/367
1/264
2/72
Mazal Tov ija
Moshe Eliaou
Simha
16/227
4/15
Shoshana yet''
Haim Efraim
Salmona
2/241
2/77
Djulia ija
Nisim Shelomo
Levi
8/86
Estrea yet'' de
Moshe Shelomo
Alaluf
Yom Tov Merkado Atias
Ester yet'' de
Yosef Moiz
9/306
Esterina ija
Yakov Yuda
B/412
B/404
Esterina "
116/2
Sunhula yet'' de
Miriam " "
Esterina " "
B/397 Tarfon
Numero del Bet Din Djandja (Djamila) yet'' de Moshe Meir
Nombre
REJISTRO DE KAZAMIENTO
15
"
17
"
Moshe
Itzhak Yakov
Nombre de la keila a la kuala apartiene el novio
16
29 "
21
"
Izak
Sivdad de nasensia
17
27
21
"
Issahar (Zeharia)
No. de orden
18
7 Shevat
25
"
Alkunya
19
5 Shevat
26
"
Nombre del padre
20
9 Shevat
9
"
24
Nombre
21
"
31
Data grega
22
13
"
Data ebraika
23
14
"
3 Djenayo
24
12
"
25
19
alm'' de Sara Eliaou Eliezer n''e el 21/8/936 - 4/57
26
almon de Esterina Moshe Hasid n''e el 16/2/936 - 4/42
27
"
Extrait de la transcription du registre des mariages.
Observasion
divorsada de Ovadia Moshe Pitchon 9 Sivan 692 - 2/86
meouberet del mizmo novio segun Bet Din 20/41
120
KAMINANDO I AVLANDO.38 | 19 |
| AVIYA DE SER… LOS SEFARDIM
qui est une abréviation de l’hébreu yatom (orphelin) et yetoma (orpheline) indiquant qu’à la date du mariage le père de cette personne était déjà décédé. Sont notées également la ville de naissance de chacun des deux époux, ainsi que la synagogue d’appartenance du marié. On remarque que la plupart des synagogues mentionnées portent les noms des régions d’origine de leurs membres : Mayor (Majorque), Pulia (en Italie du sud), Italia Yashan, Sisilia Hadash, Kastilia, Otranton (en Italie du sud), Aragon, Portugal, Provinsia… Pour les personnes nées hors de Salonique, il est indiqué oreah (invité en hébreu). Il existait 32 synagogues traditionnelles à Salonique établies avant le XVIIIe siècle, ainsi qu’une dizaine de synagogues et oratoires plus récents, comme la synagogue des Monastirlis (fondée en 1925 par les immigrés de Monastir – Bitola) qui a survécu à la guerre et est aujourd’hui la synagogue principale de Salonique. De plus, pour certaines personnes on trouve des observations particulières, comme par exemple le mot almon/almana (veuf/veuve, en hébreu) ou le mot meouberet (enceinte, en hébreu).
Le registre de naissances Le registre de naissances comporte quatre volumes, mais les volumes 1 et 4 n’ont pas encore été retrouvés. Les volumes 2 et 3 ont été récupérés par l’armée russe et sont à Moscou. Il en existe aussi une copie numérique au musée de l’Holocauste à Washington. Ils couvrent la période de 1924 à 1939, soit 15 ans, et répertorient plus de 10 000 naissances. Nous reproduisons ci-contre un extrait du registre des naissances, transcrit en caractères latins. Pour chaque naissance, nous avons dans l’ordre et en colonnes, la date, les informations sur le père et la mère (prénom, nom du père, nom de famille, ville de naissance), la synagogue d’appartenance du père, le prénom du nouveau-né, les références des différents registres afférents à la naissance, l’adresse de résidence de la famille et
| 20 | KAMINANDO I AVLANDO.38
sous la rubrique « observation » le nom du circonciseur, pour les garçons. On remarque que sur cette page qui comporte 28 naissances, 21 sont des garçons et seulement 7 sont des filles. Ceci se vérifie sur toutes les pages, chaque année, sont déclarées 500 à 600 naissances de garçons et seulement 150 à 200 de filles. Si, pour les garçons, il n’était pas possible de négliger la déclaration puisqu’elle s’imposait à la circoncision, pour les filles on pouvait l’omettre, et quelques années plus tard, lorsqu’on avait besoin d’un certificat officiel, faire une déclaration a posteriori en déclarant une date de deux ou trois ans plus tardive. Ainsi, la jeune fille apparaissait plus jeune et attractive à l’heure de se marier et requérant une dot moins élevée. La communauté juive de Salonique disposait de registres d’état civil complets sur les naissances, les mariages, les décès et les familles de tous ses membres. Les registres antérieurs à la Deuxième Guerre mondiale, confisqués par l’armée allemande et transférés en Allemagne, ont été retrouvés par les armées alliées à la fin de la guerre, et sont aujourd’hui dispersés en plusieurs endroits. Des copies numérisées sont actuellement à la disposition du public. Plusieurs registres ont été répertoriés, et la transcription des volumes disponibles en caractères latins a commencé, permettant de reconstituer une partie des archives communautaires. Ces registres transcrits, en plus de leur intérêt généalogique, nous donnent une image assez complète de la société juive de Salonique d’avant la guerre en nous renseignant sur la composition des familles, leurs métiers, leurs lieux de résidence, leur situation sociale, etc., ouvrant ainsi la voie à des études historiques et sociologiques de cette époque. Cet article a pour source un entretien en judéo-espagnol lors d’El Enkontro de Alhad du 3 janvier 2021 entre le professeur Devin E. Naar, titulaire de la chaire Isaac Alhadeff d’études sépharades à l’université de Washington à Seattle et le Dr Izo Abram, ancien directeur de recherche au CNRS. Les Enkontros de Alhad sont organisés par le Centro Cultural Sefarad de Buenos Aires.
AVIYA DE SER… LOS SEFARDIM |
87
Anyo 5696 - 1935
Data del nasimiento Padre
Nombre i alkunya de los parientes Madre
464
463
462
461
460
459
458
457
456
455
454
453
452
451
450
449
448
8
12
8
7
."
8
3
2
3
2
."
30
28
29
30
."
"
"
"
"
"
"
"
"
"
"
"
"
2 Otobre
."
"
"
"
"
"
"
"
19 Setembre
Itzhak
Ovadia
Alberto
Shelomo
Yakov
Haim
Moshe
Avraam
Yakov
Sulema
Mordohai
Yakov
Israel
Saoul
Itzhak
Alberto
Shemuel
Shemuel
Haim
Itzhak
Sabetai
Yosef
Yosef
Avraam
Avraam
David
Baruh
Itzhak
Itzhak
Menahem
Shemuel
Gedalia
Yosef
Itzhak
Beniamin
Itzhak
Moshe
Yoshua
Aaron
Avraam
Shelomo
Moiz
Moiz
David
Yuda
Shem Tov
Avraam
Avraam
Petilon
Brudo
Grotas
Levi
Nahum
Sirioti
Koen
Hasid
Akuni
Parente
Ben Veniste
Gershom
Koen
Menahem
Pardo
Sazbon
Koen
Pipano
Koen
Hason
Nahmuli
Nahmuli
Aaron
Menashe
Sevi
Ovadia
Koen
Rashel
Buena
Ester
Sol
Djulia
Benuta
Rashel
Dezi (Dudun)
Ester
Riketa
Sol
Grasia
Esterina
Alegre
Sara
Grasia
Matika
Karolina
Andjel
Lea
Vida
Lusi
Lusi
Ana
Palomba
Dudun
Lora
Sol
Avraam
Shelomo
Yosef
David
Yehiel
Haim
Nisim
Moiz
Haim
Shelomo
Yoshua
Beniamin
Mordohai
Itzhak
Sabetai
Sion
Gabriel
Yakov
Hananel
David
Shelomo
Avraam
Avraam
Yosef
Yosef
Avraam
Mentesh
Yuda
Yakov
Koen
Sevi
Esformes
Abravanel
Koen
Sevi
Haim
Saltiel
Beraha
Ashkenazi
Venezia
Soto
Andjel
Esformes
Sefiha
Esformes
Ashkenazi
Naar
Peso
Sadikario
Andjel
Andjel
Halegoua
Mano
Ben Rubi
Ben Veniste
Testa
.
Saloniko
Sheres
Saloniko
Kavala
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
"
"
"
"
"
"
"
"
"
"
Monastir
Kairo
.
"
Florina
.
"
Saloniko
.
"
"
"
Saloniko
Monastir
Drama
"
Registro ande la nasensia fue raportada
Alberto
Esterina
Θ 357
Θ 399
Θ 388
Θ 339
460/1
2165b/3
101b
151/2
307/3
149/1
13/468
13/468
2/475
12/54.
14/54
15/89
10/59.
.
Tenekye Male
. "
Reji A/30
Reji bloko 43
Tenekye Male 361
Odiseos 28
Ptolemeon 24
Reji bloko 3
H' Avraam Yosef Kamhi
H' Avraam Yosef Kamhi
H' Avraam Yosef Kamhi
Baruh Avraam Sion
H' Avraam Yosef Kamhi
Baruh Avraam Sion
H' Avraam Yosef Kamhi
Observasion
Daniel
Θ 395
7/149
Sarandaporou 20/A
Adreso
Saoul
Θ 396
460/1
10/305
Numero Oreah
Aaron
211/A
15/89
Oja
"
Moiz
Θ 397
31/A
Numero del akto del liksiarhio
Italia Yashan
Θ 418
8/3.
Nombre del nuevo nasido
Oreah
Perla
Θ 449
.
"
David
Θ 405
Sisilia Yashan
Italia Yashan
Neve Tzedek
Sisilia Hadash
Haim
Baruh (Daniel)
Izak (Ino)
Haim
Djoya
Rashel
Gedalia
Yosef
Izak
Sabetai
Yosef
Moshe
Redjina
Η 421
Ζ1
Η 411
Η 400
Α 340
Α 331
Η 384
Ε 348
Θ 483
Α 324
Θ 476
Θ 464
Β/Νεάπολις 12
Θ 458
Η 311
732
6/5.
86/3.
245/A
305/1
548/4
103/3
437/A
1456/2
675/1
607/2
411/1
70/2.
166
292
637/1
490/1
15/420
15/278
5/317
6/58.
11/219
13/412
14/391
10/329
7/252
3/404
15/269
4/342
6/190
10/319
12/82.
15/169
14/203
10/299
Promitheos 27
Eliaou Ben Uzilio 0/24
Paleon Patron Germanou 4
Reji
Reji 689
Parodos Tantalou 10
Foburgo Oryantou
26 Mizrahi
Parodos Kolokotroni
Egnatia 23
Damonos 19
Hrisostomou Smirnis 7
Kalamaria 101
Reji 0/94
Tenekye Male 225
Anageniseos 12
Reji 337
Baron Hirsh 105
H' Avraam Yosef Kamhi
H' Avraam Haim Aaron
Eliaou Yuda Estrumsa
H' Avraam Yosef Kamhi
H' Avraam Yosef Kamhi
H' Avraam Yosef Kamhi
Eliaou Yuda Estrumsa
Eliaou Yuda Estrumsa
H' Avraam Yosef Kamhi
Baruh Avraam Sion
H' Avraam Yosef Kamhi
H' Avraam Yosef Kamhi
H' Avraam Yosef Kamhi
.
"
David
Gerush
Sara
Η 475
461/2
" .
Aaron
Aragon
Lutcha
Α 344
"
"
Oreah
Elia
Η 490
Italia Yashan
Italia Yashan
Yakov Oreah
Kastilia
Oreah
David
"
.
Keila a la kuala apartiene el padre
REJISTRO DE NASENSIAS
465 9 " Moshe
Eliaou
Pesah
Sivdad de nasimiento del padre
466 14
Yosef
Bohor
Alkunya
467 11 "
Avraam
Yosef
No. de orden
468
27 Djunio
Eliatchi
Nombre del padre
469
11 Otobre
9
"
Ovadia
Nombre
470
"
Alkunya
471 17 "
Nombre del padre
472 14
Nombre
473 11
Grega
474
"
475
Εbraika
Extrait de la transcription du registre des naissances.
