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UlnZalne littéraire
2 F 50
Numéro 11
1er septembre 1966
Lettres Ï-nédites
Thomas Mann. Pasternak. Capote parle.Bataille ~~ par Ph. Sollers <"
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Havelock Ellis
.Un poèm.e retrouvé de
Lafor ue .La science chin~ise Du nouveau sur A~ Brecht ateb Yacine·JazZ ~
. ~
.
SOMMAIRE
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LB LIVRB DB LA QUINZAINB
4
ENTRETIEN
6
LITTÉRA TURE ÉTRANGÈRE
8
Truman Capote
De sang-froid
par François Erval
Truman Capote : S'engager dans l'aventure
propos recueillis par Madeleine Chapsal
Thomas Mann
Lettres (1889-1936)
par Georges Piroué
Boris Pasternak
Les
VOLeS
aériennes
par Erik Veaux
7
PUBLIÉ A L'ÉTRANGER
Bertolt Brecht
Le livre des tournants
par François Bondy
8
ROMAN ÉTRANGER
Gerardo Mello Mourào
Le valet de pique
par Jacques Fressard
9
ROMANS FRANÇAIS
Kateb Yacine Michel Servin Georges Bataille
Le polygone étoilé Les Tantes Ma mère
par Maurice Nàdeau par Robert André par Philippe Sollers
12
INÉDIT
Sigmund Freud
Lettres inédites
14
HISTOIRE LITTÉRAIRE
G. Mongréd,ien
Mémoires de l'Abbé de Choisy
par Samuel S. de Sacy
16
ÉRUDITION
Un poème inédit de Laforgue
par Pascal Pia
18
ART
Tympans romans Castille romane La Tapisserie de Bayeux
par Jean Selz
Gérald Gassiot-Talabot
Erma
par Geneviève Bonnefoi
10
17 18
PSYCHOLOGIE
André Virel
Histoire de notre image
par Rogèr Frétigny
19
SEXOLOGIE
Havelock Ellis
Etudes de psychologie sexuelle
par Dominique Fernandez
20 21
HISTOIRE
Leo Gershoy Robert Cornevin
L'Europe des princes éclairés Histoire de l'Afrique .
par Jean-Pierre Peter par Dominique Desanti
22
POLITIQUE
Robert A. Dahl
L'avenir de l'opposition dans les démocraties
par Pierre Avril
24
ÉCONOMIE POLITIQUE
Eugène Préobrajensky
La nouvelle économique
par Victor Fay
28
SCIENCES
Joseph Needham
Science and civilisation in China Les névroses expérimentales
par Jean Chesneaux
Dictionnaire raisonné des mathématiques
par Gilbert Walusinski
Le jazz est-il mort?
par Michel-Claude Jalard
Publicité Littéraire; 71 rue des Saints-Pères, Paris 6 Téléphone 548.78.2L
Crédits photographiques
27 28
Jacques Cosnier MATHÉMATIQUES
André Warusfel
ANTIBES 30
par J. Massière
LA QUINZAINE HISTORIQUE TOUS LES LIVRES
François ErvaL Maurice Nadeau
Conseiller Joseph Breitbach
Comité de Rédaction Bernard Cazes, François Châtelet, Françoise Choay, Dominique Fernandez, Marc Ferro, Michel Foucault, Gilbert Walusinski
La Quinzaine
Direction artistique Pierre Bernard
littéraire
Administration Jacques Lory Rédaction, administration; 13 rue de Nesle, Paris. Téléphone 033.51. 97 . Imprimerie; Coty S.A. Il rue F .-Gambon, Paris 20
1
p. p. Publicité générale: au journal. ! p. p. Abonnements: p. Un an : 42 F, vingt-trois numéros. p. Six mois: 24 F, douze numéros. p. Etudiants: six mois 20 F. p. Etranger: p. Un an: 50 F. Six mois: 30 F. p. Tarif postal pour envoi par avion. au journal. , p. ! p. Règlement par mandat. , p. chèque bàncaire, chèque postal. p. C.C.P. Paris 15.551.53. p. Directeur de là publication : , p. François Emanuel. p. Copyright La Quinzaine littéraire p.
3 Richard A vedon 4 Cartier-Bresson, magnum 6 Cornell Capa, magnum 7 Roger Viollet 9 Doc. Le Seuil éd. 11 Doc. J.J. Pauvert éd. 13 Roger Viollet 14 Roger Viollet 15 Roger Viollet 16 Doc. Zodiaque éd. 17 Doc. Zodiaque éd. 19 Doc. Club des Libraires 20 Doc. Club des Libraires 21 Atelier René-Jacques 23 Cornell Capa, magnum 25 Roger Viollet 27 Agnès Varda 29 Dennis Stock, magnum
LE LIVRE DE LA QUINZAINE
Fiction et réalité Truman Capote De sang-froid Traduit de l'anglais Gallimard éd. 424 p.
veaux amis . Il semble qu'après un tout en fohction de considérations premier stade où la curiosité l'a esthétiques. emporté, il a fini par se passionner C'est, en effet, ce choix qui est non seulement pour leur {( cas », essentiel et c'est dans ce domaine mais aussi pour leurs personnes. que De sang-froid pourrait être De ses recherche~ -et enquêtes exemplaire. D'autres avant Capote Truman Capote a rapporté quelque ont essayé d'écrire des « romanscinq mille pages. Il n 'avait pas vu documents» et il suffit de penser, uniquement - les .d eux criminels, parmi les publications récentes, à mais a patiemmeIit interrogé tous la Famille ' Sanchez d'Oscar Lewis les habitantsdë la petite - ville de ou au Stalingradd,'Alexander KluHolcomb, lu tous les rapports médi- ge. Oscar Lewis travaillait avec un caux et judiciaires, vu toutes les magnétophone qui 'est finalement personnes qui ' avaient eu - le moin- plus précis et plus fidèle qu'une dre contact avec Dick -et Perry ou mémoire humaine, même entraînée leurs victimes. P n'a pas seulement _ par des méthodes rtmémotechniques écrit un roman policier -ou ' une _ auxquèlles siest exercé notre auteur. étude clinique de deux condamnés MaÎS",surtout Oscar Lewis - bien à mort, mais aussi une qescription qu'il ait aussi trié dans sa docusociologique d'un petit village ' du mentation - avait avant tout un centre des EtatS~UJÛs. ' souci sociologique, alors q"!le l'esthéL'auteur nous assure' que tout tique semble toujours dominer chez dans son livre est exact, -vrai et Capote. Chez Alexander Kluge le souci contrôlable. Tous_les faits et gestes des deux assassins, de Clutter et de créer une nouvelle forme d'art de sa' femme, de Kenyon, leur fils et de Nancy, leur fille seraieIit rigoureusement « scientifiques » . Nous lisons pourtant (page 32) :
Le dernier livre de Truman Capote est passionnant à · plus d'lm titre. D'abord par son contenu: le récit et l'analyse d'un crime qui stupéfia l'Amérique par son horreur et sa gratuité apparente. Mais il est encore plus intéressant par les problèmes techniques qu'il soulève,. par les réponses que Truman Capote tente de donner à ce qu'on a l'habitude de .nommer la crise du roman. Il s'agit ici, selon le sous-titre français , du récit véridique d'un meurtre multiple et de ses conséquences. Chargé par le New Yorker d'étudier un quadruple assassinat dans le Kansas, Capote rapporta, ap,rès cinq années un « roman-docum~nt » qu'il voulait d'un type nouveau. Dans ' de nombreuses déclarations l'auteur a essayé de formuler une nouvelle conception du roman, prête à surgir après cette première tentative. « Grands dieux, Kenyon! Je ne suis pas sourde.- » Le village de Holcomb est situé Comme toujours, Kenyon avait sur les hautes plaines à blé du Kansas. C'est ainsi que Truman le diable au corps. Ses cris retenCapote commence son -compte ren- tissaient dans l'escalier: {( Nancy ! du. Il raconte la vie paisible de la T éléphone! » famille CluÙer,. riches fermiers , Pieds nus, en pyjama, Nancy décroyants, respectés par leurs conci- vala les marches. Il y avait .deux toyens qui un jour furent les vic- téléphones dans la maison: un dans times de deux mauvais garçons. la pièce dont son père se servait Dick et Perry avaient fait connais- com me bureau, un autre dans la sance en prison et un co-détenu leur cuisine. Elle décrocha l'appareil de avait parlé des Clutter, de la situa- la cuisine ... tion isolée de leur ferme et surtout d'un coffre-fort. Dick et Perry Le contenu de l'entretien téléespèrent y trouver une somme phonique a été rapporté à Capote d'argent considérable et échapper par l'interlocutrice de Nancy. Mais ainsi définitlvement à leur misère. pouvait-il savoir tous les faits qu'il Dès le début ils étaient décidés de nous donne, alors que tom; les téne pas laisser de témoins, de tuer ' moins possibles de cette scène -ont tout le monde, afin d'accomplir un péri dans le massacre, ? -g ne s'agit crime parfait. Malheureusement pas de chicaner- l'auteur sur des pour eux, le coffre-fort n'existait détails (on pourrait relever d'autres pas, mais pris dans l'engrenage de passages analogues dans son livre) leurs résolutions, ils finissent par mais d'examiner sa méthode: Catuer sauvagement les quatre mem- pote est romancier et son talent de bres de la famille, tout en empor- romancier lui fait parfois oublier tant seulement quelques dizaines de l'enquêteur objectif. Il n'est pas dollars. Ce crime qui devait chan- ~outeux qu'il se sert dans cette ger leur vie était devenu inutile et scène d'un procédé qui a été soule témoin qu'ils avaient- laissé der- vent utilisé dans des {( biographies rière eux en prison devait rendre romancées » où on nous décrit les caducs tous leurs calculs. Arrêtés, actes ou les pensées de Marie-Antoicondamnés à mort, ils furent exé- nette ou d'Alexandre le Grand, cutés après . cinq années d'attente, ignorés par tous leurs contempoau cours desquelles ils ont fait jouer rains, mais , miraculeusement retoutes les possibilités dilatoires trouvés , 'par un écrivain quelques qu'assure la procédure américaine. siècles ou millénaires plus tard. Il est certain que Truman CaTruman Capote les a connus, - pote, tout en s'inspirant de la réaleur a parlé et a fini par devenir lité, tout en la suivant aussi près leur ami. Kenneth Tynan, le re- que possible a tenté de maintenir doutable critique anglais, avait pro- intégralement sa liberté de romanvoqué une violente discussion en cier. Il l'avoue d'ailleurs lui-même accusant Capote d'avoir profité de quand il nous explique qu'il a fait ce crime pour lancer son livre, sans un tri dans les quelques milliers avoir fait tout son possible pour de pages de documentation réunie. sauver les condamnés. La réponse Qu'est-ce qu'il a écarté? Il serait de Capote fut cinglante et il con- intéressant de le savoir et on risque vient de constater qu'il parle sou- de se tromper peu en supposant que vent avec un accent de sincérité ce choix a été fait par un aussi bon qui ne trompe pas ses deux nou- écrivain que Truman Capote, sur· La Quinzaine littéraire, 1" septe1nbre 1966
Du point de vue efficacité directe, il est certaiil que Capote a beaucoup gagné. Son roman est lesté par le poids de la réalité et le déroulement implacable de l'scti~n a été commandé par les faits. L'auteur a profité au maximum de ces avantages et a certainement écrit le roman le plus passionnant de sa carrière. Le succès qu'il a connu aux Etats-Unis et en d'autres pays le prouve. Mais du point de vue purement esthétique ? Capote a été attiré depuis quelque temps par le reportage : il avait déjà publié Les Muses parlent, commandé également par le New Yorker, le récit d'un voyage en U .RB.S. où il li accompagné une troupe théâtrale américaine. On retrouve dans De sang-froid, ou, plus exactement, il a retrouvé dans la réalité quelques-unes de ses hantises: un des criminels est un infirme et l'infirmité était toujours
Truman Capote photographié il y a dix ans, par Richard Avedoll.
était primordiale. Dans · ses « collages » de la bataille de Stalingrad, la réalité n 'était qu'un point de départ, alors que Capote essaie de , concilier les différents aspects de son entreprise . Kluge est en pleine eXpérimentation, alors que Truman Capote a écrit un roman classique, un récit presque linéaire, interrompu seulement par quelques retours en arrière qu'on peut considérer comme parfaitement intégrés dans la forme romanesque. Nous connaissons en plus les dons de Capote, la qualité de ses ' romans et surtout de ses nouvelles, ainsi que son style dont la maîtrise se révèle ici constamment. En comparant De s ang-froid à ses précédents écrits nous pouvons nous demander ce que la réalité directe a apporté à son œuvre et s'il y a enrichissement sur toute la ligne.
un thème majeur de Capote. Mais en même temps il est bridé par cette réalité qui s'impose ' à lui, même s'il l'a choisie délibérément. On pourrait longuement rêver sur ce fantastique nocturne que nous connaissons par les premiers romans et nouvelles de Capote et comment il aurait pu l'exploiter à travers le personnage de Perry ce métis miIndien, mi-blanc, s'il n 'avait pas été tenu par son projet de suivre rigoureusement les faits. Peut-être ce projet est-il d'ailleurs ce qui est le plus significatif dans l'évolution de Truman Capote. Peut-être cherche-t-il à s'évader définitivement de ses rêves d 'enfance, de ses fantas· magories obsessionnelles, pour rejoindre, grâce à une méthode et une esthétique réaliste, la réalité du moi1de des adultes. François Erval 3
ENTRETIEN
TrUDlan Capote dans l'aventure
••
s'engager
Truman Capote photographié récemment par Cartier·Bressoc<.
N'avez-vous pas dit que vous aviez beaucoup changé depuis que vous avez écrit De sang-froid ? T •.C. Ça n'est pas à cause du livre, c'est pour avoir vécu cette expérience... Ce monde sauvage auquel j'ai dû donner une part de moimême. C'est ma façon de travailler: je « sympathise» totalement, c'est· à-dire que je deviens l'autre. Tenez, si je le veux; si je ni'y applique, je peux devenir vo.u s... par l'imagination! .
Où est l'imaginaire sang-froid ?
dans
De
T.C. Dans la construction du livre, c'est celle d'un roman: . scènes, chapitres. Je n'ai jamais pris de liberté avec les faits, mais si je n'avais pas été romancier je n'aurais jamais pu écrire ce livre-là. Il a falh que j 'y mette toute ma technique romanesque, c'est ce qui m'a donné le plus de mal. Mais je n'aurais jamais pu l'écrire non plus si je n'avais pas été journaliste: tout ce qui est là-dedans est vrai, que je l'aie entendu, vu, ou lu. De sangfroid c'est la vérité filtrée à travers moi...
Pour moi c'est un formidable réquisitoire contre la peine de mort. T.C. Est-ce drôle! Savez-vous qu'une partie des lecteurs me dit la même chose, et l'autre exactement le contraire? Sur dix lettres, j'en
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allaient être tués! Et pourtant Dick et Perry aussi sont l'Amérique, l'autre pôle de l'Amérique, le pôle antagoniste. Et quand ces deux forces se sont rencontrées, quand elles se sont trouvées face à face, elles ne pouvaient faire qu'une Et vous? chose: se détruire, et se détruire T.C. Je suis contre, je l'ai tou- mutuellement. Si Perry ~t Dick ont jours été, mais en écrivant ce livre . froidement assassiné les Clutter, le j'ai essayé d'être impartial. La plu- contraire est vrai aussi: au nom part des lecteurs éprouvent une pro- des Clutter la société a détruit, de fonde sympathie pour ' l'un des as- sang-froid, ces deux individus qui sassins, Perry .Smith. Il y a quel- pourtant la représentent tout autant qu'un qui m'a écrit: « Perry Smith que les Clutter. C'est cela que est l'un des grands caractères de signifie le titre, De sang-froid, il la littérature américaine.» Je lui faut le prendre dans les deux sens. ai répondu: mais Perry Smith n'est pas un caractère littéraire, A viez-vous déjà fait du reporc'est une personne! tage?
reçois sept convaincues contre la peine de mort et trois pour me dire: avant d'avoir lu votre livre j'étais opposé à la peine capitale, maintenant je suis pour!
source, et pour rendre compte du long monologue final de Perry, il fallait reconnaître qu'il l'avait tenu devant quelqu'un, devant le journaliste, moi !
. Quand avez-vous commencé à rédiger le livre? Lorsque tout le monde a été mort ? T.C. Bien avant. J'ai écrit les deux premihes parties depuis 1960 (je vous ai vue à ce moment-là, je vous en ai parlé; vous vous en souvenez ?) Le plus dur ça a été la troisième partie : la situation ne cessait pas de se développer, il y aVlÛt des appels, des .contre-appels... Pour moi c'était très éprouvant!
Pour vous? Cette confusion vient peut-être de votre don d'identification: vous faites un portrait détaillé et véri~ dique de ceUe brave famille américaine, puis un autre, tout aussi émouvant, des deux voyous assass~ns ... T.C. Pour ce qui est de la famille américaine, elle était d'origine allemande !. Il n 'y a pas de meilleurs Américains que les Allemands! Ils sont débordants de toutes les vertus d'ordre, de civisme, d'humeur ouverte ... Ces gens étaient incapables de concevoir l'existence d'êtres errants, sauvages et démunis tels que Perry et Dick. C'est pourquoi ils ne se sont pas défendus, ils n'étaient pas en mesure d'imaginer qu'ils
En Russie. J'en avais tiré l'idée qu'il y avait quelque chose à inventer en mélangeant la technique du journalisme et celle du roman. Je crois que De sang-froid est le premier pas en avant qu'on ait fait depuis Madame Bovary, je veux dire du point de vue du roman réaliste ! Réfléchissez-y : un roman où on donne les vrais noms, où on relate les vrais événements. Et où l'auteur n'apparaît jamais ... T.C.
... sauf une fois! Vers la fin vous dites <de journaliste »... T.C. Oui, sauf une fois! Il n'y a rien .e u à faire pour éviter cette foislà ! Comme rien, dans le livre, n'est imaginé, tout doit venir d'une
T.C. Les deux condamnés à mort s'accrochaient à moi. J'étais devenu leur ami et ils exigeaient que je sois toujours optimiste, que je les réconforte, que je leur assure qu'ils allaient bénéficier d'une . grâce, qu'ils ne seraient pas exécutés. Or je savais, depuis le début, qu'ils étaient perdus... .
Pourquoi? T.C. A cause de la famille! Rendez-vous compte qu'il s'agissait d'un crime abominable! Il n'y a pas à sortir de là! Quatre perSonnes parfaitement innocentes, heureuses, admirées et respectées par toute la communauté! Une famille sans re-
' LITTÉRATURE ÉTRANGÈRE Pessimisme et •
•
lrOD.l.e
proche que toute l'Amérique pouvait considérer comme un modèle. Prenons un équivalent en France, qu'est-ce que ça serait?
Ne cherchez pas! Nous sommes ainsi faits en France qu'il n'y a pas pour nous de « famille modèle». D'ailleurs on n'est guère plus indulgents pour les criminels. Il n'y a pas eu chez nous de délais interminables entre la condamnation et l'exécution, comme dans le cas Chessmann ou celui de Perry et Dick. Est-ce la rapidité latine? nous aimons « exécuter ». Aussi ne comparons pas. Comment avez-vous fait pour acquérir la confiance de ces malheureux qui avaient toujours été rejetés de partout?
crimes abominables! Or ça n'est justement pas le sujet qui est important. J'avais d'ailleurs commencé à appliquer ma méthode sur un sujet tout autre, pas du tout horrible. Ce qui est important c'est de s'engager personnellement dans l'aventure, de la vivre à travers soi, d'en faire partie ...
Vous aviez, dites-vous, commencé sur un autre sujet ? T.C. Pendant sept mois! - et puis mon principal personnage est mort d'une cr~se cardiaque ... et mon livre aussi! Il s'agissait d'une femme de ménage de couleur qui travaillait à New York dans vingt appartements différents par semaine. Elle ne voyait jamais les habitants et correspondait avec eux uniquement par notes écrites. A travers ces messages elle s'était imaginé ces gens, ses employeurs, et la vie qu'ils menaient. Je lui avais demandé de me la raconter. Par ailleurs je voyais les gens en question et j'apprenais d'eux ce qu'il en était vraiment. La réalité et le rêve '! Ç'aurait été une histoire sur la solitude à New York, - sur la vie à New York. Je voulais l'appeier A day's work, « Une journée de travail»; Et puis elle est morte ...
Thomas Mann Lettres (1889-1 936) choisies et présentées par Erika Mann, traduites de l'allemand Gallimard, éd. 616 p . Ainsi que leur nom l'indique, les papiers intiml?s nous font entrer le plus souvent dans la familiarité de celui qui en est l'auteur : derrière les masques et de l'homme et de l'œuvre, derrière même, quelquefois, par un mot échappé et révélateur, dans l'en- _ deça de la conscience.
Rien de pareil ici. Pour la raison qu'il s'agit du premier volume d'un choix de lettres que les accidents de l'Histoire avaient préalaT.C. Avec Perry Smith ça a été blement sélectionnées : ' manque, long! C'était comme d'apprivoiser par exemple, presque totalement un animal sauvage, il n'avait jamais la correspondance jamais retroueu d'ami auparavant. A la fin il s'est vée de , Thomas Mann avec sa complètement remis à moi, totalefemme. Mais pour la raison aus'si, ment abandonné. Pour_Dick, ce fut et sans doute plus importante, que plus simple : Dick était calculateur cette discrétion tient au caractère et pratique, il a tout de suite vu de l'écrivain. Ceux qui l'ont · frél'intérêt qu'il y avait à se lier avec quenté l'ont dit : il était réservé moi. et froid, ce dont il avoue luimême avoir plus d'une fois ·souf, Pour faire une analyse si précise des mobiles et motifs qui ont poussé fert. Avec justesse, il se définit comme un individu peu fait ces deux garçons au crime, aviezvous des connaissances psychiatri« pour susciter des sentiments ques? simples et directs >. La candeur Elle aurait été célèbre! Et l'idée lui fait défaut et, non sans motif T.C. Du tout, je me suis fié à était · merveilteuse. Qu'allez-vous , d'ailleurs, il s'interdit d'être sponmon intuition. Vous aurez toutefois faire après le roman imaginaire, un ' tané. « Ma crainte du bonheur remarqué que je ne ,donne jamais nouveau roman non-imaginaire ? n'est pas mince :., écrit-il. Ce n'est mon opinion: quand je parle de pas par hasard qu'il se tient, quoiT.C .. ' Oui et je sais même quel l'équilibre mental des garçons je .que par sa nière de sang latill, cite le long rapport officiel d'un est mon sujet. Mais je ne peV-x pas pour un nordique huguenot et, d,e psychiatre... J'ai voulu ne jamais vous le dire parce que ' je suis encore surcroît, ' grand . bourgeois. Trois donner une opinion personnelle. Ça en négociations avec les intéresses, composantes qu'il énumère a été extrêmement éprouvant! C'est ça, se passe en Amérique. 'musique (à savoir art et nature pourquoi j'écris maintenant un r0mêlés ), pessimisme (sur cette naÇa ne doit pas être tous les jours ture et sur cet art), ironie (pour man où je me laisse aller à parler en mon nom tant que je veux: facile de tirer des gens ce qu'ils se protéger du tout). pour sortir de ces cinq longues an- 'ne veulent pas forcément vous Cela ne va pas ' sans conséquendire? nées de frustration 1 ces paradoxales et contradictoires. Comme ce n'est que dans la mesuT.C. Une agonie! Qui ont déjà été bien compensées re où l'art lui fournit un gardepar.'le formidable succès du livre! fou qu'il consent à la confidence, On dit que vous avez exercé il ne s'y abandonne donc pas Combien avez-vous vendu aux , 'votre, mémoire ? E~-Unis ? lorsqu'il se trouve en être privé. Et comme l'art lui est également T.C. J'ai toujours eu une bonne une incitation à se perdre, c'est T.C. 700.000 exemplaires, et pas des livres de poche~ des exemplaires mémoire mais je me suis aperçu libéré de cette tentation qu'il peut qu'on ne pouvait pas tirer un bout se montrer sain et franc. D'où ' il cartonnés à 6 dollars!de crayon et un papier, ou brancher ' découle curieusement que c'est A tous les journalistes vous livrez un magnétophone, devant des gens dans l'œuvre, « réflexion dans la très généreusement vos secrets de qui n'avaient jamais vu un journa- ,passion, idéalisation dans la peinfabrication, ne craignez-vous pas liste de leur vie sans les paralyser , ture de soi >, qu'apparaît l'homauss~tôt. Alors rai décidé de tout d'être copié ? me des profondeurs, tandis que faire à l'oreille. J'en suis arrivé au dans la correspondance, trop anarT.C: C'est déjà ,f ait! En Améri- point où je péux écouter une con- chique pour inspirer confiance, que, ,en Angleterre, je sais que des versation sans la comprendre, clest- c'est l'être moral qui se manifeste. à-dire sans faire attention au sens Un être moral qui, pour comble tas 'd'imitateurs sont au travail et leurs livres vont sortir incessam- ' des mots (parce que je pense ou de complication, tient sa, maîtrise ment. Mais je ne m'en fais pas je réfléchis à autre chose) et puis de soi de 'l'exercicê' même - des parce que je sais que ça ne mar- je passe dans la pièce à côté et je disciplines artistiques. découvre que.je peux la retranscrire çhera pas - ils vont échouer ... Nous sommes loin du maniintégralement. chéïsme, cher a~ 'proustieru ingéPourquoi? C'est un phénomène qu'ü arrive nus, de la vie-dégradation et de d'éprouver sur une phrase ou deux, l'art-sublimation. L'une et l'autre T iC. Parce que la plupart d'enune conversation! En se prêtent ici, dialectiquement, le mais toute tre eux n'ont pas saisi le point essecours de leurs vertus aléatoires sentiel de ma méthode : en particu- vérité, le phénomène c'est vous! et il est même permis de penser, lier ils croient que le succès est dû que l'art de Thomas Maun doit Propos recueillis par au fait que j'ai traité d'un crime. Et peut-être finalement beaucoup Madeleine Chapsal les voilà en train de décortiquer des La Quinzaine littéraire, lU septembre 1966
plus aux options civiles qu'il a prises que sa vie ne doit son salut aux tréfonds obscurs de sa sensibilité. Chez lui, l'homme public tient l'homme privé en lisière et l'on ne peut que s'en féliciter, malgré l'aspect anachronique de cette noble et digne attitude. Car on aurait tort de croire que, n'étant pas indiscrètes, ces lettres sont insignifiantes, phrases courtoises, mondanités de circonstance, sans rapport avec l'essentiel. D'abord, le « monde> en Allemagne, il semble bien que cela n'existe pas. La maison familiale, oui, la salle de concert ou la salle de conférence, mais le salon, pas la moindre trace. Hors de l'artiste ne s'étend pas une société cultivée, mais un univers social, politique et historique, un ensemble civilisé où, sorti de lui-même, et' quoique apolitique; Thomas Mann ne peut être qu'un citoyen responsable, r,eprésentatif d'une ' certaine qualité d'être. « Je n'éprouve presque jamais la conscience de ma valeur" explique-t-il. 'Mais si je n'éprouve pas ce sentiment, j'ai d'autre part la ferme confiance que les autres réprouvent pour moi :.. Cette orgueilleuse modestie implique des devoirs auxquels, non sans une pointe de pédantisme qu'il se reconnaît volontiers, Thomas Mann s'adonne avec grand sérieux, puis avec une gravité que l'événement de plus en plus rendra urgente et nécessaire. Ici encore réapparaît le magister bourgeois-huguenot, mais non plus , comme contre-poids et élément compensateur : c 0 m m e énergie qui peu à peu fait pencher la, balance en faveur du . « sentiment humain :.' èt au détriment de l'art. Tautologique en apparence, en vérité complexe et ambivalente, ainsi que tant de propos gœthéens, - cette correspondance reflète reffort de distanciation déjà . inauguré dans l'œuvre, semble l'impirer"le diri· ger pour finalement ramener le génie dans les filets de l'éthique sOçiale, l'y enfermer au profit certain de la culture. Comme éhez ' les Grecs s'opère alors l'intinie fusion de l'artistique et du politique, de la déleciation et de l'ac- , tion ; le beau se subordonne au bien et l'énivrant à l'utile. « Je constate une- fois de plus, peut , dire 'ntomas Mann, que l'homme, et sur.tout l'artiste, est beaucQup moins individuel qu'il ne l'espère ou ne le «raint :.. Parla grâce de ce regard objec- , tif et extérieur à l'œuvre, on voit les romans se revêtir d'un sens nouveau, positif et optimiste. D'histoire d'une déchéance qu'elle était, constat d'un anéantissement, La Mort à Venise deyient « tra'gédie de la maîtrise :. et ' de récit d'une agonie, hâtée par la guerre imminente, fascination ' du néant, La Montagne magique se mue en ~ 5
~
Pessimisme et • • Ironie
Zone frontière
une démythification des pouvoirs de la maladie par l'intrusion de l'ironie. « Tout bon livre, dit Thomas Mann à propos des Buddenbrook, même écrit contre la vie, est une incitation à vivre. ~ Par · la grâce de cette même lucidité, cette fois exercée sur luimême, on voit l'homme Thomas Mann .se dégager de l'emprise de Wagner, lui préférer Nietzsche « surmontant en soi le romantisme ~ et surtout Gœthe dont il fait .son modèle en l'art de renoncer à soi-même. Sous l'égide de cette haute figure, il étouffe ses frénésies, met un frein à ses abandons, tempère ses penchants morbides; dompte sa germanité et accède à l'universel.« Je conviens qu'avec les années, écrit-il en 1935, je me sens de plus en plus appollinien et que l'élément dyonisien me paraît de moins en moins attrayant. ~
On ne ~'é~nnera pas ?ue, pal'venant a1D81 avec patience et ténacité à un si haut niveau de ' domination de soi, Thomas Mann se soit trouvé si vtte en opposition avec l'évolution de son pays. Parler de prophétisme serait lui faire injure. Il a moins prévu que senti dans sa chair, pour l'avoir combattue en lui-même, la montée de la barbarie nazie. Au lendemain même de la première gu~rre mondiale, il en devine les prodromes. En 1922 déjà, il craint pour l'humanité la fascination de l'obscurantisme. En 1925, il s'insurge contre l'idée que ses compatriotes puissent choisir en Hindenburg pour chef suprême « un géant p,réhistorique ». En 28, il stigmatise le fascisme comme une « glorification de la catastrophe ~ . et refûse en 33 à la .« révolution hitlérienne» toutes les qualités qui ont valu aux véritables révolutions, si sanglantes fussent-elles, la sympathie du monde ». Enfin ce texte qui clot le recueil: « Dieu sait que je ne ' suis pas né 'pour la haine, mais ces corrupteurs de l'homme, ces fous sanguinaires, je les déteste du fond du cœur et leur souhaite de toute mon âme la fin terrible qu'ils méritent.:t (1936.) La leçon de ce comportement exemplaire, hors de soi à l'égard des autres et en soi à l'égard de soi-même, l'un et l'autre devoirs s'épaulant mutuellement en un romantisme surmonté qui est peutêtre le plus beau classicisme, serat-elle entendue? Une première fois méprisée, le sera-t-elle une seconde fois, bien qu'ayant reçu confirmation des faits? En l'état de nos mœurs et de nos goûts, il est permis de se le demander. On oublie si vite l'Histoire. Et triomphàntes, nos prétendues éthiques sociales ont si peu de racines en nous, alors qu'humiliées, nos natures ont de tels pouvoirs de revanche ... Georges Piroué 6
Boris Pasternak Les Voies aériennes et autres nouvelles traduit du russe Gallimard éd., 218 p. Le public français connaît l'univers du Docteur livago. Les nouvelles réunies sous le titre Les Voies aériennes, écrites entre 1915 et 1926, font peut-être entendre aujourd 'hui plus clairement que l'œuvre de Pasternak mène autant à une éthique de l'écriture qu'à un art de vivre. S'il était besoin de tracer une ligne pour suivre l'alogisme des personnages de ces nouvelles, on
se rendre maître. L'œuvre de Pasternak naît dans cette zone frontière de la conscience, où les mots ont le double pouvoir de se glisser dans la fluidité des choses, et de détruire ce qu'ils rapportent. L'hermétisme est parfois la condition de la vérité intime, comme le silence est le début du langage. Le plus significatif d'un tel choix poétique est, des quatre récits, l'Enfance de Luvers. L'héroïne en est une fillette progressant peu à peu, non vers la maturité, mais vers l'autonomie douloureuse en face des autres, face à cet être vague et général auquel font allusion les Commandements: Est-ce un signe de l'imprécision essentielle
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Bari. Pruternak
pourrait avancer qu'ils sont à l'image de la sincérité à soi-même, qui est la féminité, fuyante et passionnée de l'esprit. La vie ne contie qu'à un très pet# nombre' ce qu'elle fait d'eux. Elle aime trop sa tâche, et lorsqu'elle est à l'œuvre, elle ne parle guère qu'à ceux qui lui adressent leurs vœux de réussite et aiment son établi. Encore ce discours est-il hermétique, et requiert pour être entendu un mélange ambigu de volonté et de passivité, une détermination de nature morale de ne pas recourir aux systématisations de l'intelligence, et comme un don d'écouter, de se laisser aller à des mouvements dont on ne sal,lrait
des mots? Génia n'est désignée d'abord que par un ,n om de famille, qui n'est jamais la personne même. Elle n'apparaît qu'à travers la description de l'atmosphère chaude de sa chambre d'enfant. En contrepoint, son frère Sérioja est là d'emblée, animus près d'anima. On imagine qu'il est. également l'objet de tous les sentiments qui n'ont pas de nom. Mais il semble avoir fait un autre choix. Intelligent et déjà géographe, il ne trouve dans les paysages de la Russie et de l'Asie sibérienne que le. prétexte à des opérations de mesure. Il est l'esprit fermé de l'action, opposé à la lumière. Lorsqu'à l'âge adoles-
cent naît en l'homme la sensatioll qu'il se trouve au centre d'uu ré· seau de dépendances, il lui . restE soudain si peu de pouvoir qu'il B de bonnes raisons de troquer le! dangers de la méditation contrE quelque mécanique intellectuellE efficace. La sensibilité est une pré. disposition. Elle est peut-être Ull choix où la liberté est restreintE par la peur. Dans le premier poème du Doc· teur livago apparaît un homme, acteur malgré lui, soumis à UIl millier de regards. On peut von là l'héritage du christianisme. un mot que Pasternak voudrai1 n'écrire qu'en français, comme si notre langue était plus apte à tra· duire la culpabilité, et comme poru éloigner du chant russe l'expression d'une sentence. Mais en dépi1 des formes de civilisation, si nom sommes toute notre vie sur l~ planches c'est aussi que le naturel que la vie impose à tout homme dès sa naissance n'est que rarement à la mesure de ses forces. Nier ce malheur premier, c'est perdre toute chance d'atteindre la 'purifics:tion spirituelle, donnée à celui-là .seul qui refuse la distraction. Henri Hei· ne, le héros du Trait d'Appelle est saisi d'un tremblement amoureux au moment même où il avoue ce qu'il vient de mettre de conventionnel et de jeu dans ses paroles et ses actes. L'amour n'est pas. devant celui qui poursuit les expériences de l'amour, mais il transfigure par· fois celui qui souffre de son incapacité à aimer, fussent-ils tous deux le même homme. Pareillement, le poète a renoncé aux mots qui paraphrasent la fausseté des attitudes trop clairement définies. C'est presque une manière chez Pasternak de cerner une situation par la référence à des tensions intérieures, à l'écho de son drame qu'il perçoit dans les objets, et de conclure enfin son approche par. les premières paroles d'un ·dialogue dont la suite est laissée à l'imagination du lecteur. Pasternak nous invite à parcourir les Voies aériennes, celles qui lient, hors des conventions du temps et du langage, une communauté d'esprits aux portes où retentissent les signaux d'hnperceptibles analogies. On a cru pouvoir définir Pasternak par le terme de romantisme, marquer que le poète et le prosateur reproduisent la (?) réalité à travers une vision subjective. C'est s'en tirer à bon compte. Il y a peu d'œuvre où soit aussi fortement présente, malgré l'apparence, la force de « l'étranger» et des choses que l'écoulement de notre temps ne touche pas. Que l'on s'attache à l'image de ces formes nocturnes indéfinies, ballottées du JXWlé dans l'avenir et de l'avenir dam le passé, comme le sable de sabliers qu'on retourne fréquemment. C'est l'ingénieur en littérature qui abuserait de notre bonne foi, et non le poète, s'il prétendait avoir apprivo~ le sable. Erik Veaux
PUBLIÉ A
L'ÉTRANGER
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Brecht dix ans apres Bertolt Brecht Le Livre des tournants Une œuvre posthume Suhrkamp, éd. A l'occasion du dixième anniversaire de la mort de Brecht, les Editions Suhrkamp ont réuni les es. sais que Walter Benjamin consacra à son ami. On y trouve plusieurs inédits, et particulièrement des notes sur leurs conversations au Danemark, en 1934, donc au début de leur exil commun. Nous apprenons ainsi que Brecht, parallèlement à sa pièce sur Arturo Ui, préparait un l'oman sur Tui - mot désignant l'intellectuel - qui devait être son Bouvard et Pécuchet, un sottisier encyclopédique. Un modèle réduit de ce roman est terminé. Nous connaissons ·ainsi l'origine du fragment posthume M e-ti : Le Livre des tournants, publié chez Suhrkamp à Francfort, et dont on peut se demander s'il paraîtra aussi dans l'au-
Bibliographie BertoIt Brecht
Me·ti Buch der Wendungen Fragment collationné par Uwe Johnson. Suhrkamp, Francfort. Edition complète prose, tome 5. Walter Benjamin:
Versuche über Brecht. Suhrkamp.
