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SEPTEMBRE 2018 Tamouz, Av, Eloul 5778
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Revue de l'association Aki Estamos Les Amis de la Lettre Sépharade fondée en 1998
03 H ommage à Aure Recanati
07 Du côté des Modiano
26 C hronique de
la famille Arié de Samokov (suite)
36 P ara meldar
— MONIQUE HÉRITIER, IZO ABRAM, CAMILLE COHEN
L'édito Créer · Préserver · Transmettre
Au moment où nous écrivons ces lignes, la quatrième université d’été judéo-espagnole vient de s’achever sur un beau succès. Cette réussite est d’abord le fruit de l’engagement de nos bénévoles qui, discrètement et efficacement, ont préparé cet événement, assuré l’accueil des participants et animé l’atelier de cuisine. Nous tenons à leur rendre hommage. Depuis vingt ans, notre association n’existe que grâce à la somme de ces dévouements. La pérennité d’Aki Estamos, les Amis de la Lettre Sépharade dépend de notre capacité à mobiliser de nouvelles bonnes volontés pour nous accompagner plus avant. Cet engagement passe par des temps forts, des moments fédérateurs dans lesquels nos efforts trouvent leur justification. Ce fut le cas le 19 juin dernier où, devant une salle comble, Dafné Kritharas et ses musiciens ont offert un concert d’exception. Pour ceux qui voudraient revivre cet instant magique et ceux qui n’ont pu se procurer des billets dans les derniers jours – le concert s’est joué à guichets fermés – nous proposons une nouvelle date le samedi 22 septembre dans la très belle salle du café de la Danse. La vocation de notre association n’est pas seulement de préserver et de transmettre la langue et la culture judéoespagnoles. Elle est aussi de susciter et d’encourager toutes les formes de création dans cette langue. Le génie des Judéo-espagnols a toujours été de s’adapter à leur environnement ;
d’interpréter et d’incorporer les apports extérieurs. Rien ne serait plus contraire à cet héritage que de vouloir le figer dans une forme idéalisée et nostalgique. C’est en devenant le creuset de cette création en judéo-espagnol que nous sommes les plus fidèles à notre tradition. La prochaine livraison de Kaminando i Avlando reprendra certaines des contributions marquantes de l’université d’été 2018. En attendant, nous vous proposons un numéro très salonicien avec le témoignage de Mario Modiano, un hommage à notre chère Aure Recanati et une chronique du livre Oncle Abraham vit toujours ici, consacré à la figure d’Abraham Benaroya. Nous poursuivons en outre la publication de la chronique de la famille Arié de Samokov, une occasion de pratiquer le judéo-espagnol en plongeant dans l’histoire inédite d’une famille de grands commerçants sépharades de Bulgarie. Alors que nous nous apprêtons à fêter nos vingt ans, Aki Estamos – les amis de la Lettre Sépharade a plus que jamais besoin de votre soutien. Nous vous engageons – pour ceux qui ne l’auraient pas encore fait – à régler votre cotisation 2018 et/ou à faire un don pour nous permettre de poursuivre notre action. Les projets ne manquent pas et il n’y a pas de petite contribution ! Nous vous souhaitons un très bel été, alegre, kolay i liviano et vous donnons rendez-vous à la rentrée.
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Ke haber del mundo ? En France
22.09
Nouveau concert de Dafné Kritharas au café de la Danse
En Allemagne
24.08 > 31.08
Septième université d’été judéo-espagnole à Halberstadt / Setena Universita d'Enverano Sefaradi Du 24 au 31 août 2018 se tiendra à Halberstadt (Allemagne), à l’Académie Moses Mendelssohn, la septième université d’été judéo-espagnole organisée par Michael Halevi. Dafné Kritharas. Photo : Chloé Kritharas.
Devant le succès remporté par le concert organisé le 19 juin dernier – qui affichait complet cinq jours avant l’événement – nous avons décidé de programmer une nouvelle date. Ce sera le samedi 22 septembre à l’occasion des journées européennes du patrimoine et de la culture juives. Dafné Kritharas et ses musiciens y présenteront les titres grecs et judéoespagnols de l’album Djoyas de mar ainsi que de nouvelles créations. Dafné Kritharas : chant. Camille El Bacha : piano, arrangements. Paul Barreyre : chant, guitare, arrangement. Naghib Shanbehzadeh : percussions orientales En première partie, le trio Samaïa (Luna Silva, Éléonore Fourniau et Noémie Naël) présentera un florilège de chants polyphoniques issus de différentes traditions. Samedi 22 septembre 2018 à 19 h 30 au café de la Danse. Tarif : 18,99 € (billetterie sur le site du café de la Danse).
Toutes les matinées seront consacrées à l’étude d’un projet d’édition. De nombreux autres sujets seront traités par les participants, des universitaires venus d’Allemagne, d’Espagne, des États-Unis, d’Israël, de Serbie et de Bulgarie. Notons entre autres : l’Académie nationale du ladino, mémoires sépharades, introduction à la musique sépharade, le judéo-espagnol parlé à Izmir, le théâtre sépharade à l’université de Grenade, les annonces dans la presse judéo-espagnole, etc.
En Israël Une thèse de doctorat1 de l’université de Bar Ilan portant sur la langue et la culture judéo-espagnoles au sein de la communauté virtuelle Ladinokomunita Le 19 mai 2018, Yaffa Shuhami étudiante au département « Littérature juive » de l’Institut Salti d’études judéo-espagnoles (université de Bar Ilan, Israël) a soutenu avec succès sa thèse de doctorat.
Yaffa Shuami a réalisé un remarquable travail ethnographique portant sur la communauté virtuelle Ladinokomunita, un forum de discussion en judéo-espagnol créé sur internet en l’an 2000. C’est Moshe Shaul qui en 1999 – alors qu'il dirigeait la revue Aki Yerushalayim – eut le premier l’idée d’utiliser internet comme outil pour la préservation de la langue judéo-espagnole. Rachel Amado Bortnick, native d’Izmir en Turquie, a ensuite dirigé et mis en œuvre le projet. L’objectif de ce forum était de proposer aux locuteurs du judéo-espagnol une plateforme leur permettant de communiquer dans cette langue en danger d’extinction. Une communauté virtuelle d’environ 1 700 membres du monde entier, échangeant des messages quotidiennement, a ainsi pu voir le jour. La responsable du forum, Rachel Amado Bortnick en énumère les objectifs sur la page d’accueil : 1. Promouvoir l’usage de la langue judéo-espagnole ; 2. Promouvoir la connaissance du judéo-espagnol du point de vue historique et culturel ; 3. Essayer d'adopter un même système de transcription de la langue selon le modèle des fondateurs de la communauté virtuelle. 1. Le texte ci-dessus reprend un résumé en anglais de la thèse de Yaffa Suhami présenté par Rachel Bortnick dans le forum Ladinokomunita le 18 juin 2018.
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Dans sa thèse, Yaffa Shuami examine dans quelle mesure ces objectifs ont pu être atteints. Son travail est centré sur la façon dont le judéo-espagnol est utilisé dans le cyberespace et sur les caractéristiques ethniques et culturelles qui s’y manifestent. L’introduction présente le kurtijo sépharade ou cour intérieure, comme l'un des lieux de rencontre les plus typiques pour les locuteurs du judéoespagnol jusqu’à la première moitié du XXe siècle. Le kurtijo a disparu et les locuteurs ont longtemps recherché une alternative. Les chapitres qui suivent examinent successivement les facteurs qui ont conduit le judéo-espagnol au statut de « langue en danger d’extinction » ; les relations entre langage et société, les caractéristiques d’une communauté virtuelle et ses relations avec la communauté physique traditionnelle. La thèse décrit et analyse ensuite le fonctionnement du forum « Ladinokomunita », tant sur le fond que sur la forme, à travers une sélection de textes postés en 2000, 2007 et 2015. Le dernier chapitre reprend et débat des résultats de la recherche : Le forum Ladinokomunita, agit comme toute communauté virtuelle où les rencontres virtuelles et physiques peuvent alterner. Mis à part leur activité sur le forum, les membres de Ladinokomunita se rencontrent lors de conférences, de sorties ou d’événements communautaires. Les messages utilisent une langue écrite dont les caractéristiques sont proches du langage parlé reprenant ainsi le concept de langue vernaculaire du kurtijo. L’étude conclut que « les objectifs relatifs au langage ont été partiellement atteints ». Certes, les échanges quotidiens sur le forum ne sont pas
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à eux seuls suffisants pour préserver la langue de l’extinction. De même, les efforts réalisés pour uniformiser la langue ont pu éloigner certains locuteurs de ce forum. Mais l’objectif de promotion de la langue a été atteint dans la mesure où le site de Ladinokomunita est devenu un riche centre d’archives culturelles pour le monde judéo-espagnol.
Carnet gris Décès du professeur Isaac Yerushalmi Pedrimos al professor Isaac Jerusalmi (Isak Yerushalmi) No puedo deshar pasar el haber de la muerte del Haham Jerusalmi (ayer, el 28 avril, 2018 / 13 Iyar 5778), sin transmetervos un poko mas informasiones sovre esta persona ekstraordinarya ke desho una erensia de ovras muy valutozas 1. Isaac Jerusalmi ( o Izak Yerushalmi, asegun eskrivya su nombre en ladino) fue por mas de 50 anyos profesor de Biblia i Lenguas Semitikas en Hebrew Union College - Jewish Institute of Religion (HUC-JIR) en Cincinnati, Ohio, i publiko munchos livros i artikolos sovre la tradision relijioza sefaradi. El avia nasido en Kuzguncuk, foburgo de Estambol, Turkia, el 22 Septembre de 1928, desendiente de una linya de rabinos sefaradis. Estudio en la Universidad de Estambol, espesializandose en literatura klasika. Konosia bien el grego klasiko, ansi ke munchas otras
lenguas, komo el fransez, aleman, turko, ladino, i latin. Vino a estudiar en el HUC-JIR sovre la invitasion del Dr Julian Morgenstern, entonses el retirado Presidente del dicho kolejio, i graduo de ayi en 1956 kon semiha de rabino. Despues el estudio en la Sorbonne en Paris, ande resivio su doktorado en Estudios Semitikos. En 1963 se izo profesor en HUC-JIR, ande su espesialidad era en las linguas arameo, arabo, siriak, i ebreo 2. El mas muevo livro suyo, i mas fasilmente obtenivle, es Jewish Voice from Ottoman Salonica : the Ladino Memoir of Sa’adi Besalel a-Levi ke kontiene el teksto kompleto del diario de Sa’adi ben Betsalel Halevi, el mas viejo diario ke deskrive la vida djudia en Salonik en el Imperio Otomano. Es una maraviya de livro, ke no solo kontiene la transliterasion del teksto del diario i su traduksion al inglez, kon eksplikasyones i glosario, ma tambien da el sitio https://www.sup.org/ladino/ ande se puede sigyir el manuskrito orijinal eskrito en solitreo. Yo merki este livro en su primera prezentasion ke tuvo lugar en UCLA en 2012, kon los editores, los profesores Aron Rodrigue i Sarah Abrevaya Stein. […] Tuve el mazal de konosermos por serka 30 anyos, i de tener muncha korespondensia kon el i en los kavos tiempos kon su mujer Nimet/Neama.
1. Un resumen de esto se publiko en la nekrolojia en inglez en el sitio https:// networks.h-net.org/node/28655/discussions/ 1768944/obituary-prof-isaac-jerusalmi 2. Podesh ver la lista de algunos de sus 51 ovras pulikadas en 7 linguas en : http://www. worldcat.org/identities/lccn-n50-38544/ (a la derecha, debasho de « languages » se ven los numeros de ovras ke publiko en kada lengua.)
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La kava ves ke estuvimos endjuntos kreygo ke era en el kolokio de la Autoridad Nacional del Ladino en Yerushalayim en Oktobre de 1999, ande avia nasido la idea de Ladinokomunita. Su muerte mos desha kon un grande burako de alma, ma una rika erensya de saviduria ke va esperar ayi para todos los meldadores venideros de sus livros i artikolos. Mandamos muestras kondoleansas a su kerida mujer i kolaboradora Nimet, a sus ijas Stella, Hanna* i Penina, a su ijo David* i inyetos i inyetas. (*Hanna i David son rabinos tambien.) Eyos ke bivan munchos anyos.
Isaac Jerusalmi (ou Izak Yerushalmi, comme il écrivait lui-même son nom en judéo-espagnol) enseigna pendant plus de cinquante ans la théologie et les langues sémitiques au Hebrew Union College – Jewish Institute of Religion à Cincinnati (HUC-JIR), Ohio. Il publia de nombreux livres et articles sur la tradition religieuse sépharade. Il était né à Kuzguncuk, un faubourg d’Istanbul, le 22 septembre 1928, descendant d’une lignée de rabbins. Il avait étudié à l‘université d’Istanbul, et s’était spécialisé dans la littérature classique. Il connaissait bien le grec ancien et beaucoup d’autres langues telles que le français, l’allemand, le turc, le judéo-espagnol et le latin. Il alla étudier au HUC-JIR à l’invitation du Dr Julian Morgenstern, alors président honoraire de ce collège et il y reçut le titre de rabbin en 1956. Il étudia ensuite à la Sorbonne à Paris où il obtint son doctorat d’études sémitiques. En 1963, il fut nommé professeur au HUC-JIR avec une
spécialité en langues araméenne, arabe, syriaque, et hébraïque. Son livre le plus récent, et celui que l’on peut obtenir le plus facilement est A Jewish Voice from Ottoman Salonica. The Ladino Memoir of Sa'adi Besalel a-Levi qui contient le texte complet du journal de Sa’adi Besalel Halevi, journal le plus ancien décrivant la vie juive à Salonique sous l’Empire ottoman. Isaac Jerusalmi en avait assuré la transcription et la traduction à partir du manuscrit en caractères solitreo. J’ai eu la chance de le connaître durant près de trente ans et d’entretenir une importante correspondance avec lui – et dans les derniers temps
avec son épouse Nimet/Neama. Sa disparition nous attriste profondément, mais il nous laisse un riche héritage de connaissances qui va subsister pour tous les lecteurs de ses livres et articles. À nouveau nous présentons nos condoléances à sa femme et collaboratrice Nimet, à ses filles Stella, Hanna, et Penina, à son fils David, à ses enfants et petitsenfants. Hanna et David sont également rabbins. Longue vie à eux. Rachel Amado Bortnick
Dallas, Texas Ladinokomunita 30 avril 2018 /13 Iyar 5778
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Hommage à Aure Recanati Ci-contre : Aure Recanati lors de la fête de Djoha organisée par Aki Estamos au théâtre de l’Épée de Bois en septembre 2016. Photo : Céline Scaringi.
1. https:// collections. ushmm.org/ search/catalog/ irn75113
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Aure Recanati nous a quittés. Elle fut longtemps vice-présidente d’Aki Estamos et trésorière de l’association Muestros Dezaparesidos. Ce n’est pourtant ni un titre ni une fonction que nous retiendrons d’elle, mais son extrême gentillesse, sa discrétion et sa délicatesse. À ces qualités déjà rares s’ajoutaient l’intelligence et la détermination qui lui ont permis de réaliser l’œuvre maîtresse qu’est le Mémorial de la déportation des Juifs de Grèce. Aure Recanati était née en 1924 à Marseille dans une famille originaire de Salonique. Son père, Haïm Yeni avait immigré avec ses parents en 1913 lorsque l’armée grecque prit la ville. Il s’était installé à Marseille où il pratiquait l’import-export avec des parents restés à Salonique. Sa mère, Flora Amaradji était arrivée à Marseille en 1923 d’Istanbul. Aure avait deux sœurs nées en 1925 et 1928. Elle était la cousine du Dr Vidal Modiano, fondateur et président du CRIF. En 2012, elle confia à Irène Hatzopoulos son expérience de la Seconde Guerre mondiale et des persécutions en France dans un entretien filmé que l’on peut consulter sur le site du Mémorial de l’Holocauste à Washington 1. Nous saluons sa mémoire et adressons à toute sa famille nos très sincères condoléances. Ke su alma deskanse en paz i ke su benditcha memorya mos aklare la vida.
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Chère Aure Tu ne sauras jamais combien tu nous manques. Ta gentillesse, ton doux sourire, tes compétences… Bien d’autres évoqueront les multiples facettes de ta personnalité ainsi que tes diverses activités, toi qui n’a jamais arrêté jusqu’au dernier jour. Ici je ne parlerai que de ton implication dans l’association Muestros Dezaparesidos. Après avoir tant fait pour écrire le Mémorial des Juifs de Grèce tu as accepté de travailler sur le Mémorial des Judéo-Espagnols déportés de France. Je me souviendrai toujours de ta remarque : « Le mémorial des Juifs de Grèce je l’ai fait toute seule et là nous sommes une équipe de vingt pour écrire celui de France ». Et oui Aure il faut bien être vingt pour faire le même travail que toi. Mon plus grand regret est que tu n’auras pas vu ce travail auquel tu as consacré, entre autres, les dernières années de ta vie. Alain de Tolédo Président de l’association Muestros Dezaparesidos
Aure était une femme exceptionnelle, très élégante, une poète, une femme libre, une femme très proche de sa famille et naturellement une militante communautaire admirable. Elle nous manquera. Au revoir Aure, toi que nous aimions beaucoup. Tu primo Michel Azaria
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La réalisation du Mémorial des Juifs de Grèce d’Aure Recanati […] J’aurais donné ma vie Pour pouvoir témoigner, Pour savoir transmettre […] Pour que puissent Naître et vivre Et mourir en PAIX Tous les enfants des femmes. Aure Recanati, de son recueil Qui dira pourquoi ? Je dois ma rencontre avec Aure Recanati à Henriette Asséo et Rika Benveniste. Fin 1997, peutêtre au début de l’année 1998, Aure cherchait quelqu’un qui pourrait l’aider à vérifier la transcription/translittération en alphabet latin qu’elle avait commencé à faire elle-même des noms des Juifs grecs déportés et exterminés dans les camps, des noms comme ils apparaissent dans le Livre de Mémoire que le Conseil israélite central de Grèce (KISE) avait publié en 1979 1. Je fus cette personne. Appartenant moi-même à une famille de Grecs saloniciens, je vivais depuis longtemps à Paris et je pouvais maîtriser plusieurs langues. Ainsi débutèrent une longue collaboration et une belle amitié. Inoubliable Aure, chère Madame Recanati ! Dans le Livre de Mémoire manquaient les Juifs sépharades de Salonique. À l’époque tout le monde pensait que les archives communautaires avaient intégralement disparu. Les plus anciennes avaient été détruites par l’incendie de la ville en 1917. Les Allemands, semblait-il, avaient pillé et emporté celles de l’entre-deux-guerres et les documents qui jusqu’en 1943 leur avaient servi à anéantir la Salonique juive. Le manque de données documentaires semblait une évidence.