87
KAMINANDO I AVLANDO.38 | 21 |
| EL KANTONIKO DJUDYO
Chronique de la famille Arié de Samokov (suite) Nous poursuivons la publication bilingue de la chronique de la famille Arié de Samokov. Ce tapuscrit qui comprend plus de 2000 pages en judéo-espagnol en caractères latins retrace la vie d’une famille de grands commerçants sépharades de Bulgarie du milieu du XVIIIe siècle jusqu’au début du XXe siècle. Bannie de Vienne par un édit impérial, la famille Arié s’est d’abord établie à Vidin en 1775, sur les bords du Danube. C’est là que le patriarche Moche A. Arié, soutenu par ses trois fils Samuel, Isaac et Abraham développe avec succès un premier négoce. À sa mort en 1789, ses fils héritent du commerce qui est ruiné lors du pillage de la ville de Vidin par des troupes irrégulières. Sans ressources, les trois frères se séparent. Alors qu’Isaac demeure à Vidin, Samuel se rend à TournoSeverin en Roumanie et Abraham M. Arié I part pour Sofia. Il y fait la connaissance d’un pharmacien juif, M. Farhi, qui l’embauche et ne tarde pas à lui confier la gestion de son commerce où se rendent des notables turcs. Il y rencontre l’Agha Mehmed Emin de Samokov qui lui confère le titre de fournisseur officiel et lui permet ainsi de s’installer et de commercer dans sa ville où il devient vite un notable apprécié des habitants et de ses coreligionnaires. Vers 1805, secondé par ses fils maîtres Tchelebi et Josef, il étend son activité au prêt d’argent et achète la ferme des impôts à Sofia. À Istanbul, il se lie d’affaires et d’amitié avec Bohor Karmona, le banquier de la Sultane-mère.
| 22 | KAMINANDO I AVLANDO.38
EL KANTONIKO DJUDYO |
E
n este anyo de 5566, la Bulisa Amado, mujer de Hr. Josef pario a un ijo ke fue muy dezeyado a razon sigun ke ya eskrivi mas antes ke en el primer ijo ke pario non le bivyo i le izieron sigun el uzo la kama alta kon todos los brozlados i todos la vijitaron sigun de las otras paridas, i le mandaron todos los prezentes, i en el dia de Chabad, se izieron todas las formaledades, seya kon el Sefer Tora komo tambien i kon la hevra, de mizmo i en el dia de el Berit todo lo mizmo sin nada mankar, i le mitieron el nombre Mihael i tambien aviya un uzo por kuando akontesia ke los ijos de mas antes si non le biviyan, los yamavan Yachar, kere dizir, va bivir, i los Djidios los yamavan, Merkado, ke es ke salia uno de los parientes, lo merkava en darle unas kuantas paras en sinial ke este ijo es agora de el merkador, i kon esto lo teniyan ke el Dio, ya lo guadrava i non se moria i esta merkida era valavle fin ke kazava, i por esto los yaman a estos vendidos, el Merkado, los uzos sovre esta merkansia ke merkava a las personas son muntchas i en alguna otra okasion puede ser ke eskrivire, en mas largo, i kon este ijo tambien lo izieron esto de venderlo, i lo yamaron H. Merkadutcho, el Yachar, i todos los Djidios ke los yaman seya Merkado o seya Yachar, es solo por esto ke fue vendido por ansi razon. El sinyor Abraam I su dezeyo era ke sus ijos fueran muy enbezados en los estudios de muestra ley, i ansi era ke los detiniya en el Midrach, ke fueran estudiando, i el mizmo los vijitava muntchas vezes en el Midrach, i sigun antes ditcho ke kaji, kada notche los egzamenava i estudiavan djuntos, ke el ijo grande el Hr. Tchelebi, le dicho ke ya abastaria por si estudiar porke la familia se estava engrandesiendo, i ya seria el tiempo de i el tambien vinirle en alguna ayuda, i el sinyor Abraam I su padre le dicho va bien una ves ke la lo keres esto lo aremos para el anyo muevo, sovre esta propozision del Hr. Tchelebi, el sinyor Abraam I tuvo de pensar, i sin nada avlar se fue ande el Mehmed Emin AA. I se lo konto todo esto ke le paso kon su ijo i el sinyor del AA, le dicho ke ya tiene muy buena razon su ijo i ke non deve de
Année 5566 [1805/1806] En 5566 [1805/1806], Madame Amado, la femme de Maître Josef mit au monde un fils très désiré, car comme je l’ai écrit auparavant le premier fils dont elle accoucha ne survécut pas. Comme il était d’usage, on lui prépara le lit surélevé orné de borderies et tous vinrent lui rendre visite comme lors des autres naissances et lui adressèrent tous leurs cadeaux. Le shabbat eut lieu la cérémonie officielle avec le Sefer Torah et l’assemblée rituelle. Le jour de la circoncision tout se déroula de même sans rien omettre et ils lui donnèrent pour nom Michael. Si l’enfant précédent n’avait pas survécu, on avait pour coutume d’appeler le nouveau-né « Yachar » ce qui signifie [en turc] : « il va vivre », et chez les Juifs on l’appelait : « Merkado ». L’un des parents se manifestait et l’achetait en donnant une somme d’argent pour signifier que l’enfant lui appartenait désormais et ainsi ils considéraient que Dieu l’avait pris en garde et qu’il ne mourrait pas. Ce marché était valable jusqu’à son mariage et pour cette raison on appelait « Merkado » ces enfants vendus. Les rites attachés à la vente de cette « marchandise » sont nombreux et en une autre occasion j’en dirai peut-être plus long. Pour cet enfant aussi, ils procédèrent à la vente et ils l’appelèrent Maître Merkadutcho, le Yachar et tous les Juifs l’appelaient soit Merkado soit Yachar. Ce n’est que pour cette raison qu’il fut vendu. Le désir de M. Abraam I était que ses fils soient très instruits dans l’étude de notre Loi et c’est pour cela qu’il les gardait à la maison d’études à étudier. Lui-même leur rendait très souvent visite à la maison d’études, et, comme je l’ai écrit auparavant, presque chaque soir, il les interrogeait et ils étudiaient ensemble. Maître Tchelebi lui dit qu’il lui paraissait avoir suffisamment étudié, car la famille s’agrandissait et qu’il serait temps que lui aussi lui vienne en aide. Son père, M. Abraam I lui dit : « C’est bon, puisque tu le veux, c’est quelque chose que nous ferons l’année prochaine. » Cette proposition de Maître Tchelebi fit réfléchir M. Abraam I et, sans rien dire, il se rendit chez l’Agha Mehmet Emin et lui raconta tout ce qui lui était arrivé avec son fils. L’Agha lui répondit que son fils avait bien raison, qu’il ne fallait pas remettre à plus tard et qu’il n’y avait
KAMINANDO I AVLANDO.38 | 23 |
| EL KANTONIKO DJUDYO
1. Du turc ottoman, yatak : personne qui donne asile aux voleurs et cache les objets volés. 2. Gouverneur d’une province ottomane du XVIe au début du XIXe siècle. Jouissant d’une certaine autonomie par rapport à la Porte, il pouvait s’agir de riches marchands, d’officiers de cavalerie appartenant à l’élite des janissaires (les Sipahis), de chefs de corporations assurant les fonctions de fermiers généraux.
tadrar i nada de mal non se puede pensar solo ke el tambien deve de kudiar, i ke sovre esto ke deve de gustarse, denpues ke ya platikaron sus linguaje de siempre se vino a su butika, i estuvo longo tiempo pensando si es ke seria la ideya de avrirle otra butika para los 2 sus ijos los mas grande ma non lo topo de bueno, i se enpeso a prontarse para irse de muevo a Kostan, i en poko tiempo estuvo pronto i partio, i en muy poko tiempo izo todos sus empleos ke fueron muntcho mas grandes de las otras vezes i tambien en este viaje le merko i para la su nuera la sigunda, la Bulisa Amado, un maso de perla sigun este ke le tiene merkado para la Bulisa Lea, su nuera la grande, sovre esto la Bulisa Buhuru, su esfuegra sovre todo se gusto muy muntcho, por esto ke non van a ver selos de las unas a las otras. Denpues ke ya arivo de Kostan, i se resento sus ropas, muevas ke trucho i izo las primeras venditas ke agora fueron muy grandes porke uvieron muntchas bodas de los turkos, i se le rekojeron suma grande de moneda, ke ya se kere entendido sovre todo en akeyos tiempos non kere ditcho ke era muy grande espanto kuando, saviyan ke alguno tiene mas muntcha moneda en kacha non era solo el espanto de las masa de el puevlo, aviya tambien i de los grandiozos los Beguis, ke teniyan sus personas ladrones, i los mandavan por los kaminos i las sivdades porke les rovaran sus bienes i los matavan, i eyos eran los yatakes 1, porke sigun eskrito mas antes kuando un turko matava a un djidio o un kristiano, non keriya dizir nada, i el sinyor Abraam, ke esto ya lo saviya muy bien, ke lo mas de las rikezas de los Beguis eran solo de los ladronesios, ke los aziyan de esta forma. Pensando todo esto se fue ande el Ser. de Mehmed Emin AA, a rogarle por ke le diera una rekomendasion para el Aayan 2 (Ispai) de Sofia, sea ke le dicho por kualo la teniya menester, i en Sofia, non komo Samokov, la sivdad entera en Ispaelik, otro ke era la una partida de los kazales, i mas adelantre ya vo a eskrivir puede ser si es ke verna la okasion, i el Mehmed Emin AA, komo non le refuzava en nada de todo esto ke le demandava fue ke le dio una karta siya i avrir
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aucun mal à cela ; simplement que lui aussi devait s’en occuper et qu’il devait s’en réjouir. Après s’être entretenus comme ils en avaient l’habitude, il rentra à sa boutique et réfléchit longtemps à l’idée d’ouvrir une autre boutique pour ses deux premiers fils, mais il ne trouva pas l’idée bonne. Il entreprit des préparatifs pour se rendre de nouveau à Constantinople et peu de temps après, il fut prêt et partit. Il mit très peu de temps à réaliser tous ses achats qui furent bien plus considérables que les autres fois. Lors de ce voyage, il acheta aussi pour sa seconde belle-fille, Madame Amado, un ensemble de perles comme celui qu’il avait acheté pour Madame Léa, sa première belle-fille. Leur belle-mère, Madame Buhuru s’en réjouit beaucoup, car ainsi elles ne seraient pas jalouses l’une de l’autre. Après être rentré de Constantinople, il rangea les nouvelles marchandises qu’il avait apportées et comme il y avait alors beaucoup de mariages chez les Turcs, les premières ventes qu’il fit furent très importantes. Il accumula une grande somme d’argent ; cela va sans dire et il est compris de tous, qu’à cette époque c’était une source de frayeur si l’on venait à savoir que quelqu’un avait beaucoup d’argent en caisse. Ce n’était pas seulement par peur des gens du peuple, mais aussi des grands Beys qui avaient leurs voleurs attitrés et les envoyaient par les routes et dans les villes pour qu’ils volent leurs biens et les tuent ; ils leurs servaient de receleurs et de protecteurs, car comme je l’ai écrit auparavant, quand un Turc tuait un Juif ou un chrétien, on n’osait rien dire. Et M. Abraam savait bien que la plus grande part de la richesse des Beys provenait des voleurs qui agissaient ainsi. Considérant cela, il se rendit chez l’Agha Mehmet Emin et le pria de lui donner une recommandation pour le gouverneur de Sofia en lui disant certainement la raison pour laquelle il en avait besoin. Contrairement à Samokov, toute la ville de Sofia et les villages alentour étaient gouvernés par un officier de la Garde, un Spahi. J’écrirai peut-être là-dessus plus avant si en vient l’occasion. L’Agha Mehmet Emin qui ne lui refusait rien de ce qu’il demandait, lui donna une lettre scellée. Comme M. Abraam ne pouvait pas l’ouvrir et qu’il ne jugeait pas convenable de lui demander ce qu’il avait écrit, il le remercia et se retira.
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komo no pudiya, i demandarle lo ke le eskrivio non le vino a bueno, le dio las grasias i se salio. Ke en pasando unos kuantos dias, partio por Sofia, i le yevo la karta al sinyor Ispai, i se entiende ke al prinsipio le bezo los pies, sigun el uzo, i el Ispai ke meldo la karta, lo miro, en la kara, i le dicho ke se asentara ke esto para akel tiempo azer asentar delantre de un Ayan, a un djidio, era komo un pekado para los Turkos, i el sinyor Abraam I no se asento, i le dicho kuala demanda tienes de azer de mi de muevo le bezo los pies, i le dicho si era posible ke lo nominara por Kachero, en la kacha de el governo, el Ayan se riyo, i le dicho vernas 3 amaniana, i el sinyor Abraam I sin mas nada dezirle gustozo ke es esto ya era una buena sinial de atchetamiento, le bezo los pies i se salio, ma el sinyor Abraam I ke keriya muntcho saver lo ke le eskriviria, se detchizo kon grande libertad, por demandarle. Sigun i ke ya le demando ke a la maniana kuando le fue, le dicho el Ayan, ke por esto iva a eskrivir a Kostan, i kuando verna la repuesta ya le va a eskrivir al Mehmed Emin AA, i esto pude pasar mas de 7-8 meses, i el sinyor Abraam I le dio las grasias, i le dicho, ke le roga si es posibile ke le dichera lo ke le eskrivio el Mehmed Amin AA, i el Ayan denpues ke penso un poko, i en este momento el sinyor Abraam I se espanto muy muntcho, i tomo la karta i se la meldo, sin nada dizirle, ke la karta konteniya de lo ke le meldo fue, el portador de esta karta es mi konfidente Bazirgyan, Abramatche, te rogo ke lo sientas por esto ke te va arogar, i el signor Abraam I le bezo los pies, i le dicho ke iva a partir por Samokov, i le dio tambien una karta para el AA, de Samokov, i arivando a Samokov, le yevo la karta i le konto de todo lo ke les paso, i le dicho ke ya es bueno esto komo te lo konfiara, i el sinyor Abraam I se fue a su etcho de su butika.
