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MARS 2018 Chevat, Adar, Nissan 5778
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Revue de l'association Aki Estamos Les Amis de la Lettre Sépharade fondée en 1998
03 K lara Perahya une grande dame dans une petite robe noire — ROSIE PINHASDELPUECH
07 F ortunée Azar Arazi
— FRANÇOIS AZAR
23 D eux siècles
d’histoire d’une famille judéoespagnole : la saga de la famille Arié de Samokov
29 P ara meldar — IZO ABRAM, HENRI NAHUM
32 P ara sintir
L'édito La vie (judéo-espagnole) est un roman
Le titre du film d'Alain Resnais nous vient naturellement à l'esprit en lisant l’histoire de Fortunée Azar ou celle des Arié de Samokov. Leurs récits nous transportent loin du temps présent et évoquent la nostalgie de terres perdues, de bonheurs écourtés et d’amours contrariés. Histoire, roman, légende : comment ne pas voir que ces mémoires font écho à des visions culturelles et universelles qui les dépassent et les relient. Un souvenir n’est jamais aussi juste que quand il paraît s’abstraire de la réalité, quand, par le truchement du rêve, il nous livre des vérités profondes sur la condition humaine. L’impératrice d’Autriche a-t-elle un jour croisé le chemin d’un enfant Arié se rendant à l’école ? L’a-t-elle réellement élevé en secret dans son palais ? Nous n’en savons rien, mais ce récit fondateur fait étrangement écho à l’histoire de Joseph et illustre ce désir qu’ont les Sépharades de s’identifier aux grands de ce monde. Chassés, persécutés, bannis, ils n’oublient jamais la noblesse de leurs origines. Un récit profondément humain où l’on trébuche et se relève à chaque génération avec l’espoir toujours présent d’illustrer son nom. En septembre 2018, notre association Aki Estamos Les amis de la Lettre Sépharade fêtera ses vingt ans. Vingt ans d’aventures judéo-espagnoles avec comme premiers de cordée, nos chers Jean Carasso et Dolly Benozio Modiano. Vingt ans qui nous ont vus progresser, nous affirmer et nous renouveler. Qui aurait fait le pari, en 1998, que nous serions plus de cinq cents, vingt ans plus tard, rassemblés autour d’une même langue et d’une même culture ? Ce pari nous l’avons tenu ! Le p a t r i m o i n e j u d é o - e s p a g n o l e s t
aujourd’hui reconnu bien au-delà du cercle des descendants des familles venues d’Orient ou du Maroc. Il inspire de nouvelles générations d’artistes. Nous avons à cœur de leur transmettre cet héritage et de leur offrir l’occasion de se faire connaître sur scène. Des scènes cette année nous n’en manquerons pas justement : de la quatrième université d’été judéo-espagnole qui se tiendra du 8 au 13 juillet au Centre Edmond J. Safra de l’Alliance israélite universelle, en passant par la journée judéo-espagnole du festival des cultures juives le 19 juin et bien sûr la célébration de nos vingt ans en septembre. C ’est avec enthousiasme que nous abordons cette année 2018 qui promet d’être riche en surprises, rencontres et découvertes ! L’excellence et la permanence ont un prix. D’abord celui du dévouement et du sacrifice de nos bénévoles qui œuvrent dans l’ombre pour préparer et organiser chacune de nos manifestations. Celui ensuite de l’engagement de nos partenaires qui nous renouvellent chaque année leur bienveillant accueil et leur soutien financier. Celui enfin de la fidélité de nos adhérents sans lesquels Aki Estamos Les Amis de la Sépharade ne serait pas. Votre adhésion est notre force ! Aussi nous vous engageons à la renouveler sans tarder en ce début d’année. Après cinq années de stabilité, nous avons dû consentir à une légère hausse des cotisations tenant compte de l’inflation. Le tarif de l’abonnement à Kaminando i Avlando reste lui inchangé. Anyada buena a todos ! Que l’année nouvelle nous apporte à toutes et à tous paix, santé, joie et prospérité !
KE HABER DEL MUNDO ? |
Ke haber del mundo ? En Israël
À Paris
Aki Estamos chante et joue la comédie en Israël
Création d’un groupe de généalogie judéo-espagnole
Au cours de la dernière semaine d’octobre, accompagnés de quelques-uns de leurs proches, les membres de la chorale et du groupe théâtre d’Aki Estamos – AALS ont eu l'honneur de se produire à Haïfa, à Petah Tikvah près de Tel-Aviv, et à Jérusalem.
À l’initiative de Laurence Abensur-Hazan, un groupe de généalogie va être créé au sein d’Aki Estamos.
À la maison de retraite Beit Avraham de Haïfa, près de cent vingt personnes nous ont accueillis et applaudis avant que nous soit offerte, par nos hôtes, une généreuse collation suivie d’une visite guidée de la ville. À Petah Tikvah, Roni Aranya directeur de la maison de retraite « Beth Leon Recanati » nous a ouvert ses portes et fait visiter son très émouvant musée salonicien. De nombreux résidents ont assisté ensuite à notre représentation dont Matilda Coen-Sarano, et, parmi les visiteurs, M. et Mme Salti ainsi que nos amis Moshe Shaul, Kobi Zarco, Susana Weich-Shahak et Zelda Ovadia. À Jérusalem, à la Komunita de los Sefaradim, nous attendait Tamar Alexander, présidente de l’Autorité du Ladino, dans une très grande salle vite animée par la présence chaleureuse du public, la verve du dynamique Albert Israël qui s’était joint à notre pièce et la « musique des mots » des chants judéo-espagnols de notre chorale dirigée par Marlène Samoun. Partout nous avons été reçus avec beaucoup d’enthousiasme dans des salles pleines avec, en prime, pour chacun d’entre nous, le bonheur d’entendre le public commenter, en judéo-espagnol, les répliques de « Fortuné se kere kazar », ou bien reprendre en chœur les paroles de « Morenika » ou de « Adio Kerida ». Il faut ajouter à cela un très beau soleil et surtout… surtout ce surprenant sentiment d’être partout « en famille ». Une expérience très appréciée qu’il faudra renouveler. Jenny Laneurie
Basé avant tout sur l’entraide, ce groupe a pour objet de permettre aux personnes qui désirent partir sur les traces de leurs ancêtres de Turquie, de Grèce, plus largement de l’ex-Empire ottoman et du nord du Maroc, de mettre en commun leurs connaissances, leurs sources pour avancer ensemble. Plusieurs projets sont d’ores et déjà envisagés : réunions ponctuelles pour échanger sur ce sujet, dépouillement d’archives accessibles en ligne et pouvant donc se faire de chez soi (comme celles de l’Alliance israélite universelle), cours de solitreo pour pouvoir déchiffrer certains documents et archives familiaux. Ce groupe est ouvert aux personnes motivées par la généalogie et prêtes à participer à des travaux collectifs qui peuvent permettre à chacun d’avancer dans ses propres recherches. Au-delà des dates et des noms qui sont l’ossature nécessaire à la constitution d’un arbre généalogique, l’objectif est de reconstituer le mieux possible les parcours et vies de nos ancêtres, de nos familles pour mieux comprendre et transmettre leur histoire. Pour tout renseignement, vous pouvez adresser un mail à : lah-geneal@wanadoo.fr
Carnet gris Nous avons la tristesse de vous annoncer la disparition de deux de nos plus fidèles adhérents : Albert Sardas et Daniel Haïm. Albert Sardas, issu d'une famille smyrniote, était un excellent locuteur du judéo-espagnol. Son humour et sa bienveillance nous manqueront. Daniel Haïm, né dans une famille d'origine salonicienne, avait été membre de notre comité directeur. Il avait à cœur de faire partager l'histoire de la Jérusalem des Balkans. Nous adressons toutes nos condoléances à leur famille et à leurs proches. En pas ke deskansen. KAMINANDO I AVLANDO .25 | 1 |
03.06 > 12.06
Sur les traces des communautés juives au Portugal Voyage organisé par la Fédération des associations sépharades de France avec Frédéric Viey, guide-conférencier et André Derhy, président de la FASF. Pont roman de Besalú en Catalogne. DR.
Voyages
12.03 > 15.03
15.03 > 19.03
Explorez l'histoire des Juifs d'Espagne à travers le réseau des villes, Red de Juderias - Caminos de Sefarad qui œuvrent à la sauvegarde de cet héritage. Ce programme propose la découverte des quartiers juifs de quatre villes de Catalogne (Barcelone, Gérone, Besalú, Castello d'Empuriès) et une excursion touristique à Cadaquès, village de la Costa Brava où résida Salvador Dali.
Voyage organisé par le Mémorial de la Shoah à Thessalonique.
Les chemins de Sépharade : la Catalogne
Forfait tout inclus : 339 € (départ de Montpellier) ou 359 € (départ de Marseille). Renseignements et réservations : Raphaël Elmaleh, 617 rue de Bugarel bât C7, 34070 Montpellier Tél. : 06 17 02 57 38 ou Sabine Buonomo Tél. : 04 67 15 08 76 E-mail : raphelmaleh@laposte.net
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Sur les traces des Juifs de Salonique
Découverte du passé juif de la ville, du musée juif, des synagogues des Monastirlis et Yad Lezikaron, du marché Modiano. Parcours guidé de la ville. Déjeuner et dîner au centre communautaire. Journée de commémoration du 75e anniversaire du départ du 1er convoi vers Auschwitz-Birkenau. Séjour en chambre double pension complète à l'hôtel Capsis****. Forfait (vol - hébergement - guide) : 800 € Renseignements : mathias.orjekh@ memorialdelashoah.org
Le voyage comprend notamment la visite des villes de Porto, Villa Real, Lamego, Belmonte, Castelo de Vide, Tomar, Fatima, Obidos, Sintra, Lisbonne, Evora. Les Juifs du Portugal se sont installés en Lusitanie dès l’époque romaine. Ils y ont fondé une riche vie culturelle et économique. De nombreux Juifs de Castille et de Navarre restés fidèles à leur religion trouvèrent refuge au Portugal en 1492, mais cinq années plus tard, le roi du Portugal entreprit leur conversion de force. Si certains devinrent de fervents catholiques, une grande partie de la communauté portugaise s'organisa pour pratiquer en secret le judaïsme. À partir du XVIe siècle beaucoup de ces marranes fortunés, mais persécutés par l'Inquisition quittèrent le pays pour s’installer en Italie, en Hollande, en Amérique ou dans le Sud-Ouest de la France. Forfait par personne (transport pension complète - guide et visites) base chambre double : 1 675 € chambre individuelle : 1 970 € Inscription avant le 1er mars 2018. Renseignements et inscriptions : jeremy@partir.fr ou fviey@hotmail.fr
FIGURES DU MONDE SÉPHARADE |
Rosie Pinhas-Delpuech
Figures du monde sépharade
Klara Perahya
Une grande dame dans une petite robe noire Klara et Elie étaient des amis proches de mes parents. Klara a accompagné avec enthousiasme tout mon parcours intellectuel. Je l’aimais beaucoup, je l’admirais aussi. Ce texte est un hommage dont il me plaît d’imaginer qu’elle aurait aimé le lire. Quand nos paysages se vident de leurs personnages, dialoguer avec nos morts est un moyen de les garder vivants. C’était à Burgaz, dans l’île mythique de mon enfance, je devais avoir dix ans. Ma mère faisait la queue chez le boucher – c’est ce qu’elle nous a raconté par la suite – derrière une toute petite dame qui lui ressemblait un peu : pas de mise en plis, pas de vernis à ongles, pas de maquillage, pas de robe apprêtée, une simplicité pratique et directe. Les deux femmes engagent la conversation, la petite dame raconte qu’ils ont loué une
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Klara Perahya remet un prix au président de la fondation de la synagogue Neve Shalom, Shapat Avyente. En arrière-plan se trouve le président de la société de bienfaisance, Matan Baseter, David Seri. Klara Perahya prit une part importante dans les activités caritatives de ces deux organismes. Istanbul 2001. Source : Centropa.
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maison à Burgaz cet été-là, qu’ils ne connaissent pas grand monde et que son mari s’ennuie un peu. Que fait le mari ? Il aime Bach, les échecs, le tavli (tric-trac). Le mien aussi, s’exclame ma mère, et l’une invite l’autre à passer une soirée ensemble pour faire connaissance. Leur amitié a duré jusqu’à la mort de mes parents, bien avant eux à Paris. Une image tenace de cette période : Elie et mon père, avec les partitas pour violon de Bach sur l’électrophone, éperdus d’admiration pour David Oistrakh, un verre de cognac devant eux, en train de se concentrer sur une partie d’échecs. Le tavli était trop bruyant pour écouter de la musique, ils jouaient et riaient dans l’amitié. Un autre couple s’était joint à leur petit groupe : Sonia et Baruch Pinto et occasionnellement aussi, Daisy et Beno Merovitch. Ils étaient tous jeunes encore, Klara élevait Lina et David, enfants de sa sœur défunte, et sa propre fille, Elsa. Selon la tradition, elle avait épousé Elie à la mort de sa sœur et adopté les deux orphelins mieux encore que s’ils étaient siens. Ils habitaient à l’époque un grand appartement au Tünel, avec belles bibliothèques et piano à queue, qui accueillait parfois des concerts de musique
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de chambre : des noms d’immigrés russes me reviennent, Mme Vosco, les frère et sœur Tsimbalist. Mon père avait joué du violoncelle, Elie jouait du violon, ils adoraient la musique de chambre. Klara écoutait, concentrée, les yeux fermés, transportée. Plus tard, quand j’ai lu Proust, la sonate de Vinteuil et madame Verdurin, j’ai pensé à Klara, mon père a éclaté de rire, Klara était flattée. C’est de cette époque – les années soixante – que date la tenue mondaine et moderne qui ne la quittera jamais : une petite robe noire sans manches, un collier de perles, des boucles d’oreille blanches en forme de boutons, cheveux noirs coupés courts, rouge à lèvres bien rouge sur des lèvres charnues, pas de bagues, pas de vernis sur ses ongles courts, et des escarpins à talons aiguille noirs ou blancs pour compenser sa petite taille auprès d’Elie qui était aussi grand qu’elle était petite. Elie était expert-comptable, des jeunes stagiaires venaient l’aider jour après jour pour boucler les bilans de fin d’année de grandes entreprises. Klara préparait à manger pour tout le monde, suivait les devoirs des enfants, le piano de l’une, le violon de l’autre, et courait toute la journée sur ses talons. Elle était une épouse moderne, intelligente, rayonnante auprès d’Elie. Puis nous avons quitté Burgaz et eux aussi, c’était à la fin des années cinquante. Lina a passé son bac à Notre-Dame de Sion et rencontré le bel et brillant Maurice Asseo. Toujours à la pointe de la modernité et faisant fi des conventions bourgeoises de la société juive, Klara a célébré le mariage de sa fille aînée en conviant les invités à une garden party dans le jardin d’une maison d’été, à Fenerbahçe. Il n’y avait pas de traiteur à l’époque, tout se fabriquait à la maison. Klara avait troqué sa robe d’hiver noire pour une robe crème, même coupe, même simplicité. Lina est partie pour les États-Unis, David s’est installé en France, Elsa à New York, mes parents et moi-même sommes partis pour la France, c’était à la fin des années soixante. Je ne sais pas à partir de quel moment, Klara a commencé à cuisiner le vendredi matin d’énormes marmites de riz et
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Klara Angel Perahya (à gauche) et une amie Lina Assen (à droite) avec les enfants de sa sœur Elsa Perahya, Lina et David dans un jardin d'enfants à Istanbul en 1947. Source : Centropa.
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1. Rappelons que la lettre c se lit dj en turc. [NdE].
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de tas kebap (une espèce de goulash à la turque) qu’elle transportait dans un taxi jusqu’à la maison de retraite juive d’Istanbul. Ce qui était un acte de charité de dame bourgeoise s’est vite transformé en activité intellectuelle d’une véritable ethnolinguiste : Klara a commencé à collecter des proverbes et dictons judéo-espagnols auprès des personnes âgées qu’elle nourrissait le vendredi. Le livre, Erensya Sefaradi, est une somme de 647 pages, rédigé en trois langues, judéo-espagnol, français, anglais. Les proverbes et dictons sont groupés autour de trente-neuf thèmes : misogynie, méfiance, opportunisme, soumission, etc. Dans une merveilleuse préface, Klara écrit : « ce patrimoine culturel, dans la naïveté même de sa formulation, est l’expression d’une somme considérable de sagesse et d’expériences accumulées et c’est ce qui donne un sens à l’immense effort déployé actuellement pour le sauver de l’oubli. » Sa dédicace datée de 1994 est rédigée en judéoespagnol – « a mi muy kerida Rozika » – langue dont Klara s’empare pour l’écrire et la faire vivre dans une expression et une pensée personnelles. Le journal Şalom lui confie une rubrique qu’elle tient jusqu’à une date récente, aussi longtemps que sa santé le lui a permis. Forte de cette expérience éditoriale et toujours entourée d’une équipe de jeunes femmes, elle crée un dictionnaire bilingue judéo-espagnol – turc et vice versa. Dans une longue préface historique et méthodologique d’une clarté remarquable, Klara écrit : « No mos olvidaremos kel Cudeo-Espanyol 1 aktual, kon su mesklatina de linguas, kon sus biervos ajenos arreglados o deformados, es sovre todo el produkto del puevlo i no de savyos grameryanos. Este no kere dizir ke esta lingua manka de estruktura gramatikal o fonetika. Al kontraryo, diversas vezes enkontramos syertos terminos ke revyenen kontinualmente i paresen kaji verdaderas reglas. » Le dictionnaire paraît en 1997, Klara et Elie viennent le promouvoir en France, ils sont en contact permanent avec Jean Carasso, Haïm Vidal Sephiha et divers membres de la communauté juive et sépharade de France.
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Désormais à la retraite, Klara et Elie ont chacun leur bureau et leur ordinateur dans leur appartement de Nişantaş, ce sont des lève-tôt, ils écrivent, travaillent, reçoivent chez eux et voyagent, toujours dans le cadre d’activités communautaires, ou pour voir leurs enfants en France et en Amérique. Malgré leur grande aisance matérielle, ce ne sont pas des amateurs de croisières ou de voyages de plaisir. Leur plaisir est le travail, ce pour quoi ils me sont si chers. C’est ainsi que j’ai continué à les voir à Paris ou à Istanbul, même après la mort de mes parents qu’ils aimaient profondément. Je trouvais auprès d’eux ce que j’avais reçu des miens : un amour infini de la culture en général et de la française en particulier, une ouverture innée vers l’universel, vers l’autre, vers les langues, les peuples et leurs particularités. En apprenant la mort de Klara, quelques années après celle d’Elie, c’était non seulement comme si je perdais mes parents une deuxième fois, mais aussi comme si des siècles d’une culture singulière qu’ils portaient à bout de bras disparaissait avec eux. Un mélange unique, le cosmopolitisme stambouliote, où se côtoyaient Juifs allemands et russes – la mère d’Elie était d’origine ashkénaze – avec les expulsés d’Espagne, où l’on se précipitait pour écouter Oistrakh ou Bernstein, puis pour aller manger à Tepebaş un goulash, un bortsch ou un gâteau viennois. C’était au sortir de la guerre, la Turquie laïque d’Atatürk avait accueilli tour à tour les Russes blancs, les Juifs allemands, les réfugiés de Hongrie et d’Albanie, les Grecs et les Arméniens étaient encore dans la ville, et tout cela formait ensemble un échantillon humain, urbain et linguistique d’une richesse à peine imaginable. C’est sur ce socle cosmopolite et universaliste que Klara et Elie ont assis plus tard leurs activités de notables juifs. Loin de s’enfermer dans un esprit communautaire, ils ont ouvert au monde le judaïsme sépharade de Turquie. Que leur mémoire soit bénie et qu’ils nous servent d’exemple pour continuer à porter dans l’ouverture l’héritage multiculturel qui est le nôtre.
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Fortunée Azar Arazi Entretien avec Fortunée Azar Arazi conduit par François Azar
Il est rare de rencontrer une personnalité aussi vivante et débordante d’énergie que peut l’être Fortunée Azar. Son récit vaut autant par l’exemplarité de son parcours que par les anecdotes, les dialogues et les expressions en judéo-espagnol dont il est émaillé. Née dans une famille originaire d’Izmir, mais aussi du côté maternel d’Istanbul et de Salonique, elle aura connu les heurs et malheurs de l’émigration. À seize ans, elle doit quitter l’Égypte et entame alors un parcours semé d’embûches. Sa vivacité, son attachement à la famille, son amour des arts et du spectacle ne se sont pourtant jamais démentis et ont été transmis à ses enfants et petits-enfants.
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Que savez-vous de vos grands-parents paternels ? Mon grand-père paternel est né à Izmir et s’appelait Aron Azar. Il était tailleur. Il avait embauché dans son atelier des Arméniens qui avaient la réputation d’être très adroits. Lorsque le génocide a commencé, il les a cachés et les a aidés à quitter la Turquie. C’était un homme droit et honnête. Mon père avait beaucoup d’estime pour lui. Il a peu connu sa mère qui est décédée quand il avait dix ans. Nous portons le même prénom, Mazal, mais on m’appelait surtout Fortunée. Mon père qui avait le goût de ce qui était russe m’appelait aussi Ninotchka, Ninette et maman, Ninetika. Avez-vous connu vos grands-parents maternels ? Le père de ma mère était un Cohen d’Istanbul. Il était peu instruit, mais cela ne l’a pas empêché de réussir dans le commerce. Il avait acheté des immeubles en Palestine avant-guerre. J’avais seulement cinq ans quand il est décédé. Il jouait avec mon petit frère en le faisant sauter sur ses genoux lorsque tout à coup, il m’a fait signe de
Sarah Cohen en 1931 au Caire avant son mariage.
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m’éloigner. Il a posé mon frère à terre avant d’être foudroyé par une crise cardiaque. J’ai bien connu ma grand-mère maternelle Elisa Molho qui était originaire de Salonique. Elle était venue en Égypte pour enseigner. Elle avait un don extraordinaire pour deviner la personnalité des gens. Quels souvenirs avez-vous de votre père ? Mon père, Moïse Azar est né en 1903 à Izmir. Il avait neuf frères et sœurs. Il a fait ses études chez les Frères des écoles chrétiennes. Il connaissait le grec, l’arménien, l’arabe, l’anglais, le français et le judéo-espagnol. Il disait que les langues étaient son passeport. Il a quitté Izmir pour Le Caire en 1921, à dix-huit ans, pour éviter le service militaire. Il a fait venir en Égypte son grand amour Mery Avayou et ils se sont mariés. Mes frères Henri et Jacques sont nés de ce premier mariage en 1926 et 1927. Leur mère est morte en couches alors qu’elle attendait son troisième enfant. Mon père qui s’était marié à vingt-et-un ans s’est ainsi retrouvé veuf à moins de vingt-cinq ans avec deux jeunes enfants âgés de trois et deux ans. Comment a-t-il rencontré votre mère ? C’était un bel homme, très élégant. Quand ma mère l’a rencontré, elle avait douze ans de moins que lui et elle en est tombée follement amoureuse. Elle s’appelait Sarah Cohen et était déjà fiancée à un Behar. Comme elle avait beaucoup de caractère, elle a annoncé à ses parents qu’elle n’épouserait personne d’autre que mon père. Celui-ci est venu trouver mon grand-père pour lui faire sa demande en mariage. Sans se démonter, mon grand-père lui a répondu : « D’accord, tu auras ma fille, mais sans dot. » Après avoir épousé mon père, ma mère a donné naissance à deux garçons : Isaac qui est décédé d’une méningite à un an et demi, puis Nissim, dit Nisso, qui a succombé à la fièvre typhoïde, le 30 août 1941, à l’âge de dix ans, quelques jours après ma naissance le 19 août 1941.