Les Histoires d'almanach, Herr Keuner et les Conversations entre réfug iés se trouvent dans le tome 2 des proses, dans l'édition complète. La revue littéraire xparxiste Die Alternative, qui paraît à Berlin.Ouest , li consacré en 1965 , un numéro sPécial à Karl Korsch et ses rapports avec Bertolt Brecht. On y trouve un long poème ~dactique de Brecht qui transcrit le Manifeste communiste en hexamètres, et les remarques de ~arl Korsch à propos de cette curieuse tentative.
tre Allemagne. Ce livre est composé d'aperçus, de paraboles, et mêlfle de poèmes écrits entre 1934 et 1956. Le titre se réfère au 1ching du philosophe Mo-ti, qui vécut au cinquième siècle avant notre ère. Nous savons que la sagesse chinoise et les expériences du théâtre chirlois ont eu une grande importance pour Brecht, mais dans M e-ti la Chine n 'est qu'un décor, une manière de transcrire des noms en vue d 'une V erfremdung qui n'est à cé niveau qu'un cryptogramme transparent. Ce ne sont don c pas des m ini-récits comme les Histoires d'almanach ou Herr K euner, ni une explication avec l'évén em ent comme les admirables Fluechtlingsgespraeche (Conversations entre réfugiés qu i constitu ent, avec les bref-s poèmes des ultimes années, la La Quinza ine littéraire, 1" septembre 1966
grande révélation parmi les inédits brechtiens). Ces trois ouvrages contiennent les plus belles pages de prose que Brecht nous ait laissées. Le Livre des tournants est littérairement moins important, et c'est à un autre titre qu'il nous intéresse, car nous y trouvons, comme nulle part ailleurs, la pensée politique de Brecht «en direct ». Il s'y explique sur ses rapports avec la théorie marxiste, qu'il appelle la Grande Méthode, et avec la pratique stalinienne. Le mélange de dogmatisme et de sagesse, de futilité et de profondeur, de ruse et de naïveté produit un effet bien curieux. Il faut , pour commencer, s'habituer à reconnaître Hegel en Hu-je, et savoir que Marx est Ka~meh ; Engels, Maître Eh-fou ; Lénine, Mi-en-leh ; Staline, Ni-en ; Trotski, To-tsi. Nous trouvons aussi Rosa Luxembourg: Sa ; Auguste Blanqui: Lan-Ku; Anatole France: Fan-tse. Quant à Brecht lui-même, c'est Kin-j eh, soit encore Monsieur Keuner. Si nous savons que l'Union soviétique se nomme ici Su, et l'Allemagne Ga, nous avons toute la grille, ou presque, pour lire en clair ces réflexions d'un Brecht qui ne fut peut-être jamais plus allemand et moins chinois. Les aphorismes ne frappent pas toujours par leur originalité. Ainsi, sous le titre Du destin de l'homme, nous lisons: M e-ti disait: le destin de l'homme, c'est l'homme. Il y a h eureusement des r éflexions plus poussées, comme celle-ci, dont je n e cite qu'un passage : M e-ti disait: nos expériences se transposent très vite en jugements. N ous retenons ces jugements et croyons que ce sont encore des expériences. Or le jugement est moins sûr que l'expérience. Il faut donc savoir garder la fraîcheur des expériences pour y puiser des jugements nouveaux . La meilleure idée ressemble à une boule de neige - excellent projectile, mais à ne pas garder longtemps en poche. Kin-jeh parle de sa langu e gestuelle, dépassant à la fois la lan gu e littéraire et la langue naïve, et cette définition de son langage théâ-
tral reste une des rares remarques d'ordre esthétique du Livre des tournants. Les camps de correction et les procès soviétiques sont assez souvent évoqués - tantôt complètement justifiés, tantôt critiqués avec modération. Mais à mesure que le livre progresse, nous passons des certitudes aux doutes et aux réserves. Le culte de Ni-en est approuvé, car pour entreprendre un tel effort de production, il fallait s'entourer de prestige. Mais Ni-en et To-tsi sont renvoyés dos à dos: Ni-en disait de tout: je l'ai fait; et To-tsi: je l'ai déconseillé. Mais en réalité bien des choses se faisaient , que T o-tsi avait sounaitées et que Ni-en n'avait pas voulues. Chacun d'eux était considéré soit comme le père, soit comme le corrupteur des peuples. Quant aux « Tui », ils se traitaient entre eux de « tui », au pire sens du terme. Staline apparaît tantôt comme un bourru bienfaisant, tantôt comme un philanthrope malfaisant: Il jette du pain au peuple de telle manière que beaucoup en meurent. Soucieux d'être du côté de la ruse de l'histoire, Brecht note qu'en Su les institutions les plus utiles sont créées par des crapules, alors que bien des personnes vertueuses entravent le progrès. Quant aux procès, Me-ti en pense finalement ceci: Peut-être Ni-en a-t-il servi le peuple en éliminant les ennemis de . l'Association, mais il ne l'a pas démontré. Su reste toutefois l'exemple d'une grande entreprise. Quant aux autres partis communistes, Brecht les évoque avec mépris: Ce ne sont plus les militants qui choisissent les secrétaires, mais les secrétaires qui choisissent les militants, et les dirigeants sont inspirés et payés par Su. S'ils commettent des erreurs, on punit ceux qui les ont dénoncées, alors que les responsables gardent leur place. On ne choisit plus les meilleurs, mais les plus dociles. Cela préfigure le poème de 1953, resté longtemps inédit, où Brecht proposait que le gouvernement d'Ulbricht procédât à la dissolution du peuple pour en élire un autre. Influencé par le marxiste indépendant Karl Korsch, que nous dé-
couvrons sous le nom de Ko, Brecht n'est ici ni stalinien orthodoxe ni critique rigoureux de Staline. Sa pensée politique telle qu'elle s'exprime dans cet ouvrage, par apophtegmes et par sen'tences, frappe rarement par sa justesse; ni juste ni fausse, elle est le plus souvent banale. Brecht a toujours pensé que dans l'inexorable histoire qui n'est qu'exploitationet lutte contre les exploiteurs, des notions telles que la bonté n'ont aucun sens et ne sont dans les circonstances actuelles que tromperie ou utopie. Il a exprimé cette pensée dans l'une de ses plus belles pièces: La Bonne Ame de Se-Tchouan. Mais ici, dans la mise en garde contre la bonté, Brecht va plus loin, puisqu'il reproduit un poème de Kin-jeh où il est question d'un homme subjectivemeht bon mais objectivement ennemi de classe: Nous savons que tu es notre ennemi. Aussi nous allons te coller au mur; mais, en hommage à tes qualités, ce sera un bon mur, et nous te fusillerons avec les
Personnages du théâtre chinois.
bonnes balles d'un bon fusil, et nous t'enterrerons avec une bonne pelle dans de la bonne terre. Cet humour noir et un peu lourd révèle une cruauté qui n 'est pas exceptionnelle chez Brecht, et cela est d'autant plus éto"nnant que la nostalgie de la bonté possible et une confiance rousseauiste dans la nature humaine libérée de l'exploitation reviennent constamment dans son théâtre et dans sa poésie. De cette bonté brechtienne on trouve également le témoignage dans Meti, à propos des vieux: « Ils sont tyranniques parce qu'ils ne sont plus aimés. Ils sont impatients parce qu'ils mourront bientôt. Aussi faut-il user envers eux de 14 plus grande gentillesse ». A côté de la politique apparaît la vie privée, avec une fréquente référence à une femme aiméè, Lai· tu. Mais est-ce l'éloignement d'un être aimé ou l'exil lui-même qui est évoqué dans ce poème: « La ~ 7
ROMAN ÉTRANGER
: NOUVELLES DE L'ÉTRANGER 1
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Un Borges brésilien
Brecht dix ans ... apres
corde ' déchirée peut être renouée. Elle tient, mais elle est déchirée. Peut-être nous rencontrerons-nous à nouveau~ mais là où tu m'as quitté tu ne me rencontreras plus jamais» ?
Gerardo Mello Mourâa
Le valet de pique traduit du portugais Gallimard éd., 244 p.
Une double tentation, contradictoire mais fertile, traverse en son entier l'histoire des lettres latinoaméricaines: d 'un côté l'ouverture à l'Europe et la conquête d'un universalisme immédiat, de l'autre, la revendication préalable d'une spécificité continentale ou nationale, la recherche d'un enracinement qui prétend parfois retrouver ses germes jusque dans les profondeurs de l'époque précolombienne. Si l'on accepte dans toute leur rigueur les le thèses d'un Silvio Romero premier grand critique qu'ait connu le Brésil - , pour qui le métissage moral formait la condition nécessaire au surgissement dans son pays d'une œuvre littéraire authentique, rien de moins brésilien, certes, que ce premier roman d'un écrivain connu jusqu'ici ' chez lui surtout comme poète, ignoré chez nous, mais traduit depuis trois ans déjà en Allemagne. Et les jequitibas ou le caitetu (flore et faune sui generis semées çà et là au hasard des pages) ne doivent pas nous égarer, malgré l'exotisme fallacieux dont les pare leur simple transcription en italique, pour les yeux du ' lecteur français. Nous sommes bien ici aUx antipodes de Guimarâes Rosa et ses grandioses évocations de la brousse du sertâo, comme du néo-réalisme engagé de Jorge Amado. Notre auteur est intimement nourri de toutes les littératures d'avant-garde du vieux monde, de Lautréamont aux surréalistes, en passant par Kafka et l'uItraÏsme espagnol, et ne cherche d'ailleurs nullement à s'en cacher.
M e-ti contient une surprenante exhortation aux peintres en faveur du réalisme socialiste: « Les exploiteurs parlent de mille choses; les exploités ne parlent que del'exploitation ». Mais il y a d'autre plirt un refus de tout nationalisme, où se révèle l'influence de Rosa Luxembourg: « Si les peuples re-
jettent le joug de Huj-te (Hitler) par nationalisme, ils retomberont sous le joug de leurs propres maîtres. Le nationalisme ne devient pas tolérable par le fait que les pauvres l'adoptent. Il devient, au contraire, totalement insensé ». Ici, la conviction de l'homme dont l'expérience de la guerre mondiale avait fait un révolté est plus forte que le respect qu'il porte au réalisme révolutionnaire et à cc la ruse de l'histoire ». Da~s les meilleures œuvres de Brecht, il y a à la fois les émotions et les intuitions d'un homme révolté et la certitude d'une Grande Méthode capable de réaliser la justice dans l'histoire, ce qui crée une tension . et , une contradiction fécondes entre idées simples et situations mouvantes. Dans Me-ti, on ne trouve plus que des pensées alternantes et discontinues. Le plus engagé des ' poètes allemands n'avait aucune pensée politique à proprement parler. Plus moraliste que politique, il reste fortement attaché à la tradition idéaliste allemande et encore y a-t-il plus de conceptions politiques dans les drames de Schiller, de Kleist et, bien entendu, de Büchner, que dans les siens. La Grande Méthode à laquelle Brecht avait recours pour faire déboucher sa révolte sur un espoir, apparaît moins comme une pensée que comme une foi. Entre l'expérience et le jugement, Me-ti nous l'avons vu - optait toujours pour l'expérience, mais un peu abusivement, comme les doctrinaires les plus abstraits emploient le terme cc concret ». En pratique, c'est bien souvent le jugement que Brecht choisit, contre l'expérience. On s'aperçoit soudain que son didactisme pourrait bien être un moyen de se donner une contenance et de s'imposer une rigueur. On pouvait croire qu'il y avait un « arrièreplan » aux pièces de, théâtre et aux pOèmes de Brecht, une' pensée plus complexe, plus subtile et allusive, qui restait à décrypter. Avec Me-ti, nous apprenons qu'il ne faut pas trop s'attacher à lire Brecht entre les lignes. Son œuvre elle-même est bien plus riche que sa pensée historico-politique telle qu'il l'a formulée ici, en clair ou en chinois. Le « Tui » Brecht ne vaut pas le poète.
François Bondy 8
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Gonçalo Falcâo, protagoniste et narrateur du livre, s>-é veille un beau matin dans une chambre inc6i:mue d'un hôtel inconnu, . dans une ville étrangère qu'il ne parvient pas à identifier. Une brèche inexplicable s'est produite dans ,sa "ie, l'arrachant à la sécurité de la répétition quotidienne, le projetant malgré lui dans l'aventure et le vertige -d'un avenir sans repères. A peine a-t-il le temps de se demander pourquoi sa femme n 'est plus là, comme chaque jour, à ses côtés, d'errer par les rues, de poser quelques ,questions qui demeurent sans réponse, que le sommeil s'empare à nouveau de lui pour le transporter en pleine mer, ~ bord d'un mystérieux navire de science-fiction. Les épisodes suivants, selon un processus identique, le verront successivement dans un lit de bordel, enfre les bras d'une prostituée, puis novice dans un monastère, assis à la table d'une maison de jeu, mêlé; enfin, à un groupe de conspirateurs anarchistes. Chacun de cès nouveaux univers, tangibles et bien réels, s'effrite cependant avec ' l'inconsistance d'un rêve, et Gonçalo ne trouvera de ' refuge stable qu'en
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se dissimulant en valet de pique à l'intérieur d 'un jeu de cartes. Passant constamment de la narration proprement dite au poème en prose ou en versets, _manipulant avec virtuosité tous les trompe-l'œil du « collage» littéraire, l'auteur nous entraîne pour ainsi dire de
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force dans l'inquiétant tourbillon où se trouve ' pris son héros. La première journée, qui est également la plus réussie, restitue de façon remarquable l'étonnement anxieux qui nous saisit parfois devant l'étrangeté, soudain perçue, du monde extérieur. Les choses se gâteilt un peu par la suite, tournant au procédé, à la recette trop habile. Si, comme le dit l'un des personnages, la surprise est la source licite de la connaissance, nous nous plaindrions volontiers de n'être plus assez surpris. Les morceaux les mieux venus, néanmoins,
Censure Depuis le jugement de l'affaire Roth, par la Cour Suprême des ~tat.s.Unis • •e~ 1957, il semblait que la Justice amen· caine s'était mise elle-même dans l'im· possibilité d'exercer une censure quel. conque sur une œuvre littéraire (en vertu du premier amendement à la Constitu· tion, garantissant la liberté d'expression) , La condamnation d'un éditeur d'ou· vrages pornographiques, Ralph Ginzburll à cinq ans de prison et 28.000 dollarl d'amende, a fait l'effet d'une bombe. Le même jour, d'ailleurs, la Cour confirmail définitivement la levée de toute inter· diction sur un classique de la littératu~ érotique anglo-saxonne, Les mémoirlU d'une femme de plaisir, par John Cleland. plus connu sous le nom de Fanny Hill. Pourtant dans l'affaire Roth, la Cow avait défini la pornographie de telle fa· çon qu'aucune poursuite n'était possible; pour interdire un livre. Il faut prouver désormais qu'il est simultanément: 1ascif, totalement dépourvu de toute valew sociale (?) et offensant pour les senti· ments du public. C'est cette doctrine qui a été appliquée à Fanny Hill. Mais, dans le cas de Ralph Ginzburg, intervenait un quatrième élément tout à fait imprévu: cet éditeur d 'œuvres porno· graphiques avait envoyé par la poste un prospectus à cinq millions de personnes, vantant la II. stimulation sexuelle » que cette lecture leur apporterait. Qui pis est, l'expédition était faite dans une ville appelée ... Middlesex! (Ginzburg avait même réussi à trouver une autre ville dont le nom, tout aussi suggestif, était Inter· course, mais manifestement, Middlesex valait encore mieux). Commentaire désabusé du criti· que Jason Epstein, dans The Atlantic Monthly à propos des restes de purita· ilisme aux Etats-Unis: Il y a toujour. en chacun de noIU une petite Madame de Gaulle qui dit rwn à ceci ou à cela ... Dans un contexte ' similaire, un autre éditeur Edward Mishkin, s'est vu condamner, non point tant, lni non plus, pour le contenu intrinsèque des œuvres qu'il publiait, que pour les instructions détaillées qu'il donnait aux 0: nègres li chargés de lui rédiger sa littérature sadomasochiste. Ces deux arrêts confirment néanmoins que les tribunaux américains ne peuvent plus poursuivre que très difficilement un auteur ou un éditeur pour obscénité, si ceux-ci ne fournissent en quelque sorte eux-mêmes la preuve de leurs intentions pornographiques: publicité, dans le cas de Ginzburg ; instructions dans le cas de Mishkin. Une œuvre littéraire devrait échapper désol"lDlW à toute censure aux Etats·Unis.
Le «Herald
dans leur fantastique intellectuel où se mêlent inextricablement références véritables et apocryphes, ne sont pas sans laisser présager une sorte de Borges brésilien, dont nous attendrons avec curiosité les prochaines œuvres.
Jacques Fressard
JI
littéraire
La disparition du New York Herald Tribune ne constitue pas seulement un événement politique et journalistique. Ce quotidien avait assis sa réputation sur sa qualité littéraire. Il s'énorgueillissait d'avoir compté parmi ses collaborateurs des écrivains aussi importants que Henry James ou Walt Whitman (sans compter Karl Marx). Sa rubrique littéraire avait été longtemps dirigée par Mrs Van Doren, la femme de l'un des plus fameux érudits des Etats-Unis. D'ailleurs le Tribune n'avait-il pas, été fondé par l'un des meilleurs polémistes de son temps, Horace Greely? En outre, le Herold Tribune, dû à la fusion de deux journaux new.yorkais, le HeraJ,d et le Tribune, publiait un sup· plément littéraire important, Book Week. Le Herold Tribune publiait chaque jour un poème. Il en recevait jusqu'à 500 par semaine, parmi lesquels 6 seule· ment étaient retenus (parmi les amateurs qui briguaient ainsi cet honneur, il y avait gens d,e toutes sortes, jusqu'à un amiral et un gouverneur d'Etat, mais on y , trou· vait aussi des poètes célèbres comme Ma· rianne Moore); pendant huit ans, cette difficile sélection avait été confiée à Nicholas King, actuellement attaché de presse à l 'ambassade des U.S.A. à Paris.
ROMANS FRANÇAIS
De ,Keblout Kateb Yacine
Le Polygone étoilé Le Seuil, éd. 186 p. Jamais mieux qu'en lisant Nedjmal on ne s'est rendu compte que
l'insurrection algérienne débordait le schéma d'une révolte - même avec toutes les conséquences affectives qu'elle entraîne' - du colonisé contre le colonisateur. Les Français se berçaient de l'illusion qu'Arabes et Berbères, habitants des villes et fellahs n 'ayant jamais connu ensemble un passé national, il serait facile de jouer les , uns contre les autres, en s'appuyant sur une élite, ou une clientèle, qu'ils croyaient tout acquise. Ils durent s'apercevoir qu'après cent vingt années de colonisation ils n'avaient en rien entamé ce qui liait entre eux des hommes appartenant à toutes sortes de communautés rivales. « Frères » dans le malheur et l 'exploitation, et davantage: membres d 'une même famille dont importait peu en définitive la division en races, religions, ma~ères de vivre. A cette famille, jamais les Européens, même nés là-bas, n'avaient pu s'agréger. Le fonds ancestral de ceux qui leur étaient apparemment soumis n'avait été modifié qu'en surface. C'est cela que nous révéla alors Kateb Yacine qui, mis dès l'âge de sept ans à l'école française, s'était lancé avec ardeur dans l'étude de notre langue, de notre histoire, de notre civilisation pour se découvrir à seize ans, lors des massacres de Sétif, Arabe dressé contre l'occu· pant. Quelques mois d'internement ne l'assagissent guère et s'il écrit en français, s'il refuse de réapprendre sa langue maternelle, s'il se moque de l'Islam et de ses prêtres, s'il ne se reconnaît même pas comme {{ nationaliste », il n 'inn • , , • carn,e pas mOIllS un passe eplque et mythique sur lequel la colonisation s'est brisé les dents. Ce passé, bien sûr, il le magnifie et r exalte, tant dans Nedjma que dans ce Polygone étoilé où il reprend les mêmes thèmes obsessionnels ~ Une sourde nostalgie l'anime à l'~gard de cette vie fière, libre, sauvage qu'à partir du Fondateur, le mythique Keblout, ont vécue ses Ancêtres. Ses thèmes, certes, ne sont,' point littéraires. Pourtant, la nostalgie, ou ,même l'admiration, n'ont rien à voir avec l'attendrissement et qui sait? l'amour. Les Ancêtres, sans doute, étaient d'une autre taille que leur descendant d'aujourd'hui. Grands même dans le crime, l'inceste ou la passion, ils étaient des hommes au sens plein du mot : chefs de tribus ou de clans qui n'admettaient pas plus le partage des responsabilités que celui du pouvoir. Même le métissage, dont Nedjma, «la femme sauvage», est le produit, représente une victoire sur le conquérant, auquel on dérobe, par là, ses meilleures qualités. On jurerait cependant que l'évocation de quelques hauts faits, que les guerres de Troie qui se déroulent autour de Nedjma, que La Quinzaine littéraire, 1" septlnnbre 1966
les intrigues nouées et dénouées dans on ne sait quel Olympe, rien de cela n 'est suscité de propos dé· libéré par l 'écrivain qui, au contraire, paraît subir et transcrire un rêve - ou un cauchemar. Les Ancêtres, ce sont les racines, c'est aussi la fatalité, qui s'impose et pèse, dont on voudrait parfois se débarrasser. Quand au Caire, durant la guerre d 'Algérie, Kateb voit une de ses œuvres imprimée dans une langue qu'il ne connaît plus, l 'arabe littéraire, il éprouve « le goût amer et fort de ce cruel triomphe » (celui des Ancêtres sur le lointain descendant qui voulait échapper à
Kateb
eu x. L'Algérie libre. qui ne voit pas toujours d 'un bon œil ,ce fils turbulent et qu 'elle trouve souvent irrespectueux, devrait au contraire s'enorgueillir de le posséder. Elle finira bien par s'apercevoir qu'il lui rend au centuple ce qu'elle lui a donné! 'Mesurons nous aussi, puisque cet Algérien s'exprime dans notre langue , le don qui nous est fait. Un don qui devrait nous rendre plus honteux que fiers . Qu'est-ce en effet ce Polygone étoilé, sinon le chant d 'une longue misère, d'une insupportable sujétion, d'une ruse orgueilleuse qui refuse de s'incliner
Kateb Yacine
leur emprise) et il mesure, à son égard, leur {{ redoublement » de {{ férocité ». L'épopée dont il s'est fait le chantre à travers romans, poèmes, pièces de théâtre, n 'auraitelle pas également valeur d'exorcisme? Contre les Ancêtres 'qui voudraient le ramener à eux il use de moyens magiques dont il connaît la double fin: ils annulent la présence même qu'ils suscitent. C'est aussi à qU<;li aboutit la littérature, pour peu qu'on refuse de la traiter en servante ' du logis. Kateb est un écrivain pour n 'avoir pas voulu faire seulement œuvre de combat ou de propagande, et avec un sûr inStinct, il s'est gardé de tomber dans les ornières réaliste et naturaliste où tant d'auteurs moins avisés font briller toutes les ocelles de leur plumage. Spectacles d'un jour non dépourvus d'efficace: ils touchent, remuent, éveillent parfois les énergies. La nuit ne tarde pourtant pas à les recouvrir. Alors que N ed jma, le Cercle des représailles et ce Polygone étoilé palpitent d'une vie effervescente qui traverse situations, événements, personnages et ne s'éteint point en
devant la raison du plus fort? Le Français, qui s'est emparé du sol, a suscité des richesses dont l'Algérien n'a jamais eu que les miettes. Il a fait de lui une chair à canon hachée menue dans les tranchées de l 'Argonne et sur le Monte Cassino, enterrant ses restes, suprême dérision, sous un voile tricolore et une croix chrétienne. De l'esprit des plus intelligents ou des plus doués il a voulu s'emparer, les bras des autres il s'est contenté de les utiliser, et jusqu'en France même où ({ crouillats » et ({ sidis » travaillent et vivent dans des conditions dont les prolétaires autochtones ne veulent plus. Kateb l'étudiant, le lettré, a connu cette existence de sous-homme, parcouru ce chemin qui mène de Marseille à Arles, de Lyon à Paris, à travers fermes, champs, chantiers et usines. Ici, c'est la colère d'une mégère qui le chasse, là le mépris d'un gardechiourme. Sans jamais tomber dans le lamento dont le préservent la fierté et l'humour, il nourrit de sa propre expérience les versets de ce nouvel Exode. Au chant de l'Algérie maghrébine qu'était Nedj-
ma, il fallait , pour que le tableau fût complet, joindre cette ({ fuite en Egypte » et ce long exil. On comprend alors que le retour aux sources, l'évocation des ancê· tres, la volonté d 'enracinement dans un passé mythique ont aussi pOUI Kateb et l 'Algérien de France une valeur révolutionnaire. Ces esclaves se souviennent qu'ils ont eu des pères qui se sont farouchement bat· tus et n'ont jamais accepté leur défaite. Tout le long du Polygone étoilé court une flamme allumée depuis les premiers jours de la Conquête. N'ont pu la noyer ni le mépris glacé du Français ni, 'en Algérie, dans les camps d'interne· ment et les prisons, les lances d'incendie, tout à fait matérielles cellesci, que les gardiens braquent sur les mécontents. L'auteur dresse quelques types de ces révoltés rencontrés entre quatre murs ou derrière des barbelés, de Si Ammar Mauvais Temps à Hassan Pas de Chance, Visage de Prison ou Tapage Nocturne. Escrocs, voleurs, terroristes, piliers de tripots, on ne peut pas dire qu'un haut idéal toujours les anime et ils ont souvent plus qu'un pied dans la pègre. D'où vient que les vices européens ne les aient pas corrompus et qu'ils gardent en dépit de tout la nuque raide? Au détour du chemin ils rejoindront les Mustapha, Rachid ou Si Moktar dont nous avons fait la connaissance dans N ed jma ou le Cadavre encerclé, et ainsi la boucle sera-t-elle bouclée. Le Polygone étoilé ne vient pas en effet {{ à la suite » des précédents ouvrages de Kateb Yacine. Il est U)le nouvelle spire d'une œuvre qui se passe de fin et de commencement, où s'échangent passé, présent et avenir et qui, plutôt que de s'allonger le long du temps, l'emprisonne subtilement en ses anneaux. Si bien que chaque fois tout nous est donné à la fois d 'une réalité qui , nous investit ou dans laquelle nous plongeons. On a parlé de Faulkner. D'autres, plus avertis, d'une forme de pensée propre à la philosophie arabe. D'autres encore, d'un récit comparable à ceux que déroulent interminablement les conteurs orientaux. Pourquoi Kateb n'auraitil pas pris son bien ici et là ? Savante ou populaire, en tout cas subtile, efficace et naturelle, sa technique ne fait pas oublier qu'il est avant tout uri. poète. Et de la meilleure espèce: celle pour qui rêve et réalité, histoire et mythe, propos de tous les jours et pensées raffinées sont matériaux également nobles pour créer U)1 langage nouveau; c'est-à-dire une vie nouvelle. L'arrière-petit-fils donne la main au vieux Keblout, le Fondateur. Il a compris et appliqué à sa façon l'adage transmis par les générations: Le lion reste lion Même dépourvu de ses griffes Et le chien reste chien Même élevé au milieu des lions. Maurice N adeau 1. Premier roman de Kateb Yacine. Ed. du Seuil. 1956. 9
ŒUVRES EN COURS
ROMANS FRANÇAIS
Les Tantes Aragon Louis Aragon est en train de terminer un roman important, dont il a déjà écrit quelque 350 pages, sur le thème de l'oubli. Il s'agit d'une sorte de psychanalyse de l'oubli à travers des personnages romanesques. C'est l'histoire d'un vieil homme qui cherche à déterminer la façon dont les souvenirs s'effacent et se perdent, en luimême, pour laisser place à des images nouvelles qui modifient, malgré qu'il en ait, la vision de son propre passé. .
