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| O CTOBRE, NOVEMBRE,

DECEMBRE 2020 Tichri, Hechvan, Kislev, Tevet 5781

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Revue de l'association Aki Estamos Les Amis de la Lettre Sépharade fondée en 1998

03 D avid Elazar « Dado » Vie et destin d’un général israélien

15 «  Dado »

Les années Palmach — HANOCH BARTOV

54 Chronique de la famille Arié de Samokov (suite)

62 P ara meldar — MONIQUE HÉRITIER

63 P ara sintir

— SUSANA WEICHSHAHAK

SUPPLÉMENT À LA REVUE

Un chemin sous les orages. Souvenirs de jeunesse de Didier Sarfaty (1927-1945).


L'édito Un peuple de lutteurs

1. Portefaix, débardeurs. 2. Pompiers volontaires. 3. Bateliers.

C’est à un numéro exceptionnel que nous vous convions à travers deux récits de vie, l’un représentant la quintessence de la diaspora et le second une incarnation vivante de « l’homme nouveau israélien ». Aussi différents qu’ils puissent être, ils n’en présentent pas moins des points communs : un grand amour de la vie, une énergie toujours en mouvement, une capacité à progresser et à s’assimiler à un nouvel environnement. Le témoignage d’un optimisme à toute épreuve et, pourquoi ne pas le dire, d’une culture virile. C’est au grand air de la mer et de la montagne que David Elazar et Didier (David) Sarfaty ont trouvé l’épanouissement de la jeunesse. Rien d’étonnant à cela si l’on veut bien laisser de côté une image quelque peu réductrice de la culture judéo-espagnole. Il suffit de se plonger dans les albums de photographie du siècle dernier pour que défilent de jeunes hommes en tenue militaire, des makkabim affichant leur aptitude au combat, des hamales 1, des tulumbadjis 2, des kayikjis 3, des dockers du port de Salonique ou de Haïfa ou encore de hardis commerçants traversant les routes d’Anatolie et des Balkans et défiant les brigands (zeïbeks, tcherkes, yangulas). Sans compter ces portraits d’émigrants sépharades, valeureux conquérants d’un Nouveau Monde, pionniers aux mains vides, mais débordants d’énergie et d’ambition. Cette énergie, assortie d’une bonne dose de chance et d’intelligence, ne

leur a pas été de trop durant la guerre pour déjouer les pièges de l’occupation nazie ou mener le combat pour l’indépendance d’Israël. Leur destin a bien souvent tenu à un fil. Pour David Elazar, c’est la fermeture des lycées yougoslaves aux élèves juifs qui a déterminé son aliya en décembre 1940. Pour Didier Sarfaty une voie étroite et semée de dangers s’ouvrait encore en 1941 lui permettant d’intégrer l’École centrale dans Paris occupé. Les études ou les armes voire parfois les deux si l’on se souvient du parcours de Raphaël Esrail, évoqué par Brigitte Peskine dans notre précédent numéro. Prendre son destin en main, faire front en toutes circonstances voilà l’une des grandes leçons de vie que nous offrent ces récits. Une leçon dont témoignent à leur façon de nombreux proverbes judéoespagnols : kada ombre es patron de su mazal, chaque homme est maître de son destin ; ken mas aze, mas vale, celui qui fait plus, vaut plus ; el ke anda, el Dyo le manda, à celui qui marche, Dieu envoie. Cet optimisme viscéral qui passe au-dessus de tant de peines ne sera pas superflu pour surmonter les épreuves du temps présent. Nous souhaitons que la même énergie soit déployée aujourd’hui pour promouvoir la langue et la culture judéo-espagnoles. De nombreuses initiatives, dont rend compte ce numéro, nourrissent notre optimisme. Poursuivons ensemble ce chemin durant l’année 5781 ! Anyada buena a todos kon salud, alegria i reushita kumplida !


KE HABER DEL MUNDO ? |

Ke haber del mundo ?

09.2020 Catalogne - Israël

Le Dr Idan Pérez, conservateur à la Bibliothèque nationale israélienne reçoit le prix Josep Maria Batista i Roca – Enric Garriga Trullols 2020 pour son édition du Sidur de Catalunya.

Les Juifs de Catalogne – l’une des communautés médiévales les plus florissantes du Moyen-Âge – ont développé des coutumes et des rites religieux (minhag et nusach) qui les distinguent des traditions sépharades, ashkénazes ou italiennes. Les œuvres des rabbins catalans les plus connus comme Shlomo Ben Adret (12351310) à Barcelone ou Nahmanides (1194-1270) à Gérone sont encore étudiées dans les yeshivot du monde entier. Au-delà de l’actuelle Catalogne, leur autorité s’étendait aux Baléares et à la région de Valence. À partir de 1391, sous l’effet des persécutions et des conversions forcées beaucoup de Juifs quittèrent les pays catalans pour le Maghreb ou l’Empire ottoman. Les derniers d’entre eux furent chassés en 1492. Leur attachement à la tradition se fait sentir jusque dans l’émigration où ils fondent à Rome, à Salonique, à Constantinople ou à Alger des synagogues où l’on applique le minhag catalan. Ces rites perdureront jusqu’au début du XXe siècle à Rome, jusqu’à la Shoah à Salonique et sont encore vivants dans quelques communautés de Juifs originaires d’Algérie. C’est le très grand mérite du Dr Idan Pérez d’avoir cherché à préserver cette tradition en publiant un sidur (rituel) catalan adapté à notre temps et en l’accompagnant d’une remarquable introduction présentant les sources utilisées, l’évolution des rites et une histoire des Juifs catalans.

Le Dr Pérez est lui-même natif de Barcelone et a réalisé son aliya en 2004. Comme il le confie, il ignorait tout du rituel catalan avant d’étudier dans une yeshiva sépharade de la vieille ville de Jérusalem. Des études de philologie et des années de recherches lui ont permis de renouer le fil de cette tradition. Le sidur de Catalunya 1 est constitué de textes de prières appartenant à six manuscrits catalans en hébreu et en araméen. Le plus ancien qui sert de référence est daté de 1352 et fait partie de la collection Guinzburg de Moscou. D’autres manuscrits des XIV, XV et XVIe siècle sont disséminés entre Parme, Saint-Pétersbourg, Oxford ou Rome. L’une des surprises du Dr Pérez après la publication du livre en 2019 fut de constater que l’intérêt des communautés orthodoxes ashkénazes surpassait celui du monde sépharade. La reconnaissance aujourd’hui de ce travail sur la terre même qui l’a vu naître est donc une satisfaction personnelle. Notons que le prix Josep Maria Batista i Roca – Enric Garriga Trullols qui récompense depuis trente-deux ans des œuvres favorisant le rayonnement de la culture catalane à l’étranger est pour la première fois attribué à une œuvre témoignant de l’héritage juif catalan. Commandes et renseignements : https://sidurcatalunya.com/ 1. Outre les prières rythmant la vie quotidienne et les principales fêtes, le sidur comprend des poésies religieuses (piyyoutim) et les coutumes appliquées en Catalogne lors des événements du cycle de la vie et des fêtes.

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| HOMMAGE

À l’heure de la pandémie, le judéo-espagnol s’épanouit en numérique Le judéo-espagnol n’a pas succombé à la pandémie et au confinement généralisé. Un florilège d’initiatives a vu le jour à travers le monde pour continuer à apprendre la langue ou à chanter en chœur. Rendons hommage en premier lieu au forum ladinokomunita fondé en 1999 par Rachel Amado Bortnick qui poursuit vaillamment sa route entièrement en judéo-espagnol. Si beaucoup de ses pionniers ont disparu, de nouveaux locuteurs sont venus renforcer ses rangs. D’autres initiatives ont vu le jour

pendant les mois de confinement : Unidos por el ladino est un collectif de chanteuses et de chanteurs qui se saisissent d’un chant judéoespagnol et l’interprètent à tour de rôle sur tous les modes. L’occasion de découvrir en Chine ou au Japon de nouvelles voix sépharades. Enkontros de Alhad proposé par Liliana et Marcelo Benveniste est une série d’entretien sous la forme de session zoom en Argentine, en Israël, aux États-Unis, en Turquie et en France avec des personnalités du monde sépharade. Bryan Kirschen de l’Université Binghamton de New York

et Devin Naar de l’Université de Washington à Seattle ont par ailleurs ouvert au printemps et cet été des cours de judéo-espagnol en ligne avec un succès inespéré dépassant pour certaines sessions les 500 participants. Souhaitons le même succès au cours d’Aki Estamos qui a repris le 1er octobre 2020 sous la forme de session zoom. Cette formule qui s’est ouverte à de nouveaux participants sera pérennisée. Renseignements : izo_abram@hotmail.com

Hommage à Brigitte Peskine C’est avec une très grande peine que nous avons appris la disparition de Brigitte Peskine le 5 septembre 2020 à l’âge de soixante-huit ans. La littérature était chez elle une vocation de jeunesse et une grande passion qu’elle a déclinée sous de nombreuses formes. Son premier roman, Le Ventriloque est publié en 1985 aux éditions Actes Sud. Elle publie en parallèle de nombreux ouvrages pour la jeunesse à l’École des loisirs, chez Nathan, Bayard ou encore Hachette. Pour les Judéo-espagnols, elle est d’abord l’auteur inoubliable du roman Les Eaux douces d’Europe (Seuil, 1996) dont le succès lui inspira une suite Buena familia (NiL/Laffont, 2000). À travers la vie de Rebecca Gategno, née à Istanbul à l’aube du XXe siècle, elle évoque le destin des femmes sépharades d’Orient prisonnières des règles du patriarcat, mais qui entament grâce aux études et à l’émigration un lent et douloureux parcours vers l’émancipation. Ses filles lui ont inspiré l’idée

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Brigitte Peskine en 2012 lors de la première université d’été judéo-espagnole présentant le livre de Jean-Luc Benoziglio, Cabinet Portrait. (crédit photo : AIU)

de la série télévisée La Famille Fontaine, dont elle cosigne les trente épisodes, diffusés sur France 2 et France 3 en 1989-1990. Elle était une collaboratrice régulière et très appréciée de La lettre sépharade de Jean Carasso puis de Kaminando i Avlando jusque dans ce dernier numéro où elle signe l’avant-propos des souvenirs de Didier Sarfaty. Sa présence amicale, talentueuse et toujours bienveillante à nos côtés nous manquera infiniment. Nous adressons nos très vives condoléances à sa famille. En pas ke deskanse.


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Figures du monde sépharade

David Elazar « Dado »

Vie et destin d’un général israélien « Puis comme si elle s’efforçait de résumer son sentiment dominant à propos de David Elazar, Golda Meir poursuivit : Il y a des gens qui illuminent votre cœur à chaque fois que vous levez les yeux sur eux. Il était l’un de ceux-là. » La vie de David Elazar, « Dado » pour le public israélien ou « Dodelé » comme l’appelait affectueusement son ami Haïm Bar-Lev, déborde largement le cadre de ses origines judéo-espagnoles. Il n’est d’ailleurs jamais évoqué parmi les grandes figures sépharades du XXe siècle comme si son destin n’avait que peu à voir avec cette histoire-là ou qu’il soit devenu trop important pour tenir dans ces limites. Et pourtant, David Elazar, parvenu au premier rang d’une élite presque exclusivement ashkénaze était un vrai judéo-espagnol, dont l’exceptionnel pouvoir de séduction n’était sans doute pas étranger à ses origines. Tentons donc l’impossible en retraçant en quelques lignes la vie d’un Sépharade devenu en trois décennies l’une des figures majeures d’Israël.

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David Elazar est né le 27 août 1925 dans une famille judéo-espagnole de Sarajevo. À seulement six ans, il perd sa mère et il est confié aux soins de ses grands-parents. Il partira ensuite étudier à Zagreb où il se lie d’amitié avec le futur chef d’état-major de l’armée israélienne, Haïm Bar-Lev (alors Bratzlavski) au sein du mouvement de la gauche sioniste, Hashomer Hatzaïr. Les mesures antisémites se multipliant en Yougoslavie, Bar-Lev émigre en Palestine en 1939. David Elazar obtiendra un an plus tard l’un des derniers visas attribués à « l’Aliya des jeunes ». Il arrive en Palestine à la fin de 1940 où il rejoint Sha’ar Ha’amakim, le kibboutz fondé par les Juifs yougoslaves.

Du kibboutz au Palmach Le mode de vie collectif a sans doute été une épreuve pour cet adolescent coupé des siens. Dès qu’il sait assez d’hébreu, il fait preuve de remarquables qualités pour entraîner, encadrer, motiver les jeunes qui lui sont confiés. Mais cette apparente sociabilité masque aussi des aspirations personnelles qui s’accommodent mal de la discipline collective. Au-delà de l’idéal sioniste, il y a chez lui un goût très romantique pour l’aventure, une quête de nouveaux défis à partager. En 1946, il finit par rompre son engagement avec l’Hashomer Hatzaïr pour intégrer les « unités de choc » du Palmach, en réalité une petite troupe d’adolescents dépenaillés et mal armés, mais soudés par un idéal. C’est cet épisode de sa vie qui est retracé dans les pages qui vont suivre. Il participera à toutes les phases essentielles de la guerre d’indépendance comme chef de peloton tout d’abord, puis comme chef de compagnie et enfin comme chef de bataillon. Il s’y distingue non seulement par sa bravoure, son intelligence, son sens de l’organisation, mais surtout par son sang-froid à toute épreuve et sa capacité à agréger autour de lui une troupe composite de « sabras » et d’émigrants fraîchement débarqués.

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Instructeur de la nouvelle armée israélienne Contrairement à beaucoup de ses anciens camarades qui assistent amers à la dissolution du Palmach par Ben-Gourion, il décide de rejoindre la nouvelle armée israélienne. Yitzhak Rabin qui dirigeait alors l’école des officiers supérieurs en avait fait un sanctuaire pour les plus brillants palmachniks, tels qu’Uri Ben-Ari, Haïm Bar-Lev ou encore Uzi Narkis. Il y accueille David Elazar, qui d’élève officier devient vite instructeur. Ce cours aura un rôle crucial pour définir la doctrine militaire de Tsahal. Dado s’y distingue par sa capacité à traduire avec clarté son expérience en termes de tactique et de stratégie. Il y rencontre aussi Israël Tal « Talik », le futur concepteur du char Merkava. Comme le rapporte Talik ce fut « entre nous un vrai coup de foudre qui ne s’explique pas. » Les deux hommes ne se quitteront plus, même si leur amitié prendra un tour tragique durant la guerre de Kippour. Talik est sans doute un de ceux qui a le mieux cerné la personnalité de Dado : « Ceux qui ne le connaissaient pas pouvaient croire qu’il était quelqu’un de doux et soumis, mais rien n’était plus faux. Il était plein de charme et d’une grande générosité, mais le sourire, l’affection, les bons sentiments qui émanaient de lui étaient juste une enveloppe ; le noyau était aussi dur qu’un roc. Au fond, il était incroyablement solide et obstiné avec une once de brutalité envers lui-même. C’était comme un personnage avec deux personnalités, toutes deux authentiques. […] Aussi sentimental et romantique qu’il fût, je n’ai jamais rencontré quelqu’un qui soit à ce point guidé par une logique froide et rationnelle en toutes circonstances. Le vrai Dado était un noyau très dur dans une enveloppe très douce. » Dado se marie le 8 août 1952 avec Talma Arad, une jeune fille du kibboutz Ein Shemer dont il aura trois enfants. Les impératifs militaires primaient alors sur tout élan romantique. Des manœuvres étaient en cours ; le mariage fut improvisé et expédié par le rabbin de la localité


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Yitzhak Rabin, chef d’état-major de l’armée israélienne et David Elazar, commandant du front nord en 1966, un an avant la guerre des Six Jours. Collection : Dan Hadani. Bibliothèque nationale d’Israël.

voisine et Dado rejoignit son campement pour une nuit de noces en solitaire.

À la tête du corps des blindés Avec l’aide de Talik, Dado obtient un diplôme de fin d’études secondaires, puis demande un congé sans solde pour étudier à l’Université hébraïque de Jérusalem. Ce fut la seule année bohème de sa vie où son goût pour les sérénades espagnoles et les soirées arrosées et enfumées des cercles artistiques prirent le dessus. Un an plus tard, il retrouve l’armée grâce à Yitzhak Rabin qui le fait nommer à la tête du département de la doctrine militaire. Loin de se cantonner à un travail de bureau, il participe à toutes les opérations commando dans le Sinaï ; le prétexte, joindre l’action à la réflexion, dissimulant mal une addiction à la prise de risque. La guerre de Suez en 1956 qu’il traverse à la tête d’une brigade d’infanterie le convainc que les batailles se gagnent désor-

mais par l’emploi massif des chars. Il demande en 1957 son transfert dans le corps des blindés, prêt à reprendre une longue période de formation. Il y passera sept ans et, en juin 1961, il succède à Haïm Bar-Lev comme commandant du corps au grade de général ; il a alors trente-six ans. Alors que les blindés deviennent le fer de lance de l’armée, il développe l’esprit de corps afin d’attirer à lui les meilleurs éléments. C’est aussi à leur tête qu’il cultive son sens des relations publiques, fondant un chœur, une équipe de football, propulsant ses « bérets noirs » à la une des médias.

La guerre des Six Jours et la conquête du Golan En 1964, son ami Yitzhak Rabin est nommé chef d’état-major de l’armée israélienne. Il choisit alors Dado pour commander le front nord face au Liban et à la Syrie tandis qu’Israël Tal lui succède à la tête des blindés.

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David Elazar, chef d’étatmajor de l’armée israélienne lors de la cérémonie de promotion des cadets du corps des blindés en 1972. Collection : IPPA/ Dan Hadani. Bibliothèque nationale d’Israël.

Golda Meir, Premier ministre s’entretenant avec le nouveau chef d’état major de l’armée David Elazar le 31 décembre 1971. Collection. IPPA/ Dan Hadani. Bibliothèque nationale d’Israël.

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Cérémonie de prise de fonction de David Elazar chef d’état-major de l’armée israélienne en présence de son prédécesseur Haïm Bar-Lev et du ministre de la Défense Moshe Dayan. Le 31 décembre 1971 à la résidence du président d’Israël. Collection : IPPA/ Dan Hadani. Bibliothèque nationale d’Israël.

Durant les cinq années qu’il passera à ce poste stratégique, il entretiendra des relations très étroites avec les habitants des implantations de Haute Galilée régulièrement visés par des bombardements syriens. Ce groupe de pression s’avérera son meilleur allié dans toutes les relations qu’il entretiendra avec les autorités politiques. Lors de la guerre des Six Jours en 1967, alors que le sort de la guerre se joue dans le Sinaï, il se fait ainsi l’avocat inlassable de la prise du Golan. Le ministre de la Défense, Moshe Dayan, craignant une réaction des Soviétiques en cas d’attaque en Syrie, n’accordera son feu vert qu’au dernier jour de la guerre, blanc-seing que Dado transforme aussitôt en campagne éclair. Vingt-sept heures plus tard, Kuneitra est aux mains des Israéliens.

Le neuvième chef d’état-major de l’armée israélienne À l’issue de la guerre des Six Jours, Israël vit une période d’euphorie. Ses dirigeants ne jugent

pas crédible que l’Égypte et la Syrie se lancent à nouveau dans une guerre de grande ampleur contre Israël. Les signaux d’alerte sont négligés en particulier par le chef des renseignements militaires, Éli Zeira. Les Égyptiens qui ont réorganisé leur armée avec l’aide des conseillers soviétiques jouent sur du velours, soufflant le chaud et le froid, multipliant les fausses alertes pour mieux endormir la vigilance des Israéliens. C’est dans ce contexte que le 1er janvier 1972 David Elazar succède à Haïm Bar-Lev comme chef d’état-major de l’armée. Il est le candidat favori du Premier ministre Golda Meir contre le candidat de Moshe Dayan, ministre de la Défense, Yehoshua Gavish. Dès sa prise de fonction, David Elazar est confronté à plusieurs défis : les attentats commis par des Palestiniens se multiplient avec notamment le détournement d’un avion de la Sabena à Lod le 8 mai 1972 et l’assassinat de 11 athlètes israéliens, le 5 septembre 1972 à Munich. La guerre contre le terrorisme est un nouveau défi pour Israël. La doctrine appliquée par l’armée

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Le 7 octobre 1973, au deuxième jour de la guerre de Yom Kippour, discussion sur une contreattaque dans le Sinaï. La présentation est faite par le lieutenantcolonel Gedalya, chef du renseignement militaire du front sud. Au premier rang, le général Avraham « Albert » Mandler qui sera tué le 13 octobre, Uri Ben-Ari, le général Avraham « Bren » Adan, David Elazar, le commandant du front sud, Shmuel Gonen. À l'arrière-plan, Yitzhak Rabin.

Guerre de Yom Kippour. Inspection de la ligne de front du Golan par le chef d’état-major David Elazar le 9 octobre 1973. À sa gauche, son aide de camp, le lieutenantcolonel Avner Shalev. Photo : Haris Eitan.

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Guerre de Yom Kippour. Le 10 octobre 1973, au quartier général du front nord. Discussion avec le chef d’état-major David Elazar à propos de la contre-offensive en cours. Le commandant du front nord, Yitzhak « Haka » Hofi désigne un secteur sur la carte. Photos des pages 8 et 9 : Bureau de presse du gouvernement israélien.

Guerre de Yom Kippour. Le chef d’état-major David Elazar et le général Ariel Sharon. Les deux hommes s’opposeront à plusieurs reprises durant la guerre. David Elazar demandera la révocation d’Ariel Sharon au ministre de la Défense Moshe Dayan qui la lui refusera. Malgré leurs oppositions, Ariel Sharon sera de toutes les cérémonies d’hommage à David Elazar.

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Cérémonie pour le 25e anniversaire de l’indépendance d’Israël, Moshe Dayan, ministre de la Défense et David Elazar accueillant David Ben Gourion. 1973. Collection : Dan Hadani. Bibliothèque nationale d’Israël.

consiste à porter le fer au cœur du territoire ennemi « Fatahland » ainsi que le désigne Dado. La libération des otages de l’avion de la Sabena est un indéniable succès, mais en février 1973, un avion de ligne libyen égaré au-dessus du Sinaï est abattu par la chasse israélienne. David Elazar doit assumer une décision qui se traduit par la mort de 105 civils et membres d’équipage.

