Ardennes & Alpes n°223

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Ardennes Alpes

#223 / 1er trimestre 2025

Sébastien Berthe dans le Dawn wall

Parc du Yosemite, Étas-Unis

WAOUW, il l’a fait !

Il y en a un qui a surpris la planète de la grimpe en appliquant la consigne de repartir du bon pied que je vous invitais à suivre en septembre 2024.

Après 14 jours de bataille, accompagné de Soline Kentzel, Sébastien Berthe (AKA sebertheclimber) est le 4e au monde à avoir gravi le big wall le plus difficile du monde !

Ça méritait bien une ovation dans cet édito.

C’est à un tournant de sa vie que Tommy Caldwell a imaginé cette voie de 32 longueurs sur El Capitan, dans le Yosemite. Si vous ne l’avez pas encore fait, je vous invite à voir le film « The Dawn Wall ». Il aura fallu 19 jours à Tommy Caldwell et son partenaire Kevin Jorgeson pour en venir à bout en janvier 2015.

En novembre 2016, Adam Ondra fidèle à lui-même en a fait également l’ascension en seulement 8 jours.

À l’image de cet exploit, le CAB se lance de nouveaux défis pour 2025. Espérons que l’on ne finira pas avec les pieds et les mains en sang.

Une nouvelle année a commencé, une autre s’achève. 2024 est derrière nous, l’heure des bilans est venue.

De nombreux évènements se préparent parmi lesquels la coupe de Belgique jeunes de bloc (U15 & U17) en avril et la coupe d’Europe de bloc du mois de mai à Bruxelles.

édito

Dans ce numéro 223 de votre Ardennes & Alpes :

• Alexis nous présente À Bloc qui devient un nouveau cercle du CAB. Le camp de base fait le bilan carbone du Master Of Fire (MOF pour les habitués).

Marianne nous emmène 5 mois en voyage pour parcourir le Pacific Crest Trail aux États-Unis.

Marie, accompagnée de jeunes en décrochage scolaire, nous raconte un voyage intérieur en Laponie.

Nina de Koeijer et Simon Castagne se lancent dans l’ascension de parois légendaires au Groenland.

• Stephy nous fait le récit d’un an de voyage à vélo en famille en Europe.

• Le noyau Alpi nous présente la Belgian Mountaineering Community (BMC).

• Deux participants de l’expédition en Italie du noyau Alpi nous racontent leurs aventures en cascade de glace.

• Georges poursuit son Rêve blanc.

• L’équipe nous fait part du topo du Rocher des Surdents (un nouveau site).

Que ce soit sur un big wall, sur un vélo, ou à travers un voyage intérieur, l’aventure et le dépassement de soi restent au cœur de nos passions. Bonne lecture et excellente année 2025 !

YANN LEFRANÇOIS Président du CAB

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Après un séjour chez les trails angels de San Diego, bénévoles qui aident de multiples manières les thru-hikers à réaliser leur périple, nous arrivons au point de départ, le « Southern Terminus » à Campo. La frontière mexicaine nous toise de toute sa hauteur, se voulant impressionnante.

Sommaire

EXPÉDITION EN LAPONIE

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Le plan, c’est un voyage de 21 jours dans le Grand Nord avec 5 jeunes en décrochage scolaire, deux éducatrices du SAS et deux guides. Avant le voyage, on aura trois semaines pour rencontrer les jeunes et les préparer au mieux à ce qui les attend.

VERTICAL GREENLAND

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Geoffroy De Schutter © 2024 Simon Castagne © 2024 Steph Poncin © 2025

Le Tasermiut Fjord ou le fantasme de tout grimpeur, lieu du saumon à profusion et des aurores boréales, le cadre à lui seul invite à la contemplation. En bordure de l’Inlandsis, la deuxième plus grande calotte glaciaire au monde, ce fjord où dérivent les icebergs est long de plus de 70 km. Il est bordé d’immenses faces rocheuses plus hautes encore que celles du Yosemite.

NEZ DANS LE GUIDON

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Driiiiiing ! 6 h 45. Le réveil sonne. La course pour arriver à l’heure à la crèche […]. C’est le nez dans le guidon, les yeux plissés et en mode turbo qu’on s’élance, en retard. Comme toujours. Alors, un soir où les enfants sont étonnamment tôt au lit, on déplie la carte d’Europe à vélo […]. On commence à tracer nos rêves et à regarder le calendrier.

5 Un nouveau cercle d’escalade de bloc au sein du Club Alpin Belge

6 La Coupe d’Europe de Bloc 2025 fait escale à Bruxelles

Un rendez-vous à ne pas manquer !

7 Le camp de base réalise le bilan carbone du MOF (Master Of Fire)

Un pas vers une escalade plus durable ?

10 M&M on the way

Mon voyage à deux sur le Pacific Crest Trail

16 Expédition en Laponie

Un voyage au cœur de soi

21 Vertical Greenland

31 RGENtec®, le nouveau sponsor du Club Alpin Belge

Préserver sa peau pour mieux profiter de la montagne

32 Nez dans le guidon

1 an sur les routes d’Europe en famille

38 Le Noyau Alpi fait peau neuve et devient la Belgian Mountaineering Community (BMC). Nouvelle identité, même passion !

40 Une délégation belge à la Mecque de la glace

46 Rêve blanc — Épisode IV

Expédition dans les « alpes » suédoises

50 Le Rocher des Surdents

Ouverture d’un nouveau site naturel d’escalade privé à Verviers

Un nouveau cercle d’escalade de bloc

au sein du Club Alpin Belge

Depuis sa création en 2021 à la frontière entre Schaerbeek et Evere, notre école d’escalade est devenue un lieu incontournable pour les passionnés de bloc. Aujourd’hui, nous avons l’honneur de rejoindre officiellement le Club Alpin Belge en tant que nouveau cercle, une étape qui reflète notre engagement à promouvoir l’escalade sous toutes ses formes.

Offrant 1 000 m2 divisés en différents espaces, À BLOC a su en moins de 4 ans devenir une des salles les plus appréciées de Bruxelles. Plus de 160 blocs, renouvelés toutes les 6 semaines, offrent aux grimpeurs et grimpeuses de tout âge et de tout niveau l’occasion de découvrir cette discipline ludique dans une ambiance familiale. Car c’est bien son atmosphère si particulière, très accueillante, conviviale et chaleureuse, qui fait que tout le monde peut s’y sentir chez soi.

L’école d’escalade À BLOC compte désormais près de 250 élèves et une dizaine de moniteurs passionnés. Des cours y sont donnés presque tous les jours pour tous les niveaux, autant aux enfants qu’aux adultes, aux débutants n’ayant jamais grimpé qu’aux grimpeurs expérimentés souhaitant des entraînements poussés. Ouverts à toutes et à tous, dès 8 ans, nos cours permettent de découvrir pleinement ce sport éminemment complet qu’est l’escalade de bloc. Agilité, souplesse, force, mains, bras, jambes, abdos, toutes les parties du pied, coordination, compréhension, ce sont toutes les choses qu’il faudra utiliser pour arriver, en quelques secondes seulement, en haut du mur et réussir le bloc.

Au-delà du bloc en salle, nous organisons des sorties en falaise, des stages à Fontainebleau et des voyages en Catalogne, offrant à nos élèves et à nos membres l’opportunité de grimper en pleine nature. Nous avons la chance d’avoir en Belgique de nombreux sites de grimpe qui nous permettent d’organiser des initiations à la grimpe en milieu naturel, encadrées par des moniteurs formés. Au printemps et en automne, nous organisons des semaines de grimpe en Catalogne. Durant ces stages et dans un cadre absolument magnifique, nous proposons

une formation afin de devenir autonome en falaise. Certaines semaines sont dédiées spécifiquement aux voies de plusieurs longueurs (multi-pitch). En 2024, À BLOC a organisé un premier stage à Fontainebleau pour les ados membres de l’école d’escalade. Une deuxième édition est prévue pour l’été 2025.

Une nouvelle étape

Rejoindre le Club Alpin Belge marque une nouvelle ère pour notre communauté. Nous partageons ses valeurs de sécurité et de respect de la nature, et sommes impatients de faire vivre des expériences uniques à nos membres, du mur à la falaise.

ALEXIS GRAU RIBES

Informations techniques :

• 1 000 m2

• 4,5 m de hauteur

• 30 nouveaux blocs par semaine

• Un mur de compétition

• Moonboard 2019

Contact :

• site web : abloc.brussels

• e-mail : info@abloc.brussels

• insta : abloc.brussels

• adresse : Av. Léonard Mommaerts 11, 1140 Evere

Affiliation au CAB via À BLOC : Pour s’inscrire au Club Alpin Belge via la salle À BLOC, ça se passe sur le site Internet du CAB en sélectionnant « a.s.b.l. école d’escalade À BLOC » comme cercle.

Célia

La Coupe d’Europe de Bloc 2025 fait escale à Bruxelles

Un rendez-vous à ne pas manquer !

LE CLUB ALPIN BELGE & LE CAMP 4

Les 3 et 4 mai prochains, Bruxelles s’imposera comme un rendezvous incontournable de l’escalade de haut niveau en accueillant une étape de la Coupe d’Europe de Bloc 2025.

Organisée par le Club Alpin Belge et le Camp 4 (LC4), un cercle affilié à la fédération, cette compétition prestigieuse réunira les meilleurs grimpeurs du continent au Camp de Base, une salle emblématique située à Ixelles. Véritable tremplin vers les Coupes du Monde, la Coupe d’Europe de Bloc représente une occasion unique pour les athlètes de démontrer leur talent et pour le public d’assister à un spectacle exceptionnel.

Un cercle engagé pour l’escalade belge

Acteur majeur de l’escalade en Belgique, le Camp 4 cumule les titres de champion national depuis 2023 et compte parmi ses rangs un athlète olympien. En organisant des compétitions internationales, il ambitionne d’offrir aux grimpeurs belges des opportunités de se mesurer aux meilleurs et de progresser au plus haut niveau.

Le Bloc : une discipline spectaculaire

Le Bloc est l’une des disciplines les plus impressionnantes de l’escalade. Les athlètes évoluent sur des structures de 4 mètres de haut, sécurisées par des matelas de réception. L’objectif ? Réussir un maximum de « problèmes » techniques en un minimum de tentatives et dans un temps limité. Ces défis, à la fois courts et complexes, requièrent agilité, force et stratégie.

Un week-end à ne pas manquer !

La Coupe d’Europe de Bloc 2025 à Bruxelles s’annonce comme un moment fort de la saison sportive. Le weekend débutera le samedi avec les qualifications, avant de monter en intensité le dimanche lors des demi-finales et finales. Une occasion unique d’encourager les talents locaux et internationaux et de vibrer au rythme d’une compétition qui promet d’être exceptionnelle. Bloquez dès à présent ces dates dans votre agenda ! Plus d’informations suivront prochainement.

Inscriptions : https ://www.billetweb.fr/ecbxl2025

LE CLUB ALPIN BELGE & LE CAMP 4

Le camp de base réalise le bilan carbone du MOF

(Master Of Fire)

Un pas vers une escalade plus durable ?

NIKITA COLAS , CO-FONDATRICE

DE LA PLATEFORME NEO&NEA

LE CAMP DE BASE , SALLE DE BLOC À BRUXELLES

Dans un contexte où la question climatique est au cœur des préoccupations sociétales, Le camp de base, salle de bloc bruxelloise bien connue des passionnés, fait figure de pionnier en la matière. À l’occasion de la 3e édition de son mythique événement, le MOF (Master Of Fire), l’équipe a réalisé le bilan carbone de la compétition.

Qu’est-ce qu’un bilan carbone ?

Un bilan carbone estime les émissions de gaz à effet de serre liées à une activité. Déplacements, nourriture, déchets, numérique, électricité et chauffage, … Derrière tous ces postes se cachent des énergies fossiles. Qui dit énergie fossile dit émissions de gaz à effet de serre. Les gaz à effet de serre sont responsables du changement climatique, les réduire (et donc les mesurer) est essentiel.

Max Milne (GBR) dans le dernier bloc des finales hommes ouvert avec les prises Faya.

Pourquoi avoir réalisé un bilan carbone ?

« Au camp de base nous sommes soucieux de l’impact qu’a l’escalade sur les gens, mais aussi sur l’environnement et le climat. Bien que le sport soit souvent perçu comme une activité positive dans l’opinion publique (santé, social, performance, …), comme toute activité qui rassemble des communautés autour d’infrastructures lourdes et de matériel technique, son poids énergétique est loin d’être neutre. Nous en sommes bien conscients, néanmoins, c’est quand même chouette de grimper ! Si tout le monde venait à la salle en mobilité douce, ne prenait pas l’avion pour aller grimper, ressemelait 2-3 fois ses chaussons avant de les jeter, achetait sa magnésie en vrac et si on re-sablait les prises d’escalade usées en plus d’en avoir en bois faites localement, le tout en grimpant en bonnet l’hiver pour moins chauffer, l’impact lié à l’activité de la salle serait plutôt faible. Mais bon, c’est chouette aussi d’organiser des évènements qui rassemblent des grimpeurs et grimpeuses de tous les horizons ! Alors que faire ? Ne plus rien faire ? On peut déjà tenter de calculer le poids d’un tel évènement afin de comprendre et de prendre conscience de son impact, mais aussi dans le but de définir des actions concrètes pour le diminuer. »

Ce bilan carbone a été réalisé en partenariat avec Neo&Nea qui œuvre à l’accélération de l’action climatique en Belgique. Neo&Nea propose un calculateur d’empreinte carbone gratuit en ligne accessible sur neoenea.be ainsi que des ateliers.

