Kaminando i Avlando n°28

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| O CTOBRE, NOVEMBRE,

DÉCEMBRE 2018 Tishri, Heshvan, Kislev, Tevet 5779

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Revue de l'association Aki Estamos Les Amis de la Lettre Sépharade fondée en 1998

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communauté méconnue, Magnésie — HENRI NAHUM

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sépharadisme ottoman et le commerce des produits d’Orient — JULIA PHILLIPS COHEN

18 C hronique de

la famille Arié de Samokov Grandeur et chute de la maison Arié à Vidin

30 P ara meldar

— HENRI NAHUM, MONIQUE HÉRITIER


L'édito

Une chronique familiale, une collection de vieux journaux, un paquet de lettres oubliées ; à chaque nouvelle découverte d’archives judéoespagnoles, c’est un monde enchanté qui s’offre à nos regards. Armés d’un dictionnaire pour seul viatique, nous explorons des terres lointaines, rencontrons des personnages en tenue des Mille et une Nuits. Chaque nouveau chapitre nous emporte sur des chemins de fortune où le destin peut basculer d’un instant à l’autre, car nos auteurs ont devancé nos attentes et rédigé des textes où tout n’est qu’aventure, surprise et dépaysement. On en aura un nouvel aperçu avec la suite de la biographie de la famille Arié dont les premiers chapitres hésitent entre récit historique et légendaire. Moche A. Arié II, qui a transcrit cette chronique à l’aube du XXe siècle, avait une conscience aiguë des attentes de ses futurs lecteurs. Il a conçu un « orientalisme pour Orientaux » en faisant saillir le caractère dramatique, exotique et anachronique des personnages et des situations. Un jeu de rôle que les Sépharades de l’Empire ottoman maîtrisaient parfai-

tement et dont ils se servaient à l’occasion pour faire avancer leurs affaires comme l’analyse Julia Phillips Cohen dans ce numéro. Nous voici donc pris au jeu de nos ancêtres qui – en parfaits modernes – nous emportent dans un Orient de contes et légendes. Au terme d’une année très riche en rencontres et événements, nous nous apprêtons à célébrer le 9 décembre prochain les vingt ans d’Aki Estamos, les amis de la Lettre Sépharade avec une comédie musicale Bustan Sepharadi composée par l’ancien président d’Israël, Yizhak Navon et interprétée par la troupe Hamacom de Genève. Notre association se porte bien, nous n’avons jamais été si nombreux et pourtant notre succès reste très fragile, car il repose sur une (trop) petite équipe et sur un équilibre financier (trop) précaire. Nous vous invitons, en cette nouvelle année 5779, à nous rejoindre pour participer activement à nos activités et contribuer, vous aussi, à agrandir et embellir notre jardin sépharade. Anyada buena i dulse kon salud i alegriya !


KE HABER DEL MUNDO ? |

Ke haber del mundo ?

UN PEU DE POLÉMIQUE NE FAIT PAS DE MAL

À propos de l’assimilation du judéo-espagnol à l’espagnol L'été 2018 a vu rejaillir avec force et émotion une question que l'on pensait depuis longtemps résolue : celle de la place du judéo-espagnol 1 par rapport au castillan. Un débat qui a une incidence sur le mode de transcription du judéo-espagnol : doit-on l'écrire en calquant la graphie espagnole – quitte à ajouter des signes diacritiques pour tenir compte de ses spécificités – ou l'écrire d'une façon autonome comme cela s'est plus ou moins imposé ces dernières décennies en suivant la graphie de la revue Aki Yerushalayim. L'origine de ce débat tient à la volonté de l'Académie royale espagnole de créer une section consacrée au judéo-espagnol avec l'appui d'experts désignés par l'Autorité nationale du ladino en Israël. La première réunion de préfiguration de cette section a eu lieu en février dernier à Madrid comme nous en avions rendu compte dans ces colonnes. Le 20 juin 2018 s'est tenue à l'Institut Cervantès de Madrid une rencontre autour du judéoespagnol à laquelle participait notamment le

professeur Shmuel Refael, coordonnateur en Israël du projet d'académie judéo-espagnole. Lors de cet événement filmé 2, le professeur Refael a exprimé son opinion concernant la vocation de cette académie en gestation. Son rôle essentiel serait de « reconnecter » le judéo-espagnol à l'espagnol contemporain qu'il s'agisse de son lexique, de sa grammaire ou de sa syntaxe. Il qualifie au passage le mode de transcription actuel de « kakografia » suivant en cela une expression employée par feu le professeur Jacob Hassan. Prolongeant les propos tenus par Shmuel Refael, Jacob Israel Garzón, originaire de Tétouan et ancien président des communautés juives d'Espagne, souligne que le judéo-espagnol du Maroc a suivi un autre chemin que celui d'Orient et qu'il a eu, lui, « la chance » de se réhispaniser. Il considère qu'il s'agit de « deux dialectes espagnols » dont l'appropriation suppose aujourd'hui la connaissance préalable de l'espagnol. Notons au passage que l'ensemble des interventions se sont déroulées en espagnol et que le judéo-espagnol comme langue parlée était le grand absent de cette réunion. Avant de commenter ces propos, il convient de les remettre en perspective et de rappeler que, dès la fin du XIXe siècle, des ethnologues et des philologues s'intéressèrent aux communautés sépharades d'Orient et du Maroc. Leur regard sur ces communautés était tributaire d'une époque où le colonialisme était à son apogée et ils estimèrent qu'ils s'agissaient de sociétés fermées et arriérées dont la torpeur avait permis de sauvegarder le vieil espagnol du XV e siècle. C'est ainsi que le philologue Max Luria partit en 1930 au cœur des montagnes de Macédoine,

1. Notons tout de suite qu’il faut distinguer le judéo-espagnol d’Orient et la haketia du nord du Maroc dont les positions ne sont pas identiques par rapport au castillan contemporain. 2. Consultable sous le lien suivant : http:// www.radiosefarad .com/cuartatribuna-delhispanismoen-el-institutocervantes-eljudeoespanolmadrid-2062018/

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dans la communauté « isolée » de Monastir, pour y retrouver l'empreinte du plus « pur espagnol ». Comme si par la grâce d'un voyage, on parvenait à remonter le temps. Il fallut plusieurs décennies de travaux universitaires pour faire admettre que, loin d'être restées en autarcie, les communautés judéo-espagnoles ont vécu en symbiose avec leur environnement. Qu'elles ont ainsi incorporé et assimilé un grand nombre de termes et de structures propres au turc, au grec, à l'italien, aux langues slaves, au français, à l'hébreu ou à l'arabe. Que le soi-disant « vieil espagnol de Cervantès » avait en réalité suivi son propre développement durant 500 ans et que, malgré certaines apparences, il était le support d'une culture et d'une société qui n'avait plus grand-chose à voir avec l'Espagne. Cette réalité-là, les Judéo-espagnols ont eu parfois du mal à l'admettre, piégés qu'ils étaient par le prestige de toute culture venue d'Occident. C'est ainsi que la haketia du nord du Maroc, en présence de l'espagnol dès la fin du XIXe siècle, perdit rapidement ses locuteurs. En Orient, en revanche, les quelques tentatives de rapprochement – souvent le fait de lettrés – firent long feu. Le français, plus que toute autre langue, s'y est en effet imposé comme vecteur de la modernité. Le regard péjoratif qui entoura longtemps le judéo-espagnol – considéré comme une forme abâtardie de l'espagnol – a laissé la place à une réévaluation grâce aux recherches universitaires qui en ont démontré la richesse et le raffinement. Alors qu'il est menacé de disparition, le judéoespagnol est devenu une langue rare et précieuse, partagée et aimée par une élite de locuteurs conscients de leurs responsabilités. C’est ainsi qu’il faut interpréter l'avalanche de réactions suscitées sur le forum ladinokomunita par les propos tenus lors de la table-ronde organisée par l'Institut Cervantès. Elle démontre à quel point la vision développée à cette occasion relève d'un autre temps. On peut en tirer plusieurs leçons utiles pour l'avenir.

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Tous les intervenants ont manifesté leur attachement aux règles de transcription du judéoespagnol en caractères latins mises au point par la revue Aki Yerushalayim. Celles-ci sont incontestablement devenues d’usage courant et il n’est à la portée d'aucune académie de pouvoir les remettre en cause. L'Autorité nationale du ladino, dans une proclamation signée par sa présidente, la professeure Tamar Alexander a d'ailleurs reconnu qu'il s'agit de son mode de transcription officiel, en complément de l’utilisation des caractères hébraïques rachi. Plusieurs intervenants et notamment Karen Gerson Şarhon du centre sépharade d’Istanbul et le Dr Eliezer Papo, de l’université Ben Gurion du Neguev ont insisté sur le caractère de « langue ottomane » du judéo-espagnol d’Orient qui a vu le jour et s’est maintenu dans le contexte d’un empire pluri-ethnique. Rachel Amado Bortnick, fondatrice du forum ladinokomunita et Karen Gerson Şarhon ont mis l’accent sur l’importance du rôle de la diaspora pour faire vivre et transmettre le judéo-espagnol, un rôle totalement occulté par le projet d'académie du judéo-espagnol dont tous les correspondants sont israéliens. Mais faut-il encore s'inquiéter de ce projet d'académie mal inspiré et qui suscite une telle réprobation des principaux intéressés ? C'est peut-être l'ultime et positive conclusion de ce débat. Les locuteurs du judéo-espagnol ont fait la démonstration de leur vitalité et de leur résistance à tout esprit d'assimilation. Touchés au vif, ils ont su réagir et se mobiliser en plein cœur de l'été. Si l'on voulait une preuve que le judéoespagnol est une langue et non un dialecte, quelle meilleure démonstration que le scandale suscité par l'immixtion d'un organisme espagnol dans notre for intérieur linguistique ?

François Azar vice-président d'Aki Estamos AALS


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Henri Nahum

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Une communauté méconnue Magnésie Magnésie est le nom français de la ville que les Turcs appellent Manisa et les Grecs Magnasia. C’est le nom grec que les Juifs utilisent le plus souvent, avec la prononciation grecque g-n et non ny, ss et non z, accent tonique sur le i. Des deux Magnésie de l’Antiquité, celle-ci, Magnésie du Sipyle, est moins célèbre que Magnésie du Méandre. La ville est située en Anatolie occidentale, à l’intérieur des terres, à 70 kilomètres au nord-est de Smyrne, dans une petite plaine où coule la rivière et qui est bordée par une hauteur de 200 à 300 mètres. À l’époque byzantine, Magnésie compte 200 familles juives romaniotes hellénophones ; c’est un chiffre important pour l’époque. C’est vers Magnésie que se dirigent d’abord les Juifs

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Magnésie 1913. Zimboul Nahum, arrièregrand-mère paternelle d’Henri Nahum. Magnésie 1913.

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Classe à l’école de l’Alliance. Meir Nahum, père d’Henri Nahum est identifié par une croix. Magnésie 1912.

ibériques après 1492 et non vers Smyrne. Au XVI e  siècle, la communauté juive smyrniote doit même faire appel à un rabbin de Magnésie pour pouvoir célébrer le culte. Progressivement, la situation s’inverse du fait du déclin économique de l’Anatolie intérieure et de l’expansion de Smyrne ; une partie de la population juive de Magnésie quitte cette ville pour le grand port. Vers 1900, la population juive de Magnésie est d’environ 2 000 personnes sur une population totale d’environ 15 000 habitants : Grecs orthodoxes, Turcs et, en moins grand nombre Arméniens. C’est plus que celles des villes voisines, Cassaba, Salihli, Tireh, mais moins qu’Aïdin qui compte 3 000 Juifs, moins bien entendu que Smyrne. Le quartier juif de Magnésie est situé sur les hauteurs. Il est décrit sans complaisance par les instituteurs de l’Alliance, pourtant issus de commu-

nautés très semblables. « La plupart des maisons sont de vieilles baraques donnant généreusement accès au soleil et à la pluie, appuyées les unes sur les autres, penchées, sur le point de perdre leur centre de gravité. » Dans ce quartier se trouvent cinq synagogues ; l’une d’entre elles est une synagogue romaniote, une autre conserve précieusement un manuscrit du XIIIe siècle. Les Juifs de Magnésie sont tailleurs, cordonniers, ferblantiers, menuisiers, fabricants de tapis. Originalité par rapport à la grande ville, certains d’entre eux s’adonnent à l’agriculture et cultivent la vigne, l’olivier, le coton ; les plus aisés s’occupent d’exportation de produits agricoles et d’importation d’articles manufacturés. Autre originalité, le colportage de village en village, à dos d’âne ou à dos d’homme ; il n’est pas sans danger, d’autant plus que sévit dans la région une sorte de Mandrin local, Tchakirdji ; les agressions physiques sont KAMINANDO I AVLANDO .28 | 5 |


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Personnel de l’hôpital pédiatrique de Manisa posant avec le portrait du fondateur de l’hôpital Moris Şinasi. Photographie de Laurence Salzmann reproduite dans le livre Travel in Search of Turkey’s Jews (Libra, Istanbul 2011). Né en 1855 dans une famille juive de Manisa, Moris Şinasi émigra à l’âge de quinze ans à Alexandrie où il fut employé par un marchand de tabac grec. En 1892, il émigra à New York, où il mit au point un procédé de fabrication des cigarettes dont le succès lui assura la fortune. Il importa du tabac de Turquie et fit venir quelque 200 Juifs de sa ville natale pour travailler dans son usine. Après sa mort en 1928, sa veuve Laurette Schinasi, née Ben Rubi à Salonique, mit en œuvre son vœu de fonder un hôpital pédiatrique à Manisa.