La guerre de Yom Kippour : victoire et tragédie En avril 1973, le président Anouar el-Sadate organise de grandes manœuvres qui mettent à nouveau l’armée israélienne sur le qui-vive. C’est une fausse alerte qui dissuadera les Israéliens de mobiliser en septembre 1973, lorsque les armées égyptienne et syrienne engagent de nouveaux préparatifs. Dado n’échappe pas à l’aveuglement général, dont Moshe Dayan et Éli Zeira sont les premières victimes. Dans le doute, une semaine

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avant le déclenchement de la guerre de Kippour, il fait doubler le nombre de chars stationnés sur le plateau du Golan. Si cette précaution se révèlera insuffisante, elle permettra néanmoins de résister efficacement dans les premières heures de la guerre. Il n’est pas question ici de retracer l’ensemble des évènements de la guerre de Kippour. Ce furent incontestablement les vingt jours les plus importants dans la vie de David Elazar. Ceux où son destin se confond avec celui d’Israël et où son expérience et ses qualités sont à l’œuvre pour retourner une situation compromise. Ehud Barak qui était alors l’un des jeunes officiers présents à l’état-major résume ainsi le rôle de Dado : « Un chef d’état-major a peu de décisions à prendre, mais elles sont décisives. Dans les premières heures de la guerre, alors que l’armée semblait sur le point de s’effondrer, que Moshe Dayan évoquait la chute du troisième Temple, Dado se montra solide comme un roc. » Il décida alors de concentrer toutes les forces


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Dîner de gala à Washington le 11 septembre 1974 à la résidence de l’ambassadeur d’Israël Dinitz en l’honneur du Secrétaire d’État américain Henri Kissinger. Photo : Moshe Milner. David Elazar rencontra Henri Kissinger à la fin de la guerre de Kippour. Ce dernier s'efforçait alors de rapprocher les États-Unis de l’Égypte en obtenant un accord de cessez-le-feu d’Israël. Bureau de presse du gouvernement israélien.

disponibles sur le font nord, le plus proche des centres vitaux du pays. Cela permit, au prix de lourdes pertes, de contenir l’offensive syrienne et deux jours plus tard de lancer une contre-offensive couronnée de succès. Sur le front du Sinaï, Dado choisit de temporiser et de laisser les blindés égyptiens s’avancer hors de la protection de leur bouclier de missiles anti-aériens. Sur place, ses décisions sont contrecarrées par le commandant du front sud, Shmuel Gonen et par Ariel Sharon à la tête de l’une des divisions blindées. Leurs contre-attaques prématurées se soldent par de lourdes pertes. David Elazar fait alors appel à son vieil ami de Zagreb, Haïm Bar-Lev qui accepte, avec son autorité d’ancien chef d’état-major, de coordonner le front du Sinaï. La tactique préconisée par Dado finira par payer. L’armée égyptienne poussée par Sadate s’avance imprudemment et subit de lourdes pertes permettant ainsi aux Israéliens de traverser à leur tour le canal de Suez. La guerre se clôt sur une victoire inespérée. Dado

arrache à Golda Meir et au Secrétaire d’État américain Henri Kissinger quelques heures précieuses lui permettant au nord de reconquérir le mont Hermon et au sud d’encercler la troisième armée égyptienne.

Une blessure encore ouverte Le sort des guerres se décide autant sur le champ de bataille que dans l’arène politique. La victoire obtenue par Dado est teintée d’amertume : près de 3 000 jeunes Israéliens ont trouvé la mort. L’opinion chauffée à blanc demande des comptes. Une commission d’enquête présidée par le président de la Cour suprême, Shmuel Agranat, s’efforce de tirer les leçons de la guerre. Elle est largement influencée par le ministre de la Défense Moshe Dayan qui y dispose de solides relais. La publication du rapport dédouanant les responsables politiques et faisant porter toute la responsabilité aux militaires soulève un tollé dans

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1. Hanoch Bartov. Dado 48 years and 20 days. The full story of the Yom Kippour war and of the man who led Israël’s army. Ma’ariv Book Guild. 1981. Traduction de 48 Shanim Ve-Od 20 Yom (1978). Nouvelle édition en hébreu actualisée et complétée en 2002. 2. Yaïr Elazar, Missing father. 2009.

l’opinion. Elle entraîne le 4 avril 1974, la démission de Dado de son poste de chef d’état-major ; sept jours plus tard, Golda Meir démissionne à son tour et Yitzhak Rabin lui succède comme Premier ministre. Dayan est écarté du nouveau gouvernement. Beaucoup a été dit et écrit quant à l’injustice qui frappa David Elazar. Golda Meir fut la première à regretter son éviction et à souligner que « s’il y eut un héros dans cette guerre, ce fut bien Dado. » Dans les deux années qui suivirent, il choisit de garder le silence plutôt que de se lancer dans une guerre fratricide. Il avait conscience que son sacrifice permettait de protéger ses camarades du parti travailliste. Quelques mois avant sa mort, il résolut d’écrire ses mémoires avec l’aide d’un journaliste chevronné, Hanoch Bartov. La pratique intensive du sport lui permettait dans le même temps d’oublier ses blessures intimes et de tester une nouvelle fois ses limites physiques et psychiques. Le 15 avril 1976, après avoir disputé une ultime partie de tennis, une crise cardiaque le terrassa en pleine séance de natation. Il avait cinquante et un ans. Ses obsèques furent l’occasion d’un rare moment de communion politique, du chef de l’opposition Menahem Begin au Premier ministre Yitzhak Rabin. À la demande de sa veuve, Hanoch Bartov accepta de reprendre ce qui avait été à peine ébauché et d’écrire sa biographie 1. Dado ne vit pas la paix avec l’Égypte comme il l’avait espéré, mais dans son coffre-fort se trouvait le stylo gravé qui lui avait servi à signer le 18 janvier 1974 l’accord de retrait avec le chef d’état-major égyptien. Bien plus tard, son fils Yaïr consacra à son père un film 2 tout en ombres et lumières, entre quête d’une vérité intime et affection inextinguible. La disparition de Dado clôt un chapitre de l’histoire d’Israël, celle des héros de la guerre d’indépendance encore tous aux commandes lors de la guerre de Yom Kippour. Une histoire en apparence plus limpide que celle d’aujourd’hui puisque l’enjeu essentiel était alors la survie du pays face à une coalition d’États décidés à l’éliminer.

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La gauche sioniste dominait encore la scène politique et syndicale. La question palestinienne n'apparaissait qu’en filigrane et les fedayins étaient assimilés à des mercenaires des pays qui les abritaient. Il est difficile d’imaginer ce qu’aurait pu être la vision de David Elazar s’il avait vécu plus longtemps tant ceux qui l’entouraient empruntèrent des parcours divergents. Les derniers mots de ce récit sont ceux que prononça Yitzhak Rabin lors de ses funérailles : « Dado fut celui qui après l’ouverture d’une guerre qui nous prit par surprise mena l’armée israélienne jusqu’à la victoire finale. Fidèle aux valeurs qui l’animèrent tout au long de sa carrière, il ne renia pas sa responsabilité comme chef d’état-major durant la guerre de Yom Kippour. Il se trouva seul à porter cette lourde responsabilité bien qu’il n’ait pas été condamné à cela. Il démissionna de son poste de chef d’état-major et courageusement affronta une réalité qu’il ne pouvait ni changer ni accepter. Il fit silence sur sa grande douleur avec une rare noblesse d’âme. Mais son cœur ne le supporta pas ; il défaillit et lâcha. Quand viendra le temps de raconter toute l’histoire de la guerre de Yom Kippour, Dado ne sera pas avec nous. »


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Cérémonie organisée le 6 mai 1973 pour le 25e anniversaire de l’indépendance d’Israël. De droite à gauche, le chef d'état-major David Elazar, le Premier ministre Golda Meir, Talma Elazar épouse de David Elazar. Collection : IPPA/ Dan Hadani. Bibliothèque nationale d’Israël.

Colloque du parti travailliste. David Elazar s'entretient avec l'ancien ministre des Finances, Pinhas Sapir. Photographie : Haïm Pinkason. Collection : IPPA/ Dan Hadani. Bibliothèque nationale d’Israël.

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Guerre de Yom Kippour. Le 9 octobre 1973, au quartier général du front nord, David Elazar discute de la contre-offensive en cours avec Yekutiel « Kuti » Adam, chef de l’état-major du front nord (au centre) et le commandant du front, Yitzhak « Haka » Hofi. Photo : David Rubinger. Bureau de presse du gouvernement israélien.

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Hanoch Bartov

«Dado» Les années Palmach David Elazar est né à Sarajevo le 27 août 1925 de Shlomo et Zehava (Zlata-Ora) Elazar. Son père était un commerçant aisé au sein de l’importante communauté judéo-espagnole de la ville. La mère de Dado décéda d’une pneumonie alors qu’il était seulement âgé de six ans. Il en resta marqué toute sa vie et ne se séparait jamais d’une photographie le représentant agenouillé devant sa tombe. L’une de ses petites amies de l’Hashomer Hatzaïr 1 se souvient d’un poème en serbo-croate, le seul qu’il ait sans doute jamais composé, sobrement intitulé « Ma mère ». Cette disparition eut des conséquences importantes : son père passant une grande partie de son temps à voyager pour ses affaires, Dado fut confié aux soins de ses grands-mères. À l’âge de douze ans, il quitta sa ville natale pour Zagreb qui passait pour une ville plus moderne que Sarajevo. Là, il prit pension chez une veuve et commença ses études au collège. Son père venait régulièrement lui rendre visite. Alors qu’il éprouvait un attachement inextinguible pour sa mère, dont les quelques souvenirs qu’il conservait revêtaient un

1. L’Hashomer Hatzaïr (La jeune garde) est un mouvement sioniste officiellement fondé en 1913 à Vienne. Il joint aux valeurs du scoutisme une idéologie sioniste et socialiste. Il est à l’origine de la fondation de nombreux kibboutz en Israël. [NdR]

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tion antisémite, Shlomo Elazar et les membres de sa famille évoquèrent en judéo-espagnol – pour que leurs enfants ne les comprennent pas – la perspective de les envoyer en Palestine.

De l’Hashomer Hatzaïr au kibboutz Sha’ar Hamakim

2. Cette appréciation d’Hanoch Bartov est nuancée par la découverte par le fils de David Elazar, Yaïr d’une abondante correspondance avec son père, un major chez les partisans, puis dans l’armée du maréchal Tito. [NdR] 3. Le futur chef d’état-major de l’armée israélienne auquel Dado devait succéder en 1972.

caractère sacré, ses rapports avec son père devaient être plus distants. Il eut du mal à accepter son remariage et ne considéra jamais les enfants de son second lit comme ses frères 2. C’est à Zagreb, au sein de l’Hashomer Hatzaïr que Dado se lia d’amitié avec Haïm Bar-Lev 3 – qui portait alors le patronyme Bratzlavski. Après l’assassinat du roi Alexandre en 1934, le gouvernement assurant la régence se rapprocha de plus en plus de l’Allemagne nazie. L’atmosphère s’alourdit pour la communauté juive et l’influence du parti sioniste s’accrut en proportion. À Sarajevo, il était de plus en plus question d’émigration en Palestine, même si beaucoup de commerçants appréhendaient de devoir abandonner leurs commerces. Le père de Dado se rendit lui-même en voyage d’affaires là-bas. Lorsque les menaces se firent plus précises avec l’adoption d’une législa-

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Un modeste courant d’émigration de Juifs yougoslaves vers la Palestine vit le jour dès le milieu des années 1930. La sœur aînée de Haïm Bar-Lev était partie pour la Palestine en 1938, juste après avoir achevé ses études. Un an plus tard, le père de Haïm Bar-Lev l’envoya en Palestine étudier à l’école agricole Mikveh Israël. Un nouveau gouvernement en 1939 mit en place un numerus clausus ; tous les enfants juifs à l’exception d’un faible pourcentage furent expulsés des établissements d’enseignement secondaire. Dans le même temps, les communautés juives de Yougoslavie apprirent qu’elles pouvaient disposer de vingtsept visas d’émigration accordés à des jeunes par le mandat britannique. L’état-major de l’Hashomer Hatzaïr prit en main l’opération. Une liste comprenant douze Juifs de Sarajevo et quinze autres de Belgrade, Novi Sad et Zagreb fut établie. Les familles disposant de moyens suffisants devaient prendre en charge les coûts d’émigration pour leurs enfants et ceux des familles dans le besoin. Dado faisait partie de ce petit contingent. Il avait quitté le collège pour suivre une formation technique et se préparer à sa nouvelle vie. Comme il l’écrivit à son père qui servait alors comme réserviste dans l’armée yougoslave : « Il n’y a rien à espérer pour moi dans un pays où l’on est assez bon pour servir dans l’armée, mais pas suffisamment pour être accepté dans un lycée. » Après un éprouvant temps d’attente pour obtenir les visas de transit en Turquie, les émigrants rejoints par d’autres jeunes de Bulgarie et de Roumanie quittèrent la Yougoslavie en deux groupes. Dado partit avec le premier groupe à la fin de 1940, quelques mois après l’anniversaire de ses quinze ans. Les pionniers traversèrent en train


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la Bulgarie, la Turquie, la Syrie et le Liban. En arrivant en Palestine, bien qu’ils soient porteurs de visas en règle, ils furent internés par les autorités britanniques au camp d’Athlit qui venait d’être créé pour les immigrants illégaux. Ils y restèrent jusqu’en mars 1941 avant de pouvoir enfin rejoindre leur kibboutz de destination. Le mois suivant, les Allemands envahissaient la Yougoslavie et, à la fin de la guerre, seuls 2 000 des quelque 14 000 Juifs de Bosnie avaient survécu. L’une des conséquences immédiates de l’invasion allemande fut la rupture des relations entre les jeunes immigrants et leurs familles restées en Yougoslavie. Le deuxième groupe d’immigrants quitta lui la Yougoslavie in extremis en février 1941, mais contrairement à ses prédécesseurs, il ne fut pas interné à son arrivée et put rejoindre le kibboutz Sha’ar Hamakim au sud-est de Haïfa où Dado les retrouva. L’un de ces immigrants retraça ses difficultés d’adaptation à son nouvel environnement : « En quittant nos foyers en février, tout était encore couvert de neige. En arrivant, nous fûmes pris dans une tempête de sirocco. Les jardins du kibboutz étaient encore à l’état de projet et les arbres de simples arbrisseaux. On n’aurait bien sûr pas osé rêver d’une piscine. Les champs du kibboutz étaient situés à bonne distance dans la baie de Haïfa. Les trois premiers mois, nous ne pûmes consacrer aucun temps à l’étude. Toutes nos journées de travail étaient consacrées à ‘l’effort de guerre’. Nous nous réveillions alors qu’il faisait encore nuit et rentrions bien après le crépuscule. La chaleur suffocante et le blackout ne permettaient aucune activité nocturne. Pour combattre la canicule, nous mouillions nos draps et nous nous enroulions dedans jusqu’à ce que le sommeil nous prenne. » Malgré les difficultés, cela représentait une aventure extrêmement formatrice pour de jeunes adolescents amenés soudainement à prendre des décisions collectives et à les faire appliquer. La première de ces décisions concerna l’abandon du serbo-croate. La campagne débuta par

l’adoption d’un « jour de l’hébreu » ; six mois plus tard, les migrants yougoslaves étaient parvenus à une maîtrise suffisante pour brûler rituellement le serbo-croate lors d’une cérémonie. Les débats devaient dorénavant être conduits en hébreu. Toutes les questions affectant la vie du kibboutz étaient en effet débattues. C’est lors de ces discussions que les jeunes apprenaient à se juger et qu’émergeaient des chefs. Jusqu’à son émigration, Dado n’avait pas attiré particulièrement l’attention sur lui. Certains se souviennent de lui comme de quelqu’un de naturellement sociable, très têtu et sourcilleux quant à son honneur. Seul l’un de ses pairs avait distingué dès l’origine son autorité naturelle : « Nous avions entrepris une randonnée classique – l’ascension du mont Arbel qui surplombe le lac de Tibériade – et certains d’entre nous insistèrent pour emprunter l’itinéraire le plus risqué. Dado s’est élancé en premier et Mosko fermait la marche. Sur le chemin, l’un des garçons éprouva des difficultés à avancer et le reste de la colonne dut s’arrêter. Dado était déjà arrivé au sommet, mais dès qu’il s’aperçut du problème, il redescendit la voie escarpée pour s’occuper du garçon. J’étais placé juste derrière lui et je l’entendis d’une voix calme l’encourager à poursuivre, pas après pas. »

Page de gauche : David Elazar, commandant de la compagnie C du 4e bataillon de la brigade Harel. 1948. Archives du Palmach.

Dado s’imposa dans son groupe de pionniers pour une autre raison : un exceptionnel don oratoire lui permettant d’imposer son point de vue auprès de ses camarades. Les débats étaient un lieu idéal pour déployer ses talents. Une question pratique émergeait – par exemple la question des douches mixtes ou séparées ; l’ouverture d’un dancing – et elle donnait lieu à des joutes oratoires où les questions doctrinales avaient la part belle. Nuri, l’un des pionniers du kibboutz, se souvient de son passage en classe : « Dado ne connaissait pas l’hébreu en arrivant en Palestine. Il était cependant naturellement doué et s’arrangea pour être placé parmi les étudiants avancés. Nous étudiions la Bible. Il passait des petits mots et faisait le pitre, mais à chaque fois que Rado

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Moments de détente au kibboutz entre les combats. Archives du Palmach.

notre instructeur l’interrogeait, il savait exactement où nous en étions et quelle était la question débattue. J’étais toujours bluffé par la façon dont il s’arrangeait pour donner immédiatement une réponse correcte et bien tournée. Il investissait le moins d’efforts et était l’un des étudiants les plus brillants de la classe ! »

Du kibboutz au Palmach Bien qu’il n’ait encore manifesté aucun goût particulier pour les affaires militaires, Dado se trouva dès sa deuxième année au kibboutz impliqué dans un trafic d’armes. Tout en soutenant le combat des Britanniques contre l’Axe, l’Haganah se préparait clandestinement à un conflit après-guerre en constituant par tous les moyens possibles des stocks d'arme. Plusieurs camps militaires anglais se trouvaient à proximité du kibboutz Sha’ar Hamakim. Chaque jour, l’un des kibboutzniks se rendait au camp de Jeilameh avec une charrette tirée par une mule pour récupérer

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des déchets destinés à l’alimentation des poules. Il entra en relation avec un sergent juif qui lui promit de l’aide pour faire passer des armes en contrebande. Il était convenu que la barrique qui servait à stocker les ordures serait adaptée pour abriter une cache. Dado et Mosko furent chargés de la récupération et du transport des armes et ils prêtèrent serment avant d’accomplir leur action clandestine. Alors qu’un jour ils menaient la charrette, la mule s’emballa et renversa la charrette et la barrique pleine de revolvers dans un fossé sur le bas-côté de la route. Dans cette situation critique, aucun des deux ne se laissa démonter. Ils arrêtèrent un camion militaire et demandèrent au chauffeur de les aider à tirer la charrette et son chargement hors du fossé. C’est lors de l’un de ces voyages à Jeilameh que Dado, alors âgé de dix-sept ans, résolut de s’engager dans l’armée britannique. Que cela résulte d’une peine de cœur ou de l’inquiétude suscitée par le sort de ses parents, il traversait alors une


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crise aiguë. Sa demande fut soumise à l’appréciation des membres du kibboutz et il en résulta un vif échange. Rado, son instructeur menaça de faire appel aux responsables de l’Aliya des jeunes qui avaient organisé son immigration. Trois décennies plus tard, en réponse à une lettre de Rado le félicitant pour sa nomination à la tête de l’état-major, Dado lui répondit : « C’est en grande partie grâce à vous que j’ai évité de commettre une erreur fatale en rejoignant l’armée britannique. Alors que je voulais m’y enrôler, vous avez opposé votre veto. » Une autre étape importante pour forger son caractère eut lieu cette même année 1942, lorsque Dado et Nuri furent choisis pour diriger la troupe de l’Hashomer Hatzaïr de la ville voisine de Kiryat Amal. Dado était très inquiet à l’idée de prendre cette responsabilité ; sa maîtrise de l’hébreu était encore fragile et les jeunes qui lui étaient confiés étaient des « sabras » endurcis. Les moyens mis à sa disposition, une cabane délabrée sans aucun jeu ou programme d’exercice n’auguraient rien de

bon. L’accueil des jeunes fut glacial, mais il réussit à les amadouer en organisant des jeux et par son indéniable charisme. Les années suivantes, Dado fut principalement occupé par sa mission de coordination des activités pour la jeunesse. Son ambition était toujours d’intégrer une unité militaire. Une nouvelle occasion se présenta quand le kibboutz dut désigner un homme en vue d’une mission d’infiltration et de sauvetage en Yougoslavie occupée. Les membres du kibboutz devaient choisir entre deux candidats très déterminés : Shalom et Dado. Tous votèrent et Dado perdit d’une voix. Il dut une nouvelle fois se soumettre au choix collectif. Son temps au kibboutz Sha’ar Hamakim touchait à sa fin. La direction de l’Hashomer Hatzaïr 4 décida d’envoyer le groupe des Yougoslaves renforcer le kibboutz plus ancien d’Ein Shemer à l’est d’Hadera. Cette décision n’allait pas de soi. Les jeunes et turbulents Yougoslaves n’avaient aucune intention de servir de supplétifs dans un kibboutz peuplé de vétérans polonais. Pour apaiser la situation, la direction du kibboutz décida de créer un secrétariat distinct pour le groupe des nouveaux arrivants. Dado alors âgé de vingt ans fut choisi par ses pairs pour les représenter. Il pouvait enfin savourer la réussite de son intégration : il occupait une position enviée au sein du kibboutz ; il était charmant, sociable, adoré de toutes les filles. Son séjour à Ein Shemer correspond aussi au temps de sa formation idéologique. L’Hashomer Hatzaïr était alors à l’apogée de sa période marxiste et chaque soir Dado se plongeait dans des manuels communistes prosoviétiques. C’est alors qu’en 1946, la possibilité de se joindre à la lutte armée se présenta une troisième fois. La Seconde Guerre mondiale avait pris fin et le Palmach, les unités de choc de la Haganah, reprirent leur campagne de recrutement pour préparer et accélérer la fin du mandat britannique. Le kibboutz Ein Shemer était tenu comme les autres de désigner un quota de volontaires. Une fois de plus Dado fit acte de candidature et une fois de plus le collectif l’écarta, son rôle étant

Le kibboutz base du Palmach. Shimon Badahi Dado, Simcha Flak. Archives du Palmach.

4. Ha-Kibboutz Ha-Arzi (la fédération des kibboutzim de l’Hashomer Hatzaïr).

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Yosef Tabenkin, commandant de la brigade Harel avec Dganit, sa secrétaire. Archives du Palmach.

jugé primordial pour assurer l’intégration du collectif yougoslave. Cette fois, il décida de passer outre et de quitter le kibboutz pour intégrer les rangs du Palmach. Même si cette décision correspondait sans doute pour lui à une aspiration profonde, pour les membres du kibboutz elle représentait une trahison des règles collectives. En se joignant au Palmach, Dado faisait aussi un saut dans l’inconnu et intégrait une troupe très aguerrie où il devrait faire à nouveau ses preuves.