Au Congrès mondial de la généalogie juive qui s’était tenu à Paris en juillet 1997, Serge Klarsfeld lui-même l’avait confirmé devant Aure. Cependant, il existait déjà une bibliographie en français assez conséquente. En Grèce même, on commençait à peine à parler de la Shoah, après une longue période de silence 2. C’est seulement à la fin des années 1990 que la littérature académique grecque et le recueil de témoignages auprès des rescapés des camps se développèrent. Et pourtant, dans ma famille on avait toujours évoqué les amis juifs disparus ; enfant, j’avais été frappée par cet étrange numéro sur l’avant-bras d’une couturière à laquelle on rendait visite. Cela pour dire qu’Aure Recanati avait peu de documentation disponible en français quand elle s’est fait la promesse, forte et déterminée, de faire un ouvrage inédit, un Mémorial pour les Juifs de Grèce, semblable à celui de Serge Klarsfeld sur les Juifs de France. Elle y aura consacré beaucoup de son temps, de son énergie et de ses finances personnelles. La découverte des douze rouleaux de microfilms (1997.A.0220, Reel 1-12) au musée de l’Holocauste à Washington (USHMM) (réalisés à partir des archives de la communauté de Salonique emportées par les Allemands en octobre 1944, trouvées et conservées dans le secret de la Russie soviétique jusqu’à la chute du mur de Berlin en 1989) fut une grande surprise pour elle comme pour moi. Ils contenaient un peu plus du quart des déclarations des biens que les habitants juifs de Salonique avaient rempli du 1 er au 4 mars 1943, avant les départs dans les trains de la mort : 4 119 fiches sur lesquelles on a relevé plus de 13 000 noms d’hommes, femmes et enfants. Nous avions devant nous un trésor historique, la matière d’une enquête approfondie, mais nous fûmes saisis d’un sentiment de désespoir devant la conscience palpable de l’hypocrisie allemande. Qui dira pourquoi (tel était le titre choisi par Aure pour son recueil de poèmes) les personnes destinées à l’anéantissement devaient-elles donner en détail leur état civil et la liste de leurs biens à leurs bourreaux, en remplissant scrupuleusement
1. Elle s’appuyait également sur la réédition (1988) de l’ouvrage de Michael Molho Joseph Nehama In Memoriam, Hommage aux victimes juives des Nazis en Grèce, publié en français par la Communauté israélite de Thessalonique déjà en 1948-<1953> (2e édition revue et augmentée en 1973). L’ouvrage a été traduit en grec en 1974, par G. Zographakés, à l’intiative du président de la communauté Dick Benveniste. 2. Rika Benveniste et d’autres jeunes chercheuses juives et non-juives ont créé en 1990 l’Association pour l’étude des Juifs de Grèce, contribuant ainsi à l’éveil de l’intérêt pour l’histoire et la mémoire de la Shoah en Grèce. Aujourd’hui, vingt ans après, on compte par centaines les livres, articles, mémoires, et un nombre important d’ouvrages de référence sur Salonique, en petite partie traduits en anglais ou en français.
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3. On trouve la reproduction du formulaire (en quatre pages) et tous les détails dans la première publication d’Aure Recanati Communauté juive de Salonique 1943, Jérusalem, A. Cohen/Erez, 2000 (éditions en anglais et en français).
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ces formulaires rédigés en allemand et en grec ? Ce n’était pas seulement les biens immobiliers ou professionnels (maisons, terrains ou hypothèques, capitaux des boutiques, ateliers, machines) ; c’était aussi les capitaux personnels, l’argent liquide, les pierres ou les métaux précieux, les bijoux, les créances et les dettes. Il fallait aussi déclarer les objets d’art, les tableaux, les tapis, les meubles et les ustensiles de maison, le linge, les habits et les chaussures, même les animaux ; faire une récapitulation et une estimation de l’ensemble en drachmes, à la valeur du 1er mars 1943 confrontée à celle d’avant-guerre 3. Les photocopies des rouleaux arrivaient petit à petit de Washington, et nous nous sommes mises à les traduire en français et en anglais au fur et à mesure. Notre première préoccupation fut la transcription des noms des états civils (noms du chef de famille, de son épouse, de leurs enfants, d’autres personnes protégées ou habitant avec eux), des noms des rues. Nous avons établi les règles de translittération et on a essayé de s’y tenir, les Ch/H et les C/K posant toujours problème, Cohen ou Koen, Kounio ou bien Counio, Haïm ou Chaïm, Rachel ou Rahel ? Fiche après fiche, on voyait apparaître la population, le plan des quartiers et leur physionomie avec les données socioéconomiques. Ayant moi-même grandi au centre de Salonique, j’avais devant moi l’image des rues, les récits de ma grand-mère m’accompagnaient quand je traduisais seule chez moi ; je les partageais avec Aure le lendemain. Régie Vardar oui, j’avais le souvenir de conversations familiales depuis ma tendre enfance ; Varonou Hirsch aussi, mais comment les quartiers se situaient-ils dans la ville ? Ma mère répondait à mes questions par téléphone, mais comment visualiser les lieux ? Comment communiquer à Aure une représentation concrète de la ville ? Et que restait-il de la ville d’avant ? Je connaissais les belles demeures de Vassilissis Olgas, je les ai vues se transformer en immeubles impersonnels : ma tante habitait rue Misdrachi, mais la rue n’a plus ce nom. Aujourd’hui, les plans de ces quartiers, les photos
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de ces belles maisons détruites publiées dans des ouvrages illustrés sont accessibles ; je ne sais pas si Aure aura eu la possibilité de suivre le progrès des recherches en Grèce, pionnière qu’elle fut en France sans être historienne. Mais elle avait l’intelligence et la curiosité d’un historien, le don de poser les bonnes questions aux bonnes personnes, de persévérer, d’absorber les informations, de les combiner et de les associer ; un sens du contact humain et de l’organisation magnifié par son charisme personnel, mais aussi par ses années de travail comme chef d’entreprise. Elle était tenace, attentive, amicale, grande travailleuse, elle révisait tout, elle corrigeait sans faire l’économie de ses moyens, toujours soucieuse de ne pas trahir ceux qui ne pouvaient plus parler. Et sans jamais oublier qu’un petit café, un petit repas, une sortie agréable au resto, une belle causerie créent assurément des liens indéfectibles, inoubliables ! Son envie profonde de communiquer l’histoire de la Grèce et des Juifs de Grèce à un vaste public lui fit faire le choix d’une édition en deux langues, français et anglais, de cette première partie des formulaires d’état civils qui a vu deux ou trois versions progressivement augmentées et corrigées. Et pour transmettre bien l’Histoire, il fallait d’abord la connaître. Ce qu’elle a réussi, en cherchant sans cesse les documents, en multipliant les rencontres. L’autre partie du formulaire occupait les trois pages et demi restantes du document. Elle comprenait un tableau pour déclarer les biens proprement dit, divisée en dix catégories de biens immobiliers et mobiliers avec une section récapitulant la valeur de l’ensemble. Cela représenta le plus gros travail de traduction que l’importance capitale des informations offertes imposait. Les données traduites ont été aussi introduites dans une base de données informatique créée pour les besoins de ce travail par Rafaël Perez, mais cette partie n’a jamais été publiée à ce jour. Déborah Bouhassira a porté sur ses épaules le lourd travail d’y faire entrer tous les éléments, de les vérifier et de les croiser, toujours sur les conseils et directives
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d’Aure, avec d’autres nouvelles données, celles des fiches d’entrée à Auschwitz, par exemple. Nous avons ainsi travaillé ensemble pendant plus de quatre ans, j’étais rémunérée pour ce travail, il faut le souligner, comme toutes les autres personnes qui y ont participé. Aure n’oubliait aucun de ses partenaires, collaborateurs ou amis ; ils sont tous mentionnés dans ses publications. Au bout de quelques dizaines de fiches traduites nous avons vite compris que nous tenions un vocabulaire des biens mobiliers et immobiliers, des métiers, des descriptions qui revenaient avec les mêmes mots et expressions, presque stéréotypés, quelques mots aujourd’hui vieillots ou hors d’usage. Nous avons commencé alors à établir notre petit lexique, toujours en trois langues, grec, français, anglais, jamais définitif. Nous avons ainsi obtenu une relative uniformisation dans les traductions qui donnera la possibilité d’une meilleure exploitation des données dans le futur. Si l’évocation des noms des personnes perdues assassinées dans les camps à elle seule est douloureuse, l’association de ces noms avec une adresse, un métier, une liste des biens et ainsi avec une situation familiale, sociale et économique, un portrait pourrait-on dire, devenait très souvent insoutenable, parce que très personnelle. Comme le dit très bien Jean Carasso en présentant la première édition de La Communauté juive de Salonique 1943 dans la Lettre Sépharade n° 37, à chaque fiche nous passions « d’une vision statistique, froide, anonyme : “tant de dizaines de milliers de femmes, d’hommes et d’enfants vivant en Grèce ont été déportés, à 95 % ou 96 % sans retour…”, à une vision personnalisée, à dimension humaine. » Devant le numéro d’identité ou le numéro sur le bras se tenait la figure, presque en chair et en os, d’un homme, d’une femme, des enfants, avec leurs habits, un gilet, une chemise de nuit, un costume usé, une robe en georgette ou en calicot, avec une poussette, une moustiquaire, un édredon, une lampe à huile, un garde-manger, un mortier, un souvenir de baptême, avec un
canari dans la cage (le seul bien d’un marchand ambulant avec pour tout viatique ses deux tasses de café, ses deux assiettes et un seul sous-vêtement de rechange) ou avec un âne, une charrette, ou bien cette famille rassemblée dans une belle maison avec chauffe-eau et chauffage central, tapis, kilims, tableaux et lustres ; la figure d’un photographe, celle d’un galvaniseur, un tailleur, un employé, un portefaix, un ouvrier du tabac, un matelassier, un horloger, un joaillier, un travailleur sur le port, une modiste, une couturière, une étudiante, une veuve avec trois enfants… Insoutenable. Et en même temps la vérité sociologique se réintroduisait en douce et, au bout du dépouillement de quelque 500 fiches, elle éclata au grand jour. Non, les Allemands n’avaient pas déporté des gens « riches », selon l’argument le plus abject de l’antisémitisme contemporain : il nous est apparu clairement que le mythe des Juifs saloniciens riches était justement un mythe. La majorité des Juifs était très pauvre, la majorité était illettrée, une grande partie signe avec le pouce et ce sont les employés de la communauté qui remplissent ou signent pour eux les fiches. Pourquoi faire ? Pourquoi une telle application ? Graduellement, une image – partielle et floue, certes – de la communauté s’est formée et, drôle d’ironie de l’histoire, elle apparaît à travers des documents établis et conservés par l’administration allemande, enserrant de ses tentacules bureaucratiques ceux qu’elle voulait anéantir. Ces documents restent toujours inexploités dans cette optique des présences individuelles, jamais présentés en tant que tels ni en grec ni dans une autre langue, même si Maria Kavala les a exploités statistiquement en 2015 dans son texte La destruction des Juifs de Grèce (1941-1944) pour donner la répartition géographique, sociale et économique de la population juive dans la ville de Salonique. Néanmoins, The Jewish Community of Salonika, 1943 (les noms seuls, version de 2003) de Aure Recanati est depuis 2007 disponible et consultable sur le Holocaust Survivors and Victims Database
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de l’USHMM (index compilé par Mathilde Tagger) et fait aujourd’hui référence. Une autre liste de près de 40 000 noms de Juifs de Salonique avant la déportation a été compilée par Heinz Kounio, ancien président de la communauté juive de Salonique. Malgré tout, sauf erreur ou ignorance de ma part, la première et la seule fois que j’ai vu le nom de Aure Recanati mentionné dans un livre grec était juste l’année dernière, dans celui de Katerina Oikonomakou, Le Chanteur d’Auschwitz Estrogo Nehama, éditions Kapon, 2017, p. 88. Tout en faisant traduire les douze rouleaux de microfilms de Salonique, Aure s’était mise à se documenter sur l’histoire et le sort des autres communautés juives de Grèce, son but étant toujours l’élaboration d’un Mémorial national. La parution en 2002 de la traduction en français du livre de Mark Mazower Dans la Grèce d’Hitler (1941-1944) a donné au public français, ainsi qu’à Aure, pour ne pas dire aux Grecs également, un excellent manuel qui donnait une bonne connaissance et compréhension de l’ensemble de la tripartite (allemande, italienne, bulgare) occupation de l’Axe en Grèce. Quelques mois après, le 14 novembre 2003, il a été invité à l’École des Hautes Études en Sciences sociales pour présenter un exposé sur la déportation des Juifs de Salonique. Aure, moi-même, et bien sûr Henriette Asséo, y avons assisté. Pour Aure ce fut aussi l’occasion de confirmer les conclusions de ses propres recherches. Peut-être même de concevoir la forme du Mémorial, par zone d’occupation ? C’était une bonne solution pour structurer ce travail de titan, que seule une équipe universitaire ou du moins un travail collectif pourrait mener à terme. Le Mémorial de la déportation des Juifs de Grèce, paru en français en trois volumes ( Jérusalem, A. Cohen/Erez, 2005) : v.1- Introductions, v.2- Zone d’occupation allemande, v.3Zone d’occupation bulgare et italienne, et aussi en forme de résumé (174 pages) – l’édition en anglais, A Memorial Book of the Deportation of the Greek Jews, est parue chez le même éditeur un an plus tard sous les mêmes formes – rassemble
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des noms trouvés dans plusieurs sources (Livre de Mémoire de 1979, Déclarations des biens - Salonique 1943 et entrées à Auschwitz du convoi du 15 mars 1943 de Salonique, USMMH, listes trouvées à Yad Vashem, documents du JOINT, listes provenant de diverses sources bibliographiques, listes des morts à Mauthausen et à Neuengamme, à Birkenau, listes des résistants, des survivants, des citoyens Juifs italiens, espagnols, portugais, turcs), répartis par ville de chaque zone d’occupation : allemande (Crète, Didymoteichon, Florina, Kalamata, Langadas, Oresteiada, Le Pirée, Salonique, Suflion, Verroia), bulgare (Alexandroupolis, Drama, Kavala, Komotini, Serres, Xanthi), italienne (Arta, Athènes, Corfou, Chalkis, Ioannina, Karditsa, Kastoria, Larissa, Paramythia, Patras, Prévéza, Rhodes, Trikala, Volos, Zante). Un rappel de l’histoire grecque (XIXe -XXe s.) ainsi que l’historique de chaque ville et de la présence des Juifs dans chacune d’elles y sont ajoutés. Même en admettant les imperfections ou les lacunes, ce qu’on pourra considérer comme un work in progress – de nouvelles archives peuvent être découvertes ou étudiées – constituera toujours une base de référence pour toute recherche ultérieure. On le doit à la volonté, l’obstination, la patience et l’amour de cette grande dame, fille, épouse, mère et grand-mère, amie que fut Madame Aure Recanati. Anastassia Milonopoulou
Athènes, le 25 juin 2018
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Avia de ser… los Sefardim
Du côté des Modiano Entretien avec Mario Modiano conduit par Milena Molho en novembre 2005 à Athènes La famille Modiano est l’une des plus illustres du judaïsme salonicien. Elle fait partie comme les Allatini ou les Fernandez, des francos, ces Juifs originaires de Toscane arrivés dans l’Empire ottoman après un séjour plus ou moins prolongé en Italie. À Istanbul comme à Salonique, les francos ont joué un rôle décisif dans l’occidentalisation des communautés, notamment à travers l’œuvre éducative et le développement des banques et de l’industrie moderne. Les Modiano ne devaient pas échapper à l’effondrement du judaïsme salonicien. Leur descendance se trouve aujourd’hui dispersée à travers le monde. Mario Modiano, né en mai 1926 à Salonique et décédé en novembre 2012 à l’âge de 86 ans, a été le témoin de la tragédie qui frappa sa communauté sous l’occupation allemande. Il retrace quatre-vingt années de sa vie en Grèce et les recherches qu’il a accomplies pour reconstituer l’histoire familiale et en retisser les liens.
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L’origine des Modiano
1. Hamehune Modillano. L’histoire généalogique de la famille Modiano de 1570 jusqu’à nos jours. 2. Vital Modiano (Salonique 1888 – Paris 1971). En 1920, il fonde l’Union des israélites saloniciens de France, qui devient par la suite l’Union des israélites sépharades de France (U.I.S.F.). Il est à l’origine de la création d’une nouvelle synagogue sépharade rue Saint-Lazare. Il a fondé avec Léon Meiss dans la clandestinité en 1943 le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) qu’il présidera de 1950 à 1969.
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Les Modiano sont issus d’une longue lignée de rabbins dont l’ancêtre, R. Samuel Modillano, a quitté l’Italie pour Salonique au milieu du XVIe siècle. Nous le savons grâce à une inscription sur la tombe d’Isaac, son fils, également rabbin, qui a été enterré à Salonique en 1635. Mon père disait que nous sommes les vrais Modiano parce que nous venons de la lignée de Bonomo, un descendant direct de rabbi Samuel. Cependant, en préparant l’arbre généalogique de notre famille, j’ai été incapable de relier Bonomo à notre plus ancien ancêtre connu, mon arrière arrière-grand-père, Moïse Modiano, qui vivait au début du XIXe siècle. Quelque huit générations les séparent. Mon livre sur l’histoire généalogique de la famille Modiano 1, publié en l’an 2000, indiquait que nous sommes installés à Salonique depuis 1570. Lors d’une réunion de famille à Florence en juin 2005, nous avons visité Modigliana, le village qui a donné son nom à notre famille, et j’ai découvert des preuves que les Modiano vivaient peut-être en Italie avant 1500. Ma famille est d’origine italienne en ce sens qu’elle a quitté l’Italie pour s’installer à Salonique. Ce que nous ne savons pas avec certitude, c’est s’ils sont venus d’Espagne et se sont arrêtés en Italie, ou si nous sommes des descendants de captifs juifs que Titus a emmenés à Rome après la destruction du Second Temple. D’une façon ou d’une autre, personnellement, je me sens juif. Totalement juif. Et je pense que cela englobe tout.
Portraits de famille Mon arrière-grand-père, Samuel Modiano, est né à Salonique en 1828. Il a épousé Rika Modiano – les mariages mixtes étaient fréquents dans la famille. Ils ont eu six enfants : Esther qui est morte à la naissance, Moïse qui s’est installé en Égypte, Estrea, qui a épousé David Simha, Yeshua,
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le père de Vidal Modiano, un éminent chirurgien qui fut le chef de la communauté sépharade de France 2. Le plus jeune, Eliaou Modiano, était mon grand-père. Grand-père Eliaou, né en 1865, a épousé Allegra Cohen. Ils ont eu trois enfants, mon père Sam, Lily [Leah] et Joseph. Comme mon grand-père avait du mal à s’en sortir à Salonique, il a rejoint son frère aîné Moïse à Alexandrie. Il aurait cependant perdu tout son argent à la bourse du coton. Il est donc rentré avec toute sa famille à Salonique. Je me souviens que mes grands-parents vivaient au centre de Salonique dans un complexe de plusieurs maisons de deux à trois étages bâties autour d’une cour. Il y avait en son centre une petite synagogue connue sous le nom de « synagogue des rabbins ». C’est là que mon père m’emmenait célébrer les fêtes juives en compagnie de mon grand-père. Je jouais principalement dans la cour plutôt que d’assister aux offices. Ma grand-mère Allegra est morte quand j’avais dix ans. Je ne la connaissais pas vraiment. Après sa mort, grand-père Eliaou a rejoint la maison de retraite Modiano. Il venait nous rendre visite le samedi ou le dimanche quand toute la famille se réunissait à table. Je ne sais pas quelle langue mes grands-parents parlaient entre eux. Ils parlaient le judezmo à mes parents. Le ladino désignait la langue liturgique alors que la langue parlée était le judéo-espagnol ou judezmo. Mes parents parlaient français entre eux et avec moi ; ils parlaient judezmo à mon frère, tandis que mon frère et moi parlions grec entre nous. Je me souviens que mon père me donnait chaque semaine un ou deux billets de banque à porter à mon grand-père pour qu’il ait de l’argent de poche. Durant l’occupation allemande et la persécution des Juifs à Salonique, la maison de retraite a été fermée. Grand-père avait la citoyenneté italienne et, en 1943, les Italiens l’ont transféré à Athènes, qui était toujours sous leur contrôle. Mais ensuite, l’Italie s’est effondrée. À ce moment-là, grand-père était hospitalisé dans une clinique privée sous la garde d’un médecin digne
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Photo prise sur l'escalier menant à la maison des Modiano rue Alexandrias à Salonique dans les années 1930. Mario Modiano est au centre de la photo avec la casquette d'école et les lunettes. L'autre petit garçon sur la photo est son cousin Maurice Modiano portant une casquette à insigne appartenant à Mario Modiano. À gauche, se trouve le grandpère Eliaou Modiano. À côté de lui, figure sa tante, Lily Modiano. La mère de Mario, Nella Tchenio, se tient près de la porte, la main levée. À côté d'elle, se trouve l'épouse de l’oncle Joe Modiano, Aline Nahmias, la mère de Maurice Modiano.
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Nella Modiano, mère de Mario Modiano photographiée dans les années 1920 à Salonique.
Photo prise dans les années 1930. Mario Modiano tenant sa mère Nella par l'épaule avec un neveu et une nièce dans la campagne près de Salonique. La petite fille assise s’appelle Tany, fille de Rebecca et d’Albert Tchenio, membre du Parlement grec. Les deux enfants ont été victimes de la Shoah.
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de confiance avant une opération de la prostate. Une infirmière l’a dénoncé aux Allemands et il a été pris. Heureusement, il est mort dans le train qui l’emmenait à Auschwitz. Ma tante Lily, née en 1897, s’était mariée deux fois, mais n’avait pas d’enfants. Elle et son mari ont été déportés de Salonique par les Allemands et ont disparu dans la Shoah en 1943. Le frère de mon père, l’oncle Joe [ Joseph], est né en 1901. Avant la guerre, il vivait à Kavala et travaillait dans le commerce du tabac. Quand il a épousé tante Aline [née Nahmias] on m’a choisi pour être garçon d’honneur. Durant toute mon enfance, les gens n’ont cessé de me rappeler la façon dont j’avais lâché la traîne de la mariée pour aller ramasser les koufetas, les dragées que l’on jette traditionnellement sur la mariée et le marié. Oncle Joe, tante Aline et leur fils, mon cousin Maurice, nous rendaient souvent visite à Salonique. Notre maison étant assez petite, ils restaient à l’hôtel. Je me souviens combien Maurice aimait porter les médailles de mon père ainsi que ma casquette d’école qui avait un insigne voyant. Quand l’Italie s’est rendue, l’oncle Joe et sa famille se sont cachés dans la maison d’un communiste grec sur les pentes du mont Hymettus à Athènes. Ils y ont vécu une expérience extraordinaire. Une nuit, la Gestapo a fait une descente dans la maison et a arrêté tous ceux qui s’y trouvaient. Joe et Aline ont passé la nuit face à un mur au siège de la Gestapo, rue Merlin. Mon oncle leur a montré les fausses pièces d’identité qu’ils possédaient, les Allemands ont juste dit « ça va », et les ont laissés partir. Ils ne s’intéressaient qu’à leur propriétaire communiste. Joe et sa famille ont ensuite déménagé dans la banlieue de Nea Smirni 3, en se faisant passer pour des réfugiés du bombardement allié du Pirée. Nea Smirni était l’endroit où nous étions également cachés. Nous nous voyions rarement et furtivement. Ils ont survécu à cette épreuve et ont ensuite émigré en Californie où Maurice a été diplômé de l’université de Stanford. Plus
tard, ils rentrèrent à Athènes. Aline est décédée la première, et Joe l’a suivi à l’âge de quatre-vingtdix-neuf ans en l’an 2000. Maurice, qui a deux fils brillants, est président du conseil d’administration de l’hôtel Grande-Bretagne, l’hôtel le plus important d’Athènes. Ma mère s’appelait Nella. Elle était la fille de Maïr Tchenio, une famille célèbre originaire d’Aragon. Après les massacres de 1390, une partie des Tchenios, ou Chenillos comme on les appelait en Aragon, se convertit en adoptant le nom chrétien de Santangel. Un Louis de Santangel, trésorier du roi d’Aragon, a financé l’expédition de Christophe Colomb dans le Nouveau Monde. Quand j’étais enfant, ma mère me disait : « Nous sommes des Tchenio, mais notre autre nom était Santangel. » Je ne comprenais pas à l’époque, mais je m’en suis souvenu quand j’ai découvert l’histoire de Louis. Ma mère était une femme très jolie, au caractère doux et compréhensif. Elle n’étouffait pas ses enfants ; elle veillait à ce que nous devenions des êtres humains. Elle nous mettait du poivre dans la bouche si nous disions un mot vulgaire. Mon père étant très occupé, c’est elle qui dirigeait notre foyer et la famille. Mon grand-père maternel, Mair Tchenio, qui m’a donné son prénom, a eu neuf enfants, dont quatre de son premier mariage. Il s’agit de Felix, Estrea, Regina et Riquetta. Quand sa première femme est morte, Mair a épousé une jeune fille, Sara Benadon, ma grand-mère. Ils ont eu cinq enfants – l’aîné, Albert Tchenio, est devenu député au Parlement grec ; puis il y a eu Pepo, Nella, ma mère, Moïse et Valérie. Mair Tchenio possédait un magasin de mercerie rue Ermou à Salonique. C’était une entreprise assez importante dont ses fils étaient les associés et dont ils ont hérité à son décès. J’avais deux ou trois ans quand il est mort. Je me souviens qu’une fois par semaine, la bonne m’emmenait à la boutique de mes oncles. Ils me donnaient une pièce de vingt drachmes, ce qui faisait de moi le petit garçon le plus heureux de Salonique.
3. Un quartier d’Athènes où avaient été relogés les réfugiés d’Asie Mineure.
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4. À Salonique, bouchée/ friandise sucrée préparée à base de pâte d’amande, de noix, de miel et de toutes sortes de fruits, cuits au feu et présentés sous la forme de carrés ou de losanges. 5. Commandant en chef des armées alliées d’Orient pendant la Première Guerre mondiale. 6. Un des sept journaux juifs français publiés à Salonique jusqu’en 1941. 7. Ioannis Metaxas (18711941) : général grec et dictateur de 1936 jusqu’à sa mort.
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Ma grand-mère Sara vivait avec Riquetta, l’une des filles de mon défunt grand-père nées de son premier mariage. Mère et moi lui rendions souvent visite, mais j’avais du mal à communiquer avec elle parce qu’elle ne parlait qu’en judezmo. Mais j’appréciais les tajicos 4 qu’on nous offrait à ces occasions. Je n’avais pas l’impression qu’ils étaient casher chez eux. Grand-mère vivait à l’angle des rues Koromila et Vassilissis Olgas. La maison disposait d’un jardin tout en longueur bordé d’arbres fruitiers. Je me souviens que, dans notre enfance, mon frère et moi mangions les fruits qui n’étaient pas encore mûrs et que nous étions pris de maux de ventre. Le frère de ma mère, l’oncle Pepo était grand et portait des lunettes. Il aimait blaguer et s’était lié d’amitié avec mon père. C’est d’ailleurs par son intermédiaire que mon père a rencontré ma mère. Ils aimaient sortir ensemble et se mettaient d’accord à l’avance pour jouer un tour au serveur du restaurant où ils allaient. Toute la famille de ma mère – à l’exception de sa sœur Valérie et de ses enfants – a disparu dans la Shoah.
Mon père, Sam Modiano Mon père, Sam Modiano, est né à Salonique en 1895 et est mort à Athènes à l’âge de quatre-vingtquatre ans. Il avait étudié à l’école de la Mission laïque française, l’une des écoles françaises établies à Salonique au début du siècle dernier. Comme tous les Modiano, mon père était citoyen italien. Juste avant la Première Guerre mondiale, en 1911, une guerre a éclaté entre l’Italie et la Turquie à propos de la Tripolitaine. Tous les hommes italiens qui vivaient à Salonique – alors encore sous domination ottomane – ont été expulsés vers l’Italie, certains vers la Sicile, d’autres vers Livourne, et ceux d’âge militaire ont été recrutés dans l’armée italienne pour combattre en Libye. Mon père n’avait que seize ans à l’époque et n’a donc pas été enrôlé. Les Grecs ont occupé Salonique en 1912. Mon père est devenu journaliste au journal L’Opinion
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à la fin de la Première Guerre mondiale alors que la ville était une base arrière pour les troupes françaises du général Sarrail 5. Son premier article concernait un zeppelin allemand abattu par les Alliés alors qu’il survolait Salonique. Plus tard, mon père se joignit à Avram Houli et ils lancèrent le journal francophone Le Progrès 6 vers 1926. Houli en était le propriétaire et mon père, le rédacteur en chef. Au départ, ils durent affronter d’importantes difficultés financières en raison de la concurrence du quotidien L’Indépendant qui paraissait l’après-midi et jouissait d’un grand prestige. Houli mourut en 1931 et mon père prit la relève. À l’époque, la plupart des Juifs étaient royalistes, car Venizelos, le Premier ministre, était tenu pour responsable du rapatriement massif des Grecs d’Asie Mineure. Les réfugiés étaient principalement installés à Salonique, ce qui les mettait en concurrence directe avec les Juifs qui, depuis des siècles, contrôlaient le commerce, les affaires et le marché du travail de la ville. Contrairement à la plupart des Juifs, mon père soutenait Venizelos en raison de ses principes démocratiques. Une loi de 1933, qui interdisait aux ressortissants étrangers de posséder des journaux en Grèce, a contraint mon père à prendre la nationalité grecque pour continuer à publier son journal. Comme nous étions des enfants, nous avons eu la possibilité de choisir entre les citoyennetés grecque ou italienne à l’âge de dix-huit ans. À ce moment-là, l’Italie et la Grèce étaient entrées en guerre, ce qui rendait le choix difficile. En 1936, lorsque le général Metaxas 7 a proclamé la dictature, mon père a souffert de la censure. Chaque mot publié dans son journal devait être approuvé par les censeurs. Lors de la guerre gréco-italienne en 1940, mon père est devenu correspondant de l’agence Reuters pour couvrir le front albanais. Après-guerre, cela s’est révélé très utile, car l’agence lui a confié un travail à un moment où nous étions vraiment affamés.
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Mon père était un travailleur acharné. Avantguerre, il ne rentrait pas chez lui avant d’avoir « mis le papier au lit » pour ainsi dire. Il ne revenait donc jamais avant une ou deux heures du matin. Nous ne le voyions que très peu. Cependant, le dimanche – puisqu’aucun journal ne paraissait le lundi – il présidait la table du déjeuner où il y avait souvent un groupe de cousins invités. Je me souviens que nous, les enfants, nous riions sans aucune raison, ce qui mettait mon père très en colère. Il était très extraverti et il savait apprécier une bonne blague. Il en connaissait un nombre absolument incroyable et, même aujourd’hui, mon frère et moi aimons raconter certaines de ses vieilles plaisanteries. En ce qui concerne la religion, il n’était pas très observant. Il allait à la synagogue lors des fêtes solennelles, mais pas tous les shabbats. Son travail était tel qu’il requérait toujours son attention. Nous n’étions pas casher à la maison. Une chose que j’ai vraiment appréciée lors de la fête de Purim ce sont les novyikas 8, les petites mariées de sucre. Après-guerre, mon père a travaillé pour l’agence Reuters et en est devenu le correspondant en chef pour la Grèce et la Turquie. Il était très estimé pour son honnêteté et sa fiabilité et était considéré comme le chef de file des correspondants étrangers en poste à Athènes. Avant-guerre, il avait déjà été fait Cavaliere, c’est-à-dire chevalier de la couronne d’Italie, et avait reçu les palmes académiques du gouvernement français. Il avait aussi été décoré par les gouvernements espagnol et polonais. En tant que correspondant de Reuters, il a été nommé officier de l’ordre de l’Empire britannique et a reçu du roi Paul de Grèce la croix d’or de l’ordre du Phénix. Mes parents se sont mariés à Salonique le 30 juin 1920. Mon grand-père maternel s’est d’abord montré réticent, car à l’époque, le journalisme, comme le théâtre, n’était pas considéré comme une profession très respectable. Le mariage a eu lieu dans la maison de Riquetta Bourla à Salonique. Riquetta était la cousine germaine de mon père. Mes parents vivaient au
rez-de-chaussée du même immeuble de la rue Miaouli. Plus tard, nous avons déménagé pour le quartier des Dépôts.
Souvenirs d’enfance J’ai grandi au 103 de la rue Alexandrias. Notre maison donnait directement sur la rue et son accès se faisait par un escalier latéral en montant cinq marches. En contrebas, se trouvait une cave en pierre brute que nous n’utilisions pas, car elle était trop humide. La maison comportait un vaste hall d’entrée pourvu d’un grand poêle à bois. Sur la gauche se trouvaient deux chambres à coucher. L’une que j’ai partagée avec mon frère, l’autre qu’occupaient mes parents. À droite, il y avait une salle à manger et, au fond, une ancienne cuisine et une salle de bains. Nous avions l’électricité et l’eau courante même si, à côté de nous, vivaient dans une petite cabane, une très vieille femme et son fils qui n’avaient pas d’électricité pour s’éclairer. Nous avions un puits dans le jardin que nous utilisions pour notre potager. On ne peut d’ailleurs pas parler de jardin ; c’était une grande cour dont la moitié était couverte de dalles. Nous avions des arbres fruitiers – abricotiers et poiriers – et nous volions les figues de l’arbre du voisin, qui surplombait notre mur. Notre cour s’est avérée très utile lors des tremblements de terre à Salonique en 1932. Il y a eu des secousses très fortes dans toute la péninsule de Chalcidique qui ont affecté Salonique. Nous avons tous eu très peur. Cela se passait en été et nous avons donc installé une sorte de grand abri en paille où tout le quartier venait dormir la nuit. À l’époque, j’avais six ans et je me souviens que, lors de l’une des secousses, ma mère est venue me chercher, a jeté un matelas par la fenêtre et m’a ensuite jeté dessus. J’étais trop jeune pour être conscient de ce qui se passait, mais je me suis habitué aux tremblements de terre et je n’ai pas paniqué. Plus tard, en tant que journaliste, je me suis rendu dans les îles Ioniennes pour faire un reportage sur les tremblements de terre de 1953. Je
8. Las novias de Purim ou mariées de Purim. Il s’agissait de poupées colorées spécialement confectionnées à Purim que l’on offrait aux enfants lors de la fête.
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9. Panaghia Halkeon : église orthodoxe située rue Egnatia, au cœur de la vieille ville de Salonique. Son nom signifie : « Vierge des artisans du laiton ».
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n’ai ressenti aucune anxiété au milieu des dévastations et de la terre qui tremblait. Je jouais souvent avec d’autres enfants du quartier de la rue Alexandrias. Nous jouions à cheval, nous nous lancions des pierres et nous formions un gang pour nous battre contre le gang de la rue voisine parce qu’on avait taquiné l’une de nos filles. Le quartier était mixte, il y avait des familles juives et chrétiennes, et nous jouions ensemble parce que la plupart d’entre nous fréquentions la même école. Je ne connaissais encore pas bien Salonique quand j’ai dû la quitter à dix-sept ans. Mes parents étaient très protecteurs et ne m’encourageaient pas à aller en ville. Nous étions alors sous l’occupation allemande. Encore aujourd’hui, je ne la connais pas vraiment en dehors des curiosités principales – la Tour Blanche, le quartier des Dépôts, la villa Allatini et bien sûr mon école. Toute ma vie tournait autour de la maison et de l’école. En été, nous avions l’habitude d’aller à la mer. Il y avait un chauffeur de taxi appelé Grigoris et nous partagions son taxi avec les voisins pour aller nager à Karabournaki. Un jour, j’ai convaincu Grigoris de me laisser tenir le volant du taxi. Je devais avoir sept ans. J’ai rapidement conduit la voiture dans un fossé. Cela a mis fin à ma première tentative de conduite. La plage était sommairement aménagée, mais nous ne nous en rendions pas compte et nous étions très heureux d’être à la mer. C’est seulement plus tard que nous sommes devenus plus exigeants. En été, notre famille passait aussi quelques semaines dans un hôtel à Edessa, la ville des cascades, à l’ouest de Salonique. C’est ce que mes parents appelaient en français notre « villégiature ». Mon père et ma mère avaient des amis juifs et ils se réunissaient le dimanche chez l’un d’entre eux pour jouer aux cartes et partager un repas. Nous, les enfants, nous nous réunissions dans une pièce ou dans la cour et passions le temps à jouer. Mon frère Lelo, – un diminutif d’Eliaou – Modiano est né à Salonique en 1922 dans une maison près de Panaghia Halkeon 9. Quand il
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était jeune, il était très agité. Mon père l’appelait giovanoto, un terme italien qui signifie dandy. Il rentrait tard à la maison et se querellait beaucoup avec mon père à ce propos. Pendant la guerre gréco-italienne de 1940, Lelo a aidé mon père au journal. Mon père était très fier d’avoir pu en poursuivre la publication en dépit du bombardement des bureaux lors d’un raid aérien italien. Lelo en assurait la garde durant l’occupation de Salonique. Une nuit, un officier allemand et des soldats sont entrés. Le policier lui a dit : « Suivez mon conseil : prenez votre chapeau et sortez d’ici. Nous prenons le relais. » C’en était fini du journal de notre père. Les Allemands utilisèrent les presses pour imprimer le journal de l’armée. Après la reddition de l’Italie, nous sommes allés nous cacher à Nea Smirni. Mon frère Lelo est parvenu à s’enfuir en bateau jusqu’à la côte turque et a ensuite rejoint l’armée de l’air grecque au Moyen-Orient. Il a reçu une formation en Rhodésie et en Afrique du Sud, mais il a été victime d’un accident et a été hospitalisé jusqu’à la fin de la guerre. Après la guerre, en 1950, il a épousé Nina Hassid, son amie de Salonique. Ils ont eu un fils, Miki, né en 1952, qui est devenu un producteur de télévision très prospère. Nina est morte plus tard d’un cancer. Miki et sa femme Christina ont une fille, Marianina, dont le nom est une combinaison des noms de ses deux grands-mères. Chaque année, mon frère et moi prenons une photo de nous pour nous rappeler ce à quoi nous ressemblions plusieurs années auparavant. Cela nous montre les effets du passage du temps. Enfant, j’étais très maigre. Je me souviens qu’à l’âge de dix ans, mon père m’a promis de me donner mille drachmes si j’atteignais trente kilos. J’ai commencé à porter des lunettes à la fin du primaire. J’essayais alors d’apprendre à jouer d’un violon que mon oncle Joseph m’avait donné. Mais j’ai vite découvert que je ne pouvais pas lire la partition placée à un mètre. C’est ainsi que nous avons découvert que j’étais myope. J’ai alors abandonné le violon et je me suis acheté une paire de lunettes.
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Je fréquentais l’école privée Zahariadis située près de la maison. C’était une bonne école où l’on enseignait le grec le matin et l’anglais l’aprèsmidi. J’ai employé l’anglais tout au long de ma vie professionnelle, et ce que je sais, je le dois au professeur d’anglais qui nous en a donné les bases. Je lui en suis éternellement reconnaissant. C’est en grande partie grâce à lui qu’il m’a été donné d’écrire dans un journal comme The Times of London. On ne notait pas d’antisémitisme particulier lorsque j’étais enfant. Vous ririez en écoutant ma première rencontre avec l’antisémitisme. Il y avait un très jeune cireur de chaussures qui, chaque fois que je le croisais sur le chemin de l’école, me criait : « Sale Juif, sale Juif, sale Juif ! » La blague, comme je l’ai découvert plus tard, c’est qu’il était également juif ! C’était une sorte d’antisémitisme provoqué par les rivalités de classe. Il m’est arrivé d’être confronté à l’antisémitisme au cours de
ma vie, mais sans que cela prenne un caractère de gravité. Cela relevait plutôt d’un phénomène social qui n’était pas assorti de menaces physiques. Ce qui me reste très présent à la mémoire concernant ma bar mitzvah, ce sont les moments difficiles que j’ai passés à essayer d’apprendre suffisamment l’hébreu pour pouvoir lire le texte. J’avais un professeur qui venait à la maison et m’apprenait à répéter comme un perroquet le texte de la Torah que je devais lire lors de l’office à la synagogue. Je regrette beaucoup de n’avoir jamais vraiment appris l’hébreu. Après la célébration, une réception était organisée à la maison, et toute la famille ainsi que de nombreux collègues et employés de mon père y ont participé. Je me souviens aussi qu’à cette occasion, mes oncles maternels m’ont offert un vélo dont je suis tombé amoureux. Je ne m'en séparais jamais à tel point que les voisins ont prétendu que je l’emportais même aux toilettes !
Photographie de la famille Modiano prise à Athènes vers 1954. Miki Modiano, neveu de Mario Modiano et fils de Lelo et Nina Modiano se trouve au centre de la photographie à côté de son oncle (sur la gauche). Sur la photographie figurent également en haut à droite Sam Modiano et sa femme Nella, au centre la tante Valérie sœur de Nella, les parents de Nina, Julia et Simon Hassid, Lelo et sa femme Nina et le frère de Nina.
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Réunion suivant la célébration de la bar mitzvah de Mario Modiano à Salonique en 1939. Photographie prise dans la cour de la maison familiale. Sam et Nella Modiano se trouvent au milieu de l’image. Y figurent également le frère de Mario, Lelo, Zizi Benveniste et Zizi Saltiel, le grand-père Eliaou Modiano et sa tante Lily. Beaucoup des personnes figurant sur cette photographie sont des employés du journal.
10. Zone qui à l’époque était située à l’extérieur de la ville, en bord de mer. 11. Station balnéaire à 100 kilomètres de Salonique.
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Le seul événement politique d’avant-guerre dont je me souvienne a eu lieu le 9 mai 1936 à l’occasion de mon dixième anniversaire. Ma mère m’emmenait en bus rendre visite à un oncle. Nous avons alors été témoins d’émeutes organisées par les communistes que la police montée a chargés à coups de sabre. Certains manifestants ont été tués ce jour-là. Quelques mois plus tard, le général Metaxas proclamait la dictature. Un autre événement qui m’a beaucoup marqué est survenu alors que nous étions dans un bus avec maman. Le bus a pris feu et nous avons réussi à descendre juste à temps. Les flammes ont brûlé nos cheveux.
Fuir Salonique occupée Ce n’est qu’après l’occupation de Salonique par les Allemands que nous avons vraiment ressenti de l’antisémitisme. Les antisémites grecs se sont
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enhardis et manifestaient ouvertement leur racisme. Cependant, après-guerre, tout le monde essayait de montrer à quel point ils s’étaient bien comportés. Chacun proclamait connaître un oncle « qui avait caché plusieurs Juifs dans sa maison » ou « un grand-père qui en avait sauvé tant d’autres… ». La vérité est que beaucoup de Juifs ont été aidés par des Grecs pendant l’occupation, mais que seulement deux familles juives ont trouvé un lieu où se cacher à Salonique. La nuit précédant l’entrée des Allemands dans la ville en mars 1941, nous avons essayé de nous échapper vers le sud. Nous quatre – mon père, ma mère, Lelo et moi-même – nous sommes rendus jusqu’à Aretsou 10 où mon père avait loué une caïque pour nous conduire à Litohoro 11 au pied du Mont Olympus afin que nous puissions ensuite gagner Athènes. À l’époque, nous vivions avec l’idée fausse que l’armée grecque et les alliés britanniques
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pourraient stopper l’avancée allemande sur la rivière Aliakmon. Quoi qu’il en soit, nous n’avons pas trouvé la caïque et à notre grande honte nous sommes rentrés chez nous. Ce fut une expérience traumatisante, car nous nous sommes sentis piégés. Un nouveau traumatisme est intervenu lorsque l’armée allemande a débarqué chez nous pour interroger notre père. Ils étaient trois. L’officier a emmené mon père dans la salle à manger pour le questionner. Les deux autres en ont profité pour passer dans sa bibliothèque. Ils ont pris tous les livres et les ont placés dans deux grandes caisses en bois. Ils sont revenus le lendemain et ont tout emmené. De nombreuses années plus tard, j’ai reçu la copie d’un ordre de la SS basé sur des informations qu’ils avaient reçues d’agents en poste à Salonique. Ils avaient dressé la liste des notables juifs de la ville. Le nom de mon père y figurait en deuxième place après celui du grand rabbin, Zvi Koretz. Notre père avait dû prendre la nationalité grecque pour continuer à diriger son journal. Aussi, lorsque les lois raciales sont entrées en vigueur à Salonique, contrairement aux autres Modiano qui en tant que ressortissants italiens en étaient exemptés, nous avons dû abandonner notre maison et aller vivre dans l’un des deux « ghettos » où les Allemands avaient confiné les Juifs grecs 12. Nous sommes donc allés vivre dans l’appartement de l’un des collègues journalistes de mon père à Analipsi 13. Nous n’avions pas le droit de sortir du ghetto ni d’utiliser les transports ou le téléphone. Nous y sommes restés environ trois mois. Je possède encore une photo me représentant âgé de seize ans lisant Nea Evropi, le journal pronazi, sur le balcon arrière de la maison du ghetto. Un soir, les collègues journalistes grecs de mon père sont venus le voir. Ils lui ont dit : « Ne soyez pas stupide, allez au consulat italien et demandezlui de vous restituer votre nationalité italienne… ». Et en effet, il y est allé. Le consul l’a ensuite recruté pour aider à faire sortir du camp du Baron Hirsch 14 toutes les familles dont la femme avait
12. Les deux ghettos de Salonique ont été établis par les Allemands rues Fleming et Syngrou, respectivement situées à l’est et à l’ouest de la ville. Il s’agissait de quartiers densément peuplés, mais pas exclusivement par des Juifs. Il n’y
avait pas de ghetto à Salonique avant que la ville ne soit occupée par les Allemands. 13. Nom dérivé de celui d’une l’église, qui signifie Ascension, en périphérie de la vieille ville de Salonique.
14. Camp du Baron Hirsch : un des quartiers ouvriers juifs qui se trouve près de l’ancienne gare de Salonique. Pendant l’occupation allemande, ce quartier a été transformé en ghetto où les nazis ont rassemblé les Juifs avant de les déporter en train.
Mario Modiano lisant le journal pro-allemand Nea Evropi en 1943 depuis le balcon arrière de la maison du ghetto où se trouvait la famille Modiano.
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15. L’une des villas juives de l’avenue de la Reine Olga qui abrite aujourd’hui la galerie d'art municipale.
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eu la nationalité italienne avant d’épouser un Juif grec. Ils ont donc réussi à faire sortir 138 familles avant la déportation. Puis le consulat a envoyé notre père à Athènes, qui était sous contrôle italien, pour qu’il assure le logement de tous les Juifs italiens qui viendraient de Salonique. Plus tard, de ce balcon, j’ai vu mon meilleur ami, Hugo Mordoh, partir avec un petit convoi de personnes jusqu’au camp du Baron Hirsch d’où il serait déporté – fin de l’histoire. Je pleurais. Il était mon meilleur ami. Nous étions dans la même école et nous étions très proches. À Salonique, il y avait la maison Mordoh 15, le premier bâtiment situé après l’école Zachariades. C’était une très grande et très belle villa qui appartenait à son grand-père. À l’époque, je ne savais pas où il avait été déporté. Les Allemands nous avaient convaincus que nous allions être envoyés à Cracovie, en Pologne, où la communauté juive locale nous avait préparé un logement, du travail et tout le reste. On nous a même demandé de remettre nos drachmes grecques, qui seraient échangées contre des zlotys polonais. Mon père, ma mère et moi avons quitté Salonique en juin 1943 dans un train militaire italien à destination d’Athènes. Le voyage s’est avéré être une expérience épuisante. La résistance avait fait sauter des ponts stratégiques. Nous avons donc dû franchir les gorges à pied, mais nous sommes finalement parvenus à Athènes. Oncle Joe, qui vivait là, nous a donné l’hospitalité jusqu’à ce que nous trouvions un endroit où rester. Notre père a pris contact avec l’ambassade d’Italie et s’est joint à un comité qui a trouvé des maisons et des écoles pour héberger les Juifs italiens qui venaient de Salonique. Mon frère est venu plus tard avec le groupe principal de Juifs italiens. En août, l’ambassade d’Italie nous a demandé si nous voulions aller en Italie munis de faux papiers portant des noms chrétiens afin d’être en sécurité. Nous avons refusé parce que notre père avait déjà d’autres projets. L’Italie s’effondra le 8 septembre 1943 et les Allemands prirent le contrôle d’Athènes et commencèrent à chercher des Juifs.
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C’est là que l’amitié de mes parents avec nos voisins chrétiens de Salonique, Niko et Elli Sanikou, nous a sauvés. Ces voisins avaient déménagé à Athènes et vivaient dans la banlieue de Nea Smirni. Ils nous ont cachés en prenant de grands risques pour eux-mêmes et leurs deux petites filles. Nous y sommes restés durant près de quinze mois. De temps en temps, les Allemands et leurs collaborateurs organisaient des fouilles dans différents quartiers d’Athènes à la recherche de Juifs ou de communistes cachés. Ils rassemblaient tous les hommes sur la principale place et là, des traîtres masqués montraient du doigt ceux qui étaient impliqués dans la résistance ou qui abritaient des Juifs. C’est à ce moment-là que mon père a commencé à perdre la vue et il avait alors une excuse pour ne pas se rendre au point de rassemblement. Ma mère était censée être son infirmière. J’allais me cacher dans un petit trou sous un escalier. Il m’est arrivé une fois de passer huit heures dissimulé, alors que j’entendais les Allemands et leurs collaborateurs crier à travers des haut-parleurs : « Tout homme trouvé caché sera abattu sur place… ». Très amusant ! J’ai dû me sentir assez mal, mais quand cela arrive votre adrénaline monte et vous aide à garder courage. En d’autres occasions, lorsque nous savions à l’avance que les Allemands viendraient le lendemain pour une raf le, mon père et moi partions en direction de Palio Faliro en longeant le cimetière de Nea Smirni. On restait toute la journée au pied de la montagne, jusqu’à ce que les Allemands quittent la banlieue. Nous revenions ensuite à pied. L’allemand de ma mère m’a été utile un soir, alors qu’elle se cachait à Nea Smirni. C’était vers la fin de l’occupation allemande. Les Allemands étaient tellement à court d’effectifs qu’ils avaient recruté de jeunes garçons pour servir dans l’armée de l’air – des garçons âgés de quinze ou seize ans. Ils étaient cantonnés à la base aérienne de Faliro. Certains d’entre eux ont déserté une nuit et la police militaire allemande est partie à
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Hugo Mordoh, le meilleur ami de Mario Modiano photographié dans les années 1930 à Salonique. Déporté sans retour.
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dans une traduction anglaise des Mystères de Paris d’Eugène Sue avec l’aide d’un dictionnaire. Je n’ai jamais terminé l’école, car lorsque les Allemands ont occupé Salonique en 1941, ils ont interdit à tous les Juifs d’y aller. J’étais en dernière année du lycée. Je n’ai donc jamais obtenu de baccalauréat. Après avoir quitté Salonique et nous être installés à Athènes, j’ai essayé de passer les examens, mais avec la reddition de l’Italie, nous avons dû nous cacher. Heureusement, j’ai choisi une profession où l’on n’exige pas de bac ou de titre universitaire. Je n’ai pas nourri de complexes, mais je dois admettre que des études supérieures m’auraient beaucoup aidé dans mon travail. Mais si j’étais allé à l’université et si j’avais étudié l’architecture comme je l’avais prévu, je ne me serais jamais lancé dans une profession que j’ai trouvée tellement plus passionnante.
Libération d’Athènes
Mario Modiano engagé dans l’armée britannique en Grèce en 1945.
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leur recherche. Ils sont entrés dans la maison de Nea Smirni où nous nous cachions. Je dormais par terre, et ils m’ont réveillé et ont commencé à aboyer en allemand, pensant qu’avec mes cheveux blonds et mes yeux bleus, j’étais l’un des déserteurs. Heureusement, l’allemand de ma mère est revenu. Elle a expliqué que j’étais son fils, pas un déserteur. Alors que nous nous cachions à Nea Smirni, j’ai poursuivi l’étude de l’anglais. Une Américaine qui était mariée à un Grec m’a donné des leçons. Je rentrais ensuite chez moi et j’étudiais plus avant
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Athènes a été libéré le 12 octobre 1944. Nous avons quitté la maison de nos sauveurs et nous avons déménagé à l’hôtel Veto qui se trouvait près de la place Omonoia. Nous étions encore là quand le soulèvement communiste a éclaté en décembre. L’hôtel était situé dans le no man’s land. Tous les jours, nous voyions des cadavres à l’extérieur de l’hôtel. À une extrémité de la rue, les troupes britanniques tiraient depuis le toit d’un hôtel et à l’autre extrémité, il y avait des communistes qui se cachaient dans un bordel et ripostaient. Dans ces circonstances, il était devenu assez difficile d’obtenir de la nourriture ainsi que du charbon de bois pour le chauffage et la cuisson. À l’époque, nous étions absolument sans le sou. Au début du mois de janvier, après la fin du soulèvement, un appel a été lancé pour trouver des interprètes dans l’armée grecque. À ce moment-là, mon père avait pris contact avec Reuters et trouvé un emploi stable. Ma mère et lui ont déménagé à l’hôtel Grande-Bretagne, qui était le quartier général de l’armée britannique, car
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Mario Modiano à droite sur la photographie à la fin des années 1940. À ses côtés, son amie et à gauche Dario Gabbaï et son amie, Swilda.
