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La - . Ulnzalne littéraire
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Numéro 25
l au 15 avril 1967
Trois entretiens
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inémaet ittérature ~~.
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amé~ca1ns.
Un tchèque au Vietnam et aux ' U.S.A.
Sim.on .Intellectuels Ducham.p .Alejo Carpentie1" .Claude
SOMMAIRE
3
LE LIVRE DE LA QUINZAINE
Claude Simon
Histoire
par Ludovic Janvier
5 6
ROMANS FRANÇAIS
Marguerite Duras André Couteaux Léon Aréga Jacques-Pierre Amette Michel Doury
L'Amante anglaise L'Enfant à femmes Le Débarras Elisabeth Skerla Un matin froid
par par par par par
7
ENTRETIEN
loseph N esvadba
propos recueillis par Anne Forestier
Guerre du temps Les Armes l'Amour
par Claude Couffon par A.-R. Fouque
Zavattini, l'écrivain cinéaste
propos recueillis par Juliette Raabe
Vie et mort de 1ean Giraudoux
par Alain Clerval
Gilles Deleuze
propos recueillis par M. Ch.
8 10
LITTÉRATURE ÉTRANGÈRE
Alejo Carpentier Emilio Tadini
ENTRETIEN 12
HISTOIRE LITTÉRAIRE
Aurel David
ENTRETIEN
Madeleine Chapsal A. C. Maurice Chavardès Guy Rohou Henri Guigonnat
POÉSIE
Lorand Gaspar
Le quatrième état de la matière
par Josane Duranteau
LIVRES CLUB
Emile Zola ·
Œuvres complètes
par Samuel S. de Sacy
16
HUMOUR
Jean-Michel Folon
Le Message
par F. C.
17
ART
Pierre Cabanne
Entretiens avec Marcel Duchamp
par Gianfranco Baruchello
18
BIBLIOPHILIE
Valéry Claude-Roger Marx Paul Stehlin
Regards sur la mer Neiges Alsace
par Lucien Galimand
19
LETTRE DES ÉTATS -UNIS
Les intellectuels américains et le pouvoir
par Naim Kattan
20
TIERS -MONDE
Wilfred Burchett Jean Lacouture Bertrand RusSel A. M. Schlesinger Paul Bairoch
Hanoï sous les bombes Ho Chi-minh Nüremberg pour le Vietnam Un héritage amer : le Vietnam Révolution industrielle et sous-développement Diagnostic de l'évolution économique du tiers-monde
par Jean Chesneaux
U . R . S .S.
Michel Tatu Merle Fainsod
Le Pouvoir en U.R.S.S. Smolensk à l'heure de Staline
par H. Carrère d'Encausse par Luc Delardenne
24
HISTOIRE
Barbara Tuchman
L'Autre Avant-Guerre
par Geneviève Poidevin
25
LOISIRS
J. Dumazedier et A. Ripert
Le Loisir et la V üle
par Bernard Cazes
26
PHILOSOPHIE
André Amar René Schérer
L'Europe a fait le monde Structure et fondement de la communication humaine
par Jean-François Nahmias par François Châtelet
27
SCIENCES
Banesh Hoffmann
L'étrange histoire des quanta
par Hubert Gié
28
TOULOUSE
Le Théâtre d'Armand Gatti
par Bernard Dort
14
21
2. 23
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Joseph Breitbach
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La Quinzaine littéraire
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Copyright: La Quinzaine littéraire.
par Michel Lutfalla
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LE LIVRE DE LA QUINZAINE
Le telllps d'une histoire Claude Simon Histoire Minuit éd., 404 p. Claude Simon revient, avec Histoire. Son livre le plus riche et le plus beau. Se souvient-on du dormeur de Proust ? La Reeherche s'ouvre sur l'endormissement du narrateur, dont l'imagination, par l'intermédiaire des associations et des désirs, ou à cause de la position du corps, contracte les lieux et les durées et joue librement avec le monde et ses objets jusqu'à la griserie. « Un homme qui dort, écrit Proust, tient en cercle autour de lui le fil des heures des années et des mondes... » Le fil : il faut un lieu à ces associations, p01,lr qu'elles restent la propriété de l'esprit. Ce peut-être la scène immobile et ouverte qu'est l'imagination libérée du dormeur. Ce lieu, c'est aussi l'espace à la fois enclos et ouvert où d'autres associations, par exemple celles du romancier peuvent se nouer : le livre.
La masse des mots Plus d'une fois, le narrateur d'Histoire est saisi par la fuite du monde. Tout lui échappe. Des images, des êtres, des détails du monde,. il note « qu'ils sombreront ... disparaissant peu à peu dans les épais. Cl4ude Simon seurs du temps et moi impuissant les regardant s'engloutir lentement... », sentiment banal après tout, mais qui est celui, on le sait, ressortir la proximité et la myopie, de Proust commençant et finissant précisément, du regard accroché à son livre, sentiment auquel fait ici la peau des choses et des êtres, et écho une déclaration de l'inter~ocu dont elle ne retiendrait qu'une suiteur privilégié du narrateur, et qui te d'images se télescopant au ralenest son oncle en même temps que ti et de sons continuant à bruisser son double en un sens, disant : dans l'oreille. C'est déjà beaucoup: « qu'il n'est pas plus possible de un vaste corps sonore et visuel, raconter ce genre de choses qu'il appréhendé par la lecture, et en n'est possible de les éprouver de même temps perdu, à cause des nouveau après coup, et pourtant, tu dimensions. ne disposes que de mots, alors tout Puis une lecture attentive fait ce que tu peux essayer de faire ... apparaître plusieurs n ive aux. c'est d'essayer de mettre l'un après D'abord, et à l'opposé de cet l'autre des sons qui... » Même dans myope appréhension, une anecdote l'hésitation, le fil est trouvé : le se dessine. Parti du sommeil, lui discours de l'imaginaire. Et quand aussi, et tendant vers un autre somnous verrons le narrateur animer meil, le narrateur, qui habite la de ce discours non seulement des ville, sort de chez lui, vers onze morceaux détachés du monde, scè- heures, rencontre au bord du canal nes, gestes, voix etc ... , mais donner un vieil ami de la famille, va à sa vie et devenir à des cartes postales, banque, en ressort pour aller déjeucomment ne pas songer à ces photo- ner au restaurant, muni d'un jourgraphies de cocottes, de duchesses, nal qu'il vient d'acheter, à l'issue de ducs et de valets de pied, dont du repas rentre chez lui - il est Cocteau nous dit qu'elles s'entas- deux heures - , pour vendre quelsaient sur la table d'ébène de ques meubles de sa maison mainte) nant vide, retrouve dans le tiroir Proust? Ce qui vient à nous depuis cette d'une commode des cartes postales masse de mots dont la division en qu'il regarde longuement, ainsi chapitres ne doit pas faire illusion d'ailléurs qu'une photo représt;n- car il s'agit plutôt de haltes res- tant l'atelier d'un peintre ami de piratoires bien que chacun ait sa son oncle, oncle qui est mort et à couleur thématique ,c'est qui il s'identifie à plusieurs reprid'abord le désordre, le vrac. Im- ses, ressort, - il est cinq heures mense foisonnement baroque, où à peine - , pour se rendre en voiune lecture superficielle, mais ici ture au borde de la mer chez un elle ne serait que myope, ferait cousin à qui il doit faire signer un La Quinzaine littéraire, 1" au 15 avril 1967.
acte, revient à la nuit tombante, ,regarde quelques cartes postales, ressort pour dîner d'un sandwich dans un bar, où il écoute trois parachutistes en goguette, rentre chez lui, il est minuit environ croise un ancien condisciple de pension devenu candidat aux élections, se couche, trouve difficilement le sommeil. C'est là la trame, et ce n'est rien, car ces précisions, dont on peut ' se servir pour suivre la chronologie, laissent échapper l'essentiel du livre, dans lequel il sont dispe~sés en repères infinitésimaux, Ils ne servent qu'à orienter dans le temps humain traditionnel, celui des horloge~, le temps humain fondamental, la durée du parlant-promeneur.
La disoontinuité C'est là le second niveau: il est plus fidèle à l'organisation de l'ensemble de faits, d'images, de mots qui noUs est donné. Comme le dormeur de Proust, le parlant de Simon s'ébat dans les rêves et les mondes. Quand il s'éveille, quand il s'endort, quand il erre dans une ville, quand il « sent » sa maison, quand il regarde des cartes postales ou mange au restaurant, il n'est pas une présence anecdotique ou une silhouette pittoresque, il est,
au passé puisque pour Simon comme pour Proust l'indicatif présent est impossible tant le monde nous submerge, le lieu commun d'une mémoire et d'une aventure. Un moment, il parle du « foisonnant et rigoureux désordre de la mémoire» : c'est cette rigueur capricieuse, cet ordre humain qui préside en partie à la recherche et à la construction du livre. Ce qui fait que le récit, pourtant linéaire puisqu'il s'écrit et se lit sans retour, peut apparaître comme ce cercle immobile que le parlant tient autour de lui, c'est que, partant dans toutes les directions que sa mémoire lui indique, il les parcourt librement et revient pour finir au centre, sa journée, puis en repart, et ainsi de suite. Un acte, comme celui de descendre un escalier, une silhouette, comme celle d'un bossu déjeunant en face de lui, une pénombre, comme celle de sa chambre à coucher, autant d'appels pour la mémoire, qui leur fait répondre en écho telle autre pénombre, tel autre bossu, etc., le récit se trouvant avancer par l'accumulation de ces appels et de ces réponses, et en même temps devant revenir sur ses haces, car jamais, coupés qu'ils sont par les associations libres, les fragments de réel n'ont le temps de se eonstituer en îlots définitifs. Cette « foudroyante discontinuité » dont parle le narrateur, elle s'accompagne donc logiquement de la répétition. Le récit apparaît alors comme un mobile parcourant, dans une incessante révolution, les mêmes points, dans ce temps circulaire, ou plutôt en spirale (car la journée continue), que marque, lancinant, toujours actuel, le participe .présent de l'invention narratrice. Car la narration, elle est aussi· invention et composition, et c'est le troisième niveau du livre, celui qui, non loin de la première lecture myope, nous le donne dans sa plus proche et sa plus juste dimension. Ce n'est pas seulement à quelqu'un qui se souvient que nous avons affaire, mais à quelqu'un qui parle, qui s'invente par conséquent, et de cette façon existe. Si justifiée que soit la très psychologique mémoire spontanée, - et le livre d'ailleurs est trop soigneusement composé, les échos calibrés, et les transitions de l'un à l'autre trop ajustées, pour que la discontinuité de la mémoire tienne lieu de dernière explication, - il est évident que ce ne sont pas d'abord les images, mais les mots, qui s'appellent, c'est le langage en corps et en système qui constitue le ' « fil » tenant et pro. posant l'ensemble : la composition se révèle alors très simple et très nécessaire . .Déjà dans la Corde raide, paru en 1947, Simon, en passant, voyait dans l'écrivain celui qui joue avec les mots. Si la Route ,Jes Flandres illustrait en partie cette conception, il faut reconnaître qu'Histoire, c'est un jeu généralisé. Dans la cohorte des échos sonores ~ 3
~
Le temps d'une histoire
et- des reflets visuels, il fallait un liant comme il fallait un départ : ,ce ne pouvait pas être le personnage, puisqu'il n'est pas mêlé à tout ce qu'il écrit-invente, ni un décor, puisqu'il change : ce principe et ce liant, c'est le discours lui-même se continuant, et l'outil de cette continuation, c'est le glissement oral. Dès les premiers mots du roman, quand, du faible caquetage des oiseaux, nous passons, par les mots, au bavardage des vieilles femmes en visite chez la mère du narrateur, l'un sortant de l'autre comme et parce que le second bruit de mots sort naturellement du pr~ mier, nous savons que la pente du discours est déclarée, que nous tenons le mouvement du récit. Ailleurs, par exemple, l'éclat d'une chevelure aperçue au restaurant de ce côté-ci de la frontière appelle l'éclat d'une autre chevelure aperçue à Barcelone. Et nous voilà à Barcelone, où la narration ne s'installe que le temps, par un autre mot, un autre appel, un autre bruit, de repasser la frontière. Le livre est non seulement découpé en chapitres, mais encore en alinéas, dont chacun a sa couleur sonore, ou presque: or, il n'est pas un de ces alinéas qui ne s'articule au sui-
vant, ou n'appelle son correspondant plusieurs pages plus loin, par cette même raison écholalique, et cela jusqu'à l'allitération, jusqu'au calembour. Ce qui ne fait pas seulement sortir bosses de gibbosités, éclat de étincela, Corinne de cerise, fracas de Frascati et mamelles de Memel, nous amenant du même coup à franchir lieues et lustres, mais, comme Rabelais, Swift ou Joyce, nous plonge dans la matière même des mots, et nous barbouilie de latin ou d'espagnol avec une volupté élémentaire. D'autre part, on remarquera que la narration se nourrit souvent de la description des cartes postales ' que le personnage manie, comme attiré par la fixité, ce défi à la mobilité du temps, qu'elles représentent. C'est pour les animer, y faire bouger les êtres et respirer le monde figé par la pose : emporté par l'élan de la parole, il entre dans telle vue de Barcelone ou tel clair de lune sur un fleuve, et bientôt le récit campe dans l'espace proposé, en sortant et y rentrant suivant le décours des mots, qui servent à ce curieux va et vient où la personne s'efface. C'est précisément lors d'une telle opération qu'une ré-
vélation privilégiée de cette pente a lieu. Tenant sous son regard la photo qui représente l'atelier du peintre, le narrateur, qui est le neveu de l'oncle représenté sur la photo au milieu des autres, fasciné par cette coupe pratiquée dans le devenir, finit par entrer dans l'image, comme souvent, mais ce n'est pas tout: il s'y substitue à l'oncle, de sorte que celui qui dit « je » alors et supporte le récit, c'est bien l'oncle lui-même, et c'est pourtant le neveu encore, puisque « l'invention » est de lui. Cette confusion, ou plutôt cette ambiguïté des pronoms personnels, ici comme ailleurs dans le roman (qu'il s'agisse de la même photo ou de la superposition des amours de l'oncle et du neveu) est bien un effacement de la personne, qui n'est plus qu'un support grammatical indifférencié, l'vatar de la puissance narrante qui peut mêler toutes les catégories, temps, espace et individus. Finalement, si l'interrogation aux ea.rtes postales semble provoquée par l'interrogation à l'être-là « mystérieux et pourtant sans mystère » d'un monde immobile, ce monde immobile lui-même, ces ruines éparses, ces paysages, ces êtres, ces villes, ces amours, tout cela est ramené à
l'home qui invente, comme une li· maille à un aimant, par cette tête ., hercheuse : la parole une fois prise, et qui ne lâche plus le monde des mots avant d'avoir parcouru le cercle, avant de se défaire - ou de se récupérer - (le demier mot du livre est : « moi ? ») dans le sommeil d'où le premier mot était sorti. On peut difficilement parler d'une totalité aussi parfaite, et aussi riche qu'Histoire. Un lecteur familier de Simon y verra encore, par exemple, le confluent de l'Herbe, de la Route des Flandres et du Palace, élargi jusqu'aux dimensions d'une aventure à la fois exceptionnelle et banale, la traversée d'une journée par un homme, le même parcours par les mots : un livre. On pourra parler encore de collage, y lire aussi la fascination pour la surface du monde et des hommes, et avoir l'impression de n'avoir rien dit. La parole n'épuise pas cette œuvre simple et lourde, qui nous augmente, et à laquelle toutes les approximations et les exclamations habituelles refusent de s'appliquer. Un monde. Un grand livre.
Ludovic Janvier
• ÉDITEUR.S
Renoontre
La production de Rencontre (16 livres par mois en moyenne) se situe aux antipodes du format de poche: il s'agit d'éditions reliées, d'apparence luxueuse, diffusées principalement par abonnement (la petite diffusion assurée depuis deux ans par Hachette est encore négligeable), mais qui s'écarLe fondateur, Pierre B. de Murait, tent également de la formule livresdont la vieille famille patricienne club. La grande force de Rencontre est s'étend sur trois pays adjacents, avait , commencé par acheter une petite im- d'être aussi une imprimerie (la maison possède toujours son imprimerie primerie à Lausanne, où il éditait des suisse mais vient d'en acquérir une classiques grecs et latins dont il confiait la traduction à des poètes et autre, à Mulhouse, qui dispose d'un écrivains suisses en renom. Il , s'est réseau de relieurs particuliers, et de attaqué ensuite aux ~uvres complètes rester, malgré son expansion, lm liaide son compatriote Ramuz, qu'il ré- son étroite avec ses abonnés dont édite cette année, pour le vingtième elle reçoit plus de 15000 lettres par annivérsaire de la mort de I:écrivain. mois. Nombre de ses collections sont nées de la demande du public. En outre, la présence, au sein du conseil Coopérative du livre littéraire, d'écrivains et de critiques tels que Jean-Louis Curtis, Maurice C'est alors que pour pallier les Nadeau, Robert Kanters, Olivier de difficultés spéCifiques de diffusion Magny, Gilbert Sigaux, a permis de auxquelles il se heurtait, il eut l'idée constituer un fonds claSSique que ,la de faire passer des annonces dans les direction de Rencontre définit comme journaux locaux, demandant aux lec- • le fruit de l'effort d'un enseigneteurs éventuels de se- faire connaître, ment laïque -. sa capacité de production dépendant étroitement de leur pouvoir d'achat. Il Paru. et à paraître reçut ainsi plus de 100000 réponses à une offre de souscription des œuParmi les productions les plus signivres complètes de Balzac. La formule ficatives de Rencontre, on trouve les était trouvée. Fonctionnant par abon- œuvres ,complètes de Stendhal, prénement, comme une sorte de coopé- sentées par E. Ahavanel, les œuvres rative, les éditions Rencontre comp- complètes de Flaubert; présentées et ,tent aujourd~hui plus de 350 000 abon- annotées par Nadeau, l'histoire de nés de langue française et 100 000 de France de Michelet, présentée par langue allemande (en Allemagne, en ' Claude Mettra, dont le quinzième voAutriche et en Suisse). Cette exten- lume vient de paraître - en même sion de ses activités a d'ailleurs temps que le tome 1 des œuvres de obligé Rencontre à se transformer en Roger Vailland tandis que sont annonsociété anonyme - encore que la cées celles de Simenon et que se coopérative subsiste en Suisse, Où poursuivent les publications classielle permet d'investir les bénéfices ques de caractère lyrique (Victor dans, la publication d'œuvres inédites Hugo), distrayant (Jules Verne), polide jeunes auteurs suisses. On étudie cier (Conan Doyle) etc. toujours sous actuellement la possibilité d'étendre forme d'œuvres complètes. cette formule à la France. Dans les années à venir, les édiAu confluent de trois cultures - allemande, française et italienne - les éditions Rencontre s'ont nées en l:)uisse et leur formule 96t directement issue des problèmes posés par la diffusion du livre dans un petit pays investi par les éditeurs français.
4
Stendhal tions Rencontre feront davantage porter leur effort sur les auteurs modernes et les inédits. Cependant, sous la direction de Georges Haldas, qui a publié également les œuvres complètes de Dostoïevski, se poursuit l'exploration du domaine russe dans la collection • de Pouchkine à Gorki -, qui comprendra notamment la première traduction de Herzen en français, et les douze volumes des Sommets de la littérature espagnole préfacés par Jean Cassou. Art et voyage
Depuis deux ans, une grande place est faité à l'image dans la ,collection • Atlas des voyages - qui propose un titre par mois et qui a permis à de jeunes photographes comme, Marc Riboud de devenir célèbres. Le 56' volume (Koweit) est paru. A vènir: le Middle West et le Japon. La collection • Histoire générale de la peinture - comptera 27 volumes en tout et s'étend des origines à la peinture américaine, avec des ouvrages tels que le Surréalisme par José Pierre, les Grands Maîtres de la peinture moderne, par Georges Charensol, la Peinture abstraite, par Jean-Clarence Lambert, et probablement, à la demande des abonnés, un volume sur la sculpture, qui est à l'étude. Monde actuel
Enfin le Dictionnaire du monde actuel est fait par un groupe de journalistes attachés à Rencontre qui rédigent chaque mois une sorte de somme des événements mise sur fiches perforées et tenue sans 'cesse à jour. A ce journal, transcrit ' à son tour en fiches imprimées, est' adjoint un cahier mensuel sur 'un point de l'actualité. Le résultat de ce travail collectif est rassemblé deux fois par an dans un dictionnaire encyclopédique sans cesse remanié.
Sous la direction de Victor dei Litto, président du Stendhal-Club, et d'Ernest Abravanel, secrétaire du Stendhal-Club suisse, une nouvelle édition des œuvres complètes de Stendhal est en préparation au Cercle du Bibliophile. Augmentée de toutes les variantes que l'étude très poussée des éditions originales et surtout de manuscrits découverts tout récemment ont permis de restituer, elle comprendra 42 volumes à raison d'un volume par mois dont le premier, paru en mars, est le tome 1 du Rouge et le Noir. Il existait deux éditions, aujourd'hui, épuisées, des œuvres complètes de Stendhal: l'édition du Divan et l'édition Champion. C'est par l'étude comparée de cette dernière, avec les éditions originales et les découvertes récentes, qu'est établie l'édition du Cercle du Bibliophile. C'est ainsi que les seulés variantes de la Chartreuse de Parme, établies à partir d'une édition ayant appartenu à Stendhal et à l'intérieur de laquelle celui-ci _avait intercalé les corrections et remaniements qu'il s'était attaché à - apporter sur les conseils de Balzac et auxCluels il avait fini par renoncer, comprendront près d'un tiers du volume. On trouvera également les textes nouveaux des Chroniques Italiennes, des Souvenirs d'Egotisme, des Romans et Nouvelles, de Lamlel, du Théâtre et des textes entièrement inédits à propos de la Vie d'Henri Brulard; de la Vie de Napoléon et du Journal. L'édition sera illustré~ par Mette Ivers et contiendra des gravures d:époque de Canaletto, 'Guardi, Fragonard et surtout les dessins et croquis de Stendhal lui-même. Il n'est ,pas inutile de rappeler que la bibliothèque personnelle de Stendhal appartient à un éditeur italien qui en interdit l'accès aux chercheurs. Victor dei Utto, inculpé de diffamation, est actuellèment en procès avec lui.
INFORMATIONS
ROMANS FRANÇAIS
Les feDlDles folles Marguerite Duras L'Amante anglaise Gallimard éd., 200 p.
La menthe anglaise, l'amante en glaise, l'amante anglaise ... Le personnage au cœur du dernier roman de Marguerite Duras est une folle, Claire Lannes. Nous la connaissons déjà, nous l'avons déjà entendue dans la pièce jouée en 1962, les Viaducs de la Seine-et-Oise, dont l'Amante anglaise, intitulé ror an, n'est qu'une autre version plus poussée. Cette folle c'est auss~ LoI V. Stein, ou Annes Desharèdes de Moderato Cantabile, ou la mendiante du début du Vice-Consul, ou AnneMarie Stretter du même Vice-
plus loin: il n'y a plus qu'un assassin, la femme, Claire Lannes, et audelà du crime, « ce crime de fou », l'auteur en traque les origines, la folie, mais pas n'importe ,quelle folie, la folie d'une femme, de cette femme-là. Le livre se présente comme un interrogatoire et d'ailleurs la police est bien, présente, sous la forme du « flic », qui arrête Claire Lannes dans le bar, et de son premier amant, l'agent de Cahors. Un homme, qui s'intitule interviewer et qui est une voix, une volonté persécutantes, interroge au magnétophone le patron du bar, puis le mari de Claire, enfin Claire ellemême, dans sa prison. Ce qui le pousse, semble-t-il, c'est le . besoin de connaître, le « bonheur de com-
Marguerite Duras
Consul. Il semble qu'il n'y UH plUS qu'un personnage essentiel dans les livres de plus en plus tendus, de plus en plus tendres de Marguerite Duras : une folle. La folie. Les Viaducs de la Seine-et-Oise eurent pour origine un véridique f!lit-divers : pour se débarrasser d'un cadavre les assassins le découpèrent en morceaux puis jetèrent les débris un par un du haut d'un pont ferroviaire dans les wagons des successifs trains de marchandises qui passaient en dessous. Mais ces trains se rendaien.t chacun dans des directions différentes et par le système « recoupement ferroviaire » il s'avèra qu'il n'y avait qu'un seul point, un certain viaduc, d'où les morceaux du cadavre avaient nécessairement été jetés, ce qui permit de retrouver et d'arrêter les assassins. Dans les t,iaducs de la Seine-etOise Marguerite Duras avait un peu joué avec cette idée macabre. Dans l'Amante anglaise, elle va beaucoup
prendre ». Mais jusqu'où ira ce bonheur ? A partir d'un certain point, au cours du dernier interrogatoire, celui de Claire, l'interviewer se détourne, elle veut continuer et c'est lui qui ne veut plus comme submergé par l'émotion ou l'inutilité de son enquête. Et il est vrai qu'on n'en sort pas, qu'elles n'en sortent pas, toutes ces femmes folles dlll Duras, enfermées dans quelque chose qu'on peut intituler la folie, m.ais qui en plus de la folie est peut-~tre aussi la féminité. Claire dit qu'elle se sent « de l'autre côté ». De l'autre côté de quoi ? La façon dont Marguerite Duras approche toujours plus et par des moyens à elle un point originel, défie l'analyse. Où va-t-elle ? La féminité toute crue fait peur et c'est aussi ce fantôme que d'un livre à l'autre de Hiroshima mon amour à la Musica, Marguerite Duras tire de plus en plus vivement à la lumière. Pour lui permettre de s'in-
La Quinzaine littéraire, 1" au 15 avril 1967.
carner elle invente un langage, cette langue pleine et vide que parlent toutes ses héroïnes, au bord de tu l'extase, au bord du ridicule me tues, tu me fais du bien »), au bord de la vérité interdite, langue neuve où pourtant nous ne cessons de reconnaître les accents les plus anciens: ceux de Jeanne d'Arc, de Louise Labbé, des grandes mystiques, de toutes les folles. On pourrait d'ailleurs tracer un portrait-robot de la femme-folle de Marguerite Duras : des heures immobiles au même endroit elle ne fait rien que se laisser traverser par des pensées sans logique, sans raison : « l'ai eu des pensées sur le bonheur, sur les plantes en hiver, certaines plantes, certaines choses, la nourriture, la politique, l'eau, sur l'eau, les lacs froids, les fonds des lacs, les lacs du fonds des lacs, sur l'eau qui boit qui prend qui se ferme, sur cette chose-là, l'eau, beaucoup, sur les bêtes qui se traînent sans répit, sans mains, sur ce qui va et vient beaucoup aussi... » Essence de la pensée féminine ou de la pensée psychotique? Femme qui se tait pendant des jours, des mois, puis tout à coup prend la parole et c'est une parole qui illumine et qui fait peur. La vie quotidienne lui est impossible : « elle ne s'accommode pas de la vie» dit le mari de Claire. Elle a connu la passion, ou la connaîtra, et après il n'y aura plus rien. La mort lui paraît peu de chose, à moins qu'elle ne soit déjà morte. Elle ne communique pas avec les autres par le moyen des sentiments ou de la conversation; alors elle les observe, .les épie en se cachant, les voit comme des « blocs », qui lui paraissent trop gros, trop longs, ou trop bruyants. Parfois elle parle de sa joie et cela paraît désaccordé, monstrueux. Parfois elle parle des plantes, des animaux, des êtres simples, come Alfonso, avec lesquels elle a des affinités sûres. Elle attend, ne fait rien et {( le temps passe comme un torrent ». Reste le crime. Quel crime ? « Il me semble qu'ici on a .tué l'autre comme on se serait tué soi », dit le patron du bar. Tout le livre repose sur cette question : pourquoi Claire Lannes a-t-elle tué sa cousine sourde-muette avec laquelle elle ne se disputait jamais et qui tenait la maison pour elle et son mari ? La réponse ne sera pas donnée, il y en a mille comme aucune. Elle a tué « parce que c'était l'heure » et surtout que toute la maison penchait de ce côté, « le sens des portes n'a jamais été bon », tout faisait basculer, poussait au crime. D'ailleurs qu'est-ce qu'un crime pour qui se trouve déjà « de l'autre côté » ? Peut-être seulement l'occasion de prendre la parole, de nous dire ce que c'est qu'une femme. Jamais Marguerite Duras n'a écrit plus simplement, comme un constat, ni poussé plus loin sa tendresse. Madeleine Chapsal
«(
Colloque Baudelaire Un Colloque Baudelaire se tiendra à la faculté des lettres et sciences humaines de Nice. à l'occasion du centenaire de la mort du poète, les 25, 26 et 27 mai 1967, sous le patronage de l'Université et de la Ville de Nice et sous la présidence d'honneur de Jean Pommier, membre de l'institut, professeur honoraire au Collège de France. Prendront la parole, entre autres, au cours de ce Colloque, le recteur Gérald Antoine, Georges Blin, professeur au Collège de France, les doyens Bernard Guyon et Marcel-A. Ruff, ainsi que les professeurs L..J. Austin, W.-T. Bandy, R. Bellharz, D. Betz, V. Brombert, L. Cellier, W. Drost, A. Fairlle, W. Fowlie, C.-D. Hérisson, R. Jean, M. Lefebvre, G. Michaud, G. Mounin, CI: Pichois, G. Poulet, E. Starkie. Plusieurs réceptions, ainsi qu'une excursion et un repas de clôture sont également prévus. Frais de participation aux diverses manifestations: 20 F à verser au C.C.P. de M. le doyen Marcel-A. Rutf: 8050 Marseille, en précisant au dos du '.'irement • Colloque Baudelalre-. Pour. tous renseignements, s'adresser à M. Claude Faisant. assistant à la faculté, secrétaire du Colloque, 36, avenue Primerose, 06 Nice.
Un nouveau dictionnaire Larousse vient de publier un nouveau dictionnaire, d'un intérêt particulier : le Dictionnaire du français contemporain. C'est un volume modérément épais de 18 cm sur 24. Il témoigoe d'une alliance nouvelle dans la vie des dictionnaires entre la théorie et la pratique, soit la linguistique et la lexicographie. Lexicographes et linguistes, jusqu'à maintenant, travaillaient chacun de son côté, les uns suivant leur intuition, les autres élaborant des théories sur I~ lexique sans les mettre en pratique. Cette fois-ci, des théories cohérentes sont appliquées à l'échelle d'une langue entière. Et cela frappe dès le premier contact avec le dictionnaire : il donne la transcription phonétique des mots, des tableaux grammaticaux, des renseignements sur les synonymes et leur degré d'intensité, sur les niveaux de langue : littéraire, familier, etc. Les auteurs, Jean Dubois, René Lagane, Georges Niobey, Didier Casalis, Jacqueline Casalis et Henri Meschonnic, ont pris le parti de ne rendre compte que des emplois actuels. Ils ont éliminé les mots tombés en désuétude, les indications étymologiques et les citations d'auteurs. En revanche, ils ont voulu donner une présentation plus claire et plus fonctionnelle des unités lexicales : les mots à orthographe identique et à sens différent ont été confiés à des articles différents. Le verbe • raser se retrouve ainsi quatre fois. Mais un même article donne les dérivés du mot qu 'il décrit. Ainsi sous • raser. (sens d'ennuyer - familier) se tro~ vent • rasant", • raseur" • rasoir ". Un autre parti pris a été de présenter chaque sens du mot selon sa construction dans la phrase. Cela est une tentative de retrouver les règles grâce auxquelles les usagers de la langue connaissent l'emploi correct des mots, règles qui restent d'ailleurs souvent inconscientes. On sait que le verbe • pOSSéder - ne garde pas le même sens s'il s'agit de posséder de l'argent, son rôle, une femme ou quelqu'un. Mais pourquoi? Les auteurs en cherchent la réponse dans la distribution syntaxique des mots. La description de la langue française qu'offre ce dictionnaire est, bien sûr, insuffisante; mais elle illustre un principe nouveau, à savoir que la qualité d'un dictionnaire dépend d'une connaissance profonde du fonctionnement de la langue.
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Les naufragés
Présences féminines
André Couteaux L'enfant à femmes Julliard éd., 224 p.
Léon Aréga
Le Débarras Gallimard éd., 224 p.
Très tôt, Bertrand a pris conscience de l'étrange pouvoir des femmes sur l'humeur de son père abandonné par sa mère quand il avait un an. Seule, une présence féminine est susceptible de dessiner sur les lèvres de son père ' le singulier sourire qui éclaire les jours de l'enfant. C'est pourquoi il décide de s'entremettre afin de lui procurer beaucoup de femmes jeunes et jolies, dont une éducation désespérément puritaine et une famille attachée aux principes d'économie, de religion et de travail l'empêchent de rechercher la compagnie.
. Bûcheur et austère
Parce que son père est à la fois savant, catholique, bûcheur et austère, Bertrand saura très tôt distinguer les adversaires du bonheur ou de la grâce, non pas celle janséniste et suffisante dont sa grand-mère s'efforce vainement de lni inspirer l'exigence, mais celle plus païenne qui le bouleverse en présence de jeunes femmes captivantes et pén;:trées d'effluves plus suaves que J'encens. Ainsi un discernement précoce (est-il meilleur viatique que la recherche du bonheur?) avertira Bertrand des dangers que les fondements de l'ordre établi _ vertu, religion, travail et famille - font C?urir à la possession de ces biens précieux entre tous, le plaisir et la joie. Un souffle d'irrévérence et d'irrespect passe sur ces pages, qu'un épicurisme souriant rend très proche de l'esprit oublié des livres d'Anatole France. André Couteaux a traité un thème qui court à travers la littérature de Rousseau à Montherlant, celui de 'l'entente idéale qui règnerait dans une société masculine où l'éducation, affaire trop sérieuse, serait retirée des mains des femmes pour être confiée aux pères e! ?ux fils. ,Qui n'a rêvé de cette complicite 'masculine que tous les adultes à travers la politique, le sport ou la ch~sse cherchent à retrouver comme la source de la force et de la sagesse? .
Litotes et marim.s
Les. fines notations psychologiques, les aphOrIsmes souvent incisifs jalonnent ce récit qui s'apparente, sans en avoir la profondeur ni la qualité, aux soties dont Gide était si friand. . Dans la littérature actuelle, Coutell,JJ.x ré~trodni! l'esp~t. ~ndeur et iron~que qUI en frut un herltler des petits maîtres du XVIII' siècle. Ce ne sont pas seulement l'irrévérence et l'ironie, le goût «le la litote qui rapprochent ce récit des récits du XVIIIe siècl~, mais. plus encore sa philosophie lIOllnante dont les axiomes démontrent que l'humanité se partage en ' bons sauvages et en adultes atrabilaires, les enfants, avant. que la société n'ait corrompu leurs dispositions natives, aidant les grandes personnes à s'affranchir des principes qui les oppriment_ Déj~ dans Un Monsieur de compa&nie, André CouteaUx s'inscrivait dans la lignée du roman picaresque, pnisque son héros, faute de pouvoir transformer la société, transgressait . à son avantage les conventions contraires au bonheur de l'individu. Ne serait-ce que par les maximes insolentes et pénétrantes dont il est émaillé, par sa langue alerte et son humour, ce livre charmant mérite d'être lu. C'est un divertissement léger et sans prétention, éerit par un hussard sentimental, Alain Clerval
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Un homme parle. Lentement, sans éclat, cherchant dans sa mémoire des repères effacés, hésitant parfois, parfois donnant l'impression qu'il invente, emporté par un sentiment plus vif, un peu de pitié, quelque indignation. Les confidents de ce parleur sont deux retraités comme lui, soigneux, discrets, dont on oublierait sûrement la présence s'ils n'intervenaient, un peu trop souvent, par des incidentes artificielles. Ce que raconte le narrateur pourrait s'intituler « Vies des hommes obscurs », ou plus exactement « Fins de vie ». Fins dérisoires autant que graves, replacées dans le contexte peu banal d'un métier qui est comme l'appendice du journalisme : celui de « préciseur », ou de « découvreur de précédents ». Ils sont quatre ou cinq qui passent la nuit dans un bureau bourré d'archives, perpétuellement agités, sur le qui-vive, sommés de fournir sur-le-champ tout ce qui se rapporte aux accidents de chasse, à telle catégorie de suicides ou de découvertes macabres, aux chiens volés ou aux princesses abandonnées. Malheur à eux si les archives ne
leur permettent pas de répondre leur a été collé par mille hasarda sans -délai : le directeur est capable indésirables » ; comme la plupart de terribles colères que subissent, des hommes, ils vivent par procuen courbant l'échine, ces pâles ga- ration de rêves impossibles, de relériens de la galère journalistique. . grets stériles, d'amours traversées. Il y a pis : le bureau des « préDans la texture du long monociseurs » est sous la coupe d'une logue qui constitue ce roman, ct. aelfemme, souvent remplacée, mais ques fils tranchent sur 'l'ensemble toujours par une autre femme. par leurs couleurs plus vives. C'est Cette dégradante gynocratie accroît le cas lorsque, quittant l'obsédant le complexe d'impuissânce dont huis clos du bureau des « précisouffrent Sollar, Martial, Bastien, seurs » - baptisé aussi « le débarRondoux. Rondoux a échoué chez ras » - , Bastien retourne à sa jeules « préciseurs » après avoir été nesse de théâtreux, à sa découverte « titreur » et à la suite d'un scande la femme" sous les traits d'une dale. L'exemple de sa disgrâce postière auxiliaire dont il fait tout n'est pas de nature à relever l'opi- à la fois sa Galatée et son Ophélie ; nion qu'ont d'eux-mêmes ses nou- c'est encore le cas pour Rondoux veaux collègues. Pour Sollar, ce partagé entre la femme volage et la sera la goutte d'eau qui fait débor- maîtresse fidèle... Embellies éphéder le vase : il sombre dans la fo- mères qui rendent après elles la lie. Bastien finira par le suicide plaine plus morne et font plus dans lequel Rondoux l'aura d'ail- sourde la voix de celui qui parle. leurs précédé. Si Martial et le narMais le besoin qu'il éprouve de rateur évitent ces extrémités, ils se ne pas couper les racines du passé survivent comme des épaves. confère au narrateur un reste de diS'étonnera-t-on qu'aucun ne lève gnité dont bénéficient par ricochet l'étendard de la révolte? C'est que les ombres qu'il ressuscite. Sans Léon Aréga les a choisis d'une étof- doute lui arrive-t-il de s'empêtrer fe qui n'est ni d'un saint ni d'un comme une mouche dans la toile criminel. Il les a voulus très d'araignée du souvenir. L'auteur le fait alors appeler à la rescousse moyens. En sont-ils moins exemplaires ? Peut-être. Pourtant, com- une date, un événement clé, ou enme des millions de leurs sembla- core s'aider d'extraits de presse, de bles, ils se trouvent « affublés, leur slogans, de chansons, de journaux Maurice Chavardès vie durant, d'un accoutrement qui intimes.
Un. h.omme. une . femme Jacques-Pierre Amette Elisabeth Skerla Mercure de France éd. 177 p.
Le thème est ténu, celui·là même auquel le nouveau roman et le nouveau cinéma (lâchement ou héroïquement) souvent limitent leur ambition : une coupe dans le temps. Ici celui d'une liaison uu homme et une femme s'aiment, se parlent, se quittent. Passade qu'on pourrait juger sans grand intérêt si l'auteur - après un premier roman 1 déjà singulièrement attachant ne témoignait d'un sens très sûr du récit, lequel est aussi l'art de mener jusqu'à son terme une histoire sans intrigue mais non sans âme.
Il y a d'abord une manière presque
constante d'épeler le monde en ses images les plus vives et les plus sommaires, qui ressortit a cette écriture cinématographique dont Jean-Luc Godard (plus que Fr-ançois Truffaut, à qui le livre est dédié) est le tenant le plus significatif. Eclats sonores et jeux d'une lumière toujours mobile, Jacques-Pierre Amette, ' écrivain sensible et sensuel, trou~'e partout un prétexte à faire avec des mots l'amour à la réalité. Follement heureux de vivre, de se frotter aux choses, aux formes, aux lumières de la ville, Thomas tire son bonheur de cette inépuisable diversité du réel qu'exaltait Victor Ségalen. C'est le monde « tel quel », avec ses niaiseries mêmes. Mais pas plus qu'au joli nom d'Elisabeth Skerla on ne peut rester insensible à la tiédeur de sa nuque qui hante
Des objets Michel Doury U/l matin froid Christian Bourgois éd., 288 p. Entre la province et Paris, entre le froid d'un matin de givre et la chaleur des corps qui se rencontrent hâtivement, flottent des cœurs sans importance. CI Partie paur Chartres un soir de givre, (vers Robert) Agnès se retrouve à Paris, après une nuit passée dans une auberge de campa&ne (avec Antoine).)) Agnès ne sait pas qui elle aime. Robert, CI un denti&fe qui a le spleen », Antoine, qui travaille dans la presse. Eux-même l'aiment sans gravité; ils l'amènent dans des .auberges de campagne, au Bois, chez Harry's... Antoine est plus brillant; il s'habille bien, voyage, séduit une dame blonde et chamelle à Anvers. Robert, lni, ne remporte qu'un cœur vénal, à la fin d'un repas solitaire et un peu lourd; il vit à Chartres, sombrement, dans une maison balzacienne. Agnès se décide, ne se décide pas... Dépitée (elle
Cl
jusqu'à l'obsession les rêves de Thomas Berthier. Car le héros incurablement romantique habite ici un autre monde et, celui-là, les apparences le censurent et le masquent. Il est celui de la pudeur et du silence. Et si l'écrivain, sommairement et parfois puérilement, jette ses mots c'est toujours, semble-t-il, avec le souci de rester en deçà du flux intérieur, de la vie des profondeurs. « Les mots [ ... ] c'était juste bon pour meubler le vide.» Ce temps de surface occupé, les rêves que l'auteur obstinément refuse de révéler forment la trame d'un livre onirique auquel le lecteur rève à son tour et que Jacques-Pierre Amette écrira peut-être, avec plus d'assurance et plus d'ampleur. Guy Rohou 1. Le Congé, Mercure de France éd.
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a surpris Antoine dans les bras de la dame blonde) elle épousera Robert. Antoine trouvera la mort, en vitesse, dans sa belle Bugatti. Ces cœurs qui n'ont pas de havre vivent sans vivre et leurs battements ne sont qu'une ponctuation. Faut-il incriminer l'égoïsme foncier des gens, ou une époque qui glace tout? L'auteur ne le dit pas. Il fait jouer à ses personnages de courts tableaux vivants. Les chapitres s'intitulent « Où ' il est question du mystérieux Robert », « Où l'on voit un revenant », comme dans les feuilletons fin de siècle. A l'intérieur de ces cadres, ils agissent, puis tout se désarticule et reprend à l'intérieur du . cadre suivant. Ils ont besoin de cette armature pour se tenir droit et bouger. L'auteur a conçu liOn roman de telle sorte que le chapitre 1 pourrait (à quelques changements de phrases près) se trouver à la place du chapitre IV, et vice versa ... On devine aisément, en filigrane, que ces soutiens, ces tuteurs, sont les objets «made» ou « remade» en 67 pêle-mêle : l'odo-
rono, Godard, le modem style, Knoll ... , tout ce qu'on hésite à aimer, parce qu'on doit l'aimer. Entre un express et un magazine, une voiture et un gadget, que reste-t-il? Une page blanche qui donne le cafard. C'est l'ère du bouche-trou. Des émotions naissent d'un joli papier d'emballage « Cette dame flamande jetant du pain aux cygnes, devant un béguinage, ém/d beaucoup Antoine.» ParIois il plante son chevalet et, en peintre du dimanche, naïf, brosse une scène de genre. Puis il joue, jongle avec les références, semble écrire en poussant un caillou du pied... Si ses personnages voyagent, ils envoient des cartes postales - mais de talent, comme Larbaud. S'ils ne voyagent pas, ils deviennent euxmêmes cartes postales : comme dans les films de Varda les pull-overs s'assortissent à la campagne, tout devient photogénique. Michel Doury use de discrétion; il a choisi le parti de l'ironie légère. Henri Gui&onma
ENTRETIEN A PRAGUE
Josef Nesvadba lui manque de pratÎllucr le hant;.tis. Il vient de rentrcr d'un séjour
,
plusieurs mois aux Etats-Unis. merveilleusement pratique, 1(/ science-fiction. Vous savez que j'ai ';crit quelques romans dans ce gellre. l'ai été d'abord invité à ·Iollller une conférence à l'association des amis de la science-fiction "'une grande ville. Ensuite, il suffisait de se laisser porter par le conTant. Les associations se repassaient. le conférencier. Comme on puie cent dollars par conférellce, j'ai pu vivre facilement. Il est intarissable sur son expérience américaine. Il fallait visiter l'Amérique pour trouver encore des marxistes fanatiques, à la chinoise! / maginez mon effarement de me voir attaqué par les étudiants de Brooklyn qui me traitent, moi, mon pays, l'Union soviétique, de rénégats, de réformistes qui défigurent le marxisme, trahissent la révolution, en voulant faire intervenir les notions capitalistes de rentabilité, de profit, là où il s'agit de faire appel ' à l'esprit de sacrifice du prolétariat pour construire le socialisme. Avouez qu'il est cocasse de découvrir des maoïstes aux Etats-Unis! Son prochain livre se déroulera dans un cadre américain. En général, me dit-il, les écrivains tchécoslovaques estiment qu'il est plus difficile de se faire connaître en France que dans n'importe quel autre pays occidental. L'Allemagne de l'Ouest publie régulièrement des traductions d'auteurs tchèques, en Angleterre, en Amérique, on commence à les connaître. Un film tchécoslovaque a gagné un premier prix au festival de Venise, il y a de nombreuses années déjà, mais le film n'est pas encore sorti en France. Les Polonais, les II ongrois semblent avoir plus de chance chez vous. Evidemment, nous sommes des gens moins pittoresques; il y a bien longtemps ql.fe nous ne jouons plus les Don Quichqtte.
C,.'~t
Jose! N esvadba Cal mann-Lévy vient de publier un roman d'un auteur tchèque : losef N esvadba. La Découverte du docteùr Dong est une aventure policièr,e commencée au Vietnam du Nord et continuée à Prague. A travers' des rebondissements imprévus apparaissent des situations révélatrices pour les problèmes du monde socialiste : le raidissement psychologique dans un pays sous-développé qui veut construire le socialisme et se débat avec la pauvreté de ses moyens et les difficultés d'une guerre révolutionnaire ainsi que les méfaits du sectarisme qui, au nom de l'idéologie, impose une politique économique qui épuise la Tchécoslovaquie. La méfiance inévitable du Vietnam pauvre à l'égard du « pays frère », qui, po,r comparaison, paraît comblé. La jeunesse démoralisée par les prétentions officielles démenties par la réalité qu'elle a devant les yeux. Les opportunistes résignés, les carriéristes cyniques et les communistes sincères qui ferment les yeux par fidélité à leur idéal. Enfin, un nouveau type d'homme qui lutte pour sauver les valeurs révolutionnaires de l'esprit scientifique et du respect de la vérité. Anne Forestier, s'est entretenue à Prague avec l'auteur. D'une quarantaine d'années, lourdement bâti, énergique, un peu brusque même, il est de ceux qui vous mettent immédiatement à l'aise. Sans cérémonie, il se débarrasse de la personne qui s'était pourtant donné bien du mal pour arranger cette entrevue. Je suis un peu gênée de m'embarquer dans la voiture, alors que mon guide reste sur le trottoir. Nous serons plus à l'aise pour bavarder. La prochaine fois, téléphonez-moi. Vous n'avez pas besoin d'introduction. La conversation se poursuit en anglais. Il s'en excuse. L'occasion
pétitives. Nous devons nous moderniser. importer des machines, renoncer à des productions de prestige, non rentables. De quoi payer nos importations? C'est un cercle vic~eux.
Il s'inquiète de l'état d'esprit de la jeunesse. Le conformisme mensonger des années staliniennes a dégoÎlté les jeunes. Ils ne veulent plus croire à rien. Nous sommes au premier rang des statistiques quant au pourcentage des suicides juvéniles. Il me demande si j'ai décelé les signes de fatigue, de désenchantement. Voyez-vous, on leur a trop menti, on a trop célébré les succès du socialisme, alors que la pauvreté s'étalait partout. Ils veulent vivre enfin, Ils se croient réalistes. Tout ce qui les intéresse, c'est le confort. Ils veulent une voiture, la télévision. le les comprends, mais c'est encore un mensonge. Si chacun se replie sur lui-même, nous allons au suicide national. J'essaie de discuter. N'est-il pas trop impatient? Le pays s'ouvre au monde. Les théâtres jouent des auteurs de tous les pays: Miller et Pinter, Giraudoux, Thornton Wilder, aussi bien que Dürrenmatt. Dans la même semaine, les ciné-
La jeunesse S'il désire le succès de son livre, ce n'est pas seulement par vanité d'auteur. Il voudrait venir en France. Le passeport ne pose aucun problème. Mais les devises? Nous sommes devenus un pays pauvre. C'est un problème qui le hante. Il est diW.file de le faire revenir 'à la littérature. L'avenir de son pays l'angoisse. Nous sommes un vieux pays industriel. Le seul, avec l'Allemagne de l'Est, de tous les pays socialiste.s. Nous nous sommes épuisés à équi.. per les autres, à fournir des produits industriels à tous les pays . socialistes, au tiers monde, à créer une industrie lourde pour laquelle nous n'avions pas de sources d'énergie, de matières premières. Pelldant ce temps, nos installations se sont usées. Nous risquons de nous transformer en musée historiqILe de l'Europe industrielle du X/Xc siècle. Nos industries ne sont pas com-
l.a Ouinzaine littéraire. 1" au .15 avril 19fi7.
Jeunes gens de Prague.
mas affichent Alphaville, Brigitte et Brigitte, la Nuit, le Septièm.e Sceau. J'ai des billets pour un ballet sur de la musique électronique. Les traductions d'auteurs étrangers sont arrachées dès leur parution : le jeudi, quand les livres sortent, on fait la queue devant les librairies. A Prague, la ville est couverte d'échafaudages. On ravale les vieilles mai-
sons, on installe des musées, on restitue dans leur état premier les pius anciens monuments d'art, et l'on construit, on répare les chaussées. La circulation aux heures d'affluence est engorgée comme dans les capitales occidentales. On me dit qu'il n'y a plus de censure préalable. C'est vrai. Mais que faire si les gens ne croient plus ? S'ils se méfient? Les jeunes écrivains ne veulent plus entendre parler de grands problèmes. Ils se réfugient dans des recherches formelles, dans la vie intime. Et les éditeurs guettent le moindre signe de durcissement. Le réflexe de la peur est vite déclenché et l'on se précipite pour soumettre spontanément les manuscrits pour avis.
Don Quiohotte Il me dit que deux ou trois ans plus tôt, c'était une véritable explosion. Les éditeurs publiaient tous les manuscrits, les théâtres montaient toutes les nouvelles pièces. Dans tous les domaines c'était l'impatience de rattraper le temps perdu_ Tout paraissait possible. Maintenant on s'aperçoit que le pays est devenu pauvre. On compare. On s'aigrit. Ce ne serait pas étonnant si les autorités essayaient de mettre les freins. Vous ne pouvez pa§ vous en apercevoir, mais le pays est sensibilisé. Le moindre signe provoque des échos. Un livre attaqué effraie les éditeurs. Et les doctrinaires obtus n'ont pas tous disparu. Les souvenirs sont trop proches. A quoi bon prendre des risques ? Nous ne sommes pas un peuple de Don Quichotte, je vous l'ai déjà dit. On ne veut pas avoir d'ennuis. On défend son confort durement acquis et bien relatif. Peut-être ne risque-ton rien? Mais il suffit que la méfiance s'éveille. Chacun se replie sur soi. Les jeunes ne voient pas que leur indifférence aux grands problèmes nationaux nous conduira tous à la ruine. Je l'écoute. Cet homme lucide, qui s'interroge sans cesse, qui n'accepte aucune affirmation sans preuve, ni d'autrui, ni de soi-même, révèle pourtant l'impatience qu'il dénonce, le découragement qui résulte de la volonté de tout rattraper et qui se heurte à l'inertie de la réalité qui résiste. Toute la structure de notre industrie serait à repenser. Nous sommes devenus pauvres à force de servir d'étalage au socialisme. Trop longtemps, nous étions les fournisseurs de nations fraîchement émancipées ou ruinées par la guerre. Nous avions mauvaise conscience d'avoir été relativement épargnés. Nous devions aider les pays agricoles à s'industrialiser. Or nous sommes en retard. Pour nous moderniser, renouveler 'nos structures, nous devrions importer. Mais pour importer, il faut vendre et nous n'avons pas de devises. Tant que ~ 7
COLLECTION
"LIBERTI:
DE
L'ESPRIT" ••
RAYMOND ARON;• • membre de l'Institut
L'OPIUM DES INTELLECTUELS \
LE GRAND DEBAT Initiation à la stratégie atomique
• •• •
LITTÉRATURE ÉTRANGÈRE
Josef Nesvadba
PAIX & GUERRE ENTRE LES NATIONS •• nous vwwns en vase clos, on pou• • • • : • • • • • • • • • • • • : • • • • : • • • • • : • • • • • • • • • • • • • • • •
ESSAI SUR LES LIBERTES
vait encore s'y Vomper. Nous passions pour riches auprès des peupIes pauvres. Les peuples pauvres, leur mystique révolutionnaire l'impatientent et l'attirent à la fois. Un voyage au Vietnam fait comprendre bien des choses. La guerre, la révolution, pendant des dizaines d'années, cela produit un durcissement aveugle, tue l'humour, rend manichéiste. La réalité doit se plier aux principes. L'évidence est niée. Il sourit tout de même à un souvenir. Figurez-vous, en visitant la baie de Haïphong, j'ai eu l'idée bizarre qu'on pourrait y faire un bon film sur les contrebandiers. Tout le monde sait que la région en était remplie. Evidemment j'étais un nouveau-venu, je ne pouvais pas prévoir la réaction que j'allais provoquer. Le Vietnamien qui me guidait me toisa du regard et déclara avec une sévérité indignée que c'était une diffamation des ini:périalistes, qu'il n'y avait jamais eu de contrebandier.s à Haïphong! On perçoit dans cette raillerie une nuance de regret, presque la honte d'être raisonnable et pratique, de ne pas avoir un passé héroïque, d'être trop jeune pour avoir connu l'exaltation révolutionnaire. Je retrouve le ton ironique et douloureux de la Découverte du docteur Dong. Les scènes qui décrivent les vieux militants des' années trente qui s'aveuglent volontairement pour préserver une image du passé. lIen veut presqUe à sa lucidité. L'inquiétude chez lui procède de la volonté d'agir, de retrouver les valeurs révolutionnaires, en les débarrassant du mensonge, de . l'emphase, pour qu'elles redevienJ;lent source d'initiative, d'action responsable. Nous arpentons le beau parc de la Maison des écrivains. Sa démarche' est ferme et son œil enregistre tout. Le paysage, les gens qui passent. Un enfant perd-il son balIon, Nesvadha le ramène tout en continuant la conversation, comme il prend une valise des mains d'une vieille femme et reprend la phrase interrompue, avec le fardeau hissé sur les épaules. En repensant à cette entrevue, il me semble que Josef Nesvadha incarne assez bien la Tchécoslovaquie d'aujourd'hui, et particulièrement la génération à peine sortie de l'adolescence à la fin de la guerre. Ecœurée par le mensonge, c'est une génération qui se méfie des mots . Elle veut agir les yeux ouverts. Est-il aussi seul qu'il se l'imagine? Je ne le pense pas. J'en ai rencontré
Alejo Carpentier Guerre du temps trad. de l'espagnol par René L. F . Durand Gallimard éd., 176 p .
Parlant d'un personnage de son théâtre qu'il voyait circuler sans façon hors de l'époque. Lope de Vega se demandait': « Quel est ce capitaine, quel est ce soldat de la guerre du temps ? ». Romancier pour lequel passé et présent offrent une même source d'inspiration, Alejo Carpentier réunit aujourd'hui sous ce titre souple, .'Guerre du CHARLES -OLIVIF.R temps. cinq nouvelles très difféCARBONELL rentes par la forme et par le contenu mais d'une indiscutable qualité. En fait, la première nouvelle, « le Chemin de Saint-Jacques », ne nous introduit pas dans 'le monde de Lope de Vega mais dans celui de Cervantes, et plus exactement de l'auteur des Nouvelles exemplaires. Les aventures de Juan, soldat espagnol des armées de Philippe II, sont dignes des péripéties de ses contemporains : le Licencié de verre, Rinconete ou Cortadillo. Tambour en Flandres - les Flandres que le duc . d'Albe couvre du bruit de ses amours et de ses fastes - Juan arrive à Anvers où fièvres et bubons semblent lui annoncer que 'la pe,s te le guette. Une nuit, sur son grabat, il aperçoit la Voie lactée qui blanchit le firmament et qui préfigure le chemin de Saint-Jacques-de. Compostelle, route du pèlerinage qu'il doit suivre s'il veut échapper à son mal. Devenu pèlerin, il traverse la France, de couvent en hôpital et arrive à Burgos où une grande foire bat son plein. Les propos d'un camelot qui revient • des Indes et égrène ses souvenirs • 'du « pays de cocagne » le pous• sent à renoncer à son pèlerinage et • à obliquer vers le ·Sud. Il s'embar• J..:.. < ...:....:....:..::.:........:::::==~~ que à Séville, arrive à La Havane, : livrée à la débauche et à la corrup• tion, tue un pipeur de dés et s'en• fuit à cheval vers les montagnes • où il vit avec deux négresses dans • • un grandiose paysage tropical. Mais : au bout de mois innombrables, Juan tombe malade de langueur. • Il repart pour l'Espagne, fait esca• le aux Canaries alors en proie à • • l'hystérie de l'inquisition et, sous le • nom de Juan l'Américain, devient marchand de « merveilles exotiLa première sélection : d'ART PILOTE permet • ques » fabriquées à Tolède. A Burà.chacun de choisir selon • gos, il retrouve son double, Juan ses goftts: elle comporte . • le Pèlerin, avec lequel il s'emb~l.r • 8 lithographies magistraque une de~xième fois pour l'Amé• les des grands représenrique, en colonisateur cette fois ..·. tantsdesFiguratüs:YVES SIN GIER "Lithographie n° 2" 1966 • et avec la bénédietion de saint J acBRAYER, BERNARD • BUFfET, CARZOU, -:1 • beaucoup de son espèce: cinéastes, ques! MINAUX et non Figu-I BON à adresser à ART PILOTE 22, rue dei • artistes, savants et ingénieurs. Sans Répétons-le, on ne peut s'empêratüs : MANESSIER, Grenelle _ Paris 7 e • amertume, avec un peu de sceptiPRASSINOS, S~NGIER,I Veuillez m'adresser gratuitement et sans 1 • cisme, ils interrogent les faits, veu- cher de penser ici à une nouvelle ZAO~OUKI,tIr~àunlengagementdemapartvotre documentationl : lent .se colleter avec le monde tel picaresque, mais à une nouvelle qui tr~ petit n?mbre d exem- en couleurs. qu'il est, refusent l'illusion. Cet anti- serait la synthèse parfàite de toute • héros qui préfère paraître prosaïque une époque : celle de Philippe II, platres et sIgnées par l'ar-I ' . tiste, payables en 3 ou 10 Nom . . , . , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , . , , , . , , ' l•I A putot que d e sel alsser gnser me roi d'une Espagne puissante et sormensu~lités. ~emandez Adresse ", ,' , , , , , , , , , , . , , , , , , , , , , , , , semble le modèle de courage qu'il dide qui avait sa capitale matérielle dès aUJo.urd,'hUl un~ docu. Il. f à Séville et sa capitale spirituelle mentatlOn gratUIte en ~I. aut à notre temps. couleurs. ., .. • 'Anne Forestier à 'Saint-Jacques, et qui maintenait
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ou implantait ses chimères et ses excès tin Italie, en Flandres et dans presque toute l'Amérique. Une cinquantaine de pages suffisent au romancier pour nous donner, par une infinité de détails pleins de précision et de rigueur historiques, sa vision colorée d'un temps qui fut particulièrement complexe. Nous retrouvons là le procédé qui faisait le charme du premier grand roman de Carpentier, le Royaume de ce monde!, consacré à SaintDomingue et à l'épopée du roi nègre Christophe.
Retour aux sources Un autre charme du « Chemin de Saint-J acques » tient à la qualité des images suggestives. En effet, qui, en lisant par exemple les pages où Juan découvre le port d'Anvers, ne se prend à songer qu'il s'est arrêté lui aussi pour contempler, parfois durant des heures, le prodigieux spectacle du débarquement des marchandises ? Pourtant avonsnous jamais eu la vision du tambour des Flandres : « Alais tout à coup s'ouvrit une écoutille et ce fut alors comme si le soleil avait éclairé le crépuscule d'Anvers. Tirés des pénombres d'un entrepont, apparurent des orangers nains, tous incendiés de fruits, plantés en des demi-tonneaux qui formèrent bientôt une avenue embaumée sur le pont » ? Et ce rat, que nous avons tous suivi dans ses exercices de funambule au long des cordag~s, était-il comparable à celui que l'imagination créatrice de Carpentier immobilise dans sa course? « Le rat s'était arrêté en arrivant au quai, comme un étranger qui, débarquant dans une ville inconnue, se demande où sont les auberges. » Souvent ces images s'ordonnent et s'assemblent pour constituer une suite de pittoresques scènes de genre, une sorte de grand retable aux panneaux débordant de vérité et d'invention, de réalisme et de poésie : la vie à Anvers à l'heure espagnole, les pèlerins sur le « chemin français », la 'foire de Burgos, la fièvre coloniale de Séville, les sortilèges et les vicissitudes de La Havane, les horreurs de l'Inquisition, etc. C'est sans doute là l'aspect « baroque» de l'œuvre de Carpentier, ce baroque sous le signe duquel, récemment encore, l'auteur du Partage des eaur plaçait les meilleurs écrivains de la nouvelle littérature hispano-américaine. Ce qui est vrai, au moins pour tout ce courant qui va du Mexique et des Antilles au Chili, en passant par l'Amérique centrale, mais en évitant le Rio de la Plata, à la fois moins hispanique et pJus fantastique. Car Borges et Cortazar, en particulier, ne nous paraissent pas être des écrivains « baroques ». La deuxième nouvelle, « Retour aux sources », est peut-être celle qui justifie le mieux le titre du recueil. Et là encore, l'idée origina-
le sur laquelle elle repose n'aurait pas déplu à l'auteur du ({ Licencié de verre » et du ({ Colloque des chiens ». Remonter le temps, ou plutôt le renverser, tel est en effet l'ingénieux propos du récit. Flanqué de la statue d'une Cérès qui pince les lèvres de dépit, don Martial assiste à la démolition de sa demeure. Lorsqu'il introduit la clef dans la serrure de la. porte principale et se met à ouvrir les fenêtres de la maison reconstituée, le vieux marquis commence à vivre sa vie à rebours. Le voici d'abord ({ sur son lit de mort, la poitrine bardée de médailles, sous la protection de quatre cierges aux longues bavures de cire fondue_ » Puis, peu à peu, les cierges cessent de couler et reprennent leur taille normale, le prêtre arrive pour l'extrême-onction suivi du médecin qui a un ges-
baroque veilleuse trame de l'imagination soumise à la rigueur de la raison : car, à tout moment, la vie du protagoniste a l'authenticité de la réalité quotidienne, une réalité étudiée par le menu et fourmillante de détails précis, comme toujours chez Carpentier. La technique, cette fois-ci, est celle du Partage des eaux : mais ici, on ne remonte plus le temps des civilisations, on jongle habilement avec le temps individuel. La troisième nouvelle, ({ Pareil à la nuit »~ est une rêverie de lettré sur le thème du départ - du départ des guerriers occidentaux envoyés pour christianiser l'Amérique indienne et comparés aux Achéens d'Agamemnon qui s'élancèrent à la conquête de Troie. Commencé dans un style à la française, qui évoque à la fois l'abbé ·Pré-
ce de maison. L'arche terminée, tous les animaux de la grande forêt américaine, y compris les serpents, les caméléons et les tortues, se précipitent par couples dans l'énorme canot où Amaliwak, ses enfants, ses petits-enfants et ses arrière-petits-enfants s'enferment à leur tour quand la voix de l'Auteur-de-Toutes-Choses retentit, accompagnée de pluies torrentielles qui, dans la nuit soudaine, entraînent l'embarcation sur des rapides furieux. Va-t-on assister à une nouvelle Genèse? Il n'en est pas question car, brusquement, le ton change, et le merveilleux mythique s'efface dev!lnt la satire et l'humour. Les élus d'autres religions ont été également avertis par le créateur et ont construit leurs arches, des arches qui heurtent maintenant les flancs du grand canot d'Amaliwak et d'où surgissent les patriarchescapitaines: l'Homme de Sin, l'Homme de Jéhovah, Deucalion, OurNapishti.m et, bien entendu, Noé, tous orgueilleux de leur fonction et ... pochards impénitents. Lorsque l' Auteur-de-Toutes-Choses conseille à chacun de se retirer vers ses rivages, ils comprennent que le danger est écarté. Mais déjà, entre les peuples qu'ils dirigent, les luttes reprennent ...
L'humour
Alejo Carpentier
te découragé alors que le malade se . sent mieux et rejoint les hommes de loi pour rédiger son testament. Les aiguilles de la pendule tournent à l'envers, indiquant six heures, puis cinq heures, puis quatre heures. Don Martial de Chapellenies devient veuf, puis se marie avec la marqui~ se, passant des après-midi entiers à l'embrasser avant de lui donner son premier baiser de fiancé, derrière un paravent. Un court séjour au séminaire et voici que les meubles s'élargissent et que le petit marquis joue avec ses soldats de plomb, à plat ventre sur le tapis, et écoute, un peu plus jeune, les contes féeriques du vieux domestique ou s'amuse, plus jeune encore, avec les chiens, pour regagner finalement le ventre de sa mère. Le monde qui l'entourait reprend alors· sa forme originelle : les meubles redeviennent arbres et racines, les couvertures de laine se détissent et arrondissent la toison de moutons vivants, des poils poussent sur le daim des gants ... C'est un éblouissant ({ retour aux sources » qui nous est proposé. Conte fantastique à la Borges ? Non. Simplement, mer-
La Quinzaine littéraire, 1" au 15 avril 1967_
vost et Chateaubriand, le récit prend le ton de la sensualité distante chère au marquis de Sade quand le héros évoque l'échec de sa nuit de . noces avec une fiancée jetée dans son lit par l'imminence de la séparation. L'érotisme dicte avec bonheur les images : ({ Je contemplais les · embarcations alignées à mes pieds, -avec leurs quilles puissantes, leurs mâts au repos entre les bordages telle la virilité entre les cuisses du mâle... »
L'arche de Noé « Les Elus » est une nouvelle bâtie à partir de la légende d'Amaliwak, projection précolombienne du mythe de l'arche de Noé. Comme Noé, Amaliwak :q'est pas à proprement parler un dieu, mais « un homme qui sait », un sage vénéré dont le destin est un exemple pour les membres d1,l son clan. Amaliwak convoque sur les rives d'un lac des trmus ennemies et leur fait abattre des centaines d'arbres pour construire un · gigantesque canot à trois étages surmonté d'une espè-
Ce sens satirique mêlé de burlesque' --:- l'inspiration même de M. A. Asturias - nous le retrouvons dans la dernière nouvelle : ({ le Droit d'asile », consacrée, elle, à l'une de ces monstrueuses et caricaturale~ dictatures qui empoisonnent la vie de l'Amérique latine depuis l'Indépendance. Le général Mabillan àyant renversé le Président pour le compte duquel . travaillait Ricardo le secrétaire, celuici réussit à se réfugier dans une ambassade hispano~américaine proche du palais présidentiel. Comme il s'ennuie, il sè met à faire avec . talent le travail de son hôte, un· vieil imbécile, et profite même de ses absences pour se livrer à de joyeux ébats sexuels avec l'ambassadrice. Un beau jour, il obtient sa naturalisation en mê~e temps que sa nomination d'ambassadeur en remplacement du vieillard limogé. L'ambassadrice devient sa secrétaire et Ricardo présente ses lettres de créance à Mabillan au cours d'une scène d'une délirante cocasserie. L 'humour qui affleure partout dans Guerre du temps est une note nouvelle dans l'œuvre d'Alejo Carpentier. Pour le reste, nouS retrouvons dans ces cinq nouvelles toute la richesse verbale, toute l'envoûtante splendeur de langage d'un des maîtres du roman hispano-américain contemporain. Claude Couffon 1. et 2_ Traduits de l'espagnol par René L.F. Durand, coll. « -La Croix du Sud JI, dirigée par Roger Caillois, Gallimard éd.
ENTRETIEN
Un expérimentaliste italien Emilio Tadini [,es Armes Z' Amour
traduit de l'italien par Cl. A. Ciccione Rohert Laffont éd., 585 p.
Dans l'Italie de 1857 travaillée par le Risorgimento, un aristocrate patriote, brisant un exil volontaire où le maintenait sa vocation d'écrivain partisan, s'engage physiquement dans l'épopée libératrice et la lutte inorganisée (qu'il rêve à maturité) contre la monarchie bourbonienne. Avec que 1 que s compagnons, il prend la mer vers le sud pour soulever la Basilicate. Au passage, il libère et arme les prisonniers de l'île de Pollia, pour la plupart soldats des armées régulières. Ce sera sa première et unique action. A Naples se consommera la déception de son entreprise. En face de la foule hostile qui s'avance vers lui au lieu des insurgés qu'il croyait rallier, il ne lui restera plus qu'à mettre fin à ce qui n'aura été que sa propre aventure. La fable est brève. Mais en elle se tisse (l'auteur emploie de préférence et fort souvent la métaphore du tricot) et se dénoue le récit d'une
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Les Lettres Nouvelles Au sommaire du n° de mars-avril:
Gombrowicz André ',Frénaud un inédit de
Sade Des essais sur
Malcolm LOWry Kateb Yacine Saul Below Revue internationale, Actualités.
Diffusion Denoël Ü)2 p ., 6 F
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existence entière en ces temps multiples et fugués. Saisons de la mémoire - indices d'un passé auquel il continue cc éternellement ) à se référer - dérives des possibles, cc mots et images », où la cérémonie, toujours funèbre, fête à rebours, fixe à travers les décors la représentation d'instants embaumés, d'un présent écoulé et sans cesse absenté. L'enfance, l'adolescence, les échecs accomplis et l'attente de ce qui devra arriver défilent dans un passé continu qui submerge et repousse le présent. Temps achevés et traumatisants où figurent les adultes (la mère inconséquente, l'oncle modèle, le frère aîné, la sœur concurrente et complice, le père absent). Temps de la jeunesse, à un passé plus proche et non encore dissous, carrière militaire échouée face à celle du frère, officier bourbonien désormais ennemi ; amours soldées par un mariage conforme à sa classe ; affections et souvenirs fixés par la sœur, vestale c( gardienne du passé, du mausolée familial )). Plus proche encore, une journaliste rencontrée au cours d'un exil en Angleterre, image nouvelle de la femme et, de surcroît, sujet britannique et autonome de Victoria, la reine bourgeoise de , la stabilité et de l'unité. Ce désir de liberté qui le hante depuis l'enfance, le héros voudra le comhler dans l'aventure qui commence . Le temps d'un voyage, l'action projettera de dissoudre simulacres et fantasmes, visages et souvenirs, flux et reflux verbal. De cette traversée ne restera pas plus de trace que du sillage du navire qui fuit et que le héros, centre, proie et vertige, ne parvient pas à habiter. Un avenir hypothétique feindra cependant de se conditionner par une accumulation de possibilités, de probabilités qui cc n'ont une valeur objective que lorsqu'on les formule a priori », et qu'un présent ineXprimable annule c{ au fur et à mesure ». Récit écrit donc à des temps divers, passé, futur, conditionnel : temps historiques, physiques, psychanalytiques, linguistiques pour fasciner le présent, centre, point aveugle, point de fuite, où réside et se perd ie héros. Au cœur anony\Ille de l'histoire, « il», non-personne, poursuit la liberté absente. Le monde où, immobile dans sa fugue, il se déplace n'est qu'un décor : Lugano et ses constructions dans le style de l'Empire du Milieu devenu « empire du tourisme ) ; le bateau, la prison dressés pour un simulacre d'action héroïque que sa {( confiance dans la limpidité du miroir de la littérature ( ... ) aurait dû réfléchir en images somptueuses. dignes de son histoire ». Temps mêlés, futur et passé, historiques ou intérieurs, tricotés ensemble, déversés en un fleuve de six cents pages où erre et va d'où il vient - situation exil - celui
Après Les pauvres sont fous, Cesare' Zavattini, l'auteur de quelques films célèbres qui vont de SciuscÎa à Miracle à Milan, publie en français une curieuse Lettre de Cuba (coll. {( Les Lettres nouvelles »), Denoël éd.). Juliette Raabe l'a rencontré à Paris. Il lui a dit: - L'écrivain-cinéaste doit lutter sans cesse. Car le cinéma est cruel. Cruel, comme tout ce qui paie bien; Le cinéma est dévorant. Faire un scénario, même s'il n'est pas hon, Emilio Tadini c'est cinq, six mois de travail.. . Je voudrais bien réussir à me libérer un peu du cinéma. qui traverse une absence. cc Il » Quand j'écris le dialogue d 'un (D'introduit les autres, suppléants film, je ne sors plus de ma chambre, et suppléments, que pour mieux les pendant des semaines; mais touexclure de cette dérive solitaire et jours j'espère en finir et me reanonyme. trouver assez libre pour terminer Ici, l'histoire demeure le champ tel livre ou pièce que j'ai annoncé clos où s'inscrit l'aventure de l'acdéjà trois ou quatre fois. Vous teur qui renonce à s'écrire. Le Risavez ... on annonce un livre ... , on sorgimento se fonde naturellement croit qu'il existe, ({ même s'il n'est comme le lieu privilégié et obligapas écrit; c'est juste une question toire du récit - commémoration, de temps ). Nous avons en nous concordance, prophétie - devenir une chose que nous devons exprimer, nous croyons qu'elle est là, créateur et espérance de maturité. L'Unità investit celui qui, encore pour toujours, nous disons : cc Domani, allora... ), et à un certain divisé, poursuit en exil, par sa promoment nous découvrons que cette pre Enéide (Arma virumque ... ) le chose a changé de son, a changé lieu où etablir sa Patrie. Mais de sens. Ce que nous voulions dire l'Histoire justement place cette réminiscence anticipée au centre de avant, nous ne le dirons plus jamais. ce qui n'a pas été. A nouveau, elle C'est ainsi : on exprime parfaiteremet à jour et perpétue la division ment bien une chose, au moment toujours contestée, au terme de cette où elle a besoin d'être exprimée, longue phrase récupératrice du et à ce moment-là seulement. L'âge, temps qui l'emprisonne. Mais qui l'évolution, voilà ... parle ? Plus sûrement que la première personne, ce cc il) fictif, La fragmentation hors-je(u), non responsable, non libre, proie d'un moment objectif de l'Histoire, n'est-il pas le signe de Chaque âge a sa justification : l'auteur? être, s'exprimer; c'est suffisant. Mais pas plus que le héros ne Il ne s'agit pas d'avoir la nostalgie pouvait accomplir son destin à ve- de ce que nous avons dit, ou pas nir, le récit ne pourra accomplir la dit, seulement peut-être la nostalperformance d'une écriture au pré- ' gie de retrouver le même esprit libre sent. Le projet partout s'explicite, et clair pour exprimer ce qui, dans se commente, se reflète dans un ro· le moment présent, est notre rapman préconçu qui double et annu- port avec la réalité. A mesure que le le roman à écrire. La métapho- je vieillis, j'ai l'impression de parre avorte dans un symbole sans courir une sorte de sinusoïde : il cesse donné comme itinéraire entre y a des moments où je suis projeté ce que l'auteur dit ct ce qu'il pré- en avant, et des moments où je tend dire. Le temps, malgt-é les m'affaisse et où je pense que cerouvertures dans la chronologie, taines choses que j'ai exprimées à n'échappe pas à sa linéarité, n'écla- une certaine époque, dans le passé, te pas. je ne peux plus les exprimer aussi Ce premier roman d'un écrivain bien qu'avant; cependant je ne connu jusqu'ici comme poète ne se désespère pas, je cherche à contilibère pas de sa condition de fourre- nuer ce que j'ai été; ce n'est pas tout, héritage préalable d'une œu- facile. L'âge apporte naturellement vre naissante. Mais, par sa recher- avec lui certaines façons de voir che formelle incontestable et avec et de sentir qui peuvent nous rentous les manques, il apparaît com- me moins lucides_ Le monde évome un témoignage de cette révolu- lue, devant nous ; nous ne pouvons tion 1 i t t é rai r e irrévocablement pas ne pas le voir, mais il ne l"cnamorçée qui donne privilège à suit pas fatalement que nou,> arril'écriture. Pour être isolée, cette vions à comprendre le déroulcDlf'nt expérience, en ce qu'elle est celle des événements; il faut ~ 'efforcer d'un écrivain italien de quarante de garder continuellement les )"f'UX ans, se révèle en bien des points ouverts de façon à ne pas laif:~er solidaire de celles des groupes ex- se transformer le monde, se p~o périmentalistes les plus avancés en duire une modification quelconqllc Italie. sans que nous nous en soyons A.-R. Fouque aperçu_ Il faut essayer d'avoir tou-
Zavattini, l'écrivain -cinéaste jours conscience du rapport specIfique qui doit s'établir entre le monde extérieure, en continuelle évolution, et une certaine continuité, une certaine valeur permanente qui est en nous. Cet effort de synthèse, d'unification, il n'y a rien de plus important. Et c'est vrai dans tous les domaines. On me demande comment je concilie mon activité de scénariste et mon activité d'écrivain. Ces deux activités devraient être une activité unique. Le grand drame de la culture moderne, c'est cette continuelle fragmentation : écrivain-cinéaste, une alouette-un cheval, comme le pâté. C'est très mauvais. L'unification est la nécéssité numéro l, si l'on veut que le cinéma cesse d'être cet ensemble confus et plein de comprOlnis... Mais il ne faut pas se justifier en répétant que l'on n'est jamais libre lorsque l'on fait un film. Le cinéma revêt, de par sa nature même, un aspect de comprOlnis; mais il y a des metteurs en scène entièrement libres, et même des scénaristes, quoique cela soit plus difficile.
de liberté, une capacité d'expression sans précédent; malheureusement, et paradoxalement, les entraves imposées grandissent en proportion. C'est un problème terrible, et même monstrueux, que d'avoir à se refuser le moyen d'expression le plus généreux qUi e~ste. La télévision tente de se justifier par l'alibi de l'information, mais une image, une suite d'images, quand on n'a pas le courage ou le droit de chercher le langage qui permette de pénétrer sous cette image, de voir le problème à fond, ce n'est qu'une supercherie : on provoque une émotion « sectorielle » et superficielle, c'est tout_ On n'a apporté aucune contribution à la connaissance. Je pense à certaines images
Le prooessus de oréation
biographie, ce qui est la forme de récit la plus subjective qui soit. La connaissance et l'action sont liées, on ne doit pas les séparer. Encore une fois, en face du fractionnement qu'encouragent tous les réactionnaires, il faut chercher l'unification, la synthèse, entre objectivité et subjectivité. La plus grave difficulté de notre époque vient peut-être de ce développement gigantesque de l'information, alors que tout le problènie de la connaissance serait à renouveler. De la même manière l'enseignement scolaire devrait être passé quotidiennement au crible de la critique; sinon, on aboutit à la situation actuelle, qui est absurde : les .individus auxquels on a inculqué
cès traditionnel avec une forme d'expression non traditionnelle. Le désir de succès implique encore un pacte a priori, qui diminue d'autant la liberté et la lucidité du créateur. D'où la nécessité d'un nouveau type de contact. De ce point de vue, le cinéma permet certainement uniapPort pl~ direct, dépouillé du voile des mots que ·l'écriture. interpose entre le lecteur et l'écrivain. En fait, on est loin d'y parvenir: par la faute de la litterature, on se met à chercher un « style », et c'est une nouvelle sorte de voile qui s'interpose, cette fois entre le cinéaste et l'ÎI,nage. . Tournèr la têté sans arrêt, à toute vitesse, pour tenter d'obtenir
Ce&are Zavattini
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Quelquefois on fait un scénario comme on l'aimé et, quelquefois, on le fait avec des compromis. Mais je ne mets pas le film dans une position différente de celle d'un livre. Si je ne fais pas un film comme un livre, c'est parce que j'accepte un compromis, mais il est possible de faire un film comme un livre, et, pour cela, il faut lutter contre la tentation de travailler dans . le cinéma en acceptant une morale cinématographique qui serait différente de la morale de l'écrivain. Tous les problèmes de la littérature se retrouvent dans le cinéma, mais d'une manière différente, et c'est une de ces réalités nouvelles que nous découvrons en ouvrant la fenêtre: l'élaboration intérieure qui est possible, par exemple, pour un petit conte, ne l'est plus au cinéma, et une prise de conscience encore plus étroite, encore plus intransigeante devient indispensable. J'ai merais raconter à l'écran le processus de création d'un film, depuis le moment où il a été conçu par le scénariste, jusqu'au moment où il est livré au public dans les· salles_ Montrer ainsi la part de la liberté et la part du conditionnement serait un apport considérable à la lucidité des auteurs aussi bien que des spectateurs'.
James Bond . Ce qui est terrible c'est que les moyens d'expression les plus efficaces sont entre les mains de gens qui ne veulent pas s'en servir pour exprimer la réalité. Par sa technique, le cinéma et, plus encore, la télévision représentent un potentiel
d'actualités (celles de tortures, par exemple); si on ' le voulait, elles pourraient permettre une telle prise de conscience, justement par la force propre de l'image.
Le problème de la connaissance n'est jamais à une face. Dès qu'il y a récit, il y a médiation. Mais remplacer la troisième personne par la première, c'est courageux, ce n'est pas plus objectif. Au contraire. J'ai dit un jour, il y a bien longtemps : « Placez la caméra dans la rue. Attendez. Tout ce qui y entre est intéressant. » Je pense qu'à l'époque où j'ai dit cela, il y avait un grand besoin de rompre avec la médiation de la spectacularité, qui était un instrument réactionnaire dans l'expression cinématographique. Aujourd'hui, je pense que l'information pure, le cinémavérité débouchent droit sur l'auto-
La Quinzaine littéraire. 1"r au J.5 avril 1967.
un certain type de culture, se trouvent soudain placés devant une organisation de la société radicalement différente. Prenez ce James Bond, dont on parle tant. On y a introduit l'avantgarde de la technique, mais on en reste à une intrigue et à des personnages qui paraissent sortir d'une chronique de la Renaissance. Ce n'est pas une culture nouvelle, c'est la métamorphose, en une forme nouvelle, de la part la plus mauvaise d'une culture périmée. Le but et la justification d'une vraie culture, c'est de donner aux gens un instrument dont ils puissent se servir de manière creatrice et critique, justement pour remettre en cause la civilisation (avec tout son contexte politique, économique, sOciaL.) dont cette culture est issue. Une erreur fréquemment commise est de rechercher un suc-
une image et remettre cette image en cause, à peine obtenue. Vivre, c'est cela, regarder, juger ... Ce n'est pas une chose facile et, à mesure que l'on vieillit, cela devient peutêtre plus ·difficile encore parce que l'on cède à la tentation de croire que l'on en sait assez pour pouvoir s'arrêter un moment de juger. Quand j'apprends que l'on publie un second livre de moi en France, cela me fait peur, et cela me fait aussi énormément plaisir, bien sûr ; mais ce n'est pas le plus important. Le plus important pour moi, c'est que cela me donne « una spinta », un coup d'aiguillon en avant.
propos reeueiUis par Juliette Raabe 1. Il ne s'agit évidemment. pas du problème de la gestation intérieure d'un film, problème qui a été abordé en particulier par Fellini dans son film Huit et demi. (Note de J.R.) 11
HISTOIRE LITTERAIRE
ENTRETIEN
Giraudoux et les machines Gilles Deleuze vient de publier, aux éditions de Minuit, une Présentation de Sacher-Masoch, suivi d'un texte de Sacher-Masoch La Vénus à la fourrure. D'où vous est venue l'idée de vous intéresser à Sacher-Masoch? G. D. Masoch m'a semblé un grand romancier. J'ai été frappé par cette injustice: on lit beaucoup Sade, mais pas Masoch ; on en fait une sorte de petit Sade inversé.
Et tellement peu traduit ...
lean Giraudoux
Aurel David Vie et mort de Jean Giraudoux Flammarion éd., 250 p.
Comme dans les Ecritures où allégories, figures et nombres font référence à des évooements ou à des phénomènes transhistoriques ou surnaturels, Aurel David est persuadé de découvrir, dans l'œuvre de l'auteur de Jérôme Bardini, les éléments épars d'une vaste doctrine et d'une véritable cosmologie qui annonceraient, sous une forme ésotérique, les nouveaux rapports de . l'homme avec la matière, avec son esprit ou avec la réalité extérieure. Assurément, il arrive que des poètes et non des moindres, pour ne citer que Cyrano de Bergerac ou J ules Verne, devancent prophétiquement les développements de la science et de la technique, nourrissent le sentiment lyrique des bouleversements futurs. Ainsi, Aurel David veut nous démontrer qu'en ses düférentes parties, pièces, essai; théâtre, l'œuvre de Giraudoux . est le champ d'u::J.e expérience ininterrompue, la trajectoire d'une idée, le théâtre d'une singulière entreprise, exploration et conquête de l'unive~ par un homme qui jetterait autour de lui le regard d'un cosmonaute ou d'ùn somnambule extra-lucide. L'auteur fonde sa thèse sur l'examen méthodique, et sur l'inventaire scrupule~x du langage giralducie::J., où il discernè trois degrés d'écriture qui répondraient à düférents niveaux d'inspiration. Le constant glissement d'un registre à l'autre, de l'écriture diurne ou discursive, à l'écriture nocturne ou inspirée, à l'écriture profonde ou métaphysique est une conclusion que l'auteur ne nous incite guère à partager, car il néglige de nous livrer l'étude comparative qui permettrait d'en administrer la preuve. En toute hypothèse, l'analyse de ces différen ts n iveaux d'inspiration ne paraît pas convaincante et n 'autorise guère, comme semble nous y
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inviter l'auteur, à l'établissement Aurel David a voulu démontrer d'une théorie si étrangère à la que dans l'œuvre de Giraudoux les sémantique moderne. données immédiates de la conscienL'observation initiale, dont Au- ce interfèrent avec certaines des rel David croit pouvoir tirer la loi acquisitions scientüiques et les plus qui gouverne l'univers giralducien récentes. Mais il a eu tort de et détermine la nature des relations confondre à tout prix des valeurs humaines, est fondée sur la répé- morales avec des notions cinétiques tition, dans la plupart des romans ou énergétiques. En revanche, il a ct des pièces de théâtre, d'une éclairé justement la filiation qui situation triangulaire qui place le unit Giraudoux au courant cathare héros ou l'héroïne principale dans et aux conteurs médiévaux, dans la l'alternative d'avoir à choisir entre mesure où la plus grande partie de le messager des dieux, de la folie, son œuvre est le théâtre d'un afde la mort, ou l'émissaire de la frontement entre un héros intègre, modération, de l'harmonie, de la épargné par l'action, et les puismesure humaine. sances nocturnes, ces exigences inA la veille 'de la grande révo- humaines libérées par la guerre ou lution technologique qui a permis les forces dissolvantes de la matière d'accroître les pouvoirs de l'homme et du néant. Au terme d'un cycle sur l'univers, Giraudoux aurait été, épique d'une véritable quête du selon Aurel David, tourmenté par Graal, Siegfried, Jérôme ou Fonle problème de l'efficacité. La tranges apportent la preuve qu'ils pureté de Giraudoux serait une ont été rejetés parmi l'anonymat valeur éthique correspondant à des hommes simples. l'accord de l'homme avec soi et Dans son théâtre, la présence avec le monde, la politesse des des dieux incarne les différentes personnages de l'auteur de Bella tentations de l'héroïsme, de la démanüestant la synchronisation par- mesure ou de la barbarie qui faite de l'homme avec son propre . menacent tout accomplissement corps et avec l'action. humain. En cédant aux injonctions Chaque œuvre de l'écrivain ex- ou aux séductions divines, le héros primerait la recherche d'un ac- de Giraudoux déroge à la simple complissement par lequel le héros condition humaine: mais le duas'efforcerait de coïncider le plus fume de Giraudoux, que souligne parfaitement possible avec son avec force Aurel David, préfigurearchétype idéal, avec la condition t-il vraiment la séparation technihumaine qu'il incarne. Sartre avait que, introduite par la science déjà, dans Situation 1, montré que le moderne entre l'esprit et la matière, monde de Giraudoux était un uni- le cerveau et ses instruments ? L'auteur de cet essai commet vers aristotélicien, où l'existence coïncide avec l'essence, où chaque l'erreur d'établir des correspondanindividu résume à soi seul les qua- ces abusives entre la valeur de la lités spéeüiques d'une classe ou pureté giralducienne et la signifid'une catégorie sociale, où ehaque cation des concepts scientifiques. être tend à rejoindre l'idée abstraite Comment peut-on raisonnablement qui lui a donné naissance. comparer des valeurs morales ou Tous les grands écrivains obéis- idéologiques à des notions mécasent à des préoccupations dominan- nistes? Ce livre est ainsi écrit tes, sont obsédés par des relations qu'il rencontre l'adhésion du lecou des phénomènes d'ordre poéti- teur, lorsque l'auteur se maintient que ou psychologique, comme la sur le seul terrain de l'Ï::J.terprétacristallisation chez Stendhal, les tion critique, cependant qu'il perd associations de la mémoire affec- toute crédibilité dès qu'il cède aux tive chez Proust, dont le retour défauts des extrapolations contesn'est pas comparable à la rigueur tables. des lois physiques. Alain Clerval
G. D. Mais si, il a été beaucoup traduit vers la fin du XIXe siècle, il était très connu, mais pour des raisons politiques et folkloriques plus que sexuelles. Son œuvre est liée aux mouvements politiques et nationaux de l'Europe centrale, au panslavisme. Masoch est aussi inséparable des révolutions de 48 dans l'Empire autrichien que Sade de la Révolution française. Les types de minorités sexuelles <iu'il imagine renvoient d'une manière très complexe aux minorités n&tionales de l'Empire autrichien comme chez Sade les minorités de libertins renvoient il des loges et à des sectes prérévolutionnaires.
Dès qu'on parle M asoch vous répondez Sade ... G. D. Forcément, puisqu'il s'agit pour moi de dissocier leur pseudounité! Il y a des valeurs propres à Masoch, ne serait-ce qu'au niveau de la technique littéraire. Il y a des processus spécifiquement masochistes, indépendants de tout retournement ou renversement du sadisme. Or, curieusement, on pose comme allant de soi l'unité sado-masochiste, alors qu'à mon sens il s'agit de mécanismes esthétiques et pathologiques entièrement différents . Même Freud, là-dessus, n'invente pas: il a mis tout son génie à inventer les passages de transformation de l'un à l'autre, mais sans mettre en question l'unité ellemême. De toute façon, en psychiatrie, les perversions sont le domaine le moins étudié; ce n'est pas un concept thérapeutique.
Comment se fait-il que ce soient non pas des psychiatres mais des écrivains, Sade et Masoch, qui dans ce domaine de la perversion se trouvent être les maîtres ? G. D. Peut-être y a-t-il trois actes médicaux très différents: la symptomatologie ou étude des signes; l'étiologie ou recherche des causes; la thérapeutique ou recherche et application d'un traitement. Alors que l'étiologie et la thérapeutique sont parties intégrantes de la médecine, la symptomatologie fait appel à une sorte de point neutre, de point-limite, prémédical ou submédical, appartenant
Mystique et m asochisme autant à l'art qu'à la médecine: il s'agit de dresser un « tableau ». L'œuvre d'art porte des symptômes, autant que le corps ou l'âme, bien que ce soit d'une manière très différente. En ce sens l'artiste, l'écrivain peuvent être de grands symptomatologistes, autant que le meilleur médecin: ainsi Sade ou Masoch.
Pourquoi seulement ceux-là? Il y en a d'autres, en effet, mais 'dont l'œuvre n'est pas encore reconnue dans son ,aspect ,symptomatologique créateur, comme ce fut au début le cas pour Masoch. Il y a ' un tableau prodigieux de symptômes correspondant à l'œuvre de Samuel Beckett: non pas qu'il s'agisse seulement d'identifier une maladie, mais le monde comme symptôme, et l'artiste comme symptomatologiste.
commune à la création littéraire et à la constitution des symptômes: c'est le phantasme. Masoch l'appelle « la figure », et dit précisément: « il faut aller de la figure vivante au problème._. » Si pour la plupart des écrivains le phantasme est la source de l'œuvre, pour ces écrivains qui nous intéressent le phantasme est devenu aussi l'objet même et le dernier mot de l'œuvre, comme si toute l'œuvre réfl~chissait sa propre origine.
mais à partir de là le travail est très différent, sans commune mesure : le travail artistique et le travail pathologique. Souvent l'écrivain va plus loin que le clinicien et même que le malade. Masoch, par exemple, est le premier et le seul à dire et à montrer: l'essentiel dans le masochisme c'est le contrat, une relation contractuelle tout à fait spéciale.
On parlera peut-être un jour de kafkaïsme et de beckettisme comme on parle de sqdisme et de masochisme? '
G. D. Je n'ai jamais vu ce symptôme le besoin d'établir un contrat - compter comme élément du masochisme. Là, Masoch est allé plus loin que les cliniciens, qui par la suite n'ont pas tenu compte l e sa découverte. On peut en effet ,:onsidérer le masochisme de trois t'oints de vue : comme une alliance plaisir-douleur, comme un comportement d'humiliation et d'esclavage, ou comme le fait que l'esclavage s'instaure à l'intérieur d'une relation contractuelle. Ce troisième caractère est peut-être le plus profond, et c'est lui qui devrait rendre compte des autres.
Le seul?
G. D.
Maintenant que vous m'y faites penser, il me semble aussi que dans l'œuvre de Kafka et également dans celle de Marguerite Duras ... G. D.
Sûrement.
D'ailleurs Jacques Lacan apprécie beaucoup le Ravissement de LoI V. Stein et a dit à Marguerite Duras qu'il y voyait la description exacte et troublante de certains délires repérés en clinique ... Mais ça ne doit pas être le cas de l'œuvre de tous les écrivains ?
G. D. Je le pense ... :Mais, comme Sade et Masoch, ces auteurs n'y perdront rien de « l'universalité » esthétique.
Quel genre de travail estimezvous avoir fait dans votre Présentation de Sacher-Masoch? Autrement dit: quel était votre ob jet à vous, la critique littéraire, la psychiatrie ? G. D. Ce que j'aimerais étudier (ce livre-là ne serait qu'un premier exemple), c'est un rapport énonçable entre littérature et clinique psychiatrique. Il est urgent pour la clinique de s'interdire les vastes unités par « renversement» et « transformation »: l'idée d'un sado-masochisme est un préjugé. (Il y a un sadisme du masochiste, mais ce sadisme est à l'intérieur du masochisme et n'est pas le vrai sadisme: de même pour le masochisme du sadique.) Ce préjugé, dû à une symptomatologie hâtive, fait qu'ensuite on ne cherche plus à voir ce qui est, mais à justifier l'idée préalable. Freud a bien senti toutes les difficultés, par exemple dans le texte admirable Un enfant est battu, et 'pourtant il n'a pas. cherché à remettre en question le thème de l'unité sado-masochiste. Alors il peut arriver qu'un écrivain aille plus loin dans la symptomatologie, que l'œuvre d'art lui donne de nouveaux moyens, peut-être aussi parce qu'il a moins de souci concernant les causes.
Vous n'êtes pas psychanalyste, vous êtes philosophe, n'avez-vous pas quelque inquiétude à vous aventurer sur un terrain psychanalytique ? G. D. Sûrement, c'est bien délicat. Je ne me serais pas permis de parler de psychanalyse et de psy-
Deux gravures extraites du livre de Gales Deleuze.
G. D. Non, bien sûr. Ce qui revient en propre à Sade, Masoch et quelques autres (par exemple Robbe-Grillet, Klossowski), c'est d'avoir pris le phantasme lui-même comme objet de leur œuvre, alors que d'habitude il en est seulement l'origine. Il y a, en effet, une base
La Quinzaine littéraire, 1" au 15 avril i967.
Pourquoi est-ce à propos de la Vénus à la fourrure que vous avez fait votre livre ? G. D. Il y a trois romans particulièrement, beaux de Masoch: la Mère de Dieuj Pêcheuse d'âmes et la Vénus à la fourrure. J'ai dû choisir et j'ai pensé que le plus capable d'introduire à l'œuvre de Masoch, c'est la Vénus : les thèmes y sont plus purs et plus simples. Dans les deux autres, les sectes mystiques se conjuguent avec les exercices proprement masochistes; la réédition de ces romans serait fort souhaitable.
A propos de l'œuvre de Masoch, vous dites une chose que vous avez même écrite dans votre précédente étude sur un autre écrivain, Marcel Proust et les Signes: c'est que le fond de toute grande œuvre littéraire est comique, que c'est une erreur de lecture que de s'arrêter à une première apparence de tragique. Très exactement, à propos de Kafka, vous écrivez : « Le pseudosens du tragique rend bête; combien d'auteurs déformons-nous à force de substituer un sentiment , tragique puéril à la puissance agressive comique de la pensée qui les anime. »
Freud était pourtant très respectueux du génie clinique des écrivains, il s'est souvent référé à l'œuvre littéraire pour confirmer ' ses théories psychanalytiques ... G. D. Certainement, mais il ne l'a pas fait pour Sade ni pour Masoch. Trop souvent encore on consi, dère que l'écrivain apporte un cas à la clinique, alors que ce qui est important, c'est ce qu'il apporte luimême, en tant que créateur, à la clinique. La différence entre littérature et clinique, ce qui fait qu'une maladie n'est pas la même chose qu'une œuvre d'art, c'est le genre de travail qui est fait sur le phantasme. Dans les deux cas, la source le phantasme - est la même,
Sacher- Masoch
chiatrie s'il ne s'agissait d'un problème de symptomatologie. Or la symptomatologie se situe presque à l'extérieur de la médecine, à un point neutre, un point zéro, où les artistes et les philosophes et les médecins et les malades peuvent se rencontrer.
G. D. Le, fond de l'art, en effet, c'est une espèce de joie, c'est même ça le propos de l'art. Il ne peut pas y avoir d'œuvre tragique parce qu'il y a nécessairement une joie de, créer: l'art est forcément une libération qui fait tout éclater, et d'abord le tragique. Non, il n'y a pas de création triste, toujours une vis comica. Nietzsche disait « le héros tragique est gai». Le héros masochiste aussi, sur son mode à lui, inséparable des procédés littéraires de Masoch. Propos recueillis par Madeleine Chapsal
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POÉSIE
. LIVRE CLUB
La revanche
Prix Apollinaire
Ip~and Gasp~
Emile Zola
I;e QlUJtrième Etat dé la matière FlaJÏlinarion éd., U8 p.
Œuvres complètf!$
Lorand Gaspar, q\Û vient de recevoir le 'prix' Guillaume Apollinaire po1,lr son premier recueil de poèmes : le QlUJtrième Etat de la matière, était encore, il y a quelques ..semaines, un . inconnu. Au.cun pasSe liiteraire pas la ' moindre plaquette, pas le plus petit article. Non seulement muet; mais . encore absent. Larand .Gaspar .vit à Jérusalem, non pas en homme. de lettres,. mais en médecin. La solitude des' cOrps, la solitude du désert, et l'immense solitude de la lumière font son univers.
Là-ba& au bout du monde Là-ba3 où les soleils sont de gros fruits de mer, souples et ronds Là·ba3 où les horizons s'envolent dans des . soies sauvages, on voit si loin qu'on tomberait droit devant soi. Cette chute droit devant soi ce . vertige horizontal du déscrt, cettc union amoureuse et dangereuse des. corps tentés par l'appel vide du ciel et du sable bousculés - , la fuite de l'œil et de l'âme sur cette pente plate, et cet infini d'éblouissement lisse, cette réconciliation de l'homme seul avec le monde nu, c'est l'exigence exaltée d'un langage enfin pur. C'est le retour à ce silencieux sommet de l'âme où la poésie est sur le point de . surgir: De surgir et de surprendre. Réponse exacte à ce qui est, le poème 'vise le vrai, et c'est la beauté q\Û arrive. Paul Valéry notait un jour ' : « Otez toute chose que j'y 'voie. » Passé tous nos encombrements, le désert attendu livre à Lorand Gaspar sa vérité digne qu'on s'y fie. Et le poète prend des photos. Ce n 'est pas une façon de parler : Lorand Gaspar . photographie en effet le désert, et ses proches arehitectures, faites de blanc, de noir, au soleil et à l'ombre, . faites aussi de roches, comme le sol vrai. L'homme et ses' voiles soulevés par le vent, la femme', nue souvent et posée à même les sables,. font partie de ce très noble rien qui est le tout du désert. , Toutes les eaux, tous les jardins, toutes les fraîcheurs' évoquées ont cette ré· férence d'un abime lumineux et brûlant, sous l'immobile soleil. Le grain de la peau vivant/l contre le grain des pierres chauffées, ce ne sont pas deux mondes différents : mais plutôt, adorée par une attention proche, aux limites de la myopie,. c'est la bienheureuse unité . de l'être, . où se rencontre, bien loin de nos exils, à la fois ce qui vit et ce q\Û dure. Ou je me trompe fort, ou Lorand Gaspar n'est pas de ceux qui ambitionnent ·de créer un monde avec des mots. Non. L'extrême besoin de dire ce monde-ci est sa première urgence. Son lyrisme chauffé à blanc n'appelle pas l'imaginaire, mais peut-être monte du sol, comme un tourbillon dansan!, irrépressiblè, et fidèle aux sables dont il est sorti.
Ed. établie sous la direction d'Henri Mitterrand Cercle du Livre précieux Claude Tchou éd. l.5. roI-.
Vous et moi partageons ce privilège avec quelques centaines de milliers de personnes: il ne se passe guère de semaine que nous ne recevions deux ou trois dépliants somptueux où l'on nous propose les' plus beaux livres du monde, sous des reliures éblouissantes (que d'ors, que d'ors), à des prix imbattables. Vous payez à tempérament, les échéances sont calculées pour passer sans trop de douleur; seulement vous vous engagez chaque fois pour une série homogène d'une ou plusieurs douzaines de volumes. Quelle décoration pimpante pour les salles de séjour des grands ensembles modernes! Et quel signe de culture à jeter aux yeux des visiteurs! S'il arrive què ces offres mirifiques relèvent de l'escroquerie littéraire, en revanche la souscription irrévocable du client permet à tel ou tel éditeur d'entreprendre, et chose plus rare, de mener à bien quelque grande publication ap~ pelée à rendre d'utiles services, voire à faire date. Je songe, par exemple, à certaines collections qu'on vient de lancer, et dont
j'espère bien que nous pourrons produit dégénéré: « Voilà (lui parler bientôt, à une ample antho- écrivait-il le 3 février .1877, au logie de la poésie française, à un lendemain de l'Assommoir) une Stendhal complet, à un Hugo com- bien grande œuvre; et digne d'une époque où la vérité devient la forme plet. Et, aujourd'hui, à Zola. Quel écrivain a jamais été aussi .populaire de la beauté. Ceux qui bassement attaqué, injurié, insulté, vous accusent de n'avoir pas écrit pour le peuple se trompent, dans bourré d'ordure, enduit d'infamie? un sens, autant que ceux qui rePiquons des gracieusetés exemplaires dans un petit florilège de grettent un idéal ancien; vous en M. Henri Guillemin. (Sans oublier avez trouvé urz. qui est moderne, que la caricature rivalisait d'esprit c'est tout. » Les lettrés plus chatouilleux que et de distinction avec la grande critique: voyez les images du livre Mallarmé continuèrent au long des de M. Marc Bernard au Seuil, ou années, et bientôt des décennies, de celles de l'édition Tchou). Brune- reprocher à Zola d'écrire gros, tière réclamait un cordon sanitaire. d'écrire gras, d'écrire pesant, de tailler sa composition à coups de Sarcey redoutait les éclaboussures de tant de sang, de tant de pus . serpe; et ils prenaient Bourget en Barrès: « On peut dire qu'il est considération, les pauvres! Ils prémort plus bête qu'il n'était né. » féraient la « bonne littérature » qui Anatole France évoque un « haut caresse et ne mord pas. Reconnaistas d'immondices » et voit en Zola sons d'ailleurs que le romancier « un de ces malheureux dont on prétendait fonder sa méthode romapeut dire qu'il vaudrait mieux qu'ils nesque sur des doctrines scientifine fussent pas nés ». Provocation au ques qu'on avait raison de juger fâcheusement rudimentaires: mais meurtre; peut-être suivie d'effet: le point reste en suspens. Alphonse iriez-vous apