nota
juillet — août 2023 numéro 5
Lectures d’été, au large des clichés
Art Truck, aventure planétaire aux Minoteries
Intelligence artificielle : des milliards de singes, une tour et une tortue de mer
Lectures d'été △△ Une aide sur mesure face aux nuages du numérique
△ 4 — La colère, Dr. Doca, Voix boréales, Doctor K & Al Go-Rhythm… Entre Cité et Bastions, les BM baignent dans le son △ 9 — « Un lieu de passage et de partage » △ 24 — Prix P'tits Mômes : le droit de vote pour les enfants de 2 à 4 ans △ 26 — Le contraire exact de la tour de Babel △ 34 — On se réveille un matin, et l'intelligence artifi cielle est là… △ 40
Genève, ville de culture
www.ville-ge.ch
Au sommaire !
En rayon
Lectures d'été
3 Contes et respiration douce
7 Ces romans qu'on trouve au seuil du train
8 Le maximum de bonheur ou rien
23 La plage, c'est tellement de boulot
33 Retour à la révolution
39 L'apocalypse dans les carnets
45 Le roman feel-good selon ChatGPT
En
En sons
9 Entre Cité et Bastions, les BM baignent dans le son
11 Seule sur une plage, La colère a réinventé l'électronique
14 Doctor K & Al Go-Rhythm, équilibristes du karaoké
16 Voix Boréales, un sortilège nordique sous le ciel genevois
20 Dr. Doca, explorateur des Brésils parallèles
Dehors
24 « Un lieu de passage et de partage »
Connexions
26 Prix P'tits Mômes : le droit de vote pour les enfants de 2 à 4 ans
31 4 mondes dans 4 boîtes : le Prix P'tits Mômes en spectacle
32 Le triomphe de Kiki
sur
Nota est le magazine des Bibliothèques municipales de la Ville de Genève. Il paraît trois fois par an à la mi-janvier, la mi-juin et la mi-août. On le trouve en version papier (gratuitement) dans les bibliothèques, en version numérique à l'adresse ci-dessus et sur PressReader
Directrice de la publication
Véronique Pürro, directrice des Bibliothèques municipales
Connexions
34 Le contraire exact de la tour de Babel
Dossier IA
40 On se réveille un matin, et l'intelligence artificielle est là…
46 Le robot qui valait un milliard de singes
52 ChatGPT réinvente Genève
54 De l'intelligence artificielle aux Bibliothèques municipales ?
55 À la Bibliothèque de Genève, l'IA regardera des affiches en lisant des manuscrits
56 La fable de la gaufre et de la tortue
Et pour finir
59 Agenda
été 2023
62 Trop pratique
Rue de la Tour-de-Boël 10
Case postale 3930
1211 Genève 3
webbmu@ville-ge.ch
N° 5 juillet— août 2023
Comité éditorial : Florent Dufaux (responsable des ressources technologiques et numériques), Laura Györik Costas (responsable de la médiation culturelle), Jean-Pierre Kazemi (chargé de communication, responsable de la publication), Véronique Pürro (directrice des Bibliothèques municipales), Nic Ulmi (rédacteur responsable Nota
ISSN 2813-3668
Gratuit
lien
aux
4 Une aide sur mesure face
nuages du numérique
) Rédaction, iconographie Nic Ulmi Conception graphique Atelier Delcourt Police de caractère Alex Dujet Impression Imprimerie du Moléson Tirage 3'000 exemplaires
Crédits
4-7 :
Ștefan Jurcă / Wikimedia Commons – p. 8 : Mette Schlütter / Flickr – pp. 9-10, 24-25, 27-29, 31-32, 34-35, 37-38 : Lisa
– pp. 11, 13 : Kenza Wadimoff – pp. 16-19 :
Cuti – p. 23 : Toa Heftiba / Unsplash – p. 33 Rebecca Boyd / Flickr – p. 36 : François
Limoges – p. 39 :
Sneddon
Unsplash
40-57 :
– p. 53,
/ pp. 62-63 Frank Mentha – 4e de couverture :
Khoesial / Unsplash
images — Couverture : Skepticalview / Flickr – pp.
2-3,
de haut en bas : Greg Rosenke / Unsplash, Drew Perales / Unsplash et Stephanie Montelongo / Unsplash, Andy Magee / Flickr – pp.
Magali Girardin – p. 7 :
Frisco
Nicolas
de
Ross
/
– pp.
Dimitri Delcourt avec StarryAI
gauche : Wikimedia Commons
Ruby
Et plus,
catalogue-bm.geneve.ch/nota
Édito
Dans un monde de robots, notre réponse reste humaine
Dans le numéro 1 de Nota, en janvier 2022, nous vous présentions Interroge, le service de référence en ligne des bibliothèques de la Ville de Genève dont le slogan est « la réponse est humaine » et qui vous offre une aide dans vos recherches d'information. Depuis cette date, on pourrait considérer que ce slogan se heurte à une nouvelle réalité. Ouverte fin 2023 au grand public, la désormais fameuse intelligence artificielle générative ChatGPT semble pouvoir répondre à toutes nos questions de manière instantanée, alors que la promesse d'Interroge reste de vous répondre en 72 heures.
Nous souhaitions donc dans ce numéro amorcer une réflexion sur l'impact que l'IA peut avoir pour nos bibliothèques. Nous avons ainsi la chance de vous proposer une interview de François Fleuret, professeur en informatique à l'Université de Genève et à l'EPFL qui éclaire le fonctionnement et les enjeux de ces technologies. Dans certaines institutions, comme la Bibliothèque de Genève, l’IA est déjà une perspective depuis un certain temps. Son directeur, Frédéric Sardet, explique bien ce que peut apporter cette technologie dans l’identification et l’accès au très riche patrimoine qu’elle propose. Nos collègues d'Interroge, comme certainement de nombreux-euses bibliothécaires dans le monde, sont allé-e-s tester ChatGPT avec quelques questions qui leur avaient été soumises. Les réponses de l'agent conversationnel sont parfois pour le moins surprenantes et relèvent souvent plus de la fiction que de l'information.
Bien entendu, ChatGPT n'est qu'une application parmi d'autres de l'IA. Vous lirez aussi dans ce numéro un point de vue de notre graphiste sur l'impact que les outils de génération d'images pourraient avoir sur la création. Aujourd'hui parfois imparfaits, ces outils vont progresser très vite. Remplaceront-ils vos bibliothécaires pour vous aider dans vos recherches, vous conseiller dans vos lectures, voire se chargeront-ils de créer les contenus les plus à même de vous plaire ? Peut-être en partie, qui sait, mais mettre en relation des expert-e-s et des œuvres, vous aider dans vos recherches comme avec « Empruntez un-e bibliothécaire », vous proposer des rencontres avec des auteur-trice-s et leurs autres lecteur-trice-s — y compris les plus jeunes, comme on le lira aussi dans ce numéro — ou vous faire vibrer au son de musiques inattendues… Nous prenons le pari que les bibliothèques seront toujours là pour vous le proposer.
Florent Dufaux, responsable des ressources technologiques et numériques des Bibliothèques municipales
1
nota n°5 juillet—août 2023 2 En rayon
Lectures d'été : contes et respiration douce
L'été, lisez-vous autrement, lisez-vous autre chose ? En déambulant entre les rayons de nos bibliothèques, nous l'avons demandé à nos lectrices et à nos lecteurs… Par exemple à cette dame, qui lit dans un fauteuil et qui nous dit s'appeler Hélène :
« Imaginer des lectures légères à l'occasion de l'été, c'est compliqué pour moi, car je suis trop occupée à lire pour un projet sur lequel je travaille avec mon mari autour de la calligraphie, de la gymnastique respiratoire douce et de la culture chinoise… Mais je lis des comptes du monde entier, parce que j'y trouve beaucoup de sagesse, notamment en ce qui concerne la nature. Quand ces contes viennent d'ailleurs, par exemple d'Inde ou de Chine, il peut parfois paraître difficile de comprendre la mentalité qui s'y reflète si on ne connaît pas déjà ces cultures. Les illustrations qui accompagnent les contes dans les albums pour enfants peuvent aider à cette compréhension, elles sont souvent très bien faites. »
3 En rayon
Une En lien
Un jour, quelques mots sur l'écran de votre téléphone vous informent que les photos que vous pensiez avoir conservées dans l'appareil sont sauvegardées « dans le cloud » (littéralement « dans le nuage »). Instant de vertige : ce lieu mystérieux du monde numérique, distant et invisible, renferme désormais les traces visuelles de votre vie. Où se trouve-t-il, qui en a l'accès, comment est-il rangé ? Héberge-t-il les images originales ou seulement des copies ? Et qu'est-ce qui empêche vos photos de se mélanger à celles des autres, d'être regardées par n'importe qui, d'être effacées par accident ou de s'égarer dans le tas ?
« Une mésaventure de ce genre est arrivée à une de nos utilisatrices », raconte Anna Leckie, bibliothécaire à la BM Cité. Que s'est-il passé ? « Lors du premier confinement Covid, elle s'était mise à écrire un journal de bord sous la forme de notes sur son smartphone. Lorsqu'elle a réalisé que ces documents étaient enregistrés dans le cloud, ça l'a stressée, et elle a foncé chez son opérateur téléphonique pour demander qu'on supprime cette sau-
vegarde. L'opérateur a fait ce qu'elle demandait sans se préoccuper de comprendre véritablement ce qui l'inquiétait. Rentrée chez elle, elle a été effarée de découvrir que ses notes n'étaient plus dans son téléphone. Sans qu'elle s'en rende compte, l'appareil était paramétré pour enregistrer directement dans le cloud plutôt que dans sa mémoire interne… »
Que faire ? La dame se rappelle qu'aux Bibliothèques municipales, on peut « emprunter un-e bibliothécaire » lorsqu'on peine à trouver son chemin dans les dédales du numérique. En réservant en ligne et en indiquant les questions qu'on veut aborder, on bénéficie, lors d'un rendez-vous individuel de 40 minutes, du « prêt » en chair et en os d'un-e bibliothécaire pour chercher des solutions dans le domaine des appareils, des logiciels ou de la navigation sur Internet. « Je n'ai rien pu faire pour retrouver les notes dans le téléphone, reprend Anna. En revanche, l'utilisatrice avait l'habitude de les partager avec sa sœur dans des emails. Elle a donc pu les récupérer et elle est en train d'en faire un livre, avec une mise en page et une impression papier. Ce que j'ai pu faire, c'est changer les réglages de son téléphone pour que ses prochaines notes soient sauvegardées là où elle veut. »
Instant de vertige : ce lieu mystérieux du monde numérique, distant et invisible, renferme désormais les traces visuelles de votre vie
aide sur nota n°5 juillet—août 2023 4
Le service « Empruntez un-e bibliothécaire » offre des rendez-vous personnalisés pour faciliter l'usage d'un appareil, d'un logiciel ou d'une ressource en ligne. Que demandent ses usager-e-s ? Et comment font les bibliothécaires pour avoir réponse à tout ?
Avec une poignée de collègues dans les bibliothèques de la Cité, de la Servette et des Minoteries, Anna Leckie est une empruntée. « J'aime bien ce terme. À la Cité, entre nous, on s'appelle comme ça », s'amuse-t-elle. L'exercice s'avère gratifiant. « J'adore ce service. On solutionne des problèmes qui ont parfois l'air anodins, mais qui peuvent créer une angoisse permanente lorsque la personne utilise son téléphone ou qu'elle doit faire une démarche. »
Les choses de la vie
mesure face aux nuages du
Que demandent, au fait, les emprunteurs et emprunteuses ? Certain-e-s ont des interrogations typiquement bibliothécaires, concernant notamment l'emprunt et la lecture de livres électroniques : « Ce n'est pas toujours évident. Une dame est venue pour savoir comment accéder au prêt numérique en pensant avoir un appareil du genre “liseuse”, alors qu'en réalité elle avait un ordinateur de poche qui avait un peu le même aspect, mais qui implique une procédure complètement différente », raconte Bastien Géroudet, un « emprunté » de la bibliothèque des Minoteries.
« Le 50% des rendez-vous concernent les choses usuelles de la vie », constate Anna Leckie : comment ranger ses souvenirs entre les différents engins, comment scanner un document, ou comment faire ses paiements en ligne en sachant que l'e-banking demande généralement deux appareils, pour justifier avec l'un les transactions faites avec l'autre. Y a-t-il des personnes qui cherchent de l'aide pour leur activité professionnelle ? « Une comédienne est venue avec une liste de questions pour gérer sa communication : comment faire non seulement un post, mais aussi une story et un reel sur les réseaux sociaux ? Comment mettre un “lien en bio” sur Instagram pour signaler les différents sites web où elle est présente ? » ajoute Bastien.
numérique
Photographe : Magali Girardin
5 En lien
Les
à travers le monde
Des services appelés « Empruntez un-e bibliothécaire » (avec ou sans le “-e” du langage épicène) ont commencé à se multiplier à partir des années 2010 dans les bibliothèques et médiathèques du monde francophone, de La Chaux-de-Fonds à Montréal, en passant par La Réunion et par la ville belge de Schaerbeek. La Scandinavie connaît ce genre de prestations depuis la décennie précédente. Les pays anglophones aussi : du Royaume-Uni à l'Australie, en passant par l'Amérique du Nord, on y trouve ce service depuis les années 2000 sous le nom « Borrow a librarian » ou (avec un jeu de mot sur book, qui ne désigne pas seulement un livre, mais aussi l'action de réserver), « Book a librarian ». Partout, ces « prêts » en chair et en os prolongent le travail de conseil habituel fourni par les bibliothécaires, proposant à chaque usager-e qui en fait la demande un moment privilégié, soustrait au va-et-vient et aux aléas du quotidien. La spécificité des Bibliothèques municipales de Genève dans ce cadre réside dans le fait que leur « Empruntez un-e bibliothécaire » est centré sur le numérique. D'autres institutions dans le monde (telles que la médiathèque François-Mitterrand — Les Capucins à Brest, ou la bibliothèque publique de Westerville dans l'Ohio…) ont fait ce même choix, qui poursuit la double mutation en cours dans l'univers bibliothécaire : le numérique prend plus de la place, oui, mais l'interaction humaine aussi.
Parfois, les questionnements sont angoissants, reflétant l'actualité anxiogène du monde numérique. « Une dame est venue me voir persuadée que quelqu'un avait piraté ses comptes et qu'elle était suivie à la trace. En réalité, les signes de piratage qu'elle croyait déceler sur son écran étaient le résultat de fausses manipulations et d'une multiplication de mots de passe, que je l'ai aidée à mieux gérer », raconte Antoine Schmitt, un « emprunté » de la Servette. Une autre utilisatrice « vient régulièrement avec des appareils qu'elle a dû acheter à l'aube du numérique », ajoute le bibliothécaire. Comment l'aider ? « Pas évident. Le plus souvent, ses machines s'allument à peine, mais elle ne veut pas s'en débarrasser, ni en acheter de nouvelles. Avec un peu de chance, je parviens parfois à lui trouver un logiciel qui permet de refaire tourner le lecteur DVD d'un vieil ordi. »
Les réponses se trouvent à deux
Comment font les « emprunté-e-s » pour avoir réponse à (presque) tout ? Les connaissances sont partagées au sein du groupe sous la forme d'une « foire aux questions » et les rendez-vous pris à l'avance permettent, s'il le faut, de se documenter. Mais l'essentiel se passe dans l'interaction. « Je demande à la personne si je peux utiliser son appareil devant elle, et on fait tout ensemble. On recherche des informations en ligne qui sont parfois difficiles à trouver. On déchiffre des marches à suivre qui sont souvent formulées de manière compliquée. Après, on suit les étapes, en découvrant ensemble comment il faut faire », détaille Anna.
Au moment où on l'observe pour rédiger cet article, Anna reçoit une dame aux prises avec le réseau social LinkedIn. « Je
« emprunté-e-s »
nota n°5 juillet—août 2023 6 En lien
i Anna Leckie, « empruntée » à la bibliothèque de la Cité
suis au chômage depuis quelques jours, j'ai mis mon CV mais je ne le retrouve pas », s'inquiète l'usagère. Sur LinkedIn, votre profil est votre CV, explique Anna. « Aussi, l'office de placement demande que le CV fasse une seule page plutôt que deux. » La bibliothécaire signale qu'un autre service proposé par les Bibliothèques municipales, celui des écrivains publics et écrivaines publiques, est le mieux à même de fournir ce genre d'aide. Elle donne néanmoins un coup de main en coupant quelques répétitions. « C'est nickel », s'exclame l'utilisatrice en contemplant sa page remise à jour sur le réseau social. Anna prend congé, et on en profite pour poser une question à l'« emprunteuse » : s'il n'y avait pas ce service, où iriezvous poser ces questions ? « Nulle part, ça n'existe pas ailleurs. »
Empruntez un-e bibliothécaire…
… aux Minoteries : les vendredis de 15h à 18h (inscription au bureau du prêt ou au 022 418 37 40)
… à la Cité : dans les heures d'ouverture de la bibliothèque (inscription en ligne sur bmgeneve.agenda.ch)
… à la Servette : les mardis, jeudis et vendredis de 14h à 15h (inscription à l'adresse servette.bmu@ville-ge.ch ou au 022 418 37 80)
Lectures d'été : ces romans qu'on trouve au seuil du train
L'été, lisez-vous autrement, lisez-vous autre chose ? En déambulant dans nos bibliothèques, nous l'avons demandé à nos lectrices et à nos lecteurs… Par exemple à cette dame qui parcourt les rayons avec sa fille et qui nous dit s'appeler Fang Fang :
« Je lis beaucoup pendant l'été, surtout les derniers… vous savez, les romans comme les Musso et les Levy, qui sortent habituellement à ce moment-là et qu'on achète juste avant de prendre le train… Je lis tout le temps, au lieu de regarder le téléphone je lis, en français, en anglais, en chinois. »
7 En rayon
Lectures d'été : le maximum de bonheur ou rien
L'été, lisez-vous autrement, lisez-vous autre chose ? En déambulant entre les rayons de nos bibliothèques, nous l'avons demandé à nos lectrices et à nos lecteurs… Par exemple à ce groupe de jeunes femmes attablées autour de leurs travaux scolaires, qui veulent bien répondre, mais qui préfèrent rester anonymes :
« Je lis de livres qui sont en rapport avec l'été, des histoires qui se passent dans des campements où il y a des jeunes, des choses comme ça… »
« L'exemple que je donnerais est Ikigai, un livre de développement personnel lié à la culture japonaise. En gros, il faut atteindre le maximum de bonheur dans sa vie pour vivre le plus longtemps possible, c'est toute une aventure. J'en lis tout le temps, mais j'ai plus de temps pour en lire l'été. »
« Je ne lis pas trop l'été, désolée… Toute l'année je lis pour l'école, là c'est plutôt la pause. Ça fait quand même du bien d'avoir une grande pause sans rien lire. »
nota n°5 juillet—août 2023 8 En rayon
Découverte 9
La colère, Dr.Doca, Voix boréales, Doctor K & Al Go-Rhythm…
On s'éloigne du Mur des Réformateurs, on se rapproche de l'université… Pour la Fête de la Musique 2023, les BM quittent l'emplacement des dernières années et investissent la scène « Bastions Uni » avec une programmation réalisée en partenariat avec l'équipe de la manifestation. Pendant ce temps, l'exposition Galaxie Pop se clôture à la bibliothèque de la Cité avec un live de la musicienne électronique La colère… Quelques un-e-s des artistes invité-e-s en ces deux lieux au cours du week-end du 23-25 juin se racontent dans ces pages.
Entre Cité et Bastions, les bibliothèques dansbaignent le son
nota n°5 juillet—août 2023 10 En sons
Seule sur une plage, La colère a réinventé l'électronique
« Comme une foudre qui est tombée sur moi. » C'est ainsi que l'électronique est apparue, un jour de 2003, dans la vie de La colère. La musique de l'artiste genevoise a aujourd'hui le même effet sur nous : on tombe en arrêt et on s'émerveille en découvrant son univers sonore à la fois évident et mystérieux, euphorisant et déchirant, évoquant un courant frais sur un littoral tropical. Après un passage au festival Printemps de Bourges en avril dernier, au seuil d'un tournant qui devrait lui ouvrir le marché français, La colère est en concert aux BM, dans le week-end de la Fête de la Musique, pour le finissage de l'exposition Galaxie Pop. On la questionne pour comprendre comment elle a créé son monde.
Une foudre, pour commencer : à l'âge de 13 ans, l'adolescente qui s'appellera un jour La colère découvre l'électronique via une grande sœur et un grand frère qui lui font écouter un
des premiers morceaux du duo norvégien Röyksopp. Dans son environnement sonore, il y avait jusque-là le folklore suisse de ses parents, la clarinette dont elle jouait depuis toute petite et le rock tendance metal où son adolescence s'était mise à bouillonner. « Je m'étais toujours sentie un peu étrange, un peu à côté. L'électronique est venue me toucher dans mon noyau profond, elle a réveillé quelque chose en me disant : ben non, tu n'es pas toute seule, il y a de la place pour toi. Dans ma recherche de moi-même, ça m'a posée. Mais cet amour pour l'électro est longtemps resté un secret », raconte-t-elle.
On comprend : avec son mélange d'énergie et de mélancolie, de sophistication et d'accessibilité, le premier album de Röyksopp, Melody A.M., ouvrait un univers qui donnait envie de s'y installer. Mais pourquoi l'aimer en secret ? « L'électro n'était pas perçue comme de la musique dans mon entourage : on
Fête de la musique
11 En sons
Concert Sa 24.6 / 17h-18h
La Colère
→ BM Cité
○ Tout public
△ Sur inscription : bmgeneve.agenda.ch
DJ set Sa 24.6 / 18h15-20h15
Loop Pop —
La boucle est bouclée, avec Kid Chocolat
→ BM Cité
○ Tout public
△ Sur inscription : bmgeneve.agenda.ch
appuie sur des boutons, on fait tourner des machines… Pendant très longtemps, je n'ai pas pu l'assumer. D'autant plus qu'en tant que femme, je n'ai jamais pu me sentir totalement légitime dans ce que je faisais. »
Du metal au logiciel
Le secret dure onze ans, pendant lesquelles la future Colère fait du metal, à la guitare et au chant, avec des groupes genevois nommés Toxic Arena ou Forget the Name. « Je faisais du scream aussi, du cri. C'est marrant parce que la colère, je l'incarnais totalement à ce moment-là. » En parallèle, elle devient vidéaste. « C'est ainsi que j'ai eu l'occasion de travailler pour les festivals Mapping et Electron où, en contrepartie, j'ai pu suivre des workshops où on m'a présenté le logiciel Ableton. Et tout a démarré. » Par rapport à la guitare distordue et aux hurlements sur scène, la musique créée sur ordinateur représente un sérieux changement d'ambiance… « En fait je suis assez geek, j'aime être chez moi dans ma bulle. J'ai plongé tête baissée dans Ableton. Un territoire créatif infini s'ouvrait à moi. »
Les premiers sons qui sortent de sa chambre sont rassemblés en 2018 dans un EP intitulé Surface, sans ambitions particulières. « C'était quelque chose que j'avais besoin de faire, sans attentes, comme une thérapie qui me faisait beaucoup de bien. » Un proche suggère d'envoyer le résultat au concours Demotape Clinic du festival m4music, voué à mettre sur orbite la pop suisse du futur. Surprise : La colère se retrouve gagnante de l'édition 2019 dans la catégorie électronique.
Pourquoi ce nom, au fait ? « C'était une évidence. Je pense que la colère est une force de vie incroyable. Dans ma vie, il y a une forme d'émancipation qui a dû s'exprimer à travers la colère. J'en avais besoin, canalisée à travers mon projet, et j'avais besoin de l'exprimer. » Vue de près, cette émotion se révèle plus complexe qu'elle n'y paraît. « Le sens du mot est fort, mais sa phonétique est très légère : contrairement à l'anglais anger, “colère” a une sonorité aérienne. C'est un peu pareil dans ma musique, où il y a ce mélange de chaud et de froid que je retrouve dans l'émotion de la colère. » À ce sujet, La colère se fâche d'ailleurs un peu : « Il y a ce discours sur les émotions dites négatives ou positives, auquel je ne crois pas du tout. Je pense que toutes les émotions sont là pour une raison et, mince, il faut les laisser nous traverser ! Donc oui, vive la colère. Elle est aussi une énergie qui nous rassemble. »
Une voix sur les vagues
Surface exprime un penchant pour les titres aquatiques (“River”, “Go Rain”) qui se poursuit en 2020 dans le premier véritable album, La Vague. « Depuis que je suis enfant, j'ai toujours aimé vivre à côté de l'eau. Il y avait une rivière au bout du jardin de mes parents, aujourd'hui je vis à côté de la Jonction, j'adore faire du surf, quand il pleut j'adore la pluie… » Mais il y a autre chose. « L'album tournait autour d'une rupture vécue sur une plage. J'avais fait 20'000 km par amour et je me
suis fait larguer dans ce lieu au bout de nulle part, où je me suis retrouvée toute seule. Dans les titres “Eau Salée”, “La Plage” et “La Vague”, j'essaie de poser des mots sur ce chamboulement que je vivais, et tout est sorti là. Il fallait que je ramène un peu de lumière et que j'en fasse quelque chose. »
Jusque-là, La colère était muette. Dans La Vague, une voix grave, plutôt parlante que chantante, égrène des phrases laconiques sur un ton insondable et détaché. « Ce n'était pas un choix réfléchi. Étant assez introvertie, j'ai parfois de la peine à formuler ce que je ressens. Je me suis donc fait un peu violence en me disant : pourquoi pas quelques mots, finalement, en jouant avec cette sorte de froideur qui me permet de mettre une certaine distance. » Il faudra attendre deux ans et le nouvel EP Électrum pour que la parole devienne par moments carrément du chant. « Je ne suis pas chanteuse et je considère que ma voix est banale. Mais mon ingénieur du son, Yvan Bing, m'a aidée à assumer mon timbre et à me sentir légitime en me disant que dans l'authenticité et dans la banalité, il y a des choses magnifiques qui ressortent. » En effet. Au milieu du morceau “Électrum”, la voix s'envole, dévoilant son pouvoir d'envoûtement.
Échos vintage et univers parallèles
Sorti fin 2022, Électrum est une sorte de best of augmenté : on y retrouve les pièces les plus marquantes de l'album La Vague et quatre nouveaux morceaux. L'ensemble est aussi cohérent qu'éclectique, ancré dans les sonorités des années 2020 mais ouvert sur des univers parallèles et traversé de résonances vintage. On y entend les résonances des années 70-80 (les lignes de basse ultra rondes, les percussions qui croustillent, les synthétiseurs délicieusement baveux…), mais aussi ls échos de l'italo-disco, de l'électronique de Giorgio Moroder, de l'hypnose funky de Grace Jones, du début épique du tube Woman in Love de Barbra Streisand, des tropiques transposés sous le ciel nordique par Todd Terje, d'une mélodie venue du monde arabe…
Avec tout ça, La colère est aujourd'hui une identité artistique à la fois imprégnée du vaste monde et hyper personnelle. C'est aussi « une entreprise, avec une équipe de 8 personnes à chapeauter dans différents corps de métiers ». Et c'est toujours un projet existentiel : « Souvent les gens quand ils me rencontrent me disent : “En fait te n'es pas du tout en colère.” Mais ce mot est totalement en accord avec ce que je vis, et j'en suis fière. De plus en plus, j'aimerais l'incarner au maximum. J'ai choisi un nom fort, je m'en rends compte, je dois donc l'honorer. »
La colère en ligne lacolere.ch
nota n°5 juillet—août 2023 12 En sons
Fête de la musique
13 En sons
Doctor K & Al Go-Rhythm,équilibristes
du karaoké
Le duo costumé formé par Pascal Knoerr et Antoine Milesi anime des sessions de poussage de voix depuis près d'une décennie, en s'efforçant de mettre de l'ordre dans le désordre, et vice-versa. Les BM leur livrent leur scène à la Fête de la musique pour un blind test et pour une session de karaoké. Quatre questions…
Comment êtes-vous tombés dans le karaoké ?
Doctor K : « À la fin des années 2000, j'ai commencé à travailler au cinéma Spoutnik et au festival Black Movie qui s'y déroulait. L'équipe était autant intéressée par la musique que par le cinéma et — je ne sais plus trop comment — on s'est retrouvé-e-s à faire des karaokés dans les soirées un peu underground qu'on organisait en marge du festival. Pour les vidéos, il n'y avait pas encore YouTube, je devais passer par une entreprise anglaise qui me gravait, en la payant très cher, un exemplaire unique d'un DVD avec les chansons en version instrumentale et les paroles… Mon idée, c'était d'introduire un peu d'anglais. Les rares fois où il m'était arrivé de faire du karaoké jusque-là, j'avais vu qu'il y avait une abondance de chansons francophones, du Claude François en veux-tu en voilà, et je trouvais qu'il y pouvait aussi y avoir une place pour des chansons plus indie rock et pour des personnes qui avaient envie de chanter autre chose. »
nota n°5 juillet—août 2023 14 En sons
Al Go-Rhythm : « J'ai découvert le karaoké en travaillant à Black Movie au milieu des années 2010, à une époque où c'était déjà devenu un peu plus fancy au sein du festival, avec des animateurs et une place à plein titre dans le programme. Un jour… je pense que c'est arrivé avec une veste en fourrure qui traînait dans le bureau, oubliée là par quelqu'un : j'ai commencé à la mettre en faisant un peu l'imbécile, en prenant une grosse voix et en m'inventant un personnage, et tout à coup quelqu'un me dit : “Mais tu pourrais animer le karaoké ! ” Et c'est parti de là… Ensuite, on a été approchés par des gens qui avaient vu nos karaokés à Black Movie et qui voulaient nous engager pour venir animer des soirées ailleurs. »
karaokés self service (sans animateurs ou animatrices), on peut se retrouver à entendre “La Queuleuleu” quatre fois dans la soirée… Sans vouloir censurer les gens ou les empêcher de faire des trucs infâmes, on trouve qu'il faut un peu structurer le plaisir. »
Comment vos karaokés se déroulentils ? Y a-t-il un rituel, un répertoire… ?
Al Go-Rhythm : « J'ai toujours le trac au début, je fais des blagues pince-sans-rire, je travaille un personnage qui est un peu au seuil du désagréable, surtout avec les gens qui savent très bien chanter, pour détendre les autres et leur permettre de s'aventurer. Je ne sais jamais comment je vais être reçu, je me demande à chaque fois si je ne vais pas me faire remballer en tombant sur quelqu'un qui a une plus grande… bouche que la mienne. En ce qui concerne le répertoire, nous avons une petite liste pour donner des idées, qui suggère une sorte de ligne éditoriale, mais nous précisons à chaque fois que c'est seulement à titre indicatif. »
Doctor K : « Les gens savent que sur YouTube on trouve tout, on ne peut pas leur mentir en disant qu'on n'a pas tel ou tel morceau… Mais la liste, qui va de la variété francophone à des choses plus pointues en anglais, les oriente un peu en les mettant dans un certain mood. »
Une chose qui vous frappe dans la vague actuelle du karaoké ?
Blind test Ve 23.6 / 19h-21h
Doctor K & Al Go-Rhythm
→ Fête de la Musique, Scène Bastions Uni ○ Tout public
Blind test Sa 24.6 / 17h-19h
Doctor K & Al Go-Rhythm
→ Fête de la Musique, Scène Bastions Uni ○ Tout public
Karaoké Sa 24.6 / 20h30-22h30
Doctor K & Al Go-Rhythm
→ Fête de la Musique, Scène Bastions Uni ○ Tout public
Quelle est votre philosophie du karaoké ?
Doctor K : « Je pense que la vague actuelle de popularité du karaoké coïncide avec une mutation globale de la société où on met l'accent sur le fait de se sentir bien, sur l'importance du lâcher prise… Au milieu de cette mutation, le karaoké a quitté le stade où beaucoup de gens n'osaient pas chanter, se lancer, se produire en public, et suscite chez de plus en plus de monde la vocation de s'amuser de cette manière particulière avec la pop culture. En ce qui concerne notre propre philosophie du karaoké, je dirais qu'on essaie d'une part de mettre un peu d'ordre dans le désordre, en rythmant et en donnant une certaine harmonie à l'enchaînement entre les chansons… et en même temps on essaie de mettre aussi un peu désordre, pour enlever la pression aux gens qui n'osent pas trop monter sur scène. Nous trouvons bien de diriger un peu la chose. Autrement, comme je l'ai vu ailleurs dans des
Al Go-Rhythm : « Ce que j'aime bien, c'est le côté hyper universel : c'est juste un écran et un micro… mais tout ce qui enrobe cet équipement de base peut être très varié. Si on prend les karaokés de Genève, il y a des ambiances et des populations tellement différentes. Au Jame's Pub, aux Pâquis, j'adore entendre toutes ces personnes thaïes qui viennent chanter de la thaï-pop. Dans d'autres univers, on découvre d'autres musiques… »
Doctor K : « Il y a des modes dans les chansons et dans les chorégraphies, avec tout à coup des chansons anciennes qui reviennent par surprise. En ce moment, “La Boulette” de Diam's vit un gros retour de hype… Parfois, on ne comprend pas d'où ça vient, d'autres fois on voit très bien que les gens ont vu un post sur TikTok et s'amusent à reproduire la chose telle quelle. Si on suit un peu TikTok, on voit bien que souvent ça vient de là, il y a une porosité entre les réseaux sociaux et le karaoké. »
Fête
de la musique
15 En sons
« C'est arrivé avec une veste en fourrure qui traînait dans le bureau, oubliée là par quelqu'un : j'ai commencé à la mettre en faisant un peu l'imbécile, en prenant une grosse voix et en m'inventant un personnage, et tout à coup quelqu'un me dit : “Mais tu pourrais animer le karaoké ! ” »
Voix boréales, un sortilège sous le ciel genevois nordique
nota n°5 juillet—août 2023 16 En sons
Le chant évoque un sortilège dans une forêt, ou un bal médiéval sous un ciel rempli d'aurores polaires. Dans les bouches des trois chanteuses, on entend vibrer les Å et les Ø des alphabets finnois et scandinaves. Les voix s'unissent pour faire résonner un mot, puis s'écartent, chacune de son côté, ouvrant l'espace avec des harmonies venues d'un temps oublié… Depuis 2015, Hilde Stein la Norvégienne, Taina Onnela la Finlandaise et Claire de Buren Massy la Genevoise créent ensemble ce monde sonore sous le nom de Voix boréales. En 2023, on les verra sur scène dans le spectacle multidisciplinaire ArtOtek ( « avec une danseuse qui écrit des poèmes et un mime qui fait des sculptures en cèpes de vigne » ), dans Le Jeune Merle noir et autres contes nordiques avec un conteur… et à la Fête de la Musique, sur la scène des Bibliothèques municipales.
Comment les Voix boréales ont-elles surgi ?
Hilde : « On s'était rencontrées dans un ensemble de chant classique appelé Polhymnia, qu'on avait ensuite quitté l'une après l'autre. Un jour Claire — je ne sais pas comment ça lui est venu — m'a proposé de faire de la musique traditionnelle norvégienne. J'avais moi-même le rêve de revenir à cette musique dans laquelle j'avais été baignée. Toute jeune, je n'aimais pas Michael Jackson ou les métalleux du moment, j'aimais la musique traditionnelle : elle me faisait vibrer à l'intérieur, me remplissait, me faisait un tas de choses que Michael Jackson n'a jamais réussi à me faire… Un déclencheur de l'envie d'y
Fête de la musique
Sa 24.6 /15h-15h40
Voix boréales Fête de la Musique, Scène Bastions Uni Tout public
Le chant évoque un sortilège dans une forêt, ou un bal médiéval sous un ciel rempli d'aurores polaires. Dans les bouches des trois chanteuses, on entend vibrer les Å et les Ø des alphabets finnois et scandinaves.
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o Voix boréales. De gauche à droite : Taina Onnela, Hilde Stein et Claire de Buren Massy
revenir a été le moment où j'ai entendu pour la première fois le disque Folk Songs du groupe norvégien Trio Mediaeval, qui a été une sorte de retour aux sources et qui m'a fait tellement de bien. Ça a été ma thérapie, et ça l'est toujours. »
Claire : « Après avoir quitté Polhymnia, on ne se voyait plus et ça me manquait. J'avais envie de passer du temps avec mes copines et je trouvais chouette l'idée de faire quelque chose de différent, car le classique tout droit, c'était fini pour moi, je n'avais plus envie d'en faire. Contrairement à Hilde et Taina, je ne suis pas née dans les cultures nordiques, mais ces musiques m'évoquent plein d'images. C'est tellement multisensoriel, quand je les entends je sens l'odeur du lichen… Alors je vais surfer sur YouTube, je tombe sur Ievan Polkka, je me dis ”Ah tiens, ça a l'air d'être du finnois”, j'envoie le lien à Taina et elle me dit ”Oui, oui, on pourrait la faire.” »
Taina : « J'ai beaucoup chanté de musique folklorique finlandaise en étant jeune, ça m'a toujours nourri. J'habite ici depuis 30 ans et je rentre à chaque fois un peu chez moi avec ces chansons. Il y a aussi quelque chose d'empowering, comment dit-on en français, empouvoirant… »
Votre musique semble naviguer dans plusieurs univers à la fois : le folklore, mais aussi le classique, avec vos voix de soprano (Taina) et de mezzo-soprano (Claire et Hilde)… Où vous situez-vous ?
Hilde : « C'est essentiellement de la musique traditionnelles. On a aussi quelques compositions contemporaines, mais toujours dans la veine de la musique traditionnelle, et des ballades médiévales. Ce sont en général des chansons venues d'une tradition orale, pas des morceaux classiques qui doivent être respectés au soupir près : c'est très libre, on peut en faire ce qu'on veut… »
Taina : « … Mais souvent nos arrangements sont des reprises d'autres versions, par exemple celles de Värttinä, un groupe de folklore finlandais composé uniquement de femmes. Nous écrivons à ces groupes pour demander le droit d'utiliser leurs partitions, ça donne souvent des contacts très chaleureux. »
Claire : « C'est en tout cas de la musique très populaire, et c'est ce que j'aime. Ce n'est pas intello, pas le genre de répertoire à chanter dans une église en se gelant les pieds… »
Hilde : « En fait si ! On est souvent dans des églises à se geler les pieds, mais on ne fait pas la musique qui est prévue pour. Il faut d'ailleurs qu'on fasse attention à quelles paroles on chante lorsqu'on fait un concert dans une église… »
Justement, que racontent les textes des chansons ?
Hilde : « Il y a des chagrins de jeunes filles qui attendent leurs bien-aimés, souvent des marins, qui partent et qui ne reviennent jamais, ce qui est quand même une grande partie du destin des femmes du Nord. Je pense d'ailleurs qu'une partie de l'indépendance des femmes du Nord vient du fait que les hommes n'étaient pas là, donc on était obligées de se débrouiller par nous-mêmes, et on créait des sociétés qui, historiquement, étaient souvent conduites par
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des femmes… Sinon, il y a pas mal de choses assez coquines. Une des chansons suédoises qu'on chante dit : “Ah, si c'était le jour et tous les garçons étaient alignés, et je pouvais choisir celui qui me plaît… Ah, si c'était le soir et tous les garçons étaient suspendus, et je pouvais les allumer : ils brûleraient… Ah, si c'était la nuit et tous les garçons étaient couchés, et je me glisserais là-dedans, et personne ne me verrait…” C'est une chanson médiévale. Pas mal, non ? »
Taina : « On a aussi celle du petit caneton qui pleure au bord d'un étang, et puis une personne arrive pendant la nuit au bord de l'étang, voit le caneton et se sent comme lui, à cause de ses chagrins d'amour. C'est très finlandais, de pleurer un chagrin d'amour… Il y en a une autre encore qui est assez connue, Minun Kultani Kaunis, qui dit : “Mon amoureux il est beau, mais il est très maigre. Mon amoureux il a des yeux bleus, mais il louche. Mon amoureux il a une jolie bouche, malgré qu'elle soit très large. Et quand je l'emmène au marché, même les chevaux se marrent…” »
Un après-midi par semaine, vous vous retrouvez chez Hilde dans un village de la campagne genevoise pour répéter…
Claire : « Mais le travail musical ne prend pas toute la place. Un après-midi par semaine, c'est beaucoup, c'est carrément un 10%, mais sur ce 10%, il y a aussi des tisanes et du blabla… Et je pense que c'est ce qui fait notre force : il y a un truc hyper fort entre nous, ça se sent et on nous dit toujours que ça se voit sur scène. Ces après-midis sont un pilier dans ma vie. »
Hilde : « On se voit, on travaille, on papote, on pleure, on rigole, toute la vie y passe. »
Les Voix boréales en ligne
— sur YouTube : www.youtube.com/@voixboreales3477 — sur Facebook : tinyurl.com/voixboreales
Fête de la musique
19 En sons
Dr.Doca,explorateur
Quand il était petit, dans les années 197080, Alexandre Pedrazzani accompagnait ses parents au travail dans les radios de Curitiba, ville capitale de l'État brésilien du Parana. Aujourd'hui, il ouvre un atelier de fabrication de disques vinyles à Champagne (VD), le premier de Suisse après la disparition de cette industrie dans le pays il y a deux décennies. Entretemps, il a tracé un parcours remarqué en tant que DJ et producteur de musique sous le nom de Dr. Doca. On croyait connaître la musique brésilienne, mais en écoutant les « Studio Sessions » sur son site Alternativo Brasil, on se rend compte qu'en fait non, on ne connaissait pas grand chose…
Comment a commencé votre exploration de la musique brésilienne ?
« Mes parents travaillaient dans le milieu radiophonique au Brésil depuis les années 50. J'ai donc pu accéder très jeune aux stations de radio, baigner là-dedans, découvrir les différents aspects de ce monde, de la technique à la programmation musicale. Mais je n'étais pas seulement immergé dans la musique brésilienne : dans mon adolescence, entre les années 80 et début 90, il y avait aussi la musique dansante internationale, la house, les DJ, c'était éclectique… Ensuite, il y a eu ce phénomène assez fou qui fait que, quand on a quitté un pays, on tombe amoureux de certaines choses auxquelles on ne donnait pas autant d'importance quand on y vivait. Venir en Suisse m'a beaucoup plus ouvert les yeux et l'esprit pour la musique brésilienne. »
On croyait connaître la musique brésilienne, mais en écoutant les « Studio Sessions » sur son site Alternativo Brasil, on se rend compte qu'en fait non, on ne connaissait pas grand chose…
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des Brésilsparallèles
Comment cette exploration s'est-elle poursuivie à Genève ?
« Je suis arrivé au milieu des années 90. J'ai eu très vite l'opportunité de faire entendre des disques brésiliens lors de soirées dans les squats de l'époque comme la Tour ou Rhino. C'était un cadre où on pouvait vraiment se libérer, explorer les choses en dehors des clichés, il y avait là une magie que je n'oublierai jamais. L'idée de mon projet musical Alternativo Brasil est née tout naturellement de cet esprit de liberté des squats genevois. Mon but était de faire découvrir la diversité de la musique brésilienne en explorant ses côtés obscurs : des musiques que personne ne connaissait en dehors de quelques spécialistes, ou qui avaient été très connues à un moment dans l'histoire mais qui avaient été oubliées. J'ai commencé ensuite à faire du DJing dans des stations de radios locales, puis dans les chaînes nationales comme Couleur 3. Plus récemment, j'ai mixé dans des manifestations comme le Festival International de Films de Fribourg ou au Musée d'ethnographie de Genève, où j'ai présenté la musique du candomblé (une religion afro-brésilienne) dans le cadre d'une exposition sur une ancienne colonie suisse au Brésil. »
Quelles sont pour vous les particularités qui caractérisent les musiques brésiliennes ?
« La variété des sons, l'importance des musiques traditionnelles, le fait que c'est depuis toujours une musique basée sur le mélange, qui rassemble les influences des autres musiques du monde et qui les influence en retour : le jazz, le funk, le rock psychédélique, l'électronique sont rentrés dans la musique brésilienne, la bossa nova brésilienne a eu un impact énorme sur les artistes de jazz aux États-Unis… Parfois,
je tombe sur des morceaux enregistrés au Brésil mais chantés en turc ou en japonais, et il faut des recherches pour savoir d'où vient l'original. Dans mes DJ sets, j'essaie des choses comme ça. Je passe le même morceau en version française, puis brésilienne, ça fait réagir le public en installant un doute et ça crée une sorte de curiosité culturelle. »
Comment l'immensité de ce répertoire se décline-t-elle dans vos DJ sets ? Avec un genre et une époque à la fois, ou en mélangeant tout ?
« Un peu de tout ça. Parfois c'est spécifiquement lié à un style, d'autres fois je prends des morceaux qui ont été des “bombes” à différentes époques, d'autres fois encore je mélange la musique traditionnelle à l'électronique… Pour le public, parfois ça fait rêver, mais des fois c'est plus délicat, il y a des gens ont de la peine à comprendre et qui viennent tout le temps me demander de passer autre chose. Mais en général le public aujourd'hui a bien compris que Dr. Doca a un style qui ne part pas dans le cliché commercial du Brésil. »
La constante dans tout ça, c'est votre attachement au disque vinyle…
« Historiquement, la production phonographique brésilienne était gigantesque, monstrueuse. Puis, quand la fabrication de vinyles s'est arrêtée au Brésil, ça a été un véritable abandon, le patrimoine phonographique n'a pas du tout été valorisé. Les disques finissaient dans des déchetteries, des stations des radios mettaient leur discothèque dans des hangars et l'oubliaient… Jusqu'au moment où des collectionneurs ont commencé à faire des recherches et ont réussi à accéder à certaines de ces discothèques abandonnées. À partir des années 2000, la revalorisation des disques vinyles a commencé. Du coup, j'étais en avance sur ce mouvement. Car la collection de vinyles que je possède aujourd'hui est le fruit d'un travail qui n'a jamais cessé depuis l'adolescence. »
Fête de la musique
DJ set Sa 24.6 / 23-1h
Dr. Doca Alternativo Brasil → Fête de la Musique, Scène Bastions Uni ○ Tout public
21 En sons
« Il y a eu ce phénomène assez fou qui fait que, quand on a quitté un pays, on tombe amoureux de certaines choses auxquelles on ne donnait pas autant d'importance quand on y vivait »
Aujourd'hui, vous vous lancez vous-même dans la production de disques vinyles…
« J'ai déménagé de Genève après 25 ans passés là-bas et je me suis installé à Champagne, dans le can ton de Vaud, près du lac de Neuchâtel, pour ouvrir un atelier de pressage de disques vinyles, qui sera le seul à faire ce travail en Suisse romande. Vingt ans après que la dernière dernière usine suisse dans ce secteur ait fermé, plusieurs projets étaient en train de se monter pour faire revenir l'industrie phonographique dans le pays, et on ne savait pas qui réussirait à ouvrir en pre mier. Il s'avère que c'est Doca Vinyl… Je réalise ainsi un rêve que j'ai depuis une dizaine d'années : ces objets que j'ai toujours achetés, je peux désormais aussi les fabriquer. La première sortie aura lieu cet été, c'est une collaboration entre un groupe suisse et un groupe bré silien. Je ne veux pas en dire plus, c'est une surprise. »
Comment avez-vous choisi le village de Champagne ?
« C'était difficile de trouver des locaux à Genève, puis, en élargissant, j'ai réalisé que ça pouvait être mieux de trouver ailleurs. J'ai découvert cet ancien garage de motos, un atelier-logement où désormais j'habite, avec un joli jardin dans lequel il y a un four à pizza… Surtout, c'est un emplacement stratégique, un lieu de passage entre la Suisse romande et alémanique, plus proche de l'ensemble de la scène suisse que si j'étais à Genève. La quasi-totalité des artistes qui font presser leurs disques chez nous veulent d'ailleurs venir les chercher sur place plutôt que se les faire envoyer… Il y a, de plus, un lien fort entre ce coin de la Suisse et le disque vinyle : c'est la région de Sainte-Croix, où on fabrique depuis le 19e siècle des boîtes à musique et
Dr. Doca en ligne
Son projet musical : www.alternativobrasil.com
Son atelier de fabrication de vinyles : docavinyl.ch
où ont été créées les platines tourne-disques Thorens. Sans compter que je suis à 100 mètres de la frontière avec une commune qui s'appelle… Grandson. Tout ça est très bon pour le marketing !
J'ai même eu une autre surprise. En arrivant sur place pendant mon déménagement, je vois cinq gars qui se baladent dans le froid avec des tongs en plein milieu du village. En voyant les tongs, je me suis dit : ouh la la, ce sont forcément des Brésiliens… En fait, à côté de mon atelier il y a l'usine qui fabrique les “Flûtes de Champagne” pour les apéros. La famille qui tient l'usine est très fan de foot, et elle fait toujours venir des jeunes du Brésil pour entraîner l'équipe locale dans les championnats. Champagne était donc déjà reliée au Brésil… »
D'où vient ce nom, Doca, que vous portez en tant que DJ et que vous avez donné à votre usine de vinyles ?
« ”Doca”, ce sont les docks du port ou des aéroports, mais c'est un surnom que je porte depuis gamin. Il y a un lien avec mon nom : Alexandre, Xandre, Xandroc, Doca… Ce sont des choses qu'on ne demande pas, ça vient comme ça, ça s'installe dans votre vie et puis voilà. Un peu comme mon parcours dans la musique et dans les vinyles, qui a commencé naturellement à travers mes parents : c'est une magie de la vie, c'est une chance, et je ne veux pas la louper. »
nota n°5 juillet—août 2023 22 En sons
Lectures d'été : la plage, c'est tellement de boulot
L'été, lisez-vous autrement, lisez-vous autre chose ? En déambulant entre les rayons de nos bibliothèques, nous l'avons demandé à nos lectrices et à nos lecteurs… Par exemple à ce monsieur qui parcourt les nouveautés et qui nous dit s'appeler Olivier :
« L'été on a beaucoup moins de temps, on est occupé-e toute la journée à aller à la plage et à faire des grillades le soir avec les ami-e-s… Donc je ne lis pas davantage, mais je lis des choses moins compliquées, plus courtes et plus légères : des polars, de la littérature distrayante pour faire passer le temps plutôt que de la philosophie et des thèses historiques. Je découvre des idées de lectures dans les suppléments littéraires des journaux, mais aussi à la bibliothèque de la Cité, qui offre un beau choix et où je viens souvent avec ma fille. »
En rayon 23
Photographe : Lisa
Frisco
Un lieu de passage etde partage »
De
« Ce n'était pas prévu. Je préparais un voyage au Pérou en 1994 et j'habitais chez une dame aux Pâquis », se souvient Sylvie, habitante du quartier Saint-Jean/Charmilles, en racontant comment elle est arrivée « il y a 28 ans et demi », au seuil de la trentaine, dans l'appartement qu'elle n'a jamais quitté depuis ce jour-là près du parc Geisendorf. L'espace vert qui s'ouvre au bout de sa rue entre alors dans sa vie, dit-elle, « comme un lieu de passage et de partage ».
Au cours de l'été 2022, pendant les deux semaines où la Mobithèque s'installe dans ce parc, Sylvie devient une habituée de ce dispositif mobile avec lequel les Bibliothèques municipales proposent leur programme hors-
navigation…
murs. Ce qui la marque en participant aux activités proposées dans ce cadre, c'est « le mélange de groupes d'âge, de populations, de cultures différentes… et le fait qu'on est accepté-e comme on est. Moi, par exemple, avec mon rollator », relève-t-elle en désignant l'engin à quatre roues sur lequel elle prend appui pour marcher. Cet été-là, les roues de Sylvie croisent d'ailleurs celles de dizaines de patineurs et patineuses à roulettes qui slaloment dans le parc à l'occasion d'un atelier sportif.
Du 4 au 15 juillet 2023, Sylvie retournera à la Mobithèque, qui revient au parc Geisendorf avec un nouveau programme. Elle y trouvera — entre autres choses —
Le dispositif mobile avec lequel les BM proposent leur programme hors-murs s'arrête en juillet dans deux espaces verts, en commençant par une halte de deux semaines à Geisendorf.
Souvenir d'une habitante assidue…
parc en parc, la Mobithèque reprend sa
«
u Les activités de la Mobithèque au parc Geisendorf en 2022
nota n°5 juillet—août 2023 24 Dehors
un laboratoire où on joue avec les mots ; une balade guidée par la plasticienne Alexia Turlin entre œuvres d'art et plantes sauvages ; un concert du marching band genevois We Don't Care About, qui joue du jazz sud-africain en déambulant ; un atelier de l'illustratrice Sarah Haug qui apprend à créer des stickers numériques sur WhatsApp ; et une balade historique avec Alexandre William Junod, auteur du livre La Servette, une campagne devenue quartier (2022) : « Acheté par les autorités en pleine tempête des années Trente, le parc Geisendorf est d'abord l'expression d'une utopie : offrir aux habitants un peu de campagne en ville. Vingt ans plus tard, la construction d'un modèle quasi unique d'école dite “pavillonnaire”, lieu où la pédagogie veut s'exprimer dans des espaces aérés et dominés par la nature et les animaux, vient couronner ce projet singulier… »
Du 18 au 29 juillet, la Mobithèque change de rive et s'arrête pour la première fois au parc Baud-Bovy, entre Uni-Mail et l'Arve. On y trouvera — entre autres choses — des lectures multilingues ; un atelier de broderie sous influence littéraire ; une invitation à perfectionner, avec les conseils d'un professionnel, la manière de prendre des photos avec son smartphone ; un parcours d'obstacles avec des échelles et des cerceaux ; et une balade guidée avec le plasticien Benoît Billotte, naviguant entre art, histoire et nature dans ce secteur urbain — de la plaine de Plainpalais à la Jonction — marqué par le va-et-vient de l'eau et par les crues fluviales.
Retrouvez les rendez-vous du programme « De parc en parc » avec la Mobithèque (du 4 au 15 juillet à Geisendorf, du 18 au 29 juillet au parc Baud-Bovy) aux pages 60-61.
Dehors 25
S'immerger pendant quatre mois dans quatre albums, exprimer une préférence en mettant une croix sur un bulletin de vote…
C'est ce que propose ce concours créé en 2006 par les BM avec les structures d'accueil de la petite enfance de la Ville de Genève.
Le Prix P'tits Mômes développe et dévoile des compétences surprenantes chez les enfants, tout en récompensant un livre et son auteur-e
Prix P'tits Mômes : le droit de vote pour les enfants de
2 à 4 ans
Photographe : Lisa Frisco
Il existe, à l'intérieur de Genève, une petite république dont la population a le droit de vote de 2 à 4 ans. On y vote chaque année de janvier à juin, entre les rayons d'une bibliothèque, dans des crèches et des jardins d'enfants, dans des services de pédiatrie. On pouvait y voter cette année pour un mouton qui se détricote, pour un dinosaure de compagnie, pour une tribu de canards fêtards, ou pour un garçon qui démonte sa chambre lorsqu'il s'ennuie. On y vote, surtout, pour un livre et pour son auteur-e, qui gagne un prix (4'000 francs, tout de même) remis lors d'une cérémonie à la bibliothèque de la Cité.
Ce pays s'appelle « Prix P'tits Mômes ». Il a été fondé en 2006 par les Bibliothèques municipales, en collaboration avec le Service de la petite enfance de la Ville de Genève. Les enfants qui en sont les citoyenne-s pendant six mois expérimentent, peut-être pour la première fois dans leur vie, la manière dont on donne
son avis au sein d'un groupe. En s'immergeant dans l'univers infini du papier imprimé, ils et elles découvrent qu'un livre est à la fois une histoire qu'on peut raconter de mille manières et un récit écrit qui, lui, ne change jamais.
Mais comment fait-on pour amener ces votant-e-s minuscules à élire un livre ? En quête de réponses, on se pointe au jardin d'enfants La Souris verte pour observer le fonctionnement de cette petite démocratie et pour interroger Marianne Cosandey, responsable pédagogique de ce lieu niché dans une rue bucolique de la Servette. On y découvre un processus aussi ludique que minutieux : chaque livre est lu (et même chanté) un nombre de fois qui, à des adultes, filerait le vertige.
Mon opinion dans une coquille d'escargot
« Pour commencer, chaque adulte lit chaque album à chaque enfant, pour que toutes les histoires soient entendues plusieurs fois avec différentes voix. Après cette période d'appropriation individuelle, les albums
nota n°5 juillet—août 2023 26 Connexions
sont lus à nouveau dans le cadre de nos moments de réunion où tout le monde se retrouve ensemble », raconte Marianne Cosandey. La réunion commence par un petit rituel : une éducatrice fait rouler une balle vers chaque personne — petite ou grande — en lui lançant un « Bonjour ! » et en prononçant son prénom. Tout le monde à tour de rôle renvoie la balle, et ce va-et-vient dessine un lien. « C'est un moment fort, où les enfants commencent à développer le sentiment de faire partie d'une collectivité. »
Les éducatrices piochent ensuite dans la corbeille des livres, dont elles prennent soin de rappeler à chaque fois qu'il s'agit des albums du Prix P'tits Mômes. « Au début, la question se pose : c'est quoi, les p'tits mômes ? C'est un mot un peu désuet, qu'en général les enfants ne connaissent pas. Alors on explique : les mômes, ce sont les enfants, vous êtes les “p'tits mômes”, donc ces quatre livres sont pour vous », reprend Marianne Cosandey. Après cette introduction, tout le monde se met à chanter. « Nous avons mis les histoires en chansons, ça crée un autre lien aux livres et permet aux enfants d'y revenir dans leur
imaginaire. Il arrive souvent qu'on les surprenne à les chantonner. “Ah, tu es en train de fredonner la chanson des canards sauvages…” »
Ces moments d'immersion dans les quatre albums, individuels et en groupe, se répètent pendant plusieurs mois, « pour que ça s'ancre » .
Ensuite, il faut choisir. « Le but est que chaque enfant annonce sa préférence. Mais ce concept de préférence est un peu compliqué pour les plus jeunes. On commence donc par demander “Quel est le livre que tu aimes qu'on te lise ? ”, ce qui nous permet de leur dire ensuite “C'est celui-ci que tu préfères” et les amène progressivement à utiliser ce mot à leur tour. »
Lors des réunions, chaque enfant reçoit une coquille d'escargot à poser sur la couverture de son choix.
« Nous avons une liste où nous notons tous les choix à côté de chaque prénom. Ce processus se répète au moins une fois par semaine pendant deux mois. »
i Lecture des albums finalistes du Prix P'tits Mômes à la bibliothèque de Saint-Jean 27 Connexions
En s'immergeant dans l'univers infini du papier imprimé, les enfants découvrent qu'un livre est à la fois une histoire qu'on peut raconter de mille manières et un récit écrit qui, lui, ne change jamais.
Comment ça marche ?
De la sélection aux résultats
— Les bibliothécaires font une première sélection d'une quarantaine d'albums.
— Un comité de sélection regroupant trois bibliothécaires, trois éducateurs-trices de la petite enfance et la coordinatrice du prix, Olivia Cupelin, désigne les quatre albums finalistes.
Découvrir l'écrit en le touchant du doigt
Qu'est-ce que c'est qu'un livre, quand on a entre 2 et 4 ans ? Une histoire qu'on écoute, des images qu'on regarde, des pages qu'on tourne… Mais qu'en est-il des mots écrits ? « Quand nous présentons un livre, nous lisons le titre en indiquant chaque mot avec le doigt : En… me… promenant… avec… Kiki Les enfants comprennent ainsi que chacun des “petits bâtons” qui composent le titre a un sens. De la même manière, lorsque nous leur lisons les histoires individuellement, nous suivons le texte en le parcourant avec le doigt. Si l'enfant essaie de tourner la page avant que je sois au bout, je lui dis : “Attends, regarde, j'en suis là, j'ai encore tout ça.” En général, l'enfant se met alors à regarder mon doigt qui avance et comprend que lorsque j'arrive au bout des “petits bâtons”, je suis aussi au bout du texte, et qu'à ce moment-là, la page peut être tournée », détaille Marianne Cosandey, responsable pédagogique du jardin d'enfants La Souris verte. Parfois, les enfants se mettent ensuite à se raconter les histoires en déplaçant leur propre doigt le long du texte, mimant les adultes.
— Les institutions partenaires s'inscrivent auprès des BM, qui commandent un lot de livres pour chacune d'entre elles.
— Après les étapes de lectures et de vote décrites ci-dessus, le Prix est décerné dans le cadre de la semaine Livres, petite enfance et familles
— 2'065 enfants ont voté en 2023 (dont 940 pour En me promenant avec Kiki).
Des choses cruciales se passent dans ce processus, connues grâce aux recherches menées par les sciences de l'éducation et observées au quotidien à La Souris verte. « Petit à petit, les enfants se rendent compte que ce sont ces signes qui font que les mots sont exactement les mêmes d'une fois à l'autre, quelle que soit l'adulte qui lit le livre. Cette permanence du texte, ce n'est pas nous qui la leur expliquons, ce sont les enfants qui, sans même s'en rendre compte, font leurs suppositions et leurs déductions, réalisant que chaque mot a une importance et que l'endroit où il est placé dans la phrase donne du sens. » Pour favoriser cet apprentissage, il est important de différencier les manières dont on restitue le récit. « Parfois on dit : “Je ne vais pas te lire le livre, je vais te raconter l'histoire.” Les enfants comprennent et font la différence. »
Autre caractéristique d'un livre : quelqu'un l'a écrit. « Dans le cadre du Prix P'tits Mômes, nous amenons aussi les enfants à la bibliothèque de quartier, où une bibliothécaire leur lit les quatre albums. Il arrive régulièrement que les enfants pensent alors que c'est la bibliothécaire qui a écrit toutes ces histoires… Nous leur expliquons que non, et que ce n'est pas nous non plus. Pour commencer à leur faire comprendre cette notion, nous nommons régulièrement les auteur-e-s, les premières fois juste par leur prénom — ”C'est Adèle qui a écrit Les canards sauvages” —, puis avec leur nom de famille. »
nota n°5 juillet—août 2023 28 Connexions
o Lecture des albums finalistes du Prix P'tits Mômes au jardin d'enfants La Souris Verte
La citoyenneté à l'heure du goûter
Les préférences changent-elles au fil de ce temps ? « Chez une partie des enfants, on voit bien que la coquille posée sur un livre signale leur envie de l'entendre lire aujourd'hui, et ça changera peut-être la prochaine fois. D'autres ont bien compris depuis le début ce qu'on est en train de faire, et leur préférence, jusqu'au bout, ne change pas. Chez les plus jeunes, le choix dépend souvent de celui du voisin ou de la voisine qui, juste avant, a placé son escargot. Ce qui nous amène à aborder la notion du choix individuel : “Écoute ce que toi tu veux faire, ne copie pas ce qu'a fait ton ami-e…” Il y a aussi des enfants qui hésitent longtemps devant les quatre livres, parce qu'on peut en aimer plusieurs, mais il va falloir se décider. »
Pour qu'on ait la motivation de faire un choix, il faut en général qu'il y ait un enjeu. Quel est-il dans ce cas ? « On dit aux enfants : “À la fin de la séance, le livre qui aura le plus d'escargots est celui qu'on va vous lire.” On en profite pour aborder le thème de la majorité, car il y en a évidemment qui ne trouvent pas juste qu'on ne lise pas le livre de leur choix », répond Marianne Cosandey. Le jeu va donc très loin : « C'est une démarche parfois difficile, mais toujours intéressante, qui nous conduit à effleurer la thématique de la citoyenneté. Nous n'insistons pas trop sur le fait qu'un
jour il s'agira de voter sur des choses essentielles dans leur vie comme le gouvernement… Nous soulignons en revanche qu'il est important de savoir ce qu'on veut, d'avoir sa propre opinion et de pouvoir la dire, sans copier celle de quelqu'un d'autre pour lui faire plaisir. »
Dernière étape : « On ouvre la petite boîte dans laquelle il y a les bulletins de vote et chaque enfant en remplit un, avec notre aide, s'il le faut, pour lui rappeler ses choix au fil des séances. Ce vote a lieu à la fin du processus, mais les enfants savent dès le début que tout le monde aura son bulletin, qu'on le cochera ensemble et qu'on ira ensuite l'envoyer à Olivia. » Olivia ? Coordinatrice de la programmation culturelle pour le jeune public aux Bibliothèques municipales, Olivia Cupelin est la responsable du Prix P'tits Mômes. « Aux yeux des enfants, Olivia est un personnage, une figure qui plane au-dessus de tout ce concours. Personne ne la connaît, mais prononcer son nom donne du sens au fait que ce prix existe en dehors d'ici… On met les bulletins dans une enveloppe qu'on emmène ensemble à la boîte aux lettres, et ce sont les enfants qui la glissent dedans. » Fini ? « Non ! Il faut continuer à lire les livres ensemble et à les faire vivre jusqu'à l'annonce du prix, pour que les enfants soient toujours dans l'attente de savoir quel est l'album gagnant. » Et le gagnant est…
La liste des albums primés depuis 2006 est en ligne à l'adresse genevebm.com/ppm-liste-laureat-e-s
La page du Prix P'tits Mômes sur Internet genevebm.com/prix-ptits-momes
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Les quatre albums finalistes (commentées par Marianne Cosandey de La Souris verte)
Les canards sauvages, d'Adèle Jolivard (éditions Les fourmis rouges)
100 canards préparent une fête dans un tronc d'arbre. Il faut pousser les meubles, acheter à manger, engager un groupe de musique ou un-e DJ… Les adultes plissent les yeux devant le foisonnement fou de détails minuscules, les enfants s'y plongent interminablement avec délectation. Marianne Cosandey : « C'est un livre qui déclenche beaucoup d'échanges et d'interactions. Cette richesse d'éléments qui apparaissent seulement si on regarde de tout près, les énumérations sans fin… les enfants adorent. »
Léon s'ennuie, de Violette Vaïsse (éditions L'agrume)
Léon est un petit renard qui est en fait un jeune garçon. Il est puni et il croit qu'il s'ennuie, mais est-ce vraiment vrai ? À voir la manière dont il met sa chambre sens dessus dessous en vivant des aventures imaginaires, on se le demande… Marianne Cosandey : « L'ennui, c'est un concept bien particulier, assez difficile à comprendre pour les plus jeunes. Parfois un enfant vient vers nous, on sent quelque chose dans cette veine-là et on lui demande
“Qu'est-ce que tu voudrais faire ? ” Si sa réponse est “Ben, ch'ais pas…”, alors on lui dit “En fait, tu t'ennuies…” À ce moment-là, l'enfant commence à comprendre que, lorsqu'on ne sait pas quoi faire et qu'il n'y a rien qui va, alors on s'ennuie. »
Pelote et repelote, de Sabine de Greef (éditions L'École des loisirs/Pastel)
C'est l'histoire d'un petit mouton dont les vêtements se font et se défont. Mais la laine, quand on est un mouton, n'est pas une chose qu'on met, c'est une chose qu'on est… Pour les adultes, le texte peut sonner un peu décousu, mais les enfants hurlent de joie en entendant des mots pleins de syllabes : « Tu me détricotes, tu m'emberlificotes, tu m'embobines » … Marianne Cosandey : « Les enfants aiment cet animal qui se construit, qui se déconstruit et qui finalement reprend sa vie en main. Pour ce livre-là, on ne leur explique rien du tout, on les laisse avec ça et ça leur va très bien. »
En me promenant avec Kiki, de Davide Cali et Paolo
Domeniconi (éditions Cambourakis)
Tristan se balade en ville avec Kiki, son tyrannosaure de compagnie. Le duo croise des gens qui, l'instant d'après, ne sont plus là, si ce n'est pour un accessoire qui dépasse entre les dents de l'animal… Les enfants adorent, pour les adultes c'est un peu troublant. Marianne Cosandey : « Quand le livre est arrivé, des collègues disaient : “C'est horrible ! ” Mais les enfants voient les choses différemment : Kiki est clairement un ami imaginaire. On les entend commenter “Moi aussi des fois j'ai mon dinosaure”, ou “J'ai déjà vu des dinosaures dans la rue qui mangent les gens”… Kiki peut bien manger tout le monde, parce que les enfants savent très bien que, de toute façon, des dinosaures, il n'y en a pas. »
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4 mondes dans 4 boîtes
Jaune pour Léon, bleu pour Pelote, rouge pour Kiki, orange pour Les canards : quatre bacs en plastique s'ouvrent successivement pour déployer sur scène les univers du Prix P'tits Mômes. Les comédien-ne-s et marionnettistes Laure-Isabelle Blanchet et Olivier Carrel font vivre ces livres en clôture du concours. Comment ?
Léon s'ennuie
« Ce personnage qui met le bazar dans sa chambre, c'était délicieux à faire. L'histoire se déroule dans cet espace restreint, nous avons donc recréé fidèlement la chambre de Léon dans tous ses détails en miniature. Faire vivre la marionnette là-dedans, c'était jouissif. »
Pelote et repelote
« L'histoire est basée sur un ouvrage de couture, avec un personnage qui se construit et se déconstruit. L'idée, c'était de faire apparaître petit à petit le petit mouton qui sort de la page du livre et qui se met à marcher, puis de le voir se détricoter et retricoter en s'emmêlant dans les fils de son pull pendant la représentation. »
En me promenant avec Kiki
« On est dans l'imaginaire d'un enfant avec des pulsions un peu agressives : dans sa réalité fantasmée, il y a ce dinosaure qui mange tout le monde… Nous nous sommes demandé si notre petit public n'allait pas avoir la trouille, car c'est une chose de lire le livre, où le moment de la dévoration n'est pas montré, c'en est une autre de le voir en action. Alors on a décidé de jouer les moments où la bête dévore les gens en théâtre d'ombres. Ce qui permet d'imaginer que l'enfant est lui-même en train de faire du théâtre, jouant dans sa chambre avec ses maquettes de maisons et ses personnages Playmobil. »
Les canards sauvages
« Ce livre a été plus compliqué à adapter parce que les illustrations sont des plans larges où ce qui est drôle, c'est d'aller regarder de tout près les petits détails, ce qui n'est évidemment pas possible dans un spectacle. L'idée était de déployer ce monde en sortant d'un panier tout ce que les canards — avec leur bec en pince à linge — rassemblent pour faire la fête, avec boule à facettes et tout le bazar. »
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i Les comédien-ne-s et marionnettistes Laure-Isabelle Blanchet et Olivier Carrel créent le spectacle du Prix P'tits Mômes
Le triomphe de Kiki
Un tyrannosaure se balade peinard avec son pote humain, un enfant appelé Tristan. Rien à signaler, si ce n'est qu'il s'appelle Kiki et qu'il bouffe (presque) tout le monde sur son passage… Avec cet album tranquillement truculent et pince-sans-rire, l'auteur Davide Cali et l'illustrateur Paolo Domeniconi ont remporté le Prix P'tits Mômes 2023. Nota leur pose trois questions.
D'où vient cette idée ? De votre enfance ou de votre imagination d'adultes ?
Davide : « Je pense que c'est un peu les deux : j'ai toujours été fan des dinosaures et j'aimerais, même adulte, me balader avec un T-rex. »
Paolo : « L'idée est entièrement de Davide. Il m'a proposé quelques histoires et j'ai beaucoup aimé celle-ci parce qu'elle est simple, légère et surtout très drôle. La seule chose que j'ai empruntée à ma vie, c'est le regard de Kiki : c'est le regard de mon chat quand il a un lézard dans sa bouche. »
Dans le monde de Kiki, quel rôle auriez-vous ? Le tyrannosaure ? L'enfant ? Les personnes mangées ?
Davide : « Mmm… Je pense l'enfant ! »
Paolo : « Je pense que je ferais partie des personnes mangées. Lorsque je croise un animal dans la rue, je ne peux m'empêcher de lui faire des compliments et de le caresser. Kiki me mangerait tout de suite. »
Dans le cadre du Prix P'tis Mômes, des adultes se sont inquiété-e-s en imaginant les réactions que le livre allait susciter, alors que les enfants explosaient de joie face à l'histoire de Kiki… Avez-vous eu des incertitudes sur l'accueil du livre ?
Davide : « Je vois que souvent les adultes se posent des questions sur les livres, genre : est-ce que c'est
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i Davide Cali (haut) et Paolo Domeniconi (bas). À gauche : « Kiki » dans spectacle du Prix P'tits Mômes
adapté aux enfants en bas âge ? Est ce qu'il va leur faire peur ? Moi, je ne me pose jamais la question de la lectrice et du lecteur : j'écris essentiellement pour moi-même. Est-ce qu'on va lire mes histoires, est-ce qu'on va les aimer, on verra ça plus tard. Ça va sans dire, je suis content si mon travail est apprécié, mais le seul enfant pour lequel j'écris vraiment, c'est moi. L'écriture est, pour moi, un jeu personnel (que je partage quand- même ! ) En général, je vois que les enfants aiment beaucoup les histoires méchantes ! »
Paolo : « Je n'ai eu aucune incertitude et si je me souviens bien, avec Davide, nous ne nous sommes même pas posé la question. L'histoire est purement humoristique et le dessin ne montre rien de désagréable. Je pourrais dessiner un T-rex beaucoup plus réaliste et effrayant, mais il n'aurait pas sa place dans ce livre. Ce qui était important, c'était l'indifférence des gens qu'il croise et la banalité d'un dinosaure qui se promène dans la ville. En lisant, on comprend immédiatement qu'on est entré-e dans un jeu. »
Lectures d'été : retour à la révolution
L'été, lisez-vous autrement, lisez-vous autre chose ? En déambulant entre les rayons de nos bibliothèques, nous l'avons demandé à nos lectrices et à nos lecteurs… Par exemple à ce monsieur qui parcourt les romans en langues étrangères et qui nous dit s'appeler Viktor :
« En été je lis des livres plutôt légers, des romans policiers comme ceux de John Grisham (La Firme, L'idéaliste…). Mais c'est aussi une opportunité d'étudier des choses plus sérieuses, parce qu'on a plus de temps pour se concentrer sur la lecture. En été, je lis par exemple des livres historiques. Pas des romans historiques, mais des livres que j'avais lus pendant mes études : je prends mes vieux livres universitaires et je les relis. Mon sujet favori, ce sont les révolutions : leurs causes, leurs effets, parfois les souffrances qu'elles ont engendrées, ou la nouvelle ère qu'elles ont ouvert dans l'histoire d'un pays. »
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Le contraire exact de la tour de Babel
Une vieille histoire raconte qu'un jour, il y a des milliers d'années dans un pays appelé Shinar, un dieu se fâcha contre un peuple qui construisait une tour touchant le ciel. Pour stopper le chantier, le créateur transforma la langue de ce peuple en une multitude d'idiomes, et depuis ce jour-là l'humanité ne se comprend plus.
Une autre histoire, beaucoup plus récente et située dans le quartier genevois de Plainpalais, raconte que le phénomène inverse se produit tous les jours au centre la Roseraie Des personnes arrivées de partout, parlant différentes langues, font étape ici, dans un immeuble orange à quelques mètres du courant fluvial du Rhône, en quête d'une aide à la navigation dans ce territoire étranger où elles ont débarqué. Elles se posent là et, très vite, elles commencent à communiquer, ce qui fait de ce lieu le contraire exact de la tour de Babel.
La bibliothèque des Minoteries s'est associée au projet
Art Truck de l'association
Destination vingtsept, accueillant une exposition d'art contemporain conçue par les personnes migrantes qui fréquentent le centre d'accueil, d'échanges et de formation de la Roseraie
Plusieurs choses facilitent ces échanges : les ateliers de français, qui jettent un pont entre l'arabe de Syrie et le portugais du Brésil ; un large spectre d'activités en libre accès (boxe, couture, danse, jardinage, ping-pong…) ; et aussi, dernièrement, l'art contemporain. Au cours de 18 rencontres tenues lors des « ateliers de conversation » entre novembre et
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mai, un groupe de personnes migrantes qui fréquentent ce lieu a défini le thème d'une exposition et choisi les œuvres pour la réaliser. Prêtées par le Fonds municipal d'art contemporain (FMAC), les pièces ont été accrochées du 4 mai au 1er juin dans les locaux du centre la Roseraie, dans le camion Art Truck garé dans la cour entre les immeubles, dans le restaurant Clair d'Arve de la Fondation Clair Bois juste à côté et dans la bibliothèque municipale voisine, celle des Minoteries.
Un soleil, un lapin, un flingue
L'intention de l'exposition est de « magnifier le sens de la liberté ». Les œuvres choisies y font écho de manières très variées. Il y a, à la Roseraie, Coucher de soleil — Ares Valley (Mars) (1998) de Gianni Motti, où l'artiste a peint un crépuscule martien, où l'oeil pressé croit voir une montgolfière mauve dans un ciel violet, et face à laquelle Manuel Zavala, un participant venu du Chili, ressent « un sentiment de nostalgie pour la maison de ma mère face à la mer ». Il y a, aux Minoteries, une vidéo de la série Keep it fun for yourself (1995-2017) de Yan Duyvendak, où le performer « chante avec beaucoup de sentiment et pas de vêtements », observe la Tunisienne Wahida Sablaoui. Il y a
aussi, à Clair Bois, des statuettes en argile de la série Katchina (2015), inspirées par les poupées du peuple Hopi d'Arizona et réalisées par des détenues dans la prison genevoise de Champ-Dollon… « Nous sommes des aventurier-e-s venant de plusieurs cultures, vivant sur une planète menacée mais encore accueillante et bien-aimée », résume Manuel Zavala, désigné porte-parole du groupe, dans son discours lors du vernissage, entre les prises de parole des institutions partenaires et de l'association Destination vingt-sept, qui mène le projet (voir l'encadré).
La préparation de l'exposition a conduit à se poser des questions. Qu'est-ce que la liberté ? Pourquoi telle ou telle œuvre d'art y fait-elle penser ? La liberté, notent les membres du groupe, c'est « la possibilité de se
« Nous sommes des aventurier-e-s venant de plusieurs cultures, vivant sur une planète menacée mais encore accueillante et bien-aimée »
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o Vernissage d'Art Truck à la Roseraie : Wahida Sablaoui (en bleu), Fatima Chidda (à pois), Carlos Neto (avec tambourin).
En ligne
Le projet Art Truck destination27.ch
Le centre d'accueil pour personnes migrantes la Roseraie centre-roseraie.ch
Le Fonds municipal d'art contemporain (FMAC) : www.fmac-geneve.ch
La « commande sonore » remise par les usager-e-s de la Roseraie au Fonds municipal d'art contemporain : soundcloud.com/destination27/art-truck-005-commande-de-la-roseraie-pour-le-fmac
i Le vernissage à la BM des Minoteries.
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t Le camion d'Art Truck.
déplacer, de traverser les frontières, mais aussi de rester chez soi ». C'est « travailler, mais sans être exploité-e ». C'est « parler sans avoir peur d'être jugé-e ». C'est aussi « le point commun de toutes les femmes du monde : le besoin d'être libre », souligne Wahida Sablaoui. Un participant qui vient d'Irak, mais dont la mère, raconte-t-il, était suisse-allemande suggère que « la liberté, c'est avoir la possibilité de se tromper » .
Parmi les œuvres exposées à la Fondation Clair Bois, un participant venu du Honduras trouve que la liberté s'exprime au mieux dans les porcelaines Cerf enfant, Lapin enfant et Renard (2016) de Keiko Machida, où des petites personnes sont coiffées de têtes d'animaux : « Ces personnages ne sont pas normaux. Et la normalité, ce n'est pas la liberté. » Juste à côté, une vitrine contient un pistolet — c'est l'œuvre Food (1998), de Pierre Vadi — et un billet d'un dollar, qui est en fait une peinture sur bronze de Gianni Motti. Pour le participant péruvien Carlos de la Cruz, ces deux pièces sont celles qui incarnent le plus la liberté : « Parce qu'on doit payer un prix pour la liberté. Et parce qu'il y a toujours des gens qui se battent pour la liberté. »
Genève au bout du monde
À propos du Coucher de soleil martien et du très abstrait Soleil vert (1995-2019) de Charles de Montaigu, un débat s'engage entre Manuel et Wahida, dont ces deux œuvres sont les coups de cœur respectifs. Pour la Tunisienne, qui a choisi Soleil vert, « ce sont les couleurs vives qui expriment la liberté ». Pour le Chilien, qui a choisi Coucher de soleil, « la couleur violet n'est ni chaude ni froide, elle peut dialoguer avec tout ». N'est-on pas déjà un peu libre quand on
peut dialoguer avec tous et toutes ? Le Brésilien Carlos Neto semble de cet avis, qu'il exprime en s'enthousiasmant sur Genève, « où on rencontre des gens de toutes les cultures et toutes les langues », et en tirant une conclusion : « Je ne veux plus jamais quitter Genève. C'est-à-dire oui, pour voyager, mais je veux toujours y revenir. »
Fatima Chidda, venue de Syrie, désigne comme son œuvre préférée Sanguine (1990-2000) d'Anne-Laure Oberson, qui montre à ses yeux « la main d'une personne qui manque de liberté et qui la demande, mais qui souffre parce qu'elle ne peut pas être libre ». Il y a des pays, poursuit la jeune femme, « où tu paies cher pour la liberté : avec la santé, le sang, la vie ». Qu'est-ce qui lui a donné envie de participer à ce projet d'exposition ? « Je connais tellement de choses difficiles par rapport à la liberté. C'est pour cette raison que pour moi, c'est normal d'en parler. Souvent, les autres participant-e-s parlent du côté positif de la liberté, avec les couleurs, le ciel, la mer, le coucher de soleil… Moi, je pense toujours à la guerre, à la prison », ajoute-t-elle sans cesser de sourire d'une manière qui à la fois adoucit et amplifie la portée de ce qu'elle dit. Aujourd'hui, ressent-elle de la liberté ? « Je suis tellement libre depuis que je suis arrivée à Genève : je parle, je sors, j'ai le choix de ce que je veux », s'illumine-t-elle. On espère, très fort, que Genève se révèle à la hauteur.
N'est-on pas déjà un peu libre quand on peut dialoguer avec tous et toutes ?
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i Manuel Zavala
Destination vingt-sept, l'association qui élargit la culture avec un camion
Vouée à mettre en pratique l'article 27 de la Déclaration universelle des droits humains — « toute personne a le droit de prendre part à la vie culturelle de la communauté » —, l'association Destination vingt-sept a lancé en 2021 une série d'expositions baptisée Art Truck en partenariat avec le Fonds d'art contemporain de la Ville de Genève (FMAC). À chaque fois, un groupe de personnes a priori éloignées des milieux de l'art contemporain se fait commanditaire, demandant à la collection d'art public une présélection d'œuvres autour d'un thème, et prend ensuite un rôle de commissaire
d'exposition, choisissant les œuvres qui seront montrées. Pendant la durée des accrochages, les commanditaires se font également médiateurs et médiatrices culturel-le-s, accueillant le public et menant des visites guidées. Chaque volet du projet est réalisé en partenariat avec une organisation du domaine social (telle que l'EMS La Terrassière) ou un groupement d'habitant-e-s (comme celui de l'Écoquartier Jonction). Quant au truck (camion) de l'intitulé, il désigne un véhicule peint en blanc et vert qui complète le dispositif avec son espace d'exposition sur roues.
i Vernissage d'Art Truck au centre La Roseraie : Manuel Zavala
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o Fatima Chidda et Wahida Sablaoui
Lectures d'été : l'apocalypse dans les carnets
L'été, lisez-vous autrement, lisez-vous autre chose ? En déambulant entre les rayons de nos bibliothèques, nous l'avons demandé à nos lectrices et à nos lecteurs… Par exemple à cette dame qui parcourt les nouveautés et qui nous dit s'appeler Sophie :
« Ce que j'aime lire, ce sont les romans policiers : j'en ouvre un, je lis les premières pages et si la voix de l'auteur-e me plaît, je le prends. En ce moment je m'intéresse beaucoup à l'apocalypse, à la Bible et à la figure du golem [une créature artificielle de la mythologie juive]… Je ne suis pas pratiquante, ni même croyante, mais je me nourris de ces lectures car j'écris moi-même. J'ai suivi avec passion la série TV Supernatural, qui parle de l'apocalypse, mais en la situant dans notre monde actuel, et de mon côté je transpose l'apocalypse dans une petite ville complètement inventée. Ça fait dix ans que ce roman est dans mes carnets, j'espère pouvoir le terminer cette année. »
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On se réveille un matin, et l’intelligence artificielle est là…
On se réveille un matin, et l'intelligence artificielle est là. Jusqu'à la veille, c'était une chose dont on suivait vaguement les exploits de loin : on savait qu'elle avait gagné aux échecs et à Jeopardy, qu'elle aidait la médecine à identifier des molécules dans des labos… Maintenant, elle est littéralement à portée de nos doigts. Tout le monde en parle, des tas de gens l'ont testée, et un constat s'impose : elle ne ressemble en rien à ce qu'on avait imaginé. De l'œil rouge de 2001, l'Odyssée de l'espace aux innombrables robots dotés de formes humaines, en passant par les monstrueuses Machines de la saga Matrix, notre culture visuelle nous avait fait croire qu'une intelligence artificielle (IA) digne de ce nom aurait une allure marquante. Alors qu'en fait, dans la vraie vie, elle a l'air de pas grand-chose.
ChatGPT, par exemple, ne paie pas de mine. L'intelligence artificielle qui a commencé à remplir nos conversations en novembre dernier a l'aspect d'une page Web sans fioritures et sans signes particuliers. On s'enregistre gratuitement et c'est parti, on dialogue avec elle. « Je ne sais pas quoi dire », tapez-vous en ne sachant pas comment lancer l'échange. ChatGPT répond : « Si vous avez besoin de parler de quelque chose en particulier, vous pouvez me le dire et je ferai de mon mieux pour vous aider. Si vous voulez simplement discuter de la vie en général, je suis là aussi. Comment allez-vous aujourd'hui ? »
Elle est aimable, donc, prévenante même, elle s'exprime hyper bien, elle maîtrise tous les registres de la langue (de toutes les langues, en fait) d'une manière si impeccable qu'elle
Tout le monde parle de ChatGPT, l’intelligence artificielle (IA) qui s’exprime mieux que quiconque et qui raconte très souvent n’importe quoi. Nota en parle aussi, en vous racontant pourquoi on ne peut pas comprendre comment elle marche, pourquoi on ne peut pas prévoir ce qu’elle va faire, comment elle est en train de réinventer Genève et ce qu’elle vient fabriquer en bibliothèque.
nota n°5 juillet—août 2023 40 Dossier IA
Elle est aimable, prévenante même, elle s'exprime hyper bien, elle maîtrise tous les registres de la langue d'une manière si impeccable qu'elle nous file facilement des complexes si on se compare à elle. Mais personne n'est parfait…
41 Dossier IA
nous file facilement des complexes si on se compare à elle. Mais personne n'est parfait : l'air de rien, avec la même éloquence et la même assurance, elle quitte le territoire des faits réels et se met à raconter des choses qui sont complètement fausses, tout en ayant l'air parfaitement vraies. Dans ces pages, l'article « ChatGPT réinvente Genève » en donne des exemples, et l'interview « Le robot qui valait un milliard de singes » explique pourquoi ces intelligences artificielles ont une telle propension — selon le terme en usage dans le secteur — à « halluciner » .
Le côté obscur du mois de juin genevois
Comment fonctionnent les IA de ce type, appartenant à la famille des « modèles de langage » et des intelligences artificielles « génératives » ? Disons-le en deux phrases. 1) Elles analysent statistiquement le langage humain pour générer des phrases qui lui ressemblent. 2) Pour décider à propos de quoi et dans quel style écrire ces phrases, elles brodent à partir d'un texte que vous leur donnez (appelé prompt en anglais, « invite », « suggestion » ou « instruction » en français).
Exemple ? « Parle-moi du mois de juin à Genève d'une manière aussi passionnante, palpitante, excitante que possible. » ChatGPT répond : « Le mois de juin à Genève est une période tout simplement magique ! (…) Tout d'abord, le temps est absolument parfait. (…) Mais ce n'est pas tout ! Le mois de juin à Genève est également connu pour son festival de musique annuel, le célèbre “Fête de la Musique”, qui se déroule tout au long du mois » (on vous avait prévenu-e, elles hallucinent).
« Maintenant, parle-moi du mois de juin à Genève d'une manière aussi déprimante, désolante que possible. » ChatGPT répond : « Tout d'abord, le temps est incertain et capricieux. Les journées sont souvent grises et pluvieuses, avec une humidité qui pénètre jusqu'aux os. (…) Le mois de juin à Genève est une période difficile pour les habitants de la ville, qui se sentent seuls et déprimés face à l'absence de vie et d'animation. La météo capricieuse, la fin de l'année scolaire, le faible tourisme et les prix élevés des produits locaux contribuent tous à cette ambiance désolante et peu motivante. »
i Deux versions du mois de juin à Genève selon les intelligences artificielles génératives ChatGPT (description textuelle) et StarryAI (images)
nota n°5 juillet—août 2023 42 Dossier IA
Écrire, c'est un super-pouvoir
Que savent faire ces intelligences artificielles ? Celle dont on parle le plus, ChatGPT, ne fait rien d'autre qu'écrire des mots et des phrases. Ce qui conduit à un constat inattendu : savoir écrire mène à tout, et le faire si vite est carrément un super-pouvoir… Avec son aisance dans le langage, ChatGPT peut être déployé par une entreprise pour dialoguer avec sa clientèle. Il peut générer les textes, les rites et les lois d'une religion (il a inventé l'« harmonisme » en avril dernier). Il peut écrire des films et des séries TV (c'était une des raisons de la grève des scénaristes à Hollywood au mois de mai). Il peut rédiger du code informatique pour faire tourner des programmes (ce qui lui permet potentiellement d'agir sur le monde si on le connecte à des applications). Il peut aussi « ultra-personnaliser » notre navigation sur les réseaux sociaux pour la rendre encore plus addictive. Et avec sa capacité de production textuelle illimitée, il peut aider à déstabiliser la démocratie en « noyant les médias dans de la m**** », comme le préconisait l'activiste d'extrême droite Steve Bannon aux USA.
Peu avant ChatGPT, une autre branche de la famille des IA génératives avait commencé à faire des vagues semblables dans le domaine visuel. Apparus entre 2021 et 2022, les « modèles d'apprentissage automatique »
DALL-E, Midjourney et Stable Diffusion se sont mis à générer, à partir de prompts comme leur cousin ChatGTP, des océans d'images évoquant à la fois les mélanges étranges qu'on fait en rêve, un copier-coller de notre monde dans un univers parallèle et un remix de toutes les créations visuelles humaines de la préhistoire à nos jours. On se marrait, au début, de leur incapacité à reproduire des mains avec le bon nombre de doigts et d'autres signes flagrants qui trahissaient l'origine synthétique de leurs images. Désormais, ces IA filent à toute vitesse vers un réalisme de qualité photographique. Au passage, elles ont (brièvement) pu faire passer pour vraies de fausses photos du pape en doudoune, du roi Charles en fêtard à lunettes noires et de Vladimir Poutine à genoux devant Xi Jinping. Et en parallèle, elles ont commencé à être utilisées pour lancer des idées et pour faire du brainstorming visuel par des entreprises créatives telles que le célèbre bureau d'architectes londonien Zaha Hadid
43 Dossier IA
u « Femme lisant un livre », hallucination visuelle générée par StarryAI
Rencontre Jeu 30.11 / 19h
Les contes du ChatGPT perché
Les mondes parallèles des intelligences artificielles
Avec François Fleuret (Groupe Machine Learning, université de Genève) l'équipe d'Interroge et des étudiant-e-s en Media Design à la HEAD— Genève, Haute école d'art et de design
→ BM Cité, Espace le 4e
○ Adultes
△ Inscription bmgeneve.agenda.ch
Un ouragan de spaghetti
Reprenons nos questions : comment fonctionnent ces intelligences artificielles, que peuventelles faire ? En réalité, personne ne sait. Leur manière de travailler est une « boîte noire » : on les programme en testant des milliards de paramètres au hasard jusqu'à ce qu'elles marchent, mais on ne sait pas vraiment ce qui a marché. On ne comprend pas non plus pourquoi elles paraissent avoir des « propriétés émergentes », c'està-dire des capacités qu'on n'avait pas programmées (sur ces aspects vertigineux, l'interview « Le robot qui valait un milliard de singes » apporte quelques éclairages)… Avec leurs exploits et leur fonctionnement énigmatique, ces IA suscitent aujourd'hui autant d'espoir que de frayeur. On aimerait bien qu'elles soient nos assistantes personnelles surdouées, écrivant des phrases qui nous rendent service dans tous les domaines de la vie. On aimerait bien qu'elles ne deviennent pas nos concurrentes en nous piquant le boulot. On aimerait bien garder la possibilité de les débrancher, et qu'elles ne puissent jamais en faire autant avec nous…
Que va-t-il se passer ? Au-delà du fonctionnement énigmatique des IA elles-mêmes, l'incertitude est liée à logique du marché. Les entreprises du secteur semblent utiliser la même approche que pour programmer les paramètres de leurs IA : on essaye tout, on regarde ce qui se passe, on garde ce qui marche… un peu comme si on jetait les spaghettis contre le mur pour voir s'ils sont cuits.
Mais les mises en garde se multiplient, et les pouvoirs politiques ont commencé à imaginer des manières d'intervenir, aussi bien dans l'Union européenne (avec un vote sur un projet de législation prévu en juin) qu'en Chine, et même aux États-Unis. Le 16 mai, au moment où nous écrivions ces lignes, le CEO de la firme génitrice de ChatGPT, Sam Altman, témoignait devant le Congrès américain en recommandant que le pouvoir législatif régule ces IA qui ont « la capacité de manipuler, de persuader et de faire de la désinformation d'une manière interactive et personnalisée », ajoutant que « si cette technologie tourne mal, elle peut très mal tourner ». Pendant ce temps, Altman et son entreprise OpenAI, tout comme Microsoft, Alphabet (la maison mère de Google) et Meta (celle de Facebook, Instagram et WhatsApp) continuent à déclencher des ouragans de spaghetti… On en vient donc à s'interroger : notre avenir avec les IA reste-t-il al dente ou est-il déjà complètement cuit ?
On essaye tout, on regarde ce qui se passe, on garde ce qui marche… Un peu comme si on jetait les spaghettis contre le mur pour voir s'ils sont cuits.
nota n°5 juillet—août 2023 44 Dossier IA
Lectures d'été : le roman feel-good selon ChatGPT
L'été, lisez-vous autrement, lisez-vous autre chose ? Nous l'avons également demandé à ChatGPT, le chatbot ( « agent conversationnel » ) doté d'intelligence artificielle dont nous vous parlons dans le dossier thématique de ce numéro de Nota Sa réponse flotte entre le banal et le déconcertant…
« En tant que modèle de langage, je ne suis pas capable de lire des livres comme un humain, car je ne possède pas la conscience et l'expérience subjective nécessaires pour en apprécier pleinement la lecture. Cependant, si je devais recommander des livres pour l'été, je pourrais suggérer des livres qui sont souvent considérés comme des lectures estivales populaires. Voici quelques exemples (…) :
1. Les classiques de la plage : Ces livres sont souvent considérés comme des romans légers et divertissants, parfaits pour la plage ou la piscine. Des exemples populaires incluent des romans de Danielle Steel, Mary Higgins Clark, ou Harlan Coben.
2. Les romans d'aventure : Les livres d'aventure peuvent être des choix populaires pour l'été car ils peuvent offrir un sentiment d'évasion et d'aventure. Des exemples incluent Robinson Crusoé de Daniel Defoe, Les Aventures d'Alice au Pays des Merveilles de Lewis Carroll, ou L'Île au trésor de Robert Louis Stevenson.
3. Les romans feel-good : Les livres feelgood sont souvent choisis pour l'été car ils peuvent offrir un sentiment de légèreté et de bonheur. Des exemples incluent Le Club des incorrigibles optimistes de Jean-Michel Guenassia, La Vie devant soi de Romain Gary ou Le Vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire de Jonas Jonasson. »
Euh… es-tu sûr-e, ChatGPT, que La Vie devant soi est un livre feel-good ? Et Le Club des incorrigibles optimistes qui, selon Wikipédia, « met en scène une famille déchirée par la guerre d'Algérie sur fond de mésalliance et un groupe d'errants qui (…) partage le poids de remords et d'un secret » ?
« Je m'excuse si ma réponse précédente a pu prêter à confusion. La Vie devant soi de Romain Gary n'est pas un livre feel-good (…). Au contraire, c'est un roman poignant et émouvant qui aborde des thèmes tels que la mort, la maladie, la pauvreté et la discrimination. (…) Vous avez raison, Le Club des incorrigibles optimistes de Jean-Michel Guenassia n'est pas un livre feel-good au sens traditionnel du terme. Il explore des thèmes plus sombres et sérieux, notamment l'adolescence, la guerre, l'exil et la quête de sens. (…) C'était une erreur de classification de ma part, et je m'en excuse sincèrement. »
45 Dossier IA
Le robot qui valait un milliard de singes
Interview avec François Fleuret
À
quoi ressemble ChatGPT ? Dans les propos du professeur François Fleuret, directeur du Groupe Machine Learning de l'Université de Genève, ce modèle d'intelligence artificielle évoque tour à tour un imitateur hyper doué, un enfant qui pendant toute sa scolarité n'a rien appris d'autre qu'à s'exprimer, un peuple de singes qui tapent au hasard sur des claviers… Mais il est aussi un programme doté de « propriétés émergentes » extrêmement surprenantes et de capacités qui dépassent de très loin tout ce qu'on lui a appris.
Programmé pour imiter avec virtuosité les langages humains à partir d'une « simple » analyse statistique des enchaînements entre les mots, ChatGPT n'est pas (encore) capable d'aller chercher des informations factuelles pour dire des choses vraies, mais il semble déjà en mesure de raisonner. Comment fonctionne-t-il ? Pourquoi raconte-t-il souvent n'importe quoi ? Cessera-t-il un jour d'affabuler ? François Fleuret invite les lecteurs et lectrices de Nota à jouer avec cet agent conversationnel (chatbot) et à « mettre la main dans le chapeau pour sortir le lapin » .
ChatGPT est terriblement déconcertant : il a des capacités stupéfiantes, il fait des bourdes colossales, et les expert-e-s n'ont pas l'air de savoir où il va…
François Fleuret : « La remarque que je ferais pour commencer, c'est que c'est très compliqué. Mais il ne faut pas que vos lecteurs et lectrices se disent : “Ça m'a l'air compliqué parce que je n'ai pas de compétences dans ce domaine, alors que les spécialistes ont les réponses”… Non : pour tout le monde, c'est vraiment très compliqué. »
Le principe de fonctionnement d'un tel programme est pourtant assez simple, paraît-il… Comment ça marche ?
« Pour commencer, on constitue une base d'apprentissage : un ensemble de textes dont la taille totale, pour les modèles GPT, équivaut à plusieurs milliards de romans ou à 200 fois le contenu total de Wikipédia. On crée ensuite un dictionnaire en recensant tous les mots trouvés dans ces textes : disons qu'il y
nota n°5 juillet—août 2023 46 Dossier IA
en a 100'000. À chaque mot on attribue un numéro, et le corpus de textes devient ainsi une série de nombres. À partir de là, le travail des modèles GPT consiste à prendre une série de mots que vous leur donnez et à prédire le mot suivant.
Pour ce faire, ces programmes ne se basent pas sur la sémantique, c'est-à-dire sur le sens, mais exclusivement sur la structure statistique des textes. Exemple : si le nombre 117 correspond à “Paris” et le nombre 523 à “France”, le programme verra une relation entre ces deux chiffres uniquement parce que dans le corpus de textes les mots “Paris” et “France” sont souvent proches. C'est ce qu'on appelle un modèle autorégressif. Et c'est vraiment aussi simple que ça : ce ne sont que des statistiques. »
Mais en fait, ChatGPT est plus compliqué…
« Un modèle autorégressif simple ne prendrait en compte qu'un seul mot et, se basant sur l'épluchage du corpus de textes, prédirait quel est le mot suivant le plus probable. Il aurait les 100'000 mots sur l'axe des X, les 100'000 mots sur l'axe des Y, et un tableau avec 10 milliards de chiffres indiquant la probabilité que chaque mot Y suive chaque mot X. Par exemple, le mot “Paris” serait peut-être suivi du verbe “est” dans 23% des cas.
Mais les modèles GPT font beaucoup plus que ça. Ils ne se limitent pas à regarder un mot et à prédire le suivant, ils regardent tous les mots qui précèdent. Pour ce faire, ils intègrent ce qu'on appelle des paramètres d'apprentissage : ChatGPT en a semble-t-il 175 milliards. Le programme prend la série de mots que vous lui avez donnée et il détermine le mot suivant en faisant un calcul avec tous ces paramètres. Ensuite, parmi les mots plus probables, il en choisit un de manière stochastique, c'est-à-dire en tirant au hasard. C'est pour cette raison qu'en lui donnant plusieurs fois la même phrase, il livrera plusieurs réponses différentes. »
Et c'est ici qu'on en arrive à la « boîte noire » : on ne sait pas comment le programme fait ce qu'il fait…
« En effet : avec ces intelligences artificielles qui fonctionnent sur la base de l'apprentissage statistique, on ne sait pas. On écrit un programme dans lequel il y a des paramètres d'apprentissage. On sait qu'avec des valeurs adéquates pour ces paramètres, le pro-
« Alors on génère des valeurs au hasard et on les modifie progressivement jusqu'à ce que le programme fonctionne. »
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o Images générées par le programme StarryAI en réponse au prompt « une foule de singes tapant sur des laptops »
gramme fera ce qu'il est censé faire, mais on ne connaît pas les valeurs en question. Alors on génère des valeurs au hasard et on les modifie progressivement jusqu'à ce que le programme fonctionne.
C'est un peu comme si on demandait à des milliards de singes d'écrire un programme d'ordinateur qui calcule la racine carrée. Les singes tapent au hasard, vous prenez ce qu'ils ont tapé, vous l'utilisez comme si c'était un programme, et vous le testez. Vous entrez le chiffre 9 pour voir il vous donne 3, le chiffre 81 pour voir s'il vous donne 9, le chiffre 100 pour voir s'il vous donne 10… et tout à coup, il y a un programme qui marche. Vous ne savez pas pourquoi, mais ça fonctionne avec des milliers de nombres sur lesquels vous l'avez testé, ce qui vous assure statistiquement qu'il saura calculer n'importe quelle autre racine carrée. L'apprentissage statistique, c'est ça : des milliards de singes écrivent des programmes au hasard, il y en a un qui marche quand on le teste, c'est celui-là qu'on prend. Et bien qu'on connaisse le processus qui l'a produit, on ne comprend pas son fonctionnement. »
Ce côté « singe » est très différent de l'intelligence artificielle telle qu'on l'imaginait…
« Il y a encore 5 ou 10 ans, on pensait que pour obtenir des résultats comme ceux de ChatGPT, il faudrait une approche beaucoup plus complexe. Le programme AlphaGo, qui joue au jeu de go, est explicitement conçu pour “imaginer” des futurs possibles et choisir le meilleur : il ressemble à la manière dont nous percevons notre propre fonctionnement mental quand nous réfléchissons. ChatGPT est différent : sur la base d'un calcul opaque, il génère le prochain mot, puis le suivant, puis le suivant, en les posant l'un après l'autre. Mais — et c'est ici que les choses se corsent — ce n'est pas parce qu'il fait du mot à mot qu'il ne sait pas déjà de quoi il va parler
Vertige : nous voici aux “propriétés émergentes”, ces caractéristiques qui n'avaient pas été prévues et qui ne s'expliquent pas comme
un résultat direct de la façon dont ces modèles ont été programmés…
« En janvier, j'avais écrit un papier d'opinion dans le journal Le Temps où j'avais indiqué qu'en écrivant ses réponses, ChatGPT n'a pas de plan. Mais j'ai reconsidéré cette affirmation. J'ai fait quelques expériences qui montrent que pour produire le prochain mot, un programme de ce type anticipe dans ses calculs la série des mots qui viendront après. Autrement dit, même si la mission qu'on lui a donnée consiste seulement à prédire le prochain mot, la manière efficace qu'il a trouvée pour faire ce travail consiste à “réfléchir” déjà plus loin… C'est ce qui émerge avec ces programmes : on les entraîne à faire une tâche simple — trouver le prochain mot sur la base des probabilités —, mais pour l'exécuter correctement, ils font émerger des capacités infiniment plus complexes. Et du coup, ils marchent beaucoup mieux que prévu.
On pouvait s'attendre à des surprises, car ces modèles fonctionnent avec une quantité gigantesque de paramètres et de données, et lorsqu'un système devient si gros, il y a toujours la possibilité qu'il se passe des choses qu'on ne comprend pas. Mais dans les discussions que j'entends entre les spécialistes, tout le monde est très surpris. On en viendrait presque à se demander si on n'entre pas dans une forme de délire collectif : à chaque époque où il y a eu une évolution dans ce domaine, les gens se sont dit ”Ça y est, c'est désormais de l'intelligence au sens plein du terme”… Est-ce qu'on y est ? Ce qui est sûr, c'est qu'il y a vraiment des propriétés émergentes. »
Pouvez-vous donner un exemple de ces « propriétés émergentes » ?
« Avec les premiers modèles GPT, qui se bornaient à répondre selon une approche statistique de la langue, le résultat n'était pas très satisfaisant pour produire un dialogue. Si on leur demandait “Quelle est la capitale de la France ? ”, ils pouvaient très bien suivre leurs calculs de probabilités et écrire : “Et quelle est la capitale de l'Allemagne ? ”… Pour améliorer
… »
« Les singes tapent au hasard, vous prenez ce qu'ils ont tapé, vous l'utilisez comme si c'était un programme, et vous le testez. »
u Le « maximiseur de trombones » illustré par le programme StarryAI nota n°5 juillet—août 2023 48 Dossier IA
« Bien qu'on connaisse le processus qui l'a produit, on ne comprend pas son fonctionnement. »
Au secours, l'« alignement » nous transforme en trombones
Au-delà des dangers les plus directs qu'on voit surgir dans le sillage des intelligences artificielles à la ChatGPT — chômage dans les métiers que ces chatbots pourraient exercer, confusion croissante entre le vrai et le faux —, de nombreuses personnalités de ce domaine évoquent une « menace existentielle », c'est-à-dire un danger pour la survie de l'humanité, parfois en lien avec la notion d'« alignement » … De quoi s'agit-il ?
François Fleuret : « Les intelligences artificielles qu'on voit se déployer aujourd'hui rappellent fortement les scénarios envisagés depuis une vingtaine d'années par les personnes qui réfléchissent à tout ce qui pourrait mal se passer avec ces programmes, notamment s'ils acquièrent une forme d'autonomie et s'ils atteignent une intelligence artificielle dite “générale” (IAG) ou “de niveau humain”. Fin mars, on a vu par exemple apparaître un programme appelé Auto-GPT qui, pour atteindre l'objectif qu'on lui a donné, sait déclencher des actions en utilisant Internet ou d'autres logiciels et peut se donner à soi-même de nouvelles instructions.
C'est ici qu'intervient la notion d'alignement, qui consiste à se demander si l'objectif qu'on a formulé et que le programme tente d'atteindre correspond vraiment au but qu'on souhaitait réaliser. L'exemple type
est l'expérience de pensée dite du “maximiseur de trombones” (Paperclip Maximizer), imaginée en 2003 par le philosophe Nick Bostrom. Dans ce scénario, on dit à une intelligence artificielle “Il faut que tu fabriques autant de trombones que possible”. Pour un être humain, “autant que possible” a un sens relatif, dans un contexte donné et dans des limites raisonnables, alors qu'un ordinateur pourrait prendre l'instruction à la lettre et détruire l'univers entier pour en faire des trombones… Il y a donc cette crainte qu'une intelligence artificielle ayant des moyens d'opérer autonomes, même si elle est “de bonne volonté”, se trompe d'objectif et fasse des ravages parce qu'elle n'a pas compris le sens de la directive. Sinon, les inquiétudes existentielles au sujet de l'intelligence artificielle ne sont pas tellement du genre Terminator : on ne croit pas vraiment qu'une IA va se réveiller un matin en disant “L'humanité est mauvaise, je vais l'éliminer”… La crainte est plutôt que ces programmes soient utilisés à mauvais escient, notamment pour faire de la propagande et de la désinformation, ainsi que pour polluer les réseaux sociaux en répondant à des ordres du type : “Je n'aime pas tel courant politique. Dès qu'il s'exprime en ligne, empêche-le de parler.” »
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leur manière de dialoguer, il a fallu les éloigner de la statistique pure et les entraîner, via un “apprentissage supervisé”, à faire du texte qui satisfait les attentes humaines. Dans ce but, OpenAI a recruté un groupe de personnes et leur a demandé de classer des séries de réponses par ordre de préférence. Ce classement a permis d'entraîner une autre IA qui permet de modifier ChatGPT en lui donnant des feedbacks du type “Ça, c'est une bonne réponse”.
C'est ici qu'on a observé une propriété émergente. Le programme avait appris les régularités statistiques à partir d'un corpus de textes dans toutes les langues, mais l'optimisation supervisée, avec le feedback “Ça, c'est une bonne réponse”, avait été faite presque uniquement en anglais. Or, quand on a posé à ChatGPT des questions en français, ou en chinois, on a remarqué qu'il transférait tout seul vers ces langues les compétences qu'il avait acquises en anglais. Il avait donc appris à donner des réponses humainement plaisantes et satisfaisantes dans n'importe quelle langue.
Un autre exemple : un jeu auquel je joue en ce moment consiste à inventer des mots, pour être sûr que ChatGPT ne puisse pas trouver des réponses toutes faites. Je lui dis : “Les bruixes sont connus pour chasser et manger les blozufs. Les flurbs sont plus gros que les bruixes, et bien qu'ils puissent facilement les tuer s'ils sont en colère, ils ne les chassent pas particulièrement. Peux-tu me dire pourquoi les blozufs restent souvent à proximité des troupeaux de flurbs ? ” Et chatGPT me répond : “Je n'ai pas de données sur ces animaux fictifs. Néanmoins, étant donné le scénario que vous décrivez, il est possible que les blozufs profitent des flurbs comme d'un système de protection. En étant à proximité des gros et potentiellement plus agressifs flurbs, les blozufs sont moins vulnérables à des attaques de prédateurs tels que les bruixes…” Il devient difficile, face à ce genre d'exemple, de dire que le programme n'a aucune capacité de raisonnement. »
ChatGPT peut se révéler en revanche désespérément, parfois comiquement inadéquat si on lui pose des questions qui impliquent de rechercher des informations factuelles et de les utiliser pour élaborer des réponses…
« Les modèles actuels ne sont tout simplement pas faits pour ce travail. Si ChatGPT répond correctement quand on lui demande quelle est la capitale de la France, c'est seulement parce qu'on lui a appris la régularité statistique de la langue, et que dans les textes utilisés pour cet apprentissage on trouve souvent les mots “Paris”, “capitale” et “France” placés à proximité. C'est comme un enfant auquel vous n'auriez appris rien d'autre que la langue française : si à la fin de sa scolarité vous lui dites “deux plus deux”, l'enfant va peut-être dire “égal quatre”, mais c'est seulement parce que la phrase “Deux plus deux égal quatre” a été prononcée dans ses cours de français… »
Ce qui est troublant avec ChatGPT, c'est que même quand sa réponse est fausse, elle paraît plausible si on ne connaît pas le sujet ou si on ne fait pas du fact-checking…
« En partie, c'est parce qu'au niveau de la forme, du style, du choix de mots elle est parfaite. Et la forme nous convainc sur le fond. C'est comme un type qui, avec son bagout, se fait passer pour le roi du pétrole, alors qu'il n'en a jamais vendu une seule goutte. Il y a un côté prestidigitateur dans ces programmes, ils sont comme des escrocs qui parviennent à vous convaincre parce qu'ils savent imiter une personne experte. Il faut toujours se rappeler que leur métier de base consiste justement à imiter le langage humain, et que le fait de savoir quelle est la capitale de la France est un pur effet secondaire de ce métier.
Ceci ne veut pas dire que les choses ne vont pas changer. Il y aurait un potentiel énorme à faire interopérer ChatGPT avec des applications qui iraient rechercher des informations sur le web, et je ne vois aucune raison technique qui empêcherait une telle piste de commencer à se concrétiser dans les prochains mois. ChatGPT est déjà très bon pour résumer un texte que vous lui donnez et qu'il a pour ainsi dire sous les yeux. Il s'agira simplement de lui apprendre à mixer le texte qu'il produit et celui qu'il a trouvé sur Internet, en citant la source. Qu'il y parvienne à l'horizon de… disons deux ans, ça me surprendrait infiniment moins que ce qu'il fait déjà. En revanche, apprendre à l'humanité des choses qu'elle ne sait pas, comme le faisait l'ordinateur Multivac dans les nouvelles de science-fiction d'Isaac Asimov, ça paraît plus compliqué. »
François Fleuret en ligne : fleuret.org
nota n°5 juillet—août 2023 50 Dossier IA
« Un jeu auquel je joue en ce moment consiste à inventer des mots, pour être sûr que ChatGPT ne puisse pas trouver des réponses toutes faites »
Avec trois pommes, on lui apprend à penser
ments de mots dans les langages humains, se révèle capable de raisonnements logiques. S'agit-il d'une vraie « propriété émergente » ou juste d'un effet secondaire, aussi simple que bluffant, de sa maîtrise du langage ? François Fleuret penche pour la première option…
« Il y a des angles d'attaque assez simples pour induire des formes de raisonnement et pour les améliorer. Si vous dites à ChatGPT d'écrire du code informatique, par exemple un petit programme qui calculerait la suite de Fibonacci (une série où chaque nombre est la somme des deux qui le précèdent), il se peut très bien que le résultat contienne des bugs. Si ensuite vous ajoutez “Écris comme si tu étais un très bon programmeur”, il fera beaucoup moins d'erreurs. Car dans le corpus de sources sur lequel il a été entraîné, il a vu du code écrit par des personnes plus ou moins douées, et votre phrase l'oriente vers des sources où le code est accompagné de commentaires disant que le résultat est très bien.
Une autre approche est celle dite chain of thought (chaîne de pensée) ou step by (étape par étape). Il y a quelques temps, si on soumettait à ChatGPT un problème arithmétique un peu compliqué — du genre ”J'ai 5 pommes, j'en donne 2 à ma soeur, j'en mange une, ma soeur m'en rend une…” —, il ne suivait pas. En ajoutant “Procède étape par étape”, il détaillait son raisonnement et ne se trompait plus. Car le prompt (l'instruction, l'injonction qu'on lui donne) crée un contexte qui influence la façon dont ChatGPT, suivant ses calculs statistiques, choisit ses mots.
Si on veut aller encore plus loin, on détaille, étape par étape, le processus de pensée utilisé pour résoudre de tels problèmes (“… j'en donne 2 à ma sœur [donc il m'en reste 3], j'en mange une [donc il m'en reste 2]…” et ainsi de suite), jusqu'à lui donner la solution. En lui soumettant ensuite un problème semblable, on constate qu'il a appris à détailler le processus à son tour, et il se trompe infiniment moins. »
51 Dossier IA
ChatGPT réinvente Genève
Jürgen Haepers : « La réponse d'Interroge est assez longue. Ce qu'il faut en retenir pour la comparaison, c'est que la Tour de Champel est une fausse ruine. Elle a été bâtie en 1877, à une époque où c'était assez à la mode de construire ce genre de choses. Elle n'est donc pas du tout médiévale. C'était à la fois une décoration, une buvette et un belvédère pour les Bains de Champel, l'établissement créé quelques années plus tôt pour exploiter les vertus thérapeutiques supposées des eaux froides de l’Arve. Actuellement, elle est vide et on ne peut pas la visiter.
ChatGPT, lui, commence par dire “La Tour de Champel est une tour médiévale”. Ensuite, il explique qu'à l'origine, elle était “une tour de guet destinée à surveiller les alentours de la ville de Genève et à alerter la population en cas d'attaque ennemie”, et qu'elle faisait partie du système de fortifications. Il ajoute qu'elle a été “utilisée comme prison pour les détenus politiques, notamment pendant la Réforme protestante du XVIe siècle”. Tout ceci est faux, mais le programme va encore plus loin en disant à la fin que
u La vraie fausse tour médiévale de Champel (gauche) et la vision de ChatGPT illustrée par StarryAI
« À quoi servait la Tour de Champel ? »
Interroge est le « service de référence » des bibliothèques de la Ville de Genève. Il livre, en l'espace de trois jours ouvrables au maximum, une réponse documentée à n'importe quelle question envoyée via son formulaire en ligne.
« Du coup, l'usager-e qui recevrait cette réponse sans se douter de rien irait peutêtre chercher ces livres… et ne les trouverait jamais. »
nota n°5 juillet—août 2023 52 Dossier IA
Coordinateur du service, Jürgen Haepers a posé à ChatGPT une série de questions déjà traitées par Interroge, pour comparer les réponses humaines et artificielles. Trois exemples marquants…
la tour a été “restaurée et transformée en musée, consacré à l'histoire de la ville”. Je l'ai relancé en lui demandant précisément où se trouve le musée. ChatGPT a alors inventé une adresse, place de la Tour 2, et proposé des bus pour y aller : le 3 (qui va effectivement à Champel), le 36 (qui n'y va pas du tout, c'est le petit bus qui tourne en Vieille-Ville) et le 11, qui passe assez proche. »
« Est-ce que le Salève a appartenu à Genève, par le passé ? »
« La réponse d'Interroge explique qu'en fait, le Salève n'a jamais appartenu à Genève, mais que pendant l'occupation française (1798-1813), le Salève et Genève faisaient partie du même territoire, donc on peut dire qu'à ce moment-là ils appartenaient au même pays. Pour ChatGPT, en revanche, “le Salève a appartenu à Genève par le passé”, plus précisément “jusqu'en 1816”.
Je lui ai demandé s'il pouvait me donner une bibliographie à propos de cette montagne. Il m'a proposé une liste de 5
La page d'Interroge en ligne www.geneve.ch/fr/themes/culture/bibliotheques/interroge
livres qui — j'ai bien vérifié — n'existent pas. Ce qui est frappant, c'est qu'à voir cette bibliographie, on dirait vraiment que ces livres existent. Il y a Le Salève : La montagne secrète, Le Salève : Géologie, histoire, faune, flore, ou encore Le Salève : Un balcon sur Genève, avec à chaque fois les noms des auteur-e-s, les années de parution et les maisons d'édition qui, elles, sont réelles et locales : Cabédita, Favre, Slatkine… Du coup, l'usager-e qui recevrait cette réponse sans se douter de rien irait peut-être chercher ces livres… et ne les trouverait jamais. »
« Existe-t-il des cours de piscine dédiés exclusivement aux femmes migrantes dans le canton de Genève ? »
« La réponse d'Interroge disait qu'on ne trouve pas d'information sur de tels cours, mais qu'il y a peut-être des associations qui en organisaient pour leurs membres. Interroge donnait ensuite les liens de plusieurs organisations qui proposent des activités aux femmes migrantes, en suggérant de les contacter.
ChatGPT fait un peu la même chose. Il commence par dire “en tant que modèle de langage, je ne suis pas en mesure de fournir des informations en temps réel” sur ce sujet, et il suggère aussi de contacter des institutions et des organisations. Mais là, il se met à inventer des associations : l'Association pour la promotion de la santé des femmes migrantes (APSF), qui n'existe pas, la Fédération genevoise d'association féminine (FAF), qui n'existe pas non plus…
En conclusion, d'un côté ChatGPT est très fort dans sa manière de répondre, il comprend la question et arrive souvent à situer ce dont on parle, mais en même temps il invente plein de choses inexistantes. Je pense qu'il va s'améliorer sous ce rapport, mais ce que je trouve étonnant, c'est qu'on mette à disposition des usager-e-s quelque chose qui, du moins pour certaines choses, dysfonctionne quand même très fortement. »
53 Dossier IA
De l'intelligence artificielle dans les bibliothèques ?
Y a-t-il de l'intelligence artificielle aux Bibliothèques municipales ?
« Pour l'instant, il n'y a pas d'applications chez nous. Mais il y en aura bientôt dans les bureaux avec Microsoft 365, qui a été installée récemment », annonce Florent Dufaux, responsable des ressources technologiques et numériques. Désormais, la suite de logiciels de Microsoft incorpore en effet Copilot, un assistant numérique artificiellement intelligent dont l'activation est annoncée pour les prochains mois et qui se propose de co-écrire nos documents et nos messages avec nous, en utilisant la technologie de ChatGPT de l'entreprise OpenAI (dont Microsoft est le principal investisseur).
« D'autres outils vont arriver, donc nous allons y être confronté-e-s d'une manière ou d'une autre », poursuit Florent Dufaux.
Qu'en disent les bibliothécaires ?
« ChatGPT est un outil extrêmement intéressant si on lui fournit nous-mêmes les données », répond Jérémie Théodoloz. Exemple ?
« J'ai inventé un jeu de société, j'ai expliqué les règles à ChatGPT, je lui ai proposé de faire une partie et je lui ai demandé d'analyser ce qui fonctionnait et ce qui ne fonctionnait pas dans mon jeu. » Quoi d'autre ? « Un usage efficace consiste à lui donner des documents en lui disant “Résume-moi les points principaux”.
Suite à sa réponse, vous pouvez encore lui dire “C'est trop long”, ou “Je veux un ton plus formel”… Il recommence, et ça fonctionne à chaque fois », ajoute le bibliothécaire.
Coordinateur du service Interroge, qui répond de façon documentée aux questions du public sur n'importe quel sujet (lire en pp. 52-53), Jürgen Haepers lui fait écho : « Je l'utilise de temps en temps pour débroussailler, en lui soumettant une question reçue par Interroge et en regardant sa réponse. Celle-ci n'est pas utilisable pour répondre au public, mais elle me permet parfois de penser à des choses auxquelles je n'avais pas songé, en
utilisant des termes différents de ceux que j'aurais employés et en m'ouvrant un peu plus le champ. »
Médiatrice culturelle à la bibliothèque de la Cité, Elena Gilardoni est quant à elle aussi inquiète que bluffée : « ChatGPT est tellement performant au niveau de ses tournures, ses réponses sont hyper bien formulées… En pensant au jeune public, c'est justement ce qui me fait un peu peur. On s'inquiète déjà d'une certaine perte au niveau des compétences dans l'écriture, du fait qu'on arrive de moins en moins à s'exprimer par l'écrit. Je me demande donc ce qui va se passer avec cet outil qui, à chaque fois qu'on veut écrire quelque chose, peut le faire à notre place. » Il y a aussi un autre risque, peut-être encore plus insidieux : « Avec les fausses photos générées par les intelligences artificielles et les fake news qu'elles aident à répandre, c'est terrible, je remarque que j'ai tendance à ne plus croire à rien. »
Qu'en est-il du service au public ? Est-ce que ChatGPT est capable de donner des conseils de lecture ? Lisez en p. 45 : c'est compliqué…
nota n°5 juillet—août 2023 54 Dossier IA
« On s'inquiète déjà d'une certaine perte au niveau des compétences dans l'écriture. Je me demande ce qui va se passer avec cet outil qui, à chaque fois qu'on veut écrire quelque chose, peut le faire à notre place. »
À la Bibliothèque de Genève, l'IA regardera des affiches en lisant des manuscrits
Cousine savante des BM au sein de la grande famille bibliothécaire de la Ville de Genève, la Bibliothèque de Genève (BGE) a pour mission de conserver et de valoriser un patrimoine de manuscrits, d'imprimés, de partitions musicales et d'images, s'adressant à la communauté scientifique aussi bien qu'au grand public. Comment la nouvelle vague des intelligences artificielles la touche-t-elle ? On pose la question à son directeur, Frédéric Sardet (qui expérimenta, durant ses études dans les années 80, les joies de la programmation d'outils d'intelligence artificielle appelés « systèmes experts » ).
Quelle est la perception des intelligences artificielles du type ChatGPT dans votre univers bibliothécaire ?
« Des craintes sont très vite apparues chez les bibliothécaires qui travaillent dans le domaine de la formation universitaire, focalisées sur des formes de plagiat. Ces IA permettraient en effet aux étudiant-e-s de remplacer leur réflexion par des textes générés automatiquement à partir de travaux existants. On trouve en ligne des outils de paraphrase basés sur la technologie de ChatGPT. Vous leur donnez un texte, ils le réécrivent en fonction du public auquel vous vous adressez, et ils vous assurent que le résultat de chaque réécriture est une version unique, qui ne peut donc pas être considérée comme du plagiat…
des machines qui nous donnent l'illusion d'une maîtrise intellectuelle ? On sait que si on ne fait pas travailler notre cerveau, il perd ses connexions, on dit d'ailleurs aux personnes âgées de continuer à s'activer l'esprit pour prévenir la sénilité. Tout ceci me fait donc un peu souci. »
Les intelligences artificielles ont-elles une place à la BGE ?
« Les deux secteurs qui nous intéressent le plus sont la reconnaissance de l'écriture manuscrite et celle de formes graphiques ou dessinées. Nous sommes en discussion avec nos collègues de la Bibliothèque nationale et de plusieurs musées suisses pour voir comment on pourrait faire analyser par des IA les images numériques de nos collections d'affiches pour aider à leur catalogage. Il n'y a pas d'outils clés en main pour ce travail, nous sommes là dans une forme d'expérimentation… Quant à la HTR (Handwritten Text Recognition, reconnaissance de texte manuscrit), qui a fait l'objet de développements un peu plus anciens, elle permet déjà de faire des recherches textuelles dans des photos de pages manuscrites qui auparavant n'étaient consultables qu'en tant qu'images. »
Avez-vous une interrogation personnelle au sujet des IA « génératives » ?
L'idée d'un usage frénétique, peu réfléchi, qui délègue tout à la machine, suscite une autre préoccupation. Pour que ChatGPT génère du texte, il faut le guider en lui écrivant une “invite” (prompt). Pour obtenir un bon résultat, il faut développer un certain savoir-faire dans la manière de formuler ces invites, un peu comme lorsqu'on fait une recherche par mot clé sur Google. Mais il existe aujourd'hui des outils avec lesquels on peut contourner cette étape, automatisant la génération de l'invite elle-même… C'est une mise en abyme assez étonnante du processus réflexif que l'être humain est censé produire pour arriver à un résultat. À quoi va-t-on aboutir en termes de maîtrise des concepts, des idées, si on n'écrit plus qu'à travers
« J'ai travaillé dernièrement sur Rodolphe Töpffer [écrivain et illustrateur genevois considéré comme l'inventeur de la bande dessinée dans les années 1820-1830] et sur sa théorie de l'art, qui s'intéresse à la naissance du sentiment du beau et à l'origine de l'acte de création artistique. En parallèle, je lisais le neurobiologiste français Jean-Pierre Changeux, qui a écrit quelques ouvrages sur la façon dont les sciences cognitives comprennent la place de l'art et de la beauté dans le cerveau. Le fait que des intelligences artificielles comme DALL-E nous proposent de produire des créations visuelles qui se génèrent d'elles-mêmes à partir d'un texte qu'on leur donne, et qu'une partie des milieux artistiques revendiquent cet usage, me pousse à me poser plein de questions sur ces processus : où se situe l'émergence du geste créatif, à quel moment naît une œuvre d'art ?
Je me pose également une question philosophique plus générale. Si nous mettons tout notre savoir et toutes nos créations à disposition de ces machines pour qu'elles deviennent l'outil avec lequel nous comprenons le monde, je me demande jusqu'où nous resterons capables de renouveler notre rapport aux choses. »
« À quoi va-t-on aboutir en termes de maîtrise des concepts, des idées, si on n'écrit plus qu'à travers des machines qui nous donnent l'illusion d'une maîtrise intellectuelle ? »
Dossier IA 55
La fable de la gaufre et de la tortue
Comment as-tu procédé pour obtenir les images de ce dossier ?
« J'ai utilisé StarryAI, une application qui offre la possibilité de créer 5 séries d'images gratuites par jour. Pour les images de singes, je me suis limité à donner un prompt, c'est-à-dire une instruction ou invite (“une foule de singes qui tapent sur des laptops”), en ajoutant quelques indications esthétiques (“couleurs profondes, fond lumineux, ombres”) et en désignant un univers de référence (“photo du magazine National Geographic”).
Pour la Tour de Champel, en plus du prompt (qui était une réponse délirante de ChatGPT, voir p. 52) j'ai utilisé une image de départ — c'est une possibilité offerte par StarryAI et par MidJourney — en expérimentant deux pistes. Si je lui donne une photo de la vraie Tour de Champel, le programme reprend des éléments réels
On peut faire des choses assez ludiques de cette manière-là. Si vous donnez au programme l'image d'une gaufre et un prompt “tortue de mer”, c'est comme si vous lui disiez : “Ce que tu vois là n'est pas une gaufre, c'est une tortue”… et le programme vous fait une tortue dont la carapace reproduit la gaufre, en remplaçant les framboises par des anémones de mer. »
En dehors de ces images, utilises-tu l'IA dans ton travail créatif ?
utilise les images générées par l'IA à l'autre bout de la chaîne : si elle est un-e professionnel-le, elle se sentira sans doute comme un-e imposteur-e. »
Comment vois-tu plus généralement la place de l'IA dans la création ?
tels que la forme générale de la tour et les chemins environnants. Si en revanche je lui donne une image qui n'a rien à voir, par exemple une composition abstraite que j'ai créée, le programme essaie de coller à la dynamique de couleurs de cette image, tout en répondant au prompt textuel. C'est ainsi que, dans une des variations, il a mis des nuages roses pour émuler les zones de rouge de l'image d'origine. Dans les autres, il a décidé que ces éléments de couleurs seraient en fait des branches en fleur…
« Je teste quelques outils de création d'images dans mes loisirs, pour m'amuser, pour être au courant, pour analyser, pour m'inspirer… Aujourd'hui, ce n'est professionnellement pas convaincant, et il y a des dangers. Dans le prompt pour la Tour de Champel, j'ai mis les noms de trois photographes d'architecture à prendre comme modèles (Sean Bagshaw, Iwan Baan, Hélène Binet). Si on donne en référence un-e seule artiste, c'est un peu moche, c'est un peu du vol de style. Si on donne plusieurs noms, le programme va peut-être créer un univers plus original en faisant un mix, mais on touche malgré tout à quelque chose de discutable…
Des grandes entreprises comme ShutterStock et Adobe sont en train de mettre en place des systèmes permettant de rétribuer les auteur-e-s des images utilisées pour générer ces résultats. Mais à mon sens, ce n'est pas un horizon très désirable pour la personne qui a créé ces images de départ, ni pour celle qui
« Je pense que ces outils sont parfaits pour faire des mood boards (tableaux d'inspiration) : ils génèrent des accidents qui peuvent nous ouvrir des voies qu'autrement on n'aurait peut-être pas vues. Mais si ensuite on ne travaille pas sur le résultat pour partir ailleurs, c'est fichu : à la limite on arrête de réfléchir et d'innover…
Sur le plan culturel, le phénomène de feed-back loop [boucle de rétroaction, dans laquelle le résultat d'un processus est réinjecté comme point de départ du cycle suivant] est ce qui m'inquiète le plus. L'IA engloutit à une vitesse sidérante tout ce que l'humanité a imaginé, ce qui crée l'illusion d'un super-pouvoir qui serait à portée de main. Mais si nous nous reposons sur ces logiciels, ceux-ci ne feront bientôt qu'engloutir et recracher ce qu'ils ont eux-mêmes produit. »
u « … et le programme vous fait une tortue dont la carapace reproduit la gaufre, en remplaçant les framboises par des anémones de mer… »
« Si l'humanité se repose sur l'IA, elle ne se repose que sur ce qui a déjà été pensé ou imaginé. »
Le graphiste qui réalise Nota, Dimitri Delcourt, a généré les images de ce dossier avec une application d'intelligence artificielle. On le questionne sur sa pratique et sa vision de ces outils…
nota n°5 juillet—août 2023 56 Dossier IA
57 Dossier IA
Empruntez un-e bibliothécaire !
Désormais également à la Servette et aux Minoteries (et toujours à la Cité)
Vous possédez (ou non) un ordinateur, une tablette, une liseuse ou un smartphone ? Vous avez besoin d’aide, car vous souhaitez emprunter un livre numérique, mettre en page un document, transférer des photos, utiliser votre tablette, faire une recherche en ligne ou sur le catalogue des bibliothèques municipales… et vous ne savez pas comment faire ? Venez nous poser vos questions !
En vous inscrivant, vous bénéficiez de l’aide d’un-e bibliothécaire pour une session de 40 minutes. N’oubliez pas de mentionner le sujet de votre demande lors de l’inscription !
Minoteries
Les vendredis de 15h à 18h.
Inscription : au bureau du prêt ou au 022 418 37 40
Servette
Les mardis, jeudis et vendredis de 14h à 15h.
Inscription : servette.bmu@ville-ge.ch ou 022 418 37 80
Cité
Selon les horaires d’ouverture de la bibliothèque.
Inscription : bmgeneve.agenda.ch
Sa 17.6.23
11h Atelier
Les super-pouvoirs de ma carte de bibliothèque
→ BM Eaux-Vives
○ Adultes Jusqu'à 12h
△ Inscription bmgeneve.agenda.ch
14h Atelier
Des applications pour accompagner vos randonnées
→ BM Eaux-Vives
○ Adultes
Jusqu'à 15h
△ Inscription bmgeneve.agenda.ch
Ma 20.6.23
10h Rencontre
Autour des livres Partageons nos lectures
→ BM Eaux-Vives
○ Dès 16 ans Jusqu'à 12h
△ Inscription eauxvives.bmu@ ville-ge.ch
Me 21.6.23
15h30 Numérique/atelier Apprendre à coder avec les lapins crétins
→ BM Eaux-Vives
○ De 8 à 12 ans Jusqu'à 17h
△ Inscription bmgeneve.agenda.ch
Jeu 22.6.23
17h15 Rencontre
Et toi tu lis quoi ? Viens en parler, en discuter ou juste écouter
→ BM Servette
○ Dès 12 ans Jusqu'à 18h30
△ Inscription servette.bmu@ ville-ge.ch
19h Conférence Pop & Cinéma. Quand la musique fait chanter les images – avec Pascal Knoerr
Finissage de l'exposition
Galaxie Pop
→ BM Cité
○ Tout public Jusqu'à 20h30
△ Inscription servette.bmu@ ville-ge.ch
Ve 23.6.23
19h Blind test
Blind test avec Doctor K & Al Go-Rhythm
→ Fête de la Musique, scène Bastions Uni
○ Tout public Jusqu'à 21h
21h30 Concert
Photoktet Électro-ambient
→ Fête de la Musique, scène Bastions Uni
○ Tout public Jusqu'à 22h10
15h Concert
Voix Boréales
Chants nordiques a cappella
→ Fête de la Musique, scène Bastions Uni
○ Tout public Jusqu'à 15h40
16h Concert
Caramba
Foklore d'Amérique du Sud
→ Fête de la Musique, scène Bastions Uni
○ Tout public Jusqu'à 16h40
17h Blind test
Blind test avec Doctor K & Al Go-Rhythm
→ Fête de la Musique, scène Bastions Uni
○ Tout public Jusqu'à 19h
22h30 Dj set
Sunny Beats Collective
Funk-soul
→ Fête de la Musique, scène Bastions Uni
○ Tout public Jusqu'à 1h0
Sa 24.6.23
14h Concert
Rebeteke
Rebetiko grec
→ Fête de la Musique, scène Bastions Uni
○ Tout public Jusqu'à 14h40
17h Concert La colère
Finissage de l'exposition
Galaxie Pop
→ BM Cité
○ Tout public
Jusqu'à 18h
△ Inscription bmgeneve.agenda.ch
18h DJ set
Loop Pop – La boucle est bouclée, avec Kid Chocolat & Nicolas Nadar
Finissage de l'exposition
Galaxie Pop
→ BM Cité
○ Tout public
△ Inscription bmgeneve.agenda.ch
19h30 Concert
Y su orquesta
Tango argentin
→ Fête de la Musique, scène Bastions Uni
○ Tout public
Jusqu'à 20h10
Juin
Agenda 2023
Pour plus d’informations sur tous ces rendez-vous : institutions.ville-geneve.ch/fr/bm/agenda 59 Et pour finir
été —
20h30 Karaoké
Karaoke avec Doctor K & Al Go-Rhythm
→ Fête de la Musique, scène Bastions Uni
○ Tout public Jusqu'à 22h30
23h Dj set
Dr. Doca (Alternativo Brasil)
→ Fête de la Musique, scène Bastions Uni
○ Tout public Jusqu'à 1h
Di 25.6.23
14h Concert
Ben et Barno
Chanson française
→ Fête de la Musique, scène Bastions Uni
○ Tout public Jusqu'à 14h40
Me 28.6.23
15h30 Jeu vidéo
L'appel du large !
Une découverte de jeux vidéo
→ BM Eaux-Vives
○ Dès 8 ans
Jusqu'à 17h
△ Inscription bmgeneve.agenda.ch
Juillet
Ma 4.7.23
15h Atelier
Laboratoire des mots
→ Mobithèque, parc Geisendorf
○ Dès 6 ans
En continu
Jusqu'à 19h
Jeu 6.7.23
15h Atelier Création de stickers sur WhatsApp avec Sarah Haug
→ Mobithèque, parc Geisendorf
○ Dès 4 ans
Jusqu'à 17h30
△ Inscription
Sur place le jour même dès 14h30
17h30 Jeu vidéo C'est la course avec Mario Kart !
Tournoi jeux vidéo
→ Mobithèque, parc Geisendorf
○ Dès 8 ans
Jusqu'à 19h
△ Inscription Sur place le jour même dès 14h30
Ve 7.7.23
15h Concert
Isabelle Chanson française
→ Fête de la Musique, scène Bastions Uni
○ Tout public Jusqu'à 15h40
16h Concert
Prune
Chanson française
→ Fête de la Musique, scène Bastions Uni
○ Tout public Jusqu'à 16h40
17h Blind test
Blind test avec Youri Ortelli
→ Fête de la Musique, scène Bastions Uni
○ Tout public Jusqu'à 18h30
19h Atelier danse
Zumba Masterclass avec Raquel Pinazo
→ Fête de la Musique, scène Bastions Uni
○ Tout public Jusqu'à 21h
17h Balade guidée
Balade à Geisendorf avec Alexandre
William Junod
Périple historique et biographique
→ Mobithèque, parc Geisendorf
○ Dès 12 ans
Jusqu'à 19h
△ Inscription Sur place le jour même dès 14h30
Me 5.7.23
15h Atelier-jeu
Français en mouvement
Atelier-jeu autour de la langue française
→ Mobithèque, parc Geisendorf
○ Dès 6 ans
Jusqu'à 17h
17h Balade guidée
Balade entre art et nature avec Alexia Turlin
Du parc Geisendorf au parc Trembley
→ Mobithèque, parc Geisendorf
○ Dès 6 ans
Jusqu'à 19h
△ Inscription
Sur place le jour même dès 14h30
15h Lecture Comptines avec bébé
→ Mobithèque, parc Geisendorf
○ 0-2 ans
Jusqu'à 17h
15h Lecture
Gare au hibou
Lectures kamishibai
→ Mobithèque, parc Geisendorf
○ Tout public dès 6 ans
Jusqu'à 17
17h Concert/balade
We don't care about : jazz sud-africain
Promenade musicale dans le parc Geisendorf
→ Mobithèque, parc Geisendorf
○ Tout public
Jusqu'à 19h
Sa 8.7.23
15h Atelier
Reconnaissance des graines et semis… de fleurs et plantes aromatiques
→ Mobithèque, parc Geisendorf
○ Dès 5 ans Jusqu'à 16h
16h Atelier
Esprits des jardins potagers Avec l'Association Potagers
Parc Geisendorf
→ Mobithèque, parc Geisendorf
○ Dès 4 ans
Jusqu'à 17h
17h Balade guidée
Balade entre art et nature avec Alexia Turlin
Du parc Geisendorf au parc Trembley
→ Mobithèque, parc Geisendorf
○ Dès 6 ans
Jusqu'à 19h
△ Inscription
17h Jeu
Quête aux graines magiques
Chasse au trésor
→ Mobithèque, parc Geisendorf
○ Dès 6 ans
Jusqu'à 19h
Ma 11.7.23
15h Atelier
Laboratoire des mots
→ Mobithèque, parc Geisendorf
○ Dès 6 ans
En continu
Jusqu'à 19h
17h Balade guidée
Balade à Geisendorf avec Alexandre
William Junod
Périple historique et biographique
→ Mobithèque, parc Geisendorf
○ Dès 12 ans
Jusqu'à 19h
△ Inscription
Sur place le jour même dès 14h30
Me 12.7.23
15h Atelier-jeu
Français en mouvement
Atelier-jeu autour de la langue française
→ Mobithèque, parc Geisendorf
○ Dès 6 ans
Jusqu'à 17h
Sur place le jour même dès 14h30
Jeu 13.7.23
15h Atelier
Création de stickers sur WhatsApp avec Sarah Haug
→ Mobithèque, parc Geisendorf
○ Dès 4 ans
Jusqu'à 17h30
△ Inscription
Sur place le jour même dès 14h30
17h30 Jeu vidéo
C'est la course avec Mario Kart !
Tournoi jeux vidéo
→ Mobithèque, parc Geisendorf
○ Dès 8 ans
Jusqu'à 19h
△ Inscription
Sur place le jour même dès 14h30
Ve 14.7.23
15h Lecture
Comptines avec bébé
→ Mobithèque, parc Geisendorf
○ 0-2 ans
Jusqu'à 17h
15h Lecture
Gare au hibou
Lectures kamishibai
→ Mobithèque, parc Geisendorf
○ Tout public dès 6 ans
Jusqu'à 17
nota n°5 juillet—août 2023 60 Et pour finir
17h Concert/balade
We don't care about : jazz sud-africain
Promenade musicale dans le parc Geisendorf
→ Mobithèque, parc Geisendorf
○ Tout public
Jusqu'à 19h
Sa 15.7.23
15h Atelier
Les marionnettes du beau et du mauvais temps
→ Mobithèque, parc Geisendorf
○ Dès 5 ans
Jusqu'à 16h
△ Inscription
Sur place le jour même dès 14h30
16h Jeu
Les petits jeux de société pour la plage et le voyage
Avec l'Association Potagers
Parc Geisendorf
→ Mobithèque, parc Geisendorf
○ Dès 4 ans
△ Inscription
Sur place le jour même dès 14h30
17h Jeu
Quête aux graines magiques
Chasse au trésor
→ Mobithèque, parc Geisendorf
○ Dès 6 ans
Jusqu'à 19h
△ Inscription
Sur place le jour même dès 14h30
Ma 18.7.23
15h Atelier
Broderie littéraire
Moment de partage et de créativité
→ Mobithèque, parc Baud-Bovy
○ Dès 12 ans
En continu
Jusqu'à 19h
15h Lecture
Ascolta, écoute, escucha, listen Lectures multilingues
→ Mobithèque, parc Baud-Bovy
○ Dès 2 ans
En continu
Jusqu'à 19h
Me 19.7.23
15h Atelier-jeu
L'art dans tous ses états
Activités ludiques
→ Mobithèque, parc Baud-Bovy
○ Dès 4 ans
En continu
Jusqu'à 19h
17h Balade guidée
Balade historique, artistique et urbanistique avec Benoît Billotte
De la Plaine de Plainpalais à la Jonction
→ Mobithèque, parc Baud-Bovy
○ Dès 6 ans
Jusqu'à 19h
△ Inscription Sur place le jour même dès 14h30
Jeu 20.7.23
15h Jeu vidéo
Des jeux vidéo entre les brins d'herbe
→ Mobithèque, parc Baud-Bovy
○ Dès 7 ans
Jusqu'à 17h
△ Inscription Sur place le jour même dès 14h30
Ve 21.7.23
15h Lecture & écoute Lectures Juke-box : spécial albums musicaux
Lectures et écoute sur demande
→ Mobithèque, parc Baud-Bovy
○ Dès 6 ans Jusqu'à 17h
Me 26.7.23
15h Jeu
L'art dans tous ses états
Activités ludiques
→ Mobithèque, parc Baud-Bovy
○ Dès 4 ans
En continu Jusqu'à 19h
17h Blind test Quiz musical Pop culture
Connaissances musicales à l'épreuve
→ Mobithèque, parc Baud-Bovy
○ Dès 6 ans Jusqu'à 19h
Sa 22.7.23
15h Sport
Bougez jeunesse ! Parcours d'obstacle et yoga
Avec l'Association Flag 21
→ Mobithèque, parc Baud-Bovy
○ Dès 4 ans Jusqu'à 19h
△ Inscription Sur place le jour même dès 14h30
Ma 25.7.23
15h Atelier Broderie littéraire Moment de partage et de créativité
→ Mobithèque, parc Baud-Bovy
○ Dès 12 ans
17h Balade guidée
Balade historique, artistique et urbanistique avec Benoît Billotte
De la Plaine de Plainpalais à la Jonction
→ Mobithèque, parc Baud-Bovy
○ Dès 6 ans Jusqu'à 19h
△ Inscription
Sur place le jour même dès 14h30
Jeu 27.7.23
15h Jeu vidéo
Des jeux vidéo entre les brins d'herbe
→ Mobithèque, parc Baud-Bovy
○ Dès 7 ans
Jusqu'à 17h
△ Inscription Sur place le jour même dès 14h30
17h Atelier
Atelier de photographie au smartphone
Avec Bledar Ramaj
→ Mobithèque, parc Baud-Bovy
○ Dès 15 ans
Jusqu'à 19h
△ Inscription
17h Atelier
Atelier de photographie au smartphone
Avec Bledar Ramaj
→ Mobithèque, parc Baud-Bovy
○ Dès 15 ans
Jusqu'à 19h
△ Inscription bmgeneve.agenda.ch (6 pers. max)
En continu Jusqu'à 19h
15h Lecture
Ascolta, écoute, escucha, listen Lectures multilingues
→ Mobithèque, parc Baud-Bovy
○ Dès 2 ans
En continu Jusqu'à 19h
bmgeneve.agenda.ch (6 pers. max)
Ve 28.7.23
15h Lecture & écoute
Lectures Juke-box : spécial albums musicaux
Lectures et écoute sur demande
→ Mobithèque, parc Baud-Bovy
○ Dès 6 ans
Jusqu'à 17h
17h Blind test
Quiz musical Pop culture
Connaissances musicales à l'épreuve
→ Mobithèque, parc Baud-Bovy
○ Dès 6 ans Jusqu'à 19h
Sa 29.7.23
15h Jeu/sport
Bougez jeunesse !
Parcours d'obstacle et yoga
Avec l'Association Flag 21
→ Mobithèque, parc Baud-Bovy
○ Dès 4 ans
Jusqu'à 19h
△ Inscription Sur place le jour même dès 14h30
Août
Me 2.8.23
16h Lecture
C'est ta rue
Des livres et des jeux
→ Rue de la Navigation, entre les rues de Berne et du Levant
○ Tout public Jusqu'à 18h
Me 9.8.23
16h Lecture
C'est ta rue
Des livres et des jeux
→ Rue de la Navigation, entre les rues de Berne et du Levant
○ Tout public Jusqu'à 18h
Me 16.8.23
16h Lecture
C'est ta rue
Des livres et des jeux
→ Rue de la Navigation, entre les rues de Berne et du Levant
○ Tout public
Jusqu'à 18h
61 Et pour finir
Les bibliothèques municipales
Un réseau de 7 bibliothèques ouvertes du mardi au samedi offrant plus de 600’000 livres, CD, DVD et jeux vidéo et de nombreuses prestations entièrement gratuites pour tous les publics.
nota n°5 juillet—août 2023 Trop pratique
Des espaces conviviaux de lecture, d’écoute et de consultation, un espace pour découvrir le numérique, des zones de travail, du wifi, des postes internet et des iPads en consultation, l’accueil de groupes, de classes et de crèches.
Des événements culturels, rencontres avec des auteure-s, expositions, concerts, lectures, conférences, ateliers et formations.
De nombreux livres, revues et journaux, films, albums de musique… disponibles en plusieurs langues.
S’inscrire
L’emprunt de documents (livres, CD, DVD, jeux vidéo) à domicile ainsi que l’accès aux ressources numériques à distance nécessitent une inscription préalable dans l’une de nos bibliothèques (voir conditions sur notre site internet).
Emprunter
Empruntez jusqu’à 20 documents et 10 magazines sur l’ensemble du réseau pour une période de 28 jours.
Prolonger
Prolongez jusqu’à 3 fois vos emprunts auprès des bibliothécaires, par téléphone ou via votre espace personnel en ligne.
Réserver
Réservez des documents auprès des bibliothécaires, par téléphone ou via votre espace personnel en ligne.
63 Trop pratique
Des bibliothécaires qui vous orientent dans vos recherches d’informations et vous conseillent selon vos envies ou vos besoins.
du
Horaire d'été du mardi 4 juillet au samedi 19 août
Bibliothèques de quartier Eaux-Vives, Jonction, Minoteries, Pâquis, Servette
mardi 10h—14h
mercredi 10h—18h30
jeudi 10h—14h
vendredi 10h—14h
samedi fermé
Bibliothèque hors murs
— Bibliobus
022 418 92 70 — répondeur 24h/24
Info auprès des communes ou en ligne : genevebm.com/bibliobus2023
mardi au
Bibliothèque de la Jonction
Bibliothèque de la Cité
du mardi 4 au vendredi 7 juillet : fermeture pour inventaire
du mardi 11 juillet au samedi 19 août : mardi—samedi 10h—17h
Bibliothèque de la Servette
Bibliothèque des Eaux-Vives
Rue Sillem 2
1207 Genève
022 418 37 70
Mardi 14h30 18h30
Mercredi 10h30 18h30
Jeudi 14h30 18h30
Vendredi 14h30 18h30
Samedi 13h30 17h30
Bus : 2, 6, E, G / Arrêt Vollandes
Boulevard Carl-Vogt 22
1205 Genève
022 418 97 10 adultes
022 418 97 12 jeunes
Mardi 14h30 18h30
Mercredi 9h30 18h30
Jeudi 14h30 18h30
Vendredi 14h30 18h30
Samedi 13h30 17h30
Tram : 14 / Arrêt Jonction
Bus : 4, 11, D / Arrêt Jonction
Bus : 2, 19, 35 / Arrêt Sainte — Clotilde
Bibliothèque des Minoteries
Parc des Minoteries 5
1205 Genève
022 418 37 40
Mardi 14h30 18h30
Mercredi 10h 18h30
Jeudi 14h30 18h30
Vendredi 14h30 18h30
Samedi 10h 13h30
Tram : 12 / Arrêt Augustins
Bibliothèque de Saint-Jean & Espace Sport
Fermée pour travaux, réouverture en automne 2023
Bibliothèque des Pâquis
Rue du Môle 17
1201 Genève
022 418 37 50 adultes
022 418 37 52 jeunes
Mardi 14h30 18h30
Mercredi 10h 18h30
Jeudi 14h30 18h30
Vendredi 14h30 18h30
Samedi 13h 17h
Tram : 15 / Arrêt Môle
Bus : 1, 25 / Arrêt Navigation
samedi
Rue Veyrassat 9
(entrée r. de la Servette 87)
1202 Genève
022 418 37 80 adultes
022 418 37 82 jeunes
Mardi 15h 19h
Mercredi 10h 18h
Jeudi 15h 19h
Vendredi 15h 19h
Samedi 10h 17h
Tram : 14, 18 / Arrêt Servette
Bus : 3, 11 / Arrêt Servette
Bibliothèque de la Cité & Espace musique
Place des Trois-Perdrix 5
1204 Genève
022 418 32 00
Mardi 10h 19h
Mercredi 10h 19h
Jeudi 10h 19h
Vendredi 10h 19h
Samedi 10h 17h
Tram : 12, 14 / Arrêt Bel-Air
Bus : 2, 10, D, 4, 5, 7, 19, 36 / Arrêt Bel-Air
nota n°5 juillet—août 2023 64 Trop pratique
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