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16. The Last Days, 1998. 17. Se prononce Indji.
vivre ailleurs à Athènes était dangereux. J’ai falsifié ma date de naissance sur ma carte d’identité allemande pour être engagé dans l’armée en tant qu’interprète. Mais je n’avais encore que dix-sept ans. J’ai été accepté et j’ai reçu le grade de souslieutenant. J’ai d’abord servi à Kalamata, puis à Tripoli dans le Péloponnèse. À cette époque, il y avait encore des groupes de maquisards communistes dans les montagnes. J’ai travaillé comme interprète de la mission militaire britannique qui instruisait l’armée grecque nouvellement formée. J’ai été démobilisé environ deux ans plus tard, en 1947. Après avoir quitté l’armée, j’ai travaillé pour le Joint – le Joint Distribution Committee américain –, dans leurs bureaux de la rue Mitropoleos à Athènes. Je me suis fait beaucoup d’amis là-bas. L’un des plus chers est Dario Gabbai qui était rentré d’Auschwitz-Birkenau. Il faisait partie des sonderkommando et avait vécu des expériences traumatisantes. Il avait dû mettre dans le four crématoire sa propre famille. Un seul de ses frères a survécu. Aujourd’hui, il vit à Los Angeles. Son témoignage figure en bonne place dans le documentaire de Spielberg sur les Juifs hongrois 16. Dario, qui a été capturé à Athènes en 1943, a servi dans les sonderkommando vers la fin de la guerre, ce qui l’a sauvé. Les Allemands utilisaient de jeunes Juifs pour enfourner les corps des Juifs gazés, mais ils les liquidaient tous les trois mois pour qu’il n’y ait pas de témoin. Dario réussit à fuir en se mêlant aux autres survivants d’Auschwitz lorsque les Allemands évacuèrent le camp et conduisirent les survivants lors de l’une des « marches de la mort ».
Correspondant de presse Alors que j’étais en congé de l’armée, j’ai aidé mon père chez Reuters. C’est ainsi que j’ai appris le métier de correspondant de presse. À ce momentlà, j’ai rencontré plusieurs collègues de mon père. L’un d’entre eux était Frank McCaskey, un héros de guerre britannique devenu correspondant à l’étranger. Il travaillait pour le Times of London.
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Un jour, il m’a demandé de l’aider. C’est ainsi qu’a commencé mon nouveau travail. C’était en 1950 et j’ai été nommé correspondant adjoint du Times. En 1952, Frank a été transféré à Suez pour couvrir le débarquement anglo-français. Frank était un grand buveur et il en est finalement mort. Le Times m’a demandé de continuer en Grèce. J’ai accepté et j’ai travaillé pour eux pendant 38 ans. J’ai toujours été passionné par mon métier. Il vous absorbe entièrement et prend le contrôle de votre vie. À chaque instant, vous devez être en état d’alerte au cas où quelque chose d’important se produirait dans votre région. C’est un travail très excitant, mais très exigeant. La période entre 1967 et 1974 a été particulièrement mouvementée en raison de la dictature des colonels en Grèce. En fait, c’était une profession risquée. À tel point que l’ambassadeur britannique a donné à ma femme son numéro de téléphone personnel au cas où quelque chose se produirait en pleine nuit. Mais ils ne m’ont pas touché, même si j’ai été très critique à l’égard du régime dans mes reportages. Vers la fin de ma carrière, j’ai reçu l’ordre de l’Empire britannique de la Reine d’Angleterre pour mérite professionnel. C’était le même prix qui avait été remis à mon père quelques années plus tôt. Pendant toutes ces années, il n’est arrivé qu’une ou deux fois que l’on fasse référence dans les journaux grecs au fait que j’étais juif, parce que quelque chose que j’avais écrit avait déplu.
Mon épouse, Inci Je me suis marié à Inci 17, une jeune femme turque, en 1963. J’avais alors trente-sept ans, et ma femme en avait six de moins. Nous nous étions rencontrés lors d’une croisière en mer Égée. Elle venait de divorcer et son coiffeur grec à Istanbul lui avait conseillé d’aller sur les îles grecques, qui devenaient alors une destination touristique à la mode. J’avais rejoint le navire avec un ami consul britannique à Athènes. Inci et moi sommes tombés amoureux et je l’ai demandée en mariage alors que je dansais dans une boîte de nuit à Rhodes.
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Mario Modiano à droite avec Frank McCaskey, correspondant du Times qui l’introduisit au métier de journaliste. Photo prise à Athènes dans les années 1950.
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Inci Modiano dans les années 1960 à Athènes.
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C’était une Turque musulmane et très libérale. Tout comme sa famille qui m’a accepté instantanément. La question de la religion n’a jamais été soulevée. Nous avons célébré un mariage civil à Istanbul. Puis nous sommes venus à Athènes et, comme le mariage civil n’était pas encore reconnu en Grèce, nous avons cherché un rabbin pour nous marier sans trop faire d’histoires. Nous avons cherché partout – Turquie, Londres, Paris, Rome – mais ils étaient très stricts. Puis, heureusement, nous avons trouvé à Athènes un rabbin compréhensif qui a dit à Inci : « Si vous respectez sa foi comme il respecte la vôtre, ça me va ». Nous nous sommes mariés dans mon appartement
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de célibataire de la rue Alopekis. Nous avons vécu trente-cinq ans de bonheur, même dans les moments les plus périlleux. Inci a subi une conversion fictive et a reçu le nom de Leah. De cette façon, nous avons réussi à faire enregistrer notre mariage religieux à Athènes. Elle venait à la synagogue chaque fois que j’y allais, ce qui était rare. Je remarque que les épouses non-juives de tous mes parents et cousins vont aussi à la synagogue et assistent aux offices. Naturellement, elles s’attendent à ce que leurs maris les accompagnent à l’église chaque fois qu’elles y vont. En fait, la seule chose que je pratique selon la loi juive est le jeûne de Yom Kippour. Nous rompons le jeûne – el cortar del tanit – en général chez mon cousin Alberto. On y dîne, et c’est comme n’importe quel autre dîner de famille. La femme chrétienne de mon cousin prépare toutes les choses traditionnelles pour pessah : haroseth, laitue et tout. Mais nous célébrons de façon peu orthodoxe, car nous ne savons pas vraiment comment procéder ; il n’y a personne à table qui sache dire les prières appropriées pour yom kippour ou la nuit du seder de pessah. Nous apprécions cependant les matzot et los uevos enhaminados. Inci possédait une école à Istanbul. Elle avait étudié les pathologies psychiatriques à Cambridge et à Paris et était spécialiste des enfants atteints de trisomie. Mais elle a décidé qu’elle n’était pas prête à poursuivre dans cette voie. Elle a donc ouvert une école à Istanbul – d’abord dans sa maison paternelle – et elle a ajouté une classe par an. Puis elle a déménagé dans un domaine plus grand et, à un moment donné, elle avait l’une des meilleures écoles privées d’Istanbul avec plus de 1 000 élèves. Quand nous nous sommes rencontrés, elle était au sommet de sa carrière et sa décision de m’épouser et de venir vivre à Athènes a été très difficile. C’était un grand sacrifice. Elle se rendait à Istanbul tous les deux mois parce qu’elle sentait que les parents lui avaient confié de façon personnelle leurs enfants.
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Dîner familial. À gauche Sam et Nella Modiano ainsi qu'Inci Modiano à Athènes. Années 1960.
Être ma femme n’a pas été facile. Les Grecs n’aiment pas les Turcs et ils ne s’en cachent pas. Les Turcs savaient que j’étais grec et ils étaient toujours extrêmement polis et évitaient tout sujet controversé. Ici en Grèce, c’était exactement le contraire. Ils se comportaient souvent d’une manière insultante envers ma femme. Cependant, j’ai surnommé Inci « la dompteuse de lions ». Quand elle voyait quelqu’un d’ouvertement hostile, elle s’efforçait de l’apprivoiser jusqu’à ce qu’il vienne manger dans sa main. Elle avait tellement de charme et s’intéressait aux gens au point de gagner leur cœur. Pour notre 25e anniversaire de mariage, je l’ai épousée à nouveau. À ce moment-là, la Grèce avait déjà reconnu le mariage civil. Nous sommes allés devant le maire d’Athènes, Miltos Evert, un ami proche. Son père, le colonel Evert, était le chef de la police d’Athènes durant l’occupation allemande et c’est lui qui nous avait donné – ainsi qu’à
beaucoup d’autres – des cartes d’identité juives portant de faux noms chrétiens. En 1990, ma femme et moi avons convenu qu’« assez, c’est assez ». Après avoir fait nos comptes, nous avons décidé que je prendrai ma retraite. Pendant huit ans, jusqu’en 1998, nous avons vécu la meilleure partie de notre vie. Inci était très sociable et je pense qu’elle aimait sa vie. Malheureusement, elle a été touchée à deux reprises par le cancer. Elle a survécu pendant environ neuf ans à une première opération. En 1998, la tumeur a envahi son foie. Pendant un mois, elle a su qu’elle était mourante. Elle a été très courageuse jusqu’à la fin. Elle me manque toujours. Mon père est enterré dans la section juive d’un cimetière d’Athènes. La communauté lui a donné une place d’honneur près de l’entrée. J’ai été très impressionné par le nombre de personnes qui ont assisté à ses funérailles. Il y avait beaucoup de
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couronnes, dont une du roi Constantin qui vivait alors à Londres. Quand mon père est mort, j’avais cinquante-trois ans et j’étais marié à Inci depuis quatorze ans. Ma mère est tombée malade peu après la mort de mon père et est décédée six ans plus tard. Elle est également enterrée au cimetière d’Athènes.
La saga des Modiano
18. Au décès de Mario Modiano le 26 novembre 2012, le livre comptait huit éditions.
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Après ma retraite, j’ai commencé à étudier la généalogie de notre famille. J’avais entendu beaucoup de choses de mon père, mais malheureusement, il est mort en 1979. S’il avait vécu, il m’aurait épargné la moitié du travail de recherche. J’ai commencé à enquêter sur l’arbre généalogique de notre famille en pensant que ce serait une affaire aisée de trouver environ 100 à 150 noms et de les mettre sur un arbre. Je pensais finir en six mois. J’y suis toujours ! Il m’a fallu dix ans pour enquêter sur les origines de la famille et écrire le livre Hamehune Modillano. Il a été publié pour la première fois en 2000. J’ai effectué plusieurs révisions de l’édition au fur et à mesure que les informations affluaient. Nous en sommes maintenant à la cinquième édition 18 , qui est consultable sur Internet à l’adresse www.themodianos.gr. L’arbre portait 1 700 noms au moment de l’impression du livre. Nous en sommes maintenant à un peu plus de 3 000 noms. Inci aimait tellement ce projet qu’elle s’est comportée comme si elle était plus Modiano que moi. Le livre lui est dédié. Elle était ravie chaque fois que nous visitions une ville comme Washington, Londres ou Paris et que nous réunissions tous les Modiano de la ville à dîner, même s’ils ne se connaissaient pas.
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La généalogie a été mon occupation principale au cours des dernières années. Les contacts affluent par lettre ou par courriel au fur et à mesure que des gens tombent sur le site des Modiano et constatent que nous sommes apparentés. Je n’arrête pas d’ajouter et je ne sais pas quand cela se terminera. En janvier 2004, plusieurs Modiano se sont rencontrés lors d’une croisière aux Caraïbes. Nous devions être une quinzaine. Nous avons eu beaucoup de plaisir à rencontrer des parents inconnus qui sont devenus instantanément des « cousins ». Nous avons donc décidé d’organiser une réunion de famille mondiale. Nos Modiano mexicains ont organisé une autre rencontre en octobre de la même année, mais la réunion mondiale officielle s’est tenue à Florence en juin 2005. Il y avait cent vingt-cinq Modiano ou descendants de Modiano. Nous avons passé cinq jours fantastiques à visiter Modigliana, le village au nord-est de Florence qui a donné son nom à notre famille. Ensuite, nous avons visité Livourne, dont les Modiano étaient citoyens depuis plusieurs siècles. C’était merveilleux de reconnaître comme membre de la famille des gens que vous n’aviez jamais rencontrés. Une sorte de coup de foudre familial que j’appelle la magie Modiano, mais je suis sûr qu’elle fonctionne aussi pour d’autres familles.
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Chronique de la famille Arié de Samokov (suite) Nous poursuivons la publication bilingue de la chronique de la famille Arié de Samokov. Ce tapuscrit qui comprend 2 200 pages en judéoespagnol transcrit en caractères latins, retrace la vie d’une famille de grands commerçants sépharades de Bulgarie du milieu du XVIII e siècle jusqu’au début du XXe siècle. Au fil des pages, ce n’est pas seulement la chronique de la vie commerciale dans l’Empire ottoman que l’on découvre, mais aussi les mœurs et coutumes, les relations intra et inter communautaires et l’arrière-plan social et politique. Bannie de Vienne par un édit impérial, la famille Arié s’est d’abord établie à Vidin en 1775, sur les bords du Danube. C’est là que le patriarche Moche A. Arié, soutenu par ses trois fils Samuel, Isaac et Abraham développe avec succès un premier négoce. Pour s’approvisionner, il se rend régulièrement à Constantinople en passant par Edirne. Dans cette dernière ville, il fait la connaissance de la famille Navon et un accord est trouvé pour marier Abraham Arié avec Bohuru, la fille de M. Navon. Le mariage est célébré en 5542 selon le calendrier hébraïque, soit 1781/1782.
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1. 1782/17832. Bonnet de rabbin. Jusqu’aux premières décennies du XIXe siècle, tout adulte de la bourgeoisie, tant soit peu lettré, portait la boneta, calotte ronde, dure, entourée d’une bande de tissu à ramages discret. (Dictionnaire du judéo-espagnol de J. Nehama). 3. Antari : sorte de toge, robe, vêtement masculin et féminin sans manches, dont les pans, non cousus se croisent sur le devant. J. Nehama. Ibid. 4. Benish : robe aux larges manches que portent les juges rabbiniques. cf. Aron Rodrigue et Sarah Abrevaya Stein, A Jewish Voice from Ottoman Salonica. Stanford University Press. 2012 p. 306. 5. Mestas : bottines d’intérieur en cuir fin. Aron Rodrigue et Sarah Abrevaya Stein. Ibid.
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n este anyo de 5543 el Sr. Moche A. Arie, kontinuando en su negosio, se iva siempre andando i alegrandose i kontentandose kon su parte, i de verse su negosio adelantando, i rodelado de sus tres ijos todos sanos i bien idokados en todos los puntos, todos kazados, i todas sus nueras buenas i respiktuozas, i en una meza tenerlos a todos sus ijos, ansi ke era siempre alegre i gustozo. El Sr. Moche de este tiempo endelantre, los dias de lunes i djueves, se iva a 2 oras al dia a el Midrach, ande estava estudiando el Rabino de la sivdad, para estudiar i el tambien en el Talmud, i en otros dias iva i vijitava a sus konosidos Begis i Mollas savios Turkos, i todos lo resivian kon muntcha onor, sus platikas era lo mas muntcho sovre los estudios, i muy poko sovre la merkansia, i en okazion si pasava una semana i non les iva, era ke lo vinian eyos mismos a buchkarlo, i el Sr. Moche, tambien si enbezava muntchas kozas de eyos, i esto lo azia porke sus ijos ya la enkamenavan la butika, mijor de sus Padre. Todos los merkamientos, para el menester de sus mantinimiento se azian todos por su mano del Sr. Moche, i non dechava sufrir a las mujeres por nada, ke por todo esto ke le demandavan, sin en nada refuzarles, al punto se lo traiva, ansi era i kon las vistimientas, el mizmo si okupava i kudiava para azerles vistidos para todos eyos, enpesando del grande fin a el mas tchiko para sus nueras les azia vistidos igual porke non uvieran selos de las unas a las otras, i esto siempre a los plazeres i los gustos de eyas mizmas, ansi i adelantre en todos los puntos, el non se le dechava sirvir, i mismo si agua kiria bever, se levantava el mizmo i se tomava, por non demandar, ke su karakter era esto. La forma del vistido ke si vistia el Sr. Moche Arie, era en la kavesa, una boneta, en sinial ke era, haham, en su puerpo, al prisipio, un tuman, (komo forma de un pantalon antcho), i denpues, un anteri largo de ropa fina lavoro de Damasko, i en el bel (talia) se apretava kon un kouchak (chal) de lana tambien del lavoro de Damasko, denpues una fermena de panio fino ke es (un paltiko tchiko i kourto fin a la talia) i denpues un binich,
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L’année 5543 1, M. Moche A. Arié poursuivant son commerce toujours avec entrain, joie et contentement, voyait ses affaires progresser entouré de ses trois fils bien portants et bien éduqués à tous points de vue, tous mariés avec des belles-filles de bonne condition et respectueuses. Il les tenait tous assemblés à sa table et était ainsi bien heureux et satisfait. Depuis lors, les lundis et les jeudis M. Moche [Arié] se rendait deux heures au midrach où enseignait le rabbin de la ville pour étudier lui aussi le talmud. Les autres jours, il allait rendre visite aux beys et aux sages mollahs turcs qu’il connaissait et tous le recevaient en lui rendant les honneurs. Leurs conversations portaient principalement sur les études et très peu sur le commerce. S’il lui arrivait de laisser passer une semaine sans aller les voir, c’était eux-mêmes qui venaient le trouver et M. Moche [Arié] apprenait beaucoup de choses d’eux. Il pouvait le faire, car ses fils dirigeaient déjà la boutique mieux que leur père. Il réalisait lui-même tous les achats nécessaires à leur entretien et ne laissait les femmes manquer de rien. À toutes les demandes qu’on lui faisait, il ne refusait rien et les satisfaisait aussitôt. Il en allait de même pour les vêtements. Lui-même s’en occupait et prenait soin de vêtir chacun, du plus grand au plus petit. À ses brus, il faisait faire les mêmes vêtements pour qu’elles ne soient pas jalouses l’une de l’autre et toujours suivant leurs goûts et leurs propres désirs. Et ainsi de suite. Il ne se laissait pas servir et même s’il voulait boire de l’eau, il se levait de lui-même pour la prendre afin de ne pas avoir à demander, car tel était son caractère.
La tenue de M. Moche Arié M. Moche Arié s’habillait ainsi. Sur la tête, il portait un boneta 2 qui montrait qu’il était un lettré. Sur le corps, il portait d’abord un toman (un pantalon ample) et ensuite un large anteri 3 de drap fin confectionné à Damas. Il nouait à sa taille un kouchak, une large ceinture de laine également confectionnée à Damas, ensuite une fermena de drap fin (un court manteau allant jusqu’à la taille) et un binich 4 de drap fin, tombant jusqu’aux pieds. Les chaussures étaient des bottines d’intérieur 5 en cuir jaune en forme de
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Abraham Palacci (1809-1899), grand rabbin d’Izmir coiffé de la boneta et portant un benich (robe rabbinique) sur un kyurdi ensamarrado (manteau fourré). Collection famille Azar.
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Porte des murailles byzantines de la ville de Brousse. 1894. L’homme au centre de la rue porte un toman et un kouchak à la ceinture. Sebah & Joaillier photographes. Collection privée.
6. Kyurdi ou yurdi : long manteau masculin ou féminin qui peut être doublé de fourrure. Aron Rodrigue et Sarah Abrevaya Stein. Ibid. 7. 1783/1784. 8. Buhuru ou Bohuru autre forme de Bohora, la fille aînée.