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fréquentes et les meurtres non exceptionnels ; il est donc conseillé d’être armé et de recourir, en cas de besoin, à la force publique. Dans l’ensemble, les Juifs de Magnésie sont très pauvres. Un instituteur de l’Alliance décrit « la grande misère des israélites de Magnésie. Sur les 4 à 500 familles que compte la communauté, 250 au moins ne sont pas sûres du lendemain et doivent se contenter de 4 francs par semaine. Ces six ou sept personnes s’entassent dans une mauvaise chambre privée d’air ou de lumière, ne se nourrissent que de pain, de riz, d’huile et de quelques légumes au rebut, restent une fois sur trois sans manger ; la consommation de viande est en moyenne de 500 grammes par semaine et par famille. » La tuberculose fait des ravages, de même que l’alcoolisme,

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qui fait oublier la misère quotidienne. Les épidémies de variole ou de choléra sont fréquentes. Des tremblements de terre et des incendies ont détruit plusieurs fois le quartier juif. Ce qui domine aux yeux des instituteurs de l’Alliance, c’est l’ignorance de cette population où l’enseignement est confié à des rabbins routiniers et incultes, encore davantage le sens moral qui manque totalement, affirment-ils, aux Juifs de Magnésie. L’un d’entre eux parle sans bienveillance de rapacité, d’avarice, de mauvaise foi. « Le Juif de Magnésie, écrit-il, est ignorant, fanatique, frondeur, inhospitalier, indiscret, ingrat, envieux, prétentieux, vantard. » Ce sombre tableau est-il complètement exact ? On peut se poser la question. Il y a tout de même à Magnésie un Talmud Tora, fréquenté par la


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presque totalité des garçons juifs. Il y a dix sociétés de bienfaisance. Surtout, l’Alliance fonde une école de garçons en 1892, une école de filles en 1896. Y sont scolarisés 79 % des enfants en âge de l’être, ce qui est une proportion importante. On peut penser que l’enseignement est de bonne qualité puisque des enfants musulmans et chrétiens fréquentent ces écoles primaires juives. L’Alliance fonde aussi une école d’artisanat pour les garçons et pour les filles ainsi qu’un cabinet de lecture. Cette ode, un peu maladroite dans son emphase n’est pas complètement étrangère à la réalité : « Nous étions, je l’avoue, des êtres sans conscience/Nous vivions sans idées, nous marchions sans pensées/Sur nos pauvres terrains le charme de l’Alliance/A semé le bon grain et le fait prospérer/Des maîtres instruits choisis par l’Alliance/Nous montrent la voie qu’ignoraient nos parents. » Les critiques, certes, ne sont pas rares. Le centralisme de l’Alliance est jugé excessif. Le français comme langue d’enseignement est-il vraiment indispensable à Magnésie où il n’y a pas, comme à Smyrne, d’entreprises françaises ? Ne faut-il pas y adjoindre le judéo-espagnol, parlé par tous, le turc et le grec, indispensables aux échanges quotidiens ? Quoi qu’il en soit, l’Alliance forme des hommes nouveaux déterminés à devenir les dirigeants de leur communauté, à l’orienter vers le modernisme, à la sortir de son enfermement. La proximité de Smyrne, bientôt reliée à Magnésie par une voie ferrée, ne peut que leur faciliter la tâche. Parmi ces hommes nouveaux, on peut citer Maurice Eskenazi (Şinasi) qui s’est spécialisé dans la culture et la manufacture du tabac, les a développées en Égypte, les a introduites aux ÉtatsUnis ; il fera don d’un hôpital à Magnésie. On peut aussi citer Haïm Nahum qui, grâce à l’aide de l’Alliance fait ses études à Paris au Séminaire, aux Langues orientales et à l’Institut des hautes études, est envoyé en mission chez les Falachas en Éthiopie, devient grand rabbin de l’Empire ottoman, fait partie de la délégation turque à la Conférence de Lausanne avant de terminer sa carrière comme grand rabbin d’Égypte.

Qu’en est-il des relations intercommunautaires ? Elles sont correctes avec les Turcs. Beaucoup de Juifs parlent turc. Talaat bey, l’un des triumvirs Jeunes-Turcs a été élève de l’Alliance. Il visite Magnésie et déclare : « De tout temps, les Juifs se sont concilié notre estime. Nous avons tiré un grand profit de leur présence parmi nous. » Avec les Grecs, les relations traversent des phases diverses. Beaucoup de Juifs parlent grec. Des amitiés individuelles se sont nouées. Mais on ne peut nier une hostilité collective. Des accusations de meurtre rituel éclatent à plusieurs reprises. L’atmosphère est toujours tendue pendant la période de Pâques. Il y a des efforts certains de part et d’autre. Lorsque le métropolite grec meurt, une délégation juive se rend à l’office, accompagnée d’une trentaine d’élèves, écharpe noire au bras ; on rend hommage à « cet homme de bien, juste et loyal, bon et généreux envers les israélites », le lendemain, les notables grecs viennent remercier la communauté juive. « Souhaitons que pareilles démonstrations d’amitié soient sincères et durables. » Elles ne le sont pas. Lors de la guerre gréco-turque de 1897 qui aboutira à l’autonomie de la Crète, les Grecs de Magnésie, de nationalité ottomane, prennent parti pour la Grèce et arborent le drapeau hellénique ; les Turcs décident de boycotter les boutiques grecques ; les Juifs se joignent à ce boycott. Les Grecs ripostent par un contre-boycott des boutiques turques et des boutiques juives. La tension est vive ; les conséquences économiques sur la communauté juive sont réelles. Les années qui précèdent la Grande Guerre sont marquées par l’arrivée au pouvoir des JeunesTurcs. Ils proclament l’égalité de tous les citoyens ottomans, donc le service militaire obligatoire pour tous. Les conf lits sont ininterrompus : guerre italo-turque de Tripolitaine, guerres balkaniques. Les Juifs astreints au service militaire sont en général affectés à des travaux de terrassement. Beaucoup d’entre eux, soutiens de famille, préfèrent émigrer et faire venir ensuite leurs proches. Le sionisme fait, d’autre part, son appari-

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tion ; il divise la communauté juive et entraîne la méfiance des gouvernements turcs. 1914, la guerre. Le directeur de l’école de l’Alliance, muté à Téhéran, ne peut pas rejoindre son poste ; il est mobilisé. « La misère s’installe, écrit-il, il n’y plus aucun débouché pour les produits agricoles, les marchés sont déserts. » L’école est transformée en hôpital. Après l’armistice de Moudros le 30 octobre 1918, la Grèce obtient des Alliés, en mai 1919, le droit d’occuper Smyrne et sa région, occupation entérinée en août 1920 par le traité de Sèvres qui stipule qu’un plébiscite doit décider cinq ans plus tard du sort de Smyrne et de tout l’arrière-pays, y compris Magnésie. Les Juifs sont très réticents à l’idée du rattachement probable de leur ville à la Grèce. Ils craignent des incidents analogues à ceux qui se sont produits lors de l’annexion de Salonique et de la Macédoine à la Grèce. Ils sont, en fait, devenus fréquents. Ils mettent dans l’embarras les autorités grecques qui pensent à la consultation populaire prévue par le traité de Sèvres. Les Juifs sont très prudents, n’assistent pas aux manifestations officielles grecques, refusent de signer une pétition pro-grecque. Dès l’annonce du traité, Mustafa Kemal a déclenché une insurrection et constitué une armée qui s’attaque à l’armée grecque. Offensives et contre-offensives se succèdent. Magnésie est en pleine zone d’opérations militaires. Des réfugiés y affluent de partout, de Cassaba, de Pergame, de Salihli, de Tireh, et surtout d’Aïdin prise, perdue et reprise plusieurs fois. Ils sont hébergés dans les synagogues, nourris de pain et d’huile, évacués vers Smyrne où ils sont rejoints par une partie des Juifs de Magnésie. Dans toutes les villes de l’intérieur, la misère est devenue affreuse, l’inflation galopante. Le sionisme est en pleine expansion et enthousiasme la communauté. Pendant toute la guerre, l’enseignement de l’Alliance s’est poursuivi dans des locaux de fortune. Après l’armistice, l’école rouvre ses portes. Elle demande la protection française. Elle lui est accordée sans réticence. On l’autorise à hisser le drapeau tricolore et à échapper ainsi à la réquisition grecque.

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Le Consul général de France à Smyrne visite l’école de Magnésie et déclare : « Nous autres Français aimons beaucoup les israélites car bon nombre d’entre eux se sont battus et sont restés sur le champ de bataille avec les nôtres. » Les enfants entonnent la Marseillaise, oubliant que France et Turquie ont combattu pendant plus de quatre ans dans des camps opposés. Août 1922, c’est l'offensive finale de Mustafa Kemal et la déroute grecque. Les Grecs de Magnésie fuient la ville pour gagner Smyrne où les attend un sort dramatique. Avant de quitter la cité, ils y mettent le feu. Maisons, églises, mosquées brûlent. Du quartier juif, il ne reste rien, rien des écoles, rien des synagogues, rien du précieux manuscrit. Rien. La population juive est évacuée autoritairement en train. Elle est dans un état déplorable, hébergée et nourrie tant bien que mal. Certains de ses membres resteront à Smyrne, d’autres émigreront. En 1927, il y a 278 Juifs à Magnésie, campant dans les ruines. Ils seront 308 en 1945. Aujourd’hui, Manisa, qu’on n’appelle plus Magnésie ni Magnasia, reconstruite, est une belle ville moderne au milieu d’une plaine fertile et riante. Peu de ses habitants se souviennent du passé millénaire grec et juif de leur ville, disparu à jamais. Deux Juifs de Magnésie, revenus dans leur ville une douzaine d’années après l’avoir quittée n’ont pas reconnu leur quartier, n’ont pas retrouvé leur chemin. Combien y a-t-il de Juifs à Magnésie dans les années 2010 ? Probablement aucun. Bibliographie : – Archives de l’Alliance israélite universelle – Abraham GALANTE, Histoire des Juifs d’Anatolie 2e vol., Istanbul, Babok, 1939, Les Juifs de Manissa (Magnésie) p. 70-100 – Souvenirs familiaux – Henri NAHUM, Juifs de Smyrne XIXe - XXe siècle, Paris, Aubier, 1997 – Henri NAHUM, La Grande Guerre et la guerre gréco-turque vues par les instituteurs de l’Alliance Israélite Universelle d’Izmir, Istanbul, Isis, 2003


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Djamila Nahum, Kaden Gaguin, Refka Saban, grand-tantes paternelles d’Henri Nahum. Magnésie 1913.

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Julia Phillips Cohen

Le sépharadisme ottoman et le commerce des produits d’Orient Julia Phillips Cohen est professeure associée au département d’histoire de l’université Vanderbilt. Elle a soutenu sa thèse en 2008 à l’université de Stanford sous la direction du professeur Aron Rodrigue. Elle est notamment l’auteur de Becoming Ottomans : Sephardi Jews and Imperial Citizenship in the Modern Era (New York. Oxford University Press. 2014) et en collaboration avec Sarah Abrevaya Stein de Sephardi Lives : A Documentary History, 1700-1950 (Stanford University Press. 2014). Ses recherches récentes l’ont amenée à s’intéresser à la façon dont les Sépharades de l’Empire ottoman concevaient leur image et pouvaient être conduits à l’exploiter dans leurs activités commerciales. Lors de l’université d’été judéo-espagnole 2018, elle a évoqué cet aspect de « l’orientalisme des Orientaux » à travers le personnage pittoresque de Far Away Moses popularisé par Mark Twain et de son successeur Robert Lévy.

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Dans la seconde moitié du XIXe siècle, deux marchands juifs ottomans ont parcouru le monde, vendant aussi bien leurs produits orientaux que leur propre personnage. Suivre leur parcours permet d'observer la façon dont ils se mettaient en scène comme Orientaux et participe ainsi aux études concernant l'orientalisme vu d'Orient. Au cours des dernières décennies, de plus en plus de chercheurs s’appuyant sur les travaux de l’orientaliste Edward Saïd se sont intéressés à ce phénomène, qui a été décrit par différents auteurs comme de « l’auto-orientalisme » ou « l’orientalisme des Orientaux ». Bien que ces études proposent différentes approches, toutes cherchent à comprendre comment des Orientaux autoproclamés ont participé à la production de l’orientalisme. Cette focalisation sur « l’orientalisation » de « l’orientalisé » montre qu’il s’agit d’un thème important et récurrent tout en nous rappelant que, même s’il existe des relations de pouvoir asymétriques dans le monde, la capacité à se représenter n’existait (et n’existe pas) d’un seul côté de la frontière imaginaire entre Orient et Occident. Selon l’anthropologue Richard Fox, une telle démarche nous fait atterrir « à l’est de Saïd », puisque, selon lui, la théorie de l’orientalisme d’Edward Saïd « ne va pas aussi loin que l’orientalisme lui-même » et échoue à prendre en compte la façon dont l’orientalisme en est venu à structurer la conscience des Orientaux. Un domaine de la recherche sur l’orientalisme a mis en évidence l’utilisation stratégique que faisaient des individus de leur discours et de leur pratique afin d’en tirer des avantages politiques ou financiers. Ces recherches montrent comment des personnes mettent sciemment en avant leur exotisme pour répondre aux attentes du public européen et américain et la façon dont ces soi-disant « Orientaux » ont réussi à servir leurs propres intérêts en jouant sur les stéréotypes assignés par d’autres. Ces travaux vont de l’étude des danseurs du ventre turcs contemporains à l’histoire des entrepreneurs sino-américains qui

ont contribué à fonder les quartiers chinois de l’Amérique du Nord. En fin de compte, pour comprendre les motivations de ces Juifs de l’Empire ottoman qui ont choisi de s’identifier à l’univers oriental, il faut s’appuyer sur les différentes études de l’orientalisme qui portent sur ses utilisations stratégiques ou son intériorisation. Le fait de « jouer à l’Oriental » a aidé les Juifs ottomans à se constituer un capital social, culturel et politique, ainsi qu’économique, tant dans leurs voyages que chez eux. L’histoire des marchands ottomans de produits orientaux offre des exemples éclairants de la manière dont les attitudes commerciales et idéologiques peuvent coïncider et même se renforcer mutuellement. La première histoire débute vers 1860, lorsqu’un juif « oriental » autoproclamé a commencé à attirer l’attention des étrangers en proposant des visites de l’Istanbul ottomane. L’homme s’appelait « Far Away Moses », drogman 1 juif ottoman, guide et « marchand de tapis, de broderie et de toutes sortes de produits orientaux ». Far Away Moses était réputé pour sa connaissance de nombreuses langues, et particulièrement de l’anglais, semble-til. Déjà en 1863, un médecin britannique de retour de l’Empire ottoman décrivait Far Away Moses comme une figure bien connue d’Istanbul, et le meilleur drogman que la « Ville du Sultan » avait à offrir. En 1868, un autre chroniqueur affirmait « qu’à côté du sultan, et peut-être de son grand vizir, la personne la plus fameuse dans la capitale du monde mahométan est Far Away Moses ». En 1869, lorsque Mark Twain publia un récit de ses voyages au Levant et en Terre Sainte intitulé The Innocents Abroad, il y inclut une description et une gravure de Far Away Moses, qui avait été son guide dans la capitale ottomane. La petite photographie de Far Away Moses qui est restée en possession de l’auteur américain a peut-être servi d’inspiration pour l’image qu’il a finalement placée dans son livre, mais contrairement à une autre gravure contemporaine de Far Away Moses, la version publiée par Twain n’était pas une réplique exacte de l’image sur la carte.

Le drogman est au départ un interprète oriental, mais ses fonctions vont au-delà : agent, négociateur, chargé de mission, il assiste les diplomates et voyageurs occidentaux dans leurs relations avec le monde ottoman.

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À droite, Far Away Moses tel que reproduit dans le livre de Twain The Innocents Abroad (1869). À gauche, la photographie ayant servi d'inspiration.