Le Palmach à la veille de la guerre d’indépendance David Elazar entra au Palmach à un moment où la campagne de mobilisation marquait le pas. Venant d’un kibboutz renommé, il fut d’emblée affecté à une unité d’élite du quartier général. Son peloton portait le nom du lieu où il était stationné,

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Mishmarot, et il était commandé par l’un des officiers les plus prometteurs du Palmach, Haïm Poznanski « Poza ». C’était en apparence un bon début, mais il intégra une unité dont les membres étaient étroitement soudés. Chaque section du Palmach était en effet liée aux autres unités, d’un bout à l’autre du pays, par des liens invisibles faits d’expériences partagées et d’un mode de vie collectif. Un jargon commun développé au cours des années de guerre renforçait ce sentiment d’unité. Beaucoup étaient des sabras qui partageaient en outre des souvenirs de prime jeunesse dans les vergers de Galilée ou sur les plages de Tel Aviv. Dans cet environnement, David Elazar était clairement un « outsider ». Pour son malheur, Dado tomba malade peu après son arrivée à Mishmarot. Ravalant son orgueil, il dut réintégrer le kibboutz Ein Shemer le temps de se remettre sur pied. L’accueil fut glacial et par la suite Dado chercha à éviter le contact avec ses anciens camarades. Une fois rétabli, son ascension fut rapide. Le commandant du 4e bataillon où il était affecté, Yosef « Yosefeleh » Tabenkin estimait que tout combattant pouvant se trouver isolé et amené à devoir prendre des décisions, il était nécessaire de l’entraîner à assumer sa propre responsabilité. Un tiers des membres de l’unité de reconnaissance à laquelle appartenait Dado fut ainsi envoyé suivre un cours de formation à l’encadrement. Yosefeleh envoya Dado assister à ce cours : « Malgré la première impression qu’il avait faite, Dado n’était pas une pièce rapportée, mais quelqu’un qui avait été désigné par ses pairs pour assumer des responsabilités au kibboutz. Au sein du peloton, il se distinguait. La difficulté qu’il éprouvait était qu’il rejoignait un peu tard les rangs. À son époque, un retard d’un an pouvait signifier un retard d’une génération. C’est en ce sens que l’on peut dire qu’il n’a pas fait partie de la génération des Géants du Palmach. » Ce retard était en réalité de quelques années. Le commandant responsable de l’encadrement des pelotons était son ami Haïm Bar-Lev qui avait


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De gauche à droite : Yosef Tabenkin (les yeux tournés vers la caméra), Shosh Spector et Nahum Sarig. Yitzhak Sadeh lit un discours. 1949. Archives du Palmach.

L'accordéon fut l'instrument fétiche des palmachniks pour interpréter leur répertoire lors des veillées et rassemblements. Ici une représentation devant des combattants à Halutza dans le Neguev lors de l'opération Horev. Archives du Palmach.

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Yigal Allon, commandant du Palmach au grade de lieutenantcolonel à la fin de la guerre d'indépendance. Archives du Palmach.

rejoint le Palmach quatre années auparavant. Bar-Lev avait lui-même suivi cette formation alors qu’il était étudiant à Mikveh Israël et son avancement avait été rapide. En 1945, il menait déjà une opération de sabotage d’un pont. Bar-Lev considéra ce cours dirigé par Yosefeleh Tabenkin en 1944 comme une étape essentielle de sa formation militaire et la base pour le futur entraînement des officiers israéliens : « Yosefeleh nous enseigna les grands principes de la doctrine militaire : évaluer une situation, c’est-à-dire comprendre la logique de l’ennemi ; la précision ; la transmission des ordres ; la définition de la mission et il forgea en hébreu tous les termes militaires nécessaires. De ce point de vue, il réalisa un travail herculéen. » Yosefeleh Tabenkin retrace ainsi la fondation du cours : « Tout a commencé sans plan pré-établi. Yitzhak Sadeh, le fondateur du Palmach, avait au départ considéré que chaque peloton assurerait la formation de ses chefs. Puis l’on passa à des cours organisés collectivement pour deux ou trois pelotons et c’est ainsi que progressivement la formation fut centralisée. Elle comprenait 140 élèves répartis en deux sections : l’une sous la responsabilité d’Yitzhak Rabin et l’autre sous celle de Moshe Brechman. Toute la future ‘aristocratie’ du Palmach lors de la guerre d’indépendance se trouva enrôlée dans cette formation. « Pour préparer ce cours, je demandai à Yitzhak Sadeh quelles étaient ses instructions et il me répondit : ‘mes instructions sont les suivantes : d’ici à six mois nous allons être engagés dans une guerre et nous serons organisés en trois bataillons de trois compagnies chacune et un quatrième bataillon affecté à l’état-major.’ C’est ainsi que je suis arrivé au chiffre de 140 cadets. » Le plan était la cible de toutes les railleries, car personne ne pensait possible de trouver un nombre aussi élevé d’élèves-officiers, se rappelle Yosefeleh, mais Yitzhak Sadeh insista : « Soyez sûr d’une chose. Ces garçons ne vont pas partir à la guerre quand vous l’aurez décidé et suivant votre plan. La question se résume donc très simplement : est-ce qu’ils seront prêts pour la guerre oui

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ou non ? Peu m’importe le critère de sélection que vous emploierez. Établissez un classement de vos hommes par ordre de mérite et envoyez les meilleurs se former. » C’est ainsi que le cours de formation des chefs de peloton fut créé. Dado suivit la formation dispensée au kibboutz Daliah en 1947. Les cadets étaient presque tous habitués à pratiquer de longues randonnées et certains avaient servi comme instructeurs sportifs. À côté Dado faisait figure de novice et pourtant Bar-Lev se souvient ainsi de lui : « C’était un étudiant extraordinaire que cela soit en classe, lors des activités collectives ou des discussions. Il dépassait déjà tout le monde de la tête et des épaules. » Le commandant du Palmach, Yigal Allon leur rendit visite et se rappelle que « le nom de Dado fut déjà porté à mon attention alors qu’il n’était


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David Elazar (en haut, le deuxième à partir de la droite) parmi des membres du 3e bataillon du Palmach à l'entraînement, le 22 novembre 1947. Archives du Palmach.

qu’un élève. Il faut toujours se méfier de l’attrait que peut exercer l’apparence physique, mais en ce qui me concerne, dès notre première rencontre, je perçus – et pas seulement en raison de son physique agréable – qu’un monde de différence le séparait du reste de ses camarades. » Lorsque la formation prit fin, Dado reçut une « promotion » qui l’atteignit jusque dans son honneur. Le commandant du bataillon Yosefeleh demanda au chef de la compagnie des éclaireurs de lui indiquer lequel de ses hommes s’était particulièrement distingué lors de la formation des élèves officiers. Yohanan Zariz désigna Dado. « Je le prends avec moi, dit Yosefeleh, et j’en fais mon quartier-maître. » Yohanan Zariz considéra qu’il s’agissait d’une idée farfelue et se garda bien d’en informer Dado. Le commandant du bataillon finit donc par le convoquer, lui expliqua son point de vue et le nomma à ce poste. Dado dut se plier à cette décision, mais après la guerre d’indépen-

dance, alors qu’il était devenu instructeur dans l’armée, il suffisait d’évoquer le fait qu’il avait commencé sa carrière militaire comme quartiermaître pour le faire enrager.

Missions d’escorte sur les hauteurs du Golan Peu après eurent lieu les premiers accrochages en Galilée qui devaient mener à la guerre d’indépendance. On redoutait alors une invasion venant de Syrie et des mesures préventives furent prises. La protection de la Galilée fut confiée au troisième bataillon du Palmach qui était commandé par un jeune homme de vingt-quatre ans, Mulla Cohen. Le 4e bataillon disposant de plus d’officiers, Yigal Allon décida d’en détacher certains en renfort. C’est ainsi que Dado se trouva pour la première fois à la tête d’un peloton. Bien des années plus tard, il s’en souvenait ainsi : « Avant même d’avoir

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étudié à l’école des élèves officiers, on m’a confié le commandement du peloton stationné à Hulata en Haute-Galilée. J’ai ainsi conduit une série d’opérations de reconnaissance et d’infiltration en Syrie. Je connaissais la zone frontalière comme ma poche. Cela m’a beaucoup aidé vingt ans plus tard, en 1967, quand je suis devenu commandant du front nord et que j’ai eu à diriger les opérations pendant la guerre des Six Jours. » En 1947, le lac Huleh n’avait pas encore été drainé ; la vallée était marécageuse et couverte d’une épaisse végétation. Le peloton était stationné à Dardara (Ashmora) sur la rive orientale du lac, à la frontière syrienne. La nature du terrain offrait en soi une protection, mais en anticipant la guerre à venir, le commando arabe du Palmach – des palmachniks déguisés en Arabes – chargé de collecter des informations sur les préparatifs de l’ennemi était rattaché au peloton de Hulata. Toutes les semaines, partant de Dardara, un détachement d’une quinzaine d’hommes commandé par Dado, les accompagnait à travers les marais jusqu’aux hauteurs du Golan près de Kuneitra. Là ils devaient s’assurer que les hommes du commando arabe étaient parvenus sans encombre en Syrie. Le détachement d’escorte se mettait en marche à la nuit tombée et ne regagnait pas sa base avant l’aube. Les missions avaient lieu en toutes saisons, mais même durant la saison sèche, les hommes revenaient des marais couverts de boue et trempés jusqu’aux os. Quand l’un des commandos arabes était de retour, son escorte allait le rejoindre de nuit sur le Golan et veillait à le protéger du zèle des sentinelles juives. Il n’était pas rare que l’homme infiltré arrive en retard au point de ralliement, forçant l’escorte à l’attendre pendant des heures à plat ventre dans les champs. C’est alors que l’officier responsable devait faire preuve de maîtrise et d’une patience à toute épreuve. D’après Mulla Cohen, Dado avait toutes les qualités requises pour cette tâche. Semaine après semaine, il conduisait son escorte sur les hauteurs du Golan, menait sa mission à bien et rentrait à sa base. Les commandos étaient assurés de retrouver leur escorte au

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lieu dit et à l’heure dite. « Dado revenait de chaque patrouille, avec une carte précise, vérifiée dans les moindres détails. Ces opérations nous ont fourni d’excellents renseignements alors que nous nous préparions à la guerre. »

Le déclenchement de la guerre d’indépendance David Elazar regagna les quartiers du 4e bataillon juste avant le vote aux Nations Unies du plan de partition le 29 novembre 1947. Cette décision ne signifiait pas seulement la reconnaissance internationale du droit du peuple juif à un État, mais aussi le déclenchement imminent de la guerre avec les Arabes qui rejetèrent immédiatement la résolution. Le 4e bataillon était encore affecté à l’état-major du Palmach. Toutes les forces spéciales – le commando allemand qui devait agir sur les arrières de l’armée allemande pendant la Seconde Guerre mondiale, le commando des Balkans, le commando arabe, les unités navales et aériennes en formation – lui étaient rattachées. Durant les cinq premiers mois de combat, l’unité de reconnaissance, les instructeurs et les marins en formation constituèrent le noyau de ses forces combattantes. Il n’allait toutefois pas tarder à changer radicalement de structure et de fonction. En réponse aux premières attaques menées contre des autobus juifs faisant le trajet Tel AvivJérusalem, un raid de représailles fut organisé contre la gare routière de la ville arabe de Ramle. Le feu vert fut donné le 11 décembre 1947 ; l’ordre contenait une limite formelle : l’attaque ne devait toucher que les véhicules. Le commando était composé de vingt chefs de pelotons. Venu de Tel Aviv, il devait s’élancer du kibboutz Na’an au sud-ouest de Ramle. La route menant de Tel Aviv à Ramle étant interdite aux Juifs par les Britanniques, le commando emprunta une route de terre depuis Jaffa. Les Anglais considérant que seuls des Arabes empruntaient la route de Jaffa les laissèrent passer. Le commando mena sa mission, détruisit 15


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Derniers adieux dans les vergers du kibboutz Na'an avant le départ au combat lors de l'opération Dani du 9 au 18 juillet 1948. Archives du Palmach.

véhicules dans l’un des dépôts de Ramle et essuya quelques tirs. Les hommes revinrent le lendemain à Tel Aviv chacun de son côté en s’arrangeant pour filer entre les doigts des soldats britanniques. La seconde action à laquelle prit part Dado témoigne du piètre état des stocks d’armes du Palmach en décembre 1947. Pour cent recrues en cours d’instruction, seules quatre carabines et une mitrailleuse légère étaient alors disponibles. L’objectif de l’opération était le dépôt d’armes du bataillon d’infanterie britannique cantonné près de l’hôpital général de l’armée britannique en périphérie de Tel Aviv – aujourd’hui Tel Hashomer. Une force composée de 40 palmachniks, tous des officiers, attaqua la base le 29 décembre 1947. Pour assurer le transport des armes, 70 « porteurs » désarmés étaient mobilisés en renfort. L’opération fut considérée comme un succès majeur puisqu’elle permit de récupérer une centaine de carabines.

Juste après cette opération, Dado quitta le bataillon pour suivre un cours d’instruction pour les chefs de pelotons à Netanya. Durant sa formation, la mobilisation et les préparatifs à la guerre battaient leur plein. La direction de la Haganah prévoyait la création de douze nouvelles brigades. En fait, seules cinq à six nouvelles brigades furent créées et les bataillons du Palmach du Neguev et de Galilée renforcés pour atteindre la taille d’une brigade. « Les nouvelles brigades étaient mal préparées, et refusaient parfois d’accueillir de nouvelles recrues si elles n’étaient pas convenablement armées, se rappelle Yosef Tabenkin. Une situation étrange apparut alors : d’un côté, les nouvelles recrues faisaient pression pour intégrer des unités combattantes et de l’autre, aucune unité n’était prête à les accueillir. J'informai les officiers recruteurs que j’accueillerais toute personne qu’ils nous enverraient, en pensant que nous trouverions le

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moyen de faire de chacun d’eux un bon combattant. Les recrues dormaient un peu partout jusque dans les unités de conditionnement des kibboutz. » Le 1er février 1948, le 4e bataillon du Palmach comptait 543 hommes. D’après Tabenkin, ce nombre atteignit 1 800 hommes à la fin mars. Il ne disposait que de 600 carabines et chacune servait par roulement à trois soldats. Ce développement rapide était rendu possible grâce aux formations dispensées par l’unité des éclaireurs.

La « voie sacrée » vers Jérusalem Vers la fin mars 1948, la bataille des convois de ravitaillement vers les avant-postes juifs assiégés atteignit son point culminant. Les pertes s’élevaient sans cesse, et l’approvisionnement en armes et en équipement ne suffisait plus aux unités décimées. La décision fut prise de déplacer le 4e bataillon jusqu’à Kiryat Anavim afin qu’il escorte un convoi massif de secours destiné à Jérusalem. Yohanan Zariz, le commandant de la compagnie des éclaireurs reçut l’ordre de rejoindre sans délai le kibboutz Hulda où étaient regroupés les camions du convoi et leur escorte. De là, un groupe de 180 combattants avec à leur tête Uzi Narkis, l’adjoint au commandant du 4e bataillon, partit en véhicules blindés jusqu’à Sha’ar Hagaï, au débouché des collines de Judée. Il était chargé de prendre les positions arabes sur la route de Kiryat Anavim et d’assurer la protection du convoi qui devait s’élancer le lendemain. Mais peu après avoir quitté le kibboutz et bien avant d’avoir atteint les collines de Judée, le convoi fut pris dans une embuscade. Quand les camions lourdement chargés tentèrent de faire demi-tour pour rejoindre le kibboutz Hulda, ils s’embourbèrent ce qui rendit la situation encore plus périlleuse pour les combattants de l’escorte. Le groupe de protection était issu du 5e bataillon, mais il était renforcé par des hommes du 4e bataillon qui voyageaient comme « passagers ». Parmi eux se trouvaient les combattants de la compagnie commandée par Uri Ben-Ari qui sautèrent

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Des miliciens arabes sur la route de Jérusalem après la capture d'un camion de ravitaillement. Archives du Palmach.

des véhicules pour tenter de couvrir la retraite. Ce n’est que le jour suivant qu’ils purent revenir sur les lieux du combat pour récupérer les morts et sauver ce qui pouvait l’être. La compagnie se réorganisa à Hulda. Aryeh Shahar fut nommé commandant adjoint et les officiers qui venaient d’achever une formation accélérée furent placés à la tête de ses cinq pelotons regroupant au total 200 combattants. Ils traversèrent les collines de Judée au sein du convoi Nachshon sans rencontrer de difficultés particulières et prirent leurs quartiers dans une usine du kibboutz Maaleh Hahamishah. À Hulda, Benny Marshak, l’instructeur légendaire du 4e bataillon donna à l’unité son surnom : « les Maraudeurs », un titre qui se payerait au prix du sang. Ses membres s’imaginaient qu’après avoir ouvert la voie vers Jérusalem, ils reprendraient leurs quartiers sur la côte. Une autre réalité les attendait : soixante-dix jours et soixantedix nuits de féroces combats qui devaient empor-

ter la vie des meilleurs officiers du Palmach et l’élite d’une génération. Parmi ces officiers se trouvait David Elazar qui en l’espace de quatre mois devait passer de l’anonymat au poste de chef des Maraudeurs.

Soixante-dix jours sans trêve (avril – juin 1948) David Elazar ne s’est jamais beaucoup livré à propos des combats pour le contrôle de l’artère vitale qui reliait Jérusalem à la côte, mais ses proches se rappellent que, durant des années, il garda une aversion pour la ville. Lors de la bataille pour Jérusalem, Dado ne progressa pas seulement en expérience et en expertise militaires. « Quand nuit après nuit cinq pelotons sont réduits à quatre, se souvient Uri Ben-Ari, puis les quatre à seulement deux, c’est une leçon qu’il est très difficile d’oublier, et cette

Légendes page de gauche en haut : un convoi de ravitaillement se dirige vers Jérusalem en 1948. En bas : entrée d'un convoi de ravitaillement dans Jérusalem. 1948. Archives du Palmach.

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L’opération Nachshon et la prise du Castel

Des forces arabes dirigées par Abdel el-Kadar el-Husseini montent à l'assaut du Castel tenu par la Haganah les 7 et 8 avril 1948.

5. Voir encadré page de droite.

expérience a sans aucun doute contribué à forger son caractère, son attitude et sa compréhension de ce que signifie une bataille. Dado était chef de peloton et il fallait un sacré cran pour regrouper ses hommes, les motiver, les encourager à aller se battre jour après jour sachant que beaucoup ne reviendraient pas vivants. » Il est clair que la bataille pour Jérusalem fut une épreuve qui influença durablement la personnalité de David Elazar et qui revint le hanter à chaque crise qu’il dut affronter dans sa vie, en particulier lors des moments critiques de la guerre de Kippour. L’épopée des Maraudeurs lors de la bataille de Jérusalem débute avec l’opération Nachshon que le commandement de la Haganah décida d’organiser après la débâcle du convoi Hulda. L’opération Nachshon marqua le début d’une nouvelle phase de la guerre d’indépendance, car il prévoyait que les positions-clés sur la route de Jérusalem devaient être tenues de façon permanente et non plus abandonnées après le passage de chaque convoi, forçant ainsi à les reprendre au terme de combats coûteux.

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L’obstacle le plus sérieux sur la route reliant Jérusalem à Kiryat Anavim était le village de Castel construit au sommet d’une colline. En février, un premier raid avait occasionné la destruction de quelques maisons, mais sa capacité de nuisance pour le trafic vers Jérusalem restait inquiétante. Le 17 mars, un peloton avec des renforts attaqua à nouveau le village sans parvenir à l’arracher aux forces arabes. Quand enfin Uzi Narkis envoya une partie du 4e bataillon à Kiryat Anavim, le commandant du district de Jérusalem, David Shaltiel 5 ordonna de prendre le village une fois pour toutes et la mission fut couronnée de succès dans la nuit du 2 au 3 avril 1948. La défense de cette position vitale fut confiée à une petite unité de la Haganah de Jérusalem. Quatre jours plus tard, Abed el-Kadar el-Husseini qui commandait les forces arabes du secteur, avait réuni 1 400 combattants et entreprit une attaque depuis le sud. Les défenseurs résistèrent un jour et demi, mais quand un groupe des Maraudeurs monta jusqu’au village, il était déjà tombé et les défenseurs battaient en retraite. Confronté à la pression des troupes arabes, leur commandant, Nahum Arieli, prit alors une décision qui devait faire date : « Les soldats devaient se replier et les officiers couvrir leur retraite. » Ce qu’ils firent en se sacrifiant tous à l’exception d’un chef de peloton. Dans le même temps, le convoi Nachshon progressait vers Jérusalem et avec lui le commandement du 4e bataillon et le reste de l’unité. Juste avant le début de l’opération, les premières livraisons d’armes de Tchécoslovaquie était parvenues par les airs : des carabines, des mitrailleuses et des munitions en quantité. Les soldats du Palmach et de la Haganah avaient enfin les moyens de se battre. Avec l’arrivée du reste du 4e bataillon, une force réunissant deux compagnies fut immédiatement mise sur pied sous le commandement d’Eliyahu Steinfeld-Selah « Ra’anana » qui avait


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David Shaltiel (1903 – 1969) Né à Berlin dans une famille judéo-portugaise exilée en Hollande, il émigre en Palestine en 1923. Déçu par ce qu’il y trouve, il s’engage en 1926 dans la Légion étrangère française qu’il quitte au grade de sergent en 1931. Il revient en Palestine en 1935 et devient commandant de la Haganah dans la région de Jaffa. Chargé de se procurer des armes en Europe, il est arrêté à Aix-la-Chapelle par la Gestapo en 1936. Interné à Dachau, puis à Buchenwald, il est finalement libéré par un commando de la Haganah à Berlin. Il parvient à rejoindre la Palestine mandataire où il est commandantadjoint en Galilée et dans la vallée du Jourdain. Arrêté et condamné à mort par les Britanniques en 1940, il est finalement libéré. Il est l’un des premiers généraux israéliens nommés en juin 1948. Commandant du secteur de Jérusalem de février à juillet 1948, son action est ternie par des échecs répétés et par le massacre de civils à Deir Yassin par le Lehi et l’Irgoun. Après-guerre, il réalisera une carrière de diplomate : attaché militaire en France (1950-1952) puis ambassadeur au Brésil, au Mexique, en Argentine et aux Pays-Bas. [NdR]

commandé l’une des compagnies du bataillon de Jérusalem. Bien qu’épuisées, ses forces réussirent le 9 avril à reprendre le Castel aux troupes arabes démoralisées par la mort de leur chef charismatique Abed el-Kadar el-Husseini. Le Castel ne devait plus échapper aux Israéliens et sa capture marque un tournant dans la bataille pour l’ouverture de la route de Jérusalem. Les témoignages divergent quant à la participation de Dado à ce combat. Yohanan Zariz se souvient qu’il se trouvait avec son peloton dans les véhicules blindés sur les pentes du Castel. Ra’anana témoigne l’avoir rencontré pour la première fois lors de la bataille finale pour le Castel alors qu’Uri Ben-Ari dément catégoriquement que son unité y ait participé. Il n’y a cependant aucun doute quant à sa participation deux jours plus tard à la prise du village de Colonia

(Qaluniya) situé en surplomb du côté nord de la route entre le Castel et Motza. Uri Ben-Ari souligne qu’à ce moment des règles essentielles comme une reconnaissance préalable du terrain ou une planification rigoureuse de l’attaque n’étaient pas encore appliquées ; l’action se résumait à une attaque frontale. « Si nous n’étions pas accoutumés au terrain, nous avions un éclaireur pour nous guider. Lors de la bataille pour Colonia, nous sommes partis au combat après le crépuscule, comme c’était alors l’usage, en empruntant différentes pistes et nous nous sommes finalement positionnés au-dessus du village. […] Dado commandait un peloton lors de cette bataille. Après nous être déployés, j’ai donné l’ordre d’avancer vers le village. Lors d’un appel sur le téléphone de campagne, je me suis rendu compte que Dado s’était perdu en route.