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de panio fino, largo fin a los pies, el kalsado era, unas mestas de kuero amariyo, forma de putin sin gion, i denpues unos sapatos godros de kuero seya kolorado or amariyo, i por el invierno, pujava un kiuri kapadiado de samaras finas i ensima el binich, i ansi vistidos tiniya aparte para chabad, i aparte para todos los moadim seya los del inverano komo tambien i estos del invierno, i de toda samara fina tiniya kapladeiado, kiurdis todos de panios finos, i kada uno de su kolor, ansi era de mismo ke tiniya i su mujer su muntchos modos de vistimentas. En este anio de 5544, el Sr. Moche A. Arie, partio de muevo por Kostan, lo todo por azer sus empleos para su Boutika, el se abacho en Enderne, i les izo saver a Sr. Navon, ke la Sra. Bohuru, estava preniada, i los kombido por ke vengan a el parto, i se gustaron muntcho de esto prenijo, i Sr. Navon, le rogo al Sr. Moche A. Arie, porke abachara torna en Enderne en su boltar de Kostan, por razon ke le keren mandar algun tchikos prezentes, para
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bottines sans attaches, et des chaussures en cuir épais de couleur rouge ou jaune. Pour l’hiver, il revêtait un kyurdi 6 doublé de fines fourrures par-dessus lequel il passait le benich. Ainsi vêtu, il prenait part au shabbat et à toutes les fêtes, été comme hiver. Toutes les doublures étaient de fines fourrures et les manteaux de drap fin, chacun de sa couleur. Sa femme possédait aussi toutes sortes de vêtements.
Nouveau voyage à Constantinople En 5544 7, M. Moche Arié partit de nouveau pour Constantinople afin de réaliser les achats de sa boutique. Il descendit à Edirne et fit savoir à M. Navon que Madame Bohuru 8 [sa fille] était enceinte et il les invita à venir pour l’accouchement. Ils se réjouirent beaucoup de ce premier né et M. Navon invita M. Moche A. Arié à rester chez lui à Edirne à son retour de Constantinople, car il souhaitait envoyer quelques petits cadeaux à sa fille chérie. M. Moche [Arié] lui promit qu’il s’arrêterait chez lui. Deux jours après, il partit pour Constantinople.
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su ija, ke la aman muntcho, i el Sr. Moche, les dio palavra de abachar torna en Edirne, i dopo dos dias partio por Kostan, i denpues de eskapar todos sus empleos se estuvo en Kostan otros 15 dias, por konoserse kon algunos enfluentes de Kostan porke se avia yevado muntchas kartas de rekomendasion de los Begis, de Vidin, i su entision era de decharla Vidin, i estableserse en Kostan, ma non lo pudo azer, ke non se por kuala razon seria el non reintchir su entision. I por esto es ke devemos kreer ke egziste en el Mundo Mazal i ke devemos de kreerlo, sigun mas denpues eskrito ya van ameldar los maleres ke le arivaron, i el korason ya le dio de salirse de la Sivdad de Vidin solo ke ansi sikretos, de uno en el mundo son kuviertos, i el Mazal, akonanta, kijendo dizir ke es solo kada uno lo ke tiene de Mazal, akeyo va a ser, sovre esta entision ditcha, el non la dicho a sus ijos, otro ke mas tarde lo entindieron ma i eyos tambien non li dicheron nada al padre. El Sr. Moche, sigun la palavra ke avia dado de abachar a Endirne, lo izo esto, i la djente de su nuera, la Sra. Bohuru, le mandaron algunos prezentes, i sin restarse en Edirne partio por Vidin, i sigun siempre kontinuo su negosio, sin dingun trokamiento, los dias de Chabatod i de Moadim, non avria su butika, en este viaje, les trucho para toda su djente de su kaza a kada uno modas de vistidos, a la moda de Kostan, ke esto fue una koza mueva para Vidin, i kon estos nuevos vistidos ke les trucho non se los dechava ke se los vistieran para kuando se ivan a ir a vijitar, ande sus amigas, para ke non uvieran embidiamientos porke otra djente non los tiniyan, era solo ke se los vistian en kaza, en los dias de fiesta, ansi lo azian i los ombres. En este anio de 5545, el Sr. Moche A. Arie, se merko una kaza, pronta fraguada, kontiniendo 5 grandes kamaretas i algo de kortijo, ariento la kale, ke era de un sierto turko de los Begis, de Vidin, por el presio de 450 groches i esto a pagarselos en un tiempo de un anio i medio, sovre esta merkida se alegro seya el Sr Moche komo tambien i toda la djente de su kaza, entre los Turkos, uvieron algunas avlas a non decharlo merkar ma el se
Après avoir achevé tous ses achats, il demeura encore quinze jours en ville afin de faire la connaissance de personnages influents de Constantinople, car il avait emporté avec lui beaucoup de lettres de recommandation des Beys de Vidin. Son intention était de quitter Vidin et de s’établir à Constantinople, mais il n’y parvint pas pour une raison que j’ignore. À ce propos nous devons croire qu’il existe une destinée en ce monde comme il apparaîtra en lisant plus loin les malheurs qui lui arriveront. Le cœur lui disait déjà de quitter la ville de Vidin. Mais les destinées de chacun en ce monde sont cachées, et c’est le destin qui prime, ce qui signifie que chacun a son destin. À propos de cette intention indiquée plus haut, il n’en parla pas à ses fils, qui le comprirent par la suite, mais ne s’en ouvrirent pas non plus à leur père. M. Moche [Arié], suivant la parole qu’il avait donnée, fit halte à Edirne. La famille de sa belle-fille, Madame Bohuru, lui adressa quelques cadeaux, et sans s’attarder à Edirne, il partit pour Vidin. Son commerce continua sans changement. Les shabbat et les jours de fête, il n’ouvrait pas sa boutique. Lors de ce voyage, il rapporta des vêtements à la mode de Constantinople pour ceux de sa maisonnée. C’était une chose nouvelle pour Vidin. Il ne laissait pas [les femmes] revêtir les nouveaux vêtements qu’il leur avait apportés quand elles allaient en visite chez leurs amies afin qu’elles ne suscitent pas de jalousie chez celles qui n’en avaient pas. Elles ne les portaient qu’à la maison, les jours de fête, et il en allait de même pour les hommes.
M. Moche Arié fait l’acquisition d’une nouvelle maison L’année 5545 9, M. Moche A. Arié s’acheta une maison de construction rapide qui abritait cinq grandes chambres et une sorte de cour intérieure (algo de kortijo), à l’intérieur des fortifications (kale), qui appartenait à un notable turc de Vidin, au prix de 450 groches. Il en paya le prix en un an et demi. Cet achat réjouit M. Moche [Arié] et toute sa maisonnée. Cela souleva quelques discussions parmi les Turcs qui ne voulaient pas la lui laisser acheter, mais il
9. 1784/1785.
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adreso a muntchos sus konosidos Begis, rogandoles porke lo protejaran, i ansi fue ke se la izieron tomar ke los Turkos en las Plases ke eyos moravan non dechavan ke moraran los ke non son Turkos, i denpues ke ya se enpatrone de todos los dukomentos menesterozos, izo una tchika reparasion en la kaza i se pasaron en eya, muy kontentes, i izo ke yamo a muntchos de sus amigos i Hahamin, i los dio a komer i bever en el dia ke se paso a la kaza, i a los Hahamin, les dio prezentes en moneda, i en poko tiempo se mobilio la kaza entera de todo lo menesterozo, i bivieron todos djuntos, kon sus ijos, i todas sus familias. La Sra. Bohuru, ke es la mujer del Sr. Abraam I, ke vino a Samokov el primero, ke estava preniada fue en este tiempo ke le arivaron los dias para parir, la djente de kaza izieron todos los aprontamientos, para esto komo de prontar las komadres ke eran Turkas, i mas todo el menester, i kon muntcha livianeza, pario, un ijo, i fue alegrias grandes para toda la familia, para la parida, le izieron una kama alta entornada de muntchos brozlados i de ropas finas eya la parida etchada en esta kama, 8 dias kon muntcho bien kudiarla, i kada dia la vijitavan a grupos de las mujeres djudias de la Sivdad de Vidin, i a todas estas vijitaderas eran kon grande onor resividas i a todas las adulsavan kon el dulse ke se aze spesialmente para las paridas, ke es dulse de narandja, en las notches le vinian los ombres a bekliar la parida i djugavan kartas i otros djuegos, todos los de kaza seya los ombres komo i las mujeres le mandaron [todos] modos de prezentes, seya para la parida komo tambien i para el nasido, el Padre de la parida tambien le mando muntchos presentes, en el dia del berid, ke lo izieron en kaza konbido muntcha djente, i akel dia lo izo fiesta, i dio a komer a sus amigos i a muntchos menesterozos les dio prezentes en moneda al ijo lo nombraron Tchelebi-Moche, i denpues era su propia madre ke lo aletcho i lo kudio, (en akeyos tiempos era el uso i por el respekto tanto grande ke tiniyan, ke era muy grande verguensa de azer algunos djestos, las mansevas delantre las mas viejas, i ke siendo las paridas ya es naturel ke pueden azer todo modo
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s’adressa à ses nombreuses connaissances parmi les notables, les priant de lui apporter leur protection. Ils la lui laissèrent acheter, même si les Turcs ne laissaient pas vivre là où ils résidaient ceux qui n’étaient pas des leurs. Après avoir déjà pris possession de tous les documents nécessaires, il fit quelques menues réparations et ils s’y installèrent très contents. Il invita beaucoup de ses amis et lettrés et il leur offrit à manger et à boire le jour où il passa dans la maison et aux lettrés il fit des cadeaux en argent. En peu de temps toute la maison fut meublée de tout le nécessaire et ils vécurent tous ensemble avec leurs fils et leurs familles.
Naissance du premier fils de M. Abraham I Arié Madame Bohuru, la femme de M. Abraham I – le premier à s’installer à Samokov – attendait un enfant et vint le temps d’accoucher pour elle. Les gens de la maisonnée firent tous les préparatifs. Ils firent appeler les accoucheuses qui étaient turques, et apprêter tout le nécessaire. Avec beaucoup de facilité, elle donna naissance à un fils et ce fut une joie très grande pour toute la famille. Pour l’accouchée, ils firent un lit surélevé entouré de beaucoup de dorures (brozlados) et de draps fins. L’accouchée resta alitée huit jours durant dans ce lit et fut très bien soignée. Chaque jour, des groupes de femmes juives de Vidin venaient lui rendre visite et toutes ces visiteuses étaient reçues fort honorablement. On leur offrait des douceurs (las adulsavan) sous forme de confitures d’oranges amères (narandja) que l’on prépare spécialement pour les accouchements. Les nuits, les hommes veillaient l’accouchée et jouaient aux cartes et à d’autres jeux. Tous ceux de la maisonnée, les hommes comme les femmes, lui envoyaient toutes sortes de cadeaux, pour elle comme pour le nouveau-né. Le père de l’accouchée lui envoya également beaucoup de cadeaux. Le jour de la circoncision (birid) qu’ils célébrèrent à la maison, ils invitèrent beaucoup de personnes et ils en firent un jour de fête et donnèrent à manger à leurs amis et, à beaucoup de nécessiteux, ils firent cadeau d’argent. Ils nommèrent le fils Tchelebi Moche et ensuite ce fut sa propre mère qui
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de djestos i siendo ke era muy grande verguensa azian ke le tapavan la kara kon un velo para ke non si le vieran los djestos ke podia azerlos ke kon esto tambien le davan kuraje a las paridas, i eya non avlava nada, ke esto lo azian en los primeros partos.) Sigun ke ya lo tengo eskrito mas antes ke el Sr. Moche A. Arie, tenia en su botika, a los 2 ijos mas grande ke son Sres. Chemoel i Ishak, es en este anio ke se lo tomo tambien i al Sr. Abraam I ke es el ijo tchiko a su botika, i mas non fue menester ke estudiara, ke ya tomo su Dipluma de Haham Achalem, eyos los tres ermanos muntcho aunados kontinuavan en sus negosio kon todas sus fuersas sin kansarsen i kon el mas grande aunamiento, i kon muntcho respektarsen de los unos a los otros, sovre todo ke se akonsejavan de los unos a los otros i non tuvieron nunka enojos, sus Sr. Padre ke los via era ke si le yorava de la alegria, i siempre era ke los akonsejava, solo kon dizirles guadra la ermandad, ijos. El Sr. Moche A. Arie, le dicho a su ijo el grande Sr. Chemoel, porke se pronta, ke van a partir djuntos por Kostan, para amostrarle los lugares de ande azia los empleyos i tambien para rekomendarlo ande todos sus konosidos seya de las sivdades por ande pasava komo tambien, i en los merkaderes de las plasas de Kostan, i la suya entision fue para ke por endelantre non ir mas el Sr. Moche, i ansi fue ke eyos dopo unos kuantos dias estuvieron prontos, i partieron djuntos, el Padre kon el ijo, i ande abachavan mientras el kamino lo iva levando i amostrandole i rekomendandolo ande todos sus konosidos, i tambien enbezandolo todo esto ke es menester, sus empleos ke azian eran todos kon moneda en kontante, i para este viaje eyos se yevaron dos tantos de moneda, de lo ke se yevava el Sr. Moche, kuando se iva solo, i en arivando a Kostan, eyos izieron sus empleos mas grandes i tambien de algunos artikolos muevos, i denpues estuvieron unos kuantos dias mas muntcho por kaminarlo i amostrarle al Sr. Chemoel, los mas enportantes lugares de Kostan, i denpues se abacharon a Endirne, i izieron tambien algunos tchikos empleos de drogas, i arivando en Vidin, eyos los tres ermanos kon grande amor,
l’allaita et prit soin de lui (à cette époque c’était l’usage, parce que l’on avait alors beaucoup de respect, et que c’était une grande honte que les jeunes femmes fassent quelques grimaces devant les plus âgées, et qu’étant donné qu’il est naturel que les accouchées puissent faire toutes sortes de mimiques et étant donné que c’était une très grande honte, on lui couvrait la tête d’un voile afin que l’on ne voie pas les mimiques qu’elle pourrait faire. Cela donnait du courage aux accouchées et elles ne disaient rien. C’était quelque chose que l’on faisait lors des premiers accouchements.) Comme je l’ai déjà écrit, Samuel et Isaac, les fils aînés de M. Moche A. Arié, travaillaient dans la boutique de leur père. Cette même année, il prit aussi avec lui son benjamin, Abraham I. Il n’était plus nécessaire qu’il étudie. Il avait déjà reçu son diplôme de Haham Hachalem 10. Les trois frères très unis poursuivaient le commerce de toutes leurs forces sans se fatiguer et avec les plus grands progrès, et avec beaucoup de respect mutuel, se conseillant les uns les autres et sans éprouver aucun dépit 11. Leur père de les voir ainsi en aurait pleuré de joie et il leur donnait toujours le même conseil : « Mes fils, gardez la fraternité. »
Voyage de M. Moche Arié et de son fils aîné à Constantinople
10. Rabbin accompli et au comportement irréprochable (cf. Pirke Avot 5,7). 11. Enojo : bouderie, dépit qui porte à s’isoler de l’entourage, mauvaise humeur. J. Nehama. Ibid.
M. Moche A. Arié dit à son aîné Samuel de se préparer pour qu’ils partent ensemble à Constantinople afin de lui montrer les endroits où il faisait ses achats et également pour le recommander à toutes ses connaissances qu’il s’agisse des villes traversées ou des marchands de Constantinople. Son intention était que désormais il n’ait plus à faire le voyage. Et ainsi, après quelques jours, ils furent prêts et partirent de concert, le père avec le fils et partout où ils faisaient halte sur le chemin, il l’amenait, le montrait et le recommandait à toutes ses connaissances. Il lui apprenait aussi tout le nécessaire. Il faisait toujours ses achats en argent au comptant. Lors de ce voyage, ils emportaient deux fois plus d’argent que ce que prenait M. Moche [Arié] lorsqu’il était seul. En arrivant à Constantinople, ils firent des achats
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12. Harem a ici le sens général d’interdit que l’on doit respecter (à rapprocher de herem en hébreu). 13. feredje : manteau à capuche que portaient les femmes ottomanes. Aron Rodrigue et Sarah Abrevaya Stein. Ibid. 14. Voile 15. Le rédacteur commet ici une erreur. Le yachmak couvrait la bouche et laissait à découvert les yeux. 16. Soit une heure avant la tombée de la nuit.
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lavoravan i respondiyan a todo esto ke lo demandava la butika, i ansi era ke sus negosio les iva siempre augmantando, i el Sr. Moche, sus Padre, iva andando i konsolandose, de ver a sus ijos, aunados, i visto a esto non iva yendo muntcho por la butika, solo ke las tadres kuando ya se eskondia el sol ke es a la Turka 12 la ora de la tadre seravan la butika, i rekojiya la moneda ke vindieron entre el dia i se tomava en nota en un tchiko teftiriko, ke lo yevava en el petcho, i se ivan a kaza, non tenia livros de kontabelite, eyos los ombres ke si ivan a demaniana a la butika, se estavan fin ke la seravan la tadre, i de kaza les traivan koza de komer por la medio dia, i las mujeres era ke komian solas en kaza, eyas las mujeres denpues ke la kumieron se non les vinian sus amigas a vijitarlas, era ke se ivan eyas i guadravan Harem, de mismo komo las Turkas, ke era ke se vistian un Feredje, seya de panio or de ropa de seda i en la kavesa se metiyan un yachmak, de toka fina blanka i delgada en tapandose tambien la kara kon decharse solo la boka avierta, ke ansi era todas las mujeres djudias ke yevavan, ma las kirstianas non yevavan, i tambien Turkos i kristianos en kasas de djudios non entravan sin ke batieran la puerta, por razon del Harem sigun el uzo turko, i mas tadre se izo de uzo a non entrar ni menos djudios en kazaz de djudios sin batir la puerta, ke era solo por razon de Harem, i kuando ya era 11 la ora a la Turka de la tadre ya kalia ke estuvieran en kaza, ke mujeres mas tadre de esto non kaminavan por las plasas, i kon los ombres de notche non si podia kamenar sin fener, ke komo lo enkontravan los djandarmes ke estava sin fener lo metian en prezo, i a la maniana lo davan al Djuzgo o lo kondenavan seya por un mez de prezo or 100 groches de Djeza ke es Endamneta, kon ansi les guadravan el reposo. En este anio de 5547, la Sra. Bohuru, mujer del Sr. Abraam I pario un sigundo ijo, i para este parto vinieron Sr. Navon kon su mujer, al parto i izieron lo mezmo del primer parto kon kama alta i muntchos bruzlados, i de mizmo la vijitaron la Sivdat entera de Vidin, seya las mujeres entre el dia komo tambien i los ombres en las tadres, i aparte las notches vinian mansevos a guadrar la parida,
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plus importants et achetèrent également quelques nouveautés. Puis ils restèrent quelques jours de plus en visite pour montrer à Samuel les principaux endroits de Constantinople. Ensuite ils s’arrêtèrent à Edirne où ils firent aussi quelques menus achats de droguerie. À Vidin, les trois frères en bonne entente travaillaient et s’occupaient de tout ce qu’il fallait pour la boutique. C’est ainsi que leur affaire allait toujours de l’avant. M. Moche [Arié], leur père se consolait en voyant ses fils unis et par conséquent, il ne se rendait plus guère à la boutique. C’est seulement les soirs, au coucher du soleil – soit douze heures de l’après-midi à la turque – qu’il fermait le magasin, prenait l’argent gagné pendant la journée, en en prenant note dans un petit carnet qu’il portait sur la poitrine et ils rentraient à la maison. Ils n’avaient pas de livres de comptabilité. Les hommes allaient le matin à la boutique et ils y restaient jusqu’à la fermeture le soir. De la maison, on leur apportait à manger à la mi-journée. Les femmes déjeunaient seules chez elles. Après le repas, si leurs amies ne venaient pas leur rendre visite, elles y allaient elles-mêmes. Elles faisaient comme les Turques et gardaient le harem 12 ce qui signifie qu’elles revêtaient un feredje 13, de coton ou de soie et sur la tête elles mettaient un yachmak 14 une coiffe fine, blanche et légère qui leur couvrait aussi le visage leur laissant seulement la bouche à découvert 15. Toutes les femmes juives le portaient, contrairement aux femmes chrétiennes. Les Turcs et les chrétiens n’entraient pas dans les maisons juives sans avoir frappé à la porte en raison du harem à la mode turque, et plus tard même les Juifs prirent l’habitude de ne pas entrer dans les maisons juives sans frapper à la porte en raison du harem. Quand il était déjà onze heures de l’après-midi à la turque 16, les femmes devaient être rentrées à la maison. Après cette heure, elles n’allaient pas dans les rues. Les hommes, la nuit ne pouvaient se déplacer sans une lanterne et l’on mettait en prison ceux que l’on en trouvait dépourvus. Le matin, on les amenait devant le juge qui les condamnait soit à un mois de prison, soit à 100 groches d’amende. C’est ainsi que l’on maintenait l’ordre.
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ke kantavan i djugavan i se alegravan, de mizmo le mandaron a la parida, muntchos prezentes, toda la familia, i Sr. Navon djunto su mujer le trucheron muntchos prezentes para la parida i aparte fato para el muevo nasido, todo de ropas finas i brozladas, sigun el uzo de Endirne, i en el dia de Chabad, ke la parida estava en la kama, los ombres se ivan al kaal, i se merkava el gabayud, el parido, i yamava a Sefer Tora, a todos sus parientes, i los parientes, le merkavan Misvod, al parido, i en el kaal, era uzo ke el Hazan, kantava el Nichmad, kon el kadich, en los Chabatod, ke avian fiestas sea de paridas, komo tambien de bodas, i denpues en la Azara, del kaal, konvidava al kolel entero, solo a los ke ya eran kazados, i se asentavan en los bankos ke ya estavan etchos para esto, i el rabino de la Sivdad, azia una deracha, konviniente a la peracha de la Semana, i algo sovre la kistion de la fiesta, i denpues dizia el Hazan, el Kidush de Chabad, kantandolo, i denpues era los parnasim de la Hevra Keducha, ke van a espartir, kon unos taeris de kovre al prisipio davan a un djenet ke es komo un (kifiliko amasado kon guevo) i esto algunos los encharopavan, i denpues kon otros ansi taeris, les davan a todos a un guevo enhamenado ke kalia ke estuviera bien kotchos fin ke devinian kolorados i denpues los mizmos parnasim, kon unas redomas de plata i a 2 tasas tambien de plata en sus manos ke kontinia kada tasa a 25 dramas (75) gramos de Raki de 18/20 grados les davan a todos, i en tomando kada uno la tasa en su mano i antes de beversela se ivan saludando del uno al otro kon dizirsen Chabad Chalom, ke eskapando i esto si metia el parido, delantre la puerta por ande va a salir el puevlo, i todos kon una temena, lo saludavan en diziendole el buen besimantov, i todo este puevlo se ivan deretcho a la kaza de la parida, i se asentavan propio en la kamareta ande estava la parida, (era solos los ombres ke ivan sin sus mujeres a razon del Harem ke guadravan) i los adulsavan a todos kon a un tajo de dulse de narandja, i dizian de muevo el besimantov, i se ivan kada uno a su kaza, los parnasian ke restaron en la Azara, azian de mizmo i los sirvian los Chamachim, solo ke tinian una previlegia de mas, i era ke
Festivités en l’honneur de la naissance du second fils de M. Abraham I Arié En l’an 5547 17 , Madame Bohuru, femme de M. Abraham I donna naissance à un second fils, et M. Navon et sa femme vinrent en visite à l’occasion de la naissance. On prépara comme lors du premier accouchement un lit en hauteur et entouré de beaucoup de dorures. De même, toute la ville de Vidin défila à son chevet, les femmes pendant la journée et les hommes le soir. Les nuits, des jeunes venaient garder l’accouchée et chantaient, jouaient et se réjouissaient. On envoya à l’accouchée beaucoup de cadeaux de toute la famille. M. Navon et sa femme, apportèrent beaucoup de cadeaux pour l’accouchée et en plus d’un jeu de linge pour le nouveau-né, tout en coton fin et doré suivant la tradition d’Edirne. Le shabbat, l’accouchée étant alitée, les hommes se rendirent à la synagogue, et le mari de l’accouchée 18 paya le gabayud 19 et il appela au Sefer Tora tous ses parents et les parents lui achetèrent des mitsvots. À la synagogue, il était d’usage que le hazan chante le nichmat 20 [kol haï] avec le kaddish les jours de shabbat où il y avait une fête de naissance ou de mariage. Ensuite dans la hazara 21 de la synagogue, il invitait toute la communauté (kolel) de ceux qui étaient déjà mariés et ils s’asseyaient sur les bancs qui étaient déjà placés pour cela. Le rabbin de la ville prononçait un sermon (deracha) relatif à la perasha de la semaine et à la fête. Ensuite le hazan prononçait la bénédiction sur le vin (kidouch) du shabbat, le chantait et ensuite venaient les administrateurs (parnasim) de la hevra kadisha 22 qui distribuaient avec quelques monnaies de cuivre en premier un djenet qui est comme un petit pain formé avec de l’œuf que certains trempaient dans du sirop, et ensuite avec d’autres monnaies ils donnaient à tous un œuf dur 23 (enhamenado) qui devait être bien cuit jusqu’à ce qu’il devienne rouge. Ensuite les mêmes administrateurs, distribuaient à tous [du raki] avec un flacon d’argent et deux tasses également en argent à la main qui contenaient chacune 25 dramas (75 grammes) de raki à 18/20°. Prenant chacun la tasse à la main avant de la boire, ils se saluaient les uns les autres en
17. 1786/1787. 18. Le judéoespagnol emploie le terme el parido, littéralement l’accouché. 19. Droit de monter lire le Sefer Torah. 20. Chant sépharade du shabbat qui donne l’ordre croissant des niveaux spirituels de l’homme. 21. Galerie supérieure en général réservée aux femmes. 22. Confrérie prenant soin des rites funéraires. 23. Los uevos haminados sont des œufs durs colorés et marbrés qui ont cuit longuement dans une décoction de pelures d’oignons ou de marc de café.
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24. Temena : il s’agit d’une salutation orientale où l’on porte la main à la tête tout en l’inclinant.
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tomavan a 2 guevos i a 2 tasas de raki, i denpues azian lo mizmo i los Chamachim ; i denpues se ivan djuntos los Parnasim i los Chamachim, a la kaza de la parida, para vijitarla, ke kon entrar de la puerta de la kaye, para azer saver a la djente de kaza ke era los Parnasim, ke vinian, kon boz alta gritavan 2 de los grandes Chamachim, besimantov, i saliyan los patrones de kaza a resivirlos i los yevavan a la kamareta de la parida i los adulsavan kon el dulse de narandja de tajos mas grandes i por sus previlegia ke tienen les davan tambien i a un vazo de raki, i se ivan a sus kaza, ansi se azia i kuando avian bodas de kazamientos. A la medio dia uvieron sus amigos a komer tambien i Hahamim i Hazanim, i komieron i bevieron a la artura i los Hazanim, kantaron muntchos Pizmonim, i el uzo era en ansi Fiestas, ke komian los ombres en mezas aparte i las mujeres en mezas aparte, i la forma de las mezas eran ke espandian en medio la kamareta serka al minder, una sofra, i en medio la sofra una banketa bacha i ensima un sini de kovre redondo i en medio del sini dos panes kon un kutchiyo i un salero para azer el amosi, ke era ke lo azia el mas viejo de la meza or el patron de la kaza, i al deredor del sini rodeyavan un pichnir por alimpyarsen las manos, i en bacho deredor de la meza metiyan kavesales i se asentavan todos ensima de los kavesales en bacho, i traivan el plato de la komida i la mitiyan en medio del sini i todos tomavan de este plato kon la mano, komiyan, esto era en la kamareta ke estava la parida, i a la parida le davan agostar de algunas komidas livianas, i en el dia del Birid, tambien fue ansi ke uvieron muntchos konbidados, i lo nombraron Iosef, kale seya ke Sr. Navon, el padre de la parida si yamava Josef, porke el uzo es ke el sigundo ijo es de parte la madre i tiene el deretcho de meterle nombre de los parientes de la madre, ansi i algunos otros deretchos. Sovre ansi komportos i uzos de akeyos tiempos ke tiniyan en akel tiempo, enfrente de las paridas, i ke non koresponde ya nada a los del tiempo de agora, kada meldador, puede azer una demanda maraviosa, es de azerles saver, ke las naturas de akel tiempo eran tanto sanas i fuertes, koza ke non
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disant shabbat shalom. Pour terminer, on plaçait le mari de l’accouchée à la porte où sortaient les fidèles. Chacun le saluait d’une révérence 24 en lui souhaitant besimantov. Tout le monde allait directement à la maison de l’accouchée et s’asseyait près de la chambre où elle se trouvait. (les hommes s’y rendaient seuls sans leurs femmes en raison du harem qu’elles observaient) et on les régalait tous avec des morceaux de confitures d’oranges amères et on leur souhaitait à nouveau besimantov. Les administrateurs qui étaient restés à la hazara faisaient de même. Les gardiens de la synagogue (chamachim) les servaient. Ils avaient comme privilège le droit de prendre deux œufs et deux tasses de raki. Les chamachim faisaient de même et ensuite les parnasim et les chamachim rendaient visite ensemble à la maison de l’accouchée. À la porte de la rue, pour faire savoir aux gens de la maisonnée que c’étaient les administrateurs qui venaient, deux des chamachim criaient à voix haute : besimantov. Les chefs de maison les accueillaient et les menaient à la chambre de l’accouchée. Ils les régalaient de confiture d’oranges amères en leur donnant des morceaux plus grands en raison de leur privilège et en leur donnant aussi un verre de raki. Puis ils rentraient chez eux. C’est ainsi que l’on procédait et quand il y avait des noces à la mi-journée, ils invitaient leurs amis à déjeuner, les lettrés (hahamim) et les chantres (hazanim), et ils mangeaient et buvaient à satiété. Les hazanim chantaient beaucoup de louanges à Dieu (pizmonim). L’usage était lors des fêtes que les hommes et les femmes fassent table à part. On plaçait au milieu de la chambre, près du coussin, une table pour manger et au milieu de la table, une banquette basse sur laquelle était posé un plateau en cuivre rond. Au milieu du plateau se trouvaient deux pains avec un couteau et une salière pour la bénédiction du pain (amotsi) que faisait le plus âgé de la table ou le maître de maison. On faisait tourner un bassin autour du plat pour se laver les mains, et en contrebas de la table, on plaçait des coussins sur lesquels tous s’asseyaient. On apportait le plat de nourriture et on le mettait au milieu du plateau. Tous en prenaient avec la main et mangeaient. Tout cela se passait dans la chambre où était l’accouchée. On lui
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se lo puede la persona imajinar, en akel tiempo las paridas, el 90 % de eyas al 2 dia ke pariyan ya eran sanas, sigun las Kazalinas del tiempo de agora, lo ke se estavan en la kama era para ke la vijitaran i tambien asperar los 8 dias para el berid, avian muntchas paridas ke en los diyas de djueves i viernes ke las mujeres non vijitan a razon ke alimpian sus kazas i se prontan komania para Chabad, era ke muntchas paridas, si abachavan de la kama i eskombravan i la barian la kamareta ke eya estava, solo ke se serava la puerta para ke non la vieran, i las paridas ke parian ijas era ke al 3-er dia ya si levantava de la kama, i se mirava la kaza lo todo komo de antes, solo kon una kriatura de mas, i non tiniyan nada.
donnait à goûter des nourritures légères. Le jour de la circoncision, il y eut également beaucoup d’invités et on l’appela Joseph (Iosef ), sans doute car M. Navon, le père de l’accouchée, s’appelait Joseph, car il est d’usage que le second fils soit du côté de la mère et qu’ils aient le droit de lui donner le nom des parents de la mère ainsi que quelques autres droits. Chaque lecteur pourra s’étonner en voyant que les us et coutumes que l’on observait vis-à-vis des accouchées en ce temps-là étaient complètement différents de ceux d’aujourd’hui. Il faut savoir que les constitutions [des femmes] en ce temps-là étaient tellement fortes et saines – une chose que personne ne peut s’imaginer – que deux jours après l’accouchement 90 % des accouchées étaient déjà rétablies, comme les paysannes d’aujourd’hui. Si elles restaient alitées, c’était pour qu’on leur rende visite et aussi dans l’attente des huit jours qui précèdent la circoncision. Beaucoup d’accouchées disaient que les jeudi et vendredi – qui sont des jours où les femmes ne vont pas en visite, car elles nettoient leur maison et préparent la nourriture pour le shabbat – elles sortaient du lit et balayaient la chambre où elles étaient. Elles fermaient juste la porte pour qu’on ne les voie pas. Les accouchées qui avaient donné naissance à une fille se relevaient dès le troisième jour et prenaient soin de la maison comme avant, avec juste un enfant en plus, et elles ne s’en portaient pas plus mal. La transcription du judéo-espagnol a été modifiée afin de rendre le texte plus facilement accessible aux lecteurs familiers de la graphie employée par la revue Aki Yerushalayim. Nous remercions de leur aide Mme Marie-Christine Bornes Varol et M. Yehuda Hatsvi qui ont bien voulu nous aider à éclaircir le sens de plusieurs mots et expressions.
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Les aventures de l’infortuné marrane Juan de Figueras Jean-Pierre Gattégno
Éditions de L’Antilope. Paris. 2018, 440 pages. ISBN : 979-10-95360-50-6
Jean-Pierre Gattégno, romancier français né à Brive-la-Gaillarde en 1944, a publié des ouvrages abordant des genres très différents, le thriller par exemple avec Neutralité malveillante (CalmannLévy, 1992) ou encore Mortel transfert (CalmannLévy, 1997). De façon protéiforme, il passe ensuite à une littérature considérée par d’aucuns comme plus sérieuse avec Le Grand Faiseur (Actes Sud, 2002) ou bien Longtemps, je me suis couché de bonne heure (Actes Sud, 2004), ce dernier abordant une tonalité clairement initiatique. Avec Les aventures de l’infortuné marrane Juan de Figueras, il nous fait pénétrer dans le monde de la littérature picaresque du Siècle d’Or espagnol, (Éditions de l’Antilope, Paris, 2018). Le lecteur qui entamera la lecture de ce roman sera constamment tenu en haleine par les mésaventures, les errances et les interrogations de Juan de Figueras.
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Juan de Figueras est originaire de Séville, né dans une famille marrane, visiblement aisée. Tous les ingrédients du roman picaresque sont présents, dans la plus pure tradition, à commencer par la forme autobiographique, suivant en cela le modèle incontournable de Lazarillo de Tormes, modèle du genre. Dans le prologue, le héros narrateur nous annonce être né au début du règne de Philippe III, soit dans les toutes dernières années du XVIe siècle, soit dans les toutes premières du XVIIe, sachant que Philippe III est monté sur le trône en 1598, à la suite du décès de son père, Philippe II. Dès les premières lignes, un mystère semble planer sur les membres de la famille : originaires du nord de l’Espagne (Figueras), on ignore à la suite de quels avatars ils se sont installés à Séville. Dès ce préambule, le narrateur croit bon de préciser que les siens ont toujours compté parmi « d’excellents chrétiens », mention fort utile à une époque où il ne faisait pas bon avoir maille à partir avec l’Inquisition. Toutefois, on comprendra par la suite l’importance d’une telle affirmation. Par ailleurs, une différence de taille est à noter par rapport à d’autres héros de romans picaresques, généralement issus de milieux peu recommandables, parfois même liés de près ou de loin à la pègre. Pour s’en persuader, il suffit
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de se référer aux origines peu reluisantes de Lazarillo de Tormes, premier héros picaresque, né de façon aléatoire au bord de la rivière Tormes, à Salamanque. Juan de Figueras, pour sa part, appartient visiblement à un milieu tout à fait honorable de négociants, la mère étant présentée comme une sainte femme. On sait dès cette première page du roman que Juan va vivre de nombreux malheurs, alors qu’a priori, rien ne semblait l’y prédestiner. Lorsqu’il n’est âgé que de treize ans, Juan, sur les ordres de son père, doit partir pour le Collège-du-SaintSacrifice-de-la-Rédemption à Valence. Il part comme un fils de famille, flanqué d’un fidèle domestique de la famille nommé Filógeno, dont on apprendra plus tard que bien que « vieux chrétien », il reste fidèle à la famille marrane qu’il a toujours servie. Au collège, Juan va vite être confronté avec une dure réalité très éloignée de l’enfance douillette qu’il a pu connaître auparavant. Les camarades sont violents, voleurs, concupiscents, et les enseignants ne valent pas mieux. Dire que les repas sont maigres est un euphémisme, le thème de la faim étant récurrent dans le roman picaresque. Le lecteur ayant déjà accédé à ce type de littérature verra dans les descriptions de la vie au collège de nombreux clins d’œil ou réminiscences. La pitance, dont le moins que l’on puisse dire, est qu’elle est peu abondante et de piètre qualité, n’est pas sans évoquer, jusqu’à la caricature, celle proposée par le Licenciado Cabra dans la pension où Pablos de Segovia et son maître sont logés, dans El Buscón de Quevedo. Mais les malheurs ne s’arrêtent pas là et très rapidement les choses se gâtent pour Juan, soupçonné de ne pas être bon chrétien, ou plus exactement pas « vieux chrétien ». La « pureté de sang » (limpieza de sangre) était une véritable obsession à l’époque. Juan finit par échapper à ce lieu délétère. Les aventures s’enchaînent, Juan accomplit un long voyage à travers la Péninsule, côtoyant ou rencontrant les personnages les plus divers, brigands,
inquisiteurs, faux rabbins chargés de traquer les descendants de convertis soupçonnés d’être de mauvais chrétiens ; et même, sur une route de la Manche, une rencontre improbable avec un gentilhomme efflanqué, accompagné de son fidèle écuyer, luttant contre des moulins à vent, en qui le lecteur n’aura pas manqué de reconnaître Don Quichotte et son serviteur, Sancho Panza. Juan se contente d’assister à la scène, n’interférant en rien dans le récit de Cervantes. Ce long parcours initiatique, ponctué de personnages hauts en couleur finit par ramener Juan à son point de départ : Séville. Là, c’est la désolation, toute sa famille a disparu, la maison est détruite. Il retrouve son fidèle serviteur, Filógeno, qui l’exhorte à partir, afin d’échapper à l’Inquisition pouvant sévir à tout moment. Après maintes hésitations, Juan finit par s’embarquer pour Salonique. Filógeno, demeurant en Espagne, reste pour Pablo un lien affectif très fort, et peutêtre la préfiguration de possibles retrouvailles des siècles plus tard. En conclusion, la lecture de ce livre n’est que du plaisir d’un bout à l’autre. Jean-Pierre Gattégno relate dans un style très vivant les aventures de Juan de Figueras, faisant preuve d’une connaissance profonde de la culture et de la littérature hispaniques du Siècle d’or. Le lecteur qui ouvrira ce roman aura bien des difficultés à le refermer avant de l’avoir lu intégralement.
Monique Héritier
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Oncle Abraham vit toujours ici
Èlèna Houzouri Traduit du grec par Simone Taillefer Préface de Reyna Molho Éditions Monemvassia. Pradez le Lez. 2018. ISBN 978-2-9558938-5-2
Au décès de sa grand-mère Louna, originaire de Salonique, une jeune étudiante israélienne, Aliza, décide de faire une thèse sur Abraham Benaroya, syndicaliste important de la Salonique ottomane du début du XX e siècle. En 1908, Benaroya organise d’importantes manifestations ouvrières et fonde le Cercle sépharade d’études socialistes, puis il fonde la Fédération socialiste ouvrière, qui une décennie plus tard devient une composante du Parti socialiste ouvrier grec, prédécesseur du parti communiste. Benaroya, exclu du parti communiste, est reconnu comme un syndicaliste important de la Grèce de l’entre-deux-guerres. Comme il était une connaissance de Louna, qu’elle appelait « Oncle Abraham », cette thèse sert d’excuse à Aliza pour aller à Salonique et enquêter sur le passé de sa grand-mère. À travers l’histoire personnelle de Louna le roman retrace l’histoire de la communauté juive de Salonique et les relations changeantes avec l’entourage grec, dans des périodes successives de bouleversements politiques, démographiques et sociaux, violents et radicaux : du début du XX e siècle à l’entredeux-guerres, durant la guerre et l’occupation allemande, ainsi qu’au lendemain de la guerre. En nous racontant la vie quotidienne au cours de ces périodes particulièrement turbulentes et en nous présentant le vécu de personnages, certes fictifs, mais tellement réalistes, ce roman historique nous permet d’appréhender les pages sombres de l’Histoire qui sont souvent refoulées. Le contexte historique dans lequel se déroule le roman peut être résumé comme suit :
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Au début du XXe siècle, Salonique était un port important des Balkans et une grande métropole de l’Empire ottoman. Le recensement de 1903 décompte 98 000 habitants, dont 48 000 Juifs, 32 000 musulmans (dont la moitié étaient des « dönmes », des Juifs, adeptes de Sabbetaï Sevi, convertis à l’Islam) et 15 000 Grecs, ce qui donnait à la ville un caractère particulier, où le travail s’arrêtait le samedi et où la population parlait le judéo-espagnol. La grande majorité des Juifs étaient pauvres, travaillaient dès leur plus jeune âge quinze heures par jour comme ouvriers dans les usines de tabac, de textiles, de chaussures ou encore comme portefaix et dockers au port, et vivaient dans des quartiers subventionnés par la communauté juive, tels que le « Baron Hirsch » (nommé d’après le bienfaiteur qui l’avait subventionné) ou le « Tenekyel Malé » (ce qui en turc signifie « Bidonville »). Il y avait aussi, bien sûr, une classe moyenne de boutiquiers et agents, comprenant quelque deux mille familles, ainsi que quelques dizaines de familles de grands industriels, banquiers et propriétaires, la plupart d’origine italienne, comme les Allatini ou les Modiano mentionnés dans le roman. Les plus fortunés envoyaient leurs enfants à l’école italienne, alors que la classe moyenne était éduquée dans les écoles de l’Alliance israélite universelle fondées dès 1873, celle de la Mission laïque française établie en 1906, ainsi que quelques écoles privées qui suivaient le programme de l’Alliance. Ainsi, le français était devenu la langue des personnes instruites, utilisé dans la vie de tous les jours, avec de nombreux quotidiens qui paraissent en langue française comme Le Journal de Salonique, L’Indépendant ou Le Progrès. Le roman met en avant l’étendue de la francophonie dans la communauté juive de Salonique en décrivant, par exemple, Monsieur Jacob, le père de Louna, qui lit des romans de Jean Giono, ou la visite de Louna et Alberto à la Librairie Molho, une librairie emblématique de Salonique, qui a fermé ses portes en 2004, et où pendant 116
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ans quatre générations de libraires ont diffusé à Salonique la culture francophone, de la grande littérature des prix Goncourt et Nobel, aux bandes dessinées de Tintin, ou encore la presse et les magazines populaires. L’intense activité économique de Salonique attirait de nombreux immigrants venus des villes voisines, surtout de Monastir, de Stroumsa ou de Cavala. Ainsi, après l’incorporation de la ville à la Grèce en octobre 1912, le premier recensement grec en avril 1913 évalue à 158 000 personnes la population de Salonique (une augmentation de 60 % en dix ans), dont 61 500 Juifs, 46 000 musulmans et 40 000 Grecs. Le gouvernement grec entreprend alors l’hellénisation de la ville. Le 18 août 1917, un énorme incendie dévasta tout le centre-ville, laissant 52 000 Juifs sans abri et détruisant toutes les synagogues, les écoles et les autres institutions juives du centre-ville. Cet événement amorça une émigration massive des Juifs vers la France (grâce à la langue), les États-Unis et la Palestine, renforcée par la récession de la Première Guerre mondiale. L’hellénisation de la ville se poursuivit avec l’imposition du repos dominical (au lieu du samedi), l’interdiction de la comptabilité en judéo-espagnol dans les boutiques, l’interdiction d’affichages dans d’autres langues que le grec, l’établissement de bureaux de vote et de collèges électoraux séparés pour les Juifs et, dans les années 1930, l’interdiction des écoles en langue étrangère. L’expulsion des musulmans et l’afflux de 100 000 réfugiés grecs d’Asie Mineure à la suite des accords de Lausanne en 1923, changèrent la physionomie de la ville et créèrent des difficultés pour la communauté juive, car les nouveaux arrivants s’estimaient autochtones et considéraient les Juifs comme des étrangers, des « allogènes ». Ceci provoqua une rivalité intercommunautaire croissante accompagnée de campagnes de presse et de la formation d’organisations antisémites, culminant lors du pogrom et de l’incendie criminel du quartier ouvrier juif de Campbell en 1931. Ce pogrom renforça l’émi-
gration et quelque 10 000 Juifs partirent alors vers la Palestine et, plus particulièrement, des dockers vers le port de Haïfa. Tous ces événements sont décrits dans le roman, surtout à travers le ressenti de Louna et de sa famille. Lorsque la Grèce entra dans la Seconde Guerre mondiale en octobre 1940, quelque 9 000 Juifs de Salonique furent appelés sous les drapeaux pour se battre en Albanie contre les Italiens. Les Allemands occupent Salonique en avril 1941, et au bout de quelques mois commencent les mesures discriminatoires, les confiscations, les travaux forcés, les ghettos. Le 15 mars 1943, le premier convoi de 2 800 personnes part pour Auschwitz. Les convois se succèdent tous les deux ou trois jours transportant au total 48 000 personnes, et cinq mois plus tard il n’y a plus de Juifs à Salonique. Seuls quelques-uns ont pu se cacher, souvent en partant vers les villes du sud, vers la Turquie, ou bien « à la Montagne » en rejoignant la Résistance organisée par le parti communiste pour combattre les Allemands. Ceci était le cas de 650 jeunes hommes et femmes et, dans le roman, le cas de Louna. Après la guerre, seuls 2 000 Juifs survivants sont revenus à Salonique, la plupart seuls, ayant perdu toutes leurs familles. Ils essayèrent de refaire leur vie avec l’aide d’organismes comme l’American Joint Distribution Committee, mais trouvèrent tous leurs biens et leurs propriétés, quelque 2 000 boutiques et 10 000 maisons ou appartements, occupés par leurs anciens voisins ou par des collaborateurs des Allemands. Ils se lancèrent alors dans des batailles juridiques interminables pour la restitution de leurs biens, mais seules 50 boutiques et 300 maisons revinrent à leurs anciens occupants ou propriétaires. Les jeunes qui avaient trouvé refuge au maquis en combattant les Allemands eurent des problèmes supplémentaires, car les gouvernements successifs de la décennie qui suivit la fin de la guerre étaient farouchement anticommunistes et comprenaient plusieurs collaborateurs des Allemands. La police dressa des fiches concernant les positions
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1. Didier Nébot, médecin, issu d’une famille juive d’Algérie a longtemps présidé l’association Morial, mémoires et traditions des Juifs d’Algérie.
politiques de chacun et ceux qui ne s’inscrivaient pas dans la « pensée nationaliste » (comme les anciens résistants du maquis) furent harcelés lors de leurs contacts avec l’administration. La guerre civile entre le gouvernement d’Athènes et les communistes prolongea la Seconde Guerre mondiale et des milliers d’anciens résistants (et parmi eux des Juifs) furent déportés dans des îles isolées quasi désertes. L’État d’Israël, nouvellement fondé, conclut un accord avec la Grèce pour recevoir tout Juif désirant s’y installer, y compris ceux qui avaient été déportés pendant la guerre civile. La Grèce accepta à condition que les émigrants renoncent à leur nationalité grecque et ne reviennent jamais pour s’y réinstaller. 1259 Juifs grecs bénéficièrent de cette mesure et émigrèrent en Israël. Parmi eux 204 enfants orphelins des deux parents qui seront adoptés en Israël, ainsi qu’une dizaine de déportés des îles. Ce fut aussi le cas de Benaroya et, dans le roman, celui de Louna. Au cours du demi-siècle qui a suivi, un silence assourdissant a recouvert l’histoire de la communauté juive, devenue très discrète, mais depuis une décennie Salonique redécouvre officiellement son passé juif, et voit que l’Histoire ainsi qu’« Oncle Abraham » sont toujours présents.
Izo Abram
Les bûchers d’Isabelle la catholique Didier Nebot
Éditions Érick Bonnier. Janvier 2018 ISBN : 978-2367601151
« Partez, disparaissez Juifs maudits ! » cria Vincent Ferrer […] Dans le temple, il renversa les objets de culte et déclara aux chrétiens qui l’avaient suivi qu’un lieu aussi somptueux ne pouvait qu’honorer la gloire de Jésus : « Qu’il ne soit plus souillé par les ennemis du Christ ! Tu es | 44
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pierre ! », lança-t-il en déployant ses bras, et les chrétiens répondirent : « Sur cette pierre, je bâtirai mon église ». Et ce prestigieux lieu saint, devint l’église Santa Maria La Blanca. Le roman historique Les Bûchers d’Isabelle la Catholique de Didier Nebot 1 a pour toile de fond la situation de plus en plus précaire des Juifs d’Espagne entre 1391 et 1492 et les événements qui ont abouti à la fondation de l’Inquisition espagnole au XVe siècle. Nous assistons aux campagnes de persécutions, bientôt suivies de massacres et de conversion de masse ainsi qu’à l’instrumentalisation de la religion par le politique qui aboutira à l’expulsion des Juifs en 1492. La grande Histoire se mêle ici à la petite histoire. Nous sommes à Tolède avec la famille Tobias au moment où les premiers massacres de Juifs s’abattent sur la ville. Le très jeune héros Solal y échappe de peu. Il décédera plusieurs décennies plus tard au moment de l’expulsion des Juifs d’Espagne. Une pierre mystérieuse, arrachée aux ruines du Temple, que la famille se transmet de génération en génération, sert d’autre fil conducteur au récit avant qu'elle rejoigne à son tour la Terre sainte. C’est un livre très abordable et très plaisant à lire, remarquablement bien documenté et qui fourmille d’allusions à des coutumes et traditions juives.
Camille Cohen
Las komidas de las nonas ALBONDIGAS DE PRASA BOULETTES DE POIREAUX
Esther Benbassa, février 1999
Ingredientes – 2 kilos de prasa – 300 gramos de karne molida – una punyada de arina de masa o de miga de pan mojada i eksprimida – sal i pimienta – azeyte para friir – un poko de arina – 2 guevos Preparasión Lavar la prasa munchas vezes i despues kozerla i eskaldarla en agua buyendo. Kortarla en pedasikos tchikos i eskurrirla muy bien. Se puede kozer la prasa un diya antes para ke se eskurra mas. En una tchanaka grande meter la prasa, la karne molida, la miga de pan mojada i eksprimida, la sal i la pimienta. Mesklar bien lo todo endjunto. Gostar i verifikar el gusto. Preparar las albondigas i meterlas en un plato. Inchir el dip de una tava kon azeyte i kaentarla. Se preparan despues las albondigas de una de estas 3 maneras : Manera de Dolly : Friir direktamente las albondigas en el azeyte ; Manera de Claire : aboltar las albondigas en un poko de arina i friirlas ; Manera de Maria : aboltar las albondigas en arina i en los guevos batidos i friirlas. Kualkyera ke sea la manera eskojida, meter las albondigas kotchas en un plato kuvierto de papel para embeveder el azeyte demaziado. Savorear tidyo. En vez de karne se pueden aparejar las albondigas kon 3 patatas kotchas i ahajadas ke se mesklan kon los engredientes sovrados. Se aparejan las albondigas eskojendo la manera preferada entre las tres para friirlas. Es muy savroso tambien. Avlando de prasa no se diziya : tener los kaveyos prasa ? lo ke aziya pensar probablemente a las raises de la prasa, esto para desinyar kaveyos mal areglados, lo ke no suportavan las mujeres alusadas del Oriente.
Ingrédients – 2 kg de poireaux, – 300 g de bœuf haché, – 1 poignée de farine de masa, chapelure, ou mie de pain bien essorée,
– sel et poivre, – huile sans goût pour la friture, – un peu de farine – 2 œufs
Préparation Après les avoir lavés , faire bien cuire les poireaux à l'eau. Les couper menu et très bien les égoutter. On peut les faire cuire la veille pour les laisser égoutter encore mieux. Dans un saladier, mettre les poireaux, le bœuf haché, la chapelure, le sel et le poivre. Mélanger intimement le tout. Goûter et rectifier l’assaisonnement. Former des boulettes et disposer sur un plat. Couvrir largement le fond de la poêle d'huile et faire chauffer, puis procéder selon l’une des trois méthodes suivantes : Méthode Dolly : faire frire directement les boulettes dans l’huile ; Méthode Claire : rouler légèrement les boulettes dans de la farine et faire frire ; Méthode Marie : rouler légèrement les boulettes dans de la farine et dans l’œuf battu et faire frire. Quelle que soit la méthode choisie, poser les boulettes, une fois frites, dans un plat recouvert de papier absorbant. Déguster tiède. Variante : on peut remplacer la viande hachée par 3 pommes de terre cuites écrasées et que l'on mélange avec le reste des ingrédients. Former les boulettes et choisir la méthode que l'on préfère pour les frire et procéder de façon identique selon la recette. C'est très bon aussi. À propos des poireaux ne disait-on pas : tener los kaveyos prasa (avoir des cheveux comme des poireaux) allusion probablement aux racines de poireaux, et ce pour désigner des cheveux longs défaits et non coiffés. Manquement grave à la coquetterie des femmes d’Orient.
Directrice de la publication Jenny Laneurie Fresco Rédacteur en chef François Azar Ont participé à ce numéro Laurence Abensur-Hazan, Izo Abram, Michel Arié, François Azar, Michel Azaria, Camille Cohen, Francine Conchondon, Alain de Toledo, Corinne Deunailles, Monique Héritier, Jenny Laneurie, Anastassia Milonopoulou, Mario Modiano, Henri Nahum. Conception graphique Sophie Blum Image de couverture Mario Modiano à l’âge de quatre ou cinq ans à Salonique vers 1930. Impression Caen Repro Parc Athéna 8, rue Ferdinand Buisson 14 280 Saint-Contest ISSN 2259-3225 Abonnement (France et étranger) 1 an, 4 numéros : 40€ Siège social et administratif MVAC 5, rue Perrée 75003 Paris akiestamos.aals@yahoo.fr Tel : 06 98 52 15 15 www.sefaradinfo.org www.lalettresepharade.fr Association Loi 1901 sans but lucratif n° CNIL 617630 Siret 48260473300030 Juillet 2018 Tirage : 950 exemplaires Numéro CPPAP : 0319 G 93677
Aki Estamos – Les Amis de la Lettre Sépharade remercie ses donateurs et les institutions suivantes de leur soutien