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Moïse Azar en 1931 au Caire avant son mariage.
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Sarah et Moïse Azar. Vers 1931. Le Caire.
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Ma mère a failli perdre la tête. Elle se sentait maudite. Elle aurait préféré me voir morte plutôt que de s’attacher à un nouvel enfant. Une voisine qui habitait sur notre palier aurait dit en me voyant : « Povretica esta ija ! » Elle a pris soin de moi jusqu’à l’âge de deux ou trois ans. Le matin, elle m’accueillait : « Ven ija mia, ven ! » Elle me versait un peu de café dans des tasses ou des soucoupes. Je l’appelais tante Sarina. C’était pour moi une seconde mère. Cette histoire a une suite. Je devais avoir sept ans. La tante Sarina avait un fils Isidore qui avait quitté l’Égypte en 1948 et s’était établi à Nice. Elle était très digne et ne se plaignait jamais. Un jour, j’ai vu que son frigidaire était vide. Je lui ai demandé pourquoi. Elle a répondu : « Ce n’est pas grave, ma fille Allegra va venir avec les courses », mais le lendemain, le frigo était toujours vide. Je me suis dit que c’était injuste. Chez nous, nous ne manquions de rien, le frigidaire était plein, on recevait beaucoup de monde. J’ai rempli un sac à provisions et je suis allée frapper à sa porte. Elle m’a ouvert et m’a dit : « Kualo es esto ? » « C’est pour toi. Tu n’as rien et nous avons tout. Ce n’est pas juste. » Elle a juste dit : « Ija mia ! » et m’a embrassée. Papa est allé la voir et lui a demandé pourquoi elle n’avait rien dit. Elle lui a répondu : « M’averguenso ». Et papa de dire : « Komo t’averguensas ? C’est bien toi qui as élevé cette petite ? Tu es de notre famille ! » Et à partir de ce jour, mon père lui a donné de l’argent jusqu’à ce que son fils puisse l’aider. Un peu plus tard, elle a quitté l’Égypte pour le rejoindre à Nice. Cela a été un déchirement pour moi. J’avais l’impression de perdre une mère. Ma mère a eu encore un fils Claude – Benyamin – et une fille Eva. Chez qui travaillait votre père ? Mon père travaillait chez Benzion, l’un des grands magasins du Caire. Il était chargé d’ache-
Moïse Azar en voyage en Europe. Années 1930
ter les tissus et voyageait plusieurs mois par an en Europe où il s’imprégnait des dernières tendances de la mode. Il avait un goût très sûr. Il concevait les vitrines du magasin et s’occupait de décorer notre maison. Grâce à lui, j’avais chaque année des jouets de Paris et des vêtements que tout le monde voulait copier. Où habitiez-vous au Caire ? Nous habitions tout d’abord à Zamalek, une banlieue prisée du Caire. Ensuite pour nous rapprocher du lycée, nous avons emménagé dans un immeuble qu’avait fait construire le roi Farouk devant le pont Kasr-el-Nil dans le quartier de Bab-el-Louk. Luxe incroyable pour l’époque, un standard annonçait l’arrivée de chaque visiteur. Nous étions locataires. Le loyer était très élevé : vingt-cinq livres par mois ce qui représentait le salaire d’un haut fonctionnaire. L’appartement était très spacieux. Un grand balcon aménagé en véranda en faisait le tour. De là, mon père me faisait admirer les couchers de soleil sur le Nil.
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Ci-contre, à gauche : Nina Azar avec son père Moïse lors de sa fête d'anniversaire. Hôtel de la Tourelle à Alexandrie. Vers 1947. À droite : photo d'anniversaire de Nina Azar. Hôtel de la Tourelle à Alexandrie. Vers 1947. Page de droite, photo de gauche : Sarah et Moïse Azar dansant au Covent Garden. Le couple Beraha se trouve en arrière-plan. Le Caire. Années 1950. Page de droite, à droite : scène de plage. De droite à gauche Nina, Claude et Eva Azar avec leur nurse Zenab. Stanley Beach à Alexandrie. Vers 1952.
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Est-ce que vos parents avaient le même caractère ? Ma mère c’était : « Komites, no komites », « Tu as appris tes leçons ? », le côté pratique des choses. Mon père était plus romantique, plus artiste. Il m’a transmis les valeurs essentielles et m’a donné confiance en moi. Nous avions de grandes conversations. Je lui disais : « Papa je suis trop grande ! » Et il répondait : « Ija mia, tu as déjà vu un mannequin petit ? Tu es belle comme les mannequins ». « Papa, j’ai des taches de rousseur » « C’est mignon ! » « Papa, j’ai de petits yeux » « Mais ils sont expressifs » Il voyait toujours les choses positives en nous. Lorsqu’il revenait en taxi avec les sacs chargés de provisions, les portiers se levaient en le voyant. Il les faisaient se rasseoir : « Tu ne te lèves pas pour moi ! » Après, bien sûr, on l’aidait à porter ses sacs, et il donnait un bakchich.
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Votre père parlait aussi l’arabe ? Bien sûr ! L’arabe, l’hébreu, l’italien, le grec, le français. Il n’y avait que l’allemand qu’il ne voulait pas apprendre. Il se passionnait aussi pour les religions. Je l’interrogeais : « Papa, pourquoi sommes-nous Juifs ? Les Juifs se font tuer ! J’ai honte. » Il me répondait : « Tu ne dois pas avoir honte. Tu dois être fière parce que nous avons des choses à dire et à faire dans le monde. » Quand en 1948, Israël est devenu indépendant, il m’a dit : « Tu vois on l’a payé très cher, mais on l’a eu. » Je suis retournée en Égypte quarante ans après notre départ. J’ai eu le courage d’aller revoir notre appartement. Un Égyptien nous a ouvert. Je me suis présentée : « Je suis la fille de monsieur Azar ». Je lui ai expliqué que nous avions habité cet appartement jusqu’en 1957. Il m’a accueilli à bras ouverts, car il n’avait entendu que des compliments sur mon père.
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1. Maître d’hôtel. 2. Célèbre cabaret du Caire où se produisirent notamment Luis Mariano, Maurice Chevalier, Édith Piaf, Mistinguett, Georges Guétary, Georges Ulmer, Reda Caire, Dario Moreno, Gloria Lasso, Joséphine Baker, Léo Marjane, Rosita Serrano. Yolanda Giliotti, la future Dalida, y fit ses débuts tout comme Claude François. Le roi Farouk s’y rendit plusieurs fois à des galas de bienfaisance.
Quelle était votre vie là-bas ? Nous avions une vie idyllique. Pratiquement tous les Juifs en Égypte avaient une bonne. Nous en avions quatre : la cuisinière, la petite bonne pour la nona, Farida – un vrai personnage de comédie – et un sofragui 1, un serveur noir soudanais. Nous avions aussi une couturière grecque, Kiki. Deux fois par semaine, le jeudi et le vendredi, une femme venait faire la lessive dans des cuves sur le toit-terrasse. Le samedi, Moktar, le repasseur prenait le relais avec son frère. Au Caire, il fait très chaud. Mon père se rendait au travail le matin. À midi, il prenait une douche, se changeait une première fois et déjeunait. Il faisait une petite sieste et se changeait à nouveau de chemise et de linge de corps avant de repartir à quatre heures au travail. Comment se passaient vos loisirs ? Les femmes recevaient l’après-midi. Dès le matin, ma grand-mère donnait des instructions
pour préparer le buffet. On achetait des douceurs chez Groppi, le célèbre pâtissier suisse du Caire ou des viennoiseries chez Locque et bien sûr des fruits. Le soir, mes parents avaient une vie mondaine. Ils sortaient ou recevaient à la maison. Mon père jouait souvent au poker. La nona de son côté jouait au rami avec ses amies. Ma mère n’a jamais voulu jouer aux cartes, mais parfois elle accompagnait mon père. Ils passaient leurs soirées à l’Auberge des Pyramides 2, au Covent Garden ou au Menah House. Pour les vacances, nous nous rendions à Alexandrie dans un hôtel italien, La Tourelle, et nous passions la journée à la plage de Stanley Beach. Nous disposions d’une cabine que l’on louait à l’année. En Égypte, tous les Juifs ou presque étaient inscrits dans un club. Nous étions inscrits au club sportif national où je disputais des compétitions de natation et de danse aquatique.
3. Tahia Carioca (1919-1999), de son vrai nom Badaweya Muhammad Ali el Nidani, est une actrice de cinéma et danseuse égyptienne. Elle incorpore à ses spectacles la samba, danse appelée à l’époque carioca. Sa carrière atteint son apogée dans les années 1930. Elle danse notamment pour le mariage du roi Farouk. Elle a tourné dans plus de cent-vingt films.
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À droite : Coupure de presse. Claude Azar lors du Gala des Amateurs à l'Auberge des Pyramides en 1949. Ci-dessus : Claude et Nina Azar donnant leur spectacle Vers 1949.
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La musique et la danse occupaient également une grande place chez nous. Ma mère jouait du piano. Mon père avait une très belle voix. Je me souviens qu’il chantait dans une petite synagogue en judéo-espagnol. Mon frère Claude était ténor et imitateur. Comment est née l’idée du Trio Azar ? Nous avions participé à un bal costumé. Mon frère Claude avait seulement deux ans et demi. On l’avait déguisé en sofragui avec une djellaba blanche et un tarbouche rouge. Il était tellement touchant qu’il a gagné le premier prix. Mon père nous faisait répéter. Claude imitait Choukoukou, un comédien égyptien très connu qui dansait avec une canne. De mon côté, j’imitais Tahia Carioca 3 qui était une célèbre danseuse orientale. Nous participions au Gala des Amateurs et au crochet musical. Ces spectacles se déroulaient comme des concours. Quand le public était mécontent, le crochet enlevait le comédien. C’était assez cruel ! Heureusement, nous gagnions souvent et l’on a fini par nous classer hors compétition.
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Nina et Eva Azar en danseuses tzigane. Le Caire. Vers 1952. Photo : Zareh Tashjian.
Nina et Claude Azar. Le Caire. Auberge des Pyramides. Le 3 juillet 1952.
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4. L'acteur et réalisateur Anwar Wagdi (1904-1955) était le mari de l'actrice et chanteuse égyptienne d'origine juive Leyla Mourad (1918-1995). 5. La synagogue sépharade Ismalia construite en 1905 par la famille Bey Mosseri.
Un jour nous avons dansé devant le roi Farouk. Après cela, un réalisateur égyptien Anwar Wagdi 4 nous a fait tourner dans un film. Mon père lui avait dit que nous étions des Espagnols originaires de Turquie. Il n’avait pas pensé à demander notre religion. En découvrant après le tournage que nous étions Juifs, il a fait un scandale et menacé mon père d’un procès. Le film est depuis resté presque invisible. Lorsque j’ai eu onze ans, mon père a refusé que je poursuive les spectacles de danse orientale. Ma sœur Eva a alors pris le relais. Avec mon frère, nous nous sommes mis à danser le flamenco. À quinze ans, j’ai rencontré Bruno (Orlando), le frère de Dalida, qui m’a proposé de monter un spectacle. Mon père s’y est opposé catégoriquement. Il ne voulait pas que je fasse une carrière de danseuse. En quelle langue parliez-vous avec vos parents ? Mes parents me parlaient en espagnol et je répondais en français. Quand ils ne voulaient pas qu’on les comprenne, ils parlaient en grec. Évidemment, avec le temps, nous comprenions aussi le grec. Où avez-vous fait vos études ? Je fréquentais le lycée français du Caire. Nous étudions en français et en arabe. Les étudiants étaient de toutes origines : coptes, musulmans de la haute bourgeoisie, Grecs, Italiens et beaucoup de Juifs bien sûr. Il n’y avait aucune tension entre nous. Mes frères Claude, Jacques et Henri ont fréquenté le lycée des Frères à Bab-el-Louk. Quelles étaient vos relations avec les autres Juifs ? Mes parents ne fréquentaient que des Juifs espagnols : les Hazan, les Beraha, les Gabay… Nous avons grandi entourés d’Espagnols. Il y avait bien sûr des Juifs pauvres qui vivaient dans le quartier juif, là où se trouve la synagogue de Ben Ezra. J’accompagnais parfois mon père là-bas. Il me
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disait : « Je fais des zahoud. » Il aidait des familles dans le besoin et veillait les morts. Ma mère qui était très pragmatique lui demandait à quoi cela pouvait bien servir. Mon père répondait : « No saves tu esto. Es un grande zahoud para mis ijos ». Il était très généreux. Quelle synagogue fréquentiez-vous ? Comment se passaient les fêtes juives ? Nous fréquentions la grande synagogue de la rue Adly Pacha 5. Nous n’étions pas aussi strictement pratiquants que les Juifs du Maroc ou de Tunisie. On fêtait bien sûr Pessah, Kippour, Rosh Hashana, Pourim, mais pas toujours Shabbat. Pour les enfants, Pourim était la plus belle des fêtes. Nous l’attendions avec impatience, car nous recevions des cadeaux et de l’argent. On portait aussi des pâtisseries chez les voisins. De Pessah, je me rappelle le grand nettoyage de la maison. Mon père présidait la table du Seder qui comptait une vingtaine de convives dont mes frères aînés Jacques et Henri ainsi que mes oncles et mes tantes. Vous mangiez casher ? La viande était casher. Je me souviens que ma mère allait choisir les poules chez le shohet. Elle demandait toujours qu’on lui prenne la plus vive. Juste avant Kippour, les poules circulaient librement dans la maison à notre plus grande joie. Ma mère n’aurait pas supporté de manger des plats interdits, mais mon père se sentait plus libre de ce point de vue. Il interprétait les rites avec discernement. Un jour, je lui ai demandé : « Papa, dis-moi, quand on perd quelqu’un est-ce qu’il faut s’habiller en noir ? » Il m’a répondu : « Ija mia, le deuil est dans le cœur, si tu as envie d’écouter de la musique, écoute de la musique. Si tu as envie d’aller au cinéma, va au cinéma. Ce n’est pas grave. Ce qui compte c’est ce que tu ressens. Le vrai deuil, c’est quand tu auras soixante-dix ans et que tu repenseras avec émotion à ton père. » C’était un homme intelligent, positif. Quand il est décédé à
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Dîner. Côté droit, de bas en haut : Vitali Gabay, Régine Hazan, Samy Hazan, Anita Lévy (masquée) Côté gauche, de haut en bas : Albert Lévy, Rodolphe Beraha et son épouse, Moïse Azar, Sarah Azar, la femme de Vitali Gabaï. Le Caire. Années 1950.
cinquante-sept ans, j’ai cru que je n’avais plus de colonne vertébrale et mon frère Claude ressentait son absence comme une amputation. Quels étaient les plats qui revenaient le plus fréquemment chez vous ? C’est surtout ma grand-mère et mon père qui s’intéressaient à la cuisine. Je tiens d’eux mes recettes. Parmi les plats les plus fréquents on trouvait las borekitas, los boyos, las fritadas. Nous préparions aussi beaucoup de plats à base d’épinards avec des pois chiches ou des haricots. Un plat typique de Smyrne ce sont las avikas, les haricots blancs cuisinés avec des feuilles de vigne et servis avec du riz et de la viande. Les feuilles de vigne que l’on ajoute donnent un petit goût aigrelet. Nous cuisinions encore les farcis, los pishkados de tyerra, les aubergines, arroz kon fideos, du riz avec des vermicelles, las medyas 6, les keftikas. En pâtisserie, j’ai appris à faire les baklavas, les kadaïfs, les travados, le pan d’Espanya. À Pâques, nous préparions las minas qui sont des galettes de matza entre lesquelles on dispose de la viande. Nous préparions encore l’agristada 7 qui accompagnait les plats de poisson.
Nous avions aussi quelques plats d’Égypte comme les bamyas, le mahalebi qui est de l’arros kon leche, la molokheya, une soupe de corète qui cuit lentement et à laquelle on ajoute de l’ail et de la coriandre sèche. Le Caire était à l’époque une métropole très cosmopolite. Quelles étaient vos relations avec les autres communautés ? Elles étaient excellentes. À Pâques, Christos Anesti 8, les Grecs venaient nous offrir des gâteaux et nous leur rendions la pareille. Lors du ramadan, nous partagions le repas du soir assis par terre avec les voisins. Il y avait une vraie fraternité. À partir de quand les Juifs d’Égypte se sont-ils sentis menacés ? Le grand changement date de 1948 lorsque a été proclamé l’État d’Israël. Je me souviens que des manifestants cernaient notre immeuble et voulaient s’introduire pour égorger les Juifs. Mon père a barricadé la porte. Le portier nous a défendus en tirant en l’air.
6. des courgettes farcies à la viande. 7. Une crème à base de citron, d’œufs et d’huile. 8. En grec : Χριστός ἀνέστη ! Christ est ressuscité !
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Une autre fois, mon père et ma mère se déplaçaient en calèche. Les Arabes les ont assaillis en criant : « Yahudi ! Yahudi ! » Ce sont des Juifs ! Des Juifs ! Ils ont extrait mon père et ma mère de la voiture. Ils voulaient violer ma mère. Mon père a eu la présence d’esprit de lui dire : « Ne parle pas en espagnol ! Parle grec ! » Et il s’est mis à faire le signe de croix en priant en grec. À ce moment est passée une cliente de mon père qui s’est exclamée : « C’est un rumi, c’est un Grec, ce n’est pas un Juif ! Qu’est-ce que vous êtes en train de faire ? » Quand avez-vous quitté l’Égypte ? En 1957, lors de la crise du canal de Suez. Les premiers à partir ont été les sujets britanniques et français. Les Égyptiens ont emprisonné arbitrairement tous les Juifs qu’ils soupçonnaient. Nous avions très peur. Chacun partait là où il pouvait : au Brésil, en Italie, en France, aux États-Unis et en Israël. Pour se rendre en France, il fallait un certificat d’hébergement que nous avons pu obtenir grâce à mon frère Jacques qui était marié à une Française. Mon père n’a pas pu sortir d’argent. Les actions qu’il possédait sont restées sous séquestre chez Benzion. Nous sommes partis avec un laissez-passer pour apatrides réfugiés d’Égypte sur lequel était indiqué : « aller sans retour ». Nous avions droit à une seule valise par personne et cinq livres, soit une centaine d’euros. Ma grand-mère, la nona, était diabétique et on avait dû l’amputer des deux jambes. La Croix rouge française se chargeait de son transfert. On nous avait mis en garde contre la tentation de dissimuler de l’argent ou des bijoux : elle serait de toute façon fouillée. Ma grand-mère était maligne, et lorsque nous sommes arrivés en France, elle a exhibé fièrement ses bijoux. On avait fouillé ses prothèses, mais personne n’avait osé regarder les moignons où ils étaient cachés. Maman de son côté avait dissimulé un brillant dans un chewinggum qu’elle avait avalé et rendu sur le bateau. C’était quelques expédients contre le mauvais sort, car en réalité nous avions tout perdu.
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Comment s’est passée votre arrivée en France ? Très mal. Mon père avait cinquante-quatre ans et avait déjà eu un premier accident vasculaire cérébral. Il connaissait les conditions de vie en Europe et avait averti ma mère en lui disant : « Oublie l’Égypte. La seule chose qui compte, c’est que nous soyons en vie ! » Il était courageux et avait l’avantage de connaître plusieurs langues. Il a pu se faire embaucher dans un grand hôtel comme réceptionniste. Ma mère en revanche n’a pas pu s’adapter à sa nouvelle vie. Elle disait sans cesse : « Ke vida de perros aki ! Kualo ay ? Luvias ! Sol y luvias ! I la gente no te dizen Bonjur ! Kualo es esto ? » Lorsqu’elle allait au restaurant, on lui demandait si elle voulait boire du vin. Elle répondait : « No, agwa ! » On lui proposait de l’eau minérale. Elle disait « Kualo es eau minérale ? » Mon père lui expliquait : « C’est de l’eau de la source. » Elle devenait méfiante : « Et qu’est-ce qui te dit qu’ils n’ont pas versé de l’eau du robinet dans la bouteille ? » « Non, Sarah c’est interdit ! » Alors elle se tournait vers le serveur et lui disait : « Écoutez, ouvrez le robinet, laissez couler un bon moment, et après vous m’amenez l’eau ». Le serveur vexé répondait : « Mais madame, nous ne sommes pas des grenouilles ! » « De ke me dize grenouille ? M’insulto ?! » Lorsqu’on prenait le métro, en voyant la foule qui se pressait dans les couloirs, elle disait : « Kualo ay ? De ke estan korriendo ? Il y a une manifestation ? » On lui disait : « Mama, no ay nada ! » « Et pourquoi les gens courent-ils comme ça ? » « Parce que les gens veulent rentrer chez eux. » « C’est quoi ce pays ? S’ils rentrent cinq minutes après, où est le problème ? » La vie avec ma mère était un sketch permanent. Elle était restée dans un autre monde, un autre temps.
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Si elle rencontrait une autre femme, elle lui demandait : « Vous êtes Française ? » L’autre lui répondait : « Oui, madame ! » Elle insistait : « Mais d’où ? Et où habitez-vous ? » Je ne savais plus où me mettre. J’avais beau lui dire : « Maman, ne pose pas de questions. C’est honteux ! On n’est pas en Égypte ici. On ne pose pas de questions. » Elle répondait : « Ah non ! Ça suffit ! C’est quoi ce pays de lokos ? Yo me vo a ir en Israel. » C’est comme cela que vous êtes partis en Israël ? Nous sommes partis en juillet 1957, dans un bateau, à fond de cale. En Israël, ma mère pensait hériter avec son frère des immeubles qu’avait achetés son père, à Ramat Gan, à Nahat Benyamin et à Ben Yehuda. Ces immeubles étaient loués, mais en arrivant elle a découvert qu’un cousin avait falsifié la signature de mon oncle. Non seulement il s’était tout approprié, mais il s’était ruiné avec sa jeune maîtresse. Ma mère était dans tous ses états. Nous avons dû aller vivre à Ashdod, en bordure du désert, dans une baraque en tôle, sans eau courante ni électricité. La nuit les chacals rôdaient. Mon père était atteint d’une congestion au cerveau. Il se déplaçait avec difficulté. Je le vois un jour, assis sur une pierre, appelant Dieu, et disant : « De ke me deshates ? » Mon père avait un frère, David, qui avait quitté la Turquie pour Israël. Papa savait qu’il vivait difficilement. Un jour il a dit à ma mère : « Sara me vo a ver a mi ermano. » Elle lui a demandé : « Mais comment vas-tu retrouver ton frère à Jérusalem ? » Il lui a répondu : « Tous les Espagnols se connaissent entre eux. » Elle m’a alors demandé de l’accompagner. Nous avions une correspondance à Rehovot. En descendant, mon père croise un homme. Il se retourne et s’écrie : « David ! ». C’était son frère. Il l’avait reconnu à une cicatrice à l’oreille. Tous les deux, sans se consulter, avaient décidé de se rendre visite et s’étaient retrouvés à mi-parcours.
Comment avez-vous décidé de revenir en France ? En Égypte, j’avais un fiancé qui avait émigré en Italie. J’avais seulement seize ans et papa nous trouvait encore trop jeunes pour nous marier. Ma mère voulait absolument rentrer en France, mais il fallait trouver un moyen, car en devenant Israéliens nous avions perdu notre statut de réfugiés. Elle a rencontré à Ashdod un Juif égyptien qui avait la nationalité française et elle lui a proposé de faire un mariage blanc avec moi pour que je puisse les faire venir.
Nina Azar en France. 1968.
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Je me suis donc mariée à la synagogue, mais bien sûr je restais amoureuse de l’Italien. Je suis arrivée en France en décembre 1957 dans l’attente de ses nouvelles. À mes questions, ma mère me répondait : « Non il n’a pas écrit. C’est fini. Te olvido. Olvidalo ». C’était mon grand amour. Ma fille Joëlle est née un an après ce mariage. Les années ont passé. L’Italien ne vous avait pas recherchée ? En fait, Bero, l’Italien n’avait pas cessé d’écrire, mais ma mère ne m’avait rien dit. Plus tard je lui en ai demandé la raison : « Ah ! estavas kazada i teniyas la chika ! ». En désespoir de cause, mon amoureux était venu en Israël et avait appris que j’étais mariée. Il s’est dit : « Je la croyais différente, mais elle est comme les autres. » Mon sacrifice n’a servi à rien, car en fin de compte ma mère n’est pas revenue en France. Elle est restée en Israël avec ma sœur Eva. Seul mon frère Claude m’a rejointe après avoir fait son service militaire là-bas. Notre retour en France a été très difficile. Je m’étais mariée à seize ans. Mon mari n’avait pas d’argent. Je devais manger dans une soupe populaire rue Richer. C’était une humiliation d’autant plus forte que je n’avais connu que le luxe et l’abondance en Égypte. Avec mon mari, nous n’étions pas faits l’un pour l’autre. En 1968, quand il a envisagé de quitter la France pour s’installer au Congo, j’ai demandé le divorce. J’ai fini par joindre Béro en Amérique. Il était marié et sa femme attendait un second enfant. J’arrivais trop tard. Vous vous êtes remariée ? Mon frère Claude travaillait à cette époque avec un Arménien, un certain Bedrossian qui est tombé amoureux de moi. J’en ai parlé à ma mère qui m’a dit : « Si te vas a kazar kon el es dya preto para mi. » Au début, Bedrossian était très agréable. Je n’étais pas dépaysé avec lui. Le sens de la famille, la cuisine orientale, tout cela était proche de nos
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usages. Nous avons eu trois garçons ensemble. Malheureusement, avec le temps, nos rapports se sont dégradés. J’ai pris la décision de divorcer et de vivre par mes propres moyens. Comment avez-vous gagné votre vie après le divorce ? J’avais été initiée à la voyance en Égypte. Ma mère adorait se faire tirer les cartes. Elle faisait venir une voyante grecque, Marika. Un jour elle m’a demandé de m’approcher et m’a dit : « Écoutemoi. Je vais t’apprendre à tirer les cartes et un jour tu en feras ton métier. » Ma mère s’est fâchée en entendant cela : « Atyo ! Tu maudis ma fille ! », mais elle m’a quand même appris. J’ai pris des cours d’astrologie et de numérologie. Je pouvais recevoir chez moi et continuer à surveiller les études de mes enfants. Les clients n’ont pas manqué : des gens célèbres, mais aussi parfois des personnages moins recommandables. Croyez-vous aussi aux relations avec les esprits, les personnes disparues, les mijores de mozotros ? J’ai eu plusieurs expériences de ce genre. La plus marquante concerne ma mère après qu’elle fut décédée. Un jour, je la vois en rêve. Comme toujours, elle me parle en espagnol et me dit : « Vas a ver ». Je me vois alors en train d’accoucher. Le médecin dans mon rêve me dit : « Attention ! J’irai le chercher. Cela va vous faire mal. » C’était un très jeune et beau médecin. Il prend l’enfant dans une valise et l’emporte. Ma mère me dit alors : « Vas a ver. Vas a tener otro ijo. Te vas a espantar para el. No t’espantes. Yo so aki. Je vais le protéger. Este sera ton bâton de vieillesse. » À six mois, j’ai commencé à avoir des contractions. Je me suis rendue dans une clinique à Paris et j’ai reconnu le jeune médecin de mon rêve. Il m’a dit : « Madame Bedrossian, si vous accouchez maintenant, il ne pourra pas vivre. » Je me suis mise à pleurer. Quinze jours se sont passés. J’étais sur le point d’accoucher. Le petit se présentait mal. Alors le médecin m’a dit : « Je vais aller
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le chercher. » Les mêmes paroles que dans mon rêve. La valise, c’était la couveuse. On l’a emmené chez les prématurés. Au même moment, j’ai senti une main passer dans mes cheveux : « Maman tu es là ! » Dans sa couveuse, mon fils souffrait d’une broncho-pneumonie. Il allait mourir. Je suis sortie de l’hôpital et je me suis adressée à ma mère en me tournant vers le ciel : « Tu as dit que tu allais le protéger, fais-le ! » Il s’en est sorti. Il a aujourd’hui quarante ans et chaque jour il m’appelle pour prendre de mes nouvelles. Que sont devenus vos enfants ? Ils sont tous devenus des artistes. Ma fille aînée Joëlle est une artiste peintre renommée. Mon fils aîné, Franck a étudié la composition au Conservatoire national supérieur de musique de Paris. Il est aujourd’hui professeur à l’université de Berkeley et poursuit son œuvre de compositeur. Stephen est contrebassiste classique et joue également du jazz et du flamenco. Steeve a étudié le théâtre avec Jean-Laurent Cochet et est comédien. Est-ce que d’autres personnes de votre famille avaient cette passion pour les arts ? Mon père avait un frère haut en couleur, l’oncle Zaby (Zabulon). C’était une forte tête. Un caractère passionné. Très brun de peau, les yeux noirs. En quittant la Turquie, il s’est établi en Espagne. Sa vie c’était avant tout la guitare et le flamenco. On l’appelait de son nom de scène, Juan de Dios. En Andalousie, il s’était lié avec Federico García Lorca. Pendant la guerre civile, il s’est engagé du côté des républicains et a dû s’enfuir. Il était aux abois et a fini par retrouver mon père en France : « Moïse ! Me van a matar ! Dame paras. » Mon père lui a donné ce qu’il pouvait. Il s’est alors engagé comme danseur sur les paquebots. Je me souviens de l’avoir vu danser lors de mon anniversaire à Alexandrie. Après-guerre, il est tombé fou amoureux d’une danseuse juive roumaine. Elle avait trente-sept ans et lui un peu plus. Ils se sont installés en Israël et ont ouvert une école de danse. Elle attendait un premier enfant quand on
lui a diagnostiqué un cancer de l’utérus. Elle a été opérée, mais elle est décédée un an plus tard. De désespoir, l’oncle Zaby a mis le feu à l’école et est allé se réfugier dans un monastère au mont Carmel. Il n’a plus jamais voulu danser. En revanche, il s’est mis à peindre. Pendant des années, nous n’avons plus entendu parler de lui. Un jour, je me trouvais assise dans un café de Tel-Aviv en compagnie de ma mère, de mon beaufrère et de mon mari. Tout d’un coup, quelqu’un m’a fixée étrangement des yeux puis m’a attrapée par les épaules en me disant : « Tu es la fille de Moïse ! » Ma mère l’a tout de suite reconnu : « Ah Zaby ! » On lui a demandé comment il avait pu me reconnaître alors qu’il ne m’avait pas revue depuis l’enfance. Il nous a dit que je ressemblais comme deux gouttes d’eau à sa sœur Esther au même âge. Ma mère lui a proposé de venir jouer de la guitare à mon anniversaire et il a accepté. Il a eu une vie si romanesque qu’à son décès la télévision israélienne lui a consacré une émission. Quel est votre sentiment concernant l’association Aki Estamos à laquelle vous avez récemment adhéré ? Faire partie de cette association m’a fait énormément de bien. J’y ai retrouvé l’art de vivre de ma famille. Je participe chaque dimanche au groupe théâtre. J’y ai fait de belles rencontres et j’ai également vécu de très beaux moments lors du voyage organisé en Israël au mois d’octobre.
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Sarah et Moïse Azar à Stanley Beach (Alexandrie). 1948.
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Deux siècles d’histoire d’une famille judéoespagnole La saga de la famille Arié de Samokov Nous devons à Michel Arié, descendant d’Abraham Moché Arié, la transmission de ce document extraordinaire : l’histoire d’une famille sépharade de Bulgarie en quatre volumes, soit plus de deux mille pages en judéo-espagnol dactylographiées en caractères latins. Sa rédaction s’est poursuivie sur plusieurs générations ce qui en fait un document sans équivalent dans les annales sépharades. Il expose les fortunes et infortunes d’une famille de grands commerçants juifs.
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1. Académie des sciences de Bulgarie. Bulletin de l’Institut d’histoire. Volume 12-1963. Chronique de la famille Arié de Samocov par Elie Eskenazi. 2. Une vie judéoespagnole à l’Est : Gabriel Arié 1863-1939. Cerf éd. Paris. 1992.