Quelques jours plus tard, il partit pour Sofia et porta la lettre au gouverneur. Il va sans dire qu’il commença par lui baiser les pieds comme le voulait l’usage. Le gouverneur en lisant la lettre, le regarda dans les yeux et lui dit de s’asseoir – à cette époque faire asseoir un Juif devant un gouverneur était considéré comme un pêché par les Turcs et M. Abraam I s'en abstint. Le gouverneur lui demanda quelle requête il avait à lui faire. M. Abraam de nouveau lui baisa les pieds et lui demanda s’il était possible qu’il le nomme comme trésorier du gouvernorat. Le gouverneur rit et lui dit de revenir le lendemain matin. M. Abraam I sans rien lui dire de plus se réjouit, car il s’agissait d’un signe d’approbation. Il lui baisa les pieds et sortit. Mais M. Abraam I qui voulait absolument savoir ce que [l’Agha] lui avait écrit se décida de façon très intrépide à le lui demander. Comme prévu, il s’en alla trouver le gouverneur le lendemain matin et celui-ci lui dit qu’il allait écrire à ce propos à Constantinople et que quand viendrait la réponse, ce qui pouvait prendre plus de sept à huit mois, il écrirait à l’Agha Mehmet Emin. M. Abraam I le remercia et le pria de lui dire si cela était possible ce que lui avait écrit l’Agha Mehmet Emin. Le gouverneur, après avoir un peu réfléchi – et pendant ce temps M. Abraam I était saisi de terreur – prit la lettre et se la lut sans rien dire de son contenu. La seule chose qu’il lui lut disait : « Le porteur de cette lettre est mon confident et fournisseur attitré Abramatche. Je te prie d’écouter sa requête. » M. Abraam I lui baisa les pieds et lui dit qu’il allait partir pour Samokov. Le gouverneur lui donna également une lettre pour l’Agha. À son arrivée, il lui porta la lettre et lui raconta tout ce qui s’était passé. L’Agha lui dit qu’il semblait que sa requête allait être satisfaite, puis M. Abraam I retourna vaquer à ses affaires dans sa boutique.
5567
En l’an 5567, un conflit surgit parmi les Juifs de Samokov à propos de l’areha, la taxe que supportait le peuple pour l’entretien de la communauté. Les uns s’exclamaient que c’était trop lourd et les autres insistaient. M. Abraam I voyant tout cela, réunit toute la
En este anyo de 5567, entre los Djidios de Samokov, les salio pleito, lo todo por el etcho de la Areha ke es las taksas ke se les kargava a todo el
3. Forme dialectale du futur du verbe vinir.
Année 5567 [1806/1807]
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4. Du verbe primir ou premir : être absolument nécessaire, être désiré. [ J. Nehama] 5. De l’hébreu biblique שְרִׁ֜תים ָ ְמ: préposé. 6. De l’hébreu mazon ָמזֹון: subsistance. 7. De l’hébreu yehudim : Juifs. Les Juifs rattachés à une communauté, à une même synagogue. 8. De l’hébreu : administrateurs. 9. Au sens de pourboires, gratifications. 10. L’aspre est une menue monnaie. Le fait de compter les dons en aspres permettait de magnifier la générosité des fidèles lors de la mise aux enchères des misvoth. 11. Dramas : mesure de poids qui vaut 3,205 grammes. [ J. Nehama]
puevlo por el sostenimiento de el kolel, ke los unos gritavan ke les era muntcho i los otros ensistavan, i el sinyor Abraam I viendo a todo esto los rekojo a el kolel entero en el Midrach, ke era el salon de las adjuntas ke se aziyan por los reglamientos de los etchos de el kolel, i les dicho, todos vozotros muy bien ya lo savech ke este kolel es solo mozotros ke lo vamos a sostener mos eskriviremos kada uno de su buena veluntad la suma ke puede pagar, i denpues veremos komo lo vamos a resentar, i lo izieron ansi, ke se eskrivieron todos, i el sinyor Abraam I iva tomando notas ke kuando ya se eskrivieron todos rekojo la suma i topo ke salio serka 400 aspros, i para 600 aspros ke se keriyan a la semana de gasto les dicho el sinyor Abraam I ke ya los iva a dar el, i kon esto se resento la kestion, i todos se kedaron kayados, i se kontinuo el andar de el kolel, i sinyor Abraam I se okupava muy muntcho, a enkamenar lo sigun primia 4, sovre todo en el etcho de el Talmud Tora, i pedria oras enteras en egzamenando a los elevos, i los enbezava tambien a los Hahamim, la manera de konportarsen, enfrente los elevos, i las metodas de el enbezamiento de akel tiempo son enteramente diferentes a las de agora, las pagas ke pagavan a los Mechartim 5, en akel tiempo eran de a 60-70 aspros a la semana, i esto los van a rekojer de kada Yahid, la suma ke se le tiene fiksado por pagar a la semana, i aparte les davan a 7 mazones 6, ke es 7 panes tambien espartidos entre los Yehidim 7, ken a kual mechared le iva a dar, i esto tambien los rekojiyan de las kazas ke los mimonim 8 , le amostravan, i denpues teniyan mas i otras entradas 9 komo estas ke ya son i en este tiempo, la mizeria era muy grande, i kon muy grande abatision era sus bivir, i la metoda de las venditas de las Misvod, ke se venden agora, por 3 o 5 000 el avrir las puertas de el Ehal, o el yevar el Sefer Tora, o la Aftara es a la kuenta de los aspros 10, i en kada sivdad lo nombraron los 1 000 kuala por 5 groches i kuala por 7 ½ otras por 2 frankos, i ansi ay tambien i ainda ke etchamos 10 dramas 11 de plata para la hevra keducha, tambien kere dizir 10 aspros porke un aspro pezava 1 drama, ansi uzos son kedados de akel tiempo, i esto solo entre los Djidios
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communauté à la maison d’études, là où se tenaient les assemblées pour régler les affaires communautaires. Il leur dit : « Vous savez tous très bien que nous serons les seuls à subvenir aux besoins de cette communauté. Chacun va écrire de sa meilleure volonté la somme qu’il peut payer et ensuite nous verrons bien comment nous en arranger. » Ils en firent ainsi : tous s’inscrivirent tandis que M. Abraam I prenait des notes. Quand tous se furent inscrits, il collecta la somme et trouva qu’il y avait environ 400 aspres alors qu’ils en avaient besoin de 600 par semaine pour couvrir les dépenses. M. Abraam I leur dit qu’il donnerait la différence et c’est ainsi que la question fut résolue et que tous restèrent cois. La communauté poursuivit son activité et M. Abraam I se souciait beaucoup de faire avancer les choses les plus pressantes surtout en ce qui concerne le Talmud Torah. Il perdait des heures entières à examiner les élèves. Il apprenait aussi aux rabbins la façon dont ils devaient se comporter devant leurs élèves. Les méthodes d’enseignement de ce temps étaient complètement différentes de celles d’aujourd’hui. Les salaires qu’ils versaient aux enseignants en ce temps-là étaient de 60 à 70 aspres à la semaine et l’on percevait de chaque Juif la somme qu’il devait payer par semaine. On leur accordait en outre sept rations de nourriture c’est-à-dire sept pains également répartis entre les Juifs qu’un tel donnait à tel enseignant. Ils recevaient aussi cela des maisons que leur désignaient les administrateurs de la communauté. Ils touchaient également d’autres gratifications comme celles-là. La misère était très grande à cette époque et leurs vies se passaient dans la détresse. La vente des misvoth se faisait en aspres [en menue monnaie] comme maintenant où l’on vend pour trois à cinq mille [aspres] l’ouverture des portes de l’Ehral, ou le port du Sefer Torah ou la lecture de la Haftarah. Dans chaque ville, on proclamait 1 000 ce qui représentait 5 groches et 7½ pour une autre qui valait 2 francs. Encore aujourd’hui l’on donne 10 dramas d’argent à la confrérie funéraire soit 10 aspres, car un aspre pesait un drama. Ces usages sont restés en vigueur depuis ce temps et seulement parmi nous autres Juifs, les Sépharades espagnols. De nombreuses coutumes de ce type n’ont pas encore changé.
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de muestras partes, en los Sefaradim, Ichpanioles, i ansi uzos, son muntchos, ke ainda non trokaron. En este anyo el sinyor Abraam I se lo tomo a su ijo el grande a su butika, i Hr. Tchelebi I ke ya era grande i muy entelijente kon grande atansion lavorava en la butika, i sintiya a todos los komandos de su sinyor Padre, ansi iva kontinuando, i lo mandava kon ropas tambien a los konakes, sigun ditcho mas antes ke las Hanumes, non saliyan al tcharchi, por azer sus empleos, ke esto ya turo fin a el tiempo ke fue la guera Turka-Russa, en el anyo de 5638, i en muestras kazas tambien traivan los merkaderes ropas para eskojersen las mujeres, mizmo i para los ombres, ke era komo una verguensa el ir a las butikas de los merkaderes para merkar. I ansi era ke la butika ya estava siempre avierta, i sus venditas fueron kada dia muntcho mas grandes, mas tadre enpeso i a enbezarlo tambien i el etcho de las drogas, i de los Maadjunes 12, ke esto le era lo mas enportante, i Hr. Tchelebi I. muy presto supo dezmenuzar 13 las drogas meskladas en la almires 14, i kuando ya estuvo en la butika komo 6 mezes mas ya non tuvo el menester su sinyor, Padre de enbezarlo ke ya lo viya ke sovre todos los puntos ya estava de lo mas muntcho al kuriente, i ansi, era ke el sinyor Abraam I lo dechava solo en la butika i se iva el ande el sinyor de Mehmed Emin AA, i a los konakes de los otros Begis i Tchorbadjis de Samokov, ke de todos estos se enbezava muntchas kozas ke le enteresavan para su etcho, i tambien ke era los tiempos mustesna 15, sin dinguna razon muy presto lo depedrian a la persona i non aviya ni ande kon i yorarse, ni menos ke le boltavan kara 16, i esto, ya akontesiya siempre, lo mas muntcho en las personas enfluentes, era por esto tambien ke se ivan todos de temprano a sus kazas i se seravan sus todas puertas kon fuertes seraduras. El sinyor Abraam I de esto ke deva moneda kon interes siempre lo kontinuava, i de entonses ke kedo el nombre para la familia muestra, fin al tiempo de oy ke en Samokov mos yaman Sarafite 17, i esto solo a los vinientes de el linaje de
Cette année-là, M. Abraam I prit avec lui son fils aîné à la boutique et Maître Tchelebi I qui était déjà mûr et très intelligent y travaillait avec grand soin et écoutait tous les ordres de monsieur son père. Ainsi il progressait et [M. Abraam I] l’envoyait aussi avec des marchandises dans les riches demeures, car comme je l’ai dit auparavant, les femmes turques ne se rendaient pas au marché pour faire leurs achats. Il en fut ainsi jusqu’à la guerre russo-turque, en l’an 5638 [1877/1878]. Dans nos maisons aussi, les commerçants apportaient des marchandises pour que les femmes les choisissent. Il en allait de même pour les hommes. Aller acheter dans les boutiques des marchands était considéré comme quelque chose de honteux. C’est ainsi que la boutique restait toujours ouverte et que les ventes étaient chaque jour plus grandes. Plus tard, M. Abraam I entrepris aussi d’apprendre à son fils aîné le métier de droguiste et les différents remèdes ce qui revêtait la plus grande importance pour lui. Maître Tchelebi I sut très vite piler les potions mélangées dans les mortiers. Quand il eut passé six mois dans la boutique, monsieur son père n’eut plus besoin de rien lui enseigner. Il voyait qu’il était déjà parfaitement au courant à tout point de vue. C’est ainsi que M. Abraam I le laissait seul dans la boutique et allait chez l’Agha Mehmet Emin et dans les villas des autres beys et notables de Samokov. De tous ceux-là, il apprenait beaucoup de choses qui l’intéressaient pour la conduite de ses affaires. C’était aussi une période exceptionnelle. D’un coup, sans aucune raison, une personne disparaissait et il n’y avait personne chez qui on puisse aller pleurer, ni même qui vous prenne en considération. Et c’est une chose qui arrivait surtout aux personnes influentes. C’est pour cela que tous rentraient tôt chez eux et condamnaient toutes leurs portes avec de solides serrures. M. Abraam I poursuivait ses prêts à intérêts et depuis lors jusqu’à aujourd’hui à Samokov notre famille porte le titre de Sarafite « changeurs ». Cela ne vaut que pour les descendants de Maître Tchelebi Moche A. Arié I qui ont tous, de génération en génération, poursuivi jusqu’à aujourd’hui l’activité de banquier. N’ayant eu aucune nouvelle du courrier transmettant sa requête pour être nommé trésorier à Sofia,
12. Remèdes, onguents. 13. Emietter, analyser. 14. Mortier à piler. 15. Du turc müstesna : exceptionnel. 16. Boltar kara : prendre en considération. [ J. Nehama] 17. Du turc saraf : changeur (de monnaie), banquier.
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18. Du turc yavaş : lentement, petit à petit, peu à peu. 19. Du turc ottoman èdjnas pluriel de djin : genres, espèces, sortes. 20. Les yuzlukes sont des pièces en argent valant 100 paras frappées sous le règne d’Abdul Hamid I vers 1789. 21. Sans doute un talent d’argent de la république de Raguse. 22. Sans doute l’une des monnaies d’or de l’impératrice d’Autriche Marie-Louise frappées vers 1815. 23. Esedi Kurush Aslanes (lions). Parmi les écus étrangers celui qui paraît être le premier adopté et le plus en faveur est l’écu au lion de Hollande connu en Turquie sous le nom de Esedi guruş (en abregé Esedi) ou arslani guruş (arslanî aslani asselani que les occidentaux appellent ausis abouquel de l’arabe abu’l kelb). [note MCBV]
Hr. Tchelebi Moche A. Arie I ke estos djerenansios, kontinuaron fin agora las operasiones de el bankerlik tambien, todos eyos. El sinyor Abraam I visto ke non uvo dingun avizo sovre esto ke tengo eskrito ke demando por ser kachero en Sofia, se fue el mizmo a Sofia, i fue ande el Sekretar de el Ayan de Sofia, por demandarle si vernia alguna repuesta de Kostan sovre la demanda suya, i el sekretar le dicho ke ansi karta ya avia ma ainda non se la avia dado al Pacha, sigun los etchos de los Turkos ke ya es i agora todo yavach yavach 18, i el sinyor Abraam I ke ya se aseguro izo ke se fue al kabineto de el Pacha, i kon bezarle los pies le dicho na ke yo ya vine i el Firman ke ya vino te rogo ke me komandes para enpesar en el lavoro, i el Pacha riendose le dicho ya vo a dar agora el orden por maniana ke te entregan la kacha i tu vernas a resivirla, i le se bezo los pies i se salio i a la maniana resivio la kacha, i enpeso en el lavoro, la paga era de 400 aspros al mez ke por la paga non lo izo otro ke era solo por el Saraflik ke aviya grande ke muntchos non lo saviyan, i era ke a la kacha kaivan todo modo de monedas seya de oro komo tambien i de plata ke aviya la ejna 19 ke eran los Yuzlukes 20, Ragozas 21, Mariaches 22, Aslanles 23, i muntchas otras ansi, i la kuenta era todo en aspros, el rubie era la valor de 300 aspros ke es 100 paras, i esto todo ke kaiva a la kacha, el sinyor Abraam I lo apartava, i la trokava de su moneda de aspros, i el oro kon la ejna la mandava al presipio a Kostan a la banka de Tchelebi Bohor Karmona, i la negosiava en Kostan, ke teniya una ganansia de 10 a 12 % de esta forma fue kontinuando, i esto de ser kacheros en las kachas de el governo lo kontinuaron fin a el anyo de 5618, ke fueron en Samokov tambien i denpues se lo pasaron a Hadji Yovan Yadji Toneoglu, uno de los Tchorbadjis de Samokov, kon ke trokavan torna eyos el oro kon la plata i la mezada ke resiviyan de la kacha de Samokov era 170 groches al mez, i mas tadre eyos mandavan estas valutas a Salonique, ke ganavan a 12 i 14 % era el sinyor Abraam I ke estava en Sofia i Hr. Tchelebi en Samokov en la butika, i mas tadre se ivan trokando, el padre kon el ijo, el sinyor Abraam
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M. Abraam I se rendit lui-même là-bas et alla trouver le secrétaire du gouverneur pour lui demander s’il était venu quelque réponse de Constantinople à sa demande. Le secrétaire lui répondit qu’il y avait bien une lettre à ce propos, mais qu’il ne l’avait pas encore donnée au Pacha, selon l’habitude qu’ont les Turcs de dire encore maintenant : « doucement, doucement ». Une fois rassuré, M. Abraam I se rendit au cabinet du Pacha et après lui avoir baisé les pieds, il lui dit : « Puisque je suis venu et que le firman [le décret] est arrivé, je te prie de m’ordonner de me mettre au travail. » Le Pacha en riant lui dit : « Je vais donner maintenant l’ordre pour qu’on te remette demain la caisse et tu viendras la recevoir. » M. Abraam I lui baisa les pieds et se retira. Le lendemain, il reçut la caisse et se mit au travail. Le salaire était de 400 aspres par mois, mais il ne le faisait pas pour le revenu mais seulement pour l’intérêt du change qui était grand, ce que beaucoup ignoraient. La caisse recevait toutes sortes de monnaies d’or et d’argent comme des yuzlukes [pièce d’argent valant 100 paras], des talents de Raguse, des MarieLouise, des écus de Hollande et beaucoup d’autres pièces encore. Tous les comptes se faisaient en aspres. La pièce d’un rubiye en or valait 300 aspres ou encore 100 paras. M. Abraam I mettait de côté tout ce qui entrait en caisse et le changeait en aspres. Au début, il envoyait l’or avec les autres pièces à la banque de Monsieur Bohor Karmona à Constantinople. Il procédait au change là-bas ce qui permettait de réaliser un gain de 10 à 12 %. Les affaires se poursuivirent ainsi ; les Ariés exercèrent la fonction de trésorier du gouvernorat jusqu’en l’an 5618 [1857-1858]. Ils avaient la même fonction à Samokov et ensuite ils transférèrent le poste à Hadji Yovan Yadji Toneoglu, l’un des notables de Samokov. Ils changeaient les pièces d’or en argent et recevaient du trésor de Samokov un salaire de 170 groches par mois. Plus tard, ils envoyèrent ces valeurs à Salonique en gagnant de 12 à 14 %. M. Abraam I résidait à Sofia et Maître Tchelebi à la boutique de Samokov et ensuite le fils et le père échangèrent leurs positions. Avant d’aller à Sofia, M. Abraam I conduisit Maître Tchelebi chez l’Agha Mehmet Emin pour le lui recommander, en le priant de le protéger comme il l’avait fait pour lui-même. L’Agha lui répondit qu’il
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I antes de irse a Sofia, lo yevo a Hr. Tchelebi ande el Mehmed Emin AA , i se lo rekomando, en rogandole porke lo protejara i a el sigun ke lo proteja a el mizmo i el AA. le dicho ke el los kere bien i non se tiene de ulvidar de eyos, ke sovre eyo le bezaron todos los dos los pies i denpues en el tiempo ke el sinyor Abraam I non estava en Samokov, le iva siempre Hr. Tchelebi, i lo resiviya kon muntcha onor, ke en Hr. Tchelebi tambien aviya bona avla, i konosiya tambien bueno la lingua turka, i savido i Haham ke ya era sovre los estudios de el Talmud, kuando le iva le kontava algunos pasos ke le plazian al AA, de estos de el Talmud, kon ke se los prontava de mas antes, i le plaziyan muy muntcho, i siempre lo resiviya kon kara riente, ke ansi era ke todos los dos seya el padre komo tambien i el ijo eran yenos de la alegria, i biviyan kontentes i gustozos seya en kaza komo tambien i en la plasa.
5568 En este anyo de 5568, el sinyor Abraam I. se vino a Samokov i Hr. Tchelebi era en Sofia, en el etcho de la kacha, i siendo ke el sinyor Abraam I ya se aviya dezuzado de los etchos de la butika i non estava pudiendo mas lavorar solo, i sus dos ijos los mas tchikos ke son Hr. Josef, kon H. Refael, ke estavan estudiando en el Midrach, se lo tomo a Hr. Josef a la butika, para ke enpesara tambien a enbezarse la merkansia, i Hr. Josef tambien ke non le mankava el saverisio menos de Hr. Tchelebi, teniya una demazia ke era muy entelijente mas de los otros todos sus ermanos, el en muy poko tiempo supo guiyar la butika, i respondia a lo todo i el sinyor Abraam I se okupava en otros etchos, ke muntchos dias se iva al Midrach, por djuzgar al puevlo, i reglar los etchos de el kolel, porke en el tiempo ke sinyor Abraam I non estava en Samokov, non se okupava otro dinguno, i tambien se iva a estudiar sovre el Talmud, ke esto non lo dechava nunka, i mas kalya ke vijitara en todos los konakes todos sovre todo ande el Mehmed Emin AA, a la butika iva mas raro, solo por ver sigun lo iva enkamenando
les aimait bien et qu’il ne les oublierait pas. Sur ces paroles, ils lui baisèrent tous deux les pieds. Pendant tout le temps où M. Abraam ne résidait pas à Samokov, Maître Tchelebi se rendait régulièrement chez l’Agha ; il y était reçu avec beaucoup d’égards. Il avait lui aussi une conversation agréable, connaissait bien la langue turque et était sage et instruit en matière d’études talmudiques. Avant de s’y rendre, il préparait à l’avance quelques passages du Talmud à raconter à l’Agha et qui lui plaisaient beaucoup. On lui faisait toujours bon accueil et c’est ainsi que tant le père que le fils se réjouissaient, vivaient heureux et satisfaits chez eux comme en ville.
5568 [1807/1808] En 5568, M. Abraam I vint résider à Samokov et Maître Tchelebi se rendit à Sofia pour y exercer comme trésorier. M. Abraam I avait perdu l’habitude des affaires de la boutique et il ne pouvait plus travailler seul. Ses deux fils cadets, Maître Joseph et Maître Refael étudiaient au midrash. Il prit à la boutique Maître Joseph afin qu’il commence à apprendre le commerce. Pour l’instruction, Maître Joseph n’était pas en reste sur Maître Tchelebi et, plus que tous ses autres frères, il avait de l’intelligence à revendre. En très peu de temps, il sut comment diriger la boutique et répondre de tout. M. Abraam I s’occupa alors d’autres affaires ; il passait beaucoup de jours au midrash pour juger le peuple ou traiter des affaires de la communauté, car durant tout le temps où M. Abraam I n’avait pas résidé à Samokov, personne d’autre ne s’en était soucié. Il allait aussi étudier le Talmud, une chose qu’il ne cessa jamais de faire. Il devait aussi aller en visite chez les notables et surtout chez l’Agha Mehmet Emin. Il allait plus rarement à la boutique et seulement pour voir comment Maître Joseph menait l’affaire. Ce dernier était un homme mince, de haute stature et se tenant droit. Il avait le teint plutôt brun et des yeux très noirs au point qu’il paraissait loucher. Par rapport à lui, ses frères paraissaient petits et corpulents. Ils avaient des traits réguliers, tous étaient sains et bien portants, de caractère agréable. Ils écoutaient tous ceux qui leur parlaient. Ils prenaient beaucoup de soin de leur père
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24. De šašut mot d’origine turque : louche, bigle, affecté de strabisme. [ J. Nehama] 25. Régulière, normale, habituelle. [ J. Nehama] 26. Du turc haraç, tribut , impôt foncier acquitté par les minorités. La charge de fermier, chargé de la collecte fiscale. 27. Les non-musulmans ou gyaours, mot francisé en « guèbre ». 28. Les nations reconnues dans l’Empire ottoman sont au nombre de trois : les Grecs (Roum), les Arméniens (Ermèni), et les Israélites (Yahoudi). 29. Du turc ottoman : rèsm ou rèsim : impôt. 30. Le vakf ou vakouf en français (au pluriel èvakf), fondation pieuse, bien inaliénable consacré aux établissements religieux. Il s’oppose au mulk, propriété de franc-alleu qui n’est affectée d’aucune redevance. 31. Du turc : mosquée. 32. Du turc hazinè ou plus familier haznè : trésor, trésorerie.
el etcho Hr. Josef, este ultimo era un ombre alto i muy deretcho, era flako, su vista era sovre morena, los ojos teniya muy pretos, fin al grado ke paresiya ke mirava chachi 24, lo kual por enfrentante sus ermanos eran bachikos, i godros, sus vista regoler 25, todos eran muy sanos i rezios, sus karakteres bonatchos, i sintiyan a todos kuando les avlavan a sus padre lo katavan muy muntcho eyos tambien de los unos a los otros se katavan muy muntcho, ansi era i las mujeres en kaza, i por esto kale dizir ke biviyan buenos i siempre estavan gustozos. Kuando ya estava el sinyor Abraam I komo 2 mezes en Samokov, se iva a Sofia, i lo mandava a Hr. Tchelebi a Samokov, i eran los 2 ermanos ke governavan la butika, i el sinyor Abraam era en la kacha en Sofia, ke en este tiempo ke estuvo en Sofia merko la haratcheria 26, de Sofia, ke es el kovramiento de los dasios, ke los kargavan el puevlo, ke es solo a los In Gairi Muslim 27, o Rayas 28 kere dizir a los ke non son Turkos ya abastava solo lo ke eran Askeres i mas teniyan muntchas entradas de el Resem 29, i taksas de los Djuzgos i de las venditas i merkadas ke se aziyan, i mas muntcho de los Vakofes 30 ke esto aviya muntcho en los Turkos ke enprezentavan seya para las Djames 31, komo tambien i para la Hazne 32, i esto kual de lo ke podiya seya en moneda seya en mulkes, ke aki vo a eskrivir algo sovre algunos de los Vakofes Mulkie, de Samokov, ya saven i konosen los Balkanes de la Rila ke enpesan de Samokov i se eskapan en Seres, ande existe la Musalla 33, Tcham 34 Koru 35, todos los Balkanes i Charas 36 en los kazales de los Iskeris, i los Balkanes ke los empatronan agora los Djerenansios de Tchelebi Yeuda i de Tchelebi Gavriel, de el linaje de Hr. Tchelebi Moche A. Arie, I ke son Dupnitsa, i Vrichnik, i ansi muntchos otros ke estos Balkanes son etchos Vakuf de el Gazi Mustafa Pacha, i en los dokumentos ke davan era el nombre del Gazi Mustafa Pacha Vakfindan estos Balkanes, oy tienen una valor la mas tchika de 100 miliones de liras turkas, i ansi en otras sivdades es lo mizmo en Kostan los tres kuartos es Vakuf, i todas estas entradas eran para la Hazne, kuanto a los dasios
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ainsi que les uns des autres. Il en allait de même des femmes à la maison et pour cela on doit dire qu’ils vivaient heureux et toujours satisfaits. Après environ deux mois passés à Samokov, il se rendit à Sofia et envoya Maître Tchelebi chez lui ; les deux frères se trouvèrent ainsi à s’occuper de la boutique. M. Abraam se chargeait de la trésorerie à Sofia. C’est lors de ce voyage à Sofia qu’il acquit la ferme des impôts de Sofia, c’est-à-dire le recouvrement des impositions dont était redevable le peuple. Cela ne concernait que les non-musulmans, les rayas [nations] autrement dit ceux qui ne sont pas Turcs. Le fait que ces derniers s’acquittent du service militaire était considéré comme [une charge] suffisante. Ils tiraient en outre beaucoup de recettes des impositions, des taxes sur les jeux, sur le commerce et encore plus des fondations pieuses. Il y avait beaucoup de Turcs qui se présentaient soit au titre des mosquées, soit au titre du trésor et auprès desquels on s’acquittait soit en monnaie, soit en biens fonciers. Je vais dire ici quelques mots à propos des fondations pieuses de Samokov. Vous connaissez déjà le massif montagneux de la Rila qui commence à Samokov et qui s’achève à Serres et où se trouvent le pic de la Musala, les forêts de pins, les montagnes, les bois, les villages balkaniques de Dupnitsa et Vrichnik qui sont aujourd’hui administrés par la génération de Tchelebi Yeouda et de Tchelebi Gabriel, descendants de Maître Tchelebi Moche A. Arié. Comme beaucoup d’autres villages des Balkans ils dépendent de la fondation pieuse du Gazi Mustapha Pacha comme l’attestent les documents. Aujourd’hui ils valent au moins cent millions de livres turques. Il en va de même dans les autres villes. À Constantinople, les trois-quarts des biens fonciers appartiennent aux fondations pieuses et tous leurs revenus allaient au Trésor. Les autres nations devaient s’acquitter des contributions que l’on désigne sous le terme de haratch, car elles vivaient sur leurs terres agricoles et n’effectuaient pas de service militaire. Par exemple, le gouverneur assignait le paiement de 1 000 groches à tous les Juifs de Sofia et ils devaient en répartir la charge entre eux selon leurs capacités ; ces répartitions étaient la source de très grandes disputes. Il en allait de même pour les chrétiens, les Tziganes et toutes les autres nations. Toutes les sentences à ce
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de los otros puevlos ke es el Haratch, deviyan de pagar por ke estan biviendo en sus zieras 37, i ke non van a el Askerlik 38 , era ke el Aayan, les nombrava komo por enchemplo, a todos los Djidios de Sofia, 1 000 groches i esta suma se la deven de espartir entre eyos ken kuanto merese, i era pleitos muy grandes en estas espartisiones, i ansi por los Kristianos, Zinganos, i todos los otros puevlos i todos los djuzgos sovre esto los djuzgava el Haratchero, i teniya el poder de enserarlos i harvarlos i kondenarlos en moneda, la paga era 5 % de las sumas ke kovrava ma teniya el etcho de el Saraflik le era muntcho. A los presipios era el sinyor Abraam I ke ya iva estando solo en Sofia, i alkansava para mirar el etcho de la kacha i de la Haratcheria, ma mas tadre ke non pudo azerlo solo se traiyava a el un ijo a Sofia, i eran los 2 en Sofia i el uno de eyos restava en Samokov, i en kada 2 mezes se ivan trokando, i en el tiempo kuando eran solos los 2 ermanos en Sofia, el uno de eyos en kada dia se ivan a el Midrach de el kolel ande djuzgavan a los Djidios, por enbezarsen Ley, sigun ke ya lo tengo eskrito ke los djuzgos de los Djidios era solo el rabino de la sivdad ke los djuzgava, sigun la Ley de Moche Rabeno, era para esto ke se ivan por enbezarsen Ley. En este anyo el sinyor Abraam se pronto para ir a Kostan i se lo yevo a su ijo el grande Hr. Tchelebi I kon si a Kostan, por amostrarle i enbezarlo las merkidas i azerlo konoser kon los merkaderes i los bankeres, de Kostan, i la butika de Samokov la seraron, i Hr. Josef esto en Sofia en el etcho de la kacha i este de la Haratcheria, ke ya lo aviyan resentado kon meter en kada Mahale (birnikes) Muhtares 39 por ke rekojeron los dasios ke se les fikso a kada uno, i era el Birnik ke las rekojiya i le traiva la moneda a el Haratchero, eyos ke estuvieron en Kostan poko tiempo izieron presto sus empleos, i se vinieron a Samokov, i a la maniana partio Hr. Tchelebi I por Sofia i el sinyor Abraam I ke resto en Samokov fue ke resento las ropas i aziya las venditas. En esta ves ke estuvieron en Kostan el Tchelebi Bohor Karmona los konbedo en su kaza una
propos étaient rendues par le percepteur qui avait le pouvoir de les faire emprisonner, de les faire bastonner et de les condamner à des amendes. Il touchait comme rétribution 5 % des sommes collectés, mais il exerçait en plus la fonction de changeur ce qui était beaucoup. Au début, M. Abraam I résidait seul à Sofia et il parvenait à exercer à la fois la fonction de trésorier et celle de percepteur. Quand plus tard, il ne put y parvenir seul, il prit avec lui l’un de ses fils à Sofia. Ils étaient ainsi deux à résider à Sofia tandis qu’un seul restait à Samokov. Tous les deux mois, ils permutaient leurs postes. Avec le temps, quand les deux frères se retrouvaient seuls à Sofia, l’un d’entre eux se rendait chaque jour à la salle d’études de la communauté où était rendue la justice pour les Juifs, pour étudier la Loi. Car comme je l’ai déjà écrit, le rabbin de la ville était le seul compétent pour rendre les jugements concernant les Juifs selon la Loi de Moïse notre maître. C’est la raison pour laquelle ils apprenaient la Loi. Cette année-là, M. Abraam se prépara à aller à Constantinople et il prit avec lui son fils aîné, Maître Tchelebi pour lui montrer et lui apprendre comment acheter, le présenter aux négociants et banquiers de Constantinople. Ils fermèrent la boutique de Samokov, car Maître Josef était à Sofia et s’occupait de la trésorerie et de la perception. Ils avaient placé dans chaque quartier, un délégué chargé de collecter les taxes assignées à chacun ; c’était ce préposé qui percevait l’argent et l’apportait ensuite au percepteur. Ils achevèrent au plus vite leurs achats à Constantinople et rentrèrent à Samokov. Le lendemain matin, Maître Tchelebi I partit pour Sofia et M. Abraam I resta à Samokov ranger ses marchandises et procéder aux ventes. Lors de leur dernier séjour à Constantinople, M. Bohor Karmona les invita à dîner un soir chez lui et ils y restèrent à dormir. M. Karmona prit grand plaisir à converser avec eux, car il était également quelqu’un de très sage et d’instruit. Il leur dit que la prochaine fois que lui ou ses fils viendraient à Constantinople qu’ils viennent directement chez lui, plutôt que de descendre dans l’un des hôtels de commerce. Ils le remercièrent de l’honneur qu’il leur faisait et quand ils quittèrent sa maison, M. Abraam I offrit aux domestiques de
33. Plus haut sommet (2 925 m) de la chaîne montagneuse de la Rila. 34. Du turc, sapin. 35. Du turc, korou, forêt, bosquet. 36. Forêt, bois. 37. Du turc, zèr’ champs, terres agricoles. 38. Service militaire. 39. Préposé d’un quartier, d’un village.
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40. Les rubies ou yeni rubiyes sont des pièces en or frappées vers 1808 sous le règne de Mahmoud II. 41. Châle ou étole servant de ceinture. 42. « à force de chercher, tout ce que tu as trouvé c’est d[’aller] te plaindre chez ce Kezzapçi oğlu ?! » (turc familier). Il semble que des familles juives aient porté ce surnom ou titre de Kezzapçi Oglu. Kezzap (vitriol), kezzapçi chimiste fabriquant du vitriol. On en trouve plusieurs exemples dans des documents de la fin du XIXe s. [note MCBV] 43. Ahmet Şefik Midhat Pasha (1822-1883), Grand vizir pro-occidental, réformateur et moderniste, il est connu principalement pour avoir mené le mouvement constitutionnel de 1876, mais a été aussi l’une des figures principales de la réforme ottomane en matière d’éducation et d’administration des provinces. 44. Du turc : qui appartient en commun. 45. Plana, montagne et village proches de Samokov.
notche a komer i durmieron tambien en su kaza ke al sinyor Karmona le plazio muy muntcho sus platikas, porke i Tchelebi Bohor Karmona tambien era muy Haham, i les dicho por kuando vienen a Kostan seya el komo tambien i sus ijos ke non se abachen por los Hanes otro deretcho ke se vaigan a su kaza i se lo rengrasiaron por la onor ke les izo, i kuando se fueron de su kaza el sinyor Abraam I les decho para los mosos de kaza 10 rubies 40 de prezente ke esto fue grande onor para el sinyor Karmona, el kual sinyor, Karmona, mas denpues ke devino a ser al Grande Saraf de la Valide Sultan en el tiempo de Sultan Mahmud, i de kuala manera ke fue matado kon su proprio Chal Laur 41 ke estava enkochakado en una de las tadres de viernes denpues ke se troko los vestidos para resivir el Chabad, i toda su fortuna ke fue rekojida para la Hazne, i en el tiempo de Hr. Josef, la konversasion ke tuvieron kon Tchelebi Bohor Karmona, por Usref Pacha, ke se akecho sovre ke los kargo a los Djidios de Samokov kon 400 groches de Dasio por todos los Djidios ke antes les kovrava solo 200 groches, i de la amenaza ke le dicho el Usref Pacha a Hr. Josef Vara, Vara, Kezaptchi Oglunda Mi Buldun Aglinmaya 42, i de el espanto ke tuvo ke mas non seya ke non lo iva a resivir kayo hazino i se murio de este espanto, i sovre la korespondensia ke tuvo mi Sinyor padre Tchelebi Abraam M. Arie, II kon el Grand Vizir Midhad Pacha 43, ke le era muy konosido ke kuando veniya a Samokov se abachava en la vigna de mi sinyora Madre ke era en Dragochin esta suya kampania, i yo Tchelebi Moche A. Arie II le dava los vestidos de su uniforma ke se vestiera para entrar en la sivdad, ke era en los anyos de 5634-5 lo todo viya Tchelebi Davidtchon Karmona, por un djuzgo ke tuvimos por una Muchia 44 la Plana 45, ke esto todo en kada partida de kada uno ya lo vo a eskrivir en mas largo sigun de lo ke paso fin a un grado, i denpues ke el Sinyor Abraam I ya resento en Samokov, kontinuavan sigun antes trokandosen los unos en Samokov i los otros en Sofia, i non se enfastiavan longo tiempo de kontinuarlo.
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la maisonnée dix pièces d’or de pourboire pour faire honneur à M. Karmona. C’est ce même M. Karmona qui devint bien plus tard le Trésorier de la sultane mère au temps du sultan Mahmoud et qui fut tué avec sa propre ceinture qu’il avait accrochée un vendredi soir après avoir changé de vêtements pour accueillir le shabbat. Toute sa fortune fut reversée au Trésor du sultan. En son temps, Maître Josef se plaignit à M. Bohor Karmona des charges imposées par Usref Pacha aux Juifs de Samokov qui s’élevaient à 400 groches alors qu’auparavant on leur demandait seulement 200 groches. À la façon dont Usref Pacha menaça Maître Josef : « à force de chercher, tout ce que tu as trouvé c'est d'[aller] te plaindre auprès de ce Kezzapçi oğlu ?! » et de la crainte qu'il éprouva que le pacha ne le reçoive plus, il tomba malade et en mourut. Monsieur mon père, M. Tchelebi Abraam M. Arié II fut en correspondance avec le grand vizir Midhad Pacha. Il était de notoriété publique que lorsqu’il venait à Samokov, il s’arrêtait parmi les vignes de Madame ma Mère, dans ses terres à la campagne à Dragochin. Moi-même, M. Moche A. Arié II, je lui apportais les pièces de son uniforme pour qu’il les mette avant d’entrer en ville. Cela avait lieu dans les années 5634-5635 [année civile 1874]. Nous vîmes tous M. Davidtchon Karmona à l’occasion d’une audience judiciaire à propos de Muchia la Plana. Tout cela, je l’écrirai plus en détail lorsqu’on arrivera au chapitre concerné. Ensuite M. Abraam I s’installa à Samokov et ils poursuivirent comme avant en se relayant les uns à Sofia les autres à Samokov pendant longtemps et sans en éprouver d’ennui. Nous remercions vivement Marie-Christine Bornes Varol, professeure à l'Inalco qui a bien voulu éclairer le sens de certains passages et ajouter plusieurs notes.
PARA MELDAR |
Para Meldar « Et les Juifs bulgares furent sauvés… » Une histoire des savoirs sur la Shoah en Bulgarie Nadège Ragaru
ISBN : 978-7-2462-6506-6 SciencesPo Les presses. Paris. 2020.