Et le résultat ça donne quoi ?

Le bilan carbone total 1 s’élève à environ 42 tonnes d’équivalent CO2. Voici les principales conclusions :

1. Le poste le plus impactant et bien souvent ignoré est… le numérique ! En effet, les heures de visionnage de la retransmission du live (31 000 vues), et de l’after-movie (56 000 vues) de la compétition sollicitent des serveurs énergivores et nécessitent le stockage de données, ce qui a un impact significatif sur le climat. Il faut aussi tenir compte de tous les appareils utilisés pour visionner ces contenus (smartphone, ordinateur, télévision) et les créer (caméras, appareils photos, …). Derrière la fabrication et l’utilisation de tous ces appareils, il y a de l’énergie (généralement fossile). Ces résultats mettent en lumière un enjeu souvent négligé : l’impact du numérique sur le climat.

2. En deuxième position arrivent les déplacements des participants. Ici on est plutôt sur un évènement où la majorité des personnes viennent en transports en commun, mais ça n’en reste pas moins un évènement international et cela souligne la nécessité de repenser la logistique des événements pour limiter leur impact et insister sur une politique de mobilité douce. Cette année, nous avons eu l’honneur de

recevoir des personnes venant de France, Hollande, Allemagne, Slovénie, Suisse, Angleterre, Japon et US …

3. Ensuite vient tout ce qui est intrants : consommations au bar et foodtrucks, goodies, prises d’escalade, … On a pu grandement diminuer l’impact de ce poste en favorisant une offre végétarienne et locale.

4. Et pour finir, l’impact lié à l’énergie et aux déchets. Grâce à une infrastructure bien pensée et à des efforts constants pour réduire les consommations d’énergie, ces postes se sont révélés moins émetteurs que prévu.

Est-ce que d’autres choses ont été faites ?

Pour réduire l’impact du MOF, nous avons travaillé sur différents axes d’actions concrètes et aussi de sensibilisation.

• Déjà bien conscients du rôle des transports depuis la première édition de l’événement, nous avons mis en place une « no-flight policy » afin de baisser au maximum ce poste :

• le trajet de certains top athlètes est financé à condition de ne pas prendre l’avion

• le Price money des podiums se verra refusé aux athlètes qui seraient venus en avion spécialement pour l’évènement2

• En assumant des foodtrucks 100 % végétarien et en proposant des produits locaux (comme la Campfire, une RED IPA spécialement brassée pour l’occasion), l’action est à la fois concrète et permet aussi de sensibiliser.

2 - Pour les athlètes venant d’outre-mer (JPN, US, …) nous veillons à ce qu’ils participent au MOF dans le cadre d’une tournée longue durée déjà prévue en Europe afin d’optimiser leur déplacement par voie céleste.

1 - Pour toutes questions sur la méthodologie du bilan carbone, n’hésitez pas à contacter Neo&Nea : info@neoenea.be

Arthur Delicque © 2024

Le camp de base et Neo&Nea se sont associés pour faire une action de sensibilisation sous forme de quiz en ligne, qui a plutôt bien marché car nous avons reçu plus de 500 participations !

La fête, étape incontournable de l’événement, était saupoudrée de paillettes biodégradables. Un détail certes, mais qui nous tient à cœur !

Cet évènement était l’occasion de dévoiler un projet sur lequel nous travaillons depuis 2 ans : Faya. Des prises d’escalade faites avec du bois récupéré en forêt de Soignes afin de favoriser le circuit court et de limiter l’utilisation du plastique. Lors de l’édition de l’année passée, les blocs des finales avaient été ouverts exclusivement avec des prises en bois afin de sensibiliser à cette démarche. Pour plus d’info sur le projet, rendez-vous sur le site : www.faya-holds.be

Ce projet a pu voir le jour grâce au prototypage effectué au Cityfab 2, un fablab bruxellois qui est le lieu idéal pour lancer et concrétiser ce type de projet grâce à sa panoplie d’outils à la pointe de la technologie. www.cityfab2.brussels

Vers une prochaine édition encore plus durable

L’un des défis serait d’aller vers plus de sobriété sans perdre pour autant en qualité. Par exemple, inciter à diminuer la résolution des vidéos. Mais serait-ce tout autant profitable ? Vient alors la question de la nécessité de partager cet événement à tout prix au plus grand nombre. Dans l’ère du partage instantané, serait-on capable de s’en passer ?

Quoi qu’il en soit, nous sommes convaincus qu’il y a encore plein de pistes à explorer et sommes plus motivés que jamais à faire bouger les choses dans le milieu de la grimpe.

Une inspiration pour le secteur : en calculant le bilan carbone du MOF, Le camp de base montre qu’il est possible de concilier passion pour l’escalade et minimisation d’impact. À contre-courant des NEOM Games, la démarche pourrait, on l’espère, inspirer d’autres organisateurs à intégrer des pratiques similaires.

NIKITA COLAS, CO-FONDATRICE DE LA PLATEFORME NEO&NEA

LE CAMP DE BASE, SALLE DE BLOC À BRUXELLES

De haut en bas :

Des paillettes à base de plantes et biodégradables, merci Si Si la Paillette !

Un enjeu souvent négligé : l’impact du numérique sur le climat. Il y a tous les appareils utilisés pour visionner les médias (smartphone, ordinateur, télévision) et ceux pour les créer (caméras, appareils photos, …).

Les nouvelles prises Faya étaient aussi présentes dans plusieurs blocs en qualif afin que tout le monde puisse les essayer.

Arthur Delicque © 2024
Arthur Delicque © 2024
Julia Cassou © 2024

M&M on the way

Mon voyage à deux sur le Pacific Crest Trail

MARIANNE DEPIREUX – Texte & Images

Sur la côte ouest des États-Unis se trouve le Pacific Crest Trail. Lieu de tournage du film Wild, son tracé continu allant du Mexique au Canada fait rêver plus d’un randonneur !

Chaque année, environ 5 000 personnes venant du monde entier tentent de réaliser les 4 240 km d’une traite en moins de 6 mois.

Ses paysages variés allant du désert à la montagne en passant par les forêts et les glaciers en font un lieu mythique ou les « thru-hikers » viennent rechercher introspection, recueillement, dépassement de soi et transcendance.

Cette année, c’est à notre tour, Matthias et moi, de vivre l’aventure.

Le Désert

Après un séjour chez les trails angels de San Diego, bénévoles qui aident de multiples manières les thru-hikers à réaliser leur périple, nous arrivons au point de départ, le « Southern Terminus » à Campo. La frontière mexicaine nous toise de toute sa hauteur, se voulant impressionnante. Malgré cela, nous lui tournons le dos pour nous engager sur le sentier face à nous. Un sentier en direction du nord. Un très long sentier. Nos premiers pas sur le PCT sont là. La joie est à son comble. Notre rêve commence tout juste. Contrairement à ce que le nom de cette section pourrait faire penser, nous ne sommes pas exactement dans un désert. Au lieu des étendues de sable sans fin dignes du Sahara et des points d’eau

Le

désert de Mojave

rares sous la forme de réservoirs artificiels, nous nous retrouvons face à des collines verdoyantes. Un chemin parfois forestier, souvent plus aride. Par certains endroits, les pins côtoient les cactus. Les cours d’eau cachés dans le creux des collines ont des allures d’oasis remplies d’ombre. Sur cette longue section de 1 020 km, les prairies peuvent aisément succéder au sol rocailleux. Nous traversons aussi des montagnes encore enneigées en ces mois d’avril-mai rendant le nom « désert » risible et obsolète. Cette variété de paysages est salutaire et comble l’ennui qui accompagne nos pas les après-midis. Après 6 jours de randonnée et 123 km, je commence à réaliser que cette fois-ci cela ne durera pas que 2 semaines. J’ai encore du mal à imaginer tout le chemin que je vais parcourir. Un nouveau mode de vie s’installe dans cette quête de l’inutile. On se déconnecte de la réalité. On commence à oublier ses routines et habitudes. Le temps ralentit. Néanmoins, la vie dans le dit-désert est rude avec une chaleur sans ombre et un sentier pas toujours aisé. Le vent est d’une telle violence qu’il nous fait tituber. La nuit, il nous empêche de dormir, menaçant de casser notre tente, accessoire aussi onéreux qu’utile.

Parcourir plus de 4 000 km à pied est un challenge. Passer 24 h sur 24 h avec une seule et même personne en est un autre.

La

Sierra m’aura appris à vivre intensément, appartenant à la nature comme un élément parmi tant d’autres.

Les douleurs s’installent dans nos corps et la chaleur mêlée à la poussière nous irrite. Le chemin se profile devant nous, interminable. Je suis dès lors convaincue que l’enfer existe et d’être en train de le visiter. Dans ces conditions difficiles, les disputes éclatent autant sur des sujets futiles que sur des discussions profondes. La remise en question de l’autre se fait plus pressante. Notre relation va-t-elle survivre à cette épreuve ? Parcourir plus de 4 000 km à pied est un challenge. Passer 24 h sur 24 h avec une seule et même personne en est un autre. La solitude prend une toute autre définition si elle existe encore. Après 2 ans de planification et d’entraînement, ce rêve sonnerait-il la fin de nous ?

La Sierra Nevada

Néanmoins nous continuons d’avancer et terminons la plus longue section du PCT après 54 jours. Un chapitre se clôt, un autre commence. Mais alors que depuis longtemps, je me réjouis de découvrir la beauté des montagnes de la Sierra Nevada, je ne ressens pas la joie à laquelle je m’attendais. Bien sûr, je suis heureuse du chemin parcouru. Mais un sentiment de nostalgie mêlé de regret colore mon humeur. Je réalise que le chemin que j’ai parcouru, je ne le referai probablement jamais. Tout ce que j’ai vu, vécu, ressenti, fait déjà partie d’un passé inaccessible. J’ai rencontré des personnes qui réalisaient le PCT pour la 2e ou 3e fois, sans trop comprendre pourquoi ils faisaient cela. Il y a tellement de choses à voir dans le monde, tellement de grandes randonnées toutes plus belles les unes que les autres. Pourquoi perdre ce temps à refaire ce que l’on a déjà réalisé ? Maintenant, je comprends mieux que parfois dans l’expérience de nos voyages, l’important n’est pas d’étancher notre soif de découvertes mais de ressentir. Et peu importe le nombre de fois réalisées, le ressenti reste toujours enrichissant, qu’il soit similaire ou différent.

Nous arrivons donc à la plus belle section du PCT. Les montagnes se reflètent à la perfection dans les lacs, véritables miroirs de la nature. Les cerfs et les marmottes nous côtoient comme si nous étions d’autres animaux, passagers transitoires de leurs contrées. Les panoramas éloignés nous ressourcent face au chemin accidenté et au dénivelé permanent. Je suis dès lors convaincue que le paradis existe également et de l’avoir atteint tout simplement.

Toute cette beauté, ce calme et cette pureté peu touchée par l’Homme aiguisent ma réflexion. Autant dans le désert, j’éprouvais un énorme manque de mes proches et de ma vie en Belgique, autant je trouve la sérénité dans la Sierra. Ce temps méditatif passé à marcher cicatrise des plaies anciennes, calme mon anxiété et approfondit ma connaissance de moi en faisant la différence entre ce que je suis et ce que les autres attendent de moi. J’en ressors apaisée, avec une vision plus claire de moi, des autres. Ma vision de la vie change également au rythme de mes pas. J’aspire davantage à être et à ressentir qu’à être heureuse. Aussi simple que l’animal qui ne se soucie pas d’être utile et efficace, qui ne se soucie pas d’une to do list de choses à faire dans sa vie ou de réaliser ses rêves, indifférent à sa mort inéluctable. Il est. Il vit chaque moment dans toute son intensité. La Sierra m’aura appris à vivre intensément, appartenant à la nature comme un élément parmi tant d’autres. Elle m’aura appris à être sauvage après tant d’années à être civilisée.

Avec Matthias, nos disputes s’apaisent en récurrence mais pas en intensité. Je suis néanmoins ravie de cette progression et mes doutes s’apaisent quelque peu. De son côté, grand amoureux des montagnes, supposé s’épanouir dans son élément de prédilection, il commence à montrer des signes de lassitude. Je ne sais pas comment réagir, lui pour qui la randonnée a autant de sens que respirer. Son rêve d’enfance se ternit au fur et à mesure des pas. Matthias attend avec impatience la prochaine section comme un vent frais venu le rebooster.

Je chasse l’inquiétude qui se forme dans mon esprit et me concentre donc sur la suite.