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Ces archives familiales – qui ont aussi valeur de manuel commercial – avaient un caractère strictement privé et confidentiel. L’histoire de leur découverte est rapportée par Elie Eskenazi chargé en septembre 1944 de fonder l’Institut scientifique juif auprès du consistoire central juif de la République populaire de Bulgarie. « Cette chronique était connue bien avant le 9 septembre 1944, mais absolument inaccessible, en dépit de tous les efforts pour y accéder. Après le 9 septembre 1944, j’ai pu disposer de moyens financiers sensiblement plus importants. Les membres de l’Institut ont recherché partout où cela était possible et acheté de vieux livres, des manuscrits, des documents ethnographiques. Et puis, un jour, nous avons trouvé ces volumes chez un bouquiniste : la chronique de la famille Arié en quatre volumes. Il est vraisemblable qu’ils avaient été laissés dans un grenier par une famille Arié lors de la délocalisation des Juifs de Sofia en 1943 en application des lois fascistes. Les nouveaux occupants de l’appartement n’étant pas capables de lire ces volumes et encore moins de comprendre leur contenu, s’en sont débarrassés en les vendant à un brocanteur quelconque. Après avoir ouvert le premier volume, j’ai compris la raison du caractère secret et inaccessible de cette chronique. Ses initiateurs ont adjuré les membres de la famille des générations à venir de ne permettre à aucun étranger à la famille d’y avoir accès. » 1 La chronique décrit en détail les conditions d’établissement et de développement d’une riche famille de commerçants. Aux activités purement commerciales s’ajoutent diverses industries, le prêt à intérêt et l’affermage des impôts. Les faits et événements relatés, selon les chroniqueurs, débutent en 1768 et se terminent vers 1912-1914. Ils sont tous datés suivant le calendrier hébraïque. Les auteurs de la chronique l’ont intitulée Biografia por la familia Arie. Sa rédaction, commencée par Naïm Arié et achevée par Moshe Arié, aurait demandé trente-deux ans. Elle s’appuie sur des manuscrits antérieurs dont
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certains en caractères hébraïques sont conservés dans les archives de l’Académie des sciences de Bulgarie. La chronique de la famille Arié constitue un témoignage unique des conditions de vie d’une famille sépharade au XIXe siècle en Bulgarie, des réseaux commerciaux dans l’Empire ottoman, des techniques commerciales et bancaires, des relations intercommunautaires, du fonctionnement de l’administration locale ottomane, de la vie dans les campagnes et les villes bulgares. À l’intérêt ethnographique s’ajoute un intérêt linguistique. On peut légitimement s’étonner qu’aucune édition critique de ce texte n’ait vu le jour. L’existence de cette chronique est néanmoins mentionnée dans la préface du livre qu’Esther Benbassa et Aron Rodrigue ont consacré à la biographie de Gabriel Arié 2, également descendant de l’une des branches de cette famille. Le récit s’ouvre sur un véritable mythe de fondation exposant les motifs de la déportation de la famille Arié de Vienne à Vidin vers 1768. Le texte en est reproduit ci-dessous en judéoespagnol et en français. La transcription du judéoespagnol a été modifiée afin de rendre le texte plus facilement accessible aux lecteurs familiers de la graphie employée par la revue Aki Yerushalayim ou celle proposée par Vidas Largas. Nous publierons dans de prochains numéros d’autres extraits significatifs de cette chronique.
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Synagogue de Vidin bâtie en 1894 et à l'abandon depuis la Seconde Guerre mondiale. Photographie : Enrico Isacco.
3. Soit l’année civile 1767/1768. 4. Joseph de Lorraine (17411790), fils aîné de François de Lorraine, grandduc de Toscane et Empereur du Saint-Empire et de l’Impératrice Marie-Thérèse d’Autriche. Despote éclairé, comme Frédéric II de Prusse, il mena des réformes audacieuses.
Komo los Arie vinieron a vinir a Vidin
Comment les Arié vinrent à Vidin
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ue en el anyo de 5528 3, ke nasio el Signor Abraam Moche Arié, en la sivdad de Vienna, kapitala de Austria-Almania i el agora Austria-Ungaria, en el tyempo del Emperador Joseph II 4, el kual era ijo de la Reina, Maria Teresia, i su Emperatrisa – la sigunda Josefina de Baviera 5, ija del Emperador Charl VII, a la ke non la amava el Emperador Joseph el II. I el negosio ke yevavan sus djenitores, fue de muntchos anyos antes, siempre en la merkansia de manifaktura, kon vender las mas finas i valutosas ropas, i ansi fue, ke siempre fueron aumentando i adelantando en la merkansia, asta ke alkansaron a empatronar fortunas konsiderables, sea en fortunas de moneda komo tambyen i propietas, i fama, i muntcha onor, i renoma grande, i ijos – buenos asta muntcho. I ansi fue, ke bivian muy kontentes, i siempre gustosos i artos de lo todo, i tambyen todos eyos eran estudiados en todas las sensyas, asta alkavo, sea sovre muestra ley la Santa, komo tambyen, i en todas las otras linguas ajenas.
C’est en l’an 5528 [1767/1768] que naquit M. Abraham Moché Arié, dans la ville de Vienne, alors capitale de l’Allemagne-Autriche et aujourd’hui de l’Autriche-Hongrie. C’était au temps de l’empereur Joseph II, – fils de la reine Marie-Thérèse –, et de l’impératrice Joséphine de Bavière 5 – fille de l’empereur Charles VII. L’impératrice Joséphine n’était pas aimée de son époux Joseph II. La famille Arié était depuis longtemps active dans le commerce des produits manufacturés les plus raffinés et les plus précieux. Leur négoce allait toujours croissant jusqu’à ce qu’ils amassent une fortune considérable, tant en argent qu’en propriétés, renommée, prestige, honneurs multiples, nombreux et aimables enfants. Et ainsi ils vivaient très heureux, jouissant de tout et ne manquant de rien. Ils étaient également instruits à fond dans toutes les sciences, qu’il s’agisse de notre sainte Loi ou de toutes les langues étrangères. Une courte biographie écrite en l’an 5600 [1839/1840] que possédaient les Ariés qui vivent aujourd’hui à Tourno-Sevirin, Roumanie, nous raconte la façon dont ils vinrent à s’établir dans la ville de Vidin.
5. Josepha de Bavière (17391767), seconde femme de Joseph II. Resté inconsolable du décès de sa première épouse, Isabelle de Bourbon-Parme, Joseph la délaissa ouvertement. Josepha, ayant été emportée par la petite vérole le 28 mai 1767, leur mariage ne dura que deux ans. Abraham Moché Arié ne peut être le jeune enfant recueilli par Josepha si la date de sa naissance est bien celle indiquée dans la chronique de la famille Arié [5528 soit 1767/1768]. Reste l’hypothèse que l’un des autres frères Samuel ou Isaac ait pu être l’enfant enlevé par la reine.
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6. Soit l’année civile1839/1840. 7. Resgatar : affranchir, au sens de racheter un captif ou un esclave. 8. Akavidar : recommander.
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Sigun una tchika Biografia, ke tuvieron los Signiores Aries ke biven agora en la sivdad de Tourno-Sevirin, Roumania, ke fue eskrita en el anyo de 5600 6, mos konta la manera, ke vinieron a establesersen a la sivdad de Vidin. Ke es el Signior Moche Abraam Arié, padre del Signior Abraam Moche Arié ke vino primer a Samokov tiniya tres ijos, el primer se yamava Chemoel, i el sigundo, Isak, i el treser, Abraam ke este ultimo es el ke vino primer a Samokov ; i los kiria i los amava, mas de muntcho, porke eran todos de todo lo bueno, i muntcho ermozos, sovre todo el uno de eyos, tiniya una ermozura extraordinaria, en todos los puntos. I ansi fue ke, en un dia, ke la Emperatrisa Josefina, ke se kamenava por las plasas de Vienna, lo enkontro al ditcho ermoziko se estava yendo a la eshkola, por kontinuar sus estudios, eya la Emperatrisa ke lo vido, se kedo a mirarlo, i enkantada, de ver la suya ermozura al punto dyo el komando a sus guadradores, porke lo rekojiyan i lo tomen a este ermozo ijo, i kon muntcho grande reposo, i sin decharlo por nada espantar, ke lo yevan al Palasio, ke eya bive, ke sigun el komando de la Emperatrisa, lo yevaron al palasio, porke eya la Emperatrisa dicho, ansi ermozos ijos, es solo en el palasio del Rey ke lo meresen, i el ditcho ijo en su ser en el palasio, lo sirviyan i lo edukavan, sigun de lo ke meresen los ijos de los Reyes, i en el mismo diya, ya lo supieron sus keridos djenitores, de todo esto ke paso, kon sus kerido i amado ijo. Ke ya se kere entendido, en ke apreto, se toparon sus parientes, i sin tener dingun remedio, para poderlo resgatar 7, ma de la una parte ya davan las lores al alto Dio ke ya estava bivo i sano, i muntcho bien mirado, i kon la esperansa ke un dia vendra, ande de muevo, torna lo van a poder abrasar, era ke ivan teniendo la pasensia. I la Emperatrisa, por la grande amor i kerensya ke le teniya, era ke lo vijitava dos veses en kada diya, i siempre akavidava 8, a los governadores, ke kudiyavan al ditcho ijo ke agan muntcha atansion i non arivar a decharlo por nada sufrir, i ke toda la suya demanda, deve ser atchetada i kontentado
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Moché Abraham Arié, père de Abraham Moché Arié, avait trois fils : le premier s’appelait Chemoel [Samuel], le second Isaac et le troisième Abraham, ce dernier ayant été le premier à venir à Samokov. Il les aimait et les soignait, avec beaucoup d’attention, car ils étaient tous excellents et très beaux, en particulier l’un d’entre eux d’une beauté époustouflante à tous points de vue. Un jour où l’impératrice Joséphine se promenait dans la ville de Vienne, elle rencontra ce merveilleux enfant qui se rendait à l’école pour étudier. L’impératrice en le voyant, s’arrêta pour le regarder. Enchantée à la vue de sa beauté, elle donna aussitôt l’ordre à ses gardes de recueillir ce bel enfant et de le porter au palais où elle vivait, avec beaucoup de soin et en prenant garde à ne pas l’effrayer. Les gardes l’emmenèrent au palais, suivant l’ordre de l’impératrice qui estimait qu’un si bel enfant était seulement digne du palais d’un roi. Et une fois qu’il fut au palais, ils le servirent et l’éduquèrent comme si c’était l’un des fils du roi. Le même jour ses parents apprirent ce qui était arrivé à leur tendre et cher fils. On peut imaginer dans quel état d’inquiétude ils se trouvèrent, sans aucun moyen de racheter sa liberté. Mais d’un autre côté, ils louaient Dieu qu’il soit sain et sauf, et très bien traité, avec l’espérance qu’un jour viendrait où ils pourraient de nouveau l’embrasser. Il fallait prendre patience. L’impératrice, sous l’effet du grand amour qu’elle avait pour lui, lui rendait visite deux fois par jour et à chaque fois elle recommandait aux gardes de l’enfant qu’ils prennent bien soin de lui, qu’ils lui prêtent grande attention, qu’en aucun cas il n’en vienne à souffrir, que tous ses vœux soient exaucés et contentés. Elle-même l’approchait, lui parlait, jouait avec lui et satisfaisait tous ses désirs. Un certain temps passa. L’enfant voyant qu’il était apprécié de ses gardes, tout comme de l’impératrice qui lui rendait visite chaque jour, se présenta devant elle et la pria de bien vouloir lui permettre d’aller voir ses parents qui se languissaient de lui selon le rêve qu’il avait fait la nuit de son père, de sa mère, de ses frères et de toute leur famille le pleurant. L’impératrice qui l’aimait tant et qui ne pouvait rien lui refuser, l’y autorisa. Elle donna l’ordre à son gouverneur de le
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en lo todo, i eya misma se aserkava, i le avlava, i djugava kon el i lo kontentava a todo este ke le demandava. Denpoes ke ya paso algo de tiempo, i el ditcho ijo, viendose ke ya estava bien visto sea de sus giadores, komo tambyen i de la Emperatrisa, fue ke un diya, se konrogo ande la Emperatrisa, sigun ditcho ke lo vijitava kada diya, en demandandole, porke lo alesensiara a decharlo ir serka de sus parientes, ke estava muncho eskarinyoso, por razon ke se sonyo, la notche, ke el padre i la madre i sus ermanos kon todas sus familyas, estavan yorando por el i la Emperatrisa, ke lo amava tanto, sin por nada refusarle, lo alesensyo, i dyo komando, a el grande guardrador del ditcho ijo, porke, lo aserkan al ijo, ande sus djenitores, i ke lo traygan en la tadre del mismo diya a el palasio, i ansi fue ke en el mismo diya fue yevado el ijo serka de sus parientes, de la forma ke se yevan a los ijos de los Rey ya kere entendido, komo de enkuentros i topaduras fueron, i denpues de kontentarsen djuntos algo de tyempo, i syendo la tadre, se bolto atras al palasio, kontente i sin tener por nada de kuale akecharsen de todas las dos partes. I la Emperatrisa, iva andando i konsolandose kon el nuevo ijo rekojido en una de las plasas de Vienna, – el Emperador, fin a este tiempo non saviya nada de todo esto ke paso en el palasio de la Emperatrisa, i denpues ke ya se enformo, de todo sigun paso i ke ijo esta en el palasio de la Emperatrisa, i el Emperador muntcho ensanyado de ver ke el non se lo izyeron saver i a el del prinsipio, dyo komando porke se rekojyera, un konsilyo, de los Prinses i de los Ministros para djuzgar a la Emperatrisa sovre esto ke non izo saver a el - Emperador, de la etcha ke izo de rekojer de la plasa kriaturas i yevarlos a el palasio, (es a saver tambyen ke, la Emperatrisa tambyen ya tiene el poder de reentchirle sus komandos ma kale tambyen ke lo sepa i el Emperador, i kuando el Emperador lo topa por deretcho de trokar el komando de la Emperatrisa, es ke solo el Emperador non lo puede trokar, otro ke es la Asamble djeneral, djuntos kon el Emperador se puede trokar).
mener le jour même chez ses parents et de le ramener au palais dans l’après-midi. Et ainsi, ce jour-là, l’enfant fut conduit auprès de sa famille dans le même équipage que les enfants des rois. Il n’est pas difficile de comprendre comment se déroulèrent les retrouvailles et après avoir joui ensemble de ce temps, l’après-midi venant, il retourna au palais, heureux et sans aucun motif de plainte de part et d’autre. Alors que l’impératrice se consolait avec le nouvel enfant qu’elle avait recueilli dans les rues de Vienne, l’empereur n’avait toujours pas été informé de ce qui se passait au palais de la reine. En apprenant tout ce qui s’y était passé et quel était l’enfant qui s’y trouvait, il entra dans une grande colère en voyant qu’il avait été tenu dans l’ignorance dès le début. Il donna l’ordre de réunir un conseil des princes et des ministres afin de juger l’impératrice qui n’avait pas porté à sa connaissance à lui, l’empereur, le fait qu’elle avait recueilli dans les rues des enfants et qu’elle les avait emmenés au palais. Il faut savoir que l’impératrice pouvait faire exécuter ses ordres, mais que l’empereur devait en être informé. Quand l’empereur jugeait qu’il était en droit de modifier un ordre de l’impératrice, il ne pouvait pas le faire seul, mais devait solliciter l’accord de l’Assemblée générale. Quelque temps après, les membres du conseil se réunirent au palais de l’empereur. La réunion dura longtemps et après avoir bien examiné la question, comme ils ne voulaient pas condamner l’impératrice, ils trouvèrent plus juste d’exiler toute la famille Arié vivant à Vienne et de l’envoyer par-delà les frontières. Et ainsi l’enfant qui se trouvait au palais de l’impératrice partagerait leur exil. Aucun membre de la famille Arié n’était au courant de ce qui se passait au palais. La façon dont on exilait en ce temps-là était la suivante : on commençait, sans que cela se sache, par recenser tous les membres de la famille à bannir, leur lieu de résidence et les biens qu’ils possédaient, le tout dans le plus grand secret. Ensuite une fois établie la liste des biens et des personnes, on les rassemblait grâce à la liste, chacun selon l’endroit où il se trouvait, qu’il s’agisse d’hommes, de femmes ou d’enfants, sans se soucier qu’ils emportent des provisions ou des vêtements. On les faisait monter dans des voitures et
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9. Sierkol ou estierko : ordures, déchets, détritus.
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En pasando algo de tiempo, ya se rekojo el konsilyo propio en el palasio del Emperador, i ke turo este konsilio largo tiempo, i denpues de platikar muntcho byen la kestyon, ke non kijieron kondenar a la Emperatrisa, lo toparon por mas djusto, de egzilar a toda la familya Arie, ke biviya en Vienna, i meterla de la otra parte del konfin, ke kon esto va ser egzilado tambyen i el ijo ke estava en el palasio de la Emperatrisa, i de esto todo ke esta pasando en el palasio, dinguno de la familya Arié non lo saviyan, la forma de egzilar en akel tiempo era, ke al prinsipio sin ke konsintieran, tomavan nota de todos los miembros, ke se van a egzilar, i tambyen ande mora i ande se topa i todo byen ke empatrona, i lo todo en grande sekreto, i denpues ke ya tomaron nota del todo byen i de las personas, los rekojen a todos kon la nota, a kada uno ande lo toparon sigun ke estava, sin kudyarles por komanya o vistidos, ansi lo aziyan sea kon los ombres, mujeres, kriaturas, i los suviyan en karosas i los yevavan de la otra parte del konfin era solo si al afito akontesiya ke se le topariya algouna moneda i kon esto solo ke iva a poder vivir, i ansi fue ke en un diya, los kojieron a toda la famiya Arié i los souvieron en karousas ke transportan el sierkol 9, i se los yevaron a todos de la otra parte konfin -, i denpues el governo rekojo todo el byen ke enpatronavan non era poko, lo todo para el tresoro del governo, fue de esta manera ke vinieron a vinir a Vidin, a se kere entendido en kual grado se topavan kuando vinieron a Vidin.
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on les transportait à l’autre bout du royaume. C’est à peine s’ils pouvaient trouver quelque argent pour subsister. C’est ainsi qu’en un seul jour, ils rassemblèrent tous les membres de la famille Arié, les firent monter dans des charettes à ordures et les transportèrent tous de l’autre côté de la frontière. Par la suite, le gouvernement récupéra toutes les propriétés qu’ils possédaient ce qui n’était pas quantité négligeable. L’ensemble finit dans les caisses du royaume. C’est ainsi qu’ils vinrent à Vidin, et on peut imaginer dans quelle détresse ils se trouvaient quand ils y arrivèrent.
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Récit de l’enfer
Manuscrit en français d’une Juive de Salonique déportée Lisa Pinhas Collection Témoignages de la Shoah, Éditions Le Manuscrit, Paris 2016. ISBN : 978-2-304044-14-0
Soixante-douze ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, les témoins oculaires de la Shoah sont rares. Les quelques témoignages écrits qui nous restent sont donc des documents inestimables qui, en plus de nous rappeler les faits historiques, sont écrits à la première personne et nous donnent une vision du vécu, du ressenti et de ce qui était important pour le témoin au moment des faits. Ceci est d’autant plus vrai pour les témoignages plus anciens, lorsque la mémoire était encore vive grâce à la proximité temporelle avec les faits. C’est dans ce contexte que paraît aujourd’hui le récit de Lisa Pinhas, survivante d’Auschwitz originaire de Salonique, qui l’a rédigé en français dans les années 1960, bien avant les autres, pendant la « période du silence ». Ce témoignage s’ajoute à ceux d’autres Juifs saloniciens qui ont survécu aux camps de la mort comme Daniel Bennahmias, Jacques Handeli, Heinz Kounio, Erica Kounio-Amarillio, Albert Menasche, Marcel Nadjari, Marc Nahon, Leon Perahia, Jacques Stroumsa, auxquels s’ajoutent les quelque dizaines de témoignages oraux brefs recueillis par Frangiski Abatzopoulou et d’autres chercheurs.
Lisa Mano, épouse Pinhas, est née en 1916 à Salonique. À cette époque, Salonique était la grande métropole juive des Balkans. Sur 150 000 habitants, elle comptait quelque 80 000 Juifs organisés autour de trente-cinq synagogues portant des noms comme « Kastilia », « Katalan Hadash », « Ashkenaz », « Italia Yashan », « Provinsia », « Mograbiz », reflétant l’origine géographique de leurs membres. La communauté juive comprenait toutes les strates de la société, des grands industriels et des érudits aux ouvriers du port, ce qui donnait à la ville un caractère particulier. Le travail s’arrêtait le samedi et la population parlait le judéo-espagnol. Ainsi, en 1914, l'historien salonicien Joseph Nehama publia en français l’histoire de la ville sous le titre « Salonique, la ville convoitée » où il note en introduction que Salonique « a été grec et byzantin, et il a été cela intensément. Mais aujourd’hui il est juif et il est espagnol : il est sefardi. Il est, de nos jours, ce que fut Tolède jusqu’à l’aube des temps modernes. » De plus, grâce aux écoles de l’Alliance israélite universelle établies dès 1873 et à celle de la Mission laïque française établie en 1906, le français était la langue des personnes instruites. C’était aussi le cas de Lisa Pinhas et de Joseph Nehama. Toutefois, le Salonique décrit par Nehama et que Lisa Pinhas a connu dans son enfance s’est rapidement évanoui. Un énorme incendie dévasta la ville en août 1917 laissant 50 000 Juifs sans abri et détruisant toutes les synagogues, les écoles et les autres institutions du centre-ville. Cet événement amorça une émigration massive vers la France (grâce à la langue), les États-Unis et la Palestine,
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qui a été renforcée par la récession de la Première Guerre mondiale, l’afflux de 100 000 réfugiés grecs d’Asie mineure en 1923, et des pogroms antisémites en 1931. Lorsque les Allemands occupent Salonique en avril 1941, 50 000 Juifs y vivent encore. Au bout de quelques mois commencent les mesures restrictives, les confiscations, les travaux forcés, les ghettos. Le 15 mars 1943 le premier convoi de 2 800 personnes part pour Auschwitz. Les convois se succèdent tous les deux ou trois jours et au mois d’août il n’y a plus de Juifs à Salonique. Seuls quelques-uns ont pu se cacher, gagner la guérilla dans les montagnes ou, s’ils avaient un passeport étranger, demander la protection de leur pays. Ainsi, quelques Italiens sont rapatriés en Italie alors que d’autres se cachent, les Britanniques sont envoyés en Inde ou en Palestine, alors que les Espagnols sont déportés par les Allemands au camp de Bergen-Belsen, en attendant en vain que le gouvernement espagnol accepte de les recevoir en Espagne. Après la guerre, seules 2 000 personnes reviennent à Salonique. Le récit de Lisa Pinhas commence avec l’entrée de l’armée allemande à Salonique, le 9 avril 1941 et décrit le climat de peur et d’impuissance de la communauté durant les deux premières années de l’occupation. Puis commencent les déportations. Elle décrit sa déportation avec toute sa famille le 31 mars 1943, le transport et son arrivée à Auschwitz le 7 avril. Elle consacre plusieurs chapitres à la description des différentes étapes et des différents aspects du camp : la douche, les appels, l’organisation de la vie, la nourriture, les différents blocks et kommandos, les « selektions », les « désinfections », les crematoriums… La seconde partie de son récit est consacrée à son histoire personnelle, ses expériences, ses relations avec les autres détenues et les surveillantes, et ses sentiments dans l’univers concentrationnaire, d’abord lorsqu’elle travaillait au kommando Kanada, puis à l’usine Union-Fabrik, où elle rencontre un autre détenu salonicien, Jacques Stroumsa, dont le témoignage intitulé Tu choisiras la vie est paru en 1996 aux éditions du Cerf. Le
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17 janvier 1944, face à l’avancée de l’armée russe, Auschwitz est évacué, et les détenus sont forcés de marcher quatre jours à pied jusqu’à Prenzlau, puis en train pendant quatre jours et cinq nuits pour arriver au camp de Ravensbrück à quatrevingts kilomètres au nord de Berlin, un camp spécialement réservé aux femmes. Lisa Pinhas décrit avec beaucoup de détails cette cauchemardesque « marche de la mort », ainsi que son séjour de quelques semaines à Ravensbrück, d’où elle est évacuée en camion vers le camp de Rechling, un camp de travaux forcés quarante kilomètres plus loin. Le 27 avril 1945, les détenues sont évacuées de Rechling, mais sans escorte militaire. Elles sont « libres » et errent quatre jours dans le pays, rencontrant d’autres prisonniers et des Allemands démobilisés, jusqu’au jour où elles aperçoivent des chars américains et se rendent à un endroit où des Allemands avaient déposé les armes. C’est un moment « de joie indescriptible, délirante ! » C’est là que Lisa Pinhas termine son récit avec les mots : « Libre ! Combien ces cinq lettres contiennent d’oxygène ! Je les respire à pleins poumons… ». Après la Libération et un périple à travers la Tchécoslovaquie, l’Autriche, la Bulgarie et la Roumanie, Lisa Pinhas rentre à Salonique le 6 août 1945. Elle consacre sa vie à la perpétuation de la mémoire de la Shoah, en militant au sein d’une organisation de survivants et en rédigeant un manuscrit où elle consigne sur le papier toute son expérience dans les camps de la mort, qu’elle complète et révise constamment. Malheureusement, ces révisions s’arrêtent brusquement en 1972 après un accident vasculaire cérébral. Au décès de Lisa, en 1980, sa sœur et sa nièce retrouvent le manuscrit de 137 feuillets, qu’elles déposent au Musée juif de Grèce à Athènes. Celui-ci est publié aujourd’hui dans la collection « Témoignages de la Shoah » de la Fondation pour la mémoire de la shoah, sous le titre : Récit de l’enfer, manuscrit en français d’une Juive de Salonique déportée.
Izo Abram
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La découverte des marranes
Samuel Schwarz Chandeigne éd. Paris. 2015 ISBN : 9782367321196
Belmonte est aujourd’hui bien connu. Photographes et journalistes y ont séjourné. Des émissions de télévision, des articles, des livres, un excellent documentaire, ont popularisé cette communauté de crypto-juifs portugais ; elle est même devenue une étape touristique incontournable. Mais c’est sans aucun doute à Samuel Schwarz que revient le mérite de sa découverte. Né en 1880 à Zgierz, près de Lodz, en Pologne alors sous domination russe, Samuel Schwarz, après des études à Paris, poursuit sa carrière d’ingénieur des mines dans divers pays avant d’être nommé au Portugal en 1914. La famille de Samuel Schwarz est traditionnelle et soucieuse de constituer et d’entretenir un patrimoine juif ; lui-même est très attaché à la culture juive et adhère avec enthousiasme au sionisme. C’est donc en toute logique qu’il se rapproche de la communauté juive de Lisbonne récemment officialisée et qu’il en devient l’un des membres les plus influents. Lors d’une visite au musée archéologique de Lisbonne, l’attention de Samuel Schwarz est attirée par une stèle en caractères hébraïques datant du treizième siècle et provenant de la synagogue de Belmonte. Il se met alors en quête des anciennes communautés juives du Nord-Est du Portugal, parcourt la région en tous sens et découvre ces crypto-juifs qui se savent juifs mais ignorent jusqu’à l’existence d’autres juifs qu’eux-mêmes, qui ont des prières particulières en portugais mais ignorent aussi jusqu’à l’existence de prières analogues en langue hébraïque. C’est alors que se place un épisode particulièrement émouvant. Par
« un délicieux après-midi d’été, sous les dernières réverbérations du soleil couchant », Samuel Schwarz veut convaincre un auditoire sceptique de sa propre judéité ; il leur récite le Shema et, en l’entendant prononcer Adonaï, les habitants de Belmonte se rendent à l’évidence : oui, tu es juif comme nous. Dès lors, toutes les portes s’ouvrent. Samuel Schwarz peut étudier à loisir les rites des marranes portugais, avoir le texte de leurs prières ; il y joindra de nombreux documents trouvés dans les archives de l’Inquisition. Son livre paraît en 1925 en portugais : Os cristãos novos en Portugal no seculo XX (Les nouveaux chrétiens au Portugal au XXe siècle). L’ouvrage que nous vous présentons n’en est pas une traduction : il a été écrit directement en français par Samuel Schwarz ; le tapuscrit, conservé par la fille et le petit-fils de l’auteur, préfacé par le grand rabbin Israël Levi, est édité par Chandeigne. C’est un document précieux. Samuel Schwarz a fait un véritable travail d’ethnologue. Il décrit en détail les rites des marranes portugais lors de la célébration des fêtes juives. La veille du shabbat, les femmes préparent une petite lampe qui restera allumée jusqu’au lendemain soir ; elles préparent aussi un repas froid de poisson et de légumes. Kippour, que les marranes appellent Dia grande ou Dia puro, est célébré non pas le dixième jour après la nouvelle lune de septembre, mais le onzième jour pour déjouer la surveillance de l’Inquisition : jeûne toute la journée, prières spécifiques, lampes allumées depuis la veille jusqu’à l’apparition des premières étoiles. Pessah commence le quatorzième jour après la nouvelle lune d’avril ; les marranes s’abstiennent de viande, mangent du pain azyme préparé en secret lors d’une cérémonie pendant laquelle, vêtus de blanc dans une pièce fraîchement repeinte, ils prononcent des prières particulières ; pendant une semaine, ils prient plusieurs fois par jour et se promènent, un rameau d’olivier à la main, le long d’un lac ou d’une rivière. Le livre présente un grand nombre de prières, recueillies par Samuel Schwarz. Certaines sont
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des prières hébraïques traduites presque textuellement en portugais, par exemple celle prononcée lors d’un mariage ; « Au nom du Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, je vous unis. Amen. » D’autres sont inspirées de psaumes. D’autres enfin sont des prières chrétiennes adaptées au crypto-judaïsme des marranes. Notons celle-ci, prononcée à l’entrée dans une église ; « À l’intérieur de cette maison, n’adorez ni le bois ni la pierre, mais seulement Dieu qui règne sur tout. » L’action de Samuel Schwarz n’est pas à l’abri de critiques et de rivalités. Malgré la réticence de la communauté juive de Lisbonne, l’œuvre du Rachat a pour objet de rapprocher les marranes du judaïsme officiel et de les rejudaïser. Samuel Schwarz en est écarté. Complété par une collection de photographies et par une histoire des Juifs du Portugal, préfacé par Nathan Wachtel, le présent livre est l’ouvrage princeps sur les marranes portugais. Sa lecture est incontournable pour tous ceux que leur histoire intéresse.
Henri Nahum
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Para sintir D’Edirne à Paris Stella Gutman
Enregistré in vivo au centre Rachi en avril 2014. Voix : Stella Gutman. Tambura, lauta, violon : Jean-Lou Descamps. Percussions et voix : Olivier Marcaud. Edité par Anima & Cie.
Les lecteurs de la Lettre Sépharade et les fondateurs de l’association Aki Estamos – AALS connaissent bien Stella Gutman qui a accompagné leur découverte du chant sépharade dans les années 1990 et 2000. Née dans une famille originaire d’Andrinople (Edirné), Stella Gutman a baigné dans une atmosphère judéo-espagnole dès son enfance. On ne peut que souscrire au choix des morceaux proposés notamment les deux pièces créées par Judith Frankel sur des poèmes de Rita Gabbaï-Tazartès, Shabbat et El décolté. Les titres traditionnels allient de grands classiques comme Adio kerida, Alta Alta es la luna, Puncha, Puncha et d’autres moins connus, tels Una hija tiene el Rey, un chant de mariage tiré du romance La princesa y el segador. Un titre en yiddish Di zun vet aruntergeyn et un titre en hébreu Laïla, laïla complètent l’ensemble. À noter pour les mélomanes que cet enregistrement réalisé dans les conditions du direct ne bénéficie évidemment pas de toutes les possibilités acoustiques offertes en studio.
Las komidas de las nonas
KEFTIKAS DE PRASA Recette transmise par Fortunée Azar
Ingredientes para 4 o 5 personas Ingrédients pour 4 à 5 personnes – 300 g de viande hachée – 1 kg de blanc de poireaux (avec un peu de vert) – 2 jaunes d'œuf – du pain rassis mis à ramollir dans l'eau – une petite boite de concentré de tomate – du sel, du poivre,
de la noix de muscade, une pincée de quatreépices – un peu de persil – de l'huile – une cuillerée à café de bouillon de volaille en poudre – un morceau de sucre – pour Pessah, on peut remplacer le pain par de la semoule de matza.
Préparation Laver et couper les poireaux en dés. Les faire cuire dans de l'eau bouillante salée. Une fois cuits, les égoutter en les pressant pour bien exprimer toute l'eau. Ajouter les poireaux à la viande avec les œufs. Presser le pain mouillé pour retirer l'eau. Ajouter le pain, le persil, la noix de muscade, le quatre-épices. Pétrir le tout. Former des boulettes et les faire frire dans de l’huile des deux côtés. On peut les manger ainsi ou bien en préparant la sauce suivante : Dans une casserole mettre le concentré de tomate. Ajouter 1½ verre d'eau dans le bouillon de volaille en poudre. Faire mijoter le tout avec un peu d'huile, une pincée de sel, du poivre et un morceau de sucre. Mettre les boulettes dans la sauce. Laisser cuire dix minutes. Servir avec du riz pilaf.
– 300 gramos de karne molida – 1 kilo de prasa, kortada a pisikos, kocha en agwa salada i sprimida – 2 yemas de guevos – la miga de unas revanadas de pan mojado i sprimido o de arina de masa, si se azen para Pesah – sal, pimienta, muez moskada, « kuatro baharas » (a gusto) – un masiko de prishil pikado – una kucharika de polvo de poyo – azeyte para friyir – un pedaso de azukar Preparasión Se meskla la karne kon las yemas de guevos i las prasas. Se aze gomo. Adjuntar el pan mojado, el prishil pikado, la muez moskada i los « kuatro baharas ». Se forman las keftikas i se friyen en azeyte keyente, de las dos partes. Se sierve keynte kon arroz pilaf. Se pueden komer ansina o kon un salsa de tomates : En un tenjeré adjustar la tomatada. Se adjustan 1½ vaso de agwa en el polvo de poyo. Se echa enriva el polvo, la azeyte, un pokitiko de sal, pimienta i azukar. Se aze kozer a lumbre basha. Adjustar las kefticas en la salsa. Se buyen diez puntos en la salsa.
Directrice de la publication Jenny Laneurie Fresco Rédacteur en chef François Azar Ont participé à ce numéro Laurence Abensur-Hazan, Izo Abram, Michel Arié, Fortunée Azar Arazi, François Azar, Francine Conchondon, Corinne Deunailles, Jenny Laneurie, Henri Nahum, Rosie Pinhas-Delpuech. Conception graphique Sophie Blum Image de couverture Claude, Eva et Nina Azar. Auberge des Pyramides. Le Caire 1949. Impression Caen Repro ISSN 2259-3225 Abonnement (France et étranger) 1 an, 4 numéros : 40€ Siège social et administratif MVAC 5, rue Perrée 75003 Paris akiestamos.aals@yahoo.fr Tel : 06 98 52 15 15 www.sefaradinfo.org www.lalettresepharade.fr Association Loi 1901 sans but lucratif n° CNIL 617630 Siret 48260473300030 Janvier 2018 Tirage : 950 exemplaires
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