C’est à un maître livre que nous convie Nadège Ragaru, directrice de recherche à Sciences Po. Les travaux dont il est issu lui ont valu l’habilitation à diriger des recherches. La singularité du sort des Juifs bulgares durant la Seconde Guerre mondiale a été très tôt reconnue et soulignée notamment par Hannah Arendt, Léon Poliakov et Raul Hillberg. Une abondante littérature, mais aussi des films, des expositions, des commémorat ions se sont emparées de ce fait exceptionnel. En France, on connaît surtout le livre du philosophe Tzvetan Todorov, La fragilité du bien. Le sauvetage des Juifs bulgares 1. C’est cette dernière notion constituée en récit que Nadège Ragaru a choisi d’interroger. Elle explore sa genèse, en suit les méandres à travers les instances judiciaires, diplomatiques, parlementaires, académiques, muséales, au gré des interprétations et des instrumentalisations. Comme elle le rappelle en introduction, on y découvre que si les faits n’existent qu’au travers d’un récit, celui-ci est aussi producteur de faits. Rappelons que Nadège Ragaru s’inscrit dans une tradition historiographique déjà ancienne. Que l’on songe au Dimanche de Bouvines de Georges Duby, où les récits successifs constituent la bataille comme fait historique ou plus proche de nous et de notre sujet Le Syndrome de Vichy 2 d’Henry Rousso ou L’Enfant juif de Varsovie. Histoire d’une photographie 3 de Frédéric Rousseau. Le récit historique, souligne-telle, n’appartient pas en propre aux historiens. Il résulte des interactions entre de nombreux
acteurs : juristes, hommes politiques, diplomates, témoins, artistes, chercheurs dont l’implication varie d’un champ à l’autre. Aucun récit ne rendra pleinement compte du passé, mais la concurrence des récits tend à réduire le champ du possible et du plausible. L’auteure a découpé son analyse en cinq séquences. La première se déroule dans l’immédiat après-guerre et est tributaire de l’historiographie communiste. C’est aussi la plus déterminante puisqu’elle constitue le socle à partir duquel tous les autres récits vont devoir se situer. Elle a pour cadre le palais de justice de Sofia en mars 1945. La Bulgarie a en effet créé dès l’automne 1944, une juridiction exclusivement dédiée aux crimes antijuifs ce qui constitue un effort pionnier de « mise en procès » de la Shoah. Le tribunal populaire constitué pour l’occasion est évidemment une justice d’exception étroitement dépendante du pouvoir communiste. Il n’en est pas moins traversé d’enjeux au moment où s’affirme un nouveau pouvoir. La cause judiciaire est promue par des Juifs communistes bulgares. Ceux-ci sont conscients de l’attraction qu’exercent les idées sionistes sur une majorité de leurs coreligionnaires. Ils ont donc à cœur de démontrer que les persécutions ne sont pas le fait du peuple bulgare, mais d’une « clique fasciste » aux ordres des nazis. Alors que se tient la conférence de Yalta, le procès s’inscrit aussi dans un processus diplomatique est-ouest où le traitement des crimes anti-juifs est susceptible de conférer des avantages politiques. Il n’est pas question ici de résumer le déroulement du procès, scrupuleusement analysé dans le livre. Nous n’en évoquerons que quelques grandes lignes. La documentation et les innombrables témoins appelés à la barre sont mis au service d’un même récit : l’héroïque résistance du peuple bulgare à la déportation des Juifs. La démonstration se fait en deux temps : 1) montrer qu’un pouvoir fasciste aux ordres des nazis a
1. Albin Michel. 1999. 2. Seuil, 1987. 3. Seuil, 2003.
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La famille Panigel portant l'étoile. 1943. Plovdiv. Bulgarie. Collection Panigel. Photothèque sépharade Enrico Isacco.
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servilement décidé de la déportation des Juifs. 2) manifester que le peuple bulgare, étranger à tout antisémitisme, s’est victorieusement opposé à ces déportations. La résistance aux mesures anti-juives est ainsi englobée dans la geste antifasciste. La spécificité de l’antisémitisme est niée. Les opposants aux déportations issus des rangs du pouvoir sont par ailleurs accusés d’antisémitisme et condamnés 4. Cet aperçu à grands traits fait fi de subtiles divergences apparues à l’audience et de la part d’incohérence propre à chaque acteur. Ainsi du procureur Rahamimov qui pointe que les responsables bulgares ont préparé les déportations de leur propre initiative même s’il n’en tire pas les conclusions à l’heure des réquisitions. En arrière-plan de ce procès se dessine le futur de la communauté juive divisée entre assimilationnistes et sionistes. L’appel sous les drapeaux des anciens travailleurs forcés juifs est extraordinairement impopulaire. La restitution des biens confisqués se fait attendre. Les petits commerçants et artisans juifs sont victimes de réquisitions. Des obstacles se dressent devant les candidats à l’émigration en Palestine. Au printemps 1945, les Juifs bulgares ont sans doute d’autres soucis en tête que le procès de leurs persécuteurs. Sabitaj Eshkenazi, un militant sioniste de gauche, cité par Nadège Ragaru résume le sentiment général lorsqu’il dit : « Nous ne voulons pas des lois qui nous protègent, nous voulons écrire ces lois nous-mêmes. » Le 2 avril 1945, la cour rend son jugement qui est particulièrement indulgent. Il semble que le parti communiste ait cherché une forme d’apaisement après les verdicts sévères rendus à l’encontre des principaux responsables du régime. Pour les Juifs communistes, il s’agit là d’une manche perdue dans leur combat idéologique contre le sionisme. Mais le procès est aussi producteur d’un récit qui perdurera au moins jusqu’à la chute du régime communiste. Les chapitres suivants en explorent deux facettes à travers l’analyse de la production
d’un mélodrame tourné en 1959 et de rushes documentant la déportation des Juifs de Thrace sous occupation bulgare. Avec ces films, le thème du « sauvetage » entre de plain-pied sur la scène internationale. Nadège Ragaru rappelle tout d’abord que le récit du « sauvetage des Juifs bulgares » n’a jamais occulté la déportation de 11 343 Juifs de Thrace occidentale et de la Macédoine du Vadar par les occupants bulgares assistés d’officiers SS. Dès le procès de 1945, elle sert en quelque sorte d’écrin pour mettre en relief l’essentiel : l’héroïque opposition du peuple bulgare à la déportation de « ses » Juifs. Sous-entendu : si les Juifs grecs et macédoniens ont pu être déportés, c’est qu’ils n’étaient pas entourés de Bulgares ou que la rapidité de la manœuvre voulue par les Allemands n’a pas permis de s’y opposer. Le film de fiction Zvezti/Sterne (Étoiles) est une co-production de la RDA et de la Bulgarie. Le réalisateur Konrad Wolf est allemand et les moyens techniques proviennent des légendaires studios de l’UFA à Postdam. Le scénariste Angel Wagenstein est un Juif bulgare et le tournage se déroule en Bulgarie. Nadège Ragaru nous plonge au cœur des débats et des malentendus qui présidèrent à la conception de ce film éminemment politique. À travers l’amour impossible entre une jeune juive et un soldat du Reich, la production allemande entendait suggérer la promesse d’une autre Allemagne, là où les responsables bulgares projetaient un film anti-fasciste ne s’embarrassant pas de nuances. En prenant comme sujet d’étude la séquence-clé où les Juifs déportés de Thrace entrent en Bulgarie, Nadège Ragaru repère tous les subtils déplacements qui s’opèrent du scénario au story-board et du story-board au tournage. La conception du film ne s’analyse pas seulement comme la résultante d’un dialogue heurté entre deux pays du bloc de l’Est. Elle manifeste une première manière de représenter le génocide comme l’avait tenté à l’Ouest le quasi-contemporain (1956) Nuit et Brouillard. L’auteure relève la passivité et la soumission des personnages juifs.
4. C’est notamment le cas du vice-président du parlement Dimităr Pešev dont le rôle crucial dans l’arrêt du processus des déportations a été amplement souligné.
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Groupe de partisans bulgares. Samy Benoun est le troisième à partir de la droite et tient un fusil à baïonnette. Plovdiv. Bulgarie. 1944. Collection Benoun. Photothèque sépharade Enrico Isacco.
5. Il s’agit du procès en RFA de l’ancien ministre plénipotentiaire du Reich en poste à Sofia, Adolf-Heinz Beckerle.
Plus troublant encore venant de deux auteurs juifs communistes, le film multiplie les références chrétiennes pour évoquer la souffrance juive. S’agit-il d’en rendre la perception plus universelle ? La même symbolique se retrouve dans d’autres films contemporains tant à l’Est qu’à l’Ouest. Cela ne saurait ôter sa qualité à un film primé au festival de Cannes et qui, malgré les réticences initiales, fut convenablement distribué en Bulgarie. Par-delà les débats qui l’ont vu naître, Nadège Ragaru souligne la licence artistique des deux auteurs, le réalisateur Konrad Wolf et le scénariste Angel Wagenstein, deux Juifs communistes liés par une profonde amitié et marqués à vie par la Shoah. Le deuxième film étudié a une valeur plus testamentaire puisqu’il s’agit de divers plans tournés en mars 1943 de la déportation des Juifs de Thrace occidentale et de leur transfert sur un port du Danube. Le film émerge en quelque sorte du néant dans les années 1960 à l’occasion du procès d’un dignitaire nazi 5 sans que l’on en
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connaisse avec certitude le commanditaire, l’opérateur et les lieux de tournage. L’enquête menée grâce à un réseau de collaborateurs permet de lever un voile sur les conditions de réalisation de celui-ci. Elle met en lumière les différents montages des rushes au service de plusieurs discours interprétatifs. Comme le note Nadège Ragaru, le document finit par faire écran à la compréhension des faits. Un paradoxe apparaît : le film qui montre des convois de déportés juifs escortés par des Bulgares sert, par effet de contraste, à illustrer le « sauvetage des Juifs bulgares ». Il devient dans les années 1970, un élément central de la patrimonialisation de la mémoire et de la « diplomatie du sauvetage » qui s’étend désormais jusqu’à Washington. Les deux derniers chapitres évoquent le réemploi du thème du « sauvetage » dans la Bulgarie post-communiste puis à l’aune de l’intégration européenne. De prime abord, la chute du communisme ne change pas radicalement le schéma narratif
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Samy Benoun posant en uniforme de partisan. Plovdiv. Bulgarie. 1945. Collection Benoun. Photothèque sépharade Enrico Isacco.
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6. En particulier Yad Vashem, le Musée de l’Holocauste à Washington, le Mémorial de la Shoah à Paris. 7. Également coordonnateur avec Nadja Danova d’un recueil en deux volumes portant sur la déportation des Juifs des territoires occupés par la Bulgarie. 8. International Holocaust Rememberance Alliance, IHRA, organisme issu de la déclaration de Stockholm en janvier 2000. 9. Rappelons que Dimităr Pešev est alerté par l’un de ses amis juifs, Jakob Baruch.
élaboré sous le socialisme. La notion de « sauvetage » est préservée et seule la distribution des mérites et des responsabilités évolue. La nature fasciste du régime du roi Boris III fait désormais débat, les communistes n’ont plus le monopole de l’opposition aux déportations, des acteurs-clés sont réhabilités. Comme l'observe, Nadège Ragaru, le débat sur la Shoah est toujours l’occasion de parler d’autre chose. En Bulgarie, il nourrit des débats passionnés autour de la relecture du passé par les acteurs politiques. Un clivage persiste autour de la figure du roi Boris III alors que celle du « sauveur » Dimităr Pešev est devenue consensuelle. À ces controverses internes, s’ajoutent des enjeux à l’échelle internationale. Trois séries d’acteurs sont concernées en Israël, aux États-Unis, en Europe. Progressivement, sous l’impulsion des curateurs de musées 6 et des associations de déportés, un discours simplificateur perd de son crédit. En Macédoine, la déportation des Juifs par les troupes d’occupation bulgare est devenue l’un des marqueurs de l’identité nationale, la souffrance juive subsumant celle du peuple macédonien. Elle s’incarne dans divers projets soutenus par l’État, dont un film et un centre mémorial. En Bulgarie, un subtil glissement s’est opéré permettant d’ouvrir le champ du débat. Une nouvelle génération d’historiens se saisit d’une profusion d’archives désormais accessibles. De nouveaux champs d’études sont investis comme l’expropriation des biens juifs par l’économiste et historien Roumen Avramov 7. Surtout la question des persécutions passées s’inscrit désormais dans la lutte contre les résurgences de l’antisémitisme dont la Bulgarie n’est pas exempte. Elle se voit accompagnée par des organismes internationaux comme le Congrès juif mondial, l’Anti-Defamation League ou l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste 8 qui en contrepartie demandent l’ouverture des Archives publiques et un examen critique du passé. Sans mettre fin aux divergences, ces avancées resserrent le champ des interprétations
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possibles, notamment quant aux questions cruciales de la responsabilité dans les déportations ou de la marge dont disposait le gouvernement bulgare face aux représentants allemands. On ne manquera pas d’y trouver un écho dans l’historiographie française traitant de Vichy. En conclusion , nous reprendrons une interrogation posée dès les premières pages du livre. Le terme de « sauvetage » est-il le plus approprié pour rendre compte de la situation des Juifs de Bulgarie pendant la guerre ? Ne vaudrait-il pas mieux parler de « survie » pour traduire à la fois la rigueur des persécutions et le fait que les Juifs se mobilisèrent face à la montée des périls 9. Cette question nous a accompagnés tout au long du livre, car elle pouvait sous-entendre que l’exceptionnalité bulgare n’en était pas une. Or la conclusion de l’auteure va dans un sens tout à fait différent et mérite d’être citée presque intégralement : « La stupéfaction s’accroît à mesure que s’expose dans les Archives d’État bulgares, la variété des protestations individuelles et collectives qui s’élevèrent à l’automne 1940 contre l’adoption de la première loi anti-juive. […] Puis vient cette seconde vague de protestations, celle du mois de mars 1943, en opposition à la déportation des Juifs du « vieux » royaume. Quoique les canaux en soient resserrés […] la constellation d’initiatives n’en demeure pas moins saisissante. Son succès plus encore : les ordres de déportation sont annulés et les Juifs bulgares qui avaient été arrêtés sont libérés. Les tentatives ultérieures de déportation promues par le Commissariat aux affaires juives échoueront à obtenir l’assentiment du pouvoir exécutif et du roi. » C’est bien de cette exceptionnalité-là que toute enquête doit partir « ni contre ni sans, tout en se déprenant de la fascination qu’elle exerce. » Cette recension ne rend sans doute pas assez justice au travail accompli par Nadège Ragaru qui se meut avec une déconcertante facilité au sein d’une vertigineuse collection d’archives, leur confère lisibilité et intelligibilité, joue des échelles temporelles et spatiales, déploie différentes grilles
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d’analyse sans jamais perdre de vue son sujet ni égarer son lecteur. Assurément, le livre fera date.
FA
Balat a Galata – Vidas Djudias de los anyos 1950
Betti Öziel & Roz Kohen Libra. Istanbul. 2020. ISBN 978-625-7900-25-6.
Résultat de la collaboration de deux locutrices du judéo-espagnol, Betty Öziel et Roz Kohen, dont les propos sont également traduits en anglais, cet ouvrage est un recueil de souvenirs remontant à plus d’un demi-siècle. Ces soixantedix années écoulées ont totalement modifié le monde dans lequel elles ont vécu au point de le rendre méconnaissable et uniquement accessible au travers de semblables travaux qui, même si les « souvenirs sont une reformulation de nos expériences », n’en restent pas moins de précieux témoignages culturels, cultuels et linguistiques. Betti Öziel a vécu son enfance à Balat, un quartier d’Istanbul chargé d’histoire qui se développe à compter de 1492 avec l’afflux des Juifs d’Espagne accueillis par le Sultan. Ils lui donneront son caractère propre durant cinq siècles, et à l’instar du Fener proche, autrefois grec orthodoxe, il va, à compter des années 1950 se modifier progressivement et perdre sa spécificité pour devenir un quartier restauré et « branché » après s’être vidé de ses habitants juifs. L’auteure appartenait à une famille de notables qui a fini, comme nombre d’autres, par quitter Balat, mais non pas Istanbul. Elle nous parle de cette période charnière entre un passé de plusieurs siècles et le moment de l’appropriation par la société dominante. Elle évoque l’enfance d’une fillette confrontée à l’univers des adultes et retranscrit avec une
certaine spontanéité les multiples impressions qu’elle a conservées de toute cette période. Elle nous décrit ces maisons typiques qui, restaurées, servent aujourd’hui au tournage de séries télévisées, mais qui, à l’époque, dans tout leur inconfort, abritaient des familles entières. D’ailleurs tout le quartier n’était-il pas une grande famille ? Le lecteur ne peut qu’être marqué par le poids de la solidarité intracommunautaire et par le rôle prédominant des femmes au sein d’une communauté où l’on partage responsabilités, deuils et joies. Les enfants n’appellent-ils pas les voisines, indistinctement, « tantes » ? Car dans ces sociétés où c’est encore l’homme qui seul travaille à l’extérieur, la femme constitue assurément l’épine dorsale du système : outre les charges ménagères multiples − nettoyages, lessives, couture, cuisine, préparation des fêtes selon un rythme bien déterminé et quasiment sacralisé − c’est la femme qui est chargée de la protection et de la formation des enfants, de l’initiation pourrait-on dire à l’âge adulte dans une société traditionnellement structurée. M. Molho en parlant de la société salonicienne dont la femme est un élément de dynamisme, confirme le rôle que lui attribue Betti Öziel dans la société stambouliote juive : « Les femmes, pleines de vie, véritables animatrices des fêtes, rieuses, avec leur bavardage effronté, leur art de dire des bagatelles et même des grivoiseries, leur habileté dans les commérages, semaient réellement la joie autour d’elles. » Dans cet univers très féminin, superstition et religion se rejoignent souvent, en dépit des multiples interdictions bibliques. Quoique pour la mère de Mme Öziel la lecture du marc de café équivaille à echar mintiras, les « tantes » qui connaissaient cette science ne s’en privaient pas lorsqu’elles prenaient un kafiko, un café turc, puis retournaient le contenu de la tasse dans la soucoupe. La croyance dans le mauvais œil, l’aynara, universellement répandue dans la société sépharade, et assurément dans la société non juive environnante, sévissait aussi bien à Istanbul qu’à Salonique. À Balat, la femme qui
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levait le mauvais sort utilisait du plomb qu’elle faisait fondre. Généralement musulmane, on l’appelait la Kurshundjiya, Kurşuncu Kadın en turc. Elle interprétait les différentes formes que prenait le métal préalablement chauffé dans une cuillère puis plongé dans un récipient d’eau froide. Les Saloniciens écartaient le mauvais œil en faisant kapara d’une façon beaucoup plus radicale, par le sacrifice d’une poule ou d’un coq, en fonction du sexe de la personne. Il va sans dire que dans cet univers éminemment féminin, la mère joue un rôle fondamental. Elle est d’ailleurs un personnage important des récits de Betty Öziel, mais aussi de ceux de Roz Kohen qui consistent tant en souvenirs personnels qu’en anecdotes, souvent pleines d’humour, qu’elle tient de sa mère pour quelques-unes d’entre elles. Et même si Mme Kohen conclut son propre recueil sur la vie de Rachel Elkenave, jeune femme « émancipée » puisque, apparemment indépendante, elle gagne sa vie à un âge où la tradition aurait voulu qu’elle soit mariée et mère de famille, c’est-à-dire, en employant un gallicisme, bien komilfoz, le lecteur sait que cette émancipation qui se traduit par une élégance dont sont envieuses ses contemporaines, connaît tout de même ses limites. Rachel continue à vivre dans le même appartement que ses parents, son frère marié et ses neveux et si à l’âge de quarante ans elle finit par trouver un époux, c’est après nombre de rencontres organisées par la famille et en famille dont l’une mémorable dans les salons de l’hôtel Hilton nouvellement inauguré. Betty Öziel se plait à des évocations plus personnelles de moments de son enfance, d’instants qui l’ont particulièrement marquée, dans la grande maison familiale de trois étages, plutôt inconfortable en hiver, mais si propice aux jeux et aux réunions de voisins puisque ces demeures communiquaient entre elles, ce qui élargissait assurément le cercle familial. Elle nous décrit le cadre de vie d’une famille juive sépharade de Turquie, le rituel du bain turc, les petites professions alors pratiquées et qui ont
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disparu, le rôle important de la couture puisque seuls les hommes se faisaient habiller par des tailleurs. En règle générale, les femmes taillaient et montaient elles-mêmes leur garde-robe avec l’aide des voisines, toujours, mais aussi de couturières professionnelles qui se déplaçaient à l’occasion, le tout donnant lieu en quelque sorte à des rituels festifs agrémentés de cafés turcs et de gâteaux, rituels qui culminaient dans la préparation du trousseau. Le Manuel du judéo-espagnol de Marie-Christine Varol fournit une iconographie intéressante et complémentaire de celle produite dans le présent ouvrage. Balat possédait deux grandes synagogues, el Kal de Ahrida et el Kal de Selaniko aujourd’hui en ruine et un hôpital Or-Ahayim dont, il faut le souligner, les médecins réputés accueillaient tous les patients sans distinction de confession. C’est dans ce dernier, nous apprend Betty Öziel, que le professeur Abraham Galante (1873-1961) sur la fin de sa vie avait une chambre réservée pour l’hiver. Il est émouvant de voir cette figure qu’A. Elmaleh décrit dans la biographie qu’il lui a consacré, comme un cerveau encyclopédique, quelque peu désincarné et totalement absorbé dans le monde de l’esprit et de l’intellect, prendre vie, même fugitivement, sous nos yeux au travers du regard timide de la fillette. Il appartient à Roz Kohen qui, elle, vit aux ÉtatsUnis, d’affirmer dès la préface qu’elle a rédigée, le dessein qui l’anime : « Je cherche continuellement à retrouver l’essence (umor) de la langue et de la culture juive d’Istanbul pour conserver vivant le judéo-espagnol dans mes récits », un judéo-espagnol assurément marqué par la culture d’accueil, ce qu’atteste l’abondance des termes turcs dans les récits de Betty Öziel. L’intérêt de ces souvenirs est également de ressusciter un monde auquel le djudezmo donne encore plus de relief, un univers que nous pouvons, par extrapolation, imaginer ailleurs dans les Balkans, avant la Shoah. Car si la communauté juive de Balat (ne) se délite (que) dans les années 1950, sans doute en raison de la modernisation de la vie dans la
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capitale turque, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l’univers sépharade des Balkans n’est plus que l’ombre de lui-même. Et pourtant, les quartiers populaires juifs de Salonique, de Sarajevo, de Sofia, de Roustchouk ou de Varna, dont est originaire la grand-mère paternelle de Roz Kohen, devaient ressembler à ceux d’Istanbul, d’autant plus que ces villes avaient connu durant quelques siècles l’administration ottomane. En souhaitant ainsi maintenir vivante la langue vernaculaire dans ses konsejas rédigées à la mémoire de Haïm Vidal Sephiha, Roz Kohen nous force à nous interroger sur la survivance d’une langue et l’extinction du milieu qui lui insufflait sa vie. La question que nous sommes en droit de nous poser est celle que l’auteur de L’agonie des Judéo-Espagnols a soulevée avec la pénétration qui était sienne : « le judéo-espagnol sans le ferment de la vie quotidienne peut-il survivre ? La “thésaurisation” des produits culturels dont la langue est un joyau, n’est-elle pas le signe avant-coureur de sa disparition dans le temps ? » Telle est la mise en garde que contient l’essai de Haïm Vidal Sephiha que Marie Lafranque qualifia de « bien vivant, savant et dramatique petit livre ». Mais pour tempérer tant de pessimisme, il y a des ouvrages tels que Balat a Galata. Écrits dans une langue qui colle incroyablement à la vie et en exprime toute la spontanéité et l’énergie protéiforme au travers d’expressions et de tournures savoureuses qui réjouissent et surprennent toujours l’amoureux des mots, ils sont là pour nous convaincre de la nécessité, si ce n’est de lui concevoir l’avenir d’une langue vernaculaire, ce qu’il était quasiment dans le cadre de la Salonique macédonienne du début du XXe siècle, du moins de pérenniser à tout prix le judéo-espagnol.
Bernard Pierron
Une saga séfarade Alexandre Mostrel
Z4 Editions ISBN : 978-2-490595-25-9 novembre 2018
« Il vaut mieux écrire ses mémoires avant de ne plus en avoir » selon Tristan Bernard. Cette mise en exergue montre l’intention de l’auteur confronté aux nombreuses questions de ses petits-enfants : il lui faut écrire l’histoire de sa vie avant qu’il ne soit trop tard. Avec cette « saga séfarade », il livre ainsi un récit de transmission comme nous en connaissons beaucoup, mais qui se veut surtout une leçon de courage : rien en effet ne prédisposait l’auteur à une telle réussite professionnelle, sociale, familiale après une enfance pauvre en terres étrangères… Né en 1925 à Marseille de parents immigrés en France en 1924, Alexandre Mostrel (Mistriel de naissance, mais patronyme mal traduit en France par le service de l’Immigration) est issu de Juifs séfarades nés en Turquie dont les ancêtres conservèrent, comme on le sait, la langue et les coutumes à travers les siècles passés dans l’Empire ottoman. Le père d’Alexandre, Moïse Mistriel, est né en 1905 à Bergama (anciennement Pergame) où furent assassinés ses parents lors d’un pogrom en 1915. La mère, Mathilda Mazalto est née en 1900 à Izmir (Smyrne), non loin de là. Les parents se sont mariés très jeunes. Ayant fréquenté en Turquie les écoles de l’Alliance israélite universelle, et parlant donc le français, ils s’expatrient en France après l’instauration de la république par le général Mustafa Kemal Atatürk, et afin d’échapper pour Moïse à un service militaire de trois ans s’apparentant à des travaux forcés pour les minorités et les Juifs en particulier. Puis, en 1929, la famille Mostrel quitte Marseille avec leurs deux jeunes enfants, Alexandre et Anna née en 1927. Deux garçons naîtront plus tard à
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Tunis, lieu de leur nouvelle destination après cinq années passées en France dont l’auteur garde peu de souvenirs. Le voyage en bateau de Marseille à Tunis fut à l’image de l’expérience de tous les expatriés déracinés : les nuits sur les chaises longues inconfortables, le pont mouillé par les embruns, le ronronnement lancinant des moteurs, une traversée longue et éprouvante, mais l’espoir d’un avenir meilleur avec une partie de la famille déjà installée à Tunis. Heureuse décision, souligne l’auteur, qui les préservera de la déportation et de la mort qui décimèrent les Juifs sépharades arrivés dans les années 1920 en France. Dès leur arrivée, les Mostrel emménagent dans un petit deux-pièces dans La hara, le ghetto pauvre de Tunis, quartier jouxtant la Médina arabe. Aucun confort, des malles venues de Turquie comme meubles, w.c. et salle d’eau à l’extérieur, mais l’appartement restera pour l’auteur « le domaine enchanté » de son enfance. Installation qui devait être provisoire, mais qui durera jusqu’en 1951, date de la « montée » des siens en Israël. De laborantin en Turquie, son père, va se reconvertir à Tunis en photographe ambulant après avoir pratiqué divers petits métiers dont celui de figurant au Théâtre de l’opéra local, ce qui procurera des billets gratuits au jeune Alexandre et à sa mère pour leur plus grande joie ! Enfance heureuse où le petit garçon malgré des conditions de vie misérables (le père rapporte peu à la maison) ne souffre pas de la pauvreté, baignant dans une « ambiance chaleureuse et pleine de gaîté malgré les privations », dans un foyer où la mère prend une importance primordiale par l’éducation morale qu’elle donne à ses enfants, et par sa cuisine savoureuse et odorante qui marque l’auteur à jamais. L’entrée à l’école fut une épreuve « désastreuse et traumatisante » pour le jeune Alexandre avec son entrée au keteb. Mal accueilli par le rabbin et les élèves qui ne comprennent pas pourquoi il parle espagnol avec ses parents au lieu de s’exprimer comme tous, bel ârbi, en arabe, il découvre l’ostracisme des Juifs tunisiens qui vont
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jusqu’à douter de la judéité de la famille Mostrel. Plusieurs communautés juives cohabitent dans le Tunis de l’époque qui n’est pas plus grand que deux ou trois arrondissements parisiens. L’enfant passe deux ans au keteb, y apprend l’hébreu et reçoit une éducation religieuse traditionnelle. Plus tard il entre à l’AIU où il trouve le goût de l’étude qui ne le quittera plus. L’ostracisme du début est remplacé par l’antisémitisme virulent des « gosses » arabes du quartier. S’ensuivent insultes et bagarres rangées où l’enfant développe un sentiment d’injustice qui forgera son caractère d’adulte et qui ne se démentira pas tout au long de sa vie. Il en fera son combat d’homme, ce livre en constituant un témoignage sans concession. Septembre 1939 : la guerre éclate, Moïse est mobilisé, mais retrouve rapidement son foyer étant père de quatre enfants. Pourtant les nouvelles sont mauvaises. En 1942, les soldats allemands occupent toute la Tunisie alors sous protectorat français. Le statut des Juifs entre en vigueur. La peur, la faim, les rafles, les bombardements alliés, les exactions contre les Juifs, le travail obligatoire sont le quotidien. Les Allemands commencent à construire à Djebel Djeloud des fours crématoires. En novembre 1943, Alexandre Mostrel reçoit l’ordre d’appel sous les drapeaux où il subira pendant 24 mois nombre de vexations. C’est le début d’un périple à travers l’Allemagne et l’Autriche jusqu’au camp de Dachau qu’il va découvrir – horrifié – avec les Américains. Il n’oubliera jamais le kaddish que lui demande un jeune déporté à bout de forces à la mémoire des morts du camp. De retour à Tunis en 1946, il lui faut réapprendre la vie civile. Il va y développer un fort désir d’instruction, se rapprocher du sionisme et du socialisme, envisager sérieusement son alyah − difficile et toujours retardée −, puis s’engager par les liens du mariage avant de partir en France en 1960. On ne peut retracer ici tous les détails de cette saga foisonnante. Mais la narration que l’auteur fait de ses déboires avec l’État d’Israël – qu’il chérit pourtant de toute son âme – est instructive et
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douloureuse. L’ayant en effet précédé dans leur alyah en 1951, ses parents subissent sur place un accueil désastreux : à peine débarqués du bateau, ils sont hébergés sous des tentes militaires sans rien autour. Aucune commodité, très peu de nourriture : « Les nouveaux immigrants d’Afrique du Nord étaient traités comme des bestiaux… La protectia, le piston, sévissait à grande échelle, en faveur des olim de l’Europe de l’Est pour l’attribution de l’emploi et du logement ». La mère d’Alexandre le supplie de la rapatrier à Tunis. L’ayant dissuadée dans l’attente de son propre départ, l’auteur travaille d’arrache-pied à les aider financièrement afin qu’ils aient des conditions de vie meilleure. Ce n’est qu’après 1967, qu’il pourra reprendre les démarches pour rejoindre ses parents avec les siens ; de la France où il s’est installé avec sa femme et ses enfants et après sa réussite professionnelle chez EDF au début de l’informatique auquel il contribue. Malgré l’appui de l’Agence Juive à Paris et ses compétences professionnelles reconnues, sa candidature est encore écartée au profit de nouveaux immigrants arrivant de l’Europe de l’Est accueillis à bras ouverts grâce à leurs diplômes – douteux – et qui bénéficient de bonnes conditions d’insertion. Malgré l’amélioration progressive de ces conditions d’accueil, il choisit après cette désillusion de mener sa vie en France. La famille s’est installée à Vanves et Alexandre Mostrel y animera la communauté juive où son engagement sera reconnu par les édiles du cru. Le lecteur trouvera dans cet ouvrage nombre d’informations historiques et matière à étonnement et réflexion. Témoin des tempêtes du XXe siècle, autodidacte et érudit, s’élevant contre les faiblesses, les corruptions et l’antisémitisme, Alexandre Mostrel lègue en héritage un récit qui se veut pédagogique et sans complaisance. Il lègue aussi une certitude : l’accomplissement personnel exige foi en soi et maîtrise de son destin.