La Californie du Nord

Nous voici maintenant dans les forêts et les collines de la Californie du Nord. Les paysages deviennent plus ordinaires et la chaleur est suffocante malgré l’ombre apportée par les arbres. Le dénivelé à parcourir chaque jour (environ 1 000 m de D+) reste presqu’aussi important que dans la précédente section. Nous essayons aussi d’allonger nos journées de marche afin de rattraper le retard accumulé précédemment. La peur de ne pas finir le sentier en moins de 6 mois ne me quitte pas et l’idée même que je n’ai pas encore parcouru la moitié du chemin me déprime et m’angoisse. Nous peinons donc à marcher nos 32 km par jour. Nous commençons tôt, terminons tard et n’avons plus le temps de se retrouver le soir. Les films regardés sur le GSM de Matthias ne sont plus qu’une liste accumulée. Les discussions se tarissent. L’émerveillement s’amenuise. Le repos est dérisoire. Moi qui était si ouverte à la vie autour de moi précédemment, l’idée que je marche comme une bête de somme sans réfléchir s’impose à mon esprit lorsqu’épuisée le soir, je songe à la journée qui vient de s’écouler. Les feux de forêt mettront fin à ce calvaire 9 jours après l’avoir commencé. Avec deuil, nous réalisons que nous ne pourrons pas réaliser l’entièreté du PCT cette année. Cette nouvelle atteindra Matthias à un point de tristesse que je n’avais encore jamais vu chez lui auparavant. Impuissante, je le sens au bord de tout arrêter et de rentrer en Belgique. Comment le motiver et l’empêcher de prendre une décision qu’il regrettera plus tard ?

Son rêve n’est plus de parcourir cette ligne […]. Il se centre davantage sur le temps passé ensemble que sur le chemin […].

L’Oregon

De nouveau grâce aux trails angels, nous ne restons pas bloqués en Californie face à une section qui se ferme de plus en plus. Après un conséquent trajet en voiture afin d’éviter les innombrables feux de forêt, nous reprenons notre marche à Ashland en Oregon, 4e section. Nous décidons de ralentir le rythme et de profiter davantage de notre expérience, maintenant que nous savons que nous ne pourrons pas tout accomplir.

Page suivante : Notre traversée sur la Carte de la PCT

Source : Pacific Crest Trail Association · www.pcta.org

En bas : Les collines du désert

Je suis néanmoins un peu anxieuse. Dans la communauté du PCT, beaucoup trouvent cette section ennuyeuse et offrant peu de challenges. Mais bien que les panoramas à couper de souffle de la Californie soient derrière moi, l’Oregon sera pour moi un retour à la vie et à la simplicité. Dès les premiers pas, je suis conquise par le charme de l’Oregon. Cette beauté qui réside dans sa simplicité avec ses forêts denses et sauvages, ses fleurs multicolores et ses cours d’eau discrets. Son dénivelé, moins raide que tout ce que l’on a pu faire ces derniers mois est un véritable repos physique permettant à l’esprit de vagabonder. Cette région, empreinte de poésie, comptera nombre de mes moments préférés de ce voyage. Matthias renaît petit à petit. Il retrouve goût à marcher même si la passion des débuts n’est plus au rendez-vous. Il retrouve sa bonne humeur et son sourire bien que le sens du PCT ait changé pour lui. Son rêve n’est plus de parcourir cette

United States Canada

ligne continue entre deux pays. Il se centre davantage sur le temps passé ensemble que sur le chemin en lui-même. La complicité se renforce et les difficultés du début ne sont plus qu’un souvenir, témoin des épreuves que l’on peut être amenés à traverser et à surmonter. Je décide alors de taire les derniers doutes qui sont en moi et de lui demander de passer le reste de ses jours à mes côtés. Ce qu’il acceptât avec beaucoup moins d’hésitation que moi à s’engager. Arrivés au célèbre bridge of the Gods, frontière entre l’Oregon et la dernière section du PCT, les feux, non repus des forêts californiennes, s’emparent de Washington. Un nouveau deuil s’annonce devant nous : la section de Washington, réputée pour ses lacs enchanteurs, ne sera pas pour nous cette année.

Le retour en Californie du Nord

Nous pourrions nous arrêter ici mais nous décidons de repartir en Californie du Nord afin de compléter les parties désormais ouvertes bien que ravagées par le feu. Ce sera sans aucun doute la section la plus difficile pour moi tant physiquement que moralement. Les arbres gigantesques qui barrent le sentier font d’une simple marche avec un dénivelé plat, un parcours d’escalade et d’équilibre précaire. Malheureusement, les dénivelés plats ne l’étaient pas tant que ça avec en moyenne 900 m de dénivelé par jour. Presque autant que dans les montagnes de la Sierra, mais théoriquement moins accidenté. Moralement, le manque de liens et d’activités qui me ressourcent provoquent en moi des angoisses difficiles à calmer. Matthias me soutient, indéfectible pilier. Heureusement, les cerfs et les panoramas majestueux sur Mount Shasta nous accompagnent. Néanmoins je ne trouve plus goût aux paysages qui me ressourçaient tant auparavant. Il ne reste plus beaucoup de chemin devant nous. Je pourrais tenir bon afin de compléter cette ligne continue. Pouvoir dire que j’ai réalisé entièrement 4 sections sur 5 du PCT en 5 mois. Pouvoir dire que j’ai marché chaque pas de ces 4 parties. Mais le PCT n’a jamais revêtu ce sens pour moi. Atteindre le plus de kilomètres possibles n’a jamais été mon rêve. Je suis venue pour voir, sentir, savourer. Pour vivre. Continuer sans passion serait un leurre. Nous décidons de nous arrêter au beau milieu d’une forêt et de faire demi-tour jusqu’à la précédente étape.

L’après

Encore aujourd’hui, en écrivant ces lignes, même si je me réapproprie ma vie petit à petit, j’ai la sensation que ma maison me manque. Celle au milieu de la forêt entourée des cerfs et des oiseaux. Celle sous les montagnes, parcourant les cols avec essoufflement. Celle où je nageais dans les lacs pour ôter la saleté accumulée. Celle où le soir, couchée dans ma tente, je m’endormais en regardant les étoiles. Celle où je vivais chaque jour si intensément. Assez curieux d’écrire cela alors que je suis rentrée chez moi. Je me sens perdue comme un fantôme errant entre deux mondes, alors que je suis censée retrouver mes repères. On me demande régulièrement si je pense encore à ma vie là-bas, comme j’aime l’appeler. Bien que je n’en parle pas, j’y pense chaque jour. Le PCT fait partie de moi, comme une pièce manquante à un puzzle. Saurais-je un jour me sentir complète à nouveau ? À l’heure d’aujourd’hui, je n’ai pas la réponse. Néanmoins, je ressens une puissante gratitude envers la vie de m’avoir dévoilé l’un de ses secrets à travers une vie rudimentaire dans la nature. Je rêve éveillé en repensant aux moments que j’ai traversés. Nous avons parcouru 3 020 km sur le Pacific Crest Trail, un des trois grands trails des États-Unis, célèbre pour sa beauté et pour repousser les limites de ceux qui le parcourent. 3 020 km pendant 147 jours, pas après pas. Washington m’appelle parfois dans mon sommeil pour me rappeler que j’ai quelque chose à terminer et qu’un sentier attend que je le foule de mes pieds. Je répondrai à cet appel tôt

[…]
Ma maison me manque. Celle au milieu de la forêt entourée des cerfs et des oiseaux.

1. Immensément petite — Californie du Nord

2. Trails angels — Oregon

3. Dernière nuit dans la beauté de la Sierra — Sierra Nevada

4. Notre voisin— Californie du Nord

5. La frontière entre l’Oregon et Nord Cal

6. Le Mordor — Oregon

ou tard. Quant à Matthias, il vit un peu mieux que moi son retour en Belgique. En revanche, il se languit de cette parenthèse hors du temps où nous étions tous les deux constamment l’un avec l’autre. Et bien que chacun éprouve des difficultés différentes suite à notre retour, nous avançons avec le soutien de l’autre. Le PCT aura laissé une trace de complicité sur notre relation et nous a permis de nous retrouver et nous connaître sous un nouvel angle. Et depuis notre retour, je n’ai plus éprouvé le moindre doute.

Merci à tous mes proches qui m’ont soutenue lors de ce voyage. Je n’en parle pas, mais votre présence a accompagné chacun de mes pas et m’a donné la force d’avancer.

Merci à Pierre Baumans pour le prêt conséquent du matériel, qui m’a permis de réaliser cette aventure et bien d’autres encore.

Merci à Ovidiu Laroy, diététicien spécialisé en nutrition sportive, pour la prise en charge de qualité, me permettant d’améliorer mes performances pendant mais aussi après ce voyage.

Et surtout merci à Matthias Schneider d’avoir fait naître ce rêve en moi, d’avoir initié mes premiers pas à cette manière de voyager et de m’avoir suivie jusqu’au bout, même quand ses propres pas devenaient lourds.

MARIANNE DEPIREUX

Un voyage au cœur de soi

Expédition en Laponie

MARIE DEVROE — éducatrice au Service d’Accrochage Scolaire du Brabant Wallon

Genèse du projet

En octobre 2022, lors d’une conférence de l’ASBL D’Une Cime à l’Autre sur l’Intervention Psychosociale par la Nature et l’Aventure, une proposition audacieuse a émergé :

« Nous cherchons une institution partenaire pour monter une expédition de 10 jours en canoë en Laponie. »

Le Service d’Accrochage Scolaire du Brabant Wallon (SAS BW) répond présent et ces quelques mots lancés par Samuel Puissant, guide de canoë, constituent le point de départ d’une aventure hors du commun. De fil en aiguille, le projet prend forme. Ce n’est pas une simple expédition sportive qui s’organise, mais bien une prise en charge complète de jeunes en décrochage scolaire. Les défis sont nombreux : admission des participants, planification logistique, formation technique et, surtout, préparation humaine.

Le plan, c’est un voyage de 21 jours dans le Grand Nord avec 5 jeunes en décrochage scolaire, deux éducatrices du SAS et deux guides. Avant le voyage, on aura trois semaines pour rencontrer les jeunes et les préparer au mieux à ce qui les attend. Au retour, ils et elles resteront encore deux semaines avec nous, le temps de planifier leur retour à l’école.

Vu le temps de trajet pour arriver là-haut – 3 jours de camionnette, avec une nuit sur un ferry –, l’expédition en elle-même durera entre 10 et 12 jours. Si tout se passe comme prévu, nous aurons donc une dizaine de jours en canoë pour parcourir en totale autonomie les eaux du Sarek. Spoiler : rien ne se passe jamais comme prévu en Laponie.

Geoffroy
De Schutter
© 2024

Samuel souligne l’importance de cette expérience :

« Ce type de projet n’est pas qu’un voyage d’aventure. C’est une prise en charge globale où chaque jeune découvre ses forces, ses failles, et surtout une capacité de résilience qu’il peut emmener dans sa vie au retour. »

Les préparatifs : trois semaines pour prendre confiance

Le 26 août 2024, cinq jeunes âgés de 15 à 17 ans rejoignent le projet. Chacun arrive au SAS avec des objectifs qui lui sont propres : apprendre à gérer ses émotions, travailler sa confiance en soi, gagner en autonomie ou encore « arrêter les conneries ». Autant de raisons qui les poussent à se lancer dans cette aventure.

Le temps de préparation est bien chargé puisqu’on doit s’occuper des aspects logistiques, techniques et humains.

Six journées de canoë sur la Semois, le Ton et au stade d’eaux vives de Diekirch permettront à tous d’acquérir quelques bases indispensables pour affronter les vagues et les rapides qui nous attendent en Laponie. En parallèle, on prépare et déshydrate tous nos repas, on appréhende le montage de tente et on se renseigne sur la destination. Une nuit au bord d’un étang dans le sud de la Belgique permettra de découvrir les joies et les défis du bivouac.

Ces moments permettent de tisser des liens et d’instaurer la confiance. Trois semaines, c’est court pour apprendre à connaître les autres et à croire en ses capacités. Mais déjà, un esprit d’entraide et de dépassement se met en place.

Seb [ndlr : tous les prénoms des jeunes participants dans cet article sont des noms d’emprunts] partage ses premières impressions :

« Au début, j’étais un peu angoissé de rencontrer les autres. Mais dès le week-end d’entraînement, on a commencé à vraiment bien s’entendre. Apprendre à vivre ensemble, dormir à la belle étoile, c’était intense, mais ça m’a plu ! »

Les jeunes sont lucides sur les défis qui les attendent :

« Moi, je pense que ce qui va être le plus dur pour moi aussi, c’est la vie de groupe. Quand je serai fatigué et que j’en aurai marre, ça va péter. Mais parfois c’est juste nécessaire. On explose, ça remet les pendules à l’heure et on peut repartir sur des bonnes bases », confie Baptiste.

« Moi, je ne suis pas faite pour la survie, je suis trop maladroite. Je sais que ça va être dur, mais en vrai, je vais essayer de tout donner », ajoute Julia.

L’expédition : entre effort et émerveillement

Le 14 septembre, c’est le grand départ. On rejoint sur place notre guide local, Geoffroy De Schutter de l’association Oukiok. Loin des repères habituels, les jeunes vont affronter le froid, la fatigue et leurs propres limites, mais aussi découvrir la beauté brute et apaisante du Grand Nord.

Dès les premiers jours, le vent, le froid et la prévision d’une météo hivernale poussent tout le monde à faire preuve de résilience. Seb raconte dans son journal de bord :

« Ce type de projet n’est pas qu’un voyage d’aventure. C’est une prise en charge globale où chaque jeune découvre ses forces, ses failles, et surtout une capacité de résilience qu’il peut emmener dans sa vie au retour. »
SAMUEL PUISSANT

• Jour 2 : Sur un immense lac, nous étions sur une petite île, les vagues commençaient à devenir énormes. Deux personnes ont fini dans l’eau en essayant de ramener le canoë. On a avancé de 2 km seulement.

• Jour 3 : Les vagues sont encore agitées. On a réussi à avancer plus que 5 km avec des vagues assez larges. On a trouvé un bon petit coin pour faire notre camp. Quelqu’un du groupe a trouvé une petite assiette en métal et on a fait une raclette sur une pierre avec le feu de camp. C’était chouette de discuter le soir.

• Jour 4 : Les vagues sont calmes, le ciel bleu, mais malheureusement pendant que l’équipe chargeait les canoës, une jeune de l’équipe n’a plus voulu repartir. Le reste de l’équipe était tellement déterminé qu’on a continué le plus loin possible. Le soleil commençait à se coucher quand enfin, ils nous ont rejoints.

Jour 5 : Nous partons en randonnée. On a vu des empreintes de rennes et d’élans, deux jeunes ont trouvé des bois d’élan puis on a monté le camp. Meilleure vue de l’expé !

Jour 6 : Nous avons pris la route en direction d’une rivière pour pêcher. Les éducatrices nous ont dit que la météo allait changer et qu’il fallait trouver une cabane pour la prochaine nuit…

Jour 7 : Réveil très froid avec des températures basses. On a dû porter les canoës sur 2,5 km de marche dans des conditions irréelles avec de la neige, traverser une forêt, avec nos sacs de 12 kg.

« Le plus dur, c’était le mental : avancer sans savoir exactement où on allait, lutter contre les vagues ou le froid. Pourtant, chaque soir autour du feu de camp, on repensait à tout ça et on se sentait fiers. »

Et pour l’équipe encadrante, le challenge réside dans l’adaptation permanente. Parfois, la dynamique de groupe nous impose de séparer le groupe. Et ce qui est facile dans nos Ardennes belges devient vite beaucoup plus complexe là-bas : prévoir différents points de rendez-vous « au cas où », anticiper la séparation du matériel de survie, négocier et accompagner patiemment les jeunes dans leurs difficultés malgré l’heure qui avance et le vent qui se lève…

Petit défi supplémentaire pour tous, une tempête de neige nous impose de rentrer quelques jours au camp de base de Kabdalis. Durant ce moment de pause, Julia se confie : « Franchement, j’ai galéré, mentalement et physiquement. J’avais la rage parce qu’on me poussait à continuer. Mais, en vrai, là-bas, on est face à soi-même. Pas moyen de fuir. Ça m’a obligée à réfléchir à des trucs que je fuyais tout le temps. Maintenant, je comprends que je dois changer des choses, arrêter de tout garder pour moi. Je vais repartir plus forte. Maintenant, je sais pourquoi on fait tout ça, et je vais tout donner. »

Au cours de l’expédition, les jeunes doivent faire preuve de solidarité et de résilience. Pour certains, le réveil matinal dans le froid s’avère vraiment très compliqué. Pour d’autres, ce sont les vagues, bien plus imposantes que prévues, qui rendent l’aventure difficile.

Cette mini-trêve hivernale derrière nous, on repart pour quatre jours de descente de rivière. Cette fois-ci, plus de vagues mais bien quelques beaux rapides en perspective ! Les jeunes repartent plus ancrés, plus conscients des défis qui les attendent. Trois bivouacs plus tard, heureux et fiers, nous rentrons au camp de base, pour du bon cette fois-ci.

De retour à Kabdalis, Seb conclut :

« C’étaient des paysages incroyables, avec des montagnes et des animaux sauvages. Et là-bas, on pouvait boire directement l’eau des rivières. Mais le plus dur, c’était le mental : avancer sans savoir exactement où on allait, lutter contre les vagues ou le froid. Pourtant, chaque soir autour du feu de camp, on repensait à tout ça et on se sentait fiers. »

Un voyage qui transforme

Chaque participant a exprimé ses réalisations : ne pas abandonner, dépasser ses limites, mieux comprendre ses émotions. Seb résume :

1. Briefing matinal : Rappel des gestes pour communiquer en canoë — Paralälen, ou « Rivière des perles »

2. Progression face aux vagues — Parc national du Sarek

3. Traversée de rapides — Paralälen, ou « Rivière des perles »

4. Préparation du repas — Parc national du Sarek

5. Le calme avant la tempête — Parc national du Sarek

6. Arrivée en vue ! — « Rivière de perles»

« Je retiens qu’il ne faut pas toujours abandonner. J’ai appris à parler de mes émotions et à prendre confiance en moi. Je suis fier d’avoir tenu jusqu’au bout, même dans les moments où j’avais envie de lâcher. Je suis vraiment fier. J’ai réussi mes objectifs personnels. J’aimerais que ma famille fasse cette expérience pour qu’ils voient la force mentale qu’il faut pour réussir à avancer sans s’arrêter… »

Accompagner des jeunes dans cette aventure, c’est leur offrir un espace unique pour se redécouvrir. La nature, avec ses défis et ses merveilles, devient leur meilleur guide. Pour l’équipe éducative aussi, ce voyage fut intense. Entre les imprévus, la gestion de la dynamique de groupe, le travail avec chaque jeune et la fatigue qui s’accumule, on était bien loin d’imaginer ce qui nous attendait. Pourtant, aujourd’hui, rien ne vaut la satisfaction de se dire qu’on a partagé un petit bout de chemin avec elles et eux pour, peut-être, semer quelques graines vers une vie qui réponde un peu plus à leurs attentes. On laisse à Julia le mot de la fin, avec un message adressé aux futurs jeunes qui décideraient de participer à une telle expédition :

« Franchement, courage ! Pendant l’expédition, on est “dans le mal”, mais après, on réalise à quel point ça nous a changés. J’ai appris à dépasser mes limites, à me faire confiance et à faire confiance au groupe. C’est un mal pour un bien, parce qu’à long terme, ça en vaut vraiment la peine. »

Et la suite ?

L’Intervention Psychosociale par la Nature et l’Aventure (IPNA), c’est un concept théorisé au Québec qui se base sur la nature et l’aventure pour accompagner des publics en situation de fragilité. Convaincu par ce que ça apporte aux jeunes, le SAS BW travaille déjà à la planification des prochaines expéditions… À suivre pour de nouvelles aventures !

Remerciements

Cette aventure n’aurait pas été possible sans le soutien du Club Alpin Belge. Merci également à Samuel Puissant de l’ASBL D’une Cime à l’Autre, ainsi qu’à Geoffroy De Schutter de Oukiok.org, association spécialisée dans les initiations arctiques en Laponie suédoise, pour leur partenariat précieux.

MARIE DEVROE

Vertical Greenland

Un mois au Groenland.

Un mois dans l’une des régions les plus reculées et sauvages de la planète. Un mois d’escalade de géants de granite dépassant les mille mètres verticaux.

Nous sommes six Belges et une Française passionnés d’escalade et de grands espaces. Chacun et chacune arrive avec son vécu, son expérience, ses envies. Une team aussi hétéroclite que complémentaire : Nina la rêveuse, Thiago le voyageur, Quentin le blagueur, Victor le téméraire, Félicien le masochiste, Charlotte la frouz et Simon l’hyperactif. Un rêve commun nous rassemble : gravir les majestueuses parois du sud du Groenland.

Fissure à doigts délicate sur le Ula — Tasermiut Fjord, Greenland

Simon Castagne © 2024
Ardennes & Alpes — n°223
Dans peu de temps nous prendrons le zodiac de José qui nous déposera dans le fjord où les choses sérieuses commenceront.

Le Tasermiut Fjord ou le fantasme de tout grimpeur, lieu du saumon à profusion et des aurores boréales, le cadre à lui seul invite à la contemplation. En bordure de l’Inlandsis, la deuxième plus grande calotte glaciaire au monde, ce fjord où dérivent les icebergs est long de plus de 70 km. Il est bordé d’immenses faces rocheuses plus hautes encore que celles du Yosemite. Ces monolithes de granite sont les vestiges du retrait des glaciers. D’interminables fissures marquent ces géants. Ces lignes nécessitent des entreprises de plusieurs jours en paroi. Une expédition à préparer soigneusement. Il aura fallu deux ans pour monter l’équipe, mettre en place toute la logistique, développer un volet scientifique via une collaboration avec l’UCLouvain de L’ELI (Earth and Life Institute) et surtout s’entrainer à ce style si singulier qu’est l’escalade traditionnelle et les techniques de big wall. Suite à d’innombrables séjours de grimpe en fissure au Yosemite, à Squamish, dans les Alpes et plus particulièrement dans le Massif du Mont-Blanc, à Annot, au Caroux, à Ettringen, dans les Calanques et j’en passe, nous arrivons gonflés à bloc. Prêt à en découdre ! Le rêve devient peu à peu réalité

L’avion perd de l’altitude et, sous nos yeux ébahis, s’étire à l’infini un paradis blanc. C’est l’Inlandsis, cette calotte glaciaire qui recouvre la majorité du pays. Quelque chose qui gonfle dans la poitrine, une boule dans la gorge, les yeux qui piquent puis qui s’humidifient. C’est un grand moment, je ne sais s’il s’agit d’un monstre de glace ou du dieu des glaciers qui repose paisiblement sur la plus grande île du monde, mais sa simple existence m’enchante. Je n’ai même pas encore mis pied à terre que j’ai déjà l’impression d’avoir gagné mon voyage. Je vois mes compagnons se tordre le cou pour ne pas en rater une miette, poussant des exclamations et commentant la vue à grande force de superlatifs. Nous sommes comme des gosses qui découvrent qu’ils n’avaient jamais connu l’hiver, le vrai, avec sa magie et sa rudesse. Nous sommes le 1er août.

Trois jours plus tard, il est huit heures du matin. Dans peu de temps nous prendrons le zodiac de José qui nous déposera dans le fjord où les choses sérieuses commenceront. Trente secondes avant d’embarquer, le sol se dérobe sous mon pied et « CRAC », je roule à terre et la panique m’envahit. Je me mets à trembler, à sangloter « Non, non, non, je ne peux pas m’être fait une entorse, pas aujourd’hui ! ». Je fais semblant de parvenir à marcher normalement et monte dans le bateau en serrant les dents. Lorsque je tente d’aider à décharger les gros sacs sur la plage où nous avons débarqué, la traître me lâche et lorsque j’enlève ma chaussette il n’y a plus aucun doute : un gros œuf sur la malléole. Merde.

Moi qui avais peur de ne pas être à la hauteur, de ne pas parvenir à porter autant que les autres, qui angoissais de ne pas m’être assez entraînée pour la grimpe en fissure, me voilà officiellement hors service et promue au rang de boulet. Super. Cette journée est décidément maudite car un peu plus tard, l’un des garçons manque de mettre le feu à la toundra en ayant mal éteint son papier toilette, erreur classique, ce qui nous vaudra une sacrée réputation à notre retour. Les « Naked Belgian Climbers »

Parfois, il faut arrêter de se chercher des excuses, les conditions parfaites n’existent pas et cela n’empêche pas de vivre de belles choses.

qui démarrent un incendie au fjord. La honte. Heureusement que nous avons trois pompiers sous la main, dont l’un se bat courageusement en caleçon, armé du sac du portaledge, tentant d’étouffer les flammes, tandis que les autres pataugent dans les excréments du fautif et se relaient avec pelles et bidons d’eau.

Les lieux sont splendides, mais sans grande possibilité de mouvement, je passe une grosse semaine à déprimer dans la tente au camp de base. Tout ça pour ça ? Qu’est-ce que je fous là ? Simon et Victor, prévoyants, ont commencé dès le premier jour à amener du matériel au pied de l’Ula. Le lendemain, ils ne trouvent plus leur sac. « J’étais sûr de l’avoir posé sous ce gros cailloux ».

Mais des gros cailloux, il y en a partout ! Chaque jour sous une pluie battante, je les vois rentrer dépités au camp de base, bredouilles et le moral dans les chaussettes. Thiago et Quentin partent des journées entières en reconnaissance au Nalu pour trouver une voie un tant soit peu faisable. Un jour, partis voir du côté de l’Ula, les voici qui reviennent joyeusement en courant. J’entends Simon grommeler « Tu vas voir, ils vont annoncer qu’ils ont

retrouvé notre sac sauf qu’ils sont tombés sur le deuxième, celui que nous avons amené hier ». En effet, c’est le sourire large et l’attitude triomphante qu’ils annoncent leur trouvaille, puis déchantent très vite.

