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à 31 La folle histoire du Rambo breton

DOSSIER

LA FOLLE HISTOIRE DU RAMBO BRETON

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IL Y A DIX ANS ÉTAIT TOURNÉ EN CENTRE-BRETAGNE « L’ÉCHANGE », UN OVNI CENSÉ PROPULSER LA CARRIÈRE DE SON ACTEUR PRINCIPAL. SAUF QUE RIEN NE S’EST PASSÉ COMME PRÉVU ET L’ÉPHÉMÈRE STAR EST AUJOURD’HUI PORTÉE DISPARUE.

anrivain, son enclos paroissial, son ossuaire du 15e siècle (assez dingo, on recommande), sa forêt, son lac, son manoir et ses 450 habitants, moitié moins qu’il y a 50 ans. Parmi eux, Jérôme et Virginie, tenanciers du seul commerce de la petite commune en souffrance. Installés dans la cuisine de leur bar-resto autour d’un café en ce début d’après-midi, les restaurateurs soufflent sur leurs tasses. « Ici tu sais, il ne se passe pas grand-chose… La vie passe au ralenti, alors quand un truc sort de l’ordinaire c’est l’événement. » Comme il y a dix ans, lorsque le village costarmoricain a été secoué pendant un mois par les pétarades du tournage de L’Échange. À l’évocation du film, le visage de Jérôme s’illumine. « C’était extraordinaire. Enfin de l’action, chez nous ! » Virginie sa compagne, par ailleurs correspondante de presse pour Ouest-France, abonde : « J’avais écrit pas mal de papiers sur le sujet à l’époque, Lanrivain faisait les gros titres de la presse. Rien que pour ça on peut remercier Jacques : il a amené de l’animation. Un sacré foutoir, même ! » Jacques, c’est Jacques Stival, un gars du coin. Agriculteur de métier, comme beaucoup ici. Sauf qu’il n’est pas vraiment comme tout le monde, le Jacques. « C’est un vrai phénomène, glousse Virginie. Dieu sait pourquoi mais il s’est rêvé en star alors il a eu l’idée un peu folle de monter un film à sa sauce, chez lui. En se donnant bien sûr le premier rôle ! » Le pitch de son film,

Mickaël Mongin

le voici : un groupe de terroristes au service d’une mystérieuse organisation russe kidnappe le fils de la ministre de la Défense dans sa salle de classe, un rapt organisé dans le but d’obtenir un dossier contenant le concept d’une nouvelle arme redoutable. En clair, un mauvais scénario de série Z d’action. Dans cette version cheap de James Bond, le héros providentiel n’est pas un agent 007 mais… exploitant agricole. Parfaitement. Un dénommé Jack (sic) – joué par Jacques Stival vous l’aurez deviné –, ancien des services secrets reconverti dans la culture du maïs, que la ministre éplorée vient chercher en hélico en plein ensilage (véridique) pour sauver son fils. Sans trop déflorer l’intrigue (assez mince), on apprend vite que Benjamin, le gamin enlevé, est aussi le fils de Jack. Car Jack et la ministre se sont connus intimement par le passé. Après tout, pourquoi pas. Par devoir mais surtout par amour des gros flingues et des EXPLOSIOOOOONS, Jack finit donc par accepter la mission et s’en va défourailler du Ruskov pour sauver l’héritier. « Franchement

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«Il disait connaître Stallone et Sharon Stone...»

le scénario n’est pas bon mais distoi que c’était pire encore dans sa version initiale, avoue en se marrant Mickaël Mongin, le réalisateur du nanar. Stival nous avait pondu un texte de quelques pages, très premier degré, avec de quoi tenir même pas vingt minutes. On a fait comme on a pu pour le gonfler de manière à ce que ça fasse un long métrage comme c’était prévu. » Rembobinage dix ans en arrière. Été 2011, Mickaël Mongin, cinéaste débutant originaire d’Aix-enProvence, se voit contacter par le fameux Jacques Stival qui lui parle de son projet de tourner un ambitieux film d’action. « Une histoire façon Rambo mais en Bretagne, la suite d’un premier court métrage qui s’appelait Le Missionnaire et dans lequel il jouait déjà une sorte de justicier à gros muscles. Un petit film amateur auquel j’avais participé comme assistant-cam’. Il faut croire que Jacques avait apprécié mon travail pour me solliciter de nouveau. J’avais 26 ans, je me suis dit que c’était une putain d’opportunité à saisir. » Pour s’entourer, Mongin sollicite des connaissances du milieu, membres d’un forum de vidéastes amateurs, tous inexpérimentés. « À la base, c’est une communauté Internet de passionnés de cinéma, la vingtaine, un peu geek. Mickaël nous parle de ce projet qui lui a été confié et voilà comment je débarque en Bretagne », raconte Thomas Duphil, embauché comme assistant effets spéciaux. Cadreur du film, Guillaume Pierret se souvient : « Ce tournage a été une grosse colonie de vacances. On ne posait pas trop de questions sur Jacques qui avait ce curieux double rôle de producteur et acteur principal. Pour nous, c’était surtout un passionné juste un peu plus âgé et avec un peu de thunes à dépenser. » Bien vite cependant, la petite bande comprend que le dénommé Jacques Stival est un drôle de coco. « Déjà, il ne s’appelle pas Jacques Stival mais Jacky Bouédo. Stival, c’est un nom d’emprunt pour faire l’acteur », corrigent Jérôme et Virginie, dont le resto sert de cantine à l’équipe à l’automne 2011. S’il est bien agriculteur de profession, difficile de démêler le vrai de la légende qu’il s’est construit pour se faire mousser. Des articles d’époque parlent ainsi de lui comme d’un miraculé ayant survécu à pas moins de 28 opérations du cœur dans son enfance, d’un bodybuilder multi-médaillé, mais aussi d’un recordman du monde de labour (50 heures d’affilée à tracer des sillons dans un champ, oui ce genre de concours existe) et d’un entrepreneur ayant un temps monté des exploitations agricoles en Afrique. « Le coup de la chirurgie cardiaque, j’ai envie d’y croire car il a bien de grosses cicatrices au niveau du torse. Pour le reste… Impossible de savoir avec Stival ! », peine à décrypter Mickaël Mongin, qui a surtout bien galéré à financer le film qui lui avait été confié. « Stival parlait dans la presse d’un budget de 4 millions d’euros mais c’est du gros délire. Si j’ai bien calculé, ça a coûté 80 000 euros grand max, essentiellement en défraiement et location de matos. Et encore, il a fallu réclamer. L’argent était une question un peu taboue, de ce que j’en sais Stival payait de sa poche et tapait à droite à gauche. Il disait qu’il y avait des financiers derrière mais c’était du mytho, comme toujours. » Guillaume Pierret ajoute : « Perso j’ai touché 1000 euros, dont 500 en cash, pour un mois de tournage. Mais c’est vrai que c’était très difficile de composer avec un gars qui racontait tout et surtout n’importe quoi. Un jour il disait connaître Stallone, un autre c’était Van Damme, le lendemain il était en contact avec Sharon Stone… » Yves-René Bonjour, comédien guingampais recruté sur

casting (« J’avais fait de la figuration pour Les Cordier juge et flic, ça a dû jouer en ma faveur »), confirme : « Il parlait aussi d’un caméo qu’allait faire Depardieu, puis Belmondo et même Yves Montand (mort en 1991, ndlr) ! C’était un entubeur de première, il a carotté tout le monde avec son film qui allait soi-disant tout casser au box-office. Et puis, faut voir ses talents d’acteur… Il jouait comme un cochon. Mais au moins, on a pris du bon temps et j’ai fini par toucher mes 120 euros pour trois jours de tournage. »

« Jouer du biceps »

Pour ce qui est de la rigolade, toute la bande est unanime. « C’était une ambiance de copains, façon film de fin d’études, très cool », se remémore Stephen Scardicchio, qui joue Igor, l’un des méchants Russes. « On a fait bloc autour de Mickaël qui a porté le film à bout de bras, salue Thomas Duphil aux effets spéciaux. On dormait dans un gîte pas loin, c’était chouette. Et tous les soirs on se retrouvait à manger chez Jérôme et Virginie. » Par manque d’acteurs disponibles, Jérôme est même sollicité à l’arrache pour jouer son propre rôle dans une scène tournée au resto. « On voyait que ces jeunes s’amusaient bien à faire leur film, c’était un jeu pour eux », se rappelle avec tendresse le barman-cuistot. Pendant trente jours, le tournage s’enchaîne dans le bourg de Lanrivain, mais aussi dans une forêt voisine, sur le site d’une ancienne imprimerie désaffectée ainsi qu’à la mairie de Guingamp reconvertie en ministère de la Défense. Clou du spectacle, un hélicoptère est loué pour quelques scènes d’action, dont la plus épique : Stival sautant dans la benne d’un camion en mouvement. « Tout ce qui pouvait lui permettre de se mettre en avant lui convenait. Ce qu’il voulait, c’était jouer du biceps. Il avait aussi des vraies armes avec lesquelles il tirait à blanc, ça avait l’air de le défouler. Pour le reste bizarrement il s’est assez vite désintéressé du tournage », indique Damien Leconte, acteur jouant le rôle de Jo, le garde du corps de la ministre et le bras droit de Jack. « Quand on le convoquait à 8 h du matin il se pointait à 11h sans connaître son texte… Il était comme ailleurs. On s’est rendu compte que c’était moins un passionné de ciné qu’on ne pensait », confirme Mickaël Mongin.

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«Binious et mitraillettes: faut imaginer l’ambiance»

Le tournage achevé, tout le monde quitte Lanrivain, au grand dam de Jérôme et Virginie qui auraient bien vu la fête continuer. « Entre les sandwichs du midi et les repas du soir pour une dizaine de convives, ça nous a fait gagner un an de compta. Même s’il a fallu lui réclamer, Jacques a fini par nous payer. » Bénévolement par contre, Mickaël Mongin se tape l’intégralité du montage du film. Cinq mois de travail de post-production pour rien ou presque, car le film ne trouvera pas de distributeur. Seules quelques avant-premières sont effectuées dans les cinémas du coin (Carhaix, Guingamp...) et surtout à Paris, où Stival parvient à organiser une projection au prestigieux Gaumont Opéra le 24 janvier 2013. « Un moment légendaire, se gondole Guillaume Pierret. Il nous a fait un délire narcissique en débarquant en Ferrari rouge dans un costard trop petit pour lui. » « C’était mon costard !, intervient Yves-René Bonjour. Un Yves-Saint-Laurent que je lui avais prêté au moment du casting et qu’il ne m’a jamais rendu, le salopard ! » Damien Leconte a un fourire en revoyant Stival « fier comme un pape, comme un enfant dans un JouéClub ». Quelques vedettes ont même répondu à l’invitation pour jouer les pique-assiettes, parmi lesquelles Cindy de Secret Story, Gérald Dahan, Benjamin Castaldi, Daniel Prévost, Laury Thilleman… Du lourd. « Il y avait aussi Bernard Menez qui m’a pris pour un vrai Russe, il pensait que je ne parlais pas français ! », rigole Stephen Scardicchio. Mais le plus fort est encore à venir : alors que dans la salle la projection s’apprête à débuter, de faux agents du GIGN cagoulés déboulent des coulisses pour simuler une prise d’otage et vont même jusqu’à tirer à blanc avec de vrais fusils. « Une idée de Jacques, évidemment, s’amusent Jérôme et Virginie, venus avec d’autres habitants de Lanrivain et des communes environnantes dans un car spécialement affrété pour l’occasion. Entre les binious et les mitraillettes, faut imaginer l’ambiance… Un truc pareil, jamais ça ne pourrait se faire aujourd’hui, c’était avant les attentats de 2015… » Passée cette épique présentation, le film en lui-même ne restera pas dans les mémoires de ceux qui l’ont vu. Même son réalisateur Mickaël Mongin reconnaît ses faiblesses. « Il souffre de gros problèmes d’étalonnage, c’est assez faiblard comme rendu, niveau direct-to-DVD max… Je comprends qu’il n’ait pas trouvé de distributeur. »

« On est tous restés potes »

Plus indulgent avec son ami, Thomas Duphil estime le rendu final « plutôt honnête étant donné les moyens à disposition ». L’essentiel est ailleurs : depuis ce mois fou-fou-fou passé en centre-Bretagne, la fine équipe de L’Échange ne s’est jamais perdue de vue (« On est tous restés potes, c’est la belle morale de cette histoire », se félicite Stephen Scardicchio). Tous continuent d’ailleurs de travailler dans le milieu. L’an dernier, le film d’action Balle Perdue réalisé par l’ancien cadreur Guillaume Pierret a même été l’un des gros cartons de la plateforme Netflix, avec notamment Mickaël Mongin parmi l’équipe technique et de petits rôles tenus par Damien Leconte et Stephen Scardicchio… Quant à Jacques Stival, redevenu Jacky Bouédo, il a remisé

la Ferrari au garage et a complètement disparu de la circulation, non sans un dernier coup d’éclat en 2015 lorsque la presse people annonçait son mariage avec Natacha Amal, actrice de la série Femmes de loi dont il a divorcé quatre ans plus tard. Auparavant en 2014, il s’était également fait remarquer en écopant de trois mois de prison avec sursis et 18 850 euros d’amende pour de l’argent prêté jamais rendu malgré une reconnaissance de dettes. Des soucis financiers – encore – survenus alors qu’il s’était lancé à corps perdu dans le projet mort-né de Mercenaires, un deuxième long métrage qu’il comptait produire toujours en centre-Bretagne, avec évidemment lui-même en vedette. Malgré toute sa bonne volonté, un budget annoncé de 26 millions d’euros (!) et cette fois Salma Hayek en prétendue guest-star, pas une minute de ce film ne sera tournée. Conclusion de Mickaël Mongin : « S’il voulait faire du cinéma, il faut croire que le cinéma ne voulait pas de lui. »

Régis Delanoë

Mickaël Mongin

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