Sur les ailes du passé. Des objets, j’ai rencontré… Angèle Perla Saül
ISBN : 978-2-7543-08595 Le livre actualité éd. Paris. 2020.
Dan, 13 ans, un adolescent d’origine judéoespagnole vivant à Paris, a une étrange passion pour son âge. Les objets anciens le fascinent. Sa famille se demande pourquoi ? Nous le suivrons jusqu’à ses vingt ans. Son enthousiasme le conduira à entreprendre des études pour devenir antiquaire. Mais quelle force le pousse vraiment ? Un jour, ce sera clair pour lui. Il découvrira que les objets s’expriment si nous savons les écouter. Les questionner deviendra sa quête. Ce récit initiatique chargé d’histoire raconte les exils forcés, l’existence d’êtres confrontés à la nostalgie du pays perdu. Pour la première génération, il s’agit de s’adapter à la nouvelle terre, tout en restant fidèle à ses racines, sa culture, aux objets reçus en héritage. Mais qu’en est-il après plusieurs générations ? L’auteure Angèle Perla Saül a animé pendant plusieurs années des ateliers d’écriture « Au pays de nos souvenirs » avec le soutien des associations judéo-espagnoles. Elle collecte depuis dix ans les témoignages de cette minorité culturelle dont les familles, arrivées au début du siècle, vécurent la période de la guerre et la Shoah. Elle est l’auteure notamment de Djoha, Djohaya, nouveaux contes judéo-espagnols. Biblieurope 2009.
Ariane Ego-Chevassu
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Para Sintir Kantikas i Dichas Infantiles Sefardis Sephardic Children’s Songs and Rhymes Interprétation : Estreyikas d’Estambol & Izzet Israël Bana Directeur musical : Izzet Israël Bana Recherche, supervision, commentaires et traduction : Susana Weich-Shahak Arrangements : Joseph Yusuf Sağlamlar Répétiteur : Nazım Kerkez Révision des textes judéo-espagnols : Moshe Shaul & Karen Şarhon CD & DVD en vente sur le site : www.sefarad.com.tr – www.gozlemkitap.com
1. Susana Weich-Shahak. Repertorio tradicional infantil Sefardí. Compañía literaria. Madrid. 2001.
Nous devons à la rencontre de Susana WeichShahak et d’Izzet Bana la réalisation d’un séduisant coffret de comptines enfantines judéo-espagnoles. Il est la parfaite illustration que la patrimonialisation peut nourrir l’inspiration et la création. Ce projet a pour point de départ la collecte de chants judéo-espagnols entreprise par Susana Weich-Shahak dans les années 1970-1980 tant dans les pays de l’ancien Empire ottoman qu’au nord du Maroc. L’un de ses champs de recherche concerne le monde de l’enfance qui reste rarement représenté sur scène. Les comptines, jeux, dictons et berceuses collectées auprès d’informantes ayant grandi dans un univers imprégné de traditions ont été publiés dans un livre de référence 1. C’est ce livre qui a inspiré à Izzet Bana le désir de transmettre ce répertoire aux jeunes générations. Il renoue ainsi avec sa propre enfance qui s’est déroulée à l’ombre de La Kula, la tour génoise du quartier de Galata à Istanbul. Comme tout le répertoire judéo-espagnol, les comptines sépharades révèlent l’empreinte d’un monde très métissé avec ses emprunts au turc, au grec, au français, à l’italien, à l’hébreu et pour le versant marocain, à l’arabe et à l’espagnol contemporain. De même, les bonnes mélodies se sont propagées d’une culture à l’autre.
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Le registre enfantin est aussi celui où s’exprime le plus librement la poésie du judéo-espagnol. De nombreuses formulettes et comptines défient l’entendement et constituent des jeux sur les assonances et les allitérations. Elles font écho à l’âge tendre où la découverte des mots autorise des rapprochements singuliers, cocasses et imprévus. Certaines comptines ont une fonction ludique et accompagnent, un jeu, une danse (Yo tengo un kastiyo). Les mots prononcés peuvent s’accompagner alors d’un mouvement ou d’une gestuelle pour désigner celui qui commencera un jeu. D’autres ont une fonction plus pédagogique pour apprendre le nom des doigts (Chiko meniko) ou les lettres de l’alphabet hébraïque (Alef-avyana). Mais bien souvent vertus pédagogiques et ludiques se conjuguent. Enfin, certaines formulettes (Kuatro kantonadas) possèdent des fonctions magicoreligieuses destinées à écarter le mauvais œil, à soigner et à protéger. Les chants sont interprétés par le chœur d’enfants Las Estreyikas d’Estambol fondé en 2004-2005 par Izzet Bana à Istanbul. Il compte aujourd’hui 35 filles et garçons âgés de huit à quatorze ans et il est à ce jour le seul chœur d’enfants chantant en judéo-espagnol. Il est difficile d’échapper à la grâce de ces chants et de leurs jeunes interprètes. Une attention particulière a été portée au respect de la forme traditionnelle. Chaque chant est précédé d’un court extrait de l’enregistrement qui l’a inspiré. Preuve que la tradition est fertile, deux chants composés dans les années 2000 par Amalia Baruch et Maty Levy font partie des 12 pistes du CD. L’excellent livret, outre une introduction de S. Weich-Shahak et d’I. Banat, reprend les paroles de chaque chant judéo-espagnol accompagné d’une traduction en anglais. Enfin un DVD, permet d’apprécier la gestuelle qui accompagne certaines comptines.
Las komidas de las nonas BOREKITAS DE MASSA FINA CHAUSSONS AU FROMAGE ET À LA POMME DE TERRE
Préparation de la pâte Dans une casserole, mettez l’eau à bouillir avec l’huile. À peine l’ébullition atteinte, retirez du feu, versez dans une grande jatte. Versez la farine et le sel. Mélangez à fond à la cuiller en bois. Renversez sur une planche farinée. Pétrissez. Ajoutez de la farine si la pâte est trop molle jusqu’à obtenir la consistance du lobe de l’oreille. Continuez à pétrir pendant 5 min. Rassemblez la pâte en une grosse boule. Enduisez vos mains d’huile d’olive, enrobez d’huile la boule de pâte. Laissez reposer.
Préparation de la garniture Réduisez les pommes de terre en purée. Incorporez les œufs battus, le fromage, le beurre. Salez à volonté. Si le mélange vous paraît trop sec, mouillez avec un peu de yaourt. Abaissez la pâte sur une planche bien farinée sur 6 mm d’épaisseur. À l’aide d’une roulette à pâtisserie ou d’une tasse adaptée, découpez des disques de 8 à 10 cm de diamètre, placez au centre de chacun une cuillerée de garniture. Emprisonnez cette farce en repliant la pâte en demi-lune. Pincez fermement les bords avec le pouce et l’index. Avec un peu d’entraînement on peut fermer en formant une petite vague ou un « rouloté ». Disposez les chaussons sur la plaque à pâtisserie couverte de papier cuisson. Badigeonner au pinceau avec du jaune d’œuf. Enfournez et faites chauffer le four à 180°. Les chaussons sont cuits lorsqu’ils sont dorés, ce qui demande à peu près 30 min.
Ingrédients pour la pâte (25 à 30 borekitas) – ½ tasse d’huile d’olive – ½ tasse d’eau – 1 tasse ¾ de farine ou plus – ½ cuiller à café de sel
Ingrédients pour la garniture – 2 grosses pommes de terre cuites à l’eau – 3 œufs – ½ tasse de fromage salé dur comme le kefalotyri ou le parmesan, râpé – 3 cuillers à soupe de beurre fondu – du sel – du yaourt, éventuellement
N.B. On peut aussi les cuire en les faisant frire dans 1,5 cm d’huile d’olive à peu près. Variante
Recette adaptée d’après le livre de Nicholas Stavroulakis, Cuisine des Juifs de Grèce. L’Asiathèque. 1995. Traduction de l’anglais par Mireille Mazoyer-Saül et Marianne Bendayan-Grange.
La même recette peut se pratiquer avec une garniture uniquement composée d’un mélange de kefalotyri et d’emmental râpés avec des œufs battus.
Directrice de la publication Jenny Laneurie Fresco Rédacteur en chef François Azar Ont participé à ce numéro Izo Abram, François Azar, Marie-Christine Bornes Varol, Albert Bourla, Francine Conchondon, Ariane Ego-Chevassu, Jenny Laneurie Fresco, Bernard Pierron, Martine Swyer. Conception graphique Sophie Blum Image de couverture Yvette Calev Anavi née le 26 décembre 1919 à Plovdiv (Filibé, Philipopoli) et son frère Haïm (Henry) Eliezer Calev, né le 12 octobre 1930. Sur ce cliché d'avril 1943 pris à Plovdiv ils portent tous les deux l'étoile jaune. Haïm Calev a quitté la Bulgarie en 1948 pour s'établir en Israël au kibboutz Nir Itzhak. Yvette Calev a épousé en juin 1944 Elie Anavi dont elle a eu deux fils. Elle s'est fortement impliquée dans la conservation de la langue et de la culture judéoespagnoles en Bulgarie. Photothèque sépharade Enrico Isacco. Impression Caen Repro Parc Athéna 8, rue Ferdinand Buisson 14 280 Saint-Contest ISSN 2259-3225 Abonnement (France et étranger) 1 an, 4 numéros : 40 € Siège social et administratif MVAC 5, rue Perrée 75003 Paris akiestamos.aals@yahoo.fr Tel : 06 98 52 15 15 www.sefaradinfo.org www.lalettresepharade.fr Association Loi 1901 sans but lucratif n° CNIL 617630 Siret 48260473300048 Avril 2021 Tirage : 900 exemplaires Numéro CPPAP : 0324G93677
Aki Estamos – Les Amis de la Lettre Sépharade remercie ses donateurs et les institutions suivantes de leur soutien