Le sac est finalement retrouvé au bout de cinq jours, et Victor et Simon peuvent enfin commencer à préparer leur ascension : amener de l’eau au pied de la paroi, placer les cordes fixes sur les premières longueurs et commencer à hisser le matériel. Le soir, les deux cordées débriefent et je me sens loin, inutile, un peu exclue. Ce n’est pas leur faute, ils sont tout excités par le projet qui avance et moi je me demande ce que je vais bien pouvoir faire. Un jour, Victor, le cadet du groupe qui a pris en main le projet de film de l’expédition, me demande si je peux lui accorder une interview. Je le remballe, lui fais savoir que je ne suis pas dans un état émotionnel rayonnant. J’aimerais lui dire « j’ai besoin d’un ami », mais je n’y arrive pas.

Thiago, mon partenaire, m’épaule comme il peut mais part souvent pêcher une grande partie de la journée car les rations calculées avec soin le laissent la faim au ventre et le moral grognon. Victor aussi a faim paraît-il. Mais c’est lui qui a calculé les rations, grâce à l’Excel de Félicien, et donc, se garde bien de s’en plaindre. Il pleut les premiers jours et la fenêtre météo nécessaire aux ascensions ne semble pas d’humeur à se présenter. C’est dommage pour mes camarades qui n’attendent que ça. La nuit, concert de ronflements. Après huit jours de grise bruine et même un peu de neige sur les sommets environnants, nous sommes réveillés un matin par le hurlement de bonheur de Simon et je comprends instantanément que la fenêtre météo est proche. Tout le monde est ravi. Le cœur m’en tombe dans l’estomac et je pense secrètement « Non, pas déjà, je ne suis pas prête ». En effet, j’arrive à marcher tout doucement de

Simon Castagne © 2024 Quentin Chartier © 2024
Mes premiers pas hors du camp de base sont une bénédiction, je sors de ma cage, celle que je me suis construite. Tout est possible, je me sens forte et courageuse.

très courtes distances mais ma cheville reste enflée et je ne peux pas mettre de poids dessus. Je confie mon désarroi à l’un des Espagnols du camp d’à côté. Il me dit sur le ton de la confidence qu’il ne prend jamais de médicaments mais que, s’il était à ma place, il prendrait une bonne dose d’anti-inflammatoires et irait quand même. C’est bête mais c’est cela qui m’a convaincue. Parfois, il faut arrêter de se chercher des excuses, les conditions parfaites n’existent pas et cela n’empêche pas de vivre de belles choses. Notre voie, j’ignore si nous l’avons réellement choisie ou si c’est elle qui nous a choisi. Nous sommes arrivés sans trop savoir ce que nous voulions grimper. Le sommet que nous convoitions au départ et qui concentre toutes les voies les plus faciles du fjord est trop loin du camp de base pour être réalisable. Lorsque je réunis mes deux compagnons de cordée pour leur demander leur avis sur ma participation à l’ascension, Thiago m’avoue qu’il préfère que je ne vienne pas cette fois-ci et me rassure qu’ainsi je pourrai me reposer quatre jours de plus puis participer à la suivante. Ma tête me conjure d’être raisonnable, qu’il a raison et qu’il vaut mieux qu’ils puissent faire au moins une ascension sans moi. N’est-ce pas égoïste de ma part de leur imposer ma présence qui signifie qu’ils devront porter mes affaires et m’attendre

sans arrêt, peut-être même les faire échouer ? Mes tripes me hurlent de ne rien lâcher, qu’il n’y aura qu’une seule ascension et que je dois en être. Je plante mon regard dans le sien et lui dit que je sens que c’est celle-là, c’est la British Route que je veux faire et aucune autre, que de toute façon, on n’aura probablement ni l’occasion ni l’énergie de faire une deuxième ascension. Cette ligne est la seule que l’on distingue depuis le camp de base sans avoir besoin de chercher, une fissure de 750 m et sa vire immense en forme de banane. Elle m’appelle. Quentin dit qu’il n’a pas le cœur à me laisser derrière, que si je le sens il faut que je vienne. Il me confie aussi sa peur de ne pas pouvoir me ramener si je ne peux plus marcher ou grimper. On se lance dans un truc sérieux et je ne suis pas au top de ma forme, j’ai vraiment envie de venir mais il faut qu’ils soient d’accord à 100 %. Je leur fais une promesse : ils n’auront pas à me ramener. Je ramperai jusqu’au camp de base s’il le faut. Je leur assure également que s’ils ne sont pas prêts à prendre le risque, j’accepterai leur décision et ne leur en voudrai pas. Chaque pas compte, me dis-je intérieurement en me concentrant toute la journée pour ne pas abîmer davantage ma cheville sur ce terrain tantôt marécageux, tantôt rocailleux mais toujours sournois. Ma vitesse avoisine le kilomètre à l’heure. Au loin, deux énormes sacs munis de jambes disparaissent dans la toundra. Mes premiers pas hors du camp de base sont une bénédiction, je sors de ma cage, celle que je me suis construite. Tout est possible, je me sens forte et courageuse. Pendant deux jours, j’attendrai dans la neige que Thiago et Quentin ouvrent les premières longueurs et posent une corde fixe de cent mètres. N’ayant pas prévu que cela prendrait autant de temps, nous nous retrouvons dans une situation critique et manquons de nourriture pour l’ascension. Faux départ. Histoire de se délier les jambes et afin de récupérer les vivres nécessaires, ils s’offrent l’aller–retour au camp de base. Soit une joyeuse promenade de quarante kilomètres et quelques 1 300 m de dénivelé. Alors j’attends. Toute la

Alors j’attends. Toute la journée, je savoure le soleil sur ma peau, lave mes pieds au torrent, observe les mousses et les lichens sur les rochers.

Je

ne voudrais être nulle part ailleurs.

Arrivés à la fin de la dixième longueur, il est deux heures du matin et nous sommes abattus. Les points sont bien là mais aucune vire en vue, il nous faudra vivre suspendus.

journée, je savoure le soleil sur ma peau, lave mes pieds au torrent, observe les mousses et les lichens sur les rochers. Je ne voudrais être nulle part ailleurs.

L’ascension commence enfin. Le premier contact avec le granite est étrange. Sur les images glanées, je pensais avoir affaire à un rocher semblable à celui de Chamonix, « un bloc de granite bien dur » comme dirait Stieg Dagerman. Il n’en est rien. C’est une roche particulière, qui forme des écailles sableuses et s’effrite sous les pieds, parsemée de paillettes argentées, les mêmes que celles de la rivière. « Vous allez voir, vous allez vous baigner dans de l’or ! » nous avait dit Félicien, décrivant ces paillettes brillantes que l’on trouve dans la rivière qui s’écoule directement du glacier. Je doute fortement qu’il s’agisse réellement d’or, où seraient sinon les personnages de Jack London et leurs tamis ?

Deuxième jour loin du sol, nous sommes censés atteindre la dixième longueur car il y a là un relais correct pour poser nos deux portaledges. Seulement, nous ne sommes

qu’à la longueur sept et déjà les dernières lueurs du jour nous abandonnent. Quentin se lance dans la huitième longueur dans l’espoir qu’au bout il y aura un relais plus alléchant que le vieux spit et l’ancien câblé en place là où nous nous tenons. Avec Thiago, on a le temps de se chamailler et de peler nos œufs, il est à bout de nerfs car cela ne se passe pas du tout comme nous avions prévu et nous sommes beaucoup trop lents. Trois heures après le coucher du soleil, qui dans ces contrées semble durer vraiment plus longtemps que chez nous, se lève la pleine lune. On y voit comme en plein jour, ce serait serein comme moment si nous n’avions pas aussi froid et envie de dormir. Vers deux heures du matin, nous crions à Quentin qui n’est toujours pas au bout de sa longueur de redescendre. Nous montons le camp sur ce relais bancal et peu orthodoxe, mais il nous faut dormir. Le lendemain matin, les garçons font leurs premières selles dans nos sachets de lyophilisés vides, c’est un moment très solennel où il faut veiller à ne pas s’en tartiner les doigts ni les bords du sachet ! Méfait accompli. Arrivés à la fin de la dixième longueur, il est deux heures du matin et nous sommes abattus. Les points sont bien là mais aucune vire en vue, il nous faudra vivre suspendus. Encore un repas du soir à trois heures du matin. Cinq minutes après s’être installés dans nos sacs de couchage, Quentin nous réveille : « Les gars, regardez, les aurores ! »

Elles sont là ! Telles des âmes qui dansent puis filent vers l’horizon. Ce ne sont pas les cascades de lumière verte que l’on peut voir en photo, si on ne regarde pas attentivement on pourrait même croire à de simples

nuages. Mais le rêveur aux yeux brillants qu’est Quentin ne les a pas loupées. Je pense qu’il est surtout venu pour ça, l’émerveillement. Moi aussi en partie, même si je me rends compte que j’ai des choses à prouver, surtout à moi-même. Thiago est venu conquérir un sommet mais sa sensibilité est loin d’être muselée et nous vivons ensemble ces minutes d’éternité. Cette nuit-là, les doutes reculent et on en vient à oublier les mains gonflées et meurtries qu’on n’arrive plus à fermer. Nous savons pourquoi nous sommes là.

Atteindre la dixième longueur nous a coûté beaucoup de temps et d’énergie, heureusement qu’il a fait froid et que nous buvons moins que prévu car nous n’avions prévu de l’eau que pour quatre jours de paroi et nous y sommes déjà. Il reste huit longueurs, nous ne voulons plus démonter le camp car le hissage du matériel est éreintant pour mes deux compagnons et je ne leur suis d’aucune aide avec ma cheville. Il faudra faire le « summit push » depuis ici. Mon ascension se passe en deux temps. De longues et froides heures d’assurage entrecoupées de sprints au jumar pour récupérer les protections et décoincer le sac qui ne parviennent pas à me réchauffer entièrement. Ce cycle se répète et même le soleil ne parvient pas à m’enlever ma doudoune. C’est un travail ingrat mais malgré tout j’éprouve de la gratitude envers mes compagnons et les choix qui m’ont menée ici. Me voici sur mon premier big wall avec une cheville foulée. Chhhwiiiichhhwww… fais la dégaine qui tournoie derrière moi et part se perdre sur le glacier 400 mètres plus bas. Je fronce les sourcils, regarde vers le haut et vois Quentin accrocher du matériel sur son baudrier. Je remonte jusqu’à lui et le voilà qui fait tomber une deuxième dégaine. Il n’est plus concentré, je lui demande comment ça va.

« J’ai super froid, je n’en peux plus, c’est trop dur. Je me demande pourquoi on fait ça, pourquoi aller jusqu’au sommet et se faire du mal alors que ce qu’on a accompli est déjà magnifique. ’

Je suis assez d’accord avec lui, mais n’en dis rien. À la place, je prends un ton sérieux :

« Si tu veux redescendre au portaledge et nous attendre là, c’est maintenant ou jamais car on laisse la corde fixe.

Oui je pense que je vais faire ça.

Tu es sûr que tu ne vas pas le regretter ?

Oui je préfère vous laisser y aller sans moi car j’ai atteint mes objectifs.

Thiago, là-haut, s’impatiente.

Que se passe-t-il ?

J’inspire : Il ne vient pas, il va nous attendre au portaledge. »

Il me demande comment je me sens et quelles sont mes intentions.

« On va au sommet, non ? Ensemble. On ne s’arrête plus avant d’y être.

Je t’aime me dit-il. »

C’est simple et puissant. Nous voilà partis.

Nous sommes tous les deux fatigués et n’avons pas pensé à demander à Quentin sa ration d’eau ainsi que le télé-

La nuit est froide et silencieuse mis à part les cliquetis du matériel que Thiago pose dans la fissure à doigts. Nous sommes dans un autre monde, celui de la nuit polaire que les humains n’habitent pas.

phone satellite. Ce n’est pas malin car nous arrivons vite à cours de vivres et s’il nous arrive quoi que ce soit nous n’avons aucun moyen d’appeler les secours. Au début de ce cinquième jour de paroi, j’espérais arriver au sommet pour le coucher du soleil. Grave erreur. Nous sommes à peine à la vire-banane quand les derniers rayons disparaissent. Les longueurs difficiles sont encore devant nous et je me dis qu’on sera chanceux si on arrive pour l’aube. La nuit est froide et silencieuse mis à part les cliquetis du matériel que Thiago pose dans la fissure à doigts. Nous sommes dans un autre monde, celui de la nuit polaire que les humains n’habitent pas. Mes tremblements se font de plus en plus violents, je m’ordonne régulièrement de bouger mes orteils engourdis. Le baudrier me cisaille les flancs, il me faut gigoter pour refaire circuler le sang. Cela dure toute la nuit et je n’en peux plus, je suis à bout et secouée de sanglots secs et amers. Tout à coup je me rappelle que dans mes autres voyages pour me donner du courage je chantais, alors je commence à déballer toute ma playlist intérieure. Quand je m’arrête, j’entends Thiago qui me demande de continuer alors je reprends. Le jour se lève.

Simon Castagne
8
Je ne connais pas la proportion de petites filles qui, à la question « Que voudrais-tu être plus tard ? » répondent « Aventurière ».

Quand nous arrivons à la fin de la dernière longueur, il est neuf heures du matin. Un faux mouvement ravive la douleur de ma cheville. Je me hisse jusqu’au relais et me mets à pleurer à grosses larmes, ce qui inquiète Thiago. Je lui avoue que j’ai juste besoin d’évacuer la pression. Il y a encore un peu de crapahutage pour sortir mais nous y sommes presque. Il finit l’ascension avec un peu de solo et m’assure à l’ancienne en faisant passer la corde derrière son dos. Il nous aura fallu vingt-sept heures afin d’effectuer l’aller-retour au sommet, après avoir laissé Quentin pour qui nous avons une petite pensée là-haut.

La petite plaquette d’anti-inflammatoires est restée logée dans la poche de ma veste tout du long, intacte, telle un ultime recours que l’on n’ose point utiliser car si celui-ci échoue, il n’y aura plus de joker auquel se raccrocher. Pour tout vous dire, le froid a endormi une bonne

1. Ulamertorsuaq — Tasermiut Fjord, Greenland

2. Fissure à doigts délicate sur le Ula — idem

3. Dernier bivouac avant l’attaque de la face — idem

4. Ulamertorsuaq — idem

5. Un peu de confort dans cette face hostile — idem

6. Double-page : Camp de base et objectifs toujours bien en vue — idem

7. Les cordées belges et l’espagnole célèbrent la fin de l’aventure — idem

8. Thiago de retour de la pêche — idem

9. Aurores boréales sur le Nalu — idem

partie de la douleur. Plus fort que le souvenir du froid ou de la blessure, c’est la fierté que je ressens d’être allée « jusqu’au bout de moi-même » et d’en être revenue qui restera. Ce dont je me souviendrai également, c’est de l’amour dans les yeux de Thiago lorsque je lui ai dit que je ne m’arrêterais plus avant la fin.

Je ne vous mentirai pas, au risque de vous décevoir, la vue n’était pas plus belle au sommet que 200 mètres plus bas. Il n’y eut ni cris de victoire, ni sentiment d’exaltation, ni révélation divine. Juste deux compagnons épuisés, en paix, arrivés au bout du chemin.

Je ne connais pas la proportion de petites filles qui, à la question « Que voudrais-tu être plus tard ? » répondent « Aventurière ». Mes copines voulaient devenir princesses, chanteuses ou danseuses. Par après, aux adultes m’ayant fait savoir que ce n’est pas un vrai métier, je répondais orthodontiste ou océanographe. Je ne suis devenue ni l’une ni l’autre. Le mot aventure vient du latin « ad ventura », ce qui advient. Cela signifie pour moi qu’un aventurier est celui qui prend ce qui vient, épreuves et surprises, et marche confiant aux côtés de l’inconnu vers son destin. Petite, ma réponse n’était pas juste naïve et légère, c’était une promesse. Une promesse à moi-même, à l’adulte que je serai plus tard. Je tente aujourd’hui d’en être digne.

« Tu ne diras à personne que j’ai pleuré comme un gros bébé ?

Non, si tu ne dis pas que j’ai été grognon et désagréable. »

À toi mon amour, avec qui j’ai fait mes premiers sommets et qui es mon partenaire de cordée et de vie depuis tant d’années, à toutes les aventurières, à Simon, sans qui rien de tout cela n’aurait été possible.

Thiago de Terwangne © 2024

RGENtec, le nouveau sponsor du Club Alpin Belge

Préserver sa peau pour mieux profiter de la montagne

Grimper, randonner, explorer la montagne…

Autant de plaisirs qui mettent notre corps – et en particulier notre peau – à rude épreuve. Qui n’a jamais ressenti cette sensation de mains brûlantes après une journée sur le granit rugueux d’une grande voie ou les prises abrasives d’une salle d’escalade ?

Les fissures douloureuses, la peau sèche et craquelée sont des réalités bien connues des pratiquants de sports de montagne. C’est pour répondre à ces problématiques que RGENtec® a vu le jour.

La science au service de la peau des pratiquants des sports de montagne, quel que soit leur niveau

RGENtec®, une marque française innovante lancée fin 2024, s’est donné pour mission d’accompagner les grimpeurs et autres amoureux de sports outdoor dans la pratique de leurs passions et le dépassement de leurs limites. Basée sur des recherches scientifiques poussées, elle a développé une technologie brevetée initialement employée par le corps médical pour la cicatrisation et la régénération cellulaire.

Cette innovation repose sur des formulations hautement performantes, conçues pour pénétrer rapidement sans laisser de film gras. Contrairement aux crèmes classiques qui n’offrent qu’un soulagement temporaire, les soins

RGENtec® agissent en profondeur pour réparer la peau et la renforcer sur le long terme. Une solution efficace pour celles et ceux qui veulent grimper sans être gênés par des blessures cutanées.

Un allié au quotidien

Que vous soyez grimpeur indoor, adepte des grandes voies, alpiniste ou simple randonneur, votre peau est soumise à des agressions constantes :

• La résine des prises en salle assèche et fragilise l’épiderme.

• Le calcaire des falaises agit comme du papier de verre.

• Les blocs de granit, les pierriers et les goulottes taillées dans la glace mettent la peau à rude épreuve. RGENtec® a donc développé une gamme de soins qui apaisent immédiatement les microlésions, réparent les tissus abîmés et préviennent l’usure prématurée de la peau.

Testés et approuvés par des grimpeurs, guides, secouristes en montagne : des soins hautement performants pour une récupération optimale

• Basés sur une technologie unique et brevetée, utilisée par le corps médical : l’assurance d’une efficacité prouvée scientifiquement

Adaptés aux grimpeurs et alpinistes : formulés pour apaiser et pénétrer rapidement dans la peau sans laisser de film résiduel

Des soins innovants au service des membres du Club Alpin Belge

Dans une volonté commune d’accompagner les pratiquants de sports de montagne, RGENtec® devient partenaire officiel du Club Alpin Belge. L’objectif est de proposer des produits et des informations pertinentes sur la protection et la régénération de la peau, ainsi que de partager les retours d’expérience.

1 an sur les routes d’Europe en famille

STEPHY PONCIN

Nez dans le guidon

Driiiiiing ! 6 h 45. Le réveil sonne. La course pour arriver à l’heure à la crèche, puis à l’école et enfin au boulot. Zut, il pleuvine. On enfile le pantalon imperméable, on négocie la veste ou le poncho avec les enfants. Premier coup de pédale dans un sens, puis dans l’autre : le cartable est resté sur la table. C’est le nez dans le guidon, les yeux plissés et en mode turbo qu’on s’élance, en retard. Comme toujours.

Alors, un soir où les enfants sont étonnamment tôt au lit, on déplie la carte d’Europe à vélo, glanée au Festival En Roue Libre. On commence à tracer nos rêves et à regarder le calendrier.

Ça y est, le plus dur est fait : définir une date de départ pour une année d’aventures à vélo !

L’équipe se compose de : Siméon, 2 ans et pas encore toutes ses dents,

• Lucien, rider de bosses et fraîchement grandi de cinq pommes,

• Ben, le vrai clown de l’équipe au sens de l’orientation irréprochable. Peut-être l’avez-vous croisé un mercredi à Freyr ? Il a troqué son slip (à clou) contre un maillot à pois. Et du poids, croyez-moi, il en tire avec ses 4 grandes sacoches et une carriole bien chargée ! Steph(y), conteuse et distributrice officielle de bisous magiques, mais aussi reportrice attitrée pour capturer un max de souvenirs de ce voyage.

Dans nos sacoches, entre un biberon et une pochette de crayons, un spectacle familial circo-clown pour rencontrer, rire et échanger avec un petit bout de l’humanité. Sans oublier nos chaussons, un baudrier et un grigri : le kit de base pour grimper sur tout ce qui ressemble de près ou de loin à une falaise.

Cela fait six mois que nous avons quitté maison, habitudes, boulots, routine, famille, amis, voisins (et pluie belge). Six mois que nous relevons le nez du guidon et pédalons vers l’inconnu (avec un GPS quand même) au grand air.

— Galeria, Corse
Steph Poncin

L’inconnu a ce petit quelque chose d’excitant, d’exaltant. Nos sens sont à vif, on s’exclame devant le beau (paysage), le grand (sommet), l’impressionnant (torrent) mais aussi le petit (écureuil), le minuscule (insecte), l’éphémère (papillon).

On entend le pic alerter de notre arrivée, la rivière qui bouillonne, le « ciao bambini » si chaleureux et, un peu trop souvent, le vrombissement des voitures et des camions.

On sent les fleurs de lierre, la croûte brûlée d’une pizza, le moteur à deux temps de ces petites voiturettes dédiées à la récolte des fruits en montagne, la tortilla en cours de préparation et… le lange de Siméon.

Lucien découvre la douceur de la mousse des bois sous ses pieds (et sur ses fesses quand le papier toilette de la remorque a continué sa route), l’arrondi des galets, le piquant des bogues de châtaignes qu’il veut absolument récolter et la joie des pumptracks sur notre route.

Siméon goûte ses premières pizzas et réclame à cor et à cri les « Bretzels » allemands (c’est fou de se dire que ce mot figure dans son top 50 avec « casque », « vélo » et « montagne »). Il s’émerveille de tout et réalise ses premiers kilomètres en « autonomie » sur sa draisienne. Nos yeux se régalent de la lumière du soir sur les oliviers, la Méditerranée, les allées de palmiers. Là-bas, un peu plus dans les terres, les rochers poussent comme des champignons et les montagnes formeront bientôt notre horizon.

Rouler à vélo c’est : apprécier chaque seconde (ou presque),

• savourer un sommet au goût salé,

• profiter de chaque tournant de la descente du col,

• engouffrer de l’air frais qui active nos neurones et nos petites voies intérieures.

C’est se retrouver simplement là, sans obstacle, face à un paysage, une rencontre inopinée, un chevreuil qui croise notre route, un rire (ou une dispute, soyons honnête) de nos enfants, un lever de soleil dans la brume. Mais aussi face à soi-même.

C’est découvrir chaque soir un nouvel endroit pour dormir : jardin, paroisse, caserne de pompiers, une chambre avec un bon lit chez l’habitant, une plaine de jeux,…

Mais l’inconnu, c’est également sans cesse repérer un chemin, une boulangerie, un magasin, un lieu où dormir ; c’est oser, décoder, s’installer et tout remballer le lendemain. C’est faire, défaire et refaire. C’est rencontrer, sympathiser et puis quitter. C’est aussi géant que fatiguant. Alors de temps en temps, cela fait tellement du bien de se poser, s'approprier un lieu, louer des livres à la bibliothèque du village, enfiler ses chaussons pour quelques jours et reprendre quelques habitudes à la boulangerie du coin. Quel bonheur !

Sur un vélo, on vit au rythme du soleil du matin qui réchauffe, du vent de dos qui pousse, de l’ombre des arbres qui rafraîchit et du ronflement des enfants qui, enfin, nous laissent un peu de répit.

— Liria, Valence, Espagne

Cela fait 6 mois que nous avons quitté maison, habitudes, boulots, routine, famille, amis, voisins (et pluie belge). 6 mois que nous relevons le nez du guidon et pédalons vers l’inconnu…

Quelques chiffres de ces 6 premiers mois :

• 5 119 km parcourus à vélo,

• 10 crevaisons… de matelas, 3 de pneus,

• 2 bivouacs sauvages et beaucoup de jardins,

• 7 représentations de notre spectacle

• 2 journées de vélo sous la pluie,

• 6 stops escalade : Maizeret, Berdorf, Arco, valle de Lanaïto, Cala Gonone et Chullila.

• 1 100 m : la journée la plus verticale à vélo

• 90 kg : chargement vélo Ben avec 2 kids

• 11 livres lus, merci mes chers collègues d’Entre Ciel & Terre pour cette bulle d’évasion que je m’offre tous les soirs avec votre liseuse.

Sarahwoofeuse américaine © 2025
« Il y a beaucoup de l’eau maman »
SIMÉON
Benoît
Berthe © 2024 Sardaigne

1. Le bonheur au bout des doigts — Grandes voies Arco, Italie

2. Clap on tourne — Bibliothèque de Bastia, Corse

3. Rikiki mais costaud · J 221 — Espagne

4. Itinéraire en date du 6 mars 2025 — Source : https://www.polarsteps.com/nezdansleguidon/

5. La chaleur d'un regard — Tiarno de Sopra, Italie

6. « Maman, pourquoi tu ne sais jamais quel jour de la semaine on est ? » Lucien — Parc naturel Delta de L’Ebre Catalogne

...Mamaaan !...

Mais quand l’hiver arrive, que le vent se fait tempête, que la pluie s’invite, on se sent minuscule et vulnérable. Il faut composer avec la nature, la météo, les dénivelés et nos deux ouistitis.

Alors ce soir, blottis près du feu de Juan et Trinidad qui nous offrent un bon repas et un toit, on savoure ces rencontres magiques et uniques qui font toute la richesse de notre voyage.

En apercevant la une d’un journal, en recevant des nouvelles de Belgique, on prend conscience que le temps s’étire, que la vie continue, même si la nôtre flotte entre deux belles parenthèses.

Et si les parenthèses renfermaient les plus intenses et les plus beaux moments d’une vie ?

On ne peut alors que vous souhaiter d’en ouvrir à votre tour ! Vous verrez, cela fait un bien fou !

STEPHY PONCIN

En roue libre : Festival du voyage à vélo Boitsfort. 28 et 29 mars 2025 ! https://www.enrouelibre.be/ Nous suivre : https://www.polarsteps.com/nezdansleguidon

Le Noyau Alpi fait peau neuve et devient la Belgian Mountaineering Community (BMC).

Nouvelle identité, même passion !

LE CLUB ALPIN BELGE

Rejoignez le groupe

Facebook de la BMC

En tant que membre du Club Alpin Belge, cette plateforme est mise à votre disposition pour proposer vos sorties, poser vos questions, poster vos aventures, trouver votre compagnon de cordée, échanger sur les conditions, comparer du matériel, débattre sur l’une ou l’autre technique, bref : échanger sur tout ce qui touche à l’alpinisme et à la montagne !

De plus, du matériel sera disponible pour les sorties officielles de la BMC ainsi que les sorties organisées par le biais de notre plateforme.

Pour ceux qui n'auraient pas Facebook, rejoignez la communauté WhatsAp.

L’objectif de la Belgian Mountaineering Community (BMC) est de rassembler des alpinistes autonomes issus des différents Cercles du Club Alpin Belge. Cette communauté vise à encourager et faciliter l’organisation de sorties en montagne tout en favorisant le partage d’expériences et de compétences entre passionnés.

En plus des sorties spontanées proposées par ses membres, la BMC organisera chaque année trois événements officiels :

• Une grande journée portes ouvertes, offrant diverses activités pour rafraîchir ses connaissances et faire découvrir l’alpinisme au plus grand nombre.

De haut en bas :

Traversée W > E du Liskamm (4 532 m)— Mont Rose

Parrotspitze (4 434 m) — idem

Pointe Dufour (4 634 m) — idem

Un rassemblement hivernal [pour alpinistes autonomes] proposant, selon les conditions, des cascades de glace, des goulottes ou des sorties en ski de randonnée/splitboard.

Un rassemblement estival [pour alpinistes autonomes], où les cordées pourront partager leurs aventures et se challenger sur leurs projets les plus ambitieux.

Ces événements ne sont ni encadrés, ni à vocation formative, mais visent à créer une dynamique de partage au sein de la communauté.

Les dates et les détails de ces évènements vous sont transmis à travers les outils de communication du CAB.

Ardennes & Alpes — n°223

Une délégation belge à la Mecque de la glace

NICOLAS COLSOUL

(Chroniques de notre rassemblement hivernal à Cogne)

ALEXANDRE DE BIE (Premiers coups de piolet)

Ci-contre : La fameuse cascade Hard Ice in the Rock Direct — Italie, Aoste, Cogne, Valeille En bas : Retour de Patri à la frontale.

La cascade de glace a ce pouvoir unique d’attirer les passionnés de montagne, qu’ils soient débutants curieux ou grimpeurs aguerris. Pour cette semaine à Cogne, trois cordées composées en grande partie d’Init Alpi se sont retrouvées autour d’une même envie : grimper. Certains revenaient ici avec l’assurance de l’habitude, tandis que d’autres posaient leurs premiers coups de piolet sur la glace. Voici deux regards croisés sur cette aventure hivernale : d’un côté, le récit d’une semaine rythmée par les ascensions ; de l’autre, le témoignage d’une première immersion dans le monde glacé de Cogne.

Chroniques de notre rassemblement hivernal à Cogne

Avant d’attaquer la glace, faisons les présentations :

Ulrich : il grimpe, il mange, il dort. Pas de faux pas pour ce bougre. Mental et physique d’acier, mais humour douteux. S’il y a un passage plus dur à faire, il nous l’imposera. S’il faut se couper en deux pour un mouvement, il tendra le couteau.

Martin : l’homme sage et prudent. Toujours motivé et partant pour n’importe quelle sortie. S’il a son petit café, c’est un plus. Martin n’est pas une tête brûlée, il sait renoncer si nécessaire, mais il a de la marge technique ! Et si vous avez besoin d’aide pour dénouer vos nouilles en chantant, vous pouvez compter sur lui !

• Simon : le gars qui ne voit pas l’intérêt de la cascade de glace. Pourquoi s’infliger ça ? Alors qu’il pourrait être en montagne, sur des sommets, à voir quelque chose au loin. Il préférerait être dans la « peuf » au soleil, en train de dévaler les pistes en snow.

• Et moi, Nico : le râleur professionnel en montagne, déterminé à prendre ma revanche sur la saison précédente.

Nous nous retrouvons tous à Cogne le samedi soir. Le ton du séjour est déjà donné : amb iance bon enfant, entraide, apprentissage et blagues lourdes. Alex et Damien nous rejoignent pour notre premier festin, portant notre nombre à six dans un appartement déjà trop petit. L’excitation est palpable, entre souvenirs partagés et préparation agitée pour notre première sortie, qui sera aussi une école de glace pour Simon.

Le programme de notre semaine, nous avons pris soin de le construire crescendo, autant en difficulté qu’en engagement. Lillaz, notre premier terrain de jeu, est parfait pour retrouver les sensations : force, précision, équilibre. Ulrich et Martin, les habitués, ouvrent le bal. Dès les premières longueurs, les automatismes reviennent. Les ancrages se font plus précis, les placements de pieds plus assurés. Simon, entouré des meilleurs professeurs de la vallée, s’en sort sans mal. L’ambiance est studieuse mais détendue et, déjà, les premières anecdotes fusent.

Dès les premières longueurs, les automatismes reviennent.

Les

ancrages se font plus précis, les placements de pieds plus assurés.

Les journées s’enchaînent au rythme des conditions. Patri, que nous avons le plaisir de découvrir sous une forme différente chaque année (merci Dame Nature pour cette diversité), nous met à l’épreuve avec ses longueurs techniques. La première n’est qu’une suite de mauvaises assiettes : la glace casse en larges plaques qui rebondissent sur nos casques ou sur notre second. L’exercice demande encore plus de précision et de vigilance. Le froid

mord, la fatigue s’installe et la nuit finit par tomber. C’est le moment de redescendre en rappel et de rentrer, éclairés par nos frontales. Sur le chemin du retour, l’énergie revient en fredonnant des chansons italiennes, un rituel improvisé mais sacrément efficace.

Plus tard dans la semaine, nous rejoignons l’Acheronte. Il fait magnifique et l’ambiance est au rendez-vous. Première longueur assez facile, mais le constat est sans appel : les cordes sont complètement gelées. Martin et

la véritable épreuve de la semaine, […] c’est Lau Bidj. Ulrich nous propose d’ouvrir cette cascade en 5, un monstre de glace de 100 m de haut et décoré de stalactites. Magnifique.

Ulrich peinent à nous faire monter en second. Heureusement, Ulrich a des gros bras et nous avons assez d’outils pour nous sortir de ce genre de situation. La suite se déroulera beaucoup mieux dans une cascade magnifique, ambiance goulotte de montagne. Sortie de la cinquième longueur pour Simon, en tête et encouragé par les asticots. Il est enfin des nôtres, il a déchiré son pantalon d’un coup de crampon. On fête son anniversaire tous ensemble au « sommet » en dégustant un gâteau italien. Mais la véritable épreuve de la semaine, celle qui me marquera le plus, c’est Lau Bidj. Ulrich nous propose d’ouvrir cette cascade en 5, un monstre de glace de 100 m de haut et décoré de stalactites. Magnifique. L’occasion est trop belle, Martin et moi acceptons sans hésiter. Le benjamin du groupe nous équipera la première longueur en finesse et repos maîtrisés. On le rejoint au relais malcommode avec Martin, daubés et essoufflés. La seconde longueur, en traversée, nous semble compliquée : ce sera pour une prochaine fois…

Chaque soirée est rythmée par de longues discussions autour de notre passion commune mais aussi sur la formation initiateur alpinisme et la Belgian Moutainering Community. Entre deux fous rires, on analyse la météo et les risques d’avalanches, car la cascade de glace est une discipline exposée.

Martin dans la première longueur vertigineuse et soutenue de Lau Bidj

Nicolas Colsoul © 2025

Ulrich équipe la première longueur du monstre Lau Bidj. En bas : Ulrich ouvre un D6 à Lillaz Beach, l'équilibre est complexe et chaque mouvement est un combat.

Le rythme de vie d’un séjour en cascade de glace est bien différent de celui d’une expé d’escalade. Ici, tout tourne autour de la montagne et de ses caprices.

Une journée de dry-tooling à Lillaz Beach vient casser la routine et donner une autre dimension à notre progression. Et oui, à défaut de taper la glace avec des piolets, autant crocheter de toutes petites prises en faisant un effort colossal dans chaque mouvement. Quel plaisir d’essayer ces voies bien techniques (merci Ulrich pour les moulinettes). C’est si satisfaisant de débloquer des mouvements et d’entendre le doux bruit de l’acier contre le gneiss.

Lillaz Gully s’invite au programme en fin de semaine. Après une belle approche, on s’équipe au pied de la voie et on entend des déclenchements spontanés d’avalanche. Quand la montagne ne veut pas, elle ne veut pas : on redescend en quatrième vitesse. Ce n’est que partie remise. Le dernier jour, l’occasion se présente enfin de boucler cette cascade mythique. Les conditions sont idéales, la progression fluide, les gestes précis. Piquenique au sommet, ensemble, satisfaits du séjour et de tous les bons moments que nous avons partagés, mais aussi de toujours avoir nos 2 chevilles alignées. Tout le monde a bien progressé pendant ce séjour. Dernière pizza à Cogne avant le retour en Belgique, des souvenirs plein la tête. Le rythme de vie d’un séjour en cascade de glace est bien différent de celui d’une expé d’escalade. Ici, tout tourne autour de la montagne et de ses caprices. On scrute la météo, on analyse le Bulletin d’Estimation du Risque d’Avalanche (BRA), on traque les conditions sur les réseaux sociaux. Chaque journée commence tôt et, souvent, elle se termine tôt aussi. Mais malgré toute l’anticipation, l’incertitude reste une constante. Certains jours, tout s’aligne. D’autres fois, la progression s’arrête net dès l’attaque ou au milieu d’une longueur, bloqués par un imprévu ou des conditions changeantes. Comme ce jour où nous sommes partis dans Tutto Relativo et où l’aventure s’est arrêtée à la troisième longueur : un rideau de glace mal formé qui pisse comme une vache. C’est la règle du jeu. Cette dépendance aux éléments fait toute la particularité de la discipline et la rend encore plus intéressante. Chaque réussite a une saveur particulière et chaque tentative avortée devient une leçon pour les prochaines fois.

Discors © 2025

Martin Discors © 2025

Martin

Premiers coups de piolet

Tout commence par un message innocent. Damien me demande des infos sur les cascades autour de Turin. Je lui parle de Cogne, et il me propose aussitôt de caler une semaine et d’aller voir ça ensemble. On se connaît à peine – une rencontre lors de son stage Init – mais le hasard veut que mon frère le connaisse bien. Damien a une belle expérience d’expéditions et, moi, j’en rêve depuis un moment. On partage la même soif d’aventure et un attrait marqué pour les endroits moins fréquentés. Néanmoins, quand il s’agit de découvrir une nouvelle discipline, on sait aussi mettre de côté nos préférences pour maximiser les opportunités d’apprentissage.

Alors c’est décidé : fin janvier, on part. Pas d’hôtel ni de gîte, ce serait trop simple. On veut garder notre liberté (et puis ça laisse plus de budget pour une bonne bouteille de Nebbiolo et les délices italiens), alors on opte pour Nono, le fidèle compagnon de route de Damien, une caravane des années 90 qui a déjà fait ses preuves dans le froid piquant des fonds de vallées.

Premiers pas sur glace

Un premier coup de piolet dans la cascade, la lame s’ancre bien, un léger mouvement de poignet et c’est parti. Les pieds suivent, mais les sensations sont loin de l’adhérence rassurante des chaussons de grimpe. Ici, tout est différent : l’équilibre, l’appui, le mental surtout. On est sur de l’eau.

On se la joue sécurité et on sort vite une première broche. Galère absolue. Bon, j’exagère, mais si cette cascade était plus raide, ce serait une autre paire de manches. La

Au fil des ascensions, tout change. La confiance s’installe, le plaisir vient et l’envie de continuer aussi.

deuxième passe mieux. Il va falloir optimiser – sur les grandes longueurs, chaque geste compte et le baudrier ne peut pas devenir un magasin ambulant.

Jour après jour, on progresse. Chaque sortie est une leçon, une technique qui s’affine, des petites erreurs qui nous servent d’apprentissage. Honnêtement, avant de partir, je pensais que la cascade ne serait pas trop mon truc. Mais j’aime les découvertes et, plus que tout, les moments en montagne entre amis. Pourtant, au fil des ascensions, tout change. La confiance s’installe, le plaisir vient et l’envie de continuer aussi.

L’ascension finale

Pour finir en beauté, on vise une cascade de 140 m. Niveau modeste, du 3, mais suffisant. Sans piolets traction ni monopointes, ça reste un beau challenge

Lors de l’approche, il neige « dru », comme dirait mon compagnon de cordée. Il me fait rire avec ses expressions. Une rivière à traverser (bon, après, il doit bien se marrer aussi à chaque fois que je lui parle du fleuve… moi et ma maîtrise de la langue de Molière !), une montée dans la poudreuse et nous voilà au pied de notre mur de glace. La première longueur se déroule bien, fluide, rassurante. Sur

Page de gauche : On remballe, c’était bien sympa

— Italie, Aoste, Cogne, Valnontey

De haut en bas : L’approche en mode hivernal

— Italie, Aoste, Cogne, Valeille

Damien dans un des rappels de Vertigine di Porcellana

— Italie, Aoste, Cogne, Valeille

Nono se les gèle — Italie, Aoste, Cogne, Valnontey

la deuxième, on s’engage peut-être du mauvais côté, mais tant mieux, un peu de challenge ne fait jamais de mal.

Puis vient la troisième longueur. Une belle goulotte. La neige cesse, le soleil pointe le bout de son nez. Tout devient plus mental. Il faut grimper vite, mais sans précipitation. Trouver le bon équilibre entre fluidité et gestion du risque.

Troisième broche posée avant le crux, la partie clef de notre voie : un mur vertical de deux mètres à peine, mais qui me met à l’épreuve. Juste assez hors de ma zone de confort pour que l’expérience soit formatrice. Je sors du passage, mais c’est un champ de neige sans ancrage possible. Impossible de poser un relais correct. J’avance encore, regrettant de ne pas avoir relu le topo. Deux longueurs de 30 m s’enchaînent – on est sur des doubles de 60 m – je sens la corde arriver en butée. Pas tellement de glace visible et un beau relais tout rouillé. Tant pis, je me mets en sécurité sur un énorme champignon de glace. Pas le plus académique, mais dans l’instant, ça fait le job. Damien me rejoint, tout aussi exalté que moi. Un sourire triomphant à la sortie de la goulotte. On reste quelques minutes à profiter de l’ambiance. Ensuite, on lance les cordes et on descend en trois rappels. Retour vers Nono avec cette sensation unique de satisfaction, d’une journée en pleine nature à se surpasser, à se comprendre sans parler.

Le retour à la civilisation se fait en douceur, mais l’aventure est loin d’être finie. Dans quelques semaines, un autre projet nous attend : une expédition ski de rando, une vallée isolée, sept jours en autonomie. Une chose est certaine, la montagne n’a pas fini de nous appeler.

NICOLAS COLSOUL ALEXANDRE DE BIE

Alexandre
De Bie © 2025
Alexandre De Bie © 2025
Alexandre De Bie ©
Ardennes & Alpes —

Épisode IV

Rêve blanc

Expédition dans les « alpes » suédoises

GEORGES TOD

Comme promis par John dans l’A&A précédent, nous allons vous partager quelques péripéties de notre expédition dans les alpes scandinaves, tout au nord de la Suède.

En escalade comme en alpinisme, on fait souvent l’éloge de la performance extrême, de la voie la plus dure ou de la course la plus technique et engagée. Il me semble qu’il existe un vide immense dans l’éloge de l’absence de performance voire même de la nullité. Il me semble aussi que jamais personne ne se plaint de ne pas être assez nul. Alors je crois que l’on peut classer la nullité dans la catégorie des choses assez bien réparties parmi nous sur Terre. De plus, nos activités relèvent plus du passe-temps (parfois même à temps plein pour certains) que d’un sport. C’est-à-dire qu’au final on n’a pas à se donner un cadre, des règles et ou des objectifs précis et mesurables. Il ne s’agirait pas de faire l’éloge de performances sportives médiocres, mais plutôt de tailler une place de choix pour l’échec et pour la contre-performance joyeuse. C’est que la nullité peut aussi être le fruit d’un entraînement acharné, d’un enthousiasme débordant, d’une audace sans nom ainsi qu’une source d’épanouissement et d’inspiration insondable.

Cette idée étant suffisamment floue, laissez-moi tenter de l’illustrer. Après 5 jours passés sur la Kungsleden, le premier sommet que nous avions envisagé de visiter avec John était celui du Kebnekaise. Le projet initial était d’emprunter une voie par l’ouest qui apparaît sur certains topos. Finalement, c’est grâce aux intuitions géniales de John que nous avons suivi puis improvisé une voie sur une arête aérienne. En espérant que vous ayez lu assidûment nos articles précédents, vous vous souvenez que l’histoire était plutôt enneigée voir glacée et que nous nous déplacions à ski. Détail non des moindres, puisque mon expérience à ski se résumait à ce moment-là à un cours d’une semaine, un mois avant de partir. Alors forcément, le Kebnekaise quand on apprend à monter à ski et qu’on n’est pas un champion de la descente, ça marque ! Le matin en partant avec John, j’avais pris soin de bien serrer les sangles du DVA contre ma poitrine, la pelle et la sonde à portée de main et les crampons pour les skis prêts à être dégainés. J’étais prêt, enfin je croyais. Avant de partir, chez moi à Bruxelles, j’avais longuement regardé ces crampons à ski, en me demandant, mais à quoi ces choses-là vont bien pouvoir nous être utiles ?

C’est chose faite, je sais maintenant ! À la montagne, hors de portée d’un canon de neige, la neige peut être moins sympathique que prévu. Les peaux sous les skis de randonnée accrochent très très bien jusqu’à ce que le terrain soit trop raide ou la neige trop dure ou les deux. Et nous avons vécu cela à la montée du Kebnekaise. Alors, pour pouvoir garder le sourire et arrêter de penser que l’on va dévisser à tout moment, on sort les crampons à ski ! Et là, c’est la fête ! Ces trucs accrochent tellement fort que l’on a l’impression d’être vaché à la montagne.

À ce moment-là, je me souviens m’être dit que c’est quand même dommage que les vêtements en plastique que nous portons glissent aussi bien. Je suis certain qu’un ours, avec sa fourrure, dévalerait la pente moins vite.

Page précédente : John en route vers le pied du Kebnekaise. — Kebnekaise, Suède

En bas : Le plus bel arbre du monde.

— Parc national de Stora Sjöfallets, Suède

Sensation de courte durée, puisqu’une fois que l’on est arrivé au sommet d’une montagne, il faut en général en redescendre. Terrible destin que celui que nous réserve la gravité. Et à la descente, ce n’est pas tout à fait pareil. Pour descendre, l’idée étant de glisser aussi vite que possible, les dents bien affûtées sous les skis, ce n’est pas pratique, alors on les enlève, forcément. Dans le numéro d’A&A précédent, John vous a dévoilé avec beaucoup de retenue ma chute, alors rendons-la un peu plus épique ! En réalité, avant de chuter à la descente sur cette pente à 40° en neige dure, il faut imaginer un peu la scène. On est au-dessus d’une mer de nuages, le lieu le plus paisible du monde. On ne s’attendait pas vraiment à

vivre une journée aussi magnifique, alors la vie est belle. Et puis pour entamer la descente, John s’élance dans la pente, il fait des virages parfaits, reste bien loin de la barre rocheuse, littéralement il dessine sur la neige. Un peu plus bas, il s’arrête et m’attend, c’est à mon tour de descendre.

Mais les choses ne se passent pas tout à fait comme prévu. Le temps de me replacer avant de suivre sa trace que je perds déjà l’équilibre, chute et dévale la pente à belle allure. À ce moment-là, je me souviens m’être dit que c’est quand même dommage que les vêtements en plastique que nous portons glissent aussi bien. Je suis certain qu’un ours, avec sa fourrure, dévalerait la pente moins vite. Ma deuxième pensée a été de me dire que « ce serait quand même pas cool de se prendre une barre rocheuse à pleine vitesse ». Au cinquième jour en plus, le dernier jour je veux bien, mais le cinquième ? Alors mon réflexe a été de tenter de m’arrêter avec mes bâtons. Je vous rassure je ne les ai pas plantés trop fort, je tiens autant à mes épaules qu’à mes bâtons. Dans tous les cas, et ce n’est peut-être pas un scoop pour vous, mais c’est totalement inefficace. Le temps de réaliser que cette idée n’est pas la plus brillante, la panique est déjà bien montée. Heureusement, mon mentor plus bas me donna une idée salvatrice : « Georges ! ! ! Utilise tes carres ! ! ! ». Un autre événement heureux est que je ne n’y connais pas grand-chose au ski mais je sais ce que sont les carres. Alors, regardant la barre rocheuse se rapprocher, je m’exécute. Aucun suspense, ça fonctionne juste très très bien. Les carres, c’est la base (je crois) du freinage quand on chute à la descente ! Pour le reste de la descente, j’ai troqué mes bâtons de ski pour un piolet, histoire d’avoir encore plus de chances de m’arrêter très vite et en bonus de bien faire marrer John. Laissez-moi partager encore un deuxième exemple de contre-performance. Cette fois, cela concerne nos sacs de couchage. Un camarade aventurier racontait, dans un chouette article d’A&A datant de 2023, que dans sa tra-

Tod © 2024

Georges

versée jusqu’au cap Nord, il n’avait pas utilisé un sac de couchage prévu pour le grand froid, mais qu’il avait enfilé deux sacs de couchage l’un dans l’autre afin de bénéficier de l’isolation des deux. Il n’en fallu pas plus pour nous enthousiasmer, pendant les préparatifs de notre voyage, pour ne surtout pas acheter de sacs de couchage d’hiver et tenter d’en cumuler deux. Avec du recul, je vous le dis ce n’est pas si simple. J’ai cumulé un sac confort à -2°C et un sac confort à +3°C. Certains forums savants prétendent qu’un tel enfilement permet environ d’obtenir un sac confort avec Tconfort = 18°C-isolation_sac1-isolation_sac2 = 18 °C-(18°C-(-2°C)+18°C-(+3°C)) = -17°C. Cette théorie douteuse m’a garanti d’avoir suffisamment froid par des nuits à -20°C pour la déconseiller. Heureusement, dormir complètement habillé m’a permis de régler ce problème. En plus, lorsqu’il fait vraiment froid dehors, sortir faire pipi lorsque l’on est déjà complètement habillé est très très pratique. D’une pierre deux coups, la nullité a encore frappé.

Mais finalement que retenir de cette histoire de contre-performances ? Celles-ci ont été le piment de notre expédition. Des moments où le temps semble figer la bêtise devant de nos yeux. Avec le temps, ceux-ci deviennent des moments auxquels on peut repenser avec le plus grand des sourires aux lèvres et qu’on peut partager avec la plus grande joie.

TOD

Ci-contre : Quelque part sur la Kungsleden en fin de journée. — Kebnekaise, Suède En bas : Georges au-dessus des nuages, en direction du sommet du Kebnekaise. — Kebnekaise, Suède

Georges Tod © 2024
Jonathan
Vard © 2024
Ardennes & Alpes —

Le Rocher des Surdents

Ouverture d’un nouveau site naturel d’escalade privé à Verviers

LE CLUB ALPIN BELGE

Un nouveau terrain de jeu est désormais accessible aux grimpeurs : le Rocher des Surdents. Ce site naturel d’escalade, situé dans un cadre privé et géré par le Club Alpin Belge, propose une dizaine de voies équipées, du 5a au 7b. Le rocher a été rendu accessible aux grimpeurs grâce au travail de Jacques Lenoir, qui l’a « découvert » et mis en état.

Un accès réglementé

Le Rocher des Surdents est situé dans le jardin privé de la propriétaire et son accès est strictement encadré.

L’entrée se fait uniquement par la porte du jardin, située à gauche du n° 68/70 rue Surdents à Verviers (4801). Pour y grimper, il est impératif de contacter Jacques Lenoir au moins deux ou trois jours à l’avance (de préférence par SMS au +32.496.69.22.48 ou par mail à lenoir-jacques@live.be).

Seuls les membres du CAB, UBS, KBF, NKBV ou d’une autre fédération d’escalade affiliée à l’UIAA sont autorisés à grimper. Ils doivent présenter leur carte de membre et être couverts par une assurance en responsabilité civile.

Hauteur max. du rocher : 25 m

Hauteur des voies : 15 m

Accès au site

Le Rocher des Surdents se trouve dans le hameau des Surdents à Verviers, en province de Liège. Voici comment vous y rendre :

1. De Verviers, prendre la N61 en direction de Dolhain/Limbourg.

2. Continuer tout droit après la sortie de Verviers vers Eupen.

3. Arriver aux Surdents et rejoindre le rond-point Jean Mobers.

4. Faire le tour complet du rond-point, puis revenir sur environ 300 m.

5. Prendre le pont sur la droite pour rejoindre la zone de parking juste après le pont.

6. Le rocher se trouve en face : soyez prudents lors de la traversée.

7. Entrée par la grille du jardin.

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