La description et le dessin de Twain ont scellé la bonne fortune de Far Away Moses. Il n’a pas fallu longtemps au guide juif ottoman pour s’en rendre compte. Juste après la parution du livre, il a commencé à se rendre régulièrement au consulat américain d’Istanbul afin d’en emprunter un exemplaire et de « lire le chapitre sur lui-même » aux touristes anglais et américains. Également par l’intermédiaire des bureaux du consul, il a demandé une copie du chapitre dans lequel il était mentionné afin de pouvoir l’utiliser comme publicité. Mark Twain a satisfait à la requête de son ancien guide, comme l’indique clairement une note de 1870 à son éditeur. Far Away Moses avait l’habitude d’adapter son personnage à la littérature de voyage qui le concernait. En fait, comme il l’a révélé à des touristes curieux, il n’a commencé à utiliser son célèbre pseudonyme qu’après qu’un guide lui eut

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donné ce nom. Il a façonné son image en conséquence. Des pantalons très amples, une veste en soie, une large ceinture, des pantoufles jaunes pointues et un glorieux fez que Twain avait décrits sont devenus la signature emblématique de Far Away Moses, une représentation dont il ne s’écartera que légèrement au fil du temps lorsqu’il posait pour des photos. Cette tenue – tout-àfait ordinaire du point de vue de la garde-robe ottomane du milieu du XIXe siècle - est devenue le costume qu’il portait pour se représenter. Il a également découvert que son nom pouvait servir de marque commerciale. Lorsque deux marchands ottomans se sont associés pour fonder une entreprise spécialisée dans les produits orientaux, ils se sont attaché les services de Far Away Moses, utilisant sa notoriété pour bâtir leur réputation. C’est ainsi qu’est née la « Far Away Moses & Company ».


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Très vite, le célèbre guide a mis un terme à sa première carrière. Troquant sa place avec les touristes qu’il avait si souvent accueillis sur les quais d’Istanbul, Far Away Moses s’embarqua pour les États-Unis, où il établit plusieurs succursales de la nouvelle entreprise dont il était le représentant. Parmi celles-ci, on citera le siège social d’Union Square, à New York, les magasins du Palmer House Building de Chicago ou encore sur Chestnut Street à Philadelphie. Il se rendit également à l’Exposition universelle de 1873 à Vienne et exposa ses marchandises lors de l’exposition du Jubilé des États-Unis en 1876 à Philadelphie. Lorsqu’à la fin de la décennie il est finalement retourné dans la capitale ottomane, il a continué à vendre les tapis de l’entreprise à des clients américains lors de ventes aux enchères. Sur la publicité réalisée lors de l’une de ces ventes, à la fin des années 1880, une gravure de Far Away

Moses est reprise directement de celle figurant dans The Innocents Abroad. De toute évidence, l’ancien drogman avait compris qu’il n’avait plus besoin d’apparaître en personne pour vendre ses divers objets : un logo de la mystérieuse et excentrique figure orientale que Twain avait esquissée deux décennies auparavant faisait son travail pour lui. Alors qu’aux États-Unis, le nom et l’image de Far Away Moses étaient devenus une référence courante pour les acheteurs de produits orientaux, à Istanbul, l’entreprise a finalement pris le titre moins exotique de ses deux associés, Elia Souhami et Sadullah Effendi, respectivement juif et musulman. Bien que ce changement en Souhami Sadullah & Co. paraisse marquer une prise de distance par rapport à l’affichage oriental des premières années de l’entreprise, son approche de la publicité semble avoir peu changé. En promouvant son offre éclectique d’antiquités, de broderies et de tapis provenant des quatre coins du monde musulman, l’entreprise répondait à un marché occidental où différents articles orientaux étaient exposés et achetés côte à côte. À titre d’exemple, on peut citer les lanternes PersianMoorish [Mauro-perse] mentionnées dans la publicité ci-contre. L’utilisation d’expressions telles qu’Oriental bric-à-brac et Oriental ornaments and curiosities est tout aussi révélatrice et démontre à quel point les représentants de l’entreprise ont adopté le point de vue de l’étranger sur les articles qu’ils vendaient. Vers la fin du XIXe siècle, cependant, d’autres facteurs que l’orientalisme sont venus influencer la façon dont les représentants de l’entreprise diffusaient leurs produits. Depuis le retour de Far Away Moses dans la capitale ottomane, l’entreprise s’est développée principalement en vendant ses marchandises à des touristes européens et américains de passage à Istanbul. Au début des années 1890, un jeune Américain du nom de Cyrus Adler, alors professeur adjoint à l’Université Johns Hopkins, a contribué à changer cela. Adler était arrivé à Istanbul à la fin de 1890 en tant que représen-

Publicité où figure l'image de Far Away Moses tirée du livre The Innocents Abroad.

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Cette photo est tirée du livre Official Views of the World’s Columbian Exposition montrant les employés du bazar turc lors de l’exposition universelle de Chicago en 1893. La compagnie a pris le nom de ses partenaires Souhami and Sadullah. Far Away Moses figure sur la photo.

tant américain chargé d’organiser l’exposition des produits moyen-orientaux lors du jubilé de la découverte des Amériques à Chicago. Lors de son séjour dans la capitale ottomane, il a rencontré Far Away Moses, Elia Souhami, Sadullah Effendi et leur nouveau représentant Robert Lévy qui, d’après un auteur, serait le fils de Far Away Moses. Adler n’a pas seulement été impressionné par ces hommes, mais aussi par leur boutique du Grand Bazar, qu’il a jugé être la plus belle parmi toutes celles qu’il avait vues. Avec son soutien, l’entreprise a remporté l’appel d’offres pour l’organisation du pavillon ottoman lors de l’Exposition universelle. Ses partenaires étaient désormais chargés de représenter leur gouvernement sur la scène internationale en concevant un pavillon qui pourrait être considéré comme authentiquement ottoman, ou « turc » comme les Américains et les Européens étaient plus enclins à l’appeler.

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Le contrat, préparé par le ministère ottoman du Commerce et des Travaux publics, précisait que Souhami Sadullah & Co. serait responsable de la construction du pavillon impérial lors de la foire et du transport de toutes les marchandises de l’Empire ottoman aux États-Unis. Le contrat spécifiait en outre que seules des marchandises ottomanes devaient être vendues. En quelques mois, l’entreprise était devenue la dépositaire des productions et du prestige de l’Empire ottoman à l’étranger. Elle demeurait certes privée. Robert Lévy la représentait sur place, tandis que deux fonctionnaires civils ottomans étaient nommés comme commissaire impérial et commissaire adjoint à l’exposition. Cependant, une fois les préparatifs de l’exposition commencés, la distinction entre représentants officiels et non officiels du gouvernement impérial s’est révélée floue. Lorsque le commissaire ottoman à Chicago dut revenir dans l’Empire


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pour des raisons de service, il laissa Lévy et son commissaire adjoint en charge « d’agir en son nom à tous les titres ». Que ce soit pour cette raison ou tout simplement par ignorance de son rôle d’entrepreneur privé mandaté par le gouvernement ottoman, les journalistes de Chicago en sont venus à désigner Lévy par des titres comme « Effendi Lévy, commissaire impérial à l’Exposition universelle » ou « le représentant du sultan ». L’auteur de l’un de ces articles a accordé à Lévy le titre de « commissaire turc à l’Exposition universelle », suggérant non seulement que le marchand de tapis d’Istanbul était un représentant du gouvernement, mais aussi qu’il pouvait être considéré comme authentiquement « turc ». Far Away Moses, désormais âgé, se rendit également au pavillon ottoman de la foire universelle de Chicago. Certains l’identifièrent comme un personnage clairement juif, tandis que d’autres le considéraient simplement comme un Oriental. Les spectateurs ont projeté sur lui nombre d’identités bien que sa présentation ait peu changé. Parfois, Far Away Moses semblait incarner l’Orient des Mille et une Nuits, comme lorsqu’un auteur le décrit comme un « magicien oriental ». D’autres fois, il est dépeint comme un « Israélite remarquable », un indubitable « Hébreu », voire un « Shylock ». Malgré toutes les précautions prises à cet effet et le fait que son pseudonyme indiquait clairement que son porteur était juif, certains observateurs semblent avoir pris Far Away Moses pour un musulman. Différents journalistes l’ont ainsi désigné comme un Turc, un Égyptien, un Perse et un Algérien à tour de rôle, ce qui n’empêchait pas ceux qui en parlait de le trouver à chaque fois captivant et exotique. Ce n’est peutêtre pas par hasard si dans une brochure illustrée de la foire, se trouve une image représentant un « turc en costume » dont la tenue reprend presque à l’identique celle désormais célèbre de Far Away Moses. Comme celui-ci, le personnage illustré portait une barbe blanche. Far Away Moses semble avoir été moins préoccupé par ces questions que par la préservation de

l’image que Mark Twain lui avait donnée. Selon un chroniqueur de la foire, il était si fier de sa distinction que si on l’avait interrogé sur son identité, il aurait répondu : « Si vous ne croyez pas que je suis bien lui, regardez à la page 382 du livre. » Une autre cliente a mentionné qu’alors que son groupe se reposait « après avoir parcouru le grand stock » de marchandises orientales exposées par sa compagnie, Far Away Moses a sorti une copie du livre de Twain où l’on pouvait trouver sa photo. « La page était clairement marquée, expliqua-t-elle, et il était évident qu’il souhaitait que notre mémoire soit rafraîchie par ce que l’auteur avait dit de lui ». Mis à part

Far Away Moses tel qu’il apparaît dans Portrait Types of the Midway Plaisance, un livre de photographies de 1893 publié lors de l’exposition du Jubilé de la découverte des Amériques.

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Robert Lévy en tenue folklorique de zeïbek (bandit d'honneur) ottoman .

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ces actes personnels d’autopromotion en Oriental, il reste cependant difficile de se faire une idée complète de l’image que Far Away Moses cherchait à se forger dans ce monde. Il n’en va pas de même pour Robert Lévy qui a clairement établi les liens entre son activité de commerçant en produits orientaux et son allégeance à l’Empire ottoman. Dès son arrivée à Chicago, il a tenu à faire un grand étalage de son patriotisme auprès de la presse locale. Dans un article décrivant une réunion d’organisateurs de la foire au Palmer House Hotel de la ville – le même bâtiment où Far Away Moses avait établi une succursale de son entreprise deux décennies plus tôt – un journaliste du Chicago Daily Tribune décrit Lévy comme un « Turc enthousiaste », un « ardent patriote » qui déclarait qu’il « était prêt à verser la dernière goutte de son sang… pour défendre son pays ». Comme preuve, l’auteur de l’article a rapporté la discussion de Lévy avec les responsables américains en charge de l’Exposition. La conversation s’était enflammée à mesure qu’ils abordaient le sujet des Dardanelles. Lévy n’a pas tardé à avertir son auditoire que si les grandes puissances persistaient à défendre le passage des navires de guerre russes à travers les détroits, il s’en suivrait une conflagration mondiale. Puis, selon le journaliste américain qui en a tenu la chronique, Lévy a poursuivi d’une « façon très véhémente », en demandant quel mal l’Empire ottoman avait pu causer aux nations d’Europe « pour qu’elles doivent toujours nous infliger des injustices et de grandes blessures ? » Son pays était ouvert à tous, a-t-il ajouté, et les marchands européens y voyageaient et y commerçaient sans aucun souci. « Mais des traités sont conclus avec nous et ensuite rompus ; des promesses sont faites, mais ne sont jamais honorées ». Par ces mots, Lévy – qui utilisait l’orientalisme en faisant étalage de ses marchandises et en dirigeant le pavillon turc en costume oriental – s’est également proclamé un ardent patriote ottoman.


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Ce faisant, il a apparemment gagné le respect de ses interlocuteurs pour lesquels la ferme défense de son pays constituait la plus haute valeur qu’une personne puisse manifester, et donc un signe sûr de progrès. Les proclamations patriotiques de Lévy à Chicago n’étaient pas les seuls signes d’une identification croissante à l’Empire parmi les représentants de la Souhami Sadullah & Company. Bien après la clôture de la foire, l’entreprise a continué à mettre en avant sa qualité de concessionnaire ottoman à l’exposition de Chicago. Bien qu’elle ait rapidement ajouté des marchandises non ottomanes à son catalogue publicitaire de tapis turcs, d’antiquités et de « curiosités orientales », la compagnie a conservé sa nouvelle identification à l’Empire d’autres façons, comme lorsqu’elle a placé un drapeau ottoman sur une publicité de 1895. Ce changement dans l’image de soi suggère que, tout comme la vente d’articles orientaux avait autrefois favorisé la figure d’un marchand oriental tel que Far Away Moses, le fait de promouvoir les productions ottomanes a permis de conjuguer intérêts mercantiles et projets étatiques. Qui plus est, il avait eu pour effet de transformer des gens comme Robert Lévy, et tous les représentants d'Elia Sadullah Souhami & Co. en Ottomans. Ils sont devenus, en un sens, ce qu’ils vendaient. Communication traduite de l'anglais.

En haut : Robert Lévy en costume ottoman. Ci-contre : Publicité de la firme Sadullah, Lévy et veuve Souhami où figure le drapeau ottoman.

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El kantoniko djudyo

Chronique de la famille Arié de Samokov Grandeur et chute de la maison Arié à Vidin Nous poursuivons la publication bilingue de la chronique de la famille Arié de Samokov. Ce tapuscrit, qui comprend plus de 2 200 pages en judéoespagnol transcrit en caractères latins, retrace la vie d’une famille de grands commerçants sépharades de Bulgarie du milieu du XVIIIe siècle jusqu’au début du XXe siècle. Au fil des pages, ce n’est pas seulement la chronique de la vie commerciale dans l’Empire ottoman que l’on découvre, mais aussi les mœurs et coutumes, les relations intra et intercommunautaires et l’arrière-plan social et politique.

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n este anjo de 5548, eyos los 3 ermanos eran fuertamente okupados sovre el etcho de sus butika i ansi eran ke ivan siempre engrandesiendolo, i les iva yendo muntcho avante, asta el grado ke les kayo engrandisieran la butika i se tomaran las personales sus padre, era yeno de alegriya i mas non iva muntcho por la butika ni menos ke los embezava en nada, eyos los 3 ermanos se metieron de akordo por apartarsen sovre los enkamenamientos de los etchos de la butika, i resivirsen kada uno de los 3 ermanos, a una direksion a kada uno, i kon la kontentes del sus Sr. Padre, eyos izieron kontratos, deklarandosen el kapital de sus Sr. Padre i las partes ke van a tener kada uno en las ganansias, i izieron, ke va a tomar la metad de la ganasia el padre, kon ke tiene de gastar el padre, todo el menester por el mantenimieto para todos eyos todo tiempo ke estan en una meza i kuanto por su vistir ke se van a gastar kada uno por sus kontos, i kon la otra metad ke tinia de ser para todos los 3 ermanos a igual parte. Kuanto a sus reglamiento de la butika, lo izieron de okuparse el Sr. Chemoel, solo por azer los empleos de las ropas i la admenestrasion de el etcho de la butika entera, i el Sr. Ishak, yevar los kuentos, i la korespondensia, i el Sr. Abraam, el vendedor de las ropas en detalio, i azer saver a el Sr. Chemoel, los artikolos ke mankaran en la butika sovre, eyo todos los 3 djusto i sus Sr. Padre, se afirmaron kontratos, i kontinuaron en sus negosio, i fueron siempre profitando, i muntchiguando sus etchos i lo todo kon la union Ermandad guadravan asta el punto del kavo, i todos a la una lavoravan sin kansarsen, i sus Sr. Padre, visto a todo esto se iva konsolandose i artando de la alegria, el salia a la plasa en algunos dias ke lo mas muntcho se iva ande los begis turkos a pasar la ora, i tambien se iva a el Midrach, para estudiar en la Gemara, sigun ditcho ke lo konosia muntcho bien este estudio.

Bannie de Vienne par un édit impérial, la famille Arié s’est d’abord établie à Vidin en 1775, sur les bords du Danube. C’est là que le patriarche Moche A. Arié, soutenu par ses trois fils Samuel, Isaac et Abraham développe avec succès un premier négoce. Pour s’approvisionner, il se rend régulièrement à Constantinople en passant par Edirne. Dans ce nouveau chapitre, nous le voyons transmettre toute la responsabilité de son commerce à ses fils avant son décès survenu vers 1789. Sa disparition précède de peu la ruine de sa famille lors du pillage de la ville de Vidin par des mercenaires débandés. Cette année 5548 1, les trois frères étaient très occupés par leur travail à leur boutique et ainsi ils la développaient toujours et ils avançaient beaucoup jusqu’au point où ils durent l'agrandir et prendre du personnel. Leur père était comblé de joie. Il n’allait plus beaucoup à la boutique et n’avait plus rien à leur apprendre. Les trois frères se mirent d’accord pour se répartir les tâches nécessaires à la marche de la boutique. À chacun des frères échut un rôle. À la satisfaction de leur père, ils établirent des contrats, déclarant le capital paternel et la part que chacun recevrait des profits. Ils décidèrent qu’à leur père reviendrait la moitié des gains avec laquelle il devrait assurer toutes les dépenses courantes tant qu’ils vivraient ensemble [litt. à une même table]. En ce qui concerne l’habillement, chacun assumerait les dépenses de son côté. L’autre moitié des gains serait partagée à parts égales entre les trois frères. En ce qui concerne la gestion de la boutique, ils chargèrent le seul Samuel de l’achat des marchandises et de l’administration de toutes les affaires du commerce. Isaac devait s’occuper de la comptabilité et de la correspondance et Abraham vendre les marchandises au détail et faire connaître à Samuel les articles qui viendraient à manquer à la boutique. Les trois frères et leur père signèrent ensemble les contrats et poursuivirent leur commerce. Ils accroissaient et développaient toujours leurs affaires tout en restant fraternellement unis jusqu’au bout, travaillant tous comme un seul homme sans se lasser. Leur père en voyant tout cela se réconfortait et était comblé de joie. Il sortait certains jours en ville, la plupart des fois

1. 1787/88.

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El Sr. Chemoel, ke es el ermano grande, i kon la kontantes de todos eyos se pronto, por azer el viaje a Kostan, i en mizmo tiempo ir tambien i a Brusa, i en pokos dias ke ya estuvo pronto partio por su viaje, i denpues ke estuvo en Kostan i eskapo todos sus empleos ke fueron muntchos mas grandes, partio tambien i a Brusa, i topo muntchos artikolos konvinientes para sus butika, komo dimalos para alimpiar la kara i modos de los dimalos de banyo, i aparte muntchas maneras de ropas ke las lavoran en Brusa, por vistimientas i mobilias de kaza i otras mas ansi ropas i lo todo muntcho konvenibles i ansi era ke podia azer grandes konsumasianes i tambien la konkorensia, ke avian i otros muntchos merkaderes de ansi artikolos en Vidin. En este anyo de 5549, el Sr. Moche A. Arie, ke ya lo via ke sus ijos ya enkaminavan la butika, mijor de esto ke era menester, fue ke mas non abachava a la plasa ni menos ke vijitava la butika, solo era las notches kuando vinian a kaza los ijos le raporteavan al Padre todo esto ke les paso mientres el dia, ansi era ke se estava en kaza, ma esto non le fue tanto bueno para la salud porke dia kada dia iva yendo mas flako, ke kale dizir puede ser porke se aparto enteramente de el djemnastik ke lo tenia kuando estava en la butika, kijendo dizir ke kale la persona non deche su lavoro ke lo lavoro fin a su vejes seya kon las fuersas fizikas seya kon estas de meoyo, i en retirandose enteramente kale seya le aflaka la sirkulasion de la sangre, i le viene flakezas, i de los muntchos modos de madjunia ke tomava a razon ke en akel tiempo non avian medikos komo ay agora, ke era solo (…) ansi madjunes ke avian maestros ke los savian azer i tambien savian por kualo emplearlos, ma torna kon todo non le ayudava en nada era solo ke iva apokandose, i siendo ke era muy sano era ke lo iva somportando, de esta flakeza ke iva tiniendo el Sr. Moche, le fue a sus ijos grande ansia. El Sr. Moche, ke los via a sus ijos atagantados siempre los akonsejava porke non se deskorajaran, i ke ya le pasara, i ke non decharan atras nada de sus etchos, i ke seyan kurajosos, ke altramente,

2. 1788/89.

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pour aller passer le temps chez les notables turcs et aussi au midrash pour étudier dans la guemara dont il était un érudit. Samuel qui était l’aîné, avec l’assentiment de tous, se prépara à faire le voyage de Constantinople et en même temps se rendre à Brousse. En peu de jours, il fut déjà prêt et partit en voyage. Après avoir été à Constantinople et achevé tous ses achats qui étaient beaucoup plus importants, il partit aussi pour Brousse et trouva beaucoup d’articles satisfaisants pour leur boutique comme des serviettes [dimalos] pour se laver le visage et des sortes de serviettes de bain et toutes sortes de marchandises que l’on faisait à Brousse pour se vêtir ou meubler la maison et d’autres sortes de marchandises, le tout très convenable. Ainsi ils pouvaient faire de grandes ventes et faire face à la concurrence, car il y avait aussi beaucoup d’autres marchands qui vendaient ces articles à Vidin.

Maladie de M. Moche A. Arié En 5549  2 , M. Moche A. Arié qui voyait déjà que ses fils dirigeaient le commerce mieux qu’il n’était nécessaire ne sortit plus en ville ni à la boutique. Cependant, les nuits, quand ses enfants rentraient, ils rapportaient au père tout ce qui leur était arrivé pendant la journée. Ainsi il restait à la maison, mais cela ne lui fut pas très profitable pour la santé, car chaque jour il s’affaiblissait. Il faut dire que c’était peut-être parce qu’il ne faisait plus du tout d’exercice [gymnastik] comme lorsqu’il était à la boutique. Ce qui signifie qu’on ne devrait pas quitter son travail et qu’on devrait travailler jusqu’à la vieillesse que ce soit physiquement ou mentalement. En se retirant complètement, il se peut que sa circulation du sang se soit affaiblie et qu’il ait été pris de faiblesses. De toutes les sortes d'onguents qu’il prenait – car en ce temps-là il n’y avait pas de médecin comme il y en a aujourd’hui –, il n’y avait que des onguents [madjunia du turc madjun : pâte médicinale] que préparaient des maîtres-guérisseurs [maestros] et dont ils connaissaient l’emploi. Mais rien ne l’aidait. Il n’allait qu’en s’affaiblissant et étant donné qu’il était d’une constitution très saine, il le supportait. La faiblesse qu’avait M. Moche


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pueden tener algunos danyos, i sus ijos kontinuavan sigun antes, solo ke estavan pensativles por sus padre, esto le tuvo serka 3 mezes i denpues le paso todo i kada dia se iva a la butika i se estava la manyana 2 oras i denpues de medio dia tambien 2 oras, ke esto lo azia para tener algo de enbivisimiento, fue ansi pasando algo de tiempo. Las mujeres en kaza eran todas muy aunadas eyas non tinian entre eyas dingunas diferensias, non se davan kechas de las unas a las otras kuando alguna de entre eyas non iva tanto presto por los lavoros de la kaza, eyas eran todas akurat i lavoraderas sin kansarsen, eyas se katavan muntcho de las unas a las otras, a la esfuegra non la dechavan lavorar, toda koza del menester de la kaza si se demandava de sus esfuegra, i todas sus nueras la respektavan i la sentian i por enfrentante eya tambien las amava muntcho i non les dava dingunas kechas en kavzo de algunos yeros ke azian, eyas non tinian mosas en kaza para ke las sirvyeran or ke les ayudaran para los etchos de la kaza, era solo ke eyas mizmas lo lavoravanlo todo, para alimpiar i azer las kamas i otras, en la kamareta de sus esfuegra, lo azian sus nueras a un dia a kada uno, ansi era i para meter la meza i traer la kumida a la meza i mas todo el menester de esto tambien lo azian a un dia a kada uno, era ansi ke non tiniyan dingunos pleitos, de mismo era i los ombres ke eran muy aunados en todos los puntos, i por esto kale dizir ke bivian gustozos i kontentes. En este anyo 5550 eyos los 3 ermanos kontinuavan fuertamente en sus etchos, i siempre ivan muntchiguandolo i ansi fue ke devinieron unos de los mas grandes merkaderes de Vidin, sovre eyo uvo djente ke se enselavan, i fueron buchkando para meterlos en mal entre los Turkos, ma eyos ke ya se konsintieron presto se supieron muy bien defendersen, i de sus etchos nada atras non dechavan, el Sr. Chemoel, a detras del raporto, ke le dieron sus ermanos, fue ke los artikolos de la butika ya eran muntchos en manko i ke kalia izyera de muevo un viaje, i ansi fue ke se pronto i partio torna por Kostan i Brusa por azer los empleos menesterozos, i ansi fue ke en este viaje

[A. Arié] était une source de grande inquiétude pour ses enfants. M. Moche [A. Arié] qui voyait ses enfants le cœur lourd leur conseillait toujours de ne pas se décourager, que cela lui passerait bientôt, qu’ils ne laissent pas leurs affaires de côté et qu’ils soient courageux, qu’autrement cela pourrait leur causer des dommages. Ses enfants continuaient comme avant, seulement ils étaient préoccupés par leur père. Cela lui a duré près de trois mois et ensuite lui est complètement passé. Chaque jour, il allait à la boutique où il était deux heures le matin et deux heures l’après-midi. Il le faisait pour avoir un peu d’animation et passer ainsi le temps. Les femmes à la maison étaient très unies et n’avaient aucun différent entre elles. Elles ne se plaignaient pas entre elles quand l’une n’accomplissait pas avec promptitude les tâches domestiques. Elles étaient toutes attentionnées et travailleuses sans se sentir fatiguées. Elles prenaient beaucoup soin l’une de l’autre. Elles ne laissaient pas travailler leur belle-mère et faisaient tout ce qui était nécessaire pour la maison si leur belle-mère le leur demandait. Toutes ses brus la respectaient et l’écoutaient et de son côté, elle les aimait aussi beaucoup et ne leur faisait aucun reproche si elles commettaient quelques erreurs. Elles n’avaient pas de servantes à la maison qui les servent ou les aident dans les tâches domestiques. C’était seulement elles qui faisaient tout le travail, le nettoyage, les lits et le reste. Elles faisaient la chambre de leur belle-mère à tour de rôle. Il en était de même pour mettre la table et servir les repas. Elles le faisaient chacune à tour de rôle. Il n'y avait ainsi aucune dispute. De même, les hommes étaient aussi très unis à tous égards et c’est pourquoi il faut dire qu’ils vivaient joyeux et contents. L’an 5550 3, les trois frères poursuivaient avec ardeur leurs affaires qui allaient toujours en se développant de sorte qu’ils prirent place parmi les plus grands commerçants de Vidin. Certaines personnes en vinrent à les jalouser et cherchèrent à les mettre mal avec les Turcs, mais eux s’en rendirent vite compte et surent très bien se défendre. De leurs affaires, ils ne laissèrent rien de côté. Samuel, sur le rapport que lui donnèrent ses frères que l’on venait à manquer de beaucoup d’articles à la boutique et qu’il fallait que l’on fasse un nouveau

3. 1789/1790.

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4. Calotte ronde et dure entourée d’un tissu portée par les rabbins et les lettrés. In Dictionnaire du Judéo-espagnol de Joseph Nehama. 5. Tokado ou kofiya : coiffure spéciale que portaient autrefois les femmes sépharades mariées d’Orient, et qui était imposée, dans certaines agglomérations avec une rigueur absolue, par la coutume, dès qu’elles passaient sous le dais nuptial. El tokado était composé de pièces variées et multiples. Il était bâti méticuleusement toutes les fois qu’on devait sortir ou recevoir du monde avec apparat. Un long apprentissage était nécessaire, avant le mariage, pour acquérir l’art de l’agencer. Il était constitué par une longue coiffe en moiré, bourrée de coton qui couvrait toute la tête et pendait sur la nuque, sur le dos. Une touche de colle forte retenait sur le front cette coiffe qu’assujettissait fermement une mentonnière en tulle colorée et sur laquelle s’adaptait, d’après des règles traditionnelles des bandeaux de tulle, de gaze, des rubans. J. Nehama. Ibid.

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uzo una suma muntcho mas grande de las de mas antes, seya en Kostan komo tambien i en Brusa, i en este viaje el Sr. Chemoel resto i en Kostan, i en Brusa a unos kuantos dias denpues ke ya eskapo sus empleos, para konoserse kon algunos merkaderes mas grandes i embezarse de eyos algunas metodas mijor sovre la merkansia i ansi fue ke se embezo muntchas kozas muevas ke el non las konosiya, i kuando vino a Vidin, izo algunos trokamientos en la butika. Sus vistimientas de los 3 ermanos eran, ke en sus kavesas yevavan una fes grande kon un piskul de seda preto, i ensima sardiado kon un kuchak kolorado komo un sarik ke yevan los Turkos de la Trakia, sus kavesas eran arapadas enteramente kon decharsen ulufias, kortadas en la forma de una letra dalet, sus barvas non se las arapavan ni se las kirkiyavan, en sus pies yevava unos laptchines i unos sapatos kolorados o preto, sus vistido era un tchakchirde panyo denpues un anteri de dimikaton largo i un kuchak apretado en el bel i ensima una fermena de panyo i dopo ensima un djube de panyo i por el envierno un kiurdi kapladiado kon modo de samaras ansi tinian aparte por los chabatod i los moadim, i komo eran hahamim yevavan en lugar de sarik en sus kasas una boneta estos vistidos eran i los padres i los ijos ke los yevavan i non trokavan las modas, las mujeres tambien era siempre una forma de vistidos eyas yevavan las viejas en sus kavesas un tokiyo ke era en forma de una boneta puntuda i en la punta les metian un tchiko peskiuliko de seda o de klabudan, i deredor de la ditcha tokeyo lo ermoseyavan kon modos de brozlados i ichlemes i klabudanes i resentavan modos de dukados tchikos i grandes i, djoyas de perla i de diamantes, i las mansevas yevavan serka a esta forma solo ke era yano i mas ermozo eyas tambien lo ermozeyavan kon mas rozas i brozlados i testemelis lavorados finos kon klabudan i bril de oro i en el tepe lo intchian todo kon perla de la buena i djoyas en diamante i piedras buenas, esto se lo sariyavan fin a las orejas por ke non se les vieran los kaveyos sus vistir era anteris de 3 aldas de las ropas las mas karas lo todo lavorado

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voyage, se prépara et repartit pour Constantinople et pour Brousse faire les achats nécessaires. Lors de ce voyage, il utilisa une somme d’argent beaucoup plus grande qu’auparavant que cela soit à Constantinople ou à Brousse. Samuel resta à Constantinople et à Brousse quelques jours après avoir achevé ses achats, pour faire la connaissance de quelques très grands commerçants et apprendre d’eux de meilleures méthodes commerciales. C’est ainsi qu’il apprit beaucoup de nouvelles choses qu’il ne connaissait pas et quand il vint à Vidin, il fit quelques changements dans la boutique.

Tenues traditionnelles portées par la famille Arié Les trois frères étaient ainsi vêtus : sur leur tête ils portaient un fez avec un gland de soie noire ceint [sardiado ou sareado du turc sarmak] d’un bandeau rouge comme le turban que portent les Turcs de Thrace. Leurs têtes étaient entièrement rasées en laissant des papillotes [ulufias du turc zülüf ] coupées en forme de dalet. Ils ne se rasaient ni se taillaient [kirkiyavan du turc kırkmak] la barbe. À leurs pieds, ils portaient des souliers ou des chaussures rouges ou noires. Leur vêtement était composé d’un pantalon à large entrejambe [tchakchirde du turc čakšire] en drap et d’une robe ample en coton fermée sur le ventre par une ceinture et encore au-dessus une veste en drap et un manteau léger en drap. L’hiver [ils portaient] un manteau doublé de fourrures en particulier pour les shabbats et les jours de fêtes. Comme ils étaient des lettrés, ils portaient dans leur maison à la place d’un turban una boneta 4. Cette tenue était portée aussi bien par le père que par les enfants et ils ne changeaient pas de mode. Les femmes portaient également toujours la même tenue. Les femmes âgées portaient un tokiyo 5 sur la tête qui avait la forme d’una boneta pointue et sur la pointe on disposait un tout petit gland de soie ou d’or filé [klabudan] et on décorait le pourtour de cette coiffe avec toutes sortes de dorures, de broderies [ichlemes] et de fils d’or. On y disposait des ducats petits et grands, des joyaux de perles et de diamants. Les jeunes portaient aussi quelque chose de semblable qui était seulement plat et plus beau. Elles aussi la décoraient avec plus de roses, de


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Photographie d'un couple en tenue de notables ottomans de Sarajevo. L'homme porte un čakšire (pantalon ample). Leurs costumes sont richement brodés de fils d'or. Photographie prise entre 1878 et 1916. Archives nationales de Sarajevo.

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kon bril klabudan i tertil de oro i chalvares de ropas de seda i de panyo lo todo tambien lavorado kon klabudan i bril ensima de esto una fermela de panyo i de ropas de seda kon mangas antchas, esto era lavorado enteramente kon klabudan i bril i kuando van a ir a vijitar kalia ke se metieran un tcherkes en forma de un palto largo lavorado la taya entera i las aldikeras i las mangas todo kon klabudan i tertil de oro, en los pies yevavan tchorapes de lana delgada alhenyados kon muntchos modos de kolores de lanas maneras de rozas i lavoros muy delikados ke esto se los lavoravan eyas mizmas, sus kalsado era sapatos de kueros delgados i muy finos i todos lavorados las karas kon seda i kon otros filos, i ensima de todo se vistian el feredje kon el yachmak ermozo i se kaminavan en las plasas. El Sr. Moche A. Arie, empeso torna a estar algo malato, ke sus ijos se ivan atagantando de verlo a sus padre, kada dia aflakandose, eyos le yamaron a muntchos medikos, de al tiempo, por ke lo kuraran ma en nada non le ayudava, fin a ke se etcho en la kama, de dinguna dolor non sufria, solamente era una grande flakeza, ansi fue komo un mez de tiempo, i en una de la maniana lo toparon muerto, mas para nunka levantarse, todos los medios ke izieron fueron sin dingun provetcho, i en akel dia mizmo lo rijeron al uzo djidio, en sus funerales, estuvieron la sivdad entera, (en akel tiempo era el uzo ke seravan el tcharchi entero para akompanyar al muerto,) estuvieron todos los hahamim i los hazanim, adelantre el muerto kantando kinot, i el puevlo entero detras del muerto, lo yevavan 4 personas a los ombros, eyos los 3 ermanos dieron muntcha sedaka, seya a los hahamim i hazanim i a todos los menesterozos de la sivdad, guadraron los 7 dias de limunio asentados en bacho, kada dia vinian 10 hahamim, meldavan, michna, zoar, teilim, dezian minha arvid kon minian, kada demaniana se ivan a el kaal dizian la tefila, todos los 7 dias ke estuvieron asentados en kaza kada dia los vijitavan el kolel entero de Vidin i les vinian a grupos, grupos, seya los ombres komo tambien i las mujeres, en todos los 7 dias i

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dorures et de testemelis finement confectionnés avec des fils et des clinquants d’or. Le dessus était orné de perles fines et de joyaux de diamants et pierres précieuses. On enveloppait la coiffe jusqu’aux oreilles afin que l’on ne puisse pas voir les cheveux. Elles étaient vêtues de robes à trois pans confectionnées dans les tissus les plus chers le tout brodé de clinquants et de fils d’or et des pantalons amples [chalvares] en soie et de coton le tout également orné de clinquants et de fils d’or. Par-dessus un manteau court en drap et soie avec des manches longues, le tout entièrement brodé de clinquants et fils d’or. Quand elles allaient en visite, elles devaient revêtir un tcherkesse, une sorte de manteau long dont toute la taille, les poches et les manches étaient ornées de clinquants et de fils d’or. Aux pieds, elles portaient des chaussons en laine légère ornés de toutes sortes de roses en laines de différentes couleurs finement brodées par elles-mêmes. Leurs chaussures étaient en cuir léger et très fin et les côtés travaillés avec de la soie et d’autres fils. Par-dessus, elles portaient un manteau à capuche et un beau voile quand elles allaient en ville.

Décès de M. Moche Abraham Arié M. Moche A. Arié retomba malade. Ses fils avaient le cœur brisé en voyant leur père s’affaiblir de jour en jour. Ils firent appel à de nombreux médecins de l’époque pour qu’ils le soignent, mais cela n’aidait en rien. Il finit par s’aliter. Il ne souffrait d’aucune douleur, mais seulement d’une grande faiblesse. Cela dura environ un mois et un matin ils le trouvèrent mort, à ne plus jamais se lever. Tous les remèdes dont ils usèrent s’étaient avérés sans aucun effet. Ce jour même, ils procédèrent selon le rite juif. Toute la ville assista à ses funérailles – en ce temps-là, il était d’usage de fermer le marché pour accompagner le mort. Tous les rabbins et les chantres précédaient le mort chantant les lamentations et le peuple tout entier [suivait] derrière. Quatre personnes le portaient sur leurs épaules. Les trois frères firent beaucoup de dons aux rabbins, aux chantres et à tous les nécessiteux de la ville. Ils respectèrent les sept jours de deuil assis à terre. Chaque jour venaient dix sages qui lisaient la michna, le zoar, les psaumes [teilim]. Ils disaient la prière de l’après-midi [minha] et


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las notches, ke estuvieron asentados, para kada meza les ivan unos de sus amigos djunto kon la komida i komian djuntos, porke non se podia guizar en kazas ande uvo muerto mientres los 7 dias ke estavan asentados, i kuando se levantaron del siete, se fueron todos eyos ombres i mujeres al semitario, i se rodearon todos eyos al deredor del lugar ande estava enterado, de muevo lo yoraron i las mujeres a boz alta kantavan las endetchas ke ya avian apropiado para esto mujeres ke savian endetchar, i denpues ke meldaron los hahamim, unos kuantos perakim de michna, se vinieron en kaza i de muevo meldaron los hahamim, el limud, ke ya esta presentado para el kortamiento de los siete dias, i denpues, dieron a komer a todos sus amigos, i los hahamim, i hazanim, i mechartim, i muntchas mezas de menesterozos, seya a ombres komo tambien i a mujeres, ansi de mizmo lo izieron i en el kortamiento del mez, i mientres el anyo entero non salian a dinguna vijita, i se vistian vistidos de limunio, i ivan kada dia a el kaal, a minha, arvid, tefila, la lampa en el kaal, se ensidia a sus gastes, mientras el anyo entro, davan muntcha sedaka, eyos en el kaal, se asentavan en el avel, lugar apropiado solo para los ke estan en el anyo de sus parientes, eyos merkavan la aftara, lo mas de las semanas de el anyo, kuando non avian otros merkadores, eyos los ermanos izieron eskrivir una piedra, su nombre del sus Sr. Padre, kon la data, i se la fraguaron, en su tomba, Yo Moche A. Arie el II, ke estuve en Vidin, en el anyo 5633, i ke estuve en la kaza del Sr. Refael Arie, i avlando por la biografia Arie, mi konto, ke en el semiterio, de los djidios, toparon en una tomba eskrito en una piedra, ke apenas se pudo meldar, solo, Arie, i 5550, lo todo eskrito kon letras de djidio en merubah, es ansi ke esta piedra se puedi admeter por verdad ke es la tomba del Sr. Moche A. Arie el ke vino primer a Vidin, i tambien ke murio en este anyo. Eyos los 3 ermanos komo i de antes muy bien aunados kontinuavan en sus negosio, solo ke en este anyo non izieron dingun viaje, i denpues de la muerte de sus Sr. Padre, pasando komo […] mezes eyos, kon la kontentes de todos los 3 ermanos, se

du soir [arvit] en présence du minyan. Chaque matin, ils allaient à la synagogue dire la prière. Les sept jours où ils restèrent assis à la maison, toute la communauté de Vidin leur rendit visite, groupe après groupe, les hommes comme les femmes. Les sept jours et nuits où ils furent assis, à chaque repas leurs amis venaient avec de la nourriture et ils mangeaient ensemble, car on ne pouvait cuisiner dans les maisons où quelqu’un était mort durant les sept jours où l’on était assis. Quand le deuil de sept jours fut levé, ils allèrent tous hommes et femmes au cimetière, et ils s’assemblèrent tous autour de l’endroit où il était enterré. Ils le pleurèrent de nouveau et les femmes entonnèrent les lamentations, car il y avait pour cela des femmes qui savaient chanter les lamentations. Et après que les rabbins eurent lu quelques passages de la michna, ils allèrent à la maison et de nouveau les rabbins lurent le limud en vue de la clôture des sept jours de deuil. Ensuite, ils offrirent à manger à tous leurs amis, aux rabbins, aux chantres, aux préposés aux enterrements [de l’hébreu meshartim] et à beaucoup de nécessiteux, hommes comme femmes. Ils firent de même pour la clôture du mois de deuil. Pendant toute l’année qui suivit [le décès], ils ne rendirent aucune visite, ils mirent des habits de deuil et se rendirent chaque jour à la synagogue pour les prières de l’après-midi et du soir. La lampe dans la synagogue était allumée à leurs frais. Pendant toute l’année, ils firent beaucoup de dons. Dans la synagogue, ils s’asseyaient sur le banc des endeuillés [avel, de l’hébreu deuil] qui était destiné seulement à ceux qui étaient dans l’année du deuil de leurs parents. Ils achetaient le droit de dire la aftara le plus de semaines de l’année quand il n’y avait pas d’autres marchands. Les frères firent graver sur une pierre le nom de leur père avec la date qu’ils placèrent sur sa tombe. Moi-même, Moche A. Arié II, quand je fus à Vidin en 5633 6 et que je fus reçu dans la maison de M. Rafael Arié, en parlant de la biographie Arié, il me dit qu’au cimetière juif, on avait trouvé écrit sur une pierre tombale à peine lisible, seulement Arie et 5550, le tout écrit en lettres hébraïques merubah [carrées]. On peut ainsi considérer que cette pierre tombale est vraiment celle de M. Moche A. Arié le premier à être venu à Vidin et qui mourut aussi cette année-là.

6. 1872/73

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7. 1790/1791. 8. Les dates citées par le chroniqueur sont imprécises. La septième guerre russoturque se déroula de 1787 à 1792 et s’acheva le 9 janvier 1792 par le traité de Iassy aux termes duquel l’Empire russe obtient la forteresse d’Otchakov, le Yédisan et la reconnaissance de l’annexion de la Crimée.

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miraron un bilanso, ke se toparon muy kontentes, lo kual ke non lo esperavan, i se izieron de muevo kontratos, para ser torna haverim, i para kontinuar el mizmo etcho, a igual pursiones, solo ke tienen de yevar konto aparte por los gastes de la kaza i por sus mantinimentos, ke por sus gastes partikular por kada uno de eyos ya lo tinian aparte i de el tiempo de sus Sr. Padre. Non uvo ken mi supo dezir si los ermanos mas grandes tinian ijos, ijas, poko or muntcho. En este anyo de 5551, ke la kortaron el anyo de sus Sr. Padre, i kontinuando en sus negosio de la butika, el Sr. Abraam, raportea, a su ermano el grande admenestrator de la butika aziendole saver ke ya estavan en muntcho manko de muntchos artikolos de la butika, sovre eyo tomaron una ditchizion para azer el viaje, en ser ke el anyo pasado non lo izieron, i ansi fue ke se les rekojo una suma bien grande de moneda, ke pokos dias pasando, el Sr. Chemoel, estuvo pronto i partio por su viaje. En akeyos tiempos komo non avian gazetas, ni telegrafos ni menos pochtas a las deretchas, ansi era ke non savian de nada por lo ke se pasava en sus paiz, ke por dezgrasia i desplazen en el kamino lo enkontran una banda de ladrones, i aun kon todo ke ya era akompaniado de guadradores Turkos, anke muy bien armados ma non le pudieron en nada ayudar, i le rovaron toda su moneda, ke le decharon ad menos ni para gaste de poder boltarse atras, i venirse a Vidin, ke ya se kere bien entendido en ke manera de apreto se toparia, de la otra parte, tuvieron mas negro ke kompanias grandes de revolusionarios voluntarios Turkos, se ispandieron de la parte de la Tuna, mas muntcho se espandieron en Vidin, i estrueron la sivdad entera i revataron, todo bien ke toparon seya por las kazas komo tambien i por las butikas, i ansi fue ke les revataron tambien todo esto ke enpatronavan seya en kaza komo tambien i en la butika, de la familia Arie, de Vidin, esta ruina fue. Sigun konta, el Tarih Osman I, (istoria Turka) es ke en este tiempo, en 1793-4 a la kuenta Kristiana, uvieron unas fuertas gueras, entre el Turko – Ruso,

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Les trois frères comme avant bien unis poursuivaient leur commerce. Seulement cette année ils ne firent aucun voyage et environ [illisible] mois après la mort de monsieur leur père, ils regardèrent ensemble un bilan qui dépassa leurs espérances et ils s’en trouvèrent très satisfaits. Ils firent de nouveaux contrats pour continuer comme associés dans le même métier, à parts égales. Ils devaient tenir un compte à part pour les dépenses domestiques et leur entretien. En ce qui concerne leurs dépenses personnelles, il le tenait déjà séparément du temps de leur père. Personne n’a su me dire si les deux frères aînés avaient des fils et des filles, en nombre ou pas. En l’an 5551 7 où s’acheva l’année du deuil de leur père, ils poursuivirent leur commerce et Abraham informa son frère, le grand administrateur de la boutique, que beaucoup d’articles venaient à manquer. Ils prirent la décision d’entreprendre un voyage, car l’année passée ils ne l’avaient pas fait. Ainsi réunirentils une grande somme d’argent et peu de jours après Samuel était prêt et partit en voyage.

Chute de la famille Arié À cette époque comme il n’y avait ni journaux ni télégraphes ni même de Poste régulière, ils ne savaient rien de ce qui se passait dans leur pays. Pour son malheur et son déplaisir, il rencontra en chemin une bande de voleurs. Bien qu’il fût accompagné de gardes turcs et qu’ils soient très bien armés, ils ne purent l’aider en rien. On lui vola tout son argent et on ne lui laissa pas même de quoi s’en retourner à Vidin. On comprend bien dans quelle sorte d’angoisse il pouvait se trouver. De l’autre côté, de grandes compagnies de volontaires turcs révoltés se répandirent du côté du Danube et encore bien plus à Vidin. Ils détruisirent toute la ville et pillèrent tout ce qu’il y avait comme bien chez eux et à la boutique. Pour la famille Arié de Vidin ce fut la ruine.

Guerre russo-turque et traité de paix de Iassi Selon la chronique officielle ottomane, à cette époque en 1793-94 8 selon l’ère chrétienne, il y eut une guerre


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ke los Rusos okuparon la sivdad de Tultcha, i esto fue ke izo desparezer la armada entera turka, i fueron este modo de djente ke ivan revantando, i el Turko, viste ke non iva a poder reuchirse konrogo de las potendias de la Evropa, i ansi fue ke la Prussia i la Inglitiera, i la Austria, aprimieron a la Rusia, por detener la guera, i izieron un armesticio, por konvenirlos ke turo 9 mezes, i fue en Jach [ Jassy], ke se afirmaron los kontratos, i era en el tiempo del Sultan Selim III la razon ke non pudo reuchir el Turko, fue por razon ke la Francia, tenia uvligo de abasteser al Turko, toda lo menester de munisiones de guera, i siendo ke non le abastisio fue ke los Turkos, pidrieron, i en estos tiempos tambien ouvo revulasion en la Fransia, ke entro Napolion Bonaparte, por prezedente de la Republika i denpues ke ya fue prezedente, Napolion, izo de muevo konvision kon el Turko, i le mando a Kostan, una partida de muendizes, i muntchos ofiseris por la armada, i artileria embezados soldados la suma menesteroza, i por la dokumhane, (fonderie) i por el arsenal, le mando tambien maestros kon todo el menester de los enstrumentos i una partida de tiros en suma todo 800 personas, i avrieron i fondaron arsinal i fonderie, i aparte resento un alai, de artileri i uno de kavaleri, i un tabur de infanterie de soldados turkos, kon ke les azian exersisio los ofiseres francezes i aparte se dio orden a todos los Yeni-Tcheris, ke agan azer exersis a sus soldados, (tambien Turkos, ke sovre estos soldados de los Yeni-Tcheris ya tengo de eskrivir adelantre), al uzo muevo, porke fin a este tiempo en los soldados Turkos, non avia exersisio, i Tepetenli Ali Pacha uno de los grandes Yeni-Tcheris de la Albanna Arnautluk, rekojo su grande armada en Echkodra, i partio por la Moreya, i izo una grande guera, todos los Yeni-Tcheris de la Turkia, eran prontos para partir, por vinir en la ayuda del Sultan Selim III, ma el General Napolion Bonaparte non lo alesensio, asigurandolo ke el lo va azer de otra forma i agora ke devia de afimar el kontrato de la konvension se izo el Jach ke fue ke se le dio al Ruso, toda la Kremeya, Kopan i la Besarabia, en

importante entre les Turcs et les Russes. Les Russes occupèrent la ville de Tultcha et cela eut pour effet la déroute de toute l’armée turque, et ce sont ce genre de gens qui s’en allèrent en pillant 9. Le sultan turc 10, voyant qu’il n’allait pas réussir, demanda l’aide des puissances européennes. C’est ainsi que la Prusse, l’Angleterre et l’Autriche firent pression sur la Russie pour qu’elle arrête la guerre 11. Ils déclarèrent un armistice de neuf mois pour négocier et ils signèrent à Iassy le traité de paix. Cela avait lieu sous le règne du sultan Selim III. La raison de la défaite turque fut que la France avait pour obligation de fournir aux Turcs toutes les munitions de guerre nécessaires et comme elle ne les fournit pas cela entraîna la défaite turque. À cette époque, il y eut aussi une révolution en France, et Napoléon Bonaparte 12 devint président de la République. Après être devenu président, Napoléon signa un nouveau traité avec le Sultan. Il envoya à Constantinople un groupe d’ingénieurs [muendizes] et de nombreux officiers pour l’armée et des soldats expérimentés en nombre suffisant pour l’artillerie. Il envoya aussi des maîtres fondeurs avec tout l’outillage nécessaire pour la fonderie et l’arsenal et une compagnie de canonniers en tout 800 personnes. Ils fondèrent et ouvrirent un arsenal et une fonderie. À part cela, il mit en ordre de marche une troupe d’artilleurs, de cavaliers et un bataillon [tabur] d’infanterie turque que les officiers français entraînaient. De plus, il ordonna à tous les janissaires de procéder à l’entraînement de leurs soldats (également turcs, je reviendrai plus loin sur la question des janissaires) selon les méthodes modernes, car jusqu’ici il n’y avait pas d’exercices parmi les soldats turcs. Tepetenli Ali Pacha 13, l’un des principaux janissaires albanais rassembla sa grande armée à Echkodra [Shkodër] et partit pour la Morée faire la guerre. Tous les janissaires étaient prêts à venir en aide au sultan Selim III, mais le général Napoléon Bonaparte ne le permit pas, l’assurant qu’il allait le faire d’une autre manière. Il fallut signer le traité de Iassi qui cédait aux Russes toute la Crimée, le Kouban et la Bessarabie 14 ne laissant à la Turquie que le Burgaz de Sunna. Quand le sultan Selim III vit cela, il signa en pleurant et le même jour il abdiqua en faveur du sultan Mustapha IV, fils du sultan Abdul

9. Le chroniqueur fait sans doute allusion à la prise du sandjak et de la ville de Vidin vers 1792/1793 par le mercenaire d’origine bosniaque Osman Pazvantoğlu. 10. Selim III, le premier sultan à tenter une modernisation de l’Empire. 11. Ceci est globalement exact. L’Autriche, d’abord alliée de la Russie, se rapprocha de la Prusse alliée de l’Empire ottoman à la suite de la Révolution française. L’Angleterre de William Pitt vit également d’un mauvais œil l’expansion russe. 12. L’intervention de Napoléon est ici incohérente avec la chronologie de la guerre turcorusse. Par ailleurs, Bonaparte lors de l’expédition d’Égypte de 1798 se révéla un adversaire des Ottomans. 13. Ali Pacha de Janina ou de Tepelena, gouverneur ottoman de l’Épire. 14. La Bessarabie est en fait restée turque aux termes du traité de Iassi malgré sa conquête par les armées austrorusses.

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15. Pour un aperçu de la situation troublée à Vidin au tournant des XVIIIe et XIXe siècles on pourra consulter l’article de Rossita Gradeva, « Osman Pazvantoglu of Vidin : Between Old and New » in Interdisciplinary Journal of Middle Eastern Studies. Princeton University. 2005.

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dechando para el Turko, solo el Bugaz de Sunna, ke esto kuando vido el Sultan Selim III, lo afirmo en yorando i en akel dia mizmo se kito la korona i se la dio al Sultan Mustafa, IV, ijo del sultan, Abdul Hamid, i denpues el General Napolion tuvo grandes entindimientos kon la Prusia, Austria, Italia, Spania, i Rusia, lo todo en favor del Turko. Kuando ya bolto el Sr. Chemoel, de su viaje, ke lo avian soidiyado los ladrones, i viendo todo esto ke les akontesio tambien i en kaza, todos a la una yoraron kon grande saluso de versen en el grado ke arivaron, ma torna kon pasensia se ivan de los unos a los otros konortandosen, i kon la esperanza ke de m…van a poder torna lavorar, ma non fue ansi ke las reboeltas e.. deskontino sin kedar, ke se revoltaron tambien todos los YeniTcheris i ivan aziendo mas grandes estruisiones, de las de antes ke ansi fue ke kedaron enteramente muy vazios en todos los puntos era ke a penas se estavan pudiendo ketarsen sus mantinimientos las mas grande mizeria, esto fue kontinuando 3-4 mezes en todos los ermanos ya non avia kedado kolor en sus karas eyos ya fueron todos muy flakos, de mizmo eran i sus mujeres i kreaturas eya las mujeres, sin avergonsarsen, salian por las plasas i buchkava a ganarsen de kualo fuesa, eyas tomavan los lavados, de algunos los Sres i de los hoteles para lavarselos, i de esto ganarsen kualo fuesa, i para vinir i eyas tambien en ayuda para los gastes de la kaza, eyas fueron i a espondjar, en kazas de los Sres eyas tambien se azian guizanderas kuando avian bodas, en kurto todos los puntos eyas todas las sus mujeres salian kada dia para topar ke panar, estas kozas viendo sus maridos era ke yoravan se estremisian, i non savian kualo azer, fue un dia ke Sr. Chemoel, sus ermano el grande yamo a sus ermanos los mas tchikos por akonseyarsen i topar un molde por sus vidas de el avinir, i en adjunta ke tuvieron fue, kon a tchoros de lagrimas kuriendo de los ojos de todos 3 ermanos kontandosen los tiempos pasados i todos los males ke les arivo agora, les dicho el Sr. Chemoel, ke su idea era ke en esta Sivdad de Vidin, non tienen dinguna esperansa de

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Hamid. Par la suite le général Napoléon s’accorda avec la Prusse, l’Autriche, l’Italie, l’Espagne et la Russe en faveur des Turcs.

Samuel et Abraham Arié quittent Vidin Quand Samuel revint de son voyage où il avait été dévalisé [soidiyado du turc soyduymak] par les voleurs, en voyant tout ce qui leur était arrivé également à la maison, tous se mirent à pleurer avec beaucoup de détresse en voyant à quel stade ils en étaient arrivés. Mais prenant patience, ils allèrent de l’un à l’autre en se réconfortant et avec l’espoir de pouvoir reprendre le travail. Mais il n’en fut pas ainsi. Les troubles se poursuivirent sans discontinuer 15, tous les janissaires se révoltèrent aussi et causèrent de plus grandes destructions encore de sorte qu’il ne leur resta plus rien du tout de ce qu’ils avaient. C’est à peine s’ils pouvaient trouver de quoi survivre. Ils étaient dans la plus grande misère. Cela dura ainsi trois à quatre mois. Les joues des frères avaient perdu toute couleur, ils étaient tous très affaiblis comme leurs femmes et leurs enfants. Les femmes, sans honte, sortaient en ville et cherchaient n’importe quel gagne-pain. Elles prenaient du linge à laver chez certains messieurs et dans les hôtels. Pour aider aux dépenses de la maison, elles allaient faire le ménage dans les maisons et se faisaient cuisinières quand il y avait des mariages. En bref, toutes leurs femmes sortaient chaque jour pour trouver de quoi gagner leur pain. Leurs maris voyant cela pleuraient et se désolaient. Ne sachant que faire, un jour, Samuel l’aîné appela ses plus jeunes frères pour tenir conseil et trouver une solution pour l’avenir. En se retrouvant ensemble des torrents de larmes jaillirent de leurs yeux, ils se réconfortaient en se rappelant les temps passés et tous les malheurs qui leur arrivaient maintenant. Samuel leur dit qu’à son avis il n’y avait aucun espoir d’un avenir meilleur dans la ville de Vidin. Qu’à son idée, il fallait que chacun aille sans perdre de temps chercher un endroit où l’on puisse vivre dans l’honneur et sans que leurs femmes aillent de maison en maison travailler pour les maintenir. [Il ajouta :] Je suis décidé à faire cela


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algun mas buen avenir, i ke su idea es sin tadrar dingun tiempo irmos kada uno de nos i buchkar lugar ande vamos a poder bivir kon onor i non le muestras mujeres vaigan de kaza en kaza a lavorar para mantenermos, yo esto ditchizado a esto i vozotros estudia la koza, i azeldo komo vos parese mijor en muy grande desplazer esto ke vos esto avlando, mos kale kon boz mas alta yorar, por la ruina mos arivo, i aparte mas muntcho yorar por la piedrita ke tuvimos en el anyo pasado kon la piedrita de la persona [de] muestro tanto amado Padre, Moche A. Arie, i todos los 3 ermanos kon grande saluso, yorran fin al grado ke kalia vinieran djente de afuera para apartarlos ke de esta ansia todos los 3 se fueron en kaza sin tener mas la fuerza por salir muntchos dias a la plasa. Pokos dias pasando el Sr. Chemoel, se prikuro algo de moneda i le decho a su mujer por los menesteres de su mantinimiento de pokos dias i partio por la Roumania, i se fue a TurnoSeverin, i este enchemplo lo tomo tambien i el Sr. Abraam, ke i el tambien si prekuro 20 groches, i los 10 groches se los decho a su mujer, i kon los 10 groches partio de Vidin, a pie i se vino a Sofia, i el Sr. Ishak, resto en Vidin, esto mos embeza ke los 2 ermanos eran mas kuradjozos, i tenian amor propre, ke sigun van a meldar adelantre ya van a ver ke todos los 2 ermanos profetaron de esta detchizion i kuanto al Sr. ke resto en Vidin, non tuvieron grandes adelantamientos. En las partiensas de los 2 ermanos seya el grande Sr. Chemoel, ke partio por el TurnoSeverin, en Romania komo tambien i el Sr. Abraam, ke partio por Sofia, eyos estuvieron muy kurajiozos, i kon la mas grande yena esperansa ke ivan a reuchir las suyas entisiones, de mismo fue ke i sus mujeres, los mandaron kon el mas grande kurajeen bindisiendolo solamente, kaminos buenos, todos los 2 ermanos abrasaron a sus mujeres i sus kriaturas en bezandolas, i koriendoles de todas las 2 partes, a unas kuantas lagrimas de sus ojos i ansi fue sus partensia.

et de votre côté étudiez la chose et faites ce qui vous paraîtra le mieux. C’est avec beaucoup de peine que je vous dis cela, nous devons pleurer plus fort en raison de la ruine qui nous est arrivée et encore plus pleurer pour la perte de la personne de notre bien-aimé père Moche A. Arié l’an passé. Les trois frères avec grande détresse pleurèrent au point qu’il fallut que des gens du dehors viennent les séparer. De ce chagrin, ils demeurèrent plusieurs jours chez eux sans avoir la force de sortir en ville. Peu de jours après, Samuel se procura un peu d’argent qu’il laissa à sa femme pour qu’elle puisse se maintenir quelques jours. Il partit pour la Roumanie et se rendit à Tourno-Severin. Abraham suivit son exemple. Il se procura aussi 20 groches, en laissa 10 à sa femme et avec les 10 autres, il partit de Vidin à pied et se rendit à Sofia. Isaac resta à Vidin. Ceci nous apprend que les deux premiers frères étaient plus courageux et avaient de l’amour-propre. Comme vous le lirez par la suite, cette décision leur fut profitable. Quant à celui qui resta à Vidin, il ne fit pas de grands progrès. À leur départ, les deux frères, que ce soit l’aîné Samuel qui partit pour Tourno-Severin en Roumanie ou que se soit Abraham qui partit pour Sofia firent preuve d’un grand courage, plein du meilleur espoir quant à la réussite de leurs intentions. Leurs femmes firent preuve du même courage et prirent congé d’eux en les bénissant et en leur souhaitant bon voyage. Les deux frères embrassèrent leurs femmes et leurs enfants et des deux côtés ils laissèrent couler des larmes. Ainsi se passa leur départ. Le titre et les intertitres sont de la rédaction. Nous remercions Marie-Christine Bornes Varol qui a bien voulu relire la transcription et nous apporter de précieux éclaircissements. La transcription du judéo-espagnol a été modifiée afin de rendre le texte plus facilement accessible aux lecteurs familiers de la graphie employée par la revue Aki Yerushalayim.

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Para Meldar Retour d’escales Edy FEINBERG

Edilivre 2018 ISBN : 978-2414184989

L’Esperia de la Compagnie maritime Adriatica quitte Alexandrie pour l’Europe. Il fera escale à Syracuse et à Marseille avant d’accoster à Gênes. À son bord, la famille Feinberg abandonne définitivement l’Égypte. Cette traversée de quelques jours est le sujet du livre. Nous sont donc contés l’histoire du paquebot et les petits incidents du voyage : le père convoqué à la dernière minute pour un contrôle des bagages, la recherche de la cabine et la déception à la découverte de son exiguïté, la médiocrité de la salle à manger et de la salle de cinéma du navire, le roulis et le tangage auxquels l’auteur reste insensible, l’émerveillement lorsque le bateau passe au large des îles Lipari et du Stromboli en éruption. Edy Feinberg a le talent de nous narrer ces incidents comme les a vécus l’enfant de douze ans qu’il était lors de cette traversée. Mais surtout, c’est avec le regard de cet enfant que l’on découvre, au fil des pages, l’histoire de la famille, sa vie à Alexandrie, les raisons de son départ et les conséquences de son exil.

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Le père de l’auteur, Boris, est né à Salonique du mariage d’Israël et de Marie, tous deux nés à Odessa et réfugiés à Salonique pour fuir les pogroms fréquents en Russie du Sud. Restée veuve après le décès accidentel de son mari, Marie quitte Salonique pour Alexandrie où l’a précédée l’aîné de ses fils, parti en éclaireur. Boris, le père de l’auteur, le plus jeune des enfants de Marie, né à Salonique, a passé son enfance à Alexandrie. C’est là qu’il rencontre son épouse, Sarah, venue de Smyrne. Un peu ashkénaze, un peu sépharade, la famille est surtout égyptienne. Elle s’est accoutumée très vite à la vie alexandrine. L’Alexandrie de la première moitié du XXe siècle, c’est la joie de vivre. De nombreuses communautés de langues et de cultures différentes se côtoient sans se mêler, mais en se respectant : Égyptiens autochtones, Grecs, Italiens, Français, Anglais. Le père de notre auteur, né à Salonique, a un passeport grec. Au lycée, Edy apprend le français, l’arabe, qu’il aime parler et écrire, mais aussi l’anglais. La famille Feinberg fréquente une famille italienne qui habite le même immeuble. Boris est responsable des ventes auprès d’un importateur grec de produits pharmaceutiques ; il est chargé de la promotion d’une nouvelle crème solaire. La famille est aisée. L’appartement est confortable : beaux meubles, tableaux, tapis. Une petite Morris Minor verte permet des escapades hors de la ville. Les parents d’Edy l’emmènent


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souvent dans l’un des magnifiques cinémas du centre-ville où sont projetés les derniers films américains en version originale sous-titrée. Avec un copain, il fréquente aussi les cinémas populaires de quartier, aux fauteuils défraîchis, à la peinture écaillée, où il peut voir des westerns et des films d’horreur et où les spectateurs mâchent des graines de courge pendant la séance et crachent les écorces dans toutes les directions. L’arrivée de la belle saison est accueillie dans la liesse. Elle est marquée par la fête du printemps, Sham el Nessim. Célébrée à l’origine par les chrétiens coptes, elle est devenue populaire auprès de toutes les catégories de la population : chrétiens, musulmans et juifs. Dès le lundi de Pâques, des dizaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants envahissent parcs, jardins, places et boulevards, arborent les nouvelles tenues estivales, organisent des piqueniques avec des œufs multicolores, des oignons et du poisson séché. Des marchands ambulants proposent une grande variété de jus de fruits et de fruits secs. Sham el Nessim donne le coup d’envoi à la saison des bains de mer qui dure au moins six mois. On se promène sur la Corniche, on va à la plage. Parfois la famille Feinberg préfère s’éloigner de la ville et passer la journée dans une oasis verdoyante en plein désert ou dans un pittoresque village de pêcheurs à l’ouest d’Alexandrie ou encore dîner dans un restaurant populaire où, dans une ambiance festive et bruyante, on peut goûter la délicieuse cuisine locale. Edy profite des vacances scolaires pour visiter le palais royal de Montazah ou celui de Ras-el-Tin ou encore le fort mamelouk de Qaïtbey. Tous ces souvenirs, il suffit que, quelques décennies plus tard, Edy Feinberg, allongé dans un transat dans un village du midi de la France, ferme les yeux, pour qu’ils reviennent avec précision et l’envahissent avec bonheur et nostalgie. Les souvenirs gastronomiques sont les plus vifs. La « mémoire gastronomique », pensent les historiens, est celle qui demeure le plus longtemps et qui se transmet aux générations suivantes. Ainsi, la grand-mère paternelle d’Edy Feinberg, née à

Odessa, considère toujours, malgré les décennies de vie à Alexandrie, les mets égyptiens comme exotiques et excelle dans la préparation du bortsch russe. Quant à Edy, il évoque avec émotion le foul, fait de fèves et d’œufs durs et accompagné d’eish shami, le « pain syrien » ; la molakhia, cette soupe épaisse agrémentée de riz et d’un fin émincé de poulet ; les boulettes de keftahs-kebabs ; les mahshi, ces courgettes farcies de riz et de viande ; les viandes aux aubergines ; et, au dessert, les « douceurs libanaises », konafas, atayefs, baklawas. Oui, vraiment, Alexandrie c’était la joie de vivre, dans une ambiance de paix et de respect d’autrui. En peu d’années, tout bascule. Mai 1948 : création de l’État d’Israël et guerre d’indépendance que les Arabes appellent el Nakba, le désastre ; juillet 1952 : la junte des colonels dépose le roi Farouk et porte bientôt au pouvoir Gamel-abd-el-Nasser. Octobre 1956 : pour réagir contre la nationalisation du canal de Suez, la Grande-Bretagne, la France et Israël lancent une opération militaire qui se termine par un fiasco. Les Juifs d’Égypte ne peuvent rester indifférents à la création de l’État d’Israël ; mais ils sont profondément attachés à l’Égypte qui est leur pays de naissance ou d’adoption ; beaucoup d’entre eux ont consacré à ce pays toute leur énergie et leur savoir-faire, ont fondé des établissements scolaires, ont été décorés pour leurs mérites par les souverains successifs ; la plupart d’entre eux parlent et aiment la langue arabe, que ce soit leur langue maternelle ou qu’ils l’aient apprise ; ils n’imaginent pas qu’ils puissent être contraints un jour à quitter le pays. Mais les nouveaux dirigeants s’appliquent à persuader la population que les Juifs sont étrangers au pays. Les médias surenchérissent, publient des pamphlets fielleux. La délation est encouragée. Les attaques physiques sont fréquentes. Un notable est molesté. Un grand magasin du centre-ville est incendié. Les Juifs qui veulent quitter le pays sont considérés comme des traîtres. Leurs papiers d’identité sont confisqués et remplacés par un laissez-passer précisant que

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leur départ est définitif. Leurs biens meubles et immeubles sont mis sous séquestre. Le ralentissement économique, la crise de Suez provoquent aussi le départ de nombreux étrangers non-juifs, les voisins italiens des Feinberg quittent Alexandrie pour Rome. Partir ? Les Feinberg mettent longtemps à l’envisager ; ils hésitent même à acheter une maison proche de leur appartement ; Boris projette de créer une entreprise de fabrication de sparadraps en s’associant avec un ami égyptien. La famille vit néanmoins une sorte de paranoïa : on épie ses membres, on guette leurs faits et gestes ; des rumeurs leur reviennent aux oreilles : quand vont-ils partir ? Vont-ils emporter leurs meubles et leurs tableaux ? La situation ne fait que s’aggraver. Quelques jours avant son départ, un Juif a parcouru la Corniche et a photographié une dernière fois les lieux qu’il a aimés ; il est dénoncé, séparé de sa famille, jeté en prison, libéré quelques années plus tard. Le bricoleur génial qui entretient la voiture de Boris retourne dans son village de HauteÉgypte ; « je suis en danger », dit-il ; en fait, la relative tolérance dont le régime avait fait preuve vis-à-vis du marché noir a cessé ; les contrevenants sont condamnés à de lourdes peines de prison. Mais voici le coup de grâce. Parti travailler dans sa voiture brinquebalante, Boris trouve une escouade de militaires occupés à fouiller les lieux. L’entreprise est nationalisée. Boris perd son emploi. Il faut bien se résoudre à partir. Les semaines suivantes sont fébriles et angoissées. Palabres familiales. Que pourra-t-on emporter ? Faudra-t-il abandonner les menus objets qui faisaient partie de la vie quotidienne ? On devra évidemment laisser les deux jolis canaris offerts par un ami. Malgré ses douze ans, Edy a tout de même l’impression d’un avenir incertain, mais à d’autres moments, la perspective d’un voyage lointain le remplit d’enthousiasme. Après cette période où le temps semblait s’écouler avec une interminable lenteur, voici venu le

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jour du départ. Matelas à même le sol sur lesquels on a mal dormi la dernière nuit, murs nus où se détachent les emplacements des cadres détachés, Edy réalise qu’une étape irréversible est franchie. Sur l’Esperia, la larme à l’œil, les traits du visage un peu crispés, les passagers regardent, au bout de leurs jumelles, cette Alexandrie qu’ils ont tant aimée s’éloigner à jamais. Les escales méditerranéennes ne sont que désillusions. À Syracuse, Edy pense retrouver Alexandrie : les deux villes n’ont-elles pas été fondées par les Grecs ? Hélas, les bâtiments délabrés, les cafés rares, les enseignes publicitaires médiocres, les visages fermés, tout cela est bien loin des splendeurs de la Corniche. À Marseille, voici la France que le professeur d’Edy lui a appris à aimer ; il fait froid, le ciel est gris, il pleut, gros chandails et écharpes sont nécessaires, la Canebière ne ressemble guère à la Corniche et les cafés n’évoquent en rien le « Bar de la Marine » des comédies de Pagnol. Entre-temps, l’apparente insouciance des passagers s’est dissipée, l’ambiance à bord est devenue lourde : de quoi demain sera-t-il fait ? Enfin, Gênes où les accueille un membre de la HIAS (Hebrew Immigrant Aid Society) qui les installe dans une chambre étriquée d’un « gentil petit hôtel » sans lavabo ni toilettes. Le lendemain, voici les Feinberg dans un de ces inconfortables trains italiens des années 1960 qui les emmène à Lausanne. C’est là qu’ils vont se fixer et qu’Edy va réussir son acculturation européenne. Mais c’est une autre histoire… Edy Feinberg sait entrecouper de chapitres anecdotiques les pages graves de ce livre émouvant. Écrite dans un style léger et facile à lire, cette histoire de paradis perdu et d’exil, de nostalgie et de lutte contre la déculturation, presque tous les lecteurs de Kaminando i Avlando l’ont vécue, eux-mêmes ou leurs parents, à plus forte raison ceux nombreux, nés en Égypte et qui ont dû la quitter, le cœur lourd.

Henri Nahum


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146 boulevard Haussmann

Maurice SOUSTIEL MED Éditions 2018 ISBN : 979-1069915411

Un jour de l’hiver 2013, l’auteur, Maurice Soustiel, reçoit un colis venant de Salonique ou plutôt de Thessaloniki. Sa tante, Rachel Soustiel, avant de mourir, a confié cette boîte à chaussures à une amie en lui demandant de la faire parvenir à Maurice. Les documents que contient la boîte bouleversent Maurice. À part Rachel, tous les membres de la très nombreuse famille Soustiel ont été déportés et ne sont pas revenus. Maurice, qui est né en 1950, n’a pas connu l’occupation allemande de Paris, mais à travers les rares confidences de sa mère, et les silences obstinés de son père, cette période a marqué son enfance et continue à le hanter à l’âge adulte. Le père de Maurice, Joseph Soustiel, est né à Salonique. Dans cette ville et à Constantinople, il a acquis, très jeune, une très bonne connaissance des antiquités ottomanes. En 1921, à dix-sept ans, un oncle le fait venir à Paris. Il y fait connaissance d’une jeune veuve, Berthe, qui tient une mercerie. Elle devient son associée dans un magasin rue de La Grange Batelière dans le neuvième arrondissement : « Art musulman, chinois et broderies. Velours. Étoffes. Tapis anciens. Curiosités », magasin transféré ensuite 146 boulevard Haussmann – c’est le titre du livre. On murmure que Berthe, née Léger, a été la maîtresse de Raymond Poincaré et d’Aristide Briand. Elle a une fille illégitime, Irène, baptisée en 1921. Berthe épouse Moshon Eskenazi qui reconnaît Irène et qui meurt trois ans plus tard lors d’un séjour à Constantinople. Berthe Léger, française, catholique, est devenue par son mariage Berthe Eskenazi, de nationalité ottomane. Irène Léger, la fille illégitime de Berthe baptisée peu

de temps après sa naissance, reconnue par Moshon Eskenazi, est devenue Irène Eskenazi. Berthe meurt en 1929. Joseph Soustiel devient le tuteur légal d’Irène qui n’a pas encore dix ans. Il la voit grandir et l’épouse lorsqu’elle a à peine plus de quinze ans. Voici donc le couple Soustiel constitué : Joseph né à Salonique, de nationalité grecque – Salonique est devenue grecque en 1912 et Joseph a un passeport grec, Irène Eskenazi, beaucoup plus jeune, devenue Irène Soustiel par son mariage. Deux enfants naîtront avant la guerre de cette union, trois autres après la guerre ; le plus jeune, Maurice, né en 1950, est l’auteur de notre livre. Juin 1940 : la débâcle, l’occupation de Paris, l’armistice. Octobre 1940 : le gouvernement de Vichy promulgue le Statut des Juifs. Faut-il se déclarer comme tels ? Les Soustiel décident de le faire, de crainte des lourdes sanctions stipulées dans le texte. Ils apposent dans leur vitrine le tampon jaune à caractères noirs « Judisches Geshaft. Entreprise juive ». Apparaissent alors, dans le roman qu’est l’histoire vraie de la famille Soustiel, deux personnages. Monsieur Jacques Poirier se présente le 12 février 1941, 146 boulevard Haussmann. Il a été nommé administrateur provisoire de cette entreprise juive. Le ton, d’abord courtois, devient sec, puis menaçant. Toutes les antiquités exposées sont maintenant à la disposition de M. Poirier. Il est déjà allé à la banque et s’est saisi de la clé du coffre. Il prend possession du registre de commerce, des livres de comptabilité et fait signer à Joseph une procuration sur son compte en banque. Un mois plus tard, c’est Emanuele Brunatto qui pousse la porte du magasin. Ses bureaux sont dans le même immeuble. Il a admiré un plat d’Iznik dans la vitrine et veut aussi faire expertiser un châle oriental qu’il possède. Il est italien, catholique, et est certain d’être guidé par la Providence depuis qu’il a rencontré le Padre Pio, un moine des Pouilles. Il se prend d’amitié pour les Soustiel et veut les aider à rectifier l’erreur qu’ils ont commise en se déclarant comme Juifs. Leur

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situation est pour le moins complexe : Salonique, Paris, noms patronymiques, prénoms, baptêmes, circoncisions, mariages, enterrements. Il en démêle les fils. Grâce aux amitiés allemandes qu’il a pu contracter, après moult démarches, faux certificats de baptême, fausses identités, il arrive à faire obtenir, pour la famille Soustiel, un certificat de « non-appartenance à la race juive ». Emanuele Brunatto finit par recueillir le couple et ses deux enfants dans sa maison à Orsay. Jacques Poirier ne désarme pas. Bien que les Soustiel aient obtenu un certificat attestant qu’ils ne sont pas de race juive, il considère que son mandat d’administrateur provisoire reste valable, veille à la liquidation du magasin du boulevard Haussmann, met en vente les antiquités qu’il contient à l’Hôtel des Ventes rue Drouot, puise largement, grâce à la procuration qu’il a obtenue, dans le compte en banque de Joseph Soustiel. Pis encore, Jacques Poirier dénonce les Soustiel aux autorités allemandes. Les arguments utilisés par Brunatto sont contestés. Les Soustiel doivent se soumettre à l’examen « ethno-racial » du professeur Montandon : aspect des oreilles, du nez, des yeux, des pieds, appréciation de la mimique et de la démarche et surtout examen de la circoncision : est-elle rituelle ou chirurgicale ? À la Libération, Jacques Poirier disparaît. Joseph Soustiel lui écrit pour lui demander de lui rendre les documents qu’il lui a soustraits. La lettre lui revient avec la mention « Retour à l’envoyeur ». Emanuele Brunatto disparaît lui aussi. Il a eu des contacts avec les autorités allemandes. Il risque d’être condamné pour « intelligence avec l’ennemi ». Irène le retrouve chez les Franciscains. Les Soustiel participent au « Comité de défense ». Voici donc l’histoire de la famille Soustiel pendant l’occupation allemande. Elle est écrite dans un style alerte. Intelligemment, l’auteur a su, sans pédanterie, insérer dans ce livre destiné à un large public, les pré-requis que le lecteur ne possède pas toujours : l’Inquisition, l’expulsion de 1492, l’histoire de Salonique, le Statut des Juifs et même l’artisanat des tapis.

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Trois quarts des Juifs de France ont échappé à la déportation. Leurs histoires sont toutes semblables et toutes différentes. Ils disent tous être des miraculés. Le miracle est l’action d’un Français non juif au moment le plus critique. Quelle a été sa motivation se demandent-ils ? Convictions religieuses ? Tradition républicaine ? Simple humanité ? Ici il s’agit d’un Italien, guidé par la Providence. Il croit en l’amitié franco-italienne et a prénommé ses filles Franca et Italia. Il a des relations avec les autorités allemandes, mais les utilise pour protéger une famille juive et pour prévenir de nombreuses familles la veille des rafles. En face de ce Bon, le Méchant : il s’acharne sur une famille juive pour des raisons intéressées, la dénonce aux autorités allemandes. Autre intérêt de l’ouvrage de Maurice Soustiel : l’impossibilité douloureuse pour ceux qui ont vécu la période sombre, mais aussi pour les membres de la génération suivante, de trouver un équilibre entre le devoir de mémoire et la nécessité de l’oubli. Le père de Maurice, Joseph Soustiel, se mure dans le silence et refuse, pour ne pas pleurer, de regarder les émissions commémoratives à la télévision. Sa mère Irène raconte parfois quelques bribes et il faut que Maurice l’interviewe en présence d’un spécialiste de la Shoah, pour qu’elle en dise un peu plus. Quant à Maurice Soustiel, malgré l’angoisse qu’il a ressentie à la réception du colis de Salonique, il s’est rendu à Salonique, à Auschwitz et en Israël et a consulté d’innombrables archives pour reconstituer l’histoire qui fait l’objet de son ouvrage. Dieu n’est pas absent du livre. « Ely, Ely, lama samakhtani ? » pourrait dire tout Juif. Irène reste persuadée que c’est une intervention divine qui a sauvé sa famille, grâce à l’intercession du Padre Pio et d’Emanuele Brunatto. « Où est Dieu ? Qui est Dieu ? » se demande Maurice Soustiel. « Se peut-il que le Dieu des chrétiens ait prêté une écoute plus attentive à la plainte des Juifs que le Dieu d’Abraham ? Ou bien s’agit-il du même Dieu, ou encore, Dieu nous a-t-il vraiment abandonnés, mais dans les moments les plus graves de notre


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histoire humaine, ce Dieu de Miséricorde trouvet-il parfois une forme de résonance dans le cœur d’un Juif, d’un chrétien, d’un Padre Pio ou d’un Emanuele Brunatto ? ».

Henri Nahum

La rose de Saragosse Raphaël Jerusalmy

Éditions Actes Sud. Janvier 2018 ISBN : 978-2-330-09054-8

Raphaël Jerusalmy, écrivain et romancier israélien né à Paris en 1954 a déjà publié plusieurs œuvres couronnées de succès, en particulier Sauver Mozart : le journal d’Otto J. Steiner, La confrérie des chasseurs de livres ou encore Évacuation. Avec son roman La rose de Saragosse, il nous emmène voyager dans l’Espagne des Rois Catholiques, quelques années avant le décret d’expulsion des Juifs de 1492. L’action débute dans la ville de Saragosse (Royaume d’Aragon) en 1485. Le lecteur est maintenu en haleine dès les premières lignes, entrant dans une ambiance oscillant entre le roman historique et le thriller. Le 14 septembre 1485, le père Arbuès, Inquisiteur de Saragosse, en une macabre mise en scène, est assassiné dans la Seo, la grande cathédrale de Saragosse. On pourrait penser que l’action va consister à rechercher le ou les coupables. Mais il s’avère que, visiblement les autorités tant judiciaires que religieuses se montrent, certes, préoccupées par cette affaire, mais en réalité attachent une plus grande importance à toute une série de caricatures placardées dans la ville, dont on ne sait si elles représentent en réalité le père Arbuès assassiné ou bien le grand Inquisiteur Torquemada lui-même... Le tournant pris par cette affaire

crée un climat déroutant, piquant la curiosité du lecteur. Une ambiance onirique émane de tout le récit, la frontière entre fiction et réalité apparaissant parfois assez ténue. Le mystère est souvent présent, comme cet étrange objet sacré qui serait détenu par la famille Cuheno… L’image, la représentation sous forme de dessin ou de gravure joue également un grand rôle tout au long des chapitres, mais, là aussi, même si le trait est précis, il peut être parfois déroutant. Cette ambiance est propre à susciter l’intérêt, invitant à s’engager plus profondément dans la lecture. En toile de fond, l’Inquisition, sous la férule des dominicains et bien sûr de Torquemada, le grand Inquisiteur bien connu, présenté ici sous des traits oscillants entre l’effrayant et le ridicule. Mais il est aussi dogmatique, calculateur, cruel… Les dénonciations vont bon train, les autodafés et exécutions publiques se multiplient, semant la terreur, particulièrement parmi tous les nouveaux chrétiens, souvent convertis par force, sans avoir toujours totalement renoncé à leur foi d’origine. Nombreux sont ceux qui envisagent le chemin de l’exil, comme Abraham Cuheno, en négociation avec un graveur turc pour mener à bien ce projet. De nombreux personnages émaillent le récit, centré en partie sur les Montesa, riche famille noble de conversos, mais aussi la famille Cuheno, amie de la première, les différents membres sont tous dotés d’une personnalité propre et attachante. Mais on peut aussi s’attarder sur l’ambigüité d’Angel de la Cruz, « familier » de l’Inquisition, hidalgo appauvri, tout aussi rustre et brutal que son chien Cerbero qui le suit en tous lieux. Il a un rôle peu sympathique de mouchard, de dénonciateur, tentant de débusquer par tous les moyens des comportements jugés peu compatibles avec la foi catholique ; il est obstiné et redoutable dans ses actions. Il est pour le moins surprenant qu’un être violent si peu raffiné soit malgré tout doté d’une âme d’artiste, dessinateur de talent, graveur à l’occasion ; il est littéralement fasciné par la belle Lea de Montesa, la fille de

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Menassé de Montesa, intelligente, artiste, aussi graveuse dotée d’un immense talent, se montrant énigmatique parfois, tout cela pouvant expliquer l’intérêt suscité chez Angel de la Cruz. Lea a promis dès l’enfance d’épouser Yehuda Cuheno, fils d’Abraham Cuheno. Ce dernier révèle également une personnalité aux multiples facettes : légèrement handicapé, puisqu’il boîte, il sait tirer parti de bien des situations et il a plus d’un tour dans son sac, en particulier au jeu de cartes. Il n’hésite pas à fréquenter les tripots, ni à se battre, tel un authentique héros de roman picaresque. Il joue parfois un jeu dangereux, n’hésitant pas à se confronter à Angel de la Cruz, sans jamais manquer toutefois d’avoir en vue la protection et la sauvegarde des siens. Ce roman est riche d’ingrédients qui ne manqueront pas de susciter un intérêt grandissant au fil des pages. Le décor étant planté, il n’est pas de notre propos de dévoiler les aventures, les péripéties ou les dangers que rencontreront ces différents personnages, pas plus que de déflorer l’intrigue dans tous ses détails. Mieux vaut inviter le lecteur à l’ouvrir et à commencer à le parcourir : dès les premières pages, il sera immanquablement emporté par l’ambiance et il n’aura de cesse que d’en découvrir le dénouement.

Monique Héritier

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Las komidas de las nonas DULSE DE ROZAS

CONFITURE DE ROSES

Ingredientes – 4 vazos de petalos de rozas, sin la parte blanka (se kortan todos endjuntos kon la tijera al nivel del paliko) – 4 vazos de asükar – el sumo de 4 limones – un vazo de agua Preparasión 1. Se mesklan los pétalos de las rozas kon la asükar don una kuchara de palo. 2. Se desha repozar por una ora 3. Se mete a buyir a lumbre fuerte, i se abasha la lumbre, meneando siempre, asta ke se ablandea, adjustando agua 4. Antes de abashar la lumbre, se adjusta el sumo de limon, se menea i se da otro buyor. 5. Se desha yelar i se mete en bocha de vidro en el frijider.

Ingrédients – 4 verres de pétales de roses, sans la partie blanche (les couper toutes ensemble avec des ciseaux au niveau de la tige), – 4 verres de sucre, – le jus de quatre citrons, – un verre d’eau.

Préparation 1. Mélanger les pétales de roses et le sucre avec une cuillère en bois. 2. Laisser reposer pendant une heure. 3. Faire bouillir à feu vif puis mettre à petit feu, sans cesser de remuer jusqu’à ramollissement, en ajoutant de l’eau. 4. Avant de réduire le feu, ajouter le jus de citron, remuer et faire bouillir à nouveau. 5. Laisser refroidir puis verser dans des bocaux de verre et mettre au réfrigérateur.

Recette d’Izmir transmise par Dora Bar-Or et extraite du livre de Matilda Koen Sarano Guizar kon gozo (Editorial S. Zack, Jérusalem, 2010).


Directrice de la publication Jenny Laneurie Fresco Rédacteur en chef François Azar Ont participé à ce numéro Laurence Abensur Hazan, Michel Arié, François Azar, Marie-Christine Bornes Varol, Camille Cohen, Corinne Deunailles, Monique Héritier, Jenny Laneurie, Henri Nahum, Julia Phillips Cohen.. Conception graphique Sophie Blum Image de couverture Rafael Eskenazi Coyas (Djoyas) originaire d’Istanbul photographié en studio dans un costume ottoman à Londres. Il envoya la photographie à l’un de ses frères resté en Turquie. Il porte un shalvar (pantalon bouffant), un djepken (un gilet ottoman) et est coiffé d’un fez. Rafael Coyas quitta la Turquie à la fin de la Première Guerre mondiale pour l’Angleterre puis la France où il s’établit à Nice. Ses frères Jak et Léon l’y rejoignirent. Il épousa une catholique française, Louise dont il n’eut pas d’enfants. Avec son frère Jak, Rafael ouvrit une boutique de chausseur. Les trois frères échappèrent aux déportations durant la Seconde Guerre mondiale. Source : base de données Centropa (entretien avec Samuel Coyas) Impression Caen Repro, Parc Athéna, 8, rue Ferdinand Buisson 14 280 Saint-Contest ISSN 2259-3225 Abonnement (France et étranger) 1 an, 4 numéros : 40€ Siège social et administratif MVAC 5, rue Perrée 75003 Paris akiestamos.aals@yahoo.fr Tel : 06 98 52 15 15 www.sefaradinfo.org www.lalettresepharade.fr Association Loi 1901 sans but lucratif n° CNIL 617630 Siret 48260473300030 Octobre 2018 Tirage : 950 exemplaires Numéro CPPAP : 0319 G 93677

Aki Estamos – Les Amis de la Lettre Sépharade remercie ses donateurs et les institutions suivantes de leur soutien


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