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Ra)'m.ond Aron Selon une technique qui lui est chère, Raymond Aron est en train de rédiger un gros ouvrage à partir de conférences dont il a donné le premier cycle et qu'il complètera l'an prochain, dans le cadre des « Gifford Lectures », à Edimbourg. En tant que conférencier, en effet, il a la pleine latitude d'improviser partiellement, et c'est ensuite qu'il écrit, en se servant de ses improvisations. Le thème de cette étude qui n e sera . pas prête avant deux ans: La conscience historique dans la pensée et dans l'action. Entre-temps, Raymond Aron publiera les 300 pages qu'il a préparées pour l'Encyclopedia Britannica sur « l'ordre social » et un recueil qui comprendra ses cours de Sorbonne sur les grandes doctrines de sociologie historique (Montesquieu, Comte, Marx, Tocqueville, Durkheim, Pareto et Max Weber) dont une partie a paru en anglais.
Françoise Sagan L'auteur de Bonjour tristesse est en train de terminer un roman policier en même temps qu'elle prépare sa rentrée théâtrale avec le Cheval évanoui que les éditions Julliard pensent publier en novembre. Il avait été annoncé que Françoise Sagan quittait Julliard pour Flammarion. La nouvelle est un peu prématurée. En effet, si le principe du transfert semble acquis, la romancière est toujours liée par contrat à l'éditeur qui l'a lancée et à qui elle doit encore un roman et une œuvre théâtrale. Celle-ci pourrait être, justement, le Cheval évanoui. Quant au roman, ce serait l'ouvrage policier auquel elle travaille, qui est assez avancé. En tout état de cause, la première œuvre de Sagan à paraître chez Flammarion ne pourrait donc voir le jour que vers la fin de l'année 1967 au plus tôt, et vraisemblablement en 1968.
Michel Servin Les Tantes Julliard, éd. 249 p.
tographique du réel. Jamais l'objet et la chose ne sont confondus. La pierre n 'existe pas de la même façon que le meuble. Celui-ci reste avant tout un solide manufacturé, pour reprendre l'expression bergsonienne; il a une dimension historique, un profil subjectif dont on ne saurait le dissocier. Ce profil donne au mobilier de la grande demeure une sorte de rayonnement chaud, un halo de présence humaine fantomatique comme dans certaines natures mortes hollandaises où la main qui a disposé ces fleurs, cette corbeille de fruits, ce verre semble toujours veiller, invisible, sur l'ordonnance qu'elle a ménagée ...
Je suis d'une famille de tantes commence par déclarer l'auteur. Après une légère surprise et un peu d'inquiétude, on comprend que les sœurs de ses parents sont nombreuses, que l~ caprice de l'hérédité a toujours favorisé le sexe féminin, comme le montre l 'arbre généalogique où, de branche en branche, les tantes des générations passées sourient dans leurs médaillons. Ce hasard n 'est pas sans influence sur le caractère. Aussi simple que soit ce lien de parenté, il reste longtemps enveloppé de mystère. Le visage n'est pas celui de la mère et cependant la ressemblance trouble. Le rôle protecteur, la tendresse renforcent l'ambiguïté et comme tous habitent ensemble dans une immense maison de famille , on grandira sous une influence maternelle multipliée en miroir par cette galerie de vieilles femmes aimantes.
Cependànt un roman n'est pas un tableau, aussi beau soit-il et je crains, pour celui qui ne sympathise pas d'emblée avec la vision du monde de l'auteur, que cette promenade indéfiniment reprise à travers les corridors et les chambres, cet inventaire attendri de leur contenu, ne paraissent parfois longs. On se prend à · regretter que les incursions dans la dimension historique des objets ne soient pas plus nombreuses ; je pense au récit de la fin où la nuit, l'hiver et le feu dans l'âtre appellent l'admirable attaque par les loups de la calèche d'une tante depuis longtemps morte. Je sais bien que l'évocation du passé infantile concerne un temps sans mémoire et que la perspective adoptée est psychologiquement vraie. Il me semble aussi que la dimension esthétique autorise certains trompe-l'œil, et que la mémoire des adultes fournit des relais susceptibles de pallier l'insuffisance de nos propres informations? Au lecteur de juger. En tout cas, s'il ne connaît pas encore les deux premiers romans de Michel Servin, en particulier le désopilant Deo Gratias on peut lui assurer qu'il décou vrira un écrivain . Robert André
Le livre est le récit de cette enfance curieuse. Quelles sont ces femmes, quelle a été leur vie, nous ne le saurons pas: le narrateur se replace dans la vision d'un petit garçon qui ignore presque tout de leur histoire. Ce sont de bonnes fées, dispensatrices de douceurs et elles se confondent avec la maison, avec tout ce que la maison symbolise pour l'esprit enfantin : le refuge, la forteresse, la coquille, un monde complet, fermé et suffisant. On nous entraîne ainsi, de pièce en pièce, depuis la cave jusqu'aux combles, dans une description minutieuse des trésors engrangés par les générations qui se sont succédé entre ' ces murs indestructibles; évocation tendre, fine où domine une sensibilité particulière aux odeurs et au relief des objets, évocation précise aussi. Toutefois, il ne s'agit pas d'un enregistrement pho-
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La Quinzaine littéraire
13 , rue de N'esle, Paris 6 - C.C.P. 15.551.53 Paris
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Georges Bataille Ma mère J.-J. Pauvert éd. 212 p .
Je continuais de mettre en question la limite du monde, rayant la misère de qui s'en contente, et je ne pus supporter longtemps la facilité de la fiction : j'en exigeai la réalité, je devins fou. Nous sommes pris aujourd'hui dans la contradiction suivante: parler de « littérature » pour faire entendre qu'il s'agit en même temps de quelque chose de tout autre, que les signes que nous déchiffronS' ou traçons encore, il est plus que jamais nécessaire de les rendre à leur contrôle maximum mais aussi à leur dimension dérobée, ambiguë, qui ne les distingue pas des signes réels dont ils ne sont pas la représentation. Replacer l'écriture dans ce mouvement si· gnifiait pour Bataille que l'exi<;tence la plus concrète - l'ensemble de pensées et de gestes :dont nous sommes .le lieu provisoire était mise en jeu, malgré une société pesante et sourde, dans la réserve et l'obscénité, le rire et la solitude, l'affirmation hasardeuse et systématique du refus du. sommeil commun: La littérature (la fiction) s'est substituée à ce qui était précédemment la vie spirituelle, la poésie ( le désordre des mots), aux états de transe réels. Ce mouvement porte, d 'emblée, non seulement sur une désintégration de la logique apprise, logique qui tire toute sa force de la mise en place de la grammaire, mais encore, parallèlement, et pour des motifs d'appartenance profonde entre langage et sexualité, sur les interdits sexuels. L'opération tentée par Bataille à tous les niveaux (études littéraires, méditations, recherches sur l'économie, l'art, la mystique; romans érotiques) , est en ce sens d'une cohérence et d'une ampleur méconnues. La raison mise en œuvre ici (une raison qui sait forcer la folie à se faire comprendre) a ceci d'étrange qu'elle fait apparaître comme irrationnels et idéalistes la plupart des rationalismes humanistes et psychologiques qui lui furent opposés. Sartre, par exemple, a · l'air d'un nouveau mystique en regard de Bataille: il croit que les mots expriment la réalité. N'importe quel psychanalyste prend de son côté figure de fétichiste mi· neur, cramponné à sa manie expli. cative, à sa lorgnette phallique: Combien il est comique de retourner les choses et d'expliquer' ma conduite par la psychiatrie... la névrose est rendue responsable, on élude l'énigme insoluble... Et encore: J'ignore ce que ceci veut dire: si ce n'est pas détruit, je donne à qui veut bien une igno. rance de plus (imaginer le psychiatre qui le saurait? est-il rien de plus bête ?). L'impossibilité de toute explication, de tout savoir fixe et figé dans un langage assagi, déclinant, liché·
. Le reclt i:rnpossible ,
matique, voilà ce qui contraint Ba- fils d'une truie est aussi un enfant fils, c'est-à-dire le narrateur (et père mort, la mère commence par taille à ne jamais séparer ce qu'il divin que la mort évite. Voilà les peut-être que le fait de narrer est choquer délibérément son fils par dit du moment formel singulier où difficiles accouplements que Ba- se mettre automatiquement dans sa parole et ses jeux plus qu'équiil le dit, position qui donne à ses taille nous invite à penser. la position du fils incestueux), est voques, puis elle s'en va et lui essais, la convulsion de la fiction, Le récit, au fond, ne vise qu'à l-endu à un rôle entièrement sym- écrit au moment où l'acte risqueà ses « romans » la contestation atteindre ces points névralgiques bolique: corps qui n'existe qu'en rait de montrer son impossibilité d'une pensée sans repos. Dans les -'- ivres - , qui eux-mêmes ne fonction du corps violent qui l'a en- (elle lui donne à sa place une des romans (Madame Edwardci, His- sauraient devenir pleinement: effec- fanté, il ne pourra trouver ' un au- femmes qu'elle il. perverties, une toire -de l' œil, Le Bleu du Ciel, tifs sans récit. De même, l'inceste tre corps que par cette médiation « sœur »), enfin, pour autant ' que L'Abbé C. et, aujourd'hui, Ma est au cœur du récit de notre vie active: de toutes les femmes qu'il l'état d'inachèvement du manuscrit Mère!), l'obscénité est elle-même et en contrôle les articulations ca- pourra toucher, la mère (la lan~ puisse le laisser, supposer, elle se fonction de cette imbrication des chées et les interdits. Le rapport, gue) forme le fond inaccessible et met pue, devant lui pour mourir niveaux du discours: la description écrivait Bataille, entre l'inceste et brûlant. C'est là la limite insensée (se tuer). Or le plus remarquable, apparemment la plus « crue » voi- la valeur obsédante de la sexualité que Bataille avoue et maintient dans cette composition du texte, sine avec la pensée apparemment pour l'homme n'apparaît pas si facidans son écriture, la part de folie l'élément organisateur qui risque la plus «noble », le haut et le bas de passer inaperçu en raison de la communiquent sans cesse dans la violence des figures de premier chaîne signifiante courant sous les plan, c'est le milieu, nettement inmots. Rapprocher deux mots loindiqué par Bataille, où l'inceste se tains l'un de l'autre est toujours réalise, où l'impossible est là. L'écripossible: la « poésie » peut s'en ture ~ la lettre qui édicte la loi charger sans ,grands risques, et ce de transgression extrême - y déqu'on nomme encore « poésie » voile son rôle exact: T'écrivant, joue le plus souvent le rôle d'une dit la mère, je comprends l'impuiscensure morale_ Au contraire, à sance des mots, mais je sais qu'à la l'intérieur d'un récit, c'est-à-dire longue, en dépit de leur impuissanGeorBes Bataille une fois produit l'effet de « réace, ils t'atteindront., Tu devineras lité », la contiguïté des mots, la quand ils t'attei71dront qui ne mise en scène de régions inconcicesse pas de me renverser: de me liables du vocabulaire, la mise en renverser les yeux blancs. Ce que commun d'organes en principe peu des insensés disent de Dieu n'est faits pour se rencontrer doivent rien auprès du cri , qu'une si folle jouer avec des obstacles sévères : le vérité me/ait crier. Un~ telle phrarésultat sera d'autant plus efficace se, évidemment, est la définition que l'éventail sera plus ouvert enmême des textes que Bataille nous tre l'aspect noble (la pensée) et adressait. l'inavouable (l'excrément, le sexe). De quoi rire ici-bas, sinon de Trois raisons, par exemple, renDieu? dit Bataille. Ce qui signifie ,dent la phrase qui va suivre scanprobablement: de qUoi rire ici-baS daleuse (impossible à reproduire sinon du , fantôm~ du père qui déici intégralement): Ah, serre les robe et étouffe ce cri de folie qui dents mon fils tu ressembles à est le désir de la mère? De quoi ta ... , il cette ... , ruisselante de rage rire sinon de l'emploi de la langue qui crispe mon désir comme un selon la loi? En t'écrivant, ditpoignet. Dans ce propos tenu par elle, je suis entrée dans ce délire : une mère à son fils, le mot que je tout mon être en lut. même est supprime est gênant non seulement crispé, ma souffrance crie en moi, à cause de son référent déclaré lement, mais cette valeur existe et , répétée qu'il accepte, se plaçant elle m'arrache hors de moi de la obscène, mais surtout à cause de elle doit certainement être liée à sous le coup de l'eXpérience la plus même façon que je sus, en te faimon fils et peut-être plus encore, l'existence des interdits sexuels, en- risquée qui soit, écrivant ce qui ne sant naître, t'arracher de moi. Nous sanSl en avoir l'air, à cause de la visagés en général. Il faudrait devrait pas être écrit: l'enfante- sommes bien ici dans l'inguérissasubstitution implicite de rage au ajouter: les interdits de langage. ment monstrueux qui, à travers les ble dont la majorité2 , refusant le mot que le lecteur s'apprêtait à Car l'interdit fondamental de l'in- figures toujours plus nues des feu de l'écriture - de cette écrilire" et aussi de mon désir comme ceste (condition de toute société et corps féminins, est celui de la mort. ture du monde qui est, jusque dans un poignet, métaphore qui suppOse de toute culture) ne nous est ja- Je voudrais, dit la mère, t'entraî- les mots, jeu et destruction des une \ organisation de pensée très mais donné, c'est là le point capi- ner dans ma mort. Un court ins- corps cherche sournoisement, complexe et différenciée, inscrite tal, que sous la forme de la fiction. tant du délire que je te donnerai paternellement, à guérir. Bataille serait naïf, en ce sens, de voir ne 'vaut-il pas l'univers de sottise a signé de son nom ce défi: Mon dans un déplacement formel. Un tel ip rocessus est constamment et dans Ma Mère la description d'un où ils ont froid. La bouche mater- père m'ayant conçu aveugle (aveumag,i stralement appliqué par Ba- inceste : l'inceste (même s'il a lieu nelle est la bouche mortelle. La gle absolument), je ne, puis m'arrataille, ce q~i donne à son écriture effectivement) est l'impossible par transgression est donc vécue au plus cher les yeux comme Œdipe. l'ai le double versant de la censure et définition. Bataille le sait si bien près de l'interdit: par le seul corps comme Œdipe deviné l'énigme: de son franchissement. Par exem- ' qu'il ,procède à un renversement si- unique -et multiple, désiré et inac- personne n'a deviné plus loin que pie" ces phrases: La vieillesse re- ' gnificatif : 'au lieu de parler (com- cessible (celui du fils pour lui- moi. nouvelle la terreur à l'infini. Elle me le savoir courant) d'un inceste même, de la mère pour son fils, Philippe Soller.s ramène l'être sans finir au com- impossible (au niveau du réel) mais du fils pour sa mère, de la mère mencement. Le commencement conçu comme possible (au niveau pour elle-même) passent comme des 1. Ce livre est édité de façon posthume, qu'au bord de la tombe j'entrevois symbolique), il décrit un inceste mots tous les autres corps qui, dans c'est-à-dire aléatoire. Rien ne permet de est le porc qu'en moi la mort ni réellement et physiquement possi- un désordre de fête, sont pénétrés, le considérer comme entièrement voulu l'inmlte ne peuvent tuer. La ter- ble mais symboliquement annulé. épuisés, perdus. par l'auteur sous sa forme actuelle (souDu corps maternel au corps qui vent décevante, enlisée) . AjO!1tons que la reur au bord de la tombe est di- - Autrement dit, la situation donnée vine et je m'enfonce dans la ter- par le texte est la suivante: c'est en est sorti, le s,e ul rapport lucide' converture choisie pour cette édition est d'un mauvais goût exécrable. , reur dont je suis l'enfant. L'arri- parce que la mère (jeune, jolie, dé- est donc celUI d'un langage déréglé 2. Il n'en faut pas moins distinguer soivée du mot porc dans ce contexte bauchée) est offerte sans obstacle repris à la mort. Peut-être, écrit la gneusement Bataille de toute exploitation classique produit l'effet d'un lap- BU désir du fils que précisément mère, devineras-tu dans mes phra- d'individualiste: « Je hais même ces faisus volontaire (comme si l'incons- l'inceste ne saurait avoir lieu (l'in- ses si tristes soient-elles que je m'ef- bles aux esprits confus qui demandent , tous les droits pour, l'individu: la limite cient était appelé délibérément ' à terdit est intérieur au désir lui- force d'atteindre en toi ce qu'elles d'un individu n 'est pas seulement ~ un monde indevie' n draient si dans même). D'où toute une série de dire son mot) qui déséquilibre et dans les droits d'un autre, elle l'est plus accroche en même temps l'espace substitutions, d'approches, qui vont concevable une pure amitié nous durement dans ceux du peupLe. Cbilque de la narration. La terreur dont je souligner le , seul acte dont il né liait qui ne ' concerne que nos ex- homme est solidaire du peuple, en par-, tage les souffrances ou les conquêtes, _ suis ' l'enfant prolonge l'accent de , peut être question: celui qui anéan- cès. La narration est ce monde in- fibres font partie d'une lIl1lB8e vivante (il porc. En sorte que nous sommes " tirait le désir par la satisfaction du concevable qui suit, d'ailleurs, une n'en est pas moins seul aux IIlDD18Ilta amenés insidieusement à lire: le désir qui porte tous les désirs. Le courbe révélatrice: une fois le lourds). »
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La Quinzaine littéraire,
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septembre 1966
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IN~DIT
Freud : « Tout esprit jeune nous appartiendra.» Dans la collection « Connaissance de l'Inconscient », dirigée par I.B. Pontalis, va paraître aux Editions Gallimard un choix de lettres adressées par Freud à sa fiancée, puis à sa famille, à ses amis et connaissances, tout au long de la plus grande partie de sa vie, de 1873 à 1939. Ernst Freud, qui les publie, s'est tenu aux lettres de son père qui avaient un caractère personnel. Il a écarté celles qui ont trait à la théorie analytique, aussi bien que la correspondance scientifique, déjà connue en partie. Dans les 600 pages de cette correspondance nous avons choisi quelques extraits de lettres qui éclairent au mieux une personnalité hors du commun.
A Martha Bernays
Vienne, le 23 août 1883 Ma. petite Princesse, mon trésor, En rentrant à l'instant d'une consultation à la campagne, je trouve votre exquise lettre qui in'apporte la bonne nouvelle que vous vous sentez bien et toutes les choses agréables que tu ne te lasses pas de m'écrire chaque jour. Je viens justement de m'entretenir avec un aimable collègue de l'hôpital, le Dr Widder, qui m'a longuement expliqué qu'il serait absurde de vouloir se marier quand on n'a pas d'argent; qu'il me faudra huit ans pour arriver à quelque chose. Ce n'était pas par sagesse mondaine, etc., qu'il me disait cela mais simplement, cordialement, comme il le pensait. J'ai sérieusement défendu ma cause et lui ai dit qu'il ne _connaissait pas ma fiancée qui - était disposée à m'attendre -aussi longtemps qu'il le faudra , que je l'épouserai même si elle devait alors atteindre la trentaine - une matrone! s'est-il alors écrié. J'y parviendrai, dis-je, en cherchant du travail ailleurs, s'il le faut. Un homme doit savoir prendre des risques et ce que je tenais à obtenir valait bien qu'on en prenne à n'importe quel prix. Il voulut bien reconnaître que d'ici deux ans je pourrais gagner deux mille florins et me montra une lettre du Dr Kohn de Brünn qui, en l'espace d'une année, espère gagner de cinq à six mille gulden, etc. Il n'avait pas été tout à fait sérieux en me présentant un tableau aussi sombre. Je ne lui ai pas du tout parlé de ce qui était le plus beau: du bonheur incomparable de se sentir aimé, même quand on ne s'appartient pas encore totalement et officiellement et surtout lorsqu'on a eu la chance de s'être emparé d'une petite princesse! Courage, mon trésor, tu deviendras ma femme bien plus tôt [que prévu] et tu n'auras pas besoin de rougir d'avoir aussi longtemps attendu ...
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Vienne, le mardi 4 septembre 1883, la nuit Ma très chérie, Je suis doté d 'une constitution vigoureuse, mais mon état de santé n'a pas été en s'améliorant au cours de ces deux dernières années ; j'ai subi tant d'épreuves qu'il m'a fallu toute la joie, tout le bonheur que tu m'as apportés pour rester bien portant. Je suis comme une montre qui depuis longtemps n'a pas été réparée et dont les rouages sont encrassés. Comme ma misérable personne a pris une importance si grande, même à mes propres yeux, depuis que je t'ai conquise, je me préoccupe davantage de ma santé et ne veux pas me surmener. Je préférerais renoncer à mon ambition, faire moins de bruit, avoir moins de succès, que de
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mettre mon système nerveux en danger. Je crois que ces temps-ci je vais passer le reste de mon temps d'apprentissage à l'hôpital, à la façon des Gojim, modestement, en apprenant et en pratiquant les choses courantes ordinaires, sans m'efforcer de faire des découvertes ni de trop approfondir les choses ...
Vienne, le jeudi 19 juin 1884 Mon trésor chéri, Avant de t 'avoir, j'ignorais-totalement la joie de vivre, maintenant que tu es mienne « en principe», te posséder toute entière est une condition que je pose à la vie qui, sans cela, ne présenterait plus, pour moi, grand iiltérêt. Je suis très obstiné et très téméraire et j'ai besoin de grands stimulants. J'ai fait quantité de choses que toute personne sensée estimerait très déraisonnables: par exemple, étant très pauvre, j'ai choisi la science, puis, étant sans le sou, j'ai fait la conquête d'une jeune fille pauvre, mais il me faut continuer à vivre de la même façon, risquer beaucoup, espérer beaucoup, travailler beaucoup. Du point de vue du bon sens bourgeois je suis perdu depuis longtemps. J'obéis à mon impulsion, je poursuis mon chemin aventureux ...
phithéâtre, puis nous traversâmes plusieurs salles de malades et il m 'expliqua quantité de choses. Bref, bien qu'il y eut moins de manifestations de politesse que j'avais prévu, je me trouvai bientôt très à l'aise et je remarquai qu 'il me témoignait d 'une manière très discrète, beaucoup de co~sidération. Je lui demandai la permission de lui soumettre quelques-unes de mes coupes, ce que j'ai fait aujourd'hui même, rapidement ... Je suis vraiment très confortablement installé maintenant, et je crois que je change beaucoup. Je vais te raconter en détail ce qui agit sur moi. Charcot qui est l'un des plus grands médecins et dont la raison confine au génie, est tout simplement en train de démolir mes conceptions et mes desseins. Il m'arrive de sortir de ses cours comme si je sortais de Notre.Dame, tout plein de nouvelles idées sur la perfection. Mais , il m'épuise et quand je le quitte je n'ai plus aucune envie de travailler à mes propres travaux, si insignifiants; voilà trois jours entiers que je n'ai rien fait , et je n'en éprouve aucun remords. Mon esprit est saturé, comme après une soirée au théâtre. La graine produirat-elle son fruit? je l'ignore; mais ce que je sais, c'est qu'aucun autre homme n'a jamais eu autant d 'influence sur moi ...
Paris, le mardi 2 février 1886 Mon doux trésor aimé,
Renoontre de Charoot
Paris, le 21 octobre 1885 Mon trésor aimé, Je suis déjà en plein travail et plein d'espoir. L'administration de l'hôpital m'a donné un tablier et la clé d'un des placards du laboratoire contre un dépôt de trois francs. Je suis désigné sur le reçu comme étant « M. Freud, élève de médecine ». Il faut que je te raconte tout cela en détail. Hier matin, de bonne heure, quand j'arrivai à la Salpêtrière, la consultation externe - c'est-à-dire la consultation pour les malades non hospitalisés - venait de commencer. Les malades étaient assis dans une salle et, dans une autre, plus petite, se trouvaient les quelques médecins invités à assister à la consultation, les internes et le chef de clinique, M. Marie. Ce dernier examinait les malades que l'on introduisait un à un. M. Charcot est arrivé à dix heures. C'est un homme de haute taille, âgé de cinquante-huit ans, chapeaù haut de forme; il a des yeux sombres, étrangement doux (un des deux plutôt car l'autre est dénué d'expression, étant affecté d 'un strabisme convergent) ; il a le visage rasé, de longues mèches de cheveux ramenés derrière les oreilles, ses traits sont très expressifs, ses lèvres pleines et écartées, bref, il a tout du prêtre séculier dont on attend qu'il ait de l'esprit et montre du goût pour les bonnes choses de ce monde. Il s'est assis et s'est mis à examiner les malades. Il m'en a imposé par son brillant diagnostic et le très vif intérêt qu'il montre pour tout. Aucun rapport avec les airs de supériorité et de distinction superficielle auxquels nous ont habitués nos grands pontes. Je passai ma carte au chef de clinique qui la remit à Charcot; celui-ci joua beaucoup avec elle et, la consultation terminée, demanda où j'étais. Je m'avançai et remis ma lettre de recommandation. Il reconnut l'écriture de Benedikt, s'écarta pour lire la lettre, m'invita ensuite à l'accompagner et dit: ( Charmé de vous voir. » Il ajouta que, pour le travail, je n'avais qu'à m'entendre avec le chef de clinique et c'est ainsi que je fus admis sans autres formalités. Je le suivis donc, il me fit visiter en détail le laboratoire et l'am-
P enses-tu réellement que j'aie l'air si sympathique ? J'en doute fort, vois-tu. Je pense que les gens voient en moi quelque chose qui les déconcerte et cela, en dernière analyse, parce que, dans ma jeunesse, je n'ai pas été jeune et que maintenant, alors que l'âge mÛr corn· mence, je n'arrive pas à vieillir. Il fut un temps où je n'étais que désir de m'instruire et ambition et où, jour après jour, je regrettais amèrement que la Nature n'ait pas mis sur mon front, par un heureux caprice, la marque du génie dont elle fait parfois cadeau. Depuis lors, je ne sais que trop que je ne suis pas un génie et je ne comprends plus comment j'ai jamais pu désirer en être un. Je ne suis même pas très doué ; toute ma puissance de travail tient probablement à mon caractère et à l'absence de graves faiblesses intellectuelles. Mais je- sais qu'un tel mélange peut conduire lentement au succès et que, dans des conditions favor!!1>les, je pourrais faire mieux que Nothnagel à qui je crois être bien supérieur. Peut-être pourraisje égaler Charcot ...
A C.G. Jung Rome, le 19 septembre ) 907 Cher Collègue, Les gens ne veulent tout simplement pas être éclairés. C'est pourquoi ils ne comprennent pas à présent les choses les plus simples. Qu'il leur arrive un jour de vouloir être éclairés et ils comprendront les choses les plus comp1iqhée~. Jusqu'à ce moment-là on ne peut que continuer à travailler et discuter le moins possible. On ne pourrait que dire à l'un: « Vous êtt!s un imbécile », à l'autre: (( vous -êtes un fourbe ». Or il est très justement interdit de formuler de telles convictions. Nous savons d'ailleurs lqu'il s'agit de pauvres types qui ont peur, en partie, de scandaliser, de nuire à leur caractère ou bien qui sont retenus par la crainte de leurs propres refoulements. Nous n'avons qu'à attendre qu'ils meurent ou qu'ils se réduisent lentement à une minorité. Tout esprit jeune et éveillé nous appartiendra. (
lettre au New York Herald Tribune lans y ajouter un mot de votre main. Je suppose que vous attendez en retour une déclaration de ma part. Je n'en aurais pas été chiche et elle aurait été détaillée si je n'avais craint que 'Vous n~ l'utilisiez d'une façon quelconque pour la pubUcité. C'est pourquoi je me contenterai de quel. ques rares remarques qui, destinées à 'Vous seul. ne sont pas faites pour être publiées. Je vous dirai donc simplement que je regrette que vous vous soyez abaissé à soutenir d'aussi lamentables mensonges que ceux de la lettre de votre impérial cousin. Pour juger de la situation, il suffit de confronter trois déclarations: l'assurance donnée par le prince que personne en Allemagne 0: n'. eu à souffrir d'injustices à cause de sa reli. gion )) , votre propre aveu que « si ceux qui veule~t purger leur pays de tels éléments , in· voquent des préjugés raciaux ou reUgieux, Us se rendent coupables de la même faute que c~ux dont les agissements les offus1uen~ D et le SImple propos de N. ~hamberlaIn ~~ant ~e se soucier de ces pretendues atrocIles, maIS s en tenir aux déclarations officielles et aux mesures prises par le Mouvement [ national.socialiste ] .
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Freud devant
~on
« Fonoièrement inoroyant»
blUte.
A Romain Rolland
téresser. Je vous renverrai le manuscrit très prochainement. , _ Ce que je puis vous dire de mes impressions Vienne IX, Berggasse 19, le 4 mars 1923 touchant votre argumentation ne vous étonnera certainement pas car mon attitude à l'égard de Monsieur, la philosophie (de la métaphysique) semble vous 'ê tre connue. Les autres carences de ma nature Je conserverai jusqu'à la fin de mes jours m'ont sûrement mortifié et rendu modeste, le souvenir réjouissant d'avoir pu écha~~er un mais pour la métaphysique il n 'en est pas de salut avec vous . Car votre nom est assocIe pour même, non seulement je n'ai pas d'organe pour nous à' la plus précieuse de toutes les belles elle (pas de « pouvoir ))) mais encore je n'ai illusions, celle de l'expansion de l'amour à toute aucun respect pour elle. En secret - on ne doit l'humanité. pas dire ces choses-là tout haut - , je cro~s J'appartiens en effet à une race ' qui, au qu'un jour la métaphysique sera condamnee Moyen Age, fut tenue pour responsable de comme une nuisance de la période d'une contoutes les épidémies qui frappent les peuples et ception religieuse de l'univers. Je sais exacteque l'on accuse présentement de la décadence ment combien cette mentalité ' m'éloigne des de l'Empire en Autriche et de la perte de la cercles allemands cultivés. Par là même vous guerre .en Allemagne. De telles exp~rienc.es vous comprendrez facilement que la plu~ gra?d~ refroidissent et vous incitent peu a crOlle aux partie de ce que j'ai lu de votre essaI a glIsse illusions. En outre, j'ai passé vraiment une sur moi sans être apprécié, bien que j'aie pargrande partie de ma vie (je suis de dix ~ns fois eu l'impression qu'il s'agissait vraiment plus âgé que vous) à travailler à la destructIOn d'idées « plehies d'esprit ))... . de mes' propres illusions et de celles de l'humaUn mot enfin à propos de la traduction de nité. Mais si cet espoir d'amour universel ne l'épigraphe de L'Interprétation du rêve et de peut se réaliser ne serait-ce q~:appr~ximative son interprétation. Vous traduisez Acheronta ment, si, dans le cours de 1 evolutIOn, nous , movebo par « remuer les fondements de la n'apprenons pas à détourner de nos semblables terre )), alors que ces mots signifient plutôt nos pulsions de destruction, si ~ous continuo~ , « remuer le monde souterrain )). J'avais emà nous haïr les uns les autres a cause de dif· prunté cette citation , à Lassalle pour qui elle f~rences Ininimes et à nous tuer pour d'insiavait sûrement un sens personnel et se rapgnifiants profits, si nous exploitons sans cesse portait aux cou~h~s s~cia!es et n~n à l~ psychopour notre anéantissement mutuel les grands logie. Pour mOl, Je 1 avalS adoptee umquement progrès réalisés dans le contrôle des forces napour mettre l'accent sur une piè?e maîtr~s~e turelles, à quelle sorte d'avenir pouvons-nous de la dynamique du rêve. La motion de desll nous attendre ? Il nous est déjà assez difficile [Wunschregung] repoussée par les inst~nces d'assurer la continuation de notre espèce dans psychiques supérieures (le désir refoule. du le conflit entre notre nature et les exigences rêve) met en mouvement l~ monde psrchlque de la ëivilisation qui nous est imposée ... souterrain (l'inconscient) afIn de se falle percevoir. Que trouvez-vous de « prométhéen» en tout cela ?
Aoheronta movebo
Vienne IX, Berggasse 19, le 30 janvier 1927 Très honoré Docteur,
Pâques, 16 avril 1933
Vous m'avez envoyé avec une courtoisie que l'on r~ncontre rarement chez les Savants alle· mands un essai qui traite de mes travaux et que vous pensez, très justement, devoir m'in,
La Quinzaine littéraire,
,
~"
«Lamentables mensonges»
septembre 1966
Cher Monsieur Viereck, Vous m'envoyez le message de l'ex-prince héritier d'Allemagne [le Kronprinz] et votre
20 Mareslield Gardens, Londres N.W. 3, , le 31 octobre 1938. Très honoré Monsieur. Mon p~tit livre, actuellement à l:impression, porte le titre de ,Mo~es and Monothetsm: comme vous pourrez, j espere, vous en convaIncre au printemps prochain. Il c?ntient une rech~rche fondée sur des hypotheses psychanalytiques concernant l'origine des religions et particulièrement du monothéisme juif, et il constitue essentiellement la suite et le développement d'un autre écrit que j'ai publié il y a vingt. cinq ans sous le titre de ,.T~tem et tabou .. Un vieillard ne trouve plus d Idees nouvelles, 11 ne lui reste qu'à se répéter. On ne peut dire de ce livre, ~:il attaque la religion que dans la mesure ou n Impor~e .quel examen scientifique d'une croyance relIgteuse présuppose l'incroya~ce. J~ ,ne fais pas pl~s mystère, dans ma VIe p~vee ~~ dans ~es écrits, du fait que je SUlS fonclerement ~n. croyant. Si l'on considère mon livre de ce pomt de vue, on sera obligé d'admettre, qu'à vrai dire, ce sont uniquement les juifs ~t non . les chrétiens qui ont le droi~ de se .sentir att~m.ts par ses conclusions. C~r Je ne VISe le christianisme que par un petIt .nomb~ d~ .rem~~q~es accessoires n'apportant rien -quI n 81t deJa eté dit depuis longtemps. On. peut, tout au plus, citer le vieil adage: « Jlns ensemble, pendus ensemble. » Naturellement, je ne tiens pas. non, plus. à offenser les gens de ma race, m~I8 ,qu puIS· . je ? J'ai passé toute ma longue Vl~ ? ~efendre ce que je considérais comme l~ ~ent: scientifique, même quand la chose. etait genan~e et désagréable pour mon proc~aIn. Je ne pws la terminer par un acte de r~m~m~nt. Votre let~ contient une remarque qw temOlgne , de la superiorité de votre esprit: c'est l'assurance que tout ce que j'écrirai suscite~a ~es ~a1entendus et puis-je l'ajouter - de l'In~ati?~. Or, on nous reproche à nous autres" Juifs, d etre ,d~ve. nus lâches au cours des slecles (nous etiona jadis une vaillante nation). Je n'ai aucune part à ce changement. Il me faut donc prendre des risques. Votre respectueusement dévoué.
r
Freud. 13
BISTOIO RE LITTÉRAIRE
Des robes et .des soutanes ,
Mémoires de l'abbé deChQisy Edition . présentée et annotée par G. Mongrédien Coll. Le Temps retrouvé Mercure de France, éd. 424 p. L'excentrique abbé de Choisy (1644-1724), touche-à-tout qui en arriva même à s'occuper de religion, avait pour mère une maîtresse femme, comme il dit, - manœuvrière, intéressée, sèche, et, somme toute, énigmatique. Elle avait réussi à convaincre le- jeune roi de se conduire par ses conseils, il lui accordait audience deux fois par semaine, elle lui donnait des leçons d'intrigue, sans doute l'informaitelle des bruits qu'elle avait l'art de recueillir .partout sur la cour et la ville, et rien ne permet de croire qu'elle se soit montrée rebelle à des désirs plus privés si le maître en manifestait. Elle avait quarante ans lorsque naqujt le futur abbé, troisième et dernier enfant, et troisième fils. Elle le choya: ce tard venu lui donnait un air plus jeune. Et comme il était joli, elle - se complut à lui faire porter les vêtements d'une fille, qui lui seyaient à merveille ; il devait en garder le goût toute sa vie; dans ses mémoires il parle avec un ravissement charmant de ses ajustements, -de ses bijoux, de ses mouches, de ses colifichets et de ses fanfreluches ; aucune femme de l'époque ne nous en a confié autant sur la parure féminine. Peut-être la mère souffrait-elle de n'avoir eu que des garçons; cela paraît peu probable, un tel regret ne s'accordant ni avec son caractère ni avec les mœurs contemporaines; en revanche, elle ne manquait pas de songer à sa propre politique, où tous les moyens lui étaient bons. Elle recevait souvent chez elle Philippe d'Orléans, né en 1640, qui arrivait escorté de toutes sortes de filles de la cour, et aussitôt le grand jeu était de répéter sur lui la toilette d'une jolie femme. Tout cela, raconte l'abbé, se faisait, dit-on, par ordre du cardinal, qui voulait le rendre efféminé, afin d'épargner à Louis XIV les ambitions d'un frère trop viril. 0 le pieux évangéliste ! Mme de Choisy ne s'encombrait pas de plus de scrupules; visant au roi directement, elle devait bien acheter la neutralité bienveillante de Mazarin, et en payer le prix. Ces vieilles histoires sont-elles si vieilles ? Il ne . fallait pas tant de soins pour engager le frère du roi (on l'appelait « Monsieur », et il l'était si peu) dans les voies particulières où l'attirait sa nature. Le curieux est que l'abbé de Choisy, lui, n'alla · point, que l'on sache, de ce côté-là. Croyons-l'en d'abord lui-même, qui, caquèteur comme il était (le suis un Pf!u ,jaseur la plume à la main), nous en aurait bien laissé entendre quelque chose parmi ses confidences amoureuses, qu'il ne destinait pas à la publication. 14
Croyons-en su~tout son excellentéditeur, M. Georges Mongrédien, connaisseUr fin et averti qui n'ignorerien de l'époque, pas même les potins et commérages: s'il n'a trolivé aucune insinuation à relever, c'est vraiment que personne n'insinuait rien. Çe temps-là parfois tolérait mieux _que le nôtre l'excentricité. Choisy pouvait pousser le fétichisme du travesti, pour reprendre une expression de M. Mongrédien, jusqu'à travestir en garçons les filles qu'il honorait
.
son - château. On c.o lichadans le ,même lit, ce qui alors se faisait soUvent, sans songer à mal, entre personnes réputées du Ifiême -sexe. La petite était toute tendre et toute caressante pour la «belle ma_d!lme»; bientôt on l'entendit se plaindre, pleurer, crier qu'on lui faisait mal; et _c omme la « belle -màdame» poursuivait l'entreprise sans s'émouvoir,- les gémissements et les soupirs ne tardèrent pas à_changer de nature. Après -quoi l'enfant passa chaque journée à n'attendre plus
Costume féminin du XVII" siècle.
lorsqu'il s'habillait en femme: ce n'était qu'un piment, et il n'y avait plus d'équivoque au moment d'en venir au fait. Tel paraît avoir été son étrange cas. Un jour, près de Bourges, où il n'était connu que sous le nom et les apparences d'une certaine comtesse des Barres, il s'engoua d'une gamine de la bonne société, âgée de seize ans; il la reçut dans
que les plaisirs du soir. Elle demeurait si innocente qu'à la séparation elle croyait encore que son ardent ami était une femme. Cette histoire incroyable, Casanova lui-même, si hâbleur, n'aurait pas osé l'inventer - peut être une histoire vraie. Elle aurait pu l'être encore, oui, soyez-en sûrs, il y a moins d'un siècle. Aujourd'hui même tant d'excellentes personnes savent si mal déguiser les argu-
mtmts de Chrysale pour nous parler deTéducation des filles! A toutes ces singularités nous faisons ici une place démesurée par rapport à celle qu'ell!ls tiennent réellement dans les mémoires de l'abbé de Choisy. Mais quoi, n'est. ce pas d'abord la singularité que nous ~echerchons dans un livre que nous preno~ comme un objet de lecture plutôt que comme un · docu· ment? Celui-ci, au surplus, est plein aussi d'informations, et les spécialistes en font cas. Choisy a connu beaucoup d'hommes puis· sants, beaucoup d'événements, et certains .des cheminements .sinueux de la politique. Il assista au fameux passage du Rhin: joueur, il alla se ruiner à Venise (il ne jouait jamais pendant ses périodes de travesti: c'était l'un, ou c'était l'autre) ; il eut son rôle dans l'élection du pape Innocent XI, au conclave de 1676, ainsi que dans les extravagants échanges d'ambassades extraordinaires qui se firent une dizaine d'années plus tard entre la France et le Siam. C'est au Siam même ~ plusieurs mois de voyages dans chaque sens - qu'il reçut les ordres sacrés, des mains d'un évêque missionnaire qu'on imagine fatigué, blasé et peu regardant. Je sais bien qu'il n'était pas nécessaire d'en être revêtu pour disposer des revenus d'une abbaye ; néanmoins cette circonstance reste obscure. Les apparences. de l'état ecclésiastique ne lui avaient-elles pas fourni Une autre sorte d'alibi? Polygraphe furieux, il écrivit jusqu'à la fin de sa longue vie toutes sortes d'ouvrages de piété ou d'histoire, voire une traduction de l'Imitation. Jusqu'à une énorme Histoire de l'Eglise en onze volumes in-4° (1703-1715): il se déguisait encore, cette fois en vieille dame, tandis qu'il la composait; d'Alembert lui prête ce mot: J'ai achevé, grâce à Dieu, l'histoire de l'Eglise; je vais, présentement, me mettre à l'étu; dier. . Ce n'est guère qu'après son prdination qu'il commença à consigner des souvenirs où nous devinons en filigrane l'effet des leçons de con· duite politique et d'entregent -dont sa mère jadis l'avait attentivement imprégné. Tâche qu'il pour~uivit avec irrégularité, en désordre et selon son caprice; les femmes authentiques de l'époque, ses rivales, avaient beaucoup plus de suite dans les idées et beaucoup moins de frivolité. Il est quelquefois un peu fastidieux, comme toujours doit être un bon auteur de mémoires; il parle l'admirable langue, rapide, éveillée, spirituelle, de ce siècle littéraire méconnu qui est entre le siècle de Louis XIV et le siècle de Louis XV. La tradition distingue dans les publications posthumes les M émoires pour setvir à l'histoire de Louis XIV et les Mémoires (ou Aventures) de l'abbé de Choisy habillé en femme, -- heureusement rassemblés ici dans un même volume. Du premier titre je voudrais citer quelques autres traits, pour ouvrir
ÉRUDITION
Un poèDle inédit de 'Laforg~e davantage un éventail qui vaut tellement mieux qu'une babiole. Le premier concerne le fils naturel de La Rochefoucauld et de Mme de Longueville, tué ' en 1672, à vingt-trois ans, au passage du Rhin alors qu'il venait d'être élu roi de Pologne, et rapporté en travers d'un cheval, ta tête d'un côté et les pieds de l'autre: Des soldats lui avaient. coupé le petit doigt gauche, pour avoir un diamant; Mme de Sévigné, qui parle de sa mort avec émotion, semble avoir ignoré ce détail sauvage. Autre trait, sur les « barbouzes» de Fouquet, réseau parallèle d'agents sûrs et plus rapides que ceux du roi et de ses ministres: Le surintendant n'avait jamaiS fait de voyage avec la cour qu'il n'eût établi des relais de sept lieues en sept lieues, indépendamment de la poste, et à quatre ou cinq lieues hors du grand chemin, sur la droite ou sur la gauche: c'est un schéma pour les Trois mousquetaires. Les conseils politiques que donnait Mazarin au jeune roi aboutissaient à tenir les princes du sang le plus bas qu'il pourrait; à ne se point trop familiariser avec ses courtisans, de peur qu'ils ne perdissent le respect, et ne lui fissent des demandes qu'il lui serait impossible de leur accorder (il faut, lui disait-il, prendre un visage sérieux et sévère dès qu'ils vous demanderont quelque chose); à cultiver avec soin le talent ' royal de la dissimulation, que la nature lui avait prodigué; à se défier de tous ceux qui approcheraient de sa personne, sans même excepter ses ministres, devant être bien persuadé qu'ils ne songeraient tous qu'à le tromper; à garder dans les affaires un secret impénétrable, qui seul .les peut faire réussir; et à toujours :-promettre aux ' Français, sans ~se mettre beaucoup en peine de leur tenir. Au style près, on croirait lire le Canard enchaîné. Alain abhorrait l'histoire des historie~s; il lui reprochait de n'être qu'UÎle sorte de météorologie des faits,r - puisque la météorologie se désintéresse . des volontés et humeurs des pauvres humains. Or le rêve Ides hommes pèse toujours sur les événements, en bien ou en mal, mais d'une manière qui plus ou moins déjoue l'ancestral asservissement' au fatalisme. Il professait en revanche que toute l'histoire s'apprend dans les mémoires, où les puissances de l'homme se manifestent dans leur état vrai, c'est-à-dire mêlées confusément à son impuissancé. Il aurait été un lecteur assidu de la collection Le Temps retrouVé que Jacques Brosse dirige au Merdure depuis l'an dernier, et où l'abbé de Choisy voisine maintenant avec : Voltaire, avec Goldoni, avec Tilly( avec Mme de La Fayette, avec - les Mancini, avec Mme de Caylbs, et depuis peu avec cette Mme' Roland que Stendhal admirait tant. Compagnie bien estimable. Samuel S. de Sacy La Quinzaine littéraire, 1" septembre 1966
A sa mort, en 1887, Jules Laforgue laissait une masse de papiers parmi lesquels figuraient de nombreux poèmes inédits, composés, les uns à ses débuts, avant son départ pour l'Allemagne, les autres après son retour en France, dans les derniers mois qui lui restaient à vivre. Dès 1890, ses derniers vers furent publiés. Edouard Dujardin en fit paraître, pour une cinquantaine de souscripteurs, une excellente édition, établie par Félix Fénéon avec un soin qu'on pourra toujours donner en exemple à qui voudra rassembler les disjecti membra d'un poète. En revanche, les vers anciens, tombés en d'autres mains,
furent plus négligemment traités. gue que nous préparons pour le Camille Mauélair, en 1902, en in· Livre de Poche devra beaucoup à séra quelques-uns dans son édition MM. Clayeux, J.-L. Debauve, Jacdes œuvres « complètes » de Lafor. ques Bernard, Marc Loliée et Bergue. On n'a pas l'impression qu'il nard Loliée. ait pris .la peine de les choisir. S'il Les Paroles d'un époux inconsoeût existé un prix Nobel de la dé- lable font partie de notre récolte. sinvolture, son travail eût pu lui Sur leur titre, Laforgue hésitait. permettre de le briguer. Son manuscrit comporte deux auQuantité de poèmes de Laforgue tres titres: . Une Charge et Guidemeuraient donc inconnus. Amica- tares d'occasion, mais ce dernier lem.e nt guidé par Maurice Saillet et . n'était sans doute qu'un titre génépar Maurice Chalvet, nous en avons ral, sous lequel le poète avait proretrouvé près de quarante. Des col- jeté de réunir plusieurs pièces, N ozu lectionneurs obligeants, des librai- nous sommes arrêté à Paroles d'un res dont la complaisance nous tou- époux inconsolable. Il serait diffi-che nous ont communiqué les piè- . cile, à notre sens, de ne voir dans ces autographes .q u'ils avaient .en ce long poème qu'une «. charge ». leur possession. L'édition du LaforPascal Pia
Paroles d'un époux inconsolable Mon épouse n 'est plus! - Je ne crois pas à l'âme. Son âme ne m'est rien, je ne la connais pas. Ce que j'ai connu, moi, c'est ce beau corps de femme Que j'ai tenu sons moi! qu'ont étreint ces deux bras !
Et maintenant, elle est là-bas. au cimetière, Dans une caisse en bois, seule. loin de Paris, Offrant aux vers gluants sa bouche hospitalière, Les yeux vidés. le nez mangé, les seins pourris.
Ce sont ces cheveux noirs et fins, ces rouges lèvres,
Je m'assieds sur un banc : tout va, tout continue, Le boulevard fourmille au soleil éternel, Nul ne sait qu'elle fut , dans cette âpre cohue, Et pour m 'en souvenir je suis seul sous le ciel 1
Ces épaules, ce dos, ces seins, tièdes et mous, Qu'en DOS nuits d'insomnie, après l'heure des fièvres, Ma bouche marquetait de mille baisers fous.
Vous ai-je donc rêvés, nuits de voluptés folles, Spasmes, sanglots d'amour, rages à nous broyer! Doux matins où, très-las, nous rêvions sans paroles. Nos deux têtes d'enfants sur le même oreiller. Je ne la verrai plus. Elle se décompose Selon les mouvements sans mémoire, absolus. - Son bras avait au coude une fossette rose. J'aurais dû mieux l'aimer! Je ne la verrai plus. Racines des fleurs d'~r, averses des nuits lentes, Soleil, brises sans but, vers de terre sacrés, Tous les agents divins se sont glissés aux fentes Du coffre qui détient ses restes adoréS ! Où sont ses pieds rosés aux chevilles d'ivoire ?
Sa hanebe a'll .gnnd contour, ·les globes- de ses seins ? Son crâne a-t-il encor cette crinière noire Que l'orgie autrefois couronnait de raisins ?
Jules Laforgue, caricature d'E. Laforgue.
Et son ventre, son dos ? Oh! que sont devenues Surtout, par les hasards de l'insensihle azur, Ces épaules cold-cream ? et ces lèvres charnues Où mes dents mordillaient comme dans un fruit mûr ?
C'est cela, cela seul. C'est ce que j'ai vu vivre, C'est ce qui m 'a grisé tout entier, tête et cœur, Ce dont le souvenir, même encor, me rend ivre, Ou me coule par tout le corps une langueur.
Et ces cuisses que j'ai fait craquer dans les miennes ? Et ce col délicat, ce menton et ce nez, Ces yeux d'enfer pareils à ceux des Bohémiennes Et ses pâles doigts fins aux ongles carminés ?
J'ai gardé notre lit, sa robe et sa cuirasse, Ses jupons de dessous et ses gants et ses bas, Ses linges capi~ que j'étreins, que j'embrasse Parfois, pour m 'en griser, et qui ne remuent pas !
D n 'y a que l'échange universel des choaes, Rien n'est seul, rien ne naît, rien n'est anéanti, Et pour les longs baisers de ses métamorphoses, Ce qui fut mon épouse au hasard est parti !
Non, je ne me ferai jamais à cette idée Qu'elle fut et n'est plus! et malgré nos amours ! Car moi je vis encor, moi qui l'ai possédée ! Et mes bras sont puissants, et mon cœur bat touj0UJ'8 !
Parti pour les sillons, les forêts et les sentes, Les mûres des chemins, les prés verts, les troupeaux, Les vagabonds hâlés, les moissons d'or mouvantes, Et les grands nénuphars où pondent les crapauds,
L'été dernier, par une après-midi semblable, Dans le soleil, la foule et le luxe criud, Et les fiacres sans fin, toujours broyant le sable,
Les miasmes de lems nuits où flambe le gaz cru, Les bouges, les salons, les halles, les boutiques,
Nous avons traversé ce même
Et la maigre catin et le boursier ventru.
boulevam.
Elle avait ces yeux noirs qu'une insomnie attise, Elle était à mon bras, et je la vois encor Avec son col brodé d'une dentelle exquise, Son chignon traverllé d'un léger poignard d'or.
Parti pour les cités et leurs arbres phtisiques,
Parti .. _ fleurir peut-être un vieux mur de clôtme Par-dessus qui, dans l'ombre et les chanaons des ·nids, Deux voisins s'ennuyant en vil1égi8tnre Echangeront un soir des senbents infinis!
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ART
France et Espagne rODlanes Tympans romans (T. II) 76 pl. en noir, 4 pl. en couleurs Zodiaque éd., 200 p. Castille romane (T. 1) 150 pl. en noir, 8 pl. en couleurs Zodiaque éd., 396 p. Simone Bertrand La Tapisserie de Bayeux 146 pl. en noir, 12 pl. en coul. Zodiaque éd., 328 p.
des textes de la Divine Comédie, fort bien tràduits par Elisabeth de Solms, et des bois gravés de la Stultifera Navis de Sebastien Brant, reproduits d'après l 'édition de Gaufridus de Marnef (Paris, 1498). La poésie mystique de Dante et la rudesse naïve des bois gravés s'allient ainsi en une sorte d'orchestration où se répercutent les grands thèmes de la sculpture romane. Le seul reproche qu'on pourrait faire à ce livre est la brièveté du texte
un linteau dont on ne distingue pas, sur la vue d 'ensemble, les curieu x détails. Il s'agit d 'une Cène que nous retrouvons, agrandie, sur la double page suivante. Nous découvrons alors cette idée singulière et savoureuse du sculpteur qui ajouta aux personnages la figure d'une pécheresse, ·glissée sous la table, essuyant les pieds de Jésus avec ses cheveux. Et, tandis que les Apôtres s'apprêtent à rompre le pain, tout à côté d'eux Adam et
Neuilly-en-Donjon, détail du linteau du tympan, · deux apôtr6l.
Trois nouveaux ouvrages viennent d'enrichir le méthodique et savant inventaire de l'art roman entrepris par les Editions Zodiaque et qui comporte déjà une vingtaine de volumes.' L'intelligence et le goût apportés à leur rédaction et à leur illustration en font des livres d'une grande portée éducative où le plaisir de l'œil accompagne constamment, pour le lecteur, la curiosité de l'esprit. Le second tome de Tympans romans nous montre des œuvres choisies dans les plus belles églises · du Centre et de l'Est de la France. Les excellentes photographies qui l'illustrent sont groupées en trois parties que précèdent et séparent 16
concernant les tympans et sa limi. tation à l'étude de leur signification spirituelle. On eût souhaité qu'il s'étendît à quelques aperçus de pure archéologie. Mais l'ingénieuse façon dont les œuvres sont représentées, par des ensembles d 'abord, puis par une succession de détails de dimensions de plus en plus grandes, nous permet une véritable approche de ces sculptures admirables que nous pouvons contempler beaucoup mieux, dans bien des cas, que nous ne pourrions le faire devant les tympans eux-mêmes. Ainsi en est-il avec un portail de l'église de Neuilly-en-Donjon (Allier) où le tympan du XIIe siècle s'appuie sur
Eve sont là qui ne . se gênent pas pour croquer la pomme. C'est là une de ces rencontres inattendues qui montrent l'esprit de liberté où s'épanouissait l'imagination romane. Jamais non plus nous n'avions pu voir d'aussi près les fantastiques figures de démons qui, sur le tympan d'Autun, font un effort désespéré pour faire pencher à leur profit la balance à peser les âmes, ni les deux âmes inquiètes, dans l'attente de la pesée, qui se cachent si drôlement sous les plis de la robe de l'archange Michaël. Ces plis, tracés avec une élégance et, parfois, une complication dont sembleront s'inspirer, cinq siècles plus tard, au
Japon, les maîtres de l'Ukiyo-e, nous pouvons, à travers les pages du livre, constater comment, avant de prendre cette envolée et cette sûreté graphique que nous leur voyons à Autun, à Vézelay et même, bien que plus lourdement, à Anzy-le-Duc, ils étaient l'objet d'une .application naïve sur le beau tympan de l'église d 'Andlau (BasRhin), et plus naïve encore à Marssur-Allier (Nièvre) où saint Pierre et les apôtres sont traités dans un style véritablement populaire. Un autre aspect de l'art roman français . nous est présenté avec l'ouvrage de Simone Bertrand sur la Tapisserie de Bayeux. On pourrait s'étonner à priori qu'un in-8° de 328 pages puisse être consacré à ce seul sujet. Mais si l'on songe que la Tapisserie - ouplus exactement cette bande de toile de lin brodée mesure 70 mètres de long (sur une hauteur qui ne dépasse pas 50 centimètres), on comprendra qu'il n 'ait pas fallu moins de 143 planches photographiques pour la représenter dans son étendue intégrale. En outre, l'auteur, conservateur, à Bayeux, de cette œuvre unique, nous en donne une étude si détaillée qu'aucune de ses particularités techniques, graphiques et historiques n 'est laissée dans l'ombre: examen des laines teintes à la toison en huit couleurs ; inventaire des 1.515 sujets représentés, dont 626 personnages et 200 chevaux; contexte historique permettant de suivre, étape par étape, cette grande épopée que fut l'expédition normande contre le roi Harold et la conquête de l' Angleterre par Guillaume de Normandie, sujet de la Tapisserie de Bayeux. Puis, à partir des éléments fournis par les broderies elles-mêmes, l'auteur nous livre une excellente étude sur la manière de vivre au XIe siècle. Enfin, la relation des vicissitudes imposées à la Tapisserie depuis le · jour où elle fut exposée pour la première fois, le 14 juillet 1077, dans la nef de la cathédrale de Bayeux, nous apprend quelques faits curieux, celui-ci entre autres: Bonaparte, qui rêvait de renouveler l'exploit de Guillaume le Conquérant, fit venir la Tapisserie à Paris en 1803 pour la montrer au public et lui rappeler ce prestigieux précédent. Cette grande fresque épique est le plus bel exemple de ce qu'on appellerait aujourd'hui une œuvre de figuration narrative. Le naufrage de Harold sur les côtes de Picardie, la mort d'Edouard le Confesseur, la construction de la flotte normande, le débarquement en Angleterre, la bataille de Hastings, tous ces événements se déroulent à nos yeux dans un style ingénu mais avec un extraordinaire mouvement qui, dans les chevauchées, évoque le western et, dans . la culbute des combattants, l'opéra · chinois. Plaidoyer pour un vainqueur, la Tapisserie de Bayeux est aussi le « documentaire» le plus vivant que nous possédions sur un
ErDla des grands épisodes de l'histoire du XIe siècle. C'est dans le siècle suivant que nous entraîne le bel ouvrage sur la Castille romane, en nous promenant à travers le nord-ouest de l'Espagne, parmi les villages trop peu connus des provinces de Santander, Burgos, Palencia et Logrono où se cachent quelques-uns des plus beaux édifices du XIIe siècle, églises, monastères et ermitages, évocateurs de l'austère époque de la Reconquista. Ce n'est pas par hasard qu'une telle rencontre géographique eut lieu entre Cluny, Cîteaux et le monarchisme espagnol à la fin de la période de domination du Califat de Cordoue : le nord de la Vieille Castille était le chemin d'accès de Saint-Jacques de Compostelle. Aussi voyons-nous, mais absorbées par le phénomène d'intégration castillane, les influences françaises se juxtaposer aux apports mozarabes. La venue en Espagne, sous Alfonso VI, de saint Hugues, abbé de Cluny, devait contribuer à l'efficacité de la campagne entreprise pour évincer du pays les éléments mauresques. Le livre, rédigé par Dom Abundio Rodriguez et Dom Luis-Maria de Lojendio (avec textes français, espagnol, anglais et allemand), est à la fois conçu pour nous faciliter l'exploration de ces contrées magnifiques et pour nous instruire d'une façon très savante sur l'histoire et les particularités archéologiques de chacune de ces églises, choisies pour la pureté romane de leur construction (tout art de transition étant écarté) et pour la beauté de leurs sculptures. L'intérêt des textes s'accorde ici à la qualité des illustrations photographiques et à l'intelligence des prises de vue qui
nous rendent sensible le caractère d'un paysage avant de nous faire, pour ainsi dire, toucher du doigt ! tant de pierres émouvantes. Rien ne peut mieux qu'un tel ouvrage susciter notre désir de connaître ces lieux où bâtisseurs et sculpteurs ont porté à un si haut degré l'esprit d'équilibre et l'humaine gravité de l'époque romane: San Lorenzo de Vallejo, dans la vallée de Mena, avec son abside où se révèle - fait surprenant en Castille - l'influence lombarde; Santa Maria de Siones où l'on peut voir, parmi d'autres œuvres vigoureuses, la curieuse scène de sainte Julienne tirant les cheveux d'un démon accroché à sa jupe; l'ermitage de San Pantaléon Enna: Collage.painting, 1962. de Losa, dressé sur un piton cabré qui domine la campagne, et dont le portail ouest offre cette singuGérald Gassiot-Talabot larité de ne laisser entrevoir dans Erma ses voussures que la tête et les pieds Flinker-Tisné éd. 70 p. de personnages enfermés dans la pierre; San Pedro de Tejada, dans la vallée de l'Ebre, entre Burgos et Une nuit de mai 1964, dans ce Bilbao, avec son beau clocher carré Paris où il vivait le plus souvent et les étranges oiseaux nichés dans la flore de ses chapiteaux; San depuis quelques années, Thomas Martin de Fromista, sur la route Erma se tirait une balle en plein de Valladolid, au nord de Palencia, cœur, comme il l 'avait souvent mimé en extraordinaire comédien dont la perfection architecturale, la beauté des pierres sculptées et manqué qu'il était. Il avait vingtles dimensions font un des édifices six ans, l'air d'un adolescent iroles plus harmonieux et le plus im- nique et parfois' rêveur que démenportant de toute la Castille romane. tait un regard bleu aigu. La jeuPremier tome d'une véritable an- nesse, la beauté, l'intelligence, le thologie consacrée aux plus belles talent, tout semblait lui avoir été œuvres de l'art roman dans cette donné. Mais cet esprit sarcastique, région privilégiée de la vieille cet humour railleur, grinçant, qu'il Espagne, cet ouvrage nous laisse déployait souvent, cachaient mal impatients de connaître ce que le une plaie profonde, l'inguérissable prochain volume nous révélera des romantisme d'un être si mal à l'aise provinces d'A vila, de Soria et de dans sa peau qu'il ne pouvait plus supporter de vivre. Ségovie. Jean Selz Dans le petit livre qu'il vient de consacrer à son œuvre trop brève, Gérald Gassiot-Talabo~ analyse avec Montceaux-l'Etoile, tympan du portail, tête d'un apôtre. intelligence et sensibilité la genèse possible et sûrement vraisemblable de ces collage-paintings auxquels Erma se consacra pendant quelques années et dont il avait mis au point la curieuse technique. Technique qui conjugue un acte de destruction et un acte de construction (en fait, l'opération com- ' porte trois temps: création, destruction, re-création). Erma peignait <J;abord de grandes peintures sur papier dans la manière nerveuse et spontanéè de l'action-painting: une violence lyrique, une explosion vitale de couleurs ponctuée d'éclaboussures, que l'on avait beaucoup pratiquée déjà et dont il ne pouvait se satisfaire. Armé de ciseaux il mettait alors en pièces l'œuvre qu'il venait d'achever, tantôt découpée en longues bandes verticales, tantôt en fragments plus irréguliers, tantôt selon des rythmes circulaires. Le commentateur met très bien en lumière la relation amour-haine que Tom entretenait avec lui-même et qui se révélait ainsi, geste de Narcisse brouillant d'un souffle le miroir d'eau qui lui renvoie son image, et il émet l'hypothèse que cette manière de procéder lui fut
La Quinzaine littéraire, 1" septembre 1966
peut-être révélée par hasard, au cours d'une crise de refus et de destruction d'une œuvre qu'il rejetait. A partir de ces fragments Erma reconstruisait alors une œuvre nouvelle, assemblant les morceaux de ce puzzle qu'il venait de créer, aménageant l'espace selon des rythmes nouveaux, un peu à la manière d'un musicien de jazz qui reprend, assemble, déroule dans des ordres différents les composantes d'un même thème. De larges traits noirs, repeints ensuite, ou des parties blanches rapportées, contribuent à préciser pour chaque tableau un rythme particulier qui varie selon les années. Les plus belles œuvres sont sans doute celles de 1961-1962 où prédomine le rythme circulaire sans cesse rompu par les coupures verticalés. Rien de gratuit dans cette technique qui, à certains, n'a pu paraître qu'un jeu, une recherche d'originalité purement formelle. Cet univers disloqué, ce monde en miettes, sont au contraire l'image fidèle d'un être dispersé qui tentait vainement de saisir sa vraie personnalité; un labyrinthe où l'on court, haletant, de chute en chute, cherchant l'issue, accroché au mince fil blanc prêt à se rompre. Peu de temps av~nt sa mort Erma, sentant peut-être le besoin d'échapper à une technique dont il était trop maître, avait commencé une série de dessins au crayon et de tempera. Ils reflètent le même univers éclaté et tourbillonnaire - nœuds presque viscéraux, ligaments, musculatures déchirées qui, pour finir, s'ordonne . avec une sorte de calme et d'une manière très contrôlée dans Une forme ovoïde. Ainsi se manifestent à la fois l'exigence de rigueur et l'instinct de débordement, antinomiques. Ce nœud de contradictions qu'il portait en lui, Erma n'a pas pu le dénouer. Son œuvre est là devant nous, dans cette jeunesse insolente et tragique qu'elle gardera éternellement puisqu'elle ne connaîtra ni les temps morts, ni les redites qui sont, hélas, le lot des vivants.
Geneviève Bonnefoi 17
ÉDITEURS ET LIBRAIRES
J'lammarion Les poètes vont pouvoir se jeter à l'eau ' et dam les bras du Delta que leur ouvrent les éditions Flammarion. La collection Delta sera dirigée par Marc Alyn qui définit ainsi son propos: Com1lle le fleuve à ~on delta ~e divise en bTlJ&
multip~
avant de
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jeter
~
14 mer, la collection Delta accueillera to~ ~ couranU de la poé&ie vivante, pourvu
qu'iU témoignent de la volonté d'enrichir le ' domaine de la porole · humaine aujour· d'hui menacée. Lorand Gaspar qui inaùgure la collection avec Le quatrième état de la matière illùstre cette opinion:
Que dans 'IUle très douce syllabe Je puisse diluer tout violence et tout or
Ce pur froment de moi-même tu. L'effritement est à mes doigts. Je remplirai ton corps De mes rares éclairs abattus Et d'effroi.
Berger-Levrault Une nouvelle collection polémiqué à paraître aux éditions Berger-Levrault: a Dialogues et Progrès D, selon une formule originale. Parmi les premiers titres retenus:
PSYCHOLOGIE
La clé des lIlétaDlorphoses André Virel Histaire de notre image Ed. du Mont Blanc grand format, 328 p. Avec la commùnauté primitive où s'est forgée sa pensée, avec le système nerveux qui en était l'outil, et à partir de l'expérience, l'homme s'est éonstruit un univers intérieur: l'Imaginaire - qui, de millénaire "en millénaire, le maintient en équilibre vivant avec le monde vivant, car nous sommes un univers grouillant à l'intérieur d'un univers grouillant. Le monde rationnel est peu de chose à la surface de ces océans mouvants que sonde la psychologie des profondeurs. Et si peu que nous grattions l'écorce, nous trouvons en chacun de nous les éléments de l'histoire du monde. Encore faut-il savoir s'y orienter et les interpréter. Histoire de notre image nous indique les chemins et les filières, nous propose des repères, explique les mu-
il fut dominé par le danger et le mystère du Monde? En fait, c'est l'Image du Monde que nous avons patiemment construit et remanié de siècle en siècle. Mais parce que nous participons fondamentalement au monde, nous avons parallèlement e~ comme en reflet, construit et structuré notre propre image. Depuis le début des temps, cette image latente est en nous - et les productions humaines en témoignent. L'Histoire de notre Image, c'est l'histoire du monde. Il fallait, pour entreprendre de la ' retracer, être courageux et large d'épaules. Il fallait aussi une pénétration d'esprit particulière et une documentation étendue. Visiblement, l'auteur a tout cela. La vie (mais ne sefalt.on pas une vie à sa mesure ?) lui a donné d'exceptionnelles occasions d'information: authentiquement Initié en forêt guinéenne à telle époque de sa vie, il fut à telle autre Préfet de la Savoie et HauteSavoie; il est pour l'ordinaire psy-
Pour le planning familial et la pilule, contre le planning familial et la pilule, Pour le nouveau-roman, contre le nouveau roman.
Albin-Miohel Dans la collection Lettre ouverte, chez Albin Michel, qui a publié notamment la Lettre à Dieu de Robert Escarpit, et compte déjà parmi ses auteurs Jules Romains, paraîtront de septembre à novembre Lettre ouverte à un jeune homme d'André Maurois, Lettre ouverte au minütre de l'Information de Jean Grandmougin, et Lettre ouverte au Pape de Jacques Laurent;
Julliard Nouvel habit de toile aux éditions Julliard. Les nouveautés paraîtront désormais reliées, avec la même typographie . et les mêmes couleurs (vert et blanc). Le prix de chaque volume ne sera majoré que de 1 F en moyenne.
Libraire. Un certain nombre de libraires vhin. nent de fonder la L.I.G. (Association culturelle des libraires de littérature géné. rale). Destinée à regrouper les membres de la profession qui sont spécialisés dans cette branche particulière que les critères, établis de façon très restrictive par les statuts, tendent à distinguer dans la masse des quelque 18.000 points de vente de livres que l'on compte en France. L'idée de base de l'Association sem· ble être de n 'admettre que les libraires susceptibles d'assurer un service personnalisé aux lecteurs, d 'un triple point de vue: guider le lecteur (conseils et recherches bibliographiques) ; fournir les livres ou au contraire vérifier les listes d'ouvrages épuisés); renseigner le cas échéant, diriger le client vers les spécialistes, voire les bibliothèques) . Les restrictions portent sur la nature des ventes (papeterie, journaUx, etc., ne pouvant entrer que poUl' 5 % dans le chiffre d'affaires), le stock et sa composition (l'accent est mis sur la promotion de la littérature la plus moderne). Au total, bien que l'on évalue le nombre des libraires à quelque 6.000 ou 7.000 en France, il semble qu'une cmquantaine seulement pourraient satis· faire aux exigences des statuts. A l'étude: un label distinguant les membres et de nombreux autres projets. Il est à rappeler que le président, Max Philippe Delatte, est le créateur du chèque-livre. 18
Les
personnag~
de-face· profil
égyptie~.
tations de l'homme, nous propose même par le rêve expérimental le moyen de revivre la passionnante aventure de la pensée mythique. Avant ce siècle, on ne s'était jamais avisé qu'il put exister un schéma corporel, auquel neurologues et psychologues accordent aujourd'hui un grand intérêt. C'est dire que l'homme n'a pas eu d'emblée, ni de longtemps la notion objective de son Image. Comment l'aurait-il eu, alors que des millénaires durant,
chothérapeute éminent mais il est aussi Assistant de psycho~physiolo gie à la Sorbonne - ce qui explique déjà l'étourdissante variété des domaines où il puise les éléments de cette synthèse qu'il nous présente. Indiscutablement, Histoire de notre Image est de ces livres qui marquent leur époque. Notre Image n'est pas un reflet du monde extérieur: C'est le monde extérieur lui-même. En veut-on une explication imagée? La biologie
nous la fournit. Bien avant notre apparition sur terre, l'algue s'était progressivement perfectionnée de canaux, grâce auxquels elle peut devenir plante aérienne à circulation intérieure: l'eau, milieu externe, était devenue nillieu interne. Puis ce fut l'ovule flottant du poisson qui devint l'œuf ,des reptiles - intériorisant dans sa coquille le milieu liquide primitivement extérieur. Enfin, c'est l'œuf lui-même qui s'intériorise chez le mammifère. On sait aussi comment, chez lui et chez l'homme, l'enveloppe externe de l'embryon se creuse en gouttière dont les bords finissent par se rejoindre, comme pour enfermer le monde extérieur à l'intérieur de ce qui sera notre système nerveux. Toute cette cascade d'intériorisations successives ri'explique-t-elle pas que nos humeurs ont la même concentration saline que l'eau de mer? ' . Sur d'autres plans, le processus est le même: l'homme préhistorique capte les images du monde extérieur et les intériorise dans la caverne, dont il couvre les parois de dessins. Il capte aussi les entités et les intériorise dans le temple. Plus tard, il capte l'univers des choses et l'intériorise en un univers notione!. Que toute notre histoire soit celle d'une intériorisation progressive, explique la valeur symbolique donnée primitivement à l'objet creux: cavité de la boîte cranienne, chambre vide des tombeaux, cryptes, dolmens, trous percés dans les objets rituels, constituent le creuset où se projette d'abord toute idée abstraite. Mais le « creux » n'est qu'un cas particulier dans la savante géométrie d'André Vire!. Tout ' commence linéairement. Mais un repère sur la ligne (un arbre sur le sentier) lui · donne une « orientation» en même temps qu'il permet l'appréhension confuse du plan: Telle est l'aventure de la « consciencialisation du point » à laquelle correspond l'avènement de valeurs liées à la ~otion de point (objets pointus, trou, etc ... ). La «consciencialisation de la ligne» va ensuite amener l'orientation du plan et la notion confuse de l'espace tridimensionnel (la troisième dimension étant à ce stade une dimension cosmo-théologique). C'est au stade suivant qu'on assistera à une prise de conscience de l'espace tridimensionnel et la naissance de la notion de temps mais de temps ' cyclique (répétition indéfinie des rythmes). Le temps orienté, chronologique (sens de l'histoire) ne survient qu'au stade suivant. Ces mutations successives expliquent au plus près le développement chronologique des faits de la préhistoire et des civilisations archaïques, dont on n'avait jamais jusqu'ici expliqué l'enchaînement. Par rapport à ce système de réfé· rence, on voit comment interviennent l'âge de l'objet pointu, l'âge de l'objet coupant, l'âge des perspectives rabattues, l'âge des mythes cycliques, etc. et il faudrait pouvoir citer tout ce qu'André Virel
-
SEXOLOGIE
Pour éducateurs et poètes explique au sujet de la hache, de la foudre, des objets décorés de l'époque magdalénienne, des des· sins rupestres, de la sculpture égyptienne et de ses personnages ' de.face.profil. Parmi les autres axes historie ques, celui de l'ambivalence et des 1 ruptures d'ambivalence est des plus i féconds. Il explique comment l'homme s'individualise par rap' port au groupe initial et comment l'homme social dialectise ses am· bivalences. C'est l'occasion ' pour l'auteur d'expliquer par le dedans la valeur d'images symboliques fondamentales telles que la flèche, l'arbre, l'arc, l'onde et le nœud., la main, le cercle et son centre, ... , et d'ouvrir à propos de chacun d'eux des perspectives iminies d'interprétation. Une clé majeure est celle enfin d'une loi de suc· cession génétique en trois stades: cosmogénique, schizogénique et autogénique si profondément liée à la nature fondamentale des Matisse: Iltustration pour Cl Le. Fleurs choses, qu'on en trouve l'applica. tion en ethnographie, en histoire, en psychiatrie, en mythologie, en embryologie, etc. Car il y a une Havelock Ellis parfaite continuité entre le déve· Etudes de psychologie sexuelle loppement des possibles dans le Cercle du Livre Précieux, 10 vol. monde vivant et l'évolution de la pensée mythique dans l'homme comme si l'Imaginaire individuel Le grand malheur de Havelock était un îlot de l'Imaginaire bioEllis, c'est d'avoir été si exactement logique. L'auteur fait aussi une grande le contemporain de Freud (Ellis place à l'étude onirique des mye naquit en 1859, l'autre en 1856 et thes. Car il a ' retrouvé en prati. tons deux moururent en 1939) quant le « rêve éveillé )} à des fins qu'on n'a pas manqué et que l'on psychothérapiques, une confirma· continuera de mettre en parallèle tion supplémentaire des lois struc· les deux hommes et les deux ' œu· turales et dynamiques de l'Imagi. vres, pour accabler l'aimable dilet· naire, et du fait que toute notre tantisme de l'Anglais sous le génie évolution réside dans une dialec· du Viennois. On reconnaît à Ellis tique de l'Imaginaire et du réel. le . rôle de précurseur en matière Cette dialectique se ' développe à de sexologie. Freud ne nied'ail· travers une ihcroyable aventure, leurs pas qu'il a trouvé dans les où l'on voit l'homme s'identifier Etudes de psychologie sexuelle plu. d'abord à la bête, puis', projetant sieurs matériaux utiles à ses spé. l'image collective de son univers culations. De son côté, Ellis ne dans le monde, prendre conscience manque pas un~ occasion de rendre de son MOI corporel individuël. hommage à Freud, quitte à se dé. Affirmé en · tant qu'être . vertical, clarer sceptique devant les audaces il peut alors affronter là pesanteur, théoriques dé la psychanalyse. En ériger des mégalithes et des py,ra. somme, leS deux savants (ils étaient mides, puis faire la découverte :du médecins l'un et l'autre) se sont mis eux·mêmes en parallèle et il temps historique. ' Les thèses ne manquenf pas faut dire qu'il est tentant de rap~ d'envolée. Elles constituent en ' tous procher pour ~les opposer deux tem· cas à notre connaissance, la pre· péraments aussi 'typiquement anta~ mière ' entreprise de symbologie gonistes : d'ùn côté l'empirisme, le génétique et ce n'est 'pas leur . flegme, ' la ' prudence, ' le '. common moin:dre niérite. Il reste que le sense britanniques, de l'autre côté système a le défaut de toutes les la flamme, l'orgueil, le génie syn. . tentatives . interdisciplinaires: ce· thétique allemands. Mais ce serait trop üljuste pour lui d'être séduisant" d'un ' point dé vue général et d'offrir le flanc- à Ellis. Essayons de relire les dix la critique si on l'abOrde sous l'an· volumes des Etudes de psychologie gle de chaque spécialité scientifi· sexuelle sans tenir compte du profit que. On eût souhaité aussi l'adop. qu'un esprit plus entreprenant au· tion d'un plan . d'exposition plus rait su tirer des quatre mille pages linéaire: une sorte de sens unique de cette encyclopédie. Havelock El· de la 'visite dans ce musée où l'es· lis n'était ni tin philosophe ni un prit · s'égare dans des carrefours psychanalyste ni même un sexolo" trop nombreux. Malgré tout; on gue. C'était d'abord un curieux, un fait avec André Virel un passion. amateur, dans le plus beau sens nant· voyage, dans un pays où, du terme. L'étiquette psychologie espérons. le, il nous conduira à sexuelle recouvre à vrai dire tout travers d'autres livres. ce qui concerne l'humaine nature: Roger Frétigny les déviations et perversions .. sexuel. La Quinzaine littéraire, 1" septembre 1966
du mtd
li .
les, sans doute, mais aussi la pu· deur, l'art du mariage, l'éducation des enfants, le rôle des sens dans la vie et dans l'art, etc. Bien mieux, chaque fois qu'il aborde un noue veau sujet, que ce soit l'homosexualité ou la prostitution, l'autoérotisme ou la chasteté, Havelock Ellis commence par se livrer à une double exploration, dans le temps et dans l'espace. Il passe en revue tous les antécédents historiques . du problème, depuis les temps bibli. ques jusqu'à l'époque moderne, et aucune des opinions, aucun des comportements qui furent adoptés pendant l'Antiquité, le Moyen Age ou la Renaissance ne nous est épar, gné. En même temps on vole de continent en continent, à la recherche de la morale sexuelle des tribus australiennes, des Papous, des Dogons et des derniers Indiens. Cela ne suffit pas encore, et nous voilà initiés aux rites de la copulation et de la reproduction chez les insectes, les oiseaux et les mammifères inférieurs. Le tout à grand remort de lectures, puisées dans les meilleurs auteurs anglais, allemands, français et italiens. Qu'on soit amusé ou agacé . par cet étalage d'érudition, il faut reéonnaître que le style, le ton, tent d'un honnête homme. Sans doute, ce n'est pas seulement parce qu'elle cache la rougeur quel'obs~ cuTÏté donne du courage; c'ëst parce qu'elle atténue cette conscience précise de soi qui . est une soùrce de- peurs ' et doTit la rougeur est le symbole défini et le sommet visible. Les dix volumes d'Ellis sont ainsi parsemés de formules, élégantes et claires, qui viennent à point nommé aérer la vertigiiteuse accumulation de renseignements historiques, ethnologiques et zoologiques. A tête reposée, on s'aperçoit que ce qui manque le plus à ces Etudes de psychologie sexuelle, c'est la psychologie. Par exemple,
res-
à quoi bon faire l'historique de la pédérastie à travers les âges, si l'histoire intime, familiale, d'un seul pédéraste n'est pas même ébau· chée ? Ellis ne soupçonne pas avec assez de conviction que les pro· blèmes de chacun résultent de la somme des conflits de son emance et que le passé d'un seUl homme en apprend plus long que les an· nales de l'humanité. Mais lui en faire grief, l'accuser d'ignorer le refoulement, la censure et l'incons- ' cient, !l'est-ce pas revenir à l'injustice dénoncée plus haut, au parallèle avec Freud ? .Si l'étude consacrée à l'homosexualité est décevante, à cause de cette confusion dans la notion d'histoire, d'autres sujets permettent à Ellis de mettre en valeur sa plus grande qualité: le bon sens. Le même bon sens qui le fait re· garder d'un œil timoré les specta~ culaires. généralisations de l'école viennoise l'amène à prendre parti avec courage contre la pusillaitiniité de la société victorienne. Dédramatiser ' la sexualité, tel est le fuodeste mais salutaire but des Etudes . de psychowgie sexuelle. Lout est dans la nature: les allu· sions réitérées aux mœurs des Dogons et aux rites des oiseaux s'expliCLuent par ce credo philosophique. Il faut se replacer à l'époque où il écrivait pour apprécier la sagesse de Havelock Ellis. On condamnait Oscar Wilde au nom d'une normalité qui parut au sexologue anglais une invention moralisante contraire à la nature. le suis enclin à dire que si now pouvons aider un inverti à bien le porter, à se retenir et à se respecter, cela vaJ.tt mieu~ que d'en · faire le faible simulacre d'un Mmme normal. Il est préférable qu'un homme utilise .au mieux ses instincu le& plus puissants, avec tow leurs dé!,avantages, que de demeurer assexué
.~ 19
HISTOIRE ~
Pour éducateurs et poètes
ou comprimé dans une situation tant de suivre sa nature. La dignité consommation, n'admet pas les Leo Gershoy pour laquelle aucune aptitude na- de l'adolescent, en comprenant que causes morales et psychologiques L 'Europe des princes éclairés, turelle ne le prédispose. P eut-on l'onanisme est une phase nécessaire de rupture. Ellis soutient donc la 1763-1789 soutenir que Havelock Ellis est du développement sexuel. La di- nécessité de l'institution du divorce (trad. de From despotism to « dépassé », quand on sait que la gnité des époux, en faisant leur mais, plus èncore, la nécessité d'une revolution - 1944) loi condamnant les pratiques homo- place aux ' besoins spécifiques de la propédeutique au mariage. Il y a Coll. histoire sam frontières sexuelles entre adultes ' vient tout femme. Les études les plus inspi-· ,beaucoup de malfaçons, physiques Fayard éd., 296 p. in-18° · juste d 'être abolie en Angleterre? rées de Havelock Ellis concernent et psychiques, qui s'opposent au Et même, est-il sûr que les igno- le mariage. Il se montre là sous mariage, mais la pire de toutes est rances qu'il ne cesse de dénoncer . son meilleur jour, c'est-à-dire com- celle qu'on nomme innocence. Il faut toujours revenir au comme ruineuses pour l'équilibre me un moraliste issu de Montaigne Havelock Ellis, au fond, n'a pas XVIIIe siècle. Il reste intact. Il mental et psychique, soient sorties et de Milton: avec de l'humour et trouvé son vrai public. Le lecteur foisonne. Tout est encore à Jaire tout à fait de nos mœurs? Est-il du tact, et sans jamais faire la leçon qui veut comprendre la genèse, pour lui rendre justice; je veux sûr que les parents ne continuent ni se poser en féministe, nul mieux -"l'énigme, le drame d'un ' destin dire, pour en mâcher la pulpe. pas à inculquer à leurs enfants que lui n'a parlé en faveur des sexuel, doit lire Freud et ses dis- Trop longtemps, on n'en a retenu l'idée imbécile que la masturbation femmes. Pour lui, le mariage doit ciples, par exemple Karl Abraham, que l'écorce, brillante et lisse. Sous est un mal, uri péché, une sOurcp renoser sur le consentement mutuel dont les œuvres complètes viennent l'enveloppe, figée par notre oubli, d 'être publiées en français (l'étude dort la vie. Exercice sensuel de sur l'éjaculation précoce, quel mo~ l'esprit: rendre aux temps écoulés, r:l èle d'intelligence et d'invention !) qui nous portent encore sur d'anHavelock Ellis, lui, s'adresse au ciennes épaules, leurs desseins et bon gros public, qui cherche moins leurs fins intérieures, la densité des explications aux mystères de la extrême de leurs rapports sociaux. nature humaine que des règles pra- Nos racines. ' tiques de conduite: comment ne Moins univoque, moins idéal que pas se tromper pour réussir son l'Europe des Lumières de René mariage ou élever ses enfants. Mais Pomeau l , dépourvu des charmes du ce public, qui devrait rallier les paradoxe, et dans ce cas moins tenadolescents, les jeunes époux, les dancieu~ que le propos de J .-L. Taicatholiques, ' les habitants des pays mon dans Les Origines de la démoqui prohibent le divorce, etc., n'est cratie totalitaire2 , le livre de Gerpas venu à Ellis, car il lut faudrait shoy ne regarde certes pas depuis d 'abord vaincre le préjugé qui l'em- les hauteurs où se tient Cassirer3. pêche d'accorder de l'importance Rien ici qu'un bon manuel. Qu'en aux choses du sexe. La minorité France jusqu'aujourd'hui nous en d 'intellectuels' grâce à qui Freud manquions d'un semblable n'enlève a été intégré à la culture fera tou- que peu de chose à ce qu'il y a de jours défaut à Ellis, parce qu'Ellis défauts obligés dans le genre promanque par trop de génie créateur, pre aux manuels. Si ce n'est qu'ils mais il est en même temps trop sont utiles et que trop d'historiens" franc et trop cru pour ne pas ef- dans nos parages, se moquent bien frayer ceux à qui son enseignement depuis un temps de se rendre utiles. profiterait. En fin de compte, les Que les étudiants se débrouillent ! dix volumes des Etudes de psycho. Donc, à cela près <iu 'il vient enfin logie sexuelle, somptueusement ré· et qu'il saura servir, ce texte dont édités par le Cercle du Livre Pré- je parle ne manque pas de lourcieux, risquent de n'attirer, malgré deurs ni de monotonie. Cela n'est ,les préfaces savantes du docteur pas si grave. Je dirai pourquoi. Hesnard et de ses collaborateurs, Certes, voici un grand sujet. que des amateurs un peu cochons, A vant que ne survint en France qui en seront pour leurs frais, alors une révolution qui fit virer . les que tout honnête bourgeois pourrait temps et le monde, vingt-cinq antirer parti de cette lecture. nées d'un bouillonnement intense Pour ma part, je retiendrais cer- ont fait de l'Europe cet appareil taines intuitions d'Ellis qui, pour splendide de forces, d'idées, de pron 'avoir pas été exploitées par les jets et d'actions productives, qui freudiens, gardent intacte leur fraî- n 'attendait pas du tout ce boulevercheur. L'éonisme (ou goût de s'ha- sement (qu'on le mît en pièces), biller avec les vêtements de l'autre mais bien au contraire qu'un ordre sexe), la périodicité sexuelle (qui stable naquît de son effort. En deux commanderait non seulement la vie mots, les choses vont ainsi: dans M~Ilol : Daphnia et Chloé. des corps, tant masculins que fémi- les divers pays du continent, une nins, mais organiserait l'univers classe d'hommes a pris conscience entier, animal et végétal, en grands d'exister. Ils sont hommes; c'est de maladies et un sujet de honte? et renouvelé des deux époux. Le cycles de dépérissement et de re- dire: ils sont maîtres des choses, Est-il sûr que les jeunes mariés mariage-sacrement lui fait une nouveau), l'ondinisme (ou rôle de des gens aussi. Magistrats, avocats, soient informés que le mécanisme juste horreur et il en souligne, à l'eau dans l'érotisme), voilà des négociants, fabricants, agents du physiologique de leurs épouses la suite de Milton, la secrète im- hypothèses qui, malgré ou à cause ' pouvoir ou !javants, ils ordonnent fonctionne autrement que celui des posture. Dans le mariage chrétien de leur peu de fondement scien- le monde par leur activité, par les hommes? Bien des lecteurs peut- conventidnnel, on attache une im- tifique, donnent libre cours à la valeurs qu'ils font passer dans celleêtre, qui déClarent tout haut qu'ils portance exclusive au commerce de rêverie. Les pages sur l'ondinisme ci. Pour partie, l'appareil des Etats « savaient» déjà, auront appris la chair. Tant que ce commerce est auraient plu à Bachelard: Ellis s'y tient danS leurs mains; pour l'esd'Ellis bien plus qu'ils n'oseront possible, quelle que soit l'antipathie laisse aller à un doux délire sur les sentiel, la haute société se nourrit jamais avouer. Pour ce qui touche des deux époux, quelle qu'ait pu fontaines, les robinets, la nage, de leurs vues, les tourne même à à , la sexualité, on n'a jamais fini être l'erreur commise par mensonge l'urine. Fantasmes aquatiques, fan- son profit. La bourgeoisie au mard'écarter les préjugés, les tabous, ou mésaventure, quelle que soit tômes de l'imaginaire. Relire Have- chepied. Pourtant, le monde n'a pas la pruderie, les silences. l'impossibilité pour eux de vivre Iock Ellis, décidément, expose à encore l'étoffe de cette classe; L'idée maîtresse d'Ellis (une idée ensemble avec joie toute leur vie, mille surprises, dont le plus sou- étroit, contraint, il lui échappe puritaine, au vrai sens du mot), le mariage tient bon et les deux vent s'instruiront les éducateurs et en droit . D'anciens maîtres, d'anc'est qu'il faut respecter, ou res- doivent tirer la charrue ensemble. quelquefois s'enchanteront les ciennes lois bornent ces gens. La taurer, la dignité de chacun. La L'Eglise, en effet, si elle annule poètes. morgue nobiliaire les nie subtiledignité de l'inverti, en lui permet- volontiers un mariage pour nonDominique Fernandez ment. Le système seigneurial, sou20
La bourgeoisie ' au lD.archepied
Mariage royal au XVlIl< siècle.
cieux d'évoluer enfin, prétend même les gagner de vitesse et survivre, victorieux. Ce démenti qu'opposent à leur réalité les vieilles institutions, ils l'énoncent en termes d'un scandale : en eux souffre l'Humanité. Celle-ci a des droits. Du moins ils le ressentent assez profondément pour croire et affirmer que la nature, et non leur appétence, fonde ces droits. (L'humanité avait perdu ses titres. M. de Montesquieu les lui a retrouvés et les lui a rendus. Ainsi le dit Voltaire, qui se sentait désagréablement et roturièrement dépourvu de titres). Contre la convention fictive des us et des coutumes, ils vont justifier et défendre leur place en la faisant servir de fondement à la morale universelle et au règne du droit. La réalité économique qu'ils incarnent et soutiennent, leur fonction, leurs idées et leurs fins sont définies comme les produits de la raison. Ces hommes se connurent comme s'ils représentaient à eux seuls l'espèce humaine. Restait à convertir les souverains à ce projet. De concert, ils sauraient entraîner l'humanité vers son plus haut destin. Ensemble, ils auraient fait le monde à leur image. Déjà celui' que leurs mains modelaient, témoignait en leur faveur: labeur, ordre, raison, académies. commerce, discipline, la religion enfin rangée, les Jésuites bannis, des armées alignées, la Pologne prise en charge, assagie, tranchée, partout ailleurs un ton de liberté, une élite formée, des princes apparemment rendus utiles à la société, des recherches agronomiques, des progrès agricoles, de meilleurs revenus conduisant à une économie moderne, tout cela indiquait que la maison commençait d'être propre. Dieu mis en coulisses leur laissait complaisamment le soin de signer l'ordre La Quinzaine littéraire. 1er septembre 1966
Campagnes ravagées, épidémies, la faim sauvage. Néanmoins on réarme, on se renforce. Reconstruire, Sans doute le noyau d'idées, de stabiliser, gouverner, retendre les forces et d'entreprises dont avait ressorts, ces problèmes urgents vont enfanté l'effort commun (et secrète- assaillir les rois. Tout traîne et tout ment divisé) des philosophes, des .se grippe. On cherche le secret qui rois, des gens d'affaires et de bien ferait d'un pays un corps obéissant d'autres était-il gros d'émotions et une arme effilée. Il faut des détonantes et de tensions. Sans pouvoirs, des serviteurs zélés. Ainsi, doute aussi n'allait-il pas de soi que issue d'un vieux modèle louis-quaraison souveraine et croissance éco- torzien adapté aux élégances du nomique mettraient en place des temps, prend corps une recette de sociétés bourgeoises centralisées gouvernement. sans qu'il fallût passer par .une violence universelle. En vérité, au Cinq directions y convergent. point d'entendement où sont les Egaliser les charges publiques pour historiens, l'événement considérable accroître les ressources; rendre uni· de 1789 reste difficile à expliquer forme l'administration archaïque en son fond. Ainsi peut-être de tout des provinces et des villes; favoévénement qui mérite ce nom. Il riser un certain nivellement polimet en cause ces cadres pétrifiants tique et social pour mieux effacer qu'on appelle structures et que les ce qui reste de la féodalité, rivale lois d'Etat cherchent à maintenir. anachronique de l'Etat; jouer de Il les émiette. Quelque chose arrive. la tolérance religieuse pour mobiliser au mieux les capacités et les Cette rupture, pourquoi ? Réseraptitudes de tous les sujets; assurer vons donc la réponse. Léo Gershoy, par l'économie dirigée une produclui, répond par l'érudition. C'est tion agricole et manufacturière ainsi , qu'il choisit de ne pas rémoderne. Le but des princes est pondre. Du moins, nous y gagnons d'être mieux et plus facilement d'apprendre. Le tableau très fouillé obéis, servis, pourvus. Léo Gershoy qu'il nous offre instruit assez pour abonde en détails minutieux sur les nous peupler l'esprit de questions, modalités de cette construction, de d'idées, d'évidences, de passion. pays à pays. Etablissement des poutoirs et des lois, appétits fiscaux Le livre s'ouvre quand s'achève des monarques, soutien ou résisla guerre de Sept-Ans (1763). Comtance des différentes couches sociamence un temps de répit où la les, politique économique et visées France vaincue, privée de colonies, territoriales, voire nationales, les va disposer les moyens futurs d'un deux tiers du livre font ce bilan. nouveau combat. Entre elle et l'AnDeux leçons s'en dégagent. ' gleterre, la cause n'est pas encore décidée, à qui reviendra l'hégémonie. L'Europe germanique, mêlée à D'un~ part l'asymétrie. Charles cette lutte, a vu la mince Prusse III, Marie-Thérèse puis Joseph, en sortir une grande puissance. Frédéric II, Catherine II sont, de Rancœurs ici aussi. Catherine au- Madrid à Pétersbourg, les maîtres rait voulu sa part de dépouilles des d'une large couronne de contrées guerriers fatigués. Paix bénie ce- à l'économie attardée. Chez eux, ,pendant: l'économie des princes se beaucoup ' de grands domaines, désagrégeait; pareillement, au cœur beaucoup moins de bourgeois aptes des hommes, le courage de vivre. à féconder l'économie et la pensée. nouveau. On concertait un lent passage; c'est l'univers qui croule.
Tout change si l'on considère la France ' et l'Angleterre. A ce moment, elles formaient déjà, et seules en Europe, ce qu'il est convenu d'appeler des nations. D'où leur force - et leur rivalité. Cependant, la nation anglaise repose sur un type de société et d'économie, non d'institutions. La France, au contraire, se définit au regard d'une œuvre dynastique séculaire, les ins· titutions de la monarchie absolue. En l'une naît l'économie moderne. L'autre dessine les prémices de l'Etat contemporain. A ce point, on découvre où et comment les princes CI. éclairés» ont choisi leur modèle. Soucieux de réduire la part de « sauvage» et le chaos inteme où
s'attardait leur monde, ils crurent aux vertus des lois, non de la vie. Ils se tournèrent vers l'exemple français. C'était l'époque où les lois semblaient être constituantes par elles-mêmes; c'est-à·dire qu'elles suffisaient à définir et à façonner l'essence d'une société, d'en·haut. On le crut. Le prince sera dès lors la loi vivante, seul auteur propre à cristalliser une conscience nationale. Démiurge. Créateur surtout soucieux d'amasser ses propres ri· chesses. Cela nous aide à mieux saisir comment l'Europe des ·nations a pris son visage d'aujourd'hui. Des sociétés économiquement' sous-développées se sont déterminées, pour naître, à faire prévaloir l'institution construite, sur le libre jeu de la vie sociale. Ici fut engendrée la toute· puissance de l'Etat. Le pouvoir y a trouvé son assise durable et sa loi : être à soi-même sa propre fin. Aussitôt il prospère. Regardons même de plus près. Ce despotismelà mobilise son monde au nom de certaines valeurs ' (les lumières) empruntées aux bourgeois d'au delà des frontières. En réalité, cela se fit au service d'une ambition toute temporelle visant les gains d'auto~
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POLITIQUE ~
La bourgeoisie au marchepied
rité, de revenus, de territoires. L'esprit, et Diderot et Voltaire et le reste, n'ont servi là que de force de frappe. Si l'autre l'a, je veux l'avoir. C'est la seconde .leçon de ce livre. Ces philosophes ne sont tous que des chirurgiens dira Joubert quelques années plus tard. Avant de devenir bourreaux, ils se posaient en juges. Les hommes n 'étant pas tous naturellement éduqués, on doit leur imposer le chemin. Il faut des guides. Il faut aussi des chaînes. L'audience acquise à ses idées, encore faut-il au philosophe un bras exécutif. Par lui le verbe de raison sera fait chair. Ce serviteur, c'est le despote. D'ailleurs, l'élite bourgeoise pense, comme ses rois, que tout progrès viendra d'en-ha~t. Déjà en France et à travers l'Encyclopédie, s'est reconnue une classe d'hommes capables, dont tout l'eff<!rt tend au gouvernement. Naissance de la technocratie. Le reste de l'Europe . sera leur champ fécond. Certes, la raison s'y pervertit en rationalité économique. Mais on fait bon marché des libertés pourvu qu'on se sente être, un peu, le souverain. Complicité des philosophes. Soulignons-la. Mais de tels écarts sont surtout pour nous, l'occasion de connaître selon quel regard tragiquement limité les hommes d'une époque tâchent de trouver des solutions aux drames et aux contradictions dont ils héritent - et comment ils achoppent.
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Le despotisme éclairé nous met crûment en face des rapports qu'entretiennent le pouvoir et la pensée. Le premier s'établit volontiers sur le discours par lequel s'exprime la seconde, mais ' il y coule tout l'abus du langage. Les princes visaient le rendement fiscal pour mieux régner au-dedans et s'imposer à l'extérieur. Toutes les recettes y furent bonnes, et surtout celles qui mettaient de l'huile dans la mécanique sociale. Les « lumières » ont tenu dans l'interstice.
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Dès lors, Napoléon vaut comme le couronnement parfait de l'expérience. Mais s'il est exemplaire, il n'en est pas le cas ultime; ni la dernière déviation dont furent l'objet les Droits de l'homme pour fonder une entreprise de puissance. Rien moins que par hasard, le régime où nous sommes dérive ainsi d'une longue et solide lignée.
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Pendant ce temps, des hommes vivent et meurent; ils ont aimé, travaillé, souffert. En eux tient la seule richesse. Cet univers immense de douleurs, d'espoirs et de fatigues, les rois et les « lumières » en ont méconnu la valeur et le poids. Peut-être aussi le livre dont je parle. Sa seule légèreté. Jean-Pierre Peter 1. StocK. éd., voir La Quinzaine Littéraire nO 6. 2. ç:almann-Lévy éd. 3. La Phiwsophie des Lu.mières, Fayard, voir La Quinzairn! Littéraire nO 8. 22
Origines de l'Afrique Robert Cornevm Histoire de l'Afrique, t. II du tournant du XVIe au tOUrnant du XXe. s. Payot, éd. 640 p.
question des vérités reçues. Ainsi affirme-t-on que les Bantous sont 1 arrivés très tard en Afrique du Sud. Cornevin cite des récits de naufragés européens, des examens linguistiques et archéologiques qui semblent situer l'arrivée des premiers Le deuxième tome de cette Ngouni (Bantous) sur le Limpopo histoire de l'Afrique précoloniale inférieur (dans · l'actuel MozambiabQrde la période fascinante qui a que) vers le Xe siècle. Des .textes conduit l'Europe de la Renaissance portugais montrent la présence en à la grande industrie et l'Afrique 1550, dans l'actuel Transkeï, de de ses empires et royaumes à la Ngouni cultivateurs et éleveurs colonisation. dont le mode de vie. ressemblait à Manuel nécessaire, plus détaillé celui des pasteurs Boers qu'ils que l'excellente Petite histoire de allaient rencontrer vers 1775 ... Que l'Afrique de Robert et Marianne devient le mythe de l'antériorité Cornevin1 ce livre aussi riche que des Blancs en Afrique du Sud ? volumineux pose aussi, quant aux Plus paradoxale - encore que méthodes et aux sources de l'his- fort admise - est l'explication de torien dans les pays de tradition l'expansion de l'Islam dans la réorale, des problèmes essentiels. gion « sahélo-soudanaise ». Classiquement, il est entendu que les Longtemps l'histoire du conti- colonisateurs l'ont favorisée en donnent colonisé fut ignorée en Occi- nant des postes administratifs subaldent, sauf de quelques spécialistes. ternes aux musulmans, qui connaisL'Africain instruit vivait le malaise saient l'écriture - arabe - étaient des êtres aux racines obscures, frus- monothéïstes, donc plus comprétrés de leur patrimoine. Son parent hensibles pour les conquérants. Une villageois pouvait se référer à la autre hypothèse - émise par des tradition orale, même si elle se Africains - paraît plus probable. limitait à sa fraction de tribu. Cette Si en effet la population haoussa récitation des dynasties et des par exemple comptait 50 % d'islagiIerres locales conférait au moins misés en 1900, 80 % en 1952 et la certitude de posséder un passé, 95 % en 1964 on peut y voir le antérieur à la venue des Blarics. besoin de se rattacher à une grande L'Africain scolarisé, occidentalisé, civilisation, mondialement reconapprenait à répudier ces mythes, nue, et qui ne soit pas celle des ces « contes de grands-pères » et se colonisateurs. L'islam était une trouvait ainsi dépossédé. Pour deux forme de protestation. générations de militants nationaCornevin, bien que protestant de listes cette frustration représenta bonne souche, ne cache pas les faibles succès de la christianisation. un grief essentiel. Après les indépendances se pro- A la veille de l'indépendance, en duisit une véritable ruée vers l'his- Côte d'Ivoire les chrétiens étaient toire nationale: presque tous les 15 0/0, contre 22 % de musulmans Etats 'firent rédiger des manuels, et 63 % d'animistes (que l'auteur le plus souvent conçus ou super- nomme, comme les missionnaires, visés par des Européens. Alors s'est des « païens »); au Dahomey les posée la question des sources. ks chrétiens atteignent les 20 % et premiers documents écrits viennent les 26 % au Nigéria occidental: des Arabes, dont les caravanes ont, c'est leur maximum dans l'ouest du plus loin qu'on se souvienne, africain. L'animisme est si solidetroqué des armes et des objets ment implanté et structuré qu'il contre des hommes, des métaux resurgit après la transplantation précieux, de l'ivoire. Puis vinrent des esclaves, comme en témoignent les récits des navigateurs et explo- le vodou des Antilles et du Brésil, rateurs. Cornevin, comme ses pré- ainsi que l'extraordinaire résistance décesseurs, utilise ces deux sources, de ces peuples à une évangélisation en remarquant à quel point elles aussi précoce que valable, malgré sont fragmentaires: ainsi autour du le succès des techniques et des golfe de Guinée les Européens long- modes de vie européens. Regrettons temps établis sur la côte, ignoraient au passage que l'auteur ait à peine les religions, mythes, légendes et parlé des religions syncrétiques traditions de l'intérieur: ils écri- africaines. vaient pourtant « l'histoire » de ces ethnies. Le volume nous apporte une trop La rapidité avec laquelle se trans- ample moisson de faits pour regretforment les sociétés menace la tra- ter ce qu'on n'y trouve pas, ou pour dition orale d'oubli ... ou de falsifi- déplorer que le langage soit parfois cation. La méfiance - parfois jus- plus « parlé » qu'écrit (la faute en tifiée - des Africains envers les serait-elle au magnétophone?) Ces ethnologues ne conduit malheureu- 600 grandes pages suivies d'une sement pas les gouvernants à favo- bonne bibliographie et d'une table riser une ethnologie nationale. des matières qui montre la solidité Comment, sans tradition orale, éla- de la charpente s'achèvent sur une borer cette histoire fondée sur la conclusion d'une rare modestie. totalité des manifestations de la vie L'auteur espère encourager les matérielle, sociale et psychologique chercheurs, et principalement les des collectivités dont parle ' Leroi- Africains,à trouver leur solution. Gourhan? Dominique Desanti Cornevin confronte les sources et amène le lecteur à remettre en . 1. Petite bibliothèque Payot.
Robert A. Dahl L'avenir de l'opposition dans les démocraties Coll. Futuribles S.E .D.E.I.S., éd. Paris. Robert A. Dahl est l'un des maîtres de cette science politique américaine, si pleine de vitalité et de curiosité, dont les travaux ne sont traduits en français qu'avec une extrême parcimonie. Il existe heureusement des francs - tireurs dans l'édition, comme Bertrand de Jouvenel; nous lui devons la collection « Futuribles» qui vient de publier L'Avenir de l'opposition politique dans les démocraties. Ce livre réunit deux contributions de Dahl à un ouvrage collectif dirigé par lui: la première concerne le cas des Etats-Unis, la seconde est une esquisse d'une théorie de l'opposition dans le! démocraties. La juxtaposition de . ces deux études déconcerte un peu mais elle se révèle en fin de compte suggestive car elle offre, côte à côte, deux types de recherches complémentaires. Tout d'abord, une monographie sur le fonctionnement de la démocratie amerlCaine, dans ' laquelle sont analysés successIvement le modèle du consensusl puis le modèle du clivage, la structure du pouvoir et enfin leurs conséquences pour le système. Ces conséquences, note Dahl, sont ambiguës, car si les Etats-Unis sont parvenus à faire fonctionner un .régime représentatif, le coût du succès est plus élevé que la plupart des Américains n-en ont conscience. Dans la mesure où il favorise le renforcement de l'idéologie traditionnelle en s'appuyant sur les opinions moyennes, le système permet aux dirigeants politiques d'ignorer sans difficultés des groupes de gens dont les problèmes ne relèvent pas de 1'attention ( ... ) de la grande masse des électeurs (p. 74). C'est là notamment la question des minorités déshéritées. Mais le dénuement n'est pas seulement matériel, il concerne aussi l'idéologie : les dissidents politiques qui, dans la théorie classique, re· présentent un ferment d'inquiétude et de recherche, sont écartés par ce mécanisme et réduits à l'état d'inadaptés. La seconde recherche vise à définir une théorie de l'opposition applicable à l'ensemble des démocraties; il s'agit naturellement des régimes de type pluraliste puisque l'opposition politique n'existe pas dans les autres. Une remarque préliminaire s'impose à ce propos: le droit consenti à une opposition organisée de susciter, au COUTS d'élections et au sein d'un parlement, des votes contre le gouvernement est à la fois moderne et peu répandu. Sur les 113 membres que comptait l'ONU en 1964, une trentaine seulement le reconnaissait depuis une décennie ... Et sur ce nombre, le professeur de Yale en recense huit dont le système était conforme au modèle du bipartisme, c'est-à-dire une majorité qui gou-
L'opposition dans les déDlocraties verne sous le contrôle d'une opposition organisée. La pratique est donc loin de correspondre au schéma enseigné imperturbablement comme la forme non seulement idéale mais normale du gouvernement démocratique. Pour caractériser les modèles d'opposition, Dahl énumère tout d'abord six points de différenciation (la concentration des opposants, leur caractère compétitif, leurs objectifs, etc ... ) ; puis il analyse les facteurs qui permettent d'expliquer la diversité des situations. Il en relève' sept, qui vont de la structure institutionnelle aux griefs entretenus à l'égard du pouvoir, en passant par les aspects culturels et
rôle bénéfique de l'opposition. Les avantages ne sont pas obligatoirement les mêmes d'un régime à l'autre, c'est une des remarques les plus originales du livre: les régimes à consensus élevé sont capables d'accorder une considération relativement rationnelle aux petits changements mais ils ont tendance à méconnaître les avantages possibles des transformations radicales du statu quo (p. 182 - on retrouve ici ce qui a été constaté plus haut des Etats-Unis). En revanche, les régimes à consensus faible offrent plus de liberté d'action aux dissidents politiques (c'est le cas de la France ou de l'Italie). Est-il possible, alors, d'obtenir ce que les
toutes ' celles qui , ont trait à la société elle-même et à la nature des conflits. Si, par exemple, la société est polarisée en deux camps très tranchés et hostiles, le bipartisme risquera d'aggraver l'acuité des conflits et d'en compliquer ainsi le règlement; si, au contraire, l'opinion se divise en plus de deux courants principaux, l'autorité risquera de revenir à la faction qui contrôle le parti le plus nombreux et donc d'appartenir à une minorité. Dans ces hypothèses, estime l'auteur, un système à partis multiples ou à deux partis hétérogènes et sans grande discipline (comme aux Etats-Unis) serait préférable. Robert A. Dahl s'interroge ainsi,
Campagne électorale de l'opposition, aux Etats.Unis.
socio-économiques. A l'occasion de ces analyses, Dahl esquisse des développements inspirés par l'observation des démocraties contempo- ' raines, dans le détail desquels on ne peut malheureusement pas entrer ici. Si le bipartisme de type britannique n'est pas « normal» au sens statistique, il n'est pas non plus, nécessairement, le modèle le meilleur. La question fondamentale est en effet de savoir quelle est l'utilité de l'opposition ou, plus précisément, la quantité d'opposition désirable (p. 173). Fidèle à sa méthode, Dahl propose huit critères, partiellement contradictoires d'ailleurs, à l'aide desquels on peut apprécier le La Quinzaine littéraire, le< septembre 1966
deux systèmes ont de meilleur, c'est-à-dire une société où le désaccord soit suffisamment faible pour permettre une appréciation relativement calme et objective des divers choi~ alternatifs, mais suffisamment fort pour qu'on soit sûr que les choix radicaux ne seront ni méconnus ni supprimés ? On considère d'habitude le système bipartisan à l'anglaise comme la réponse idéale à cette double préoccupation, alors que son succès implique en réalité un certain nombre de conditions qui ne sont qu'exceptionnellement réunies. A supposer que les conditions institutionnelles soient remplies, il reste
de manière volontairement modérée et pragmatique, sur la signification de ce phénomène récent et limité qu'est l'existence reconnue d'une opposition organisée. Celle-ci ne se présente pas à ses yeux comme un impératif idéologique mais comme la résultante d'une situàtion: elle apparaît lorsque la répression a peu de chances de réussir ou lorsque son coût serait jugé prohibitif par rapport à l'avantage que le pouvoir en retirerait. Elle n'est pas l'effet du libéralisme ni de la bienveillance des gouvernants mais des conditions dans lesquelles ils agissent. Raisonner de cette manière contribue utilement à faire passer le débat du domaine des considé-
rations doctrinales à une démarche plus modeste mais plus objective: l~ système de gouvernement pluralIste est celui qui s'applique à un type de sociétés correspondant à un certain état de développement historique dont la maturation réclame du temps. On réduit ainsi à des données mieux maîtrisables le dilemme irritant selon lequel la liberté politique organisée est conçue tantôt comme une exigence intemporelle, tantôt comme le privilège des nations industrialisées de civilisation occidentale. Essentiellement préoccupé d'analyser le fonctionnement réel des régimes politiques et d'en déceler les facteurs de dérèglement" la littérature américaine spécialisée a pu choquer certains esprits respectables dans la mesure où elle avait ten,dance à traiter les dissidents en inadaptés et à considérer les aspirations de la gauche comme ' des névroses (les réactions françaises au livre de Lipset, L'Homme et la politique, , sont révélatrices à cet égard). Mais le grief ne s'applique pas à Dahl dont les conclusions vont directement à l'encontre du courant de pensée qui prophétise la (( fin des idéologies» et la substitution à celles·ci de l'efficacité gestionnaire comme principe de gouvernement. S'interrogeant sur l'ave· nir de l'opposition, le professeur de Yale dénombre les occasions de conflit qui subsisteront ou s'aggra. veront: la répartition des revenus et des chances au départ, la poli. tique internationale, le développement d'un Etat ,b ureaucratisé qu'il appelle le nouveau LeviatMn démocratique; il note que ces pro· blèmes ont certes des aspects tech· niques, mais que rares sont ceux qui peuvent être réglés par des réponses de stricte technicité. Bien plus, il y a de bonnes raisons de s'attendre à voir le conflit politique encourager la naissance de nouvel· les idéologies, car le besoin se fera sentir de disposer de conceptions du monde plus générales et plus complètes pour guider les juge. ments sur les questions spécifiques. Il est possible qu'une rupture se produise entre les conflits d'intérêts au sens étroit et les revendications qui dépendront d'orientations, de mentalités, de philosophies politiques qui n'auront qUe des relations fortuites avec les types de forces sociales qui ont joué un rôle si important, durant le siècle dernier, dans la vie politique des démocraties occidentales (p. 195). En ce sens, conclut Dahl, les idéologies politiques, loin de s'effacer, prédomineront. L'analyse délibérément prosaïque conduit à la conclusion que la poésie héroïque de la poli. tique est moins menacée qu'on ne l'imaginerait et que l'administra· tion des choses n'est pas près de supplanter le gouvernement des hommes. Pierre Avril 1. Signalons à ce sujet l'ouvrage, récem· ment traduit, de David Potter: Les FU. de l'abondance (Seghel'S).
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• ÉCONOMIE POLITIQU.E
une révolution technique au service de la réforme de 'ense-I nement. : ~~~~ :~:r:o;:~lep:~;n~~a!~:::,m~i I l •• • • • • • • •
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permanent d'une partie des valeurs créées dans ces deux secteurs, obtenu par pression fiscale et surtout par échange non-équivalent en valeur des produits, doit favoAprès une longue période de riser le secteur étatique au détri• silence et d'oubli, le livre d'un ment des autres. Tant que n'auront pas disparu • économiste bolchevik, édité en • 1926 à Moscou et jamais réédité, les secteurs pré-socialistes, tant que • vient d'être traduit et publié en le mode de production socialiste • français. Il est d'un intérêt excep' n'aura pas triomphé, la loi de : tionnel. Il traite des formes de l'accumulation socialiste primitive • transition du capitalisme au socia- restera en vigueur. C'est seulement • lisme, problème d'actualité puis- après cette période préparatoire • qu'il constituait le principal thème que l'économie socialiste pourra • du récent colloque de Grenoble. dégager des fonds nécessaires pour • Cet ouvrage a été publié avec le alimenter sa propre reproduction : concours du Centre National de la élargie, sans chercher des apports • Recherche Scientifique. Il a été venant de l'extérieur. Car, contrai• préfacé par Pierre N avilIe et pré- rement au capitalisme, qui se • senté par Ernest Mandel. Le titre développe au sein de la société • russe : Novaya Ekonomika a été féodale, et longtemps avant l'avè• traduit textuellement, sous-enten- nement de la bourgeoisie au pouvoir, les premiers jalons du mode de production socialiste ne peuvent • s'agissait d'une économie nouvelle, être posés qu'après la conquête du • celle de la période de transition, . pouvoir par le prolétariat. Préobrajensky examine en détail • dont il se proposait de dégager les • lois. Pour Préobrajensky, la scien- les différents secteurs de l'écono• ce qui étudie l'économie socialiste mie soviétique. Il explique le rôle : devrait s'appeler la technologie du commerce privé, alors dominant en URSS, dans les échanges • sociale (p. 91). • Après avoir rédigé avec Boukha- entre l'industrie étatique et la • rine, en 1919, L'A.B.C. du com- petite production paysanne. Il • munisme1, Préobrajensky s'est ren- justifie le prélèvement fait sur les • du rapidemént compte qu'il ne produits des secteurs privés par le : suffisait pas de . connaître l'œuvre retard technique de l'industrie, • de Marx pour comprendre et sur- incapable, à ses débuts, malgré sa • \tout pour maîtriser le désordre supériorité « structurelle )), d'accu• économique de la Russie post- muler suffisamment pour assurer • révolutionnaire. La période du com- son propre développement à un • munisme de guerre était terminée, rythme plus rapide que celui des • la nouvelle politique économique secteurs non-socialistes. Il considère comme condition : (la NEP), inaugurée en 1921, ad• mettait, pour une durée indétermi- première de la survie du secteur • née, la coexistence des structures socialiste le monopole du commer• économiques pré-capitaliste ét capi- ce extérieur, permettant de proté• taliste avec les structures de type ger contre la concurrence étrangère • socialiste. Il fallait s'en accommo- les premiers pas de ce nouveau : der. Préobrajensky étudie les con- mode de production. Il reconnaît • ditions dans lesquelles cette coexis- que la distorsion des prix mondiaux • tence a lieu, les heurts qui en et des 'prix soviétiques s'opère au • résultent. Il pose, en un mot, dans détriment des paysans et au béné• toute son ampleur, le problème des fice de l'industrie étatique. La lutte entre les différents sec• formes économiques que revêt à : ses débuts la transition du capita- teurs de l'économie, lutte qui n'exclut pas la coopération, mais • lisme au socialisme. • La tâche qu'il s'assigne est gran- au contraire l'implique, doit ten• diose. En partant de quelques rares dre à affaiblir progressivement les 1 200 C.E.S. à construire en 5 ans 1 • indications de Marx, contenues tendances capitalistes qui se déve• Seule, l'industrialisation du Bâtiment peut y parvenir. • dan~ La Critique du programme loppent spontanément à la campagne. La loi de la valeur, ne jouant Dans le domaine scolaire, G.E.E.P.-C.I.C., • de Gotha (1875) de la social-dé1 pas, d'après Préobrajensky, au sein le plus ancien et le plus important des Constructeurs : mocratie allemande , Préobrajen(4000 classes édifiées en 6 ans, pour 150 000 élèves; • I?ky élabore une théorie originale du secteur collectif, ne jouerait 2509 classes pour la seule année 1966), • de ' croissance de l'économie sovié- pas non plus sur le marché soviétique qui échappe, grâce au monoreste à la pointe de ce combat. • tique. Il oppose à la loi de la pole du commerce extérieur, aux Grâce au dynamisme de son Service .. Recherches", • valeur qui régit, selon Marx, l'écofluctuations du marché mondial. • nomie capitaliste, la loi de l'accuà la puissance des moyens mis en œuvre, G.E.E.P.-C.I.C., A l'intérieur du secteur sociacapitaliste primitive, ne cesse d'améliorer la qualité et le confort : mulation de ses réalisations et de justifier • qui, selon lui, doit créer des condi- liste, le calcul des prix de revient la confiance grandissante qui lui est faite. • tions préalables d'une économie et la répartition rationnelle du revenu national entre le fonds de • purement socialiste. • En quoi consiste l'originalité de consommation et le fonds d'inves• cette théorie? Par analogie avec tissements doivent remplacer l'ac: l'accumulation capitaliste primi- . tion aveugle de la loi de la valeur. • tive, décrite par Marx dans le Le facteur conscient, la prévision, • premier tome du CapitaZZ, Préobra- le plan à court et à long terme, • jensky considère que les secteurs doivent se substituer aux lois du • capitaliste et pré-capitaliste de marché et permettre à l'homme de • l'économie soviétique doivent con- dominer l'économie au lieu d'être • tribuer au développement , du sec- dominé par elle. Pendant toute la 22, rue St-Martin Paris 4" : teur étatique, que l'auteur qualifie période de développement de Tél. 272.25.10 - 887.61.57 • d'emblée de socialiste. Un transfert l'économie socialiste, jusqu'à son
GEEP-CIC
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Eugène Préobrajensky La nouvelle économique E.D.1. éd.
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Un précurseur • Inconnu •
triomphe définitif, la loi d'accumulation socialiste primitive entre en compétition permanente avec la loi de la valeur. Bien qu'il n'ait jamais proposé de pousser le soutien du secteur collectif jusqu'à appauvrir les petits producteurs privés, bien qu'il ait prévu que le prélèvement sur les autres secteurs irait en décroissant au fur et à mesure de la progression générale de l'économie, Préobrajensky est accusé de vouloir construire le socialisme sur les rui· nes de la paysannerie, de compromettre l'alliance ouvrière et paysanne, assise essentielle du régime soviétique. C'est Boukharine, allié de Staline, qui engage la controverse, suivi par toute la presse officielle. Préobrajensky est privé peu à peu des moyens de répondre, abandonné même par ses amis trotskystes, qui redoutent les conséquences politiques et tactiques de sa théorie. Réduit · au silence, empêché de publier le second tome de son ouvrage, Préobrajensky est présen-
Eugène Préobrajensky
,té comme un « gauchiste» risquant, par ses vues aventureuses, de faire affamer les villes par les paysans mécontents. Accusation qu'il réfute en répondant, dans son ouvrage et dans ses deux préfaces successives, à Boukharine. Il annonce, en même temps, une crise économique grave, si on laisse les paysans riches et aisés accaparer les réserves de blé à la campagne. Le danger prévu par Préobrajensky et par l'opposition de gauche devient évident en 1928. Sous la pression des événements, Staline rompt avec Boukharine et avec l'aile droite du parti bolchevik qui envisage la construction du socialisme « à pas de tortue» . Il opère un tournant de cent-quatre-vingts degrés et, en poussant à ses dernières extrémités la théorie de Préobra- Cl jensky tout en la combattant en public, impose la collectivisation forcée des campagnes, qui aboutit à la disparition des millions de petites exploitations paysannes. Dans la brutale version stalinienne, la théorie de Préobrajensky prend un aspect sinistre. L'accumulation socialiste primitive (comme, il y a deux siècles, l'accumulation capitaliste primitive) entraÎne la ruine et l'expropriation des petits producteurs autonomes. Paradoxalement, la thèse de Préobrajensky, selon laquelle les catégories de l'économie capitalisLa Quinzaine littéraire, 1" septembre 1966
• • • • • • • • • • la •
te, décrites par Marx - telles marchandise, la valeur, la plus-. value, le salaire et le capital - ne • s'appliquent pas à l'intérieur du • secteur socialiste, se confirme dans • la réalité, mais au détriment des. travailleurs. Le calcul défectueux • des prix de revient, le développe. • ment prioritaire de l'industrie· lourde, même à perte, l'inexpé.: rience et la maladresse de Ijl main- • d'œuvre d'origine paysanne, tout. cela rend en grande partie défici- • taire la production industrielle .• D'où une pression accrue sur les • paysans et les ouvriers pour rogner : la part de revenu national, destinée • à la consommation, et amplifier, • jusqu'à ses limites extrêmes, la. part réservée aux investissements .•
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• •
Préobrajensky devient, sans le • vouloir, le précurseur, sinon l'ins- • pirateur, de la politique économi- • que de Staline, lequel applique sa • théorie avec une férocité particu- • lière. Jugeant que, pour l'essentiel, • Staline a adopté les thèses de· l'opposition de gauche, Préobra-: jensky, exclu du parti en 1927, se • rallie. On lui impose la capitulation • sans conditions. Il l'accepte, espé- • rant, une fois réintégré au parti, • infléchir sa politique, la rendre· plus rationnelle, moins brutale.: Vaine humiliation! Il est réduit. aux besognes subalternes, obligé de • renier son œuvre. Bientôt il sera • de nouveau exclu du parti, dépor- • té, pour disparaître obscurément· en 1937, à l'âge de cinquante et : un ans. •
s
PRE publie un numéro double AOUT-SEPTEMBRE
Textes de ANNA AKHMATOVA FRANÇOIS FONTAINE JEAN BLOT ROBERT MINDER ROGER CAILLOIS IGNAZIO SILONE PETER USTINOV ADOLF RUDNICKI JEAN-PAUL GUIBBERT CLAUDE METTRA HERBERT LUTHY JEAN-JACQUES FAUST EMMANUEL BERL ERNST JUNGER
Illustrations de MODIGLIANI KUBIN USTINOV Le numéro de 144 pages: 7,50 F PREUVES : 18 avenue de l'Opéra Paris 1 Envol gracieux sur demande
d'un ancien numéro, spécimen.
Précurseur méconnu, dont les.• • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • idées, déformées et dénaturées, . avaient été utilisées par Staline,· Préobrajensky avait appliqué • d'une manière trop schématique: malgré ses pressentiments de. visionnaire la méthode d'ana-. lyse marxiste à l'économie sovié- • tique. S'il redevient ' actuel • pour un cercle encore restreint de • lecteurs - s'il est édité en Occi- • dent (en français et anglais)3 après • une éclipse de quarante ans, c'est. que les formes de transition du. capitalisme au socialisme, formes. ROMANCIER ET CONTEUR, EN TROIS multiples si on se réfère aux expé- • BEAUX VOLUMES SUR PAPIER BIBLE riences soviétique, chinoise et you, • gosl ave, preoccupent tous ceux,. Il Y a des écrivains modernes qu'il faut avoir dans sa bibliothèque parce qu'ils sont devenus classiques. Il y en a d'autres qu ' on lit et théoriciens ou praticiens de l'éco- • qu'on relit pour le plaisir. Maupassant est à la fois l'un et l 'autre. Les meilleurs juges: A. France , J. Lemaître , Gide, Mallarmé, Zola, nomie, qui considèrent comme. Roger Martin du Gard ont salué en lui un de nos grands écrivains, inéluctable la transformation des. un des maîtres du style par "la clarté, la simplicité, la mesure et la force ". Mais son extraordinaire habileté de conteur lui vaut aussi structures économiques de la socié- • auprès de générations successives de lecteurs une audience qu ' accroit encore le succès des innombrables films que ses œuvres ont té, aussi bien dans les pays indus- • inspiré: Bel-Ami, Boule de Suif, Ce Cochon de Morin. Une partie triels avancés que dans les pays en • de campagne, Le Rosier de Madame Husson, Le Plaisir, etc. etc. Voici toute son œuvre romanesque: 7 grands romans et 310 contes voie de développemene. • et nouvelles (dont 24 inèdits) réunie, grâce à l'emploi d ' un magni-
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Victor Fay.
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1. Editions Sociales. 2. Edition~ Sociales. • 3. Regrettons que les citations du. Capital de Marx aient été retraduites. du russe, alors qu'il existe une excellente. traduction française. On aurait, ce fai- • sant, pu éviter certaines erreurs de. te~ologie qui ent~chent la traduction, • par ailleurs exemplaire, de B. Joly. 4. Dans son introduction à cet ouvrage, • Ernest Mandel auteur d'un important· Traité d'économie marxiste tente d'ap-· pliquer les théories de Préobrajensky à • l'Algérie où le secteur collectif, dominant • dans l'agriculture, est aux prises avec. les secteurs capitaliste et pré-capitaliste, • notamment avec le commerce privé. •
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INFORMATIONS
SCIENCES
L'anti-Iniracle grec Le compagnon Fénéon Grâce à Jean Paulhan, la Quinzaine, dans son précédent numéro, a pu donner des précisions absolument inédites sur la complicité qu'aurait eue Fénéon dans la préparation de l'attentat pour lequel le jeune anarchiste Emile Henry fut condamné à mort en 1894 par la cour d'assises de la Seine. Selon ce que nous a écrit Jean Paulhan, Emile Henry, décidé à commettre un attentat et ayant fait part de ses intentions à Fénéon, aurait reçu de ce dernier le conseil de se travestir. Mise dans le secret, Mme Fénéon mère aurait eu alors la complaisance d'abandonner une de ses robes à Henry, lequel, à la faveur de ce déguisement, au· rait durant plusieurs jours égaré les recherches de la police. Ces détails sont des plus piquants. Il est dommage qu'ils ne s'accordent pas avec les faits reprochés à Henry, et qui avaient eu pour témoins plusieurs dizaines de personnes. Emile Henry, en effet, lorsqu'il jeta une bombe dans le café Terminus, près de la gare Saint-Lazare, le fit à neuf heures du soir, le 13 février 1894, alors que l'établissement comptait de nombreux clients, attirés par son orchestre .. L'explosion de l'engin blessa aux jambes treize personnes. L'émotion fut vive, mais cependant plusieurs consommateurs s'élancèrent à la poursuite de l'inconnu qu'ils avaient vu lancer la bombe et s'enfuir. Cent cinquante mètres . plus loin, au coin de la rue d'Isly, Henry était rejoint et ceinturé. après avoir fait usage d'un revolver et blessé un agent. Il n'était pas habillé en femme, mais vêtu d 'un complet veston gris, d'un manteau marron, et coiffé d'un chapeau melon.
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La police n 'eut donc pas à le rechercher. En revanche, elle dut perdre deux jours à enquêter sur l'identité de son prisonnier, qui, èonduit au commissariat de la rue de Moscou et interrogé par le commissaire Aragon, avait prétendu d'abord s'appeler Breton, puis s'était refusé à en dire davantage et n'avait pas indiqué son domicile. Henry ne consentit à parler que le surlendemain, ayant peut-être permis ainsi à des amis que sa fréquentation pouvait compromettre la destruction ou la dissimulation de certains papiers et de certains objets. L'arrestation de Fénéon n'eut lieu que deux mois et demi plus tard, le jeudi 26 avril, deux jours seulement avant la comparution d'Henry en cour d'assises. Rien ne permet de supposer qu'elle ait été provoquée par les résultats de l'information judiciaire ouverte contre Henry. Au cours de l'année 1894, les arrestations d'anarchistes se sont succédé. Les quotidiens de l'époque en mentionnent couramment dix, quinze, vingt par jour. Fénéon était surveillé parce qu'on le savait ami de l'écrivain hollandais Cohen, que ses idées subversives avaient fait expulser de France. Peut-être aussi la police, attentive à certaines allées et venues, avait-elle aperçu Fénéon en compagnie d'anarchistes connus, tels que les compagnons Léon Ortiz et Matha, l'un collaborateur, l'autre ancien gérant de l'En dehors. L'arrestation de Fénéon coïncida d'ailleurs avec celle de Matha. On vint cueillir Fénéon chez lui, à 6 heures du matin. Il demeurait depuis quelques jours, - exactement depuis le 15 avril, jour du terme - , 4 passage Tourlaque, à Montmartre. Sa nouvelle concierge parla de lui fort gracieusement. La précédente, celle du ·78 rue Lepic, fut au contraire plutôt acide. On ne peut pas plaire à toutes les dames. Commis principal au Ministère de la Guerre, - bureau du recrutement, F énéon y gagnait 3.500 fr. par an, et était en passe d'y recevoir de l'avancement. Pascal Pia 26
Joseph Needham Science and civilisation in China Cambridge University Press 1965. Vol. IV.2, 1 vol. 739 p. C'est en Chine qu'a été inventé le double soufflet à piston, longtemps avant qu'il ne fasse faire des progrès décisifs à la métallurgie occidentale. C'est en Chine qu'est né le cerf-volant, lointain ancêtre de toute l'aéronautique moderne. C'est en Chine que fut construite au VIlle siècle la première horloge à échappement, six siècles avant que ce dispositif soit découvert en Occident. C'est en Chine que furent inventées l'écluse et la bielle. C'est en Chine que l'ingénieur ' TingHuan, sous la dynastie Han (au début de notre ère) mit au point la suspension dite de Cardan, soit treize siècles avant qu'elle soit connue en Occident. La brouette chinoise est beaucoup plus ancienne (Ille siècle de notre ère) et surtout beaucoup plus rationnelle que sa sœur d'Occident, la charge reposant directement sur l'essieu. Le harnais chinois par traction au niveau de l'encolure, qui date du Ve siècle, précède de loin ceux qui permirent à Lefebvre des Noüettes de réhabiliter le Moyen Age occidental comme époque de progrès technique. La machine à pointer le Sud (zhi-nan-chi), dispositif monté sur les chars de guerre par Ma Jun vers 235, et perfectionnée considérablement par Wu De-ren au XIe siècle, gardait la bonne direction quels que soient les mou- . vements du véhicule; ce n'est pas une boussole, mais un système d'engrenages qui constitue non seulement la première application ' con' nue de la rotation différentielle, mais le plus ancien exemple de machine cybernétique au sens propre du terme (involving full negative feedback, dit Needham p. 303). Toutes ces conquêtes de la science et de la technologie chinoises anciennes relèvent de la mécanique et de la mécanique appliquée, domaine exploré par le dernier volume de l'œuvre monumentale de Joseph Needham. Les volumes précédentsl nous avaient révélé que ces conquêtes avaient été aussi précoces et aussi variées en matière de mathématique, d'astronomie, de géographie,. de géologie, de physique. Les Chinois avaient connu avant l'Occident un système numéral utilisant le zéro, et avaient entrevu le calcul infinitésimal bien avant nous. Ils avaient trouvé dès le V· siècle de notre ère la valeur de 'J( à laquelle Viète arrivera mille ans plus tard (entre 3,1415926 et 3,1415927). Leurs coordonnées célestes étaient basées non sur l'écliptique mais sur l'équateur céleste, système supérieur, et que l'Occident n 'adoptera qu'au XVIIe siècle. Ils ont formulé très tôt une théorie des éclipses et une théorie lunaire des marées. Leur carroyage cartographique précède celui des portulans en qualité et en ancienneté . Cheng Heng, sous les Han ,
mit déjà au point un sismographe. Dès le XIe siècle, le philosophe Zhu Xi méditait sur la succession des temps géologiques, à partir des coquillages marins dont il avait observé la présence au sommet des montagnes. Au XVIe siècle, le prince Zhu Cai-yu, de la dynastie Ming, définit la gamme chromatique bien tempérée, nettement avant Mersenne et Stevin. Avec cet inventaire impressionnant, on est loin de la boussole, de l'imprimerie et de la poudre à canon, ces trois médiocres fiches de consolation que se borna longtemps à accorder à la Chine un Occident convaincu de son omniscience. L'œuvre de J. Needham est entièrement originale. Elle n'a besoin ni du label . d'une collection à la mode destinée à faire la carrière de tel jeune Rastignac, ni de la préface complaisante de ' tel personnage arrivé. Stat mole sua, disait notre vieille grammaire ; nos mœurs actuelles en matière d'édition ne l'ont point contaminée. L'auteur, présentant son travail dans son premier volume, se contentait de déclarer avec simplicIté qu'il consacrerait le reste de sa vie à l'étude de la science chinoise ancienne; parti d'un problème occidentaliste (pourquoi la science chinoise était en retard sur celle de l'Occident à l'âge moderne ?), il s'était rapidement rendu compte qu'il fallait en renverser les données, et s'interroger sur le caractère avancé de la science chinoise jusqu'à la fin du Moyen Age_ Il nous entraîne ainsi dans une passionnante aventure intellectuelle. En sa compagnie, le lecteur feuillette de vénérables ouvrages scientifiques chinois, déjoue les pièges du vocabulaire et reconstruit les machines dont la description est douteuse; il confronte ces œuvres du passé chinois avec ceux des ingénieurs et des savants alexandrins ou florentins, il relève les erreurs de tel érudit et fait justice de telle interprétation inexacte ; il parcourt la campagne chinoise à la recherche de norias et de moulins à vent archaïques, et compare les harnais des chevaux sur la route de la soie et dans le Sud du Portugal. Needham, au lieu de nous livrer seulement une rédaction élaborée, et le résultat de ses recherches, nous révèle les étapes de ' celles-ci, leurs embûches, leurs moments d'enthousiasme. Méthode hardie et ardue, qui alourdit certainement l'ouvrage et exige du lecteur un effort beaucoup plus considérable, en raison de la masse énorme de références bibliographiques qui sont incorporées au texte même pour y être discutées en détail. Méthode très britannique aussi, très empirique : la rédaction de l'ouvrage reflète directement le mouvement de la pensée de l'auteur, sans la médiation d'un plan systématique à la française. Tous les problèmes théoriques sont reportés au tome VII , une fois l'inventaire achevé2 • Non que Joseph Needham s'abstienne, au passage, de jeter déjà des
lumières sur ces problèmes generaux. Deux semblent fondamentaux: science chinoise et société chinoise ; science chinoise et scien· ce mondiale. La science chinoise ancienne est profondément différente de la science occidentale antique et médiévale. Non seulement par ses réponses originales à tel ou tel problème; mais en ce qu'elle représente un « front d'avancée de la science » dont le dessein est très éloigné de ce qu'il était chez les Grecs: avance de l'algèbre sur la géométrie, du magnétisme sur la mécanique. Comment relier ces traits originaux à ceux de la société chinoise traditionnelle? Il faut sans doute, comme le fait Needham dans ses deux derniers volumes, s'interroger sur le statut social des savants et des ingénieurs; ils n'appartiennent généralement pas à la classe dirigeante; mais beaucoup d'entre eux sont au service de l'Etat, et les secteurs les plus vivants sont ceux qui répondent aux besoins directs de ce dernier, par exemple en astronomie. Il vaut aussi la peine, comme Needham l'a fait dans son tome II, de réfléchir sur la valeur de l'ancienne philosophie chinoise comme stimulant scientifique; la prédilection des taoïstes pour le vide a favorisé certaines conquêtes précoces et passablement modernes: l'usage du zéro, par exemple, ou la notion d'un univers infini dans lequel sont précipités les corps célestes. Needham rappelle de même dans son tome III que le matérialisme organique des confqcéens a conduit assez naturellement à une astronomie équatoriale, par opposition au système ptolémaïque basé sur . l'écliptique, c'est-à-dire à un système basé sur le mouvement objectif de l'univers, et non sur la représentation inexacte que peuvent en avoir les hommes (levers et couchers héliaques). Mais Needham devra sans doute aller plus loin, et examiner quelles correspondances peuvent exister entre les conceptions scientifiques des anciens Chinois et la dynamique originale de leur machine sociale ; ni esclavagiste ni féodale, celle-ci se définit, selon Neeham, par un féodalisme bureaucratique assez proche de ce mode de production asiatique dont on reparle aujourd'hui. Dans une société où tout est imbriqué, où les villages vivent de leur vie « naturelle )) sous le contrôle « à distance )) des sages, est-il surprenant que la physique ondulatoire ait été très vivante, mais l'atomisme à la grecque, presque inconnu? Quelle place tient donc cette science chinoise ancienne dans l'histoire de la science mondiale? Cette histoire est certainement beaucoup plus complexe que le veut le schéma européocentrique dit du miracle grec. La Chine a eu la priorité dans maints domaines , on l'a vu plus haut ; elle a connu la déclinaison de l'aiguille aimantée avant que l'Occident ait même la plus vague notion du ma-
Le milieu et l'individu Jacques Cosnier Les névroses expérimentales Coll. Science ouverte Le Seuil éd. 178 p.
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Ce livre relève à la fois de la Psychologie, de la Psychiatrie et de la Biologie animale. Il reflète la personnalité de son auteur qui tire son expérience de ces trois discipli. nes.
La démarche de J. Cosnier reste cependant très prudente, et son am· bition est beaucoup plus de poser des problèmes et d'ouvrir des pers· pectives en restant attaché de très près (de trop près diront certains) aux faits expérimentaux, que d'es· sayer d'élaborer ou de défendre un système. Ce qui ne l'empêche pas de prendre parti et d'émettre cer· taines critiques qui paraîtront audacieuses. Son propos est très structuré : il commence par exposer les expériences de l'école pavlovienne qui ont servi à établir la notion de Névrose Expérimentale et des au· teurs anglophones, behaviorUites pour la plupart, qui les ont complé. tées. On sait que les « névroses » ainsi obtenues sont pl'ovoquées par des « interventions fonctionnelles », à l'aide de divers facteurs patho. , gènes, lésions nerveuses ou procé. dés chimiques étant exclus.
Les conquêtes de la science et de la technologie chinoises anciennes expliquent les réalisations modernes de ce pays.
gnétisme polaire. Dans d'autres do- directement influencée par le taoÏsmaines, par exemple ceux des no- me; l'aéronautique moderne a tiré rias ou du moulin à eau, il y a eu parti des techniques chinoises du simultanéité; il y a même souvent cerf-volant, et en particulier des une grande variété de solutions, ce connaissances chinoises des mouqui interdit toute vision unilinéaire vements de rotation de l'air; les de l'évolution humaine: les cons- astronomes travaillent ~ujourd'hui tellations définies par les Chinois sur les listes chinoises de novae, regroupaient les étoiles de façon . qui s'étendent sur deux millénaires tout·à·fait différentes de celles des et constituent donc un document Grecs, bien que des générations de que rien ne pourrait remplacer. La sinologues occidentaux se soient Chine longtemps en avance sur acharnés à retrouver dans les pre- l'Occident (ne peut-on pas t1;'ansmières une forme dérivée des se· poser ici la phrase de Lénine sur l'Asie avancée et l'Europe arriécondes. Mais la science chinoise n'a pas rée?) a contribué à sa façon au évolué en vase clos, et dès ces épo- récent essor de la science moderne ques anciennes, des transmissions en Occident - même si les con· scientifiques intervenaient d'un tradictions de l'ancienne Chine ne bout à l'autre de l'Eurasie, comme lui ont pas permis d'effectuer elle· le montre Needham en maintes oc· même cette mutation scientifique. casions. Enfin, la science moderne La portée philosophique de l'amest tributaire des anciennes tradi· vre de Needham est considérable. tions chinoises à un point que l'on . Au passage, notons qu'elle réduit soupçonne rarement: l'acuponc- à ses justes proportions un épisode ture empirique enrichit aujourd'hui exagérément grossi en Occident: la théorie de l'activité nerveuse; celui de l'activité scientifique des l'arithmétique binaire de Leibniz, Jésuites en Chine aux XVIIe·XVIIIe mère du calcul électronique, a été siècles3• Plus généralement, elle La Quinzaine littérllire, le< septembre .1966 .
interdit de privilégier, comme on continue si souvent à le faire, la composante grecque de notre hu· manisme moderne. L'humanité a fait dans le domaine scientifique des expenences infiniment plus riches et plus variées, et celle de la Chine ancienne est une des plus singulières . Jean Chesneaux 1. L'ouvrage, qui doit comporter sept tomes, paraît depuis 1954; le tome 1 est une introduction générale; le tome II traite de la pensée scientifique dans ses rapports avec la philosophie chinoise ancienne; le tome III couvre la mathématique et les sciences du ciel et de la terre, et le tome IV la physique théorique. 2. Le tome V traitera de la chimie et de ses applications, le tome VI de la biologie et de ses applications (en particulier la médecine). . 3. La science occidentale, à cette époque, ne disposait pas de la supériorité que croyaient détenir les Jésuites. Parfois, note Needbam, ceux-ci ont eu une activité rétrograde: par exemple quand ils enseignèrent aux Chinois le système ptolémaïque des sphères cristallines concentriques autour de la terre, et refusèrent l'astronomie équatoria1e des Chinois_
J. Cosnier compare ces pertur· bations du comportement aux né· vroses humaines et discute les di· vers points de vue: pavlovien, behavioriste, psychodynamiste. Les connaissances actuelles sur les né· vroses humaines, particulièrement avec l'apport psychanalytique, lui permettent de faire cette remarque nouvelle et de grande conséquence méthodologique: alors que les névroses humaines se constituent par la médiation des relations sociales et durant l'enfance, les névroses expérimentales sont produites par l'action du milieu physique et sur des animaux adultes. L'auteur en déduit qu'elles ne peuvent être ainsi comparées qu'aux (( troubles réactionnels » humains (névroses de guerre, névroses industrielles, etc.). Il aborde la question qui vient alors logiquement s'articuler à son propos: l'environnement social a-t-il aussi son importance dans le développement psychologique de l'animal? Les perturbations de l'environ· nement initial sont-elles susceptibles de provoquer des troubles ? En des chapitres documentés et passionnants, l'auteur utilise les données de l'école éthologique et des zoosociologues américains. Elles permettent de répondre affirmativement à la question posée, bien que les re· cherches n'en soient dans ces domaines qu'à leur début. On a l'impression que le grand problème des intercommunications qui hante aussi bien les romanciers, les critiques, les sociologues que .les psychopathologistes (pour ne pas parler des lin· guistes) constitue aussi un thème d'avenir pour les zoopsychologues. J. Massière 27
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ANTI BES
MATHÉMATIQUES
Un outil de travail
Le V' Congrès International des Traducteurs a terminé ses séances à Lahti (Finlande). Il a élu Pierre-François Caillé comme président. Dans une résolution il demande l'adhésion de l'U.R.S.S. aux conventions de Berne ou, au moins, la conclusion d'accords bilatéraux pour défendre les droits des écrivains et traducteurs ' en Union Soviétique au même titre que dans les ' autres pays.
André Warusfel Dictionnaire raisonné des mathématiques ,Le Seuil éd., 516 p.
Quelle que soit la science concernée, l'expression « vulgarisation scientifique » est déplaisante ou trompeuse. Vulgariser, c'est déforPeggy Gaddis est un nom inconnu en mer, pense-t.on, alors que nous France. Cette dame de 71 ans qui vient avons besoin d'une information véde mourir aux Etats-Unis à vendu pourtant environ dix millions d'exemplaires, de · ritable sur tous les domaines de la ses œuvres. Elles fut une sorte de Delly science que, non spécialistes, nous américaine. Son héroïne préférée était une ignorons. Remarques valables pour infirmière, déchirée entre l'amour et le toutes les sciences et plus encore devoir. pour les mathématiques. Construction abstraite où l'intuition preLa Source de James Michener, pumière est peu à peu oubliée au problié en français par Robert Laffont se fit de l'enchaînement logique des trouve depuis plus d'une année sur la résultats, il semble impossible d'en liste des best-sellers américains. Cette situation ennuie beaucoup l'éditeur qui l'a faire rien comprendre sans en reacheté pour l'édition de poche pour la prendre presque complètement l'édisomme coqùette de 700.000 dollars (De fication. Comment donner une sang-froid n'a été payé que 500.000 dolidée même générale des théories lars ). Le contrat prévoit, 'en effet, que tant que ce livre se trouve parmi les avancées (la science mathématicinq premiers. sur la liste, il ne pourra que qui se fait), sans une assez pas être publié en poche. Or, La Source bonne culture classique (les mathé· tient ferme la troisième place. matiques faites d'il y atreilte ans) ?
La Foire de Francfort Une fois de plus la Foire du Livre de Francfort battra ' tous les records. 39 pays seront représentés: pour la première fois la Grèce participe , à, cette exposition, ainsi que tous les pays arabes qui presenteront à un seul stand leur production de livres. Les pays de l'Est seront également présents: l'U.R.S.S., la Hongrie, la Roumanie, la Pologne, la Yougoslavie, la Tchécoslovaquie, sans oublier l'Allemagne de l'Est. La Chine et l'Albanie seront absents. ' 2.499 éditeurs exactement ont annoncé leur participation, dont 818 Allemands (43 de l'Allemagne de ..l'Est). Le nombre des éditeurs étrangers est de 1.724 (l'année dernière, ils n'étaient que 1.584). Parmi ces éditeurs étrangers les plus nombreux sont les Américains, avec 240 éditeurs. Le progrès régulier de ,cette Foire est assez impressionnant, .si l'on pense que la première, qui eut lieu en 1949 ne groupait que 200 éditeurs, tous allemands. C'est M. SchrOder, ministre des Af· faires étrangères de la République fédérale qui inaugurera le 21 septembre cette manifestation et M. Lübke, Président de la République, assistera à la distribution du Prix de La Paix des Libraires AlJ&. mands (parmi les lauréats des années précédentes on relève les noms de Karl Jaspers, Gabriel Mareel, M. Radahishnan, etc.) qui est décerné eette année au pas- , teur Visser't Hooft, .ecrétaire général du , Conseil Oecuménique et aU Cardinal Bea.
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Emissions littéraires à France-Culture : Pour le 80' anniversaire de Pierre Jean Jouve un Sherwood Anderson par Roger Grenier un Wedekind par François Billetdoux. Un programme entièrement préparé par Marcel Arland le 6 novembre de 14 à 24 heures. Parmi les dramatiques signalons deux pièces de Romain Rolland: Robespierre et une adaptation de Jean Christophe. Guerre et Paix de Tolstoï se déroulera en 25 épisodes de 45 minutes chacun. Parmi les jeunes auteurs Régression de Claude Ollier 'e t La chronique d'Elio de Frantz-André Burguet. 28
Et pourtant, nous voudrions bien comprendre pourquoi et comment la mathématique contemporaine évolue. Nous devinons qu'elle pro· gresse de façon explosive, que ses théories prolifèrent dans toutes les directions. Nous constatons qu'elle envahit tous les secteurs de l'activité humaine, les sciences économiques aussi bien que les sciences de la nature, l'étude des langages aussi bien que l'organisation du travail. En même temps, on nous dit qu'elle s'organise, que les grandes structures mathématiques mettent ,un ordre remarquable dans ce qui, sans elles, ne serait qu'un fatras de résultats inutilisables (et inassimilables). Et nous lisons enfin des polémiques sur certaine évolution de l'enseignement, les parents d'élève protestent, le Polytechnicien de 1948 prétend ne pas savoir faire les problèmes de ses enfants ... Bref, un public cultivé mais non spécialisé recherche une informa· tion solide et accessible sur la mathématique de son temps. Personne ne peut se contenter, en ce qui concerne définitions et grandes théories mathématiques, des encyclopédies alphabétiques contemporaines. N'accablons ·' per· sonne, mais désolons-nous de ces articles de dictionnaire qui n'apprennent rien à ceux qui ignorent tout et consternent ou irritent ceux qui ont . déjà quelques lueurs. Le dictionnaire alphabétique doit donner la définition, en algèbre, du mot anneau bien avant d'avoir dit ce qu'était une loi de composition (et où trouvera-t-on cette explication, à loi ou à composition ?) ; de renvois en renvois, on se perd et comme, souvent, aucun niveau minimum ou maximum de connaissances n'a été choisi, les mathématiques prennent, dans ce kaléidos-
cope, l'aspect trompeur d'un bric à brac savant. A. Warusfel a le double mérite d'avoir choisi un niveau et un ordre d'exposition conciliant l'alphabet et la logique: Le niveau est celui des jeunes gens qui commencent des études supérieures. Un bon bachelier apprendra beaucoup dans ce dictionnaire mais un licencié d'il y a quelques années y trouvera bien des renseignements qui l'aideront à actualiser sa culture mathématique. Le dictionnaire est dit raisonné car les deux mille mots ou expressions mathématiques qu'il explique sont répartis en soixante-quatre chapitres centrés sur des grands thèmes (ceux-ci rangés par - ordre alphabétique). Un exemple : les chapitres application, ensemble, invariant, opération, relation, structure, substitution permettent de donner un exposé de ce qu'on appelait, il y a encore quelques années, l'algèbre moderne et que Warusfel a raison d'appeler l'algèbre ' abstraite (on pourrait même dire tout simplement l'algèbre). Chaque chapitre donne des définitions et des résultats essentiels, les diverses acceptions étant clairement numérotées. L'index alphabétique final, avec les deux mille mots et les renvois, rend l'utilisation de l'ouvrage très aisée et rapide, ce qui est encore facilité par une excellente typographie. Dans le détail, les spécialistes trouveront, ici ou là, à présenter des remarques ; à souhaiter des modifications. Les curieux qui voudraient savoir comment les résultats présentés se démontrent aimeraient trouver des indications bibliographiques. Mais l'Auteur peut répondre qu'il fallait choisir de ne pas tout dire (même en 516 pages) ; et ' puis, il s'agit de la première édition d'un travail de plusieurs an· nées qui sera encore perfectionné peu à peu. Tel qu'il est, il tient compte de l'évolution rapide de la pensée ma· thématique contemporaine et se propose très justement d'aider un large public à en prendre conscience. Car il n'y a pas rupture entre une mathématique qui serait dite moderne et une autre qui serait classique. Il y a une mathématique vivante qui donne du champ à l'aspiration normale de l'homme pour l'aventure ou la découverte et qui lui propose en même temps les plus beaux problèmes de mise en ordre et d'organisation. Le dictionnaire de Warusfel n'est pas le monument funéraire d'une vieille gloire, c'est En outil de travail adapté aux tâches que, grâce à lui, les bons ouvriers d'aujourd'hui entreprendront avec plus de sCience et plus d 'habileté.
Gilbert Walusinski
Il arrive au festival d'Antibes une aventure un , peu' si ngulière: en dépit d'affiches toujours brill antes - cette année, Duke Ellington et Ella Fitzgerald, qu'on y songe, quel extraordinaire événement cela eût été, il y a diX ans encore -, il est suivi par le public ' et la critique avec un désenchantement crOissant. Le malaise, e;t vérité" tient moins à la qualité des prograinmes qu'à ce qui les justifie. Depui's deux ou trois ans, nous sentons bien que le jazz est en crise, et cela, au moment même où il jouit d'un statut culturel que n'eussent jamais rêvé ceux qui, tels les membres d'une secte persécutée, s'enfermaient avant la guerre dans les hot-clubs. L'an passé, entre l'art élémentaire et direct de l'organiste Jimmmy McGriff et le délire expressif de John Coltrane, l'enthousiasme religieux des chanteurs de spirituals et les airs révolutionnaires d'une Nina Simone qui regarde vers l'Afrique et ne déguise pas son mépris pour la tradition religieuse noire, on n'était plus sûr qu'il existât, encore, une langue musicale commune. Cette année, en un sens, ce fut pire : écoutant Duke et ses musiciens exécuter leurs inamovibles classiques, Ella distiller les succès, d'hier et d'aujourd'hui, de la variété américaine, regardant, aussi, un public dont la moyenne d'âge frisait la trentaine, on put se demander si le jazz n'appartenait pas à la musique de papa - et si l'histoire ne s'était pas refermée sur luI. Aussi bien, presque tous les compte rendus de presse, fussent les plus anecdotl~ ques, évoquent-ils, au lendemain du 7' festival, la mort du jazz. Cela, pourtant, est vite dit. En cln· quante ans, la musique négro-amérlcaine a connu toutes sortes de transformations internes, chaque nouvelle école paraissant rejeter la précédente dans le passé. Mais il semble bien que la césure actuelle, entre le jazz que nous connaissons et l'avant-garde que nous découvrons et dont Charles Lloyd, entendu à Antibes, est une des figures les plus aimables, soit plus grava que les autres et, peut-être, d'une nature différente. Pour éclairer cette évolution, c'est la société noire des U.S.A. et son histoire qu'II convient d'Interroger. Car on ne peut nier que le jazz en dépende: malgré quelques grands solistes - Blx Belderbecke et Stan Getz notamment -, les blancs ne lui ont jamais donné de créateurs susceptibles d'en infléchir le cours; et, à quelques exceptions près, toujours marginales, les jazzmen européens se sont constamment mis à l'heure d'Outre-Atlantique alors que les noirs africains, eux, 'se tenaient totalement à l'écart du jazz. La musique négro-américaine est Issue de la contamination de la langue musicale occidentale - et d'une partie de son répertoire populaire par des souvenirs africains - gamme pentatonique, effervescence rythmique. Cette contamination s'Incarne dans tout un folklore - blues, spirituals, marches, chants de travail. Le jazz instrumental haît de ce fonds qui se départicularlse au fur et à mesure que les noirs quittent les campagnes du Sud pour se répandre dans les grandes cités industrielles. Il a désormais partie liée avec le monde du spectacle et des dancings: son répertoire s'accroît des airs de la musique populaire blanche et Il apparaît, alors, non comme un domaine mélodique particulier mals comme un style original d'exécution, qui met en œuvre des concepts esthétiques spécifiques, susceptibles d'une évolution qui leur soit propre, ainsi qu'il en va pour toutes les formes d'art. Se trouvent, de ce fai t, réunies les conditions d'une histo ire musicale du jazz, alors que se perpétuent les formes folkloriques initiales - blues et spirituals qui , par définition, ne connaîtront que des modifications légères, le plus souvent sous l'influence du jazz propre-
• Le Jazz est-il nlort ? ment dit :c'est le domaine du « Rythm and Blues », dont la transposition par des musiciens blancs allait prendre le nom de « Rock and Roll ». Sous l'effort de créateurs de génie, comme Louis Armstrong et Duke Ellington, le jazz, au seuil des a'nnées trente, est donc maître de 'son statut esthétique. Son critère essentiel est le « swing », qui est ce frémissement rythmique que connaît la phrase musicale, en sa confrontation avec une prusatlon de base, aux accents régulièrement marqués. Son domaine est le temps vécu, historIque, en opposition avec le temps abstrait, Intérieur aux œuvres de mUSique dite classique: le jazz est toujours Improvisé, même dans le cas d'un orchestre exécutant une partition, car Il n' « existe » que joué. Par là, Il apparaît moins comme un secteur de la musique que comme une manière d'en tirer parti pour une fin originale. A l'Intérieur de cette définition, des derniers ensembles « Nouvelle Orléans » au be-bop des années quarante, en passant par la période heureuse des années trente, Il va connaître une évolution rapide dans le sens d'une complexité harmonique, mélodique et I"}1hmique croissante. Le be-bop avec Charlie Parker et Dlzzy Gillespie, marque la première rupture Importante. Musicalement, certes, ce style se situe dans l'exacte continuité du jazz qui le précède: compte-tenu de ce qu'ii reste fidèle au matériau traditionnel - b!ues de 12 mesures et refrains de chansons de variété de 16 ou 32 mesures - ainsi qu'au tempo à quatre temps alors considéré comme fondamental, il va le plus loin possible en raffinement harmonique et rythmique, au point de paraître épuiser une formule. Mals avec lui surgit un nouveau type de musicien noir. Jusqu'ici, le jazz était pour le noir un moyen de promotion dans la difficile société américaine: le jazzman était donc lié au spectacle et au public blanc, à qui Il devait plaire, soit en atténuant sa négritude - ce qui va dans le sens du sentiment d'infériorité de toute une génération, celle des hommes du Duke, aux cheveux soigneusement décrèpés -, soit, au contraire, en l'accentuant, afin de ressembler à l' image conventionnelle que le blanc se fait volontiers du noir - brave, fantasque et toujours gai -, ce que l'on a appelé l'oncle-tomisme. Or le « bopper » se dresse contr.e cette aliénation. Il veut pour sa musique une dignité égale à celle que l'on accorde aux modes d'expression pratiqués par les blancs. Il postule ainsi pour son art un universalisme qui, loin d'être une soumission à la musique occidentale, comme on l'a absurdement dit, se fonde au contraire sur sa spécificité. Ce faisant, Il restreint son public à une élite et place le jazz sur une orbite nouvelle. Cet universalisme et cette conscience toute nouvelle définissent assez bien ce jazz moderne qui dure, approximativement, de 1945 à 1960, soit presque autant que tout le " jazz qui le prééède (nous ne tenons pas compte, bien sûr, de la préhistoire du jazz). Ils autorisent tout naturellement l'existence d'une école blanche originale, qui privilégie la musicalité aux dépens de l'expressivité; et sI. aux environs de 1956, certains musiciens noirs opèrent, à travers le style acquis, un retour aux blues et à l'esprit du blues (école « funky.; « soul music »). ce n'est pas pour faire sécession mais seulement réactualser UP héritage dont ils sont fiers. Cet épanouissement culturel du jazz coïncide, on le conçoit donc, avec les plus grands espoirs Intégrationnistes: le noir des années trente souhaitait être admis, celui des années cinquante entend être reconnu. A partir de 1960, tout change. C'est que le mouvement général de décolonisation qui secoue le monde La Quinzaine littéraire, 1" septembre 1966
transforme l'idée que le noir américain se fait de lui-même : autrefois, " se considérait comme le plus favorisé, et se jugeait plus américain que noir, il voit en lui, maintenant, un des derniers colonisés; autrefois sa culture lui semblait une des plus élaborées, maintenant, face aux valeurs nouvelles qu'impose l'Afrique, elle lui paraît hybride et aliénée. Cette crise survient au moment où le style hérité du be-bop de 1945 commence à dangereusement s'académiser, entraînant par là la sclérose de tout un jazz de tout le jazz, en " fait - dont les données musicales reposent, on l'a
Thélonious Monk continue de développer, dans le cadre du style bop, une cOnception originale de l'improvisation, fondée non sur la ligne mélodique, mais sur le jeu des structures sonores: cette sensibilité à l'Intervalle et au timbre rend, par Instants, cette musique curieusement parente de celle que suscite, dans le domaine « classique », la leçon de Weber, et par l'Idée d' « organisation » qu'elle manifeste, suggère l'existence d'un jazz composé - lequel paraît pourtant peu réalisable, ne serait-ce que parce qu'II répudierait ce temps vécu qui est le lieu fondamental du jazz. D'autre part,
Fanfare maçonnique à la Nouvelle-Orléans.
certains artistes, dont le plus grand est dit, sur la variété américaine et un folklore né' de l'esclavage et de la John Coltrane, se tournent résoluségrégation. C'est donc un art entier ment vers l'Afrique et l'Inde dont II~ qui se trouve remis en cause, non adoptent les modes musicaux pour creér une musique répétitive et Inplus dans ses formes acquises mals cantatoire. dans son essence même. D'où, le désarroi de la musique Toutefois, avec ces musiciens et négro-américaine tout au moins en dépit des mètres Inusuels auxquels dans sa part créative, car il n'est pas Coltrane a recours, nous ne sortons douteux que les masses noires demeupas encore des cadres constitutifs du rent attachées au folklore du « Rythm jazz. Il n'en va pas de même avec and Blues », qu'Incarnent, par exemple, l'avant-garde actuelle, connue sous le Ray Charles et James Brown. D'où, nom de « New Thing » ou de « Free aussi l'aspect extrêmement bouleMusic », dont le promoteur est le saxoversé que présente l'actuelle topo- , phoniste Ornette Coleman. Ce mouvegraphie du jazz. D'une part, un pionment se fonde sur la revendication nier des années quarante, le pianiste d'une liberté inconditionnelle, ce qui
peut s'entendre dl;! bien des manières, Liberté musicale: la « New Thlng ,. se propose de faire éclater tout ce qui définit le jazz jusqu'à lui, c'est... dire de se dégager des structures harmoniques Imposées et du tempo régulièrement affirmé. Les thèmes ne sont plus que des amorces ou des points de rassemblement à partir de quoi se développe une Improvisation collective spontanée. Par là, ces musiciens tendent à renouer avec la ferveur et la fraîcheur des premiers temps; mals en renonçant à la continuité rythmique, l'opposition entre le tempo Immuable et la fantaisie ImprOVisatrice (la batterie se borne, en effet, à un commental~e très libre de l'Imagination du soliste), Ils mettent en caule le sentiment de swing sur quoi reposait jusqu'alors le jazz, pour lui substl· tuer un phrasé parfois animé, parfois statique; plus gravement, en prétendant se passer de structures préétablies, même celles qui sont à ce point communes qu'elles ne peuvent être vécues comme une contrainte, Ils su· bordonnent leur création à tous le8 aléas de l'Instant. D'où le résultat Indécis, en dépit de moments réellement fascinants, des expériences qui ont été poussées le plus loin en ce sens: à mi-chemin du jazz habituel, auquel les rattachent l'agressivité. rythmique et un traitement expressionniste de l'Instrument qui va jusqu'au bruitage, et de la mu· slque contemporaine, qu'elles peuvent évoquer par le rôle laissé au hasard et le culte des sons et des timbres pour eux-mêmes, elles ne « passent la rampe » que grâce à une fureur libéra· toire qui les conduit, on s'en rendit compte, à Antibes, avec Charles Lloyd et les siens, aux portes du psychodrame et du « happenlnq ». Car, pour la plupart de ceux qui s y consacrent, la • Free Music » n'est pas une fin, mais un moyen de se libérer Intérieurement et de traduire ses soucis mystiques (Albert Ayler), cosmiques (le chef d'orchetre Sun Ra prétend communiquer avec l'univers), ou plus couramment, philosophiques et politiques (Archie Shepp, auteur d'un hymne à Malcolm X). Tous ces musiciens, soutenus par l'écrivain. Le Roi Jones, forment, certes. une phalange peu nombreuse, qui vit dans une presque misère et demeure encore peu sollicitée. Elle manifeste assez bien, cependant, par son bouillonnement Intellectuel un peu incohérent et, souvent, une société qui cherche à se constituer une culture ~euve - comme, par son culte de l'instant, un certain désespoir en son a enir. Mals on ne peut dire qu'en sa vi lence négatrice, elle féconde un art d nt elle liqUide, 'au contraire, cer· tains fondements Jusqu'ICi tenus pour esse tiels et qui, à ses yeux, a "le visag~ même de l'aliénation. A cette crise du jazz rép9nd une crise de son public. On le vit bien à Juan-les-Pins où les moins de vingt ans, base traditionnelle, s'agglutinaient sur les trottoirs sans Jamais pénétrer dans l'enceinte des concerts; les triomphes que connurent Sidnet Bechet ou les « Jazz Messengers » sont loin. En fait, ce n'est pas un hasard si, en Europe, les jeunes se tournent vers les groupes « beatniks» anglais et, comme les adolescents des U.S.A., vers ce folklore blanc seml-tradltlonnel qu'Incarne Bob Dylan, sans se rendre compte, au reste, de tout ce que ceux-cI doivent au folklore négro-américain. C'est que ce folklore et, tout de même, le Jazz demeurent essentiellement le langage de la protestation. Les Noirs d'aujourd'hui, en revanche, sont au-delà de la révolte nostalgique et de la nonviolence, sinon de la colère. Mals leur affirmation se défie d'un passé avec lequel Ils ne veulent guère composer. D'où leur actuelle Incertitude, et celle du jazz, qui a connu des moments admirables mals constitue pour eux un héritage difficile. Michel-Claude Jalard.
LA QUINZAINE HISTORIQUE
TOUS LES LIVRES Ouvrages publiés entre le 1 er août et le 15aoilt
J'aime Septembre. Homme, en 1932, médiocrement vêtu, employé au Mercure, ami des animaux femmes ou chiens; ' je m 'informe des mœurs de quelque sous-maÎtresse, qui se fournit à la pharmacie Habert, où elle raconte facilement ses petites histoires. Femme, en 1910, achevant de dîner au Bois de Boulogne, je suis tentée par la beauté d'une jeune personne, que j'ai connue naguère en d'autres lieux, et que j'invite à venir admirer l'effet du clair de lune, sur le lac. Nègre, en 1700, je mets à profit ces derniers jours d'été, avant l'automne, pour recouvrir la femme que j'aime de boue sèche, à l'exception d'une étroite fêlure, par où je m'incluerai, délicieusement, dans cette gangue ... Telles sont les évasions que propose Septembre à ce petit morceau de matière, notre corps, hors de lui-même. Amours petit-bourgeoises.
Le Fléau me parle souvent d'une sous-maîtresse d'un bobinard de la rue Saint-André-des-Arts ou Mazet, qui se fournit à la pharmacie Habert, où elle raconte }acilement ses petites histoires. Commune, vulgaire, laide, le physique d'une bonne, et soixante-cinq ans par dessus le marché. Elle a pour amant une sorte 'd' employé, avec lequel je la rencontre souvent, un homme convenable, ordinaire, qui doit
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un document irremplaçable pour découvrir un étonnan t génie pic· tural et l'homme le plus fascinant de notre temps,
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avoir à peu près son âge à elle. Plein de petits soins pour elle, paraît-il, la sortant, la gâtant, etc. Un jour, elle parlait de lui à la pharmacie, expliquant le programme de leurs plaisirs: Le lundi, c'est la sucette. Le mercredi, la branlette. Et le vendredi, la baisette. P. Léautaud. Journal Littéraire. Amours demi-mondaines.
- Mais je ne sais pas, moi, (dit Odètte à Swann, qui l'interrogeait) je crois que c'était au Bo~ un soir où tu es venu nous retrouver dans t'île. ' Tu ,avais dîné chez la Princesse de Laumes, dit-elle, heureuse de fournir un détail précis qui attestait sa véracité. A une table 'voisine il y avait une femme que je n'avais pas vue depuis très longtemps. Elle m'a dit: « Venez donc derrière le petit rocher voir l'effet du clair de lune sur l'eau f » D'abord j'ai bâillé ~t j'ai répondu: « Non, je suis fatiguée et je suis bien ici. » Elle a assuré qu'il n'y avait jamais eu de clair de lune pareil. Je lui ai dit: « Cette blague 'f » Je savais bien où elle voulait en venir. Marcel Proust. Du Côté de chez Swann. Amours n~gres .
Une femme assez grande, mince et brune. Lui demander de se dévêtir et de se plonger jusqu'à la ceinture dans un bain de boue. Il sera midi, en été, cians une forêt femme se sèchera marécageuse. à l'ombre, jusqu'au moment où la boue ,adhérant à ses membres inférieurs, à ses reins et à son ventre sera durcie. Le doigt de l'homme écaillera-devant le ' sexe juste ce qu'il faut enlever de boue pour que , l'acte puisse avoir lieu. Le merveilleux résidera dans l'opposition entre la rude carapace gaînant tout le bas du corps et le toucher humain si chaud de la vulve immédiate et folle. Gilbert Lély. Ton Profond Assentiment Noir;'
La
Ce poétique texte de Lély a paru dans l'Almanach Surréaliste du Demi-siècle, publié par la nef en ' 1950. Je ne sais s'il s'agit d'un texte original ou d'un texte adapté du mélanésien, comme l'est le célèbre sonnet. ' lJui lui fait su~te: Kidama vivila tkanupwagega, etc. Du moins doit-il être inspiré par queJque réelle prl;ltique dont on ne saurait nier le charme étrange. L'Afrique, fût-elle avide , d'accrocher ses produits artistiques _aux cimaises du Grand Palais, demeure ' une terre poétique. J'ai rencontré, en 1963, à 300 km à l'Est de Dakar, au croisement de deux pistes désertes, un guerrier Séréré, assis sous une roue de bicyclette fichée, par le moyeu" sur un bâton. A cet iùstrimÏent surréaliste étaient accrochés des soutien-gorge, que ce businel'ismaninattendu proposait à d'improbables élégantes. Il m'as· sura que son commerce prospérait. Pierre Bourgeade
ROMAN
ART
Florence Asie Fascination Gallimard , 9 F. Une adolescente perverse réinvente l'érotisme.
Jacques Soustelle L'art du Mexique ancien ' Arthaud, 182 p., 113 F Etude très poussée des civilisations aztèque et maya.
ARCHITECTURE
ESSAIS
Marc Alyn , André de Richaud S~ghers" 200 p., 6,90 F Essai sur l'auteur de « Je ne suis pas mort»
Michel Ragon Les cités de l'avenir Encyclopédie Planète 256 p., 16,50 F
Les données actuelles de la prospective architecturale.
Nikos Kazantzaki La liberté ou la mort Trad. du grec Livre de Poche George Langelaan Nouvelles de l'antl·monde Marabout Géant François Mauriac Mémoires Intérieurs Livre de Poche Marcel Pagnol Le temps des secrets Livre de Poche Elsa Triolet Roses à crédit Livre de Poche Biographies
André Nicolas Albert Camus Seghers, 200 p" 6,90 F Etude sur la vie et l'œuvre de Camus. Robert Pageard Littéi-âture négroafricaine. lé: Livre Afric,Hn, 140 p., 7,20 F
Histoire du mouvement littéraire africain d'expression française.
POLITIQUE
L. V. Thomas Le ' socialisme et l'Afrique Le Livre Africain, 208 p., 11.40 F
La spécificité -du socialisme africain
FORMATS QE POCHE
Léon Trotsky Ma vie, Livre de Poche
Littérature
Histoire
Jean Anouilh Fables Livre de Poche
Thucydide La guerre du Péloponèse 2 tomes Classiques de Poche
Honoré de Balzac La peau de chagrin Livre de Poche Beaumarchais Théâtre Livre de Poche
POLICIERS
Julien Green Chaque homme dans sa nuit Livre de Poche
John Buchan Les 39 marches Traduit de l'anglais Livre, de Poche
Jean Guéhénno Le journal des années noires Livre de Poche
Charles Williams Fantasia chez les Ploucs Livre de Poche
C'est avec beaucoup de peine que n!)us avons appris la mort de ClaudeEdmonde Magny, le 30 juillet dernier, au terme d'une maladie qui ne pardonne ' pàS. Esprit brillant et -- lucide, ClaudeEçlmonde M:agny s'était peu à 'peu retirée de la critique active qu'elle avait particulièrement illustrée dans les années qui suivirent la libération. Nous savons maintenant pourquoi. Il nous reste ses ouvrages: les Sandales d'Empédocle, l'Age du Roman américain, qui a fait date, son
Histoire du Roman français 'depuis 1918, dont ele n'a pu, hélas! donner la suite, sa' Lettre sur le pouvoir d'écrire. Ils ont été ou seront réédités. Quoique déjà fort atteinte , par la maladie - elle n'avait pu assister, fin 1965, à la dernière séance du jury Renaudot - elle nous avait encou· ragé à créer La Quinzaine littéraire et pro· mis d'y collaborer. Bonne, intelligente, dépourvue de vanité et d'envie, elle a accueilli la mort, dans des conditions assez atroces, avec une parfaite sérénité. M. N.
La Quinzaine littéraire
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QUINZAINE»
SUCCÈS DES VACANCES
C6line
FaoUe, diftloile
Je tiens à vous remercier pour la publication, dans votre numéro 9, de l'excellent article de Pierre Andreu sur les sources du personnage de Mort à Crédit, Courtial. L'œuvre de Céline n'a pas été à ce jour étudiée comme elle le mérite, et des travaux comme ceux de Pierre Andreu sont plus que nécessaires. III sont en outre divertissants et passionnants ... A quand une large étude sur la création des noms propres dans l'œuvre célinien?
Je crains que vo~ ayez tendance à sati.$faire /e$ goûts d'un petit noyau de lecteurs... C'est un libraire qui vo~ parle et qui, en contact avec le public depuis des dizaines d'années, sait que celui·ci aime à être guidé, qu'ü apprécie un .ouvrage de qualité, mais qu'ü existe un Cl mur du Ion » que quelques rares ini.tiés franchissent. V o~ ne pauvez espérer conserver une clientèle en VOUI adressant seulement aux trois ou quatre meilleur. élèves de la clas3e.. . Il y a toute une atnl0sphère à créer, une clarté pédagogique dont ü faut faire preuve. Fuyez le. longueurs excessives, songez à de court. extraits, si l'occasion s'en prélente, paur couper la monotonie du texte... Il faut éviter d'un bout 'à l'autre cette atmosphère de tension dans laquelle VOUI mquez de tomber. J. L., libraire, Roanne. Je me demande paurquoi VOIU employez avec une si évidente volupté le mot « difficüe »... C'est à croire que vo~ prenez vos lecteurs pour des SOUldéveloppés intellectuell, au paint que vous devenez presque offensants... Ne changez à aucun prix votre formule, sauf à l'améliorer encore, par le haut ...
Paul Chambillon, Verrières-le-Buisson
[La revue « l'Herne» a publié deux numéros spéciaux consacrés à Céline.]
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Violette Leduc P . Bodin F. Mallet-Jorris Han Suyin H. Troyat J. Lartéguy J. Orieux J.·F. Revel J .-L. Curtis J.-F. Steiner
Thérèse et Isabelle Une jeune femme Les signes et les prodiges L'arbre blessé La faim des lionceaux Sauveterre Voltaire Contre censures La quarantaine Treblinka
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L'article de M. Pierre Andreu a révélé la source biographique de l'épisode de Courtial des Pereires. Un élément important de cet épisode: l'emploi de l'électricité pour faire pousser les plantes, rappelle un passage de la correspandance de , Marx avec Engell.
E. Dallo, Turin C'est avec un sentiment de profonde ]Ole que jé viens de recevoir le n° 10 de votre revue, llOm laquelle on ne peut être au courant de la pensée littéraire actuelle, et ceci , non seulement en France. J'envie ceux qui peuvent s'abonner ... S. S., Lodz, Pologne Vos textes sont, à mon avis, assez difficiles à lire... Y a.t-ü un équüibre passible et qui soit, de pl~, valable paur chaque lecteur? C'est à votre aptitude à trouver une moyenne entre l'hamme très cultivé et l'homme moins cultivé que nous vous jugerons. Je vous fais confiance ... R. Jolivet, Bourg-la-Reine
Le 5 mai 1851, Marx envoie à Engels le texte anglaÏ! d'un article sur « l'application de l'électricité à l'agriculture :D. Ce texte, illustré d'un croquis, décrit une installation de fils de fer, /e$ uns MUterrains, les autres aériens, très compara. ble à celle de Courtial des Pereires.
SUCCÈS DE CRITIQUE Cette liste est établie, selon un mode de calcul complexe qui en garantit l'objectivité - d'après les articles publ~s dans le.s principaux quotidiens et hebdomadaires de Paris et de pro. v~nce. '
Marx demande à son compère de lui expliquer la chose « en bon alleman{l » et de lui dire son sentiment. La répanse d'Engels, le 9 mai, est détaülée et .ceptique. Enfin, le 16 mai, Marx donne paur référence « l'Economist de 1845 » qui contient, dit-ü, Cl le compte rendu de l'expérience faite avec le plus grand succès en Ecosse; on donne même le nom du fermier. J) J . Delbègue, Mamers
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Revue des revue. Ne pourriez-vous pas dans un prochain numéro donner une liste des revues littéraires existant en France avec une brève notice concernant chacune d'elles? F . Petit, Fresnes [Nous avons déjà parlé brièvement de certains sommaires de revues françaises. Nous le ferons plus systématiquement et nous parlerons également des revues étrangères. ]
Pr6oi.ion.
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Nous n'avons jamais eu la prétention de faire œuvre d'historien. Notre seule ambition fut de révéler l'existence d'un exceptionnel réseau de résistance, qui pesa considérablement sur le déroulement de la Seconde Guerre mondiale ...
Livre. de poohe
Cin6D1&, Godard Votre journal ne va pal tarder à devenir « ' culturel li... Votre critique sur Godard compromet la vocation de La Quinzaine qui est littéraireo-. Quand un critique en vient à faire appel aux « racines sociologiques du lUccès », c'est louche, fort peu honnête et peu critique. Avez.vous songé à critiquer un livre par le milieu social auquel appartenaient 8el lecteurs? Par quel privüège le critique échappe-t-ü à l'argument?
E. Descôtes-Genon, Grenoble La Quinzaine littéraire, 1er ,eptembre 1966
M .A. Asturias P . Vialar J. Orieux M. Proust A. Buchwald K. Mansfield J.F. Revel
De sang-froid Mémoires Les mangeurs d'étoiles La flaque du mendiant La jeunesse du monde Voltaire Lettres retrouvées Nous câble de Washington Œuvres romanesques Contre-censures
Gallimard Laffont Gallimard Albin-Michel Flammarion F1ammarion Plon Julliard ' Stock Pauvert
LA QUINZAINE LITTÉRAIRE VOUS RECOMMANDE
Nous ne pouvons publier en entier la lettre, fort longue et détaillée, de notre correspondant. Qu'il veuille bien nous excusèr. Le paragraphe publié ici donne en tout cas ' le sens de sa « rectification }).
parmi les ouvrages qui viennent de paraître: Littérature
Hubert Bourgeois, Pontarlier [Tout à fait d'accord. Nous nous y emploierons.]
R. Gary
Dans votre numéro du 1" juillet 1966, un article de M. Kosta Christitch: le Mythe de l'espion, met en cause notre livre: la Guerre a été gagnée en Suisse.
Pierre Accoce
Devant l'importance pme par le livre de pache so~ toutes ses formes, ne serait-ü pas possible de consacrer à cette catégorie d'édition davantage de place dans La Quinzaine? Je pense que quelques lignes sur chaque titre sorti ,eraient un guide pour le lecteur_
T. Capote Lord Moran
Que nos correspondants qui ne se voient-" point cités dans cette rubrique nous pardonnent. Aux encouragements et félicitations qu'ils nous prodiguent - et qui nous vont droit au cœur - nous préférons, en définitive, les critiques: précises, détaillées, sur des points ou des sujets précis. Ce sont elles qui nous permettent d'améliorer la formule de La Quimaine. Déjà, dans ce numéro nous avons tenu compte d'un certain nombre de remarques qui nous été faites: sur le plan, en particulier, de l'information. Nous pensons à de nouvelles rubriques, sans pour autant incliner la ligne que nous avons choisie et dont nous sommes heureux de constater qu'elle nous vaut, à chaque numéro, un nombre croissant d'amis et de lecteurs.
Bertolt Brecht Sei Shonagon Adolf Rudnicki Ignazio Silone Mario Vargas Llosa Iossip Brodski
Poèmes, III Notes de chevet Les fenêtres d'or Sortie de secours La Ville et ies chiens Colline et autres poèmes
Gallimard Gallimard Del Duca Gallimard Le Seuil
Les Cols blancs
Maspéro
L'Arche
Essais C. Wright Mills
( essai sur les , classes moyennes américaines)
Formats de poche Léon Trotsky Charles Williams
Ma vie Fantasia chez les plouc.
Livre de poche Livre de poche 51