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Des membres de la brigade Harel du Palmach posent après le déchargement d'un camion de ravitaillement à Jérusalem. 1948. Archives du Palmach.

Nous n’avions pas de fusées éclairantes et la seule chose que je pouvais faire, c’était de lui demander de tirer quelques coups en l’air. Il s’avéra qu’il était quelque part en arrière et malgré tous ses efforts, son peloton ne prit part qu’à la dernière phase du combat. » Les premières opérations que Dado devait mener dans les collines de Judée n’allaient pas sans une part d’ironie. Au sein des troupes arabes se trouvaient quelques volontaires étrangers, dont des musulmans yougoslaves sans doute bosniaques. À partir de là, la compagnie de Dado fut engagée dans des missions presque toutes les nuits. Les hommes entamaient leurs préparatifs à cinq heures de l’après-midi, prenaient leur dîner, se regroupaient sur le terrain de basket-ball de Kiryat Anavim et se mettaient en route vers six heures. Ils revenaient à l’aube en portant leurs morts et leurs blessés. D’après le témoignage d’Uri

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Ben-Ari, la compagnie prit part à 68 batailles et seuls 15 hommes sur 200 s’en sortirent indemnes : 85 perdirent la vie dans les collines de Judée et une centaine furent blessés. « Cela donne une idée de la formation que Dado reçut lors de cette guerre – pas seulement une formation en termes de tactique et de techniques militaires, mais comment traiter l’épineux problème du moral des combattants, des vétérans comme des nouveaux immigrants, des hommes comme des femmes, car dans notre compagnie les filles prenaient part au combat. Dado commandait au début l’un des cinq pelotons de la compagnie. Très vite la compagnie s’est trouvée réduite à trois pelotons et, l’un après l’autre, six commandants adjoints ont été tués ou blessés. Tout ce qui devait suivre dans sa carrière, la capacité à tenir dans des situations impossibles, vient de son expérience d’officier dans le 4e bataillon. »


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Les opérations Harel et Yesuvi À la bataille de Colonia, succéda la bataille pour Saris permettant d’ouvrir une autre section de la route de Jérusalem. Puis vinrent des raids contre des concentrations arabes dans les villages de Bido et de Beit Zurik et la prise d’autres positions en prévision de l’opération Harel qui devait permettre le passage de trois convois massifs (comprenant 250 à 300 camions chacun) en direction de Jérusalem assiégée. Le troisième de ces convois, prévu le 20 avril, avait une autre dimension. Le mandat britannique sur la Palestine devait prendre fin 25 jours plus tard, mais différentes sources indiquaient que les Britanniques souhaitaient évacuer Jérusalem avant le 15 mai et remettre aux Arabes les secteurs de la ville qu’ils contrôlaient encore. Un tel développement menaçait d’étrangler la ville et afin de l’éviter le haut commandement de la Haganah décida de mettre sur pied l’opération Yevusi, une campagne pour prendre le contrôle des points stratégiques de Jérusalem. Elle devait être conduite par Yitzhak Sadeh, le fondateur et premier commandant du Palmach. Pour préparer l’opération, le 5e bataillon du Palmach et les officiers de la brigade Harel dirigée par Yitzhak Rabin, ainsi que David Ben-Gourion, des responsables de l’Agence juive et Yitzhak Sadeh devaient se rendre à Jérusalem par le convoi du 20 avril. C’était sans compter avec les réalités du terrain. La tête du convoi fut accueillie par un feu nourri près de Sha’ar Hagaï et une centaine de véhicules furent pris au piège dans ce secteur en face du village de Dir Ayoub. Pour une raison inconnue, il était impossible d’établir un contact par radio avec les troupes à Kiryat Anavim. Le premier souci d’Yitzhak Rabin était de protéger le bus blindé qui transportait le gouvernement de facto du futur État. Il dut attendre que le bus soit à l’abri pour se rendre en jeep à Kiryat Anavim chercher des renforts. Deux compagnies, l’une mécanisée, l’autre d’infanterie dépourvue d’armes personnelles, mais équipée de grenades se joignirent à la

bataille. Quand la poussière des combats se dissipa le lendemain matin, ils purent sauver presque tous les véhicules, mais l’opération avortée avait coûté la vie à plusieurs des meilleurs officiers de la brigade Harel et Jérusalem se trouvait à nouveau coupée de la côte. David Elazar avait alors vingt-trois ans. Ce n’était encore qu’un jeune officier et un inconnu y compris pour ses plus proches compagnons. La plupart des chefs de peloton étaient plus jeunes que lui et beaucoup de soldats étaient encore des adolescents. L’adjoint au commandant du bataillon et les commandants de compagnie avaient

Arrivée à Jérusalem d'un convoi de ravitaillement. 1948. Archives du Palmach.

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tous entre vingt et vingt-trois ans. Le commandant du bataillon, Yosef Tabenkin n’avait lui-même que vingt-sept ans ; le commandant de la brigade, Yitzhak Rabin seulement vingt-six ans et le plus âgé de tous, Benny Marshak, le « commissaire politique » était trentenaire. De nombreux engagés étaient des survivants de la Shoah encore hantés par les horreurs de la guerre qui s’était achevée seulement trois ans auparavant. Une autre journée noire attendait le 4e bataillon à l’aube de l’opération Yesuvi. Un jour après le sauvetage du convoi Harel, le bataillon se mit en route pour enlever les villages de Beit Iksa et de Nebi Samuel. Le commandant de la compagnie d’assaut était Haïm Poznanski « Poza », l’un des premiers éclaireurs du bataillon et l’ancien chef du peloton Mishmarot. Une compagnie fut déployée en renfort entre les villages de Bido et de Nebi Samuel. Une troisième unité, dirigée par Yosefeleh en personne, devait partir du kibboutz Maaleh Hahamishah en véhicules blindés, poursuivre sa route en passant une position dénommée « le radar » et attaquer Nebi Samuel sur son flanc. Après un combat très disputé, la première phase de l’opération – la conquête de Beit Iksa – fut atteinte, mais la phase suivante fut retardée par une contre-attaque arabe. C’est alors que le soleil commença à se lever ou plus précisément l’obscurité de la nuit fit place à un épais brouillard. Yosefeleh tenta en vain de contacter Poza par radio. Ce n’est que vingt minutes plus tard, lorsque le brouillard se leva et que des tirs se faisaient déjà entendre, que les trois pelotons apparurent regroupés comme s’il faisait encore nuit et exposés sans protection aux tirs mortels. L’unité qui devait attaquer sur le flanc avec le renfort de véhicules blindés fut prise sous le feu de l’artillerie britannique positionnée au « radar » et elle dut se replier après avoir subi des pertes. La compagnie déployée en renfort n’eut alors pas d’autre choix que de se terrer et de couvrir la retraite de l’unité de Poza du mieux possible, puis de tenir jusqu’à l’évacuation des nombreuses victimes. Parmi la quarantaine de tués de cette

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attaque avortée figurait Poza le commandant de la compagnie d’assaut. Lors du débriefing, Yosefeleh découvrit enfin pourquoi il n’avait pu le joindre par radio. Craignant que Yosefeleh ne l’appelle pour annuler la seconde phase de l’opération, Poza demanda à son opérateur radio de répéter : « Je ne parviens pas à joindre le commandant ! » jusqu’à la prise de Nebi Daniel. La bataille augurait mal de la suite de l’opération Yesuvi et le 4e bataillon avait presque perdu l’effectif d’une compagnie sans avoir capturé son objectif principal.

La bataille de Katamon Ce n’était là que l’un des nombreux revers subis à la fin d’avril 1948. Deux semaines seulement avant le retrait britannique et la proclamation de l’État d’Israël, Jérusalem semblait sur le point d’être perdue. Chaque nouvelle apportait son lot d’inquiétude : le bloc Etzion était encerclé sans espoir de renfort ; les colonies d’Atarot et de Neve Yaakov au nord de Jérusalem et de Ramat Rachel au sud étaient dans une situation désespérée ; l’ensemble des faubourgs juifs au sud de Jérusalem pouvaient être perdus. C’est l’arrière-plan de la bataille de Katamon qui peut-être considérée comme un tournant de la bataille pour Jérusalem. Dado venait d’être nommé adjoint au commandant de sa compagnie, le septième à occuper ce poste. Sur les cinq pelotons qu’elle comptait au départ, la compagnie n’en avait plus que trois en état de combattre. Le monastère de Saint Simon se trouve sur une colline à l’ouest du faubourg de Katamon et celui qui contrôle cette colline tient tout le sud de Jérusalem. Dès février 1948, la « garde nationale arabe », renforcée par d’autres forces, avait fait de la zone sa principale place forte. Fin avril, ses forces cantonnées dans le monastère et le secteur de Katamon comptaient 300 hommes renforcés par des volontaires irakiens et syriens. Elle était largement pourvue en mitrailleuses, mortiers, blindés légers dont deux véhicules pris au convoi Nebi Daniel. Pour affronter cette force,


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Uzi Narkis, commandant du 4e bataillon de la brigade Harel. 1948. Archives du Palmach.

le haut commandement aligna des hommes venant de deux bataillons du Palmach et de la dernière unité de la Haganah encore présente dans la ville. Les Maraudeurs furent choisis pour conduire l’assaut avec pour objectif principal le monastère de Saint-Simon. La première tentative pour capturer le monastère eut lieu dans la nuit du 29 avril, mais elle avorta et seuls les hommes chargés de faire diver-

sion commandés par Uzi Narkis atteignirent leur objectif. Quand la compagnie rentra à ses quartiers après avoir échoué, son commandant et son adjoint eurent fort à faire pour remonter le moral des troupes. La nuit suivante, le 30 avril, alors que la compagnie se redéployait pour approcher le monastère par la voie la plus difficile et imprévisible, les hommes remarquèrent que des affiches rouges avaient été placardées dans

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6. Le sten, pistoletmitrailleur britannique, très rustique et simple d’emploi, fut parachuté aux maquis d’Europe durant la Seconde Guerre mondiale et devint l’arme fétiche du Palmach et de la Haganah qui développa une production autonome. [NdR]

toutes les rues alentour. Leur chef instructeur Benny Marchak était attendu pour prononcer un discours lors de la fête du 1er mai. Mais avant cela il était occupé à organiser des tirs de mortier pour réduire les défenses arabes. Ra’anana coordonnait les opérations. La compagnie affaiblie dirigée par Mordechaï Ben-Porat devait donner l’assaut principal et la compagnie d’Uri Ben-Ari exploiter la percée avec le soutien d’une troisième unité commandée par le chef de peloton Raful – le futur chef d’état-major Raphaël Eitan – soit un total de 120 hommes. Le plan avait été conçu pour éviter des combats en zone urbaine. En attaquant de nuit et par la voie la plus escarpée, ils espéraient contrecarrer la position avantageuse de l’ennemi. Pour Ra’anana, il s’agissait d’une seconde chance : « Ma première tentative avait eu lieu la nuit précédente et on m’envoya faire une seconde tentative. Je connaissais bien le terrain et savoir se diriger était crucial pour la réussite de l’opération. On décida aussi de m’adjoindre des renforts. » La première phase de l’opération ne se passa pas comme prévu. L’unité qui progressait vers le monastère fut découverte et quelques hommes furent touchés avant même que l’assaut ait débuté. Une grenade mit le feu à l’un des bâtiments annexes dans la cour du monastère. À partir de là l’attaque nocturne se convertit en une attaque en plein jour. La compagnie commandée par Mordechaï Ben-Porat subit trop de pertes pour pouvoir poursuivre son attaque et la compagnie d’Uri Ben-Ari dut soutenir l’assaut principal. Le bâtiment en feu éclairait toute la zone et les Arabes dans le monastère et les annexes tiraient dans toutes les directions. Finalement les hommes de Raful prirent le bâtiment en feu et couvrirent Ra’anana, Uri, Dado, Benny et leurs hommes alors qu’ils entraient dans la cour du monastère. Toute l’opération depuis la préparation d’artillerie jusqu’à la prise du monastère n’avait pris qu’une demi-heure. À 1 h 44 au matin du 1er mai, Yosefeleh reçut le message : « Le monastère est entre nos mains. » Si ce message était exact, il ne donnait pas une juste image de la situation. Les hommes de

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Ra’anana étaient maintenant encerclés à l’intérieur des bâtiments, et les Arabes se déplaçaient tout autour prêts à lancer une contre-attaque. Les tirs ne faisaient que croître et, d’heure en heure, le nombre des blessés augmentait. Avant l’aube, Ra’anana essaya de joindre tous les officiers : Mordechaï Ben-Porat, Uri Ben-Ari, Dado, Yoske Yahalom et Benny Marshak pour leur confier à chacun un secteur à défendre. « Pendant ce temps les Arabes s’étaient rapprochés et nous tenaient à bout portant, se souvient Ra’anana, Benny Marshak s’est jeté en avant avec son sten 6 en criant ‘Je tire !’ ‘Tire alors !’ je lui dis. Il a pressé la gâchette, mais son arme s’est enrayée. J’avais une carabine anglaise et j’ai donc tiré à sa place. Puis Uri et Dado ont crié, sans que je n’aie rien dit, ‘On monte sur le toit lancer des grenades !’ C’était ma première rencontre avec Dado ; je m’en souviens très bien. » Dado devait se remémorer toute sa vie la bataille de Saint-Simon comme tous ceux qui survécurent à ces seize heures de combats acharnés. Alors que Dado conduisait la bataille sur le flanc sud depuis le toit du monastère, Motti Efrati, un autre jeune officier brillant du Palmach qui devait trouver la mort quelques semaines plus tard dans les collines de Judée, avait atteint la limite des bâtiments annexes d’où il pouvait voir des secteurs invisibles depuis le monastère. La contre-attaque commença à l’aube, vague après vague, alors que dans le même temps les blindés bombardaient la zone. Le chemin qui reliait les annexes au monastère était soumis à un feu roulant. Uri Ben-Ari se battait comme s’il était « dans un film », passant d’un point faible à un autre, jetant une grenade là, tirant au revolver ici, le tout en parfaite coordination avec Dado. Motti Efrati soutenait l’effort depuis le bâtiment principal et Dado s’adressait à Ra’anana d’une voix tranquille : « Je ne me souviens pas avoir beaucoup parlé avec Dado avant ce jour. Il avait un ton de voix spécial durant la bataille : apaisé, comme s’il chantait ou qu’il tenait une conversation amicale, se souvient Mordechaï Ben-Porat, je


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ne le connaissais pas avant, mais je me souviens m’être dit : quel drôle de type tout de même ! » Des années plus tard, Dado enregistra ses souvenirs de la bataille pour la radio : « La seule option que nous avions était de lancer des grenades et de tirer depuis le toit. Mais comme le toit était exposé aux tirs, nous avions beaucoup de pertes. Un homme blessé était descendu et un autre prenait sa place. J’ai organisé quelques contre-attaques pour empêcher les Arabes d’approcher du bâtiment. J’allais dans la pièce où étaient couchés les blessés et je demandais : ‘Qui peut encore tirer ?’ et deux blessés se levaient et lançaient une contreattaque avant de revenir. Nous avions déjà plus de la moitié des hommes touchés et les contreattaques se succédaient sans relâche. L’ennemi était bien organisé ; nous étions soumis à un feu continu. Il était douteux que nous puissions tenir plus longtemps, mais ce qui était certain, c’est que si nous ne tenions pas, cela signifiait la fin pour tous les blessés. Nous savions aussi avec certitude que sous une pareille pression il était impossible de se retirer… » D’autres publications offrent plus de détails sur le rôle de Dado dans ce combat : « Il savait que les hommes avaient été trop longtemps exposés aux tirs sur le toit et devaient être remplacés. Il fit appel à des volontaires et leur demanda de s’organiser par roulement d’une demi-heure. Il se chargeait personnellement d’aller sur le toit à chaque relève. Quand se posa la question de récupérer les blessés qui avaient été touchés en empruntant le chemin entre le monastère et ses annexes, il mit en place une procédure. L’infirmier Abraham Kaler, criait : ‘Dado, je sors !’ et Dado jetait une grenade fumigène et tirait pour le couvrir. Un autre blessé regagnait ainsi le monastère. Alors que les heures passaient, le nombre des blessés ne faisait que croître. Les munitions s’épuisaient et les appels à l’aide ne trouvaient pas d’échos. « C’est la seule bataille – et j’en ai commandé plus que quiconque durant la guerre d’indépendance – où j’ai décidé d’attaquer de

jour » se souvient Yosef Tabenkin. Il fait référence aux renforts – deux pelotons du 5 e bataillon cantonnés au centre de la ville de Jérusalem, près de la zone fortifiée de Bevingrad, où ils attendaient le retrait britannique comme les hommes de la Légion arabe positionnés dans le quartier russe en haut de la route de Jaffa. Yohanan Zariz prit la tête des renforts composés de soixante hommes chargés d’armes et les conduisit à travers la ville au pas de course jusqu’aux pentes menant à Saint-Simon qu’ils atteignirent à onze heures du matin. Des champs de ronces couvraient les pentes et « nous entendions les balles siffler à travers. Nous avons eu de lourdes pertes et lors de la dernière phase – les 20 derniers mètres – nous nous sommes trouvés engagés sur une piste qui était sous le feu des bâtiments jouxtant la cour, explique Zariz. Quand j’ai pris conscience des pertes et réalisé que cette piste était impraticable, j’ai donné l’ordre à chacun d’essayer de passer du mieux qu’il pourrait, en rampant et en s’infiltrant un à un. De tout le groupe, seuls huit combattants réussirent à atteindre le monastère. » Ce n’était pas un renfort suffisant pour décider du cours de la bataille, et bientôt le point de rupture fut atteint. Dado l’évoque ainsi lors de son entretien à la radio : « Puis arriva le moment dramatique où nous dûmes nous concerter entre officiers. Nous décidâmes que les blessés légers devraient redescendre par leurs propres moyens escortés de quelques hommes. Ce groupe se mit en route. Le reste des hommes, quelques combattants encore valides, les blessés graves et les officiers restèrent dans le bâtiment. Nous prîmes la décision que si l’affaire était perdue – et il était évident que la prise du monastère était proche – nous renverrions le reste des hommes et que nous autres officiers resterions en arrière avec les blessés pour faire sauter le bâtiment sur eux. Et pour ce qui nous concernait advienne que pourra… » Le plus vigoureux opposant à la retraite était Benny Marshak, qui ne cessait de répéter le dicton d’Yitzhak Sadeh : « Quand il pleut et que vous êtes trempés jusqu’aux os, ne perdez pas de vue

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que la même pluie tombe aussi sur l’ennemi. » Les heures passaient réduisant encore le nombre d’hommes en état de se battre. Puis Benny Marshak fut blessé légèrement aux lèvres et il ne se déplaçait plus que la bouche bandée, désormais incapable de remonter le moral. « La décision d’abandonner le monastère fut ressentie comme une défaite morale, souligne Ben-Porat et Dado en tira une leçon qu’il ne devait jamais oublier, car, soudain, au pire moment, la sentinelle à la fenêtre signala que les Arabes commençaient à se retirer. » Au crépuscule, ils réalisèrent tout à coup que les combats de la journée touchaient à leur fin et que l’ennemi était en retraite. Personne n’avait encore la force de s’en réjouir. Quarante combattants étaient morts et soixante autres blessés. Seuls 20 hommes des deux compagnies d’assaut et des renforts sortirent indemnes du monastère. Vingt ans après, Dado pensait encore « qu’il s’agissait de la bataille la plus cruciale de la guerre d’indépendance. » Son résultat était effectivement déterminant. Les forces arabes positionnées au sud de Jérusalem se dispersèrent dans toutes les directions : le jour suivant tout le secteur de Katamon fut conquis et le faubourg de Mekor Khayim fut à nouveau relié aux autres quartiers juifs, la colonie grecque et la colonie allemande tombant à leur tour sans combat. Beaucoup de héros émergèrent de la bataille de Saint Simon et Uri Ben-Ari le résume ainsi : « C’est l’une des batailles les plus difficiles à laquelle j’ai participé et c’est certainement vrai aussi pour Dado. Nous étions pris au piège dans un petit périmètre et les hommes tombaient les uns après les autres ; des dizaines de morts et de blessés gisaient dans deux salles. Dado était mon adjoint et il s’est comporté de façon extraordinaire notamment pour relever le moral. Quand nous avons reçu l’autorisation de nous replier, nous ne savions que faire des blessés graves et lorsque nous avons décidé de dynamiter le monastère sur eux, ce fut à Ra’anana, à Dado et à moi qu’échut la tâche de poser les explosifs et de déclencher l’explosion après le départ des derniers hommes

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valides. Dado était quelqu’un de sensible et je ne sais pas comment il a vécu ces instants, mais ce n’était certainement pas un moment des plus faciles… Heureusement, nous n’avons pas dû en arriver à cette extrémité, mais ce fut l’une des batailles qui forgèrent son caractère et qui lui ont permis d’atteindre le plus haut niveau. » Il ne devait jamais oublier le leitmotiv de Benny Marshak dont il fit sa devise. Durant les jours les plus sombres de la guerre de Kippour, il ne cessait de répéter cette leçon : « Quand vous êtes soumis à un rude combat, vous devez toujours vous souvenir que l’ennemi est en difficulté tout comme vous, et que si vous ne lâchez pas le premier, l’ennemi le fera. Celui qui tient le plus longtemps quand les choses vont mal gagne à la fin. » Les récits de bataille, même les plus tragiques, trouvent souvent une conclusion comique et celle-ci est entrée dans le folklore du Palmach. Au crépuscule, alors que les ambulanciers évacuaient les blessés, ils étaient accompagnés par les organisateurs de la seule et unique manifestation du 1 er  mai à Jérusalem. Ils cherchaient Benny Marshak pour lui rappeler que, bataille ou pas, il était temps pour lui de se rendre au meeting et d’inspirer les masses laborieuses. Ils avaient juste oublié que les batailles occasionnent des blessures et que la bouche bandée, Benny Marshak devait renoncer à prononcer son discours cette nuit-là. Un autre codicille intéressant à la bataille de Saint-Simon concerne le premier contact direct entre Yitzhak Rabin et Dado. Une fois les blessés évacués, Dado se porta volontaire pour rester au monastère à la tête d’une petite unité pour tenir la position. Quelques jours plus tard, Rabin apprit que « le commandant de Saint-Simon », un adjoint à un chef de compagnie dont le nom ne disait rien à personne, le demandait à la radio. « J’espère que l’état-major du bataillon n’a pas oublié qu’un peloton est abandonné ici ! » se plaignit Dado. Même si la bataille pour Saint-Simon mérite d’être décrite en détail en raison de son impact sur la personnalité de Dado, ce n’était en définitive qu’un épisode de plus dans une guerre de plus en


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plus violente et où des forces déclinantes devaient se battre sans relâche.

Objectif Jérusalem Dans les jours qui précédèrent la déclaration d’indépendance le 15 mai 1948, la brigade Harel monta l’opération Maccabée pour rouvrir la route qui reliait Jérusalem à la côte. Durant trois nuits consécutives, la compagnie dirigée par Uri Ben-Ari s’efforça de prendre une hauteur stratégique alors qu’une seconde compagnie réussissait à s’emparer du camp britannique du « radar ». L’opération Maccabée ne put toutefois atteindre son objectif. Les camions du convoi Harel restèrent bloqués dans Jérusalem et aucun approvisionnement ne parvint jusqu’à la cité assiégée. Le bloc Etzion était engagé dans une résistance désespérée et le kibboutz Ramat Rachel luttait pour sa survie ; les unités affaiblies des brigades Harel et Etzioni enchaînaient les batailles. C’est à ce moment-là que s’engagea la phase cruciale de la bataille pour Jérusalem. À l’aube du 15 mai, de nouvelles unités de la Légion arabe traversèrent le Jourdain avec des chars et de l’artillerie. La Légion avait déjà joué un rôle décisif lors de la bataille au sud de Jérusalem, au bloc Etzion et désormais lors de l’attaque à Atarot et Neve Yaakov au nord de la ville. Son artillerie commença à bombarder Jérusalem depuis Shuafat et la colline des Français au nord, Nebi Samuel à l’ouest et Beit Jalla au sud. Son premier objectif était cependant la prise du quartier juif de la vieille ville qui abritait encore 1 800 résidents juifs et une force symbolique de la Haganah et de l’Irgoun Zevaï Leummi. Dès le 16 mai, les défenseurs du quartier juif éprouvèrent les plus grandes difficultés à résister à la pression des forces arabes et le jour suivant, ils informèrent que la zone sous leur contrôle se réduisait à une poche de quelques kilomètres carrés. Les rabbins du quartier entreprenaient déjà des démarches auprès des délégués de la Croix rouge et il était clair que sans une forte réaction, le quartier juif serait forcé de capituler.

Confronté à cette situation délicate, David Shaltiel, le commandant du district de Jérusalem élabora un plan pour pénétrer dans la vieille ville à travers la porte de Jaffa et fit appel à la brigade Harel. Les officiers du Palmach et le commandant du district de Jérusalem s’opposèrent une nouvelle fois à propos de la stratégie. Yosefeleh Tabenkin considérait qu’un assaut frontal de la porte de Jaffa entraînerait « une catastrophe » et il demanda à Yitzhak Rabin de venir de Sha’ar Hagaï appuyer

Uri Ben-Ari (né Heinz Banner en 1925 à Berlin). Chef de compagnie puis commandant en second du 4e bataillon du Palmach durant la guerre d'indépendance. Archives du Palmach.

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son point de vue auprès de Shaltiel. Rabin proposa une approche indirecte qui consistait à couper la vieille ville de ses arrières et de la Légion arabe au nord, mais Shaltiel fit prévaloir son plan. Rabin manifesta vivement son désaccord, mais accepta cependant de se charger d’une opération de diversion depuis le quartier de Yemin Moshe jusqu’au mont Zion. « Après tout, dit Rabin, Jérusalem représente plus que nous tous réunis. Tu veux une diversion, nous allons te donner une diversion. » Puis il retourna à Sha’ar Hagaï diriger le combat de là-bas. Yosefeleh prit son parti d’une situation désastreuse et chercha à en tirer avantage : « Je me suis dit : à huit heures nous sortirons en direction de Yemin Moshe. Nous ouvrirons le feu juste comme on nous l’a demandé. L’assaut de Shaltiel échouera, mais cette attaque avortée va devenir une action de diversion pour nous. Une heure et demie après, une section prendra le premier bâtiment sur le mont Zion et toute la compagnie s’engouffrera à sa suite. Ce soir le mont Zion sera à nous ! » Yosefeleh désigna Uzi Narkis comme officier de liaison auprès du quartier général de David Shaltiel et Ra’anana comme commandant de l’opération avant de regagner Sha’ar Hagaï. L’unité chargée de conduire ce plan était la compagnie dirigée par Uri Ben-Ari et David Elazar. Il est difficile d’imaginer que cette unité composée de 60 hommes épuisés par cinquante jours et cinquante nuits de combats sans répit et qui venait de s’extirper de durs combats sur la route de Jérusalem était encore en état de combattre. Avant même d’avoir pu se réorganiser après les batailles de Nebi Samuel et de Katamon, les unités de la brigade Harel furent jetées dans la bataille pour le contrôle de la route de Jérusalem. Cette fois leur objectif était les hauteurs en surplomb de Sha’ar Hagaï et toute la zone à l’ouest en direction de Latroun. Les jours précédant la déclaration d’indépendance se passèrent à repousser de violentes contre-attaques au nord et au sud des arêtes montagneuses dominant la route. La compagnie commandée par Uri et Dado était à nouveau à l’œuvre. Ben-Ari évoqua plus tard cette

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bataille acharnée comme le Monte Cassino de la guerre d’indépendance. « Ma compagnie reçut l’ordre de prendre le village de Beit Machir, construit à flanc de montagne. Des nuages couvraient les hauteurs ; le brouillard était si épais que l’on ne pouvait pas distinguer le sommet. Face à nous se trouvait une montagne abrupte aménagée en terrasses, avec des murs de soutènement de deux à trois mètres, des rochers, des taillis et un ennemi prêt à ouvrir le feu. En raison des conditions météorologiques, la compagnie se déploya ainsi : un peloton monta de front et deux pelotons en couverture sur les flancs. Il ne disposait que d’un pistolet-mitrailleur sten, de grenades et de deux mitrailleuses. Nous escaladâmes la montagne et en prîmes le contrôle au cours d’une assez rude bataille en sautant de terrasse en terrasse. L’ascension prit des heures et nous n’atteignirent la crête qu’au matin. Dado démontra à nouveau sa valeur cette nuit-là. Nous avons envoyé deux pelotons nettoyer le village, puis Dado et moi, nous nous sommes chargés des francs-tireurs. Ce contact direct et personnel avec l’ennemi était peut-être imprudent, mais il était certainement efficace. » Cette section de la route était surnommée par les combattants « la boucherie ». Ils combattaient la nuit ; s’entraînaient, nettoyaient leurs armes et rendaient les derniers honneurs à leurs frères d’armes de jour. Ils partaient mener une nouvelle bataille alors qu’on entendait les pioches creuser des tombes fraîches pour le lendemain. Ce sont ces hommes qui devaient prendre le Mont Zion.

La prise du mont Zion et l’entrée dans la vieille ville À dix heures et demie, le 17 mai, comme prévu, l’assaut frontal pour pénétrer dans la vieille ville par la porte de Jaffa échoua, entraînant de lourdes pertes. Dans le même temps, le peloton de tête de la compagnie d’Uri Ben-Ari approchait du mont Zion. Mené par un éclaireur natif de la ville, il commença l’ascension


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Yitzhak Rabin à gauche et Yigal Allon à droite à la fin de l'opération Horev 1949. Archives du Palmach.

et s’empara de la montagne complètement par surprise sans essuyer aucune perte. La réussite de ce coup de main audacieux incita à concevoir un plan plus ambitieux. Yitzhak Rabin qui était de retour à Jérusalem l’après-midi du 18 mai reçut la visite d’Uzi Narkis et d’Itiel Amihaï qui proposèrent d’entrer dans la vieille ville par la porte de Zion : « Ils me dirent que Dado soutenait leur idée donc je me dis puisqu’il est sur place, il doit savoir ; il a une vision complète de la question. » Toutefois Rabin mit une condition à son feu vert : le commandement du district de Jérusalem devait fournir des forces supplémentaires pour couvrir la percée de la porte de Zion et renforcer les défenseurs du quartier juif. Il était clair depuis le début que la poignée de combattants épuisés qui tenait le mont Zion ne pourrait mener à bien cette mission seule. Dado fit appel à des volontaires pour lancer l’assaut – ce qui d’après Yosefeleh n’était pas

l’usage – et 17 hommes répondirent, pour la plupart des chefs de peloton. D’après Dado, « le plan prévoyait que deux dynamiteurs se rendraient à la porte de Zion qui était fermée par de grands battants en fer et poseraient 40 kg d’explosifs dessous. Deux hommes partirent en avant, amorcèrent les explosifs avec une minuterie et rejoignirent le reste de l’unité. Peu de temps après, la charge sauta. Je criais : ‘Suivez-moi !’ mais pas un homme ne bougea. Ils s’étaient tous endormis et même le bruit assourdissant de l’explosion ne les avait pas dérangés. Je dus réveiller un à un les hommes. Les dix premiers d’entre eux se levèrent et prirent position à la porte. Juste après le reste de l’unité entra et poursuivit sa route en direction du quartier juif. » 7 Cette action devait en principe permettre à une unité complète de venir renforcer la défense du quartier juif et protéger la porte contre une contre-offensive arabe. En réalité, seule une

7. Un seul des hommes de Dado trouva la mort lors de cette opération. Mordechaï Franco, un jeune Juif de Turquie émigré à l’âge de treize ans qui fut tué sur le coup par un éclat de grenade. Il n’avait pas dix-huit ans. Il repose avec sept autres combattants au cimetière de Kiryat Anavim. [NdR.].

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partie de cette force se montra et « ceux qui se présentèrent et auxquels fut confiée la défense de la porte s’avérèrent incapables d’assurer cette tâche : leur commandant déclara que ses hommes n’avaient reçu aucun entraînement. » Un détachement de 80 hommes de la garde territoriale de Jérusalem vint renforcer les défenses du quartier juif. La situation restait incertaine. Dado annonça : « Mission accomplie ! Nous avons pu établir le contact avec les Juifs de la vieille ville. 1 700 personnes ont été sauvées… » Les Juifs du quartier étaient en effet submergés par la joie : « Ils se jetèrent sur nous, nous enlaçaient, nous embrassaient… » Mais les célébrations s’avérèrent prématurées. La petite unité du Palmach était incapable d’assurer en même temps la protection de la porte de Zion et la liaison avec le quartier juif. La compagnie reçut bientôt l’ordre de laisser la défense du mont Zion aux mains de la garde de Jérusalem et de reprendre le combat dans le périmètre de Sha’ar Hagaï. À l’aube, Dado reçut l’ordre de repli. « Je réunis l’unité d’assaut qui était épuisée et la conduisis à l’extérieur sachant qu’une unité de la garde territoriale nous remplaçait… » À ce stade de la guerre, la brigade Harel avait reçu des ordres clairs de l’état-major lui demandant de ne pas entrer dans Jérusalem et « tous les accords que j’ai conclus avec Shaltiel relevaient de mon propre sens des responsabilités, souligne Yitzhak Rabin, le sens des responsabilités que nous éprouvions tous à l’égard de Jérusalem. Je n’ai donc pas demandé l’autorisation de l’étatmajor pour lui venir en aide et je suis toujours convaincu qu’étant donné les circonstances, Dado a fait du mieux possible. » Aucun de ceux qui passèrent un temps dans la ville assiégée durant la guerre d’indépendance ne purent oublier la faiblesse pathétique des défenseurs de Jérusalem. Vingt-cinq ans plus tard, s’exprimant devant les membres du kibboutz Kiryat Anavim, le Premier ministre Yitzhak Rabin rendit hommage aux 420 combattants de la brigade Harel enterrés là et appela à tirer la leçon de ce combat afin que les défenseurs d’Israël ne se battent plus dans de

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telles conditions d’infériorité. La vieille ville de Jérusalem se rendit à la Légion arabe le 27 mai et resta inaccessible au peuple juif durant les 19 années suivantes. Vingt jours séparent la bataille pour le quartier juif de la première trêve. Durant ce temps, la compagnie de Dado combattit sans répit. À ce stade, seules trois compagnies restaient disponibles au sein des 4e et 5e bataillons. La proportion des pertes parmi les officiers était si élevée que seule une section au sein de toute la brigade disposait encore d’un chef qualifié ; les chefs de section occupaient la place des chefs de peloton et même des adjoints aux commandants de compagnie. Un peu auparavant, Shlomo Shiloah était parvenu à se rendre dans un véhicule blindé jusqu’à la côte et avait rassemblé des renforts pour le bataillon. Un autre commandant de compagnie, Mordechaï Ben-Porat avait ouvert un cours accéléré pour les chefs de peloton alors que Dado prenait le commandement de sa compagnie. Puis Shlomo Shiloah revint avec un renfort de 150 nouveaux immigrants qui avaient suivi dix jours d’entraînement. Deux convois réussirent encore à passer jusqu’à Jérusalem à la fin de l’opération Maccabée, les 16 et 17 mai, mais ensuite la route se referma et la situation devint de plus en plus désespérée à l’intérieur de la ville. Pour desserrer l’étau, le 25 mai, une attaque fut entreprise pour arracher à la Légion arabe la place forte de Latroun, le principal obstacle entre Jérusalem et la côte. L’attaque fut un tel échec que la Légion arabe en fut galvanisée et qu’elle lança le lendemain une contre-attaque, reprenant le « radar » et faisant planer un danger immédiat sur les kibboutz Maaleh Hahamishah et Kiryat Anavim. Le soir même, le 4e bataillon qui rentrait de Jérusalem fut mobilisé dans l’urgence pour reprendre la position du « radar ». À l’aube, la Légion ouvrit le feu par un tir de barrage. Deux pelotons furent dépêchés, mais « ils tombèrent sur des blindés qui se déplaçaient en direction de Beit Fefferman – le sanatorium qui servait de base au Palmach à Maaleh Hahamishah. Une autre unité fut organisée et équipée de cocktail Molotov et


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d’explosifs. Malgré le feu intense, une section réussit à s’approcher en rampant à dix mètres des blindés, lança les cocktails Molotov et mit le feu à deux véhicules avant de se retirer. » Yitzhak Rabin se souvient de ce jour et des efforts de la compagnie de Dado pour reprendre le « radar » : « Nous étions à Beit Fefferman et j’étais assis à côté de Ra’anana quand soudain un barrage d’artillerie s’abattit sur nous. C’était notre première expérience d’un bombardement. Toute la zone était recouverte d’un nuage de poussière et de fumée. Ra’anana chercha à contacter Dado alors que je me tenais près de lui en pensant : ‘Dieu seul sait qui va sortir de là vivant !’ Il ne put le joindre et je me suis dit : ‘la radio doit être endommagée ; va savoir ce qui se passe là-bas !’ Les minutes me semblaient des heures. Finalement le pilonnage cessa, le contact fut rétabli, et Ra’anana demanda : ‘Dado qu’est-ce qui s’est passé ?’ Et Dado répondit : ‘Rien. Cela a fait beaucoup de fumée et de poussière, mais nous n’avons pas eu de pertes.’ Le tout dit de cette voix douce, calme, apaisante. C’est difficile à croire… » L’un des hommes de la compagnie de Dado, Menachem « Michka » Finkel, en garde un autre souvenir. Il avait seize ans à Ludmir en Pologne quand la Seconde Guerre mondiale a éclaté et il avait passé la guerre en Russie. Après avoir servi dans l’Armée rouge, il erra d’un endroit à l’autre et finit par échouer à Chypre comme immigrant illégal. Il parvint à rejoindre la Palestine en janvier 1948 en prétendant être pris en charge par l’Aliyah des jeunes et s’engagea aussitôt dans la lutte clandestine. Mishka était venu à Kiryat Anavim avec Yohanan Zariz et se trouvait maintenant intégré à la compagnie de Dado : « Je ne voulais pas aller au ‘Radar’. J’en avais par-dessus la tête de toute cette guerre. Nous étions tous superstitieux et j’avais un mauvais pressentiment. Je me suis dit : ‘je n’y vais pas !’ Dado se tenait là et faisait l’appel de ses hommes en demandant à chacun : ‘Est-ce que tu en es ?’ Il y avait beaucoup de oui et beaucoup de non. Si quelqu’un disait qu’il ne se sentait pas bien

ou n’était pas prêt à y aller, aucun commentaire n’était fait. J’étais habitué à la façon dont les choses se passaient dans l’Armée russe et cela a été l’une des expériences les plus marquantes de ma vie. J’avais l’impression de vivre aux temps bibliques avec le rappel des noms de chacun avant chaque action. Je me souviens de la façon dont Dado me regarda et je me suis entendu dire : ‘oui, j’y vais’. À partir de là, il n’était plus nécessaire de me demander. À chaque fois que Dado allait en opération, je partais avec lui. » La brigade Harel traversait une période noire. La loi des statistiques réduisait chaque jour les chances de chacun des combattants de s’en sortir indemne. Dans ces circonstances, le charisme naturel de Dado ressortait plus encore. Quand il remplaça Mordechaï Ben-Porat comme commandant de compagnie, Benny Marshak insista pour organiser une célébration dans la cantine de Kiryat Anavim : « Les hommes étaient épuisés, brisés, déprimés. La moitié de la compagnie avait déjà été touchée, se souvient Ben-Porat, puis Dado commença à parler de l’importance de cette réunion, des raisons pour lesquelles il était important de célébrer ce moment. J’avais vingt ans alors et il devait en avoir vingt-trois. Que savions-nous alors de la façon dont on devait parler en public ? Nous savions comment donner des ordres, mais pour ce qui est de se lever et de parler avec inspiration ? Faire une pause et réfléchir à la façon de présenter un sujet ? Que savions-nous de cela ? » À partir du moment où Dado devint commandant de compagnie et membre du premier cercle du bataillon, ce furent ces talents qui attirèrent sur lui l’attention de ses collègues. Lors de leurs débats, il commença à se distinguer par la qualité de ses analyses, mais surtout par son style éloquent, sa façon d’exposer une idée et sa capacité à dire les choses avec précision. En cela Dado était radicalement différent du reste du groupe, des sabras à peine dégrossis qui avaient tendance à buter sur chaque mot parfois en le faisant exprès.

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David Elazar au centre bras croisé en juin 1948 commandant de compagnie avec ses hommes. Archives du Palmach.

Après la guerre d'indépendance, David Elazar prononce un discours en hommage aux combattants disparus. Archives du Palmach.

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L’état-major du 4 e bataillon focalisé autour de la personnalité de Yosefeleh – sans négliger l’influence particulière exercée par Benny Marshak – formait un cercle étroit de fidèles entre les fidèles. Ceux qui en faisaient partie mettaient l’accent sur le côté positif de ce cercle, sur le sens d’appartenir à une élite, alors que ceux qui en étaient exclus trouvaient que cela tenait de la cour hassidique ou d’une clique. Mais Dado était d’une autre étoffe : « il manifestait un esprit de camaraderie en nous procurant du chocolat, des armes, des munitions sous le manteau. Il se tenait au-dessus des coteries. » On peut légitimement se demander comment il fit pour progresser aussi vite. « Yosefeleh tomba amoureux de lui, selon l’un des officiers, Dado était un séducteur, un charmant jeune homme, courageux, très intelligent et qui excellait à beaucoup de choses… » Selon d’autres, il s’identifiait jusqu’au bout à ses hommes. Il y avait un « peloton chypriote » dans sa compagnie, de nouvelles recrues qui étaient des survivants de la Shoah. Certains étaient les derniers survivants de leur famille. Ils demandaient souvent des permissions et étaient considérés comme des perturbateurs. Dado était le seul à pouvoir les approcher, à savoir les écouter et à les apaiser. « Pourquoi faut-il que parmi toute cette galerie d’officiers, il soit le seul dont je me souvienne ? » se demande Menachem Finkel. « Pour nous les nouveaux immigrants qui arrivions déracinés dans ce pays, sans père ni mère, sans frère ni sœur, c’est ce côté humain de Dado qui était si attirant ; il était comme un frère de substitution qui savait écouter. Vous pouviez toujours aller lui parler. Je me souviens qu’une fois nous étions assis ensemble à nettoyer les armes ; c’était la procédure – quand nous rentrions d’opération, il fallait nettoyer son arme afin que quelqu’un d’autre puisse l’utiliser. Nous étions assis tous ensemble et j’ai dit : ‘Qu’est-ce que c’est que cette armée ? Est-ce que nous aurons un jour chacun une arme ?’ Dado a souri, de son sourire si particulier, et il m’a dit : ‘Nu, Mishka, quelle sorte d’armée souhaiterais-tu ?’ ‘Pas comme

l’armée russe en tout cas ! J’ai répondu, mais une armée qui ait l’air de quelque chose quoi !’ Après avoir nettoyé nos armes, Dado est venu me poser plein de questions à propos de l’armée russe, ce que j’avais appris lors d’une formation d’officiers, etc. ‘Quelle sorte de responsabilité vous ont-ils enseignée envers le peuple ?’ m’a-t-il demandé. Je n’ai pas compris la question. On ne m’avait jamais parlé que de ma responsabilité envers la patrie. ‘Que veux-tu dire à propos du peuple ?’ Dado m’a regardé et m’a dit : ‘Tu sais ce que nous faisons ici ? En premier lieu et pour l’essentiel, nous protégeons le peuple.’ » À d’autres moments, cette même attitude semblait s’exprimer avec rigidité. Nuit après nuit, les hommes gardaient des positions ou partaient en opération, et l’après-midi suivante, ils allaient enterrer leurs disparus. Yosefeleh et Benny n’étaient pas prêts à faire des concessions ; chaque combattant devait assister aux funérailles. Mais celui qui était probablement l’ami le plus proche de Dado au sein du bataillon, Shlomo Shiloah, pensait qu’il s’agissait d’une grave erreur : « Nous déprimons encore plus le moral des gens, car chacun se disait : demain ce sera peut-être mon tour alors autant ne pas partir en mission ce soir. » Il demanda à Dado de se joindre à lui pour parler à Yosefeleh et lui suggérer une autre façon de rendre hommage aux camarades tombés, mais la réponse de Dado fut catégorique : « Nous sommes des camarades et nous nous tiendrons côte à côte jusqu’à la tombe. Chaque officier, chaque engagé doit savoir qu’il ne sera pas oublié ou laissé de côté. » Si Dado avait des moments de dépression, il les a gardés pour lui. Ce n’est que beaucoup plus tard qu’il confia à sa fiancée, Talma : « Il n’y avait pas un homme qui ne recevait pas un jour un paquet, un bout de savon ou quelque chose. Le seul qui ne recevait rien de personne, qui était aussi seul qu’une pierre, c’était moi. » Mais presque personne ne remarquait cette solitude. Certains ressentaient même comme une provocation cette expression placide, ce sourire, ce comportement

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David Elazar alors commandant du 4e bataillon du Palmach figure au centre du dernier rang avec un casque à treillis. À sa gauche, le chef de peloton, Yosef Prinski. À sa doite, tête nue, l'adjoint au commadant de compagnie, Arik Oz. Assis, à l'extrêmedroite se trouve Haïm Dim, un immigrant fraîchement débarqué de Chypre, futur colonel de l'armée israélienne. 1948. Archives du Palmach.

inaltérable et le percevaient comme un homme calculateur, déterminé, inflexible. À la fin mai 1948, après l’échec de la première offensive à Latroun, la chaîne de commandement autour du corridor de Jérusalem fut renouvelée. David Marcus, un colonel juif américain surnommé « Mickey Stone » arriva avec le statut de commandant suprême du secteur. Yitzhak Rabin, le commandant de la brigade Harel fut affecté à un autre poste et à sa place fut nommé Yosefeleh Tabenkin qui prit avec lui Ra’anana pour commander la brigade. Uzi Narkis prit la direction du 4e bataillon avec comme adjoint Uri Ben-Ari. À deux reprises, les forces de Yosefeleh tentèrent à nouveau de prendre Latroun pour ouvrir la route de Jérusalem et échouèrent. Lors de la dernière tentative, le 5 e bataillon ne put identifier convenablement son objectif et perdit toute une compagnie. À l’entrée en vigueur de la première trêve, le 11 juin, la brigade Harel ne comptait plus que deux compagnies. Yosefeleh

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résuma ainsi les choses : « Soixante-dix jours et nuits de combats incessants venaient de prendre fin et 70 % des hommes étaient hors de combat. » Et la guerre n’était pas encore finie.

À la tête des Maraudeurs Au cours de sa réorganisation à Sarafand, une ancienne base militaire britannique à proximité de Tel Aviv, le 4e bataillon perdit sa compagnie navale qui rejoignit la nouvelle flotte israélienne et ses rangs s’étoffèrent avec de nouvelles recrues fraîchement débarquées. Le premier souci des officiers du bataillon durant les quatre semaines de la première trêve fut de faire de ces hommes des soldats, ce qui signifiait leur enseigner l’hébreu en même temps qu’on leur apprenait les rudiments de l’exercice militaire et à se battre en terrain inconnu. Par rapport à ces nouvelles recrues, le commandant de compagnie David Elazar faisait figure de


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vétéran chevronné. Ils considéraient Dado comme un sabra – un natif du pays – même si en vérité, il était aussi isolé qu’eux pouvaient l’être. Le seul endroit qu’il pouvait considérer comme étant sa « maison » était le kibboutz qui l’avait renié dès qu’il s’était engagé dans le Palmach. Quand Dado retourna à Ein Shemer durant la première trêve, sa visite lui laissa un goût amer. Il était sensible à toutes les formes subtiles de discrimination qui lui étaient réservées afin de lui faire sentir sans ambiguïté que les kibboutzniks le regardaient comme un déserteur. Dado était maintenant considéré comme l’un des officiers les plus talentueux de la brigade Harel. La première opération à laquelle participa le bataillon à l’issue de la trêve fut l’opération Dani dont l’objectif était l’élargissement du corridor de Jérusalem et une percée en direction des collines d’Hébron. Pour une raison quelconque, juste avant le lancement de cette opération, Yosefeleh décida que le commandement du 4e bataillon – « son » bataillon – devait encore changer et que Dado était l’homme de la situation. On était alors à la mi-juillet, et moins de quatre mois s’étaient écoulés depuis que Dado avait rejoint la compagnie comme chef de peloton et moins de deux mois depuis sa nomination comme chef de compagnie. Le nommer à la tête d’un bataillon signifiait passer au-dessus d’officiers brillants et plus expérimentés. Yosefeleh était influencé par toute une série de facteurs que seule une guerre intense et brutale peut condenser en si peu de temps. Dado attirait l’attention non seulement par ses qualités d’officier combattant, mais aussi par son talent à fédérer une coalition disparate de sabras et de nouveaux immigrants. La terrible hémorragie d’officiers durant ces soixante-dix jours et nuits de combat était un autre facteur. Un autre commandant de compagnie, Motti Efrati perdit la vie quand les combats reprirent. « Je ne sais pas ce que j’aurais fait si Motti Efrati était resté en vie », admit Yosefeleh des années plus tard. Alors qu’il était chef d’état-major de l’armée israélienne, Dado confia à

un ami de la brigade Harel : « Motti avait l’étoffe d’un chef d’état-major. » Mais Motti était tombé au combat et Dado fut nommé adjoint de Yohanan Zariz en remplacement d’Uri Ben-Ari qui avait quitté le bataillon pour devenir instructeur de l’école d’officiers. Cela le mettait en première ligne pour devenir le prochain commandant des Maraudeurs. Des témoins se souviennent de la visite que rendit Yitzhak Sadeh à Yosef Tabenkin, Yohanan Zariz et son adjoint, David Elazar au poste de police d’Abu Gosh. Sadeh était encore vénéré comme le fondateur du Palmach même si ses jeunes recrues étaient désormais des officiers aguerris. À un moment, Yosefeleh mit sa main sur l’épaule de Dado et se tournant vers Sadeh, lui dit : « Vous voyez ce jeune homme ? Vous ne le connaissez pas. Personne ne le connaît encore. Mais gardez un œil sur lui, car un jour ce sera quelqu’un ! »

Cérémonie de prise d'armes. De droite à gauche : David Elazar, Yosef Tabenkin, le général Zvi Aylon, Benny Marshak. Archives du Palmach.

« Après l’épreuve du feu est venu un autre test explique Yosefeleh, la capacité à diriger un groupe d’hommes et Dado avait un talent très particulier pour cela. Ses hommes étaient moins amers, moins insatisfaits, moins râleurs que dans aucun autre peloton. Il avait le génie pour s’attirer les faveurs des uns et des autres. Ce n’était pas pour ses aptitudes au combat qu’il se distinguait. » Le modèle du combattant courageux était

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Deuxième à partir de la droite, David Elazar alors commandant du 4e bataillon préparant une opération à l'aide d'un bac à sable. 1949. Archives du Palmach.

pour tous Uri Ben-Ari. « Mais quand les questions de jugement, de bravoure, d’évaluation correcte de la situation et de capacité à prendre la bonne décision ne suffisent plus et que nous devons prendre en considération l’aptitude à commander des hommes pour une mission, la compétence de Dado était inégalée. » Tabenkin souligne une autre qualité qui devait devenir l’un des traits caractéristiques de Dado au cœur des batailles les plus disputées. « Il y avait aussi une question de cran. Un homme est jugé sur son degré d’autonomie, sur sa capacité à ne pas montrer de faiblesse ou à se plaindre. En pleine bataille, Dado avait fait la preuve qu’il était capable de prendre des décisions difficiles. » Tout le monde n’accepta pas de bon cœur la nomination. Des officiers ont éprouvé de l’amertume, en particulier ceux qui avaient d’excellents états de service et plus d’ancienneté. Certains eurent l’impression que Dado courait ouverte-

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ment après l’avancement ce que la plupart des Palmachniks considéraient comme de mauvaise éducation ; le rituel bien ancré était que l’on devait supplier un homme pour qu’il accepte un commandement, sinon il aurait été soupçonné de nourrir des ambitions personnelles. Juste avant la fin de la seconde trêve, Yosefeleh nomma Yohanan Zariz à un autre poste – il devint peu après commandant de bataillon sur le front nord – et Dado prit le commandement du 4e bataillon. […] Quand la seconde trêve prit fin en octobre, le 4 e bataillon se trouva engagé dans l’opération Montagne, qui avait pour objectif la protection de l’étroit corridor reliant la plaine côtière à Jérusalem et le contrôle de la voie de chemin de fer desservant la capitale. Comme toutes les opérations suivant la seconde trêve, l’opération Montagne ne dura que quelques jours (du 18 au 22 octobre), et, à son achèvement, les Maraudeurs


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avaient atteint un point se trouvant face au Bloc Etzion anéanti et aux faubourgs de Bethléem. Une opportunité se profilait pour protéger Jérusalem par le sud, reprendre le contrôle du Bloc Etzion et couper Hébron du reste de la Cisjordanie. Mais une autre réalité les attendait qui devait se répéter au fil des ans et devenir une partie importante de la doctrine des forces israéliennes. Les soldats avaient rempli leur mission et au-delà, mais des raisons politiques plaidaient contre l’exploitation du gain à portée de main. L’ordre fut donné de se retirer. L’opération Montagne fut le premier test pour Dado comme commandant de bataillon. Le chef de la compagnie d’assaut de Dir el-Hawa (Nes Harim) était Modechaï Ben-Porat que Dado avait par trois fois devancé en avancement depuis la bataille de Saint-Simon. « Cette bataille n’avait rien de particulier, se souvient Ben-Porat, et l’opération fut conduite pour l’essentiel par la compagnie

d’assaut. » Toutefois le mode de commandement se distinguait radicalement de celui qui avait cours lors de la guerre d’indépendance et même bien après. La règle commune était que le commandant du bataillon reste en arrière de la force donnant l’assaut et dirige la bataille par radio. À Dir el-Hawa, cependant, le commandant du bataillon avec un détachement d’état-major – un concept qui devait seulement émerger beaucoup plus tard – se trouvait engagé entre la compagnie d’assaut et la seconde compagnie. Cette innovation était l’une des leçons que Dado tira de son avancement très rapide de chef de peloton à commandant de bataillon. « Les officiers qui dirigeaient les troupes sur le terrain durant la guerre d’indépendance étaient les commandants de compagnie. Dado fut l’un des premiers à changer ce mode de commandement. » D’autres officiers se souviennent du détachement d’état-major suivant la bataille de très près, de la voix régulière du commandant de bataillon dirigeant, encourageant, stimulant un jeune chef de peloton ou une patrouille, du sentiment réconfortant que tout était entre de bonnes mains. Cependant Dado gagna réellement ses galons de commandant de bataillon plus tard, lors de la dernière phase de l’opération Horev au début du mois de janvier 1949 quand il démontra qu’il savait non seulement conduire avec brio un assaut, mais aussi se terrer et tenir quand il le fallait.

David Elazar, commandant du 4e bataillon lors de la préparation d'une opération. Archives du Palmach.

L’opération Horev et la fin de la bataille du Néguev L ’ o p é ra t i o n H o rev q u i s e d é ro u l a d u 22 décembre 1948 au 7 janvier 1949 avait pour but de sceller la défaite de l’armée égyptienne. La campagne s’ouvrit en deux directions : à l’ouest, la brigade d’infanterie Golani mena une attaque en direction de la bande de Gaza. Son objectif principal était de forcer les troupes égyptiennes à se retirer des autres secteurs du Néguev, mais aussi d’établir un point de contrôle sur la route côtière au sud de Rafah et ainsi isoler les forces égyptiennes de leurs arrières au Sinaï ou en Égypte.

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David Elazar, commandant du 4e bataillon avec Hannah Seton, à l'arrière, à droite Avraham ‘Rumi’ et Mordehaï Ben-Porat. Archives du Palmach.

Assault à pied à Bir Tamila dans le Neguev lors de l'opération Horev en décembre 1948. Archives du Palmach.

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Des opérateurs radio de la brigade Neguev du Palmach lors de l'opération Horev. Archives du Palmach.

Automitrailleuses du Palmach lors de l'opération Horev. Archives du Palmach.

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Blindé du Palmach lors de l'opération Horev. Archives du Palmach.

Dans le même temps, l’effort principal porta au centre du Néguev où l’objectif majeur était le contrôle de la route Auja el-Hafir – Bir Asluj. Quand Auja el-Hafir fut pris, lors d’une dure bataille impliquant les chars, l’artillerie et l’aviation de combat, il fut décidé d’exploiter le gain en menant un large mouvement d’encerclement passant à travers le Sinaï par Abu Ageila et s’étendant jusqu’au carrefour stratégique d’El Arish. Ce projet fut toutefois entravé par une pression politique intense exercée sur Israël quand il devint clair que les Égyptiens faisaient face à une débâcle sans précédent. Le 29 décembre, alors que les forces israéliennes prenaient Abu Ageila, le Conseil de Sécurité ordonna un cessez-le-feu immédiat et le retrait des forces israéliennes sur les lignes qu’elles occupaient avant le déclenchement de l’opération Horev. L’ultimatum britannique demandant le retrait des forces israéliennes au nord de la frontière internationale – transmis par

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Washington et accompagné d’un grave avertissement du président américain – avait encore plus de poids aux yeux du Premier ministre David Ben-Gourion. Cette manœuvre à double détente n’avait pas seulement pour effet de priver les forces israéliennes de leur victoire sur l’armée égyptienne – alors que celle-ci avait envahi le tout jeune État d’Israël dans le but de le détruire – mais il privait l’État de la possibilité de transformer un succès militaire en avantage politique. Quand il reçut l’ordre de se retirer sur la frontière, le commandant du front sud, Yigal Allon, prit immédiatement l’avion pour Tel Aviv afin de s’entretenir avec le ministre des Affaires étrangères, Moshe Sharett. « Je lui ai dit que j’avais seulement besoin d’un jour pour prendre El Arish. Ensuite j’étais prêt à me retirer à Rafah afin d’honorer nos engagements auprès des Américains. Mais Sharett répondit que la prise d’El Arish serait une violation flagrante de ceux-ci. » Quand Ben-Gourion appuya les vues de Moshe Sharett, un plan alternatif fut adopté – même si Yigal Allon et son adjoint Yitzhak Rabin estimèrent qu’épargner El Arish fut une erreur historique. Le nouveau plan approuvé par Ben Gourion prévoyait la prise d’un secteur au sud de Rafah afin de couper toute possibilité de retraite à l’armée égyptienne. Partant d’Auja el-Hafir, deux bataillons commandés par deux camarades de l’Hashomer Hatzaïr de Zagreb : le 4e bataillon sous la direction de David Elazar et le 9e bataillon blindé de la brigade du Néguev sous la direction de Haïm Bar-Lev prirent la direction de Rafah. « J’opérais de jour avec mes véhicules blindés, explique Bar-Lev, en avançant le plus possible, et la nuit Dado progressait avec le 4e bataillon. Le jour, il suivait plus ou moins ma progression et la nuit, je me tenais à ses côtés. Cette phase prit environ deux jours. » La brigade Harel avait été transférée dans le Néguev afin de prendre part à l’opération Horev et ses officiers qui s’occupaient de formation durent précipitamment rejoindre leurs unités. […]


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Yigal Allon, commandant du front sud lors de l'opération Horev. Archives du Palmach.

Raful Shefer, un vétéran du peloton Mishmarot et l’un des commandants de compagnie du 4e bataillon se souvient du moment où arriva l’ordre de « faire une percée à Rafah ». Les positions prises d’assaut par les parachutistes israéliens lors de la guerre des Six Jours étaient à peu près les mêmes que celles disputées lors de l’opération. Shefer note juste une différence : « les forces étaient plus réduites à l’époque, des deux côtés. Et nous étions pris dans une course contre la montre. » Le carrefour de Rafah fut pris par des hommes du 5e bataillon, qui passèrent devant les avantpostes tenus par le 4e bataillon, mais les attaquants durent alors composer avec une tempête de sable. Quand les Égyptiens se regroupèrent et lancèrent une contre-attaque avec le soutien des chars, les hommes du 5e bataillon prirent les blindés pour des chars israéliens et les laissèrent s’approcher. Quand ils réalisèrent leur erreur et tentèrent de les arrêter, le sable avait pénétré leurs armes, les rendant inopérantes. Ils entamèrent un repli qui tourna en déroute.

La prise de Rafah fut abandonnée et le plan modifié en conséquence. Il prévoyait désormais de couper El Arish, à trois kilomètres environ au sud du carrefour, aux environs de Sheikh Zuweid où la route et le chemin de fer se rejoignent. L’objectif fut atteint aux premières lueurs du jour ; ils savaient pertinemment ce qui les attendait dès que les Égyptiens prendraient conscience de ce qui s’était passé. En l’espace d’un instant, tout le bataillon se terra dans le sable et comme prévu, les Égyptiens contre-attaquèrent. Ils arrivèrent par vagues avec le soutien des chars et des tirs de barrage et, par moments, lors de cette longue journée, certains hommes eurent l’impression que le moment était venu de battre en retraite. Benny Marshak qui semble avoir été de toutes les opérations se trouvait à l’état-major de la brigade Harel ce jour-là. Dès qu’il eut connaissance de la pression qui s’exerçait sur le bataillon, il se rua sur une batterie de campagne et ordonna à son commandant de « faire quelque chose. » L’officier lui expliqua qu’il ne pouvait rien faire, car il n’avait

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pas d’information concernant la portée, la topographie, etc. « Au diable la portée ! s’écria Benny, vous devez les aider. Donnez l’ordre de tirer ! » Comme beaucoup avant lui et beaucoup après lui, le commandant de la batterie ne put résister à Benny et il lança la canonnade. Pour des raisons compréhensibles, il se trouva frapper non pas les Égyptiens, mais les positions des Maraudeurs. « Heureusement nous étions tous terrés et personne ne fut blessé, se souvient Raful Shefer. Mais comment mettre fin à cet enfer ? Je courus au téléphone ; il était en panne. J’essayais la radio ; ils n’entendaient rien. Dado se trouvait à son poste avancé à 500 mètres de moi et j’ai essayé de lui faire signe de la main, mais le temps de lever la main, elle pouvait être emportée. Faute d’autre solution, je suis sorti de la tranchée et j’ai couru comme un fou jusqu’à Dado. Je suis arrivé le souffle coupé et je lui ai dit en haletant : ‘Ils nous tirent dessus ! Ils nous tirent dessus !’ et comme à son ordinaire Dado a répondu tranquillement : ‘Bon d’accord et après ?’ Il a donné un ordre et l’artillerie s’est tue. » Mordechaï Ben-Porat était avec Dado dans la tranchée qui lui servait de poste avancé et témoigna non seulement de son calme, mais aussi de sa détermination au cours de la bataille. Il était clair que la principale menace qui pesait sur les défenseurs était les chars et que la seule arme efficace contre eux était des canons anti-chars actionnés par des émigrants russophones. Ben-Porat, avec Dado juste derrière lui, fit monter les canons au sommet d’une colline et dirigea leurs servants par signes. Ils réussirent à toucher huit chars. Alors que la pression se relâchait quelque peu, il suffisait alors de tenir les positions défensives. Iska Shadmi explique l’importance de cette bataille : « Jusqu’alors nous nous considérions comme les chevaliers de l’armée israélienne – le Palmach était conçu pour mener des attaques nocturnes, des percées. Nous faisions beaucoup de bruit, comme les hommes de Gideon dans la Bible et quand venait le matin nous confiions la défense du territoire conquis aux troupes de campagne de la Haganah. Pour cette raison, nos compagnies

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se concentraient seulement sur la partie offensive de leurs missions et, lors des combats autour de Jérusalem, cela a causé plus d’un échec. La bataille pour Rafah a constitué un tournant. Toute une journée le bataillon est resté en position défensive et a repoussé toutes les contre-attaques ; cela est à mettre au crédit de l’obstination de Dado. Tenir quoiqu’il en coûte ! C’est la marque qu’il a imprimée comme commandant et depuis cette date cette attitude est devenue partie intégrante de sa carrière militaire. La seule différence entre hier et aujourd'hui est une question de taille et de puissance ; pour le reste rien n’a changé. » La nuit tombée, quand le cessez-le-feu entra en vigueur, les Maraudeurs tenaient encore leurs positions. Puis les États-Unis firent à nouveau pression sur Israël, cette fois pour se retirer du saillant de Rafah et une fois de plus l’armée reçut l’ordre de retraite. C’était comme si le colossal effort qu’avaient représenté la défense du secteur de Rafah et l’encerclement de l’armée égyptienne pour obtenir un gain politique n’avait servi à rien. La brigade Harel réintégra ses quartiers à Mahaneh Israël. Six semaines après la bataille pour le carrefour de Rafah, le 24 février 1949, l’Égypte et Israël signèrent un armistice et les forces israéliennes commencèrent à s’organiser pour l’après-guerre. L’état-major décida de structurer l’armée régulière autour de deux brigades d’infanterie (Golani et Givati) et une brigade blindée (la 7e) et que le reste des hommes constituerait une réserve ce qui signifiait que le Palmach serait démobilisé – son état-major avait déjà été démantelé lors de la seconde trêve. Cette perspective créa beaucoup d’amertume parmi les officiers du Palmach qui souhaitaient participer à l’édification de la nouvelle armée israélienne et qui durent choisir entre leurs anciennes loyautés et les nouvelles réalités.

Une vie après le Palmach La plupart des officiers vétérans du Palmach choisirent de quitter l’armée, soit pour protes-


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ter contre la dissolution du Palmach, soit parce qu’ils se sentaient de trop dans la nouvelle armée israélienne. De nombreux jeunes officiers, y compris certains des meilleurs amis de Dado, réintégrèrent leur kibboutz ou abandonnèrent la carrière militaire pour la vie civile. Certains de ces amis se souviennent qu’avant que soit connue la décision de dissoudre le Palmach, Dado passa un certain temps à réfléchir à son avenir et caressa l’idée de rentrer au kibboutz. Mais sa vocation de militaire avait déjà pris le dessus. Lors de discussions animées avec d’autres officiers il commença à pencher franchement en faveur de l’armée : « Nous sommes les fondations. Nous avons fait cette guerre, bâti cette armée et nous n’allons pas tout laisser à d’autres. Nous pouvons encore beaucoup apporter et nous devons rester. » Mais rester combien de temps ? Pensait-il vraiment, comme il le disait à certains de ses amis, qu’il resterait juste un temps dans l’armée ou avait-il déjà embrassé pour de bon la carrière militaire ? Beaucoup de ceux qui l’ont connu ont noté que l’un de ses traits de caractère les plus marqués était sa complète identification au groupe où il se trouvait : l’escouade de l’Hashomer Hatzaïr, son peloton, sa compagnie, son bataillon. L’armée était ainsi devenue la principale composante de sa vie. Cette inclination à l’égard de l’armée est peutêtre due au fait que ce bel officier plein d’assurance, qui adorait chanter et sociabiliser et dont toutes les filles raffolaient, n’avait tout simplement pas d’autre endroit qu’il puisse considérer comme un chez lui. Il y avait bien sûr ses vieux camarades yougoslaves et une relation à peine naissante. Ses amis disaient avec un sourire entendu : « Dado se fait pousser une épouse. » La « femme » en question n’avait que onze ans lorsque son groupe arriva à Ein Shemer quatre ans plus tôt et elle avait eu un coup de foudre pour Dado qui en avait alors vingt. Il ne la remarqua que quatre ans plus tard, alors qu’elle était au lycée et qu’il était devenu commandant de bataillon. Quand Talma eut dix-huit ans, ils se marièrent.

La décision initiale de Dado de rester dans l’armée n’a peut-être été qu’une mesure provisoire en attendant que quelque chose d’autre se présente. Ce n’est que rétrospectivement qu’elle s’avéra décisive pour la suite. Il devait rester dans l’armée active vingt-cinq ans et y réaliser sa carrière, sa mission, sa destinée. Texte traduit et adapté de l’anglais à partir du livre d’Hanoch Bartov Dado 48 years and 20 days. Ma’ariv Book Guild. 1981. Hanoch Bartov (1926-2016), membre de la brigade juive de l'armée britannique durant la Seconde Guerre mondiale, il fut parmi les premiers à soigner et recueillir les témoignages des victimes de la Shoah. En 2010, il a reçu le prix Israël pour son œuvre littéraire. Intertitres de la rédaction. Iconographie : archives du musée du Palmach à Tel Aviv. Remerciements au Dr Eldad Harouvi.

Le major David Elazar à la fin de la guerre d'indépendance. Les officiers du Palmach ne portaient pas de signes distinctifs. Le port des épaulettes constitue une transition vers l'armée régulière. À l'arrière, le futur chef d'état-major Rafaël Eitan. Archives du Palmach.

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Chronique de la famille Arié de Samokov (suite) Nous poursuivons la publication bilingue de la chronique de la famille Arié de Samokov. Ce tapuscrit qui comprend plus de 2 000 pages en judéo-espagnol en caractères latins retrace la vie d’une famille de grands commerçants sépharades de Bulgarie du milieu du XVIIIe siècle jusqu’au début du XXe siècle. Bannie de Vienne par un édit impérial, la famille Arié s’est d’abord établie à Vidin en 1775, sur les bords du Danube. C’est là que le patriarche Moche A. Arié, soutenu par ses trois fils Samuel, Isaac et Abraham développe avec succès un premier négoce. À sa mort en 1789, ses fils héritent du commerce qui est ruiné lors du pillage de la ville de Vidin par des troupes irrégulières. Sans ressources, les trois frères se séparent. Alors qu’Isaac demeure à Vidin, Samuel se rend à Tourno-Severin en Roumanie et Abraham M. Arié I part pour Sofia. Il y fait la connaissance d’un pharmacien juif, M. Farhi, qui l’embauche et ne tarde pas à lui confier la gestion de son commerce où se rendent des notables turcs. Il y rencontre un jour l’Agha Mehmed Emin de Samokov qui lui confère le titre de fournisseur officiel et lui permet ainsi de s’installer et de commercer dans sa ville où il devient vite un notable apprécié des habitants et de ses coreligionnaires.

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5562

5562 [année civile 1801/1802]

n este anyo de 5562, el S-r Abraam, I. sigun ke ya saven ke iva siempre ande el S-r de Mehmed Emin AA, i en una konversasion ke tuvieron, i ke lo topo tambien de buen umeur, le demando porke alesensiara a los Djidios, ke se puedgan merkar mulkes 1 komo kazas butikas i seya en la sivdad komo tambien i en los kazales, porke en akeyos tiempos los Turkos non dechavan a ke se enpatronaran de sus bienes otras umod 2, era solo a los djidios ke los resivian a ke moraran en sus kazas kon kira, i los kristianos era ke tenian sus mahales aparte, i se rekojian muy temprano en sus kazas, ke si kual turko fuesa los enkontrava tadre afuera ke lo harvava i lo soidiyava i si es ke se permitia a defenderse era i ke lo matava tambien, i non era nada kuando un turko matava a un kristiano o a un Djidio, i kuando lo djuzgavan al Turko porke mato persona era ke lo enseravan por 8 - 10 dias i denpues lo akonsejavan ke dichera, ke maltrato la ley de el Muhamed, ke para esto la ley ya es ke merese muerte, i denpues lo detinyan unos dos mezes otros i lo soltavan, solo ke lo mandavan sus parientes en otra sivdad por ke estuviera komo un anyo de tiempo para que non uvieran kechas de los tchorbadjis, esto todo era komo si avia djente ke los vieron i ke van a dar de edud 3 ma si dinguno non lo vido non avia nada, los Turkos tenian por prensip a non dechar seya a kristianos komo tambien i a Djidios pasar suvidos, a kavayo por sus ulisas o por sus kavanes ke estan eyos, i en sus kavanes afura de Turkos non pueden asentarsen ni bever kahves, yo Tchelebi Moche A. Arie I. ya tengo visto kuando un Turko salyo kon furia grande de la kavane de kiutchuk 4 Mehmed ke era en frente de la butika muestra, ke se avlo en la kavane ke un kristiano vinya de ariva suvido a kavayo, ke non se abacho para pasar de delantre sus kavanes, i se demandaron entre eyos ken de mozos va a ser el ke lo va abachar a este yaur 5, ke salga enmedio, i salio un mansevo, de la puerta de la kavana, por esperarlo, i kuando ya se le aserko i ke ya estava suvido sovre el kavayo se le a cito sovre el i kon un chamar ke le dyo, lo izo abachar de el ermozo kavayo, el kual era uno de los

En 5562, M. Abraam I qui avait l’habitude de rendre visite à l’Agha Mehmed Emin, le trouva un jour de bonne humeur et profita de leur conversation pour lui demander d’autoriser les Juifs à acquérir des biens fonciers, des maisons, des boutiques en ville comme dans les campagnes, car en ce temps-là les Turcs ne laissaient pas les autres nations prendre possession de leurs biens. Seuls les Juifs étaient autorisés à vivre chez eux contre paiement d’un loyer. Quant aux chrétiens, ils devaient vivre à part dans leurs quartiers et rentrer chez eux très tôt. Si jamais un Turc en trouvait un qui était dehors à une heure tardive, il le frappait, le rançonnait et s’il lui prenait l’idée de se défendre, il le tuait par-dessus le marché. Lorsqu’un Turc tuait un chrétien ou un Juif ce n’était pas sans conséquence. Celui qui avait tué quelqu’un, lorsqu’il était jugé par les Turcs, était emprisonné 8 à 10 jours et ensuite on lui conseillait de dire que [celui qu’il avait tué] avait enfreint la loi de Mohamed et que pour cela la loi disait qu’il méritait la mort. On le gardait environ deux mois encore, puis on le libérait. Ses parents l’envoyaient seulement passer environ une année dans une autre ville afin qu’il n’y ait pas de plaintes des notables [chrétiens]. Tout cela ne se produisait que lorsqu’il y avait des gens qui l’avaient vu et qui témoignaient, mais si personne n’avait rien vu, rien ne se passait. Les Turcs avaient pour principe de ne laisser passer à cheval ni les chrétiens ni les Juifs par leurs rues ou devant leurs tavernes. Dans celles-ci, en dehors des Turcs personne ne pouvait s’asseoir ou boire de café. Moi-même, M. Tchelebi Moche A. Arié I. j’ai vu un Turc sortir furieux de la taverne de Mehmed le petit qui était en face de notre boutique. Il se disait dans la taverne qu’un chrétien venait d’en haut monté à cheval et qu’il ne se donnait pas la peine de descendre en passant devant leurs tavernes. Entre eux, ils se demandaient : « Lequel d’entre nous va faire descendre ce mécréant ? Qu’il se montre ! » Un jeune est sorti à la porte de la taverne pour l’attendre. Quand il s’approcha à cheval, il se jeta sur lui et du coup qu’il lui donna, il le fit descendre de son beau coursier. C’était un bourgeois du nom de maître Toneoglu qui était un négociant en

E

1. Du turc ottoman milk ou mulk propriété, domaine ou bien-fonds aliénable. 2. Du turc ummèt, nation, peuple, communauté. 3. De l’hébreu edut, témoignage, attestation. 4. Du turc küçük, petit. 5. En turc non-musulman, infidèle, terme méprisant équivalent du terme çıfut pour les Juifs.

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6. La transcription est incertaine. En bulgare, буклија a le sens d’une gourde ou flasque traditionnelle. 7. Conducteur de troupeaux de moutons. 8. Certificat de fin d’études rabbiniques.

tchorbadjis ke [se] yamava Hadji Toneoglu, i el Turko le dicho denpues ke pasara el kiupri de la buklija 6 es ke si se puede asuvir i si enkontra a algun Turko por el kamino ke se deve de abachar de el kavayo, i esperar, ke pasa el Turko i denpues suvirse de muevo, el kual era merkader grande de karneros ke ivava a Kostan (djelep 7). En este anyo el S-r Abraam I. mando a Dubnisa a uno de sus amigos de los mas onorados de Samokov komo kazamentero para ke le demandara al afamado el Rav Zehor Le Abraam, su ija Lea, por novia para su ijo el grande Hr. Tchelebi I el kazamentero kuando arivo a Dubnisa, se abacho en la kaza de el Rav, i en akeya mizma tadre ke abacho se lo izo saver a el S-r Rav por la mision ke vino, i le konto todas las kualidades seya de el novio komo tambien i estas de el S-r Abraam I. en adjuntandole ke el novyo ya es meresiente para ke le seyga su yerno, entonces le dicho el S-r Rav, porke repozara akeya notche en su kaza i a la maniana ke ya tenyan de avlar sovre esto, i en akeya notche konbido el S-r. Rav, a muntchos de los Hahamin de Dubnisa ke ya aviyan muntchos i komieron i bivieron i se alegraron todos djuntos, ke esto fue en onor de el kazamentero i esta de el S-r. Abraam I. a la maniana el kazamentero kon despasensia esperando la repuesta, fue ke le dicho ke restara i a la maniana en Dubnisa, ke ivan a partir djuntos por Samokov, de esto se gusto muy muntcho el kazamentero ke ya es sinyal de buen atchetamiento, ke lo izo ansi i durmio tambien akeya notche i a la maniana partieron por Samokov, i al S-r Abraam I. los resivio en su kaza kon grande onor, i denpues ke ya platikaron los dos, sovre la kistion de el espozorio kijo el Rav, saver si el novio save meldar, ke sovre esto el novio ke ya era savido mas de esto ke se puede pensar, fue ke le dicho el S-r Abraam I porke lo egzamenara ke lo izo esto i lo topo ke era muy kumplido mas de lo ke esperava, i le dio la Semaha 8, (de pluma) menesteroza porke en akel tiempo los grandes Hahamin, non davan a sus ijas a personas ke non savyan meldar, el ditcho Rav Zehor Le Abraam, tuvo 10 ijas i todas las 10 las kazo kon Hahamin, ke todos fueron muy afamados de mizmo lo azyan tambien

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viande et se rendait à Constantinople (en convoyant un troupeau de moutons). Le Turc lui dit : « Après avoir passé le pont, tu peux monter en selle, mais si tu rencontres un Turc en chemin, tu dois descendre de cheval et attendre qu’il soit passé pour monter à nouveau. » Cette même année, M. Abraam I envoya comme marieur à Dupnitsa l’un de ses amis, l’une des personnes les plus honorées de Samokov pour qu’il demande au célèbre rabbin Zehor Le Abraam la main de sa fille Léa pour son fils aîné maître Tchelebi I. Quand le marieur arriva à Dupnitsa, il descendit à la maison du rabbin, et dès l’après-midi de son arrivée, il lui fit savoir la raison de sa visite. Il décrit toutes les qualités du fiancé ainsi que celles de [son père] M. Abraam I en ajoutant que le fiancé est suffisamment méritant pour être son gendre. Le rabbin lui proposa alors de se reposer cette nuit dans sa maison et qu’ils en parleraient le lendemain matin. Le rabbin invita cette nuit-là ses nombreux confrères de la ville de Dupnitsa ; ils mangèrent, burent et se réjouirent tous ensemble en l’honneur du marieur et de M. Abraam I. Le matin, le marieur attendit avec impatience la réponse. On lui dit de rester à Dupnitsa un jour de plus et que le lendemain ils partiraient ensemble à Samokov. Le marieur en éprouva beaucoup de joie, car c’était le signe d’un bon accord. Il en fit ainsi ; dormit aussi cette nuit et, le matin, ils partirent pour Samokov. M. Abraam I les reçut chez lui avec tous les honneurs et après avoir échangé tous les deux à propos des fiançailles, le rabbin voulut savoir si le fiancé savait lire. Justement comme le fiancé était plus savant que ce que l’on peut s’imaginer, M. Abraam I lui proposa d’en juger par lui-même ce qu’il fit ; il le trouva très instruit, plus que ce qu’il en avait espéré. Il lui conféra la Semaha, le certificat d’études rabbiniques approprié, car en ce temps-là les rabbins renommés ne donnaient pas leurs filles à des illettrés. Ce rabbin Zehor Le Abraam avait eu dix filles et il les avait toutes mariées à des rabbins de renom. De même, les jeunes rabbins ne se fiançaient qu’avec des jeunes filles de familles rabbiniques. En ce temps-là, on ne regardait pas à l’argent, mais seulement à la réputation de la famille, et chacun cherchait à se marier selon


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i los novios, ke eran Hahamin, non se tomavan novias, ke non eran de las familias, ke non eran de Hahamin, en akeyos tiempos non miravan a paras, otro ke era solo a las familias i kada uno era ke se buchkava sigun de su kategoria, i denpues ke ya lo vido al novio ke iva a poder ser su yerno, vinieron en un kavo el S-r Rav, kon el S-r Abraam, I. i se konvinieron las kondisiones de el espozorio, ke fueron, 300 groches de kontado i achugar a la onor de el padre de la novia, i el gaste de la traidura de la novia ke iva a ser tambien de parte la novia, i kon la boda si era posivle ke fuera en este mizmo anyo, fue eyos mizmos ke se lo konvinieron, i denpues se adulsaron i tanieron las mujeres kon panderos, i el novio le bezo la mano de su esfuegro, ma a la novia, non la konosyan seya el novio komo tambien ni sus parientes, ni ke mizmo era el uzo de demandarse por la novia, ke era una mankura muy grande, i a la tadre kombido el S-r. Abraam,I. a la sivdad entera de Samokov, seya a los ombres komo tambien i a las mujeres ke vinieran a tomar el kinyan 9, i todos los Djidios vinieron, i tomaron el kinian kon todos los Hazanim, kantando los Pizmonim, ke se uzan a kantar en los espozorios, i aparte tchalgis, i de la otra parte las mujeres ke eran dekontino kantando kon sus panderos, los kantikas ke se uzan a kantar spesialmente para los espozorios i ke para esto tambien ya avian kantaderas aparte ke estas ultimas eran nominadas de parte la S-ra Bulisa, de la sivdad ke era la Bulisa Buhuru, i las yamavan las tanieras, i tomaron el kinyan al novio, i le dieron todos los parientes i el esfuegro prezentes por beza mano kada uno de su manera i a la notche de muevo konbido de mizmo a la sivdad entera seya a los ombres komo tambien i a las mujeres, i todos kumieron i bivieron i se alegraron, el novio, estuvo vistido, kon un anteri largo de ropa de seda i un benich de panio, i en la kavesa una boneta, ke kalia, ke yevara sarik 10, ma esto fue kon la lisensia, de el Rav, ke era solo los Hahamim, ke podian yevar bonetas, i este novio, komo ya tiene la Semaha, ya es alisensiado de yevar la boneta, i denpues ke ya se eskapo i esto, el Rav Zehor Le Abraam, se estuvo otros 8 dias en Samokov, i estuvo djuzgando al

Rabbin d'Istanbul portant la boneta. Photographe : Pascal Sebah. Fin du XIXe s. Collection Pierre de Gigord. Getty Research Institute

son rang. S'étant assuré que le jeune homme avait les qualités pour être son gendre, le rabbin et M. Abraam I en vinrent à s’accorder sur les conditions des fiançailles soit 300 groches de dot et le trousseau à l’honneur du père de la mariée tout comme les dépenses de voyage de la fiancée à la charge de sa famille. Ils convinrent ensemble que le mariage aurait lieu si possible la même année. Ensuite, ils prirent des douceurs, les femmes jouèrent sur des tambourins et le fiancé baisa la main de son beau-père. Mais ni le fiancé ni ses parents ne connaissaient la fiancée et cela aurait été même une grave entorse aux usages que de demander à son propos. L’après-midi M. Abraam I invita toute la ville de Samokov, hommes et femmes, à être témoin de l’engagement solennel et tous les Juifs vinrent et ils s’engagèrent alors que tous les chantres entonnaient les cantiques traditionnels pour les fiançailles. D’un côté, [se tenaient] les musiciens et de l’autre côté, les femmes qui chantaient sans cesse les airs appropriés, en s’accompagnant de leurs tambourins. Dans ces occasions, il y avait également des chanteuses particulières qui étaient choisies par madame Bulisa Buhuru et qui venaient de sa ville natale. On appela les musiciennes, on reçut le serment du fiancé et tous les parents et le beau-père

9. De l’hébreu ‫ִקנְָין‬, engagement solennel. 10. Du turc, turban comportant un ruban de soie porté par les religieux musulmans ou des dignitaires du rabbinat.

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11. Du bulgare глава, tête. Soit la traduction littérale du haham bachi turc.

puevlo algunas diferensias las mas enportantes, lo todo entre los Djidios, sigun ditcho mas antes ke non era en akel tiempo komo agora ke los djuzgos se eskapan en las polisias de el paiz, el Rav Zehor Le Abraam, era empiegado en la komunita de Dubnisa, por Rabino, de la sivdad, para ke les darchara i ke los djuzgara, i la paga ke resivia era de 120 aspros a la semana ke son 3 groches, en el tiempo de agora, un tatara inieto de el ditcho S-r. Rav, devino a ser el Glaven 11, Rabino, de la Sirbia, entera, i resive una paga de 600 fr. al mez, aparte de muntchos otros prezentes, i denpues partio por Dubnisa i le mandaron a la novia muntchas dulsuras i otros prezentes, i de todas las 2 partes fueron muntcho bien kontentes i gustozos.

5563 En este anyo de 5563, el S-r Abraam, I. se pronto por azer de muevo un viaje a Kostan, el sigun su uzo de siempre se lo izo saver al S-r. de Mehmed Emin AA i en mizmo tiempo, le rogo porke le enprestara, 2000 groches, ke sin dingun refuzo se los konto i le dicho ke si mizmo kuando verna si presto non se los podra pagar ke non, se aprestara por esto, i el S-r. Abraam, I. kuando ya estuvo pronto partio por Kostan, i izo sus empleos se entende muntcho mas grandes de las otras vezes, porke tuvo agora mas muntcha moneda, i denpues, merko algo de mobilia para kaza i aparte merko muntchas vestimientas para todos la djente de su kaza, i para la novia le merko muntchos prezentes, i aparte un anteri de pisent, ke es el lavoro todo a la mano komo el chal laur, i lavrado todo kon bril i klabudan i sedas i tertil lo todo de oro i etcho en pedasos de modos de rozas, pintuarias de mano muy fino i limpio lavorado, ke estas ropas agora non se lavoran mas, i ya devinieron antikas, ke un anteri de estos agora se venden de 6-8000 fr. i aparte le merko tambien para la novia i para el novio muntchas modas de vestimientas, i aparte merko i prezentes para los konsfuegros i las konsfuegras, i para el Rav Ie merko una ermoza boneta, al uso de Kostan, i denpues ke ya eskapo i esto se abacho

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accompagnèrent le baise-main de cadeaux, chacun à sa façon. De nouveau le soir, il invita toute la ville, hommes et femmes, et tous mangèrent, burent et se réjouirent. Le fiancé était habillé d’une ample toge en soie (antari) et d’une robe rabbinique de coton (benich) et il portait sur la tête la boneta – il aurait dû porter un turban (sarik) – mais ce fut fait avec la permission du rabbin, car seuls les rabbins pouvaient porter la boneta et comme ce jeune homme avait reçu le certificat d’études rabbiniques, il était autorisé à la porter. Et quand tout ceci fut achevé, le rabbin Zehor Le Abraam resta encore huit jours à Samokov et il jugea des désaccords les plus importants entre les Juifs, car comme je l’ai dit auparavant ce n’était pas à l’époque comme maintenant où les jugements sont rendus par la police du pays. Le rabbin Zehor Le Abraam était employé par la communauté de Dupnitsa comme rabbin de la ville pour exercer les fonctions de prêcheur et de juge. Il recevait un traitement de 120 aspres par semaine, soit 3 groches d’aujourd’hui. Un descendant de ce même rabbin est devenu grand rabbin de Serbie et reçoit un traitement de 600 francs par mois sans compter de nombreux autres cadeaux. Ils rentrèrent ensuite à Dupnitsa et [la famille du jeune homme] envoya à la fiancée beaucoup de douceurs et de cadeaux ; des deux parties ils furent bien contents et satisfaits.

5563 [année civile 1802/1803] En cette année 5563, M. Abraam I se prépara à faire un nouveau voyage à Constantinople. Comme il le faisait toujours, il prit soin d’en avertir l’Agha Mehmed Emin et en même temps le pria de bien vouloir lui prêter 2 000 groches. Sans aucune réticence, il les lui remit et lui dit que s’il ne pouvait pas les repayer tout de suite, il n’y avait aucune urgence à le faire. Quand M. Abraam I fut prêt, il partit pour Constantinople et procéda à ses achats qui furent bien entendu plus considérable que les autres fois, car il avait maintenant beaucoup plus d’argent. Ensuite il acheta du mobilier pour la maison et acheta en plus beaucoup de vêtements pour tous ceux de sa maisonnée. Il acheta beaucoup de cadeaux pour la fiancée et un antari (une toge) entièrement fait à la main, tout brodé de fils, de clinquants d’or, de


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en Edirne, ande el esfuegro, por konbidarlo para la boda, i se gustaron muy muntcho, i le prometieron ke ya tenian de vinir i kuando ya vino a Samokov, al presipio izo ke le eskrivio a el S-r. Rav, demandandole boda, i de la parte de el konsfuegro sin dingun refuzo se asento el mizmo i le respondio a su karta enfiksandole la data ke podian azer la boda, solo le izo saver ke kon el kontado non estava pronto i se podia ser pagarselo mas tadre ke altramente non puede azerlo el Rav Zehor Le Abraam, ke era de alkunia de Alkalai, era povre, (fin a oy ainda non se los pagaron) i el S-r. de Abraam, I. al punto le respondio, ke ya va de akordo, i ke estan muy gustozos, ke el i el novio ya estan kontentos, i non tienen el menester agora de las paras, i kon una semana antes de la data fiksada el S-r. Abraam, le mando konsfuegros para ke traigan a la novia kon ke mando tambien i el morche 12, menesteroso, sigun el uzo para ke viaja la novia, al riziko de el novio, ke sovre esto ya tengo eskrito i los konsfuegros ke arivaron a Dubnisa, les salieron a sus enkontros kaji Dubnisa entero, i estuvieron los konsfuegros fin dia de lunes i partieron martes demaniana i arivaron en Samokov, temprano i salieron tambien a karche 13 Samokov, entero. I les yevaron muntchos modos de dulzuras i dezayunos, i kon los tchalguis kantando entraron a la sivdad i se abacharon en la kaza de el novio, i en akeya notche solo la novia, estuvo en otra kaza porke en akel tiempo non podian durmir el novio con la novia debacho de un tetcho, antes de kazar, i en akeya notche uvieron muntchos konbedados lo todo de Hahamin para ke akompaniaran al Rav, i a la maniana se prontaron por los kiduchim ke izieron el talamo 14 en kaza kon muntchos brozlados, i kombedaron al kolel entero, seya a los ombres komo tambien i a las mujeres, i todos vinieron, i les ivan dando a todos los ke ivan viniendo tchibukes i kahves fin ke se rekojian todos los kombedados, i en este tiempo ivan kantando seya los hazanim komo tambien i los tchalguidjis, ke arivando la ora fiksada, trucheron a la novia, kon sus mutchatchas ke la akompaniaron la notche i kon muntchas kantaderas i los tchalguidjis, i deretcho la mitieron en el talamo, sigun ditcho ke non

soieries, de fils d’or et orné de rosaces minutieusement décorées et très finement travaillées à la main. On ne confectionne plus ce genre de vêtements aujourd’hui et ils sont considérés comme des pièces de collection. Un antari de ce type se vend de 6 000 à 8 000 francs. Il acheta aussi pour le fiancé et la fiancée toutes sortes de vêtements, des cadeaux pour les beaux-parents et pour le rabbin un beau couvre-chef de rabbin selon la tradition de Constantinople. Une fois tout cela achevé, il se rendit à Edirne chez son beau-frère pour l’inviter à la noce. Ils se réjouirent beaucoup et lui promirent qu’ils viendraient. À son retour à Samokov, il écrivit aussitôt au rabbin pour le prier de fixer la date du mariage. Le beau-père répondit à sa lettre en acceptant sans aucune réticence et en fixant une date où ils pourraient célébrer le mariage ; simplement il l’informa que la dot n’était pas réunie et qu’il sollicitait de pouvoir la payer plus tard. Le rabbin Zehor Le Abraam, de son nom de famille Alkalai ne voyait pas comment faire autrement, car il était pauvre ( jusqu’à aujourd’hui ils ne s’en sont pas acquittés). M. Abraam I lui répondit aussitôt qu’il était d’accord. Qu’ils étaient très satisfaits, que lui-même et le fiancé étaient très contents et qu’ils n’avaient pas besoin maintenant de l’argent. Une semaine avant la date prévue, M. Abraam envoya des parents pour qu’ils accompagnent la fiancée et il envoya aussi le legs nécessaire selon la tradition pour le voyage de la fiancée afin qu’elle rejoigne son riche petit fiancé comme je l’ai déjà écrit. Quand les parents arrivèrent à Dupnitsa, presque toute la ville sortit à leur rencontre. Ils restèrent jusqu’au lundi suivant, partirent mardi matin et arrivèrent tôt à Samokov. Tout Samokov sortit aussi les accueillir et on leur apporta toutes sortes de douceurs et d’amuse-bouches. Ils entrèrent dans la ville au chant des musiciens et se rendirent à la maison du fiancé. La fiancée demeura seule dans une autre maison cette nuit-là, car à cette époque le fiancé ne pouvait dormir avec elle sous un même toit avant le mariage. Cette nuit, il y eut de nombreux invités, tous des religieux pour accompagner le rabbin. Le matin, ils se préparèrent pour les bénédictions du mariage. Ils dressèrent à la maison le dais nuptial avec des tissus brodés. Ils invitèrent l’ensemble de la communauté, hommes et femmes, et

12. De l’hébreu ‫מורשת‬, legs, patrimoine. 13. Du turc karche, en face, vis-à-vis, du côté opposé. 14. Le dais nuptial.

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15. De l’hébreu ‫מנהג‬, : la coutume d’un communauté, les règles de conduite. 16. De l’hébreu ‫ צער‬: détresse, angoisse, frayeur. 17. Plats en porcelaine (qui viennent souvent de Chine).

se podieran estar el novio kon la novia debacho de un tetcho, antes ke se dieran los kiduchim, sovre todo ke era tambien la novia i ija de ansi un grande Rav, (este uzo ya turo fin al tiempo ke i yo tchelebi Moche A. Arie II ke kazi en el anyo de 5624 ke non mos dechavan vermos kon la novia, en el tiempo ke estavamos espozados, i ansi de mizmo non mos dechavan estar debacho de un tetcho, i si en kavzo mos enkontravamos en alguna okazion ande fuesa kalia ke se fuyera la novia) i kuando ya estuvo todo pronto empesaron los hazanim a kantar i dieron los kiduchim, sigun el minag 15 de Samokov, i denpues de muevo adulsaron a todos los kombidados, i se fueron, ansi de mizmo kon las mujeres, i a todos fueron akompaniados kon tchalguis i las tanyideras kon los panderos siempre kantando las kantikas ke son apropiadas solo para las bodas i todas en la lingua ichpaniola i kon su ton especial, i en estando los muevos kazados ainda en el talamo todos sus parientes ke son los de la parte de el novio les dan prezentes a la novia, i los de la parte de la novia, les dan prezentes a el novio, i kuando los amigos van a kerer dar prezentes es el uzo ke se da solamente a la novia, i denpues de muevo estuvieron de muevo todos los ombres i mujeres de la sivdad entera para la primera notche de la boda, a komer, i era ke los ombres komian aparte i las mujeres aparte, ke el novio se asentava en la meza de los ombres, i era ke el novio va azer el amosi, (ke i esto tambien kuando kazi yo Tchelebi Moche A. Arie II ya lo ize yo) i la novia komia sola i antes ke eskaparan de komer los ombres ya la yevavan a la novia a su kamareta akompaniada de sus amigas, i denpues komian las mujeres ke esto todo lo azian kon prisura para ke non tenga saar 16 el novio i denpues seya en los diyas komo tambien i las notches teniya a unos kombidados todos los 8 dias de la boda i butika non avya avrir i al dia otchavo se azia el pichkado, ke este diya era tambien ke se kombedava a todos los parientes i se metiya de parte los sirvidores tchinis 17 de frutas i otras kozas i todos ivan etchando prezentes en paras i al novio kon la novia los pasavan tres vezes por ensima de el plato ande estavan nadando los pechkados bivos, ke esto dizen ke lo azian por sinial

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tous vinrent. Ils offrirent à tous ceux qui étaient déjà venus des cigarettes et des cafés en attendant que tous les invités soient réunis et pendant ce temps les chantres et les musiciens chantaient. Quand l’heure fixée arriva, ils firent venir la fiancée accompagnée des demoiselles qui avaient passé la nuit avec elle et de beaucoup de chanteuses et de musiciens. Ils la placèrent aussitôt sous le dais, car comme je l’ai dit le fiancé et la fiancée ne pouvaient se trouver sous un même toit avant qu’aient été prononcées les bénédictions nuptiales et surtout si la fiancée était la fille d’un grand rabbin – cet usage perdura jusqu’au moment où moi, M. Moche A. Arié II, je me suis marié en 5624 [1863/1864] et où il ne nous était pas permis de nous voir avec la fiancée durant le temps de nos fiançailles, ni de résider sous un même toit et si jamais il arrivait que nous nous rencontrions fortuitement, la fiancée devait s’enfuir. Quand tout fut prêt, les chantres commencèrent à chanter et à prononcer les bénédictions nuptiales selon la tradition de Samokov et ensuite on régala de douceurs de nouveau tous les invités. Ils s’en furent ensuite avec les femmes au son des musiciens et des musiciennes avec les tambourins, en chantant toujours les chants de noces en langue espagnole et sur un mode particulier. Les nouveaux mariés étaient encore sous le dais et tous les parents du fiancé offrirent des cadeaux à la fiancée et tous les parents de la fiancée firent des présents au fiancé. Quand les amis souhaitent donner des cadeaux, l’usage veut qu’ils ne les donnent qu’à la mariée. Puis tous les gens de la ville, hommes et femmes, à l’occasion de la première nuit de noces se mirent à manger, les femmes et les hommes séparés. Le fiancé s’assit à la table des hommes et c’est lui qui dit la bénédiction sur le pain – moi aussi, M. Moche A. Arié II, j’en ai fait ainsi quand je me suis marié – et la fiancée mangea seule et avant que les hommes aient terminé de manger, on la porta à sa chambre accompagnée de ses amies. Ensuite les femmes mangèrent à la hâte pour que le fiancé ne s’angoisse pas. Durant les huit jours que dura la noce, ils eurent des invités jour et nuit et la boutique resta fermée. Le huitième jour on prépara le poisson. Ce jour-là, on invitait tous les parents, les serviteurs disposaient des plateaux de fruits et d’autres choses et tous y jetaient des cadeaux en argent. On passait trois fois au-dessus des


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a ke frutchiguen komo el pechkado, sovre este de los uzos en alguna otra boda ya lo tengo de escrivir i maniana de mierkoles era el uzo ke fuera el novio a el kaal, a dizir tefila porke en este dia komo estava el novio non se dizia vidui 18, ke i esto tambien un ir a el kaal ya fue i yo, i kuando bolti de el kaal me trucho la novia kahve i denpues a dezayunar i denpues me fue al Midrach, porke yo ainda estava estudiando en la Guemara, kon Hr. Abraam Koen, denpues de la boda estuvieron los konsfuegros otros 15 dias por akompaniar a la novia fin ke se embezara la novia fin a un grado los karakteres de la kaza, i denpues, kuando se fueron al prisipio akonsejaron a la novia porke seyga sotomizada a todos los komandos de su marido, komo tambien i a estos de su esfuegro i esfuegra, i ke los mirrara, tambien kon ojos buenos a toda la djente de su kaza, eyos todos se abrasaron i si bezaron, i partieron muy kontentes i gustozos ke sus ija ya iva a pasar buena i los akompaniaron todos en asigurandolos ke non tengan por nada a pensar ke ya iva a ser kudiada mas muntcho de sus propios ijos, en akel dia la novia yoro unas kuantas lagrimas, i denpues ya la afalgaron tambien i a eya, i de todas las 2 partes fueron siempre muy bien kontentas. El novio, agora ke ya se fueron tambien i sus musafires se fue i el tambien a el Midrach, por kontinuar en sus estudios i el S-r Abraam, a su butika i kontinuava en su negocio, i las tadres ke viniya a kaza, djunto kon sus ijos dizian la Minha i el Arvid, i denpues repetavan en la Gemara esto ke sus ijos estudiaron mientras el dia i denpues komiyan gustozos i alegres i non teniyan dingun punto por la komida ke esto ke la Bulisa Buhuru, les metia a la meza akeyo komian, i era eya ke lo guizava i el S-r Abraam, I. tambien solo el lo merkava, eyos kada notche kantavan estando en la meza, i todos eran kantadores, dinguno de eyos non refuzavan en los dezeyos de sus padre, i todos lo respektavan i lo katavan muy muntcho, ke se entiende ke i el tambien se savia bueno komportar fin al mas tchiko i los amava muy muntcho a todos, ansi de mizmo i a su mujer.

mariés un bassin où nageaient des poissons vivants. On disait que cela se faisait pour qu’ils soient aussi fertiles que les poissons. J’écrirai sur ces usages à propos d’un autre mariage. Le mercredi matin, il était d’usage que le fiancé se rende à la synagogue dire la prière, car en ce jour comme le fiancé était présent on ne disait pas la confession, ce que j’ai aussi fait et quand je suis revenu de la synagogue, la fiancée m’a apporté le café, puis je suis allé déjeuner et ensuite je me suis rendu à la salle d’études (midrach), car j’étudias encore la Guemara avec maître Abraam Koen. Après le mariage, les beauxparents restèrent encore quinze jours à accompagner la mariée jusqu’à ce qu’elle ait suffisamment assimilé les usages domestiques. Ensuite, au moment de partir, ils lui recommandèrent en premier lieu d’obéir à tous les ordres de son mari, comme à ceux de son beau-père et de sa belle-mère, et qu’elle prenne soin d’eux et considère toujours bien les gens de sa maison. Ils s’embrassèrent tous et partirent très contents et satisfaits de voir que tout irait bien pour leur fille. Tous les accompagnèrent en leur assurant qu’ils n’avaient aucune raison de s’en faire, qu’ils prendraient encore plus soin d’elle que de leurs propres fils. Ce jour-là, la mariée versa quelques larmes et ensuite ils la consolèrent elle aussi. Des deux côtés ils se trouvèrent toujours très satisfaits. Le fiancé, une fois que les invités furent partis, se rendit lui aussi au midrach poursuivre ses études et M. Abraam se rendit à sa boutique continuer son commerce. En fin d’après-midi, quand il rentrait à la maison avec ses fils, ils se rendaient aux offices de Minha et Arvid. Puis, ils récitaient les passages de la Guemara que ses fils avaient étudiés durant le jour et ensuite ils mangeaient contents et satisfaits. Ils n’avaient aucun reproche à faire à la cuisine que leur servait la maîtresse de maison, la Bulisa Buhuru et tout ce qu’elle mettait à table, ils le mangeaient. C’était elle qui cuisinait et M. Abraam faisait seulement les achats. Chaque nuit, ils chantaient à table ; ils étaient tous de bons chanteurs. Aucun d’entre eux n’aurait refusé de satisfaire aux désirs de son père, tous le respectait et l’honorait beaucoup. On comprend que lui aussi savait bien traiter jusqu’au plus petit et qu’il les aimaient tous beaucoup ainsi que sa femme.

18. De l’hébreu, ‫וידוי‬, vidduy : confession. Aussi nommée ashamnu, elle suit la récitation de l’amida et est dite debout, silencieusement, sauf à Yom Kippour.

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| PARA MELDAR

Para Meldar Novia que te vea Rosa Nissán

Première publication en 1992 La présente édition : Debolsillo (Groupe Penguin Book) México, 2019 ISBN : 978-607-318-409-0

Rosa Nissán est une romancière mexicaine d’origine juive sépharade née à México en 1939. Elle a étudié le journalisme à l’Université féminine de sa ville natale et a collaboré pendant une vingtaine d’années avec Élena Poniatowska, romancière mexicaine très renommée et récompensée par de nombreux prix littéraires, dont le prestigieux prix Cervantès. Élena Poniatowska est née en France en 1932 ; issue d’une illustre famille, elle est plutôt marginale, voire en rupture par rapport à celle-ci. Il est probable que cette collaboration a largement contribué à forger la personnalité littéraire de Rosa Nissán, la preuve en est que le roman Novia que te vea lui est dédié. Dès 1984, Rosa Nissán a commencé à publier des articles, ainsi que des contes dans différentes publications mexicaines. Novia que te vea a été publié pour la première fois en 1992, remportant un succès tel que l’œuvre est portée à l’écran dès 1994, film mis en scène par la réalisatrice Guita Schyfter sur un scénario d’Hugo Hiriart. Roman ? Autobiographie ? Un peu des deux très certainement, l’utilisation de la première personne tout au long de l’ouvrage entretient parfaitement l’ambigüité. Le lecteur va suivre une narration qui tient en un seul et unique chapitre depuis l’enfance de l’héroïnenarratrice jusqu’à son mariage. Le récit prend la forme d’une pelote de laine que l’on déroule, à partir des premières expériences scolaires de la narratrice Oshinica, dont le prénom devient Eugenia pour les Mexicains. | 62 | KAMINANDO I AVLANDO.36

Oshinica vit entre deux mondes : celui du Mexique, où sa famille s’est fixée, visiblement dans les années 1930, venant d’Istanbul. Mais le passé stambouliote est évoqué de façon assez lointaine, par de petites touches, quelques souvenirs ou réflexions venant des membres de la famille d’Oshinica. Rosa Nissán étant née en 1939, cela renforce le parallélisme entre elle-même et son héroïne-narratrice. Le récit s’ouvre sur l’unique chapitre intitulé 2° año (2e année), souvenirs essentiellement scolaires au début. Oshinica oscille entre deux mondes, deux cultures. Au fil des pages, aux souvenirs scolaires se greffent les liens amicaux, familiaux. L’appartenance au judaïsme s’affirme peu à peu. Après un passage dans une école chrétienne, elle intègre un collège juif où elle commence à apprendre l’hébreu. Dans les toutes premières pages, l’empreinte mexicaine est très présente, par la mention de lieux géographiques très connus au Mexique – Cholula, Popocatepetl, Acapulco… – et puis, pendant l’enfance, la remise des cadeaux par les Rois mages le 6 janvier, selon la coutume observée dans le monde hispanique. Oshinica mexicaine ? Sans doute d’une certaine manière, mais on perçoit également une certaine difficulté d’intégration, voire un manque de reconnaissance dans la société mexicaine – les communautés juives ne sont pas légion. Ainsi Oshinica oscille-t-elle entre deux mondes. Son intérêt pour le monde juif semble ténu ou porteur d’interrogation au début. Il s’affirme peu à peu au fil du temps. De même l’enthousiasme pour l’État d’Israël, encore naissant au moment de son adolescence ; là encore, la parenté entre Oshinica et Rosa Nissán se fait jour, la romancière ayant été particulièrement marquée par un voyage dans l’État hébreu, qu’elle relate dans une chronique intitulée Las Tierras Prometidas, publié en 1997. Nous suivons le parcours d’Oshinica pendant sa jeunesse : ses études, sa formation, ses fréquentations, pas toujours en adéquation avec sa famille. Le père est commerçant, vendant du prêtà-porter ; il ne comprend pas forcément le désir de sa fille de faire des études et de travailler. Le souci


PARA SINTIR |

de la famille est essentiellement le mariage, d’où le titre du roman. Le récit s’achève sur le mariage d’Oshinica, avec un prétendant importun pour ses parents et après une rupture avec celui qui aurait dû être le gendre idéal. Ces quelques traits brossés rapidement nous laissent entrevoir la ferme volonté et la forte personnalité de l’héroïne. Probablement un point commun encore avec

Rosa Nissán, dont la biographie laisse entendre cette force de caractère. Un dicton posé en conclusion, le jour du mariage d’Oshinica, ¡ Hisho que te nazca ! sert de titre à un autre récit publié quelques années plus tard, en 1999, une invitation pour le lecteur à poursuivre l’aventure.

Monique Héritier

Para Sintir Notre Seigneur Élohénou (Les Tables de la Loi)

Nuestro Señor Elohenu Nuestro Señor Elohenu mandó por Moshe rabenu para darnos Toratenu ke empieza kon Anojí.

Mos dio aseret diberot kon sus šhirim y sus sodot, allí estaban las nešamot kuando Dios dijo : Anojí.

Moshe subió a los šhamayim sin ajilá y sin mayim ; nos trusho lujot šhenayim ke se empieza kon Anojí.

Ana Adosem, hoši’a na, muestros pekados selah na, Eliyahu mevaser na kon el que dijo : Anojí.

En har Sinai hizo alumbrar kon fuegos y voz de šhofar, a todo Israel hizo temblar kuando Dios dijo : Anojí.

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| PARA SINTIR

Notre Seigneur Elohenou Notre Seigneur Elohenou Fit venir Moïse Rabenou Pour nous donner Toratenou Qui commence, par Moi. Moïse monta aux cieux Sans manger, sans boire ; Il nous rapporta les deux tables, Qui commencent par Moi. En haut du Sinaï il fit éclater Des feux brillants et du son du chofar Israël entier fit trembler, Lorsque Dieu dit : Moi. Dieu nous donna les Dix Commandements, Avec ses secrets et ses chants, Les âmes étaient là, présentes, Lorsque Dieu dit : Moi. Moi Adoshem, je vous aide, Nos péchés tu pardonnes Eliyahou s’annonce à nous Avec celui qui dit : Moi.

1. Chant para-liturgique.

Cette copla 1 « Les Tables de la Loi » fait partie du répertoire sépharade du Maroc. Elle est chantée lors des fêtes de Simhat Torah et de Chavouot. Comme d’autres coplas, le texte est tiré non seulement de la Bible (Exode, chapitre 19), mais aussi du Talmud comme la quatrième strophe qui mentionne toutes les âmes (las neshamot) de toutes les générations à naître et qui, d’après les croyances, accompagnaient les Juifs après la sortie d’Égypte, lorsque Dieu donna les Tables de la Loi à Moïse sur le mont Sinaï. Le texte est structuré en strophes de quatre vers, dont trois ont la même rime, le quatrième vers portant une rime différente, mais répétée à chaque strophe terminée par Anohi (Moi), premier mot du premier commandement en hébreu.

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Cette structure correspond à celle du zéhel dans la poésie arabe, c’est pourquoi on les désigne comme « quatrains à rime zéhelesque ». Une strophe musicale correspond à une strophe du texte, structurée en quatre phrases musicales (une par vers) dont la note finale s’abaisse progressivement dans les trois premières phrases. Le texte de cette chanson n’apparaît que dans l’appendice manuscrit du livre Zemirot Israël du poète et musicien Israël Najara né en 1579 à Safed et issu d’une famille originaire de la ville de Nájera au nord de l’Espagne. La famille s’était installée à Safed après avoir vécu à Damas et à Salonique. Ils repartirent à Damas après que les Juifs de Safed eurent essuyé une attaque. Là-bas, le poète devint rabbin et scribe. Il fut par la suite rabbin à Gaza où il mourut et fut enterré en 1625. Ses livres et ses poèmes furent très appréciés et font partie de la liturgie de plusieurs communautés. Comme d’autres chansons paraliturgiques, et même plus que d’autres, celle-ci contient beaucoup de mots en hébreu : Élohénou (notre Dieu) ; Moshé Rabenou (Moïse notre maître) ; toratenou (notre Loi) ; shamayim (les cieux) ; ahila (nourriture) ; mayim (les eaux) ; aseret hadiberot (les Dix Commandements) ; shirim (les chants) ; sodot (les secrets) ; neshamot (les âmes) ; hoshia (aide) ; selah (pardonne) ; mesaver (annonce) ; Adoshem (Dieu).

Susana Weich-Shahak

Traduction Bella Cohen Clougher.


Las komidas de las nonas

MOSTO – LETUARIO DE MEMBRILLO LA COMPOTE DE COINGS

Ingrédients – 1 kg de coings – 750 g de sucre – Des bâtons de cannelle – 1 ou 2 clous de girofle

Préparation 1. Laver les coings et les sécher. Les éplucher et les couper en quartiers. 2. Ôter le cœur et les pépins que l’on mettra ainsi qu’une partie de la peau dans une mousseline bien fermée. Recette transmise par Bella Cohen Clougher, native de Tanger.

3. Au fur et à mesure mettre les quartiers de coing dans de l’eau froide pour éviter qu’ils ne s’oxydent. 4. Placer dans une casserole les quartiers et la mousseline, couvrir d’eau au ras des quartiers. 5. Ajouter le sucre, la cannelle et les clous de girofle ; couvrir et faire cuire à feu moyen.

Au Maroc appelée aussi « mosto » à cause de la couleur. En espagnol « mosto » signifie le moût du vin. Cette compote, confiture, letuario en hakétia est traditionnelle de Rosh Hashana et de Yom Kippour.

6. Lorsque les coings sont tendres, découvrir la casserole et laisser cuire à feu doux jusqu’à ce que le tout prenne une couleur de vin rouge et que le jus épaississe. 7. Retirer la mousseline, mettre les coings dans un récipient adapté et couvrir de leur sirop. 8. Servir froid.


Directrice de la publication Jenny Laneurie Fresco Rédacteur en chef François Azar Ont participé à ce numéro Laurence Abensur-Hazan, François Azar, Bella Cohen-Clougher, Corinne Deunailles, Monique Héritier, Jenny Laneurie Fresco, Brigitte Peskine, Martine Swyer, Susana Weich-Shahak. Conception graphique Sophie Blum Image de couverture David « Dado » Elazar (1925-1976), commandant du 4e bataillon du Palmach. Sur son col, l'insigne du Palmach. Vers 1948. Archives du musée du Palmach (Tel-Aviv). Impression Corlet imprimeur Z.I. rue Maximilien-Vox Condé-sur-Noireau 14110 Condé-en-Normandie ISSN 2259-3225 Abonnement (France et étranger) 1 an, 4 numéros : 40 € Siège social et administratif MVAC 5, rue Perrée 75003 Paris akiestamos.aals@yahoo.fr Tel : 06 98 52 15 15 www.sefaradinfo.org www.lalettresepharade.fr Association Loi 1901 sans but lucratif n° CNIL 617630 Siret 48260473300048 Octobre 2020 Tirage : 1 100 exemplaires Numéro CPPAP : 0324G93677

Aki Estamos – Les Amis de la Lettre Sépharade remercie ses donateurs et les institutions suivantes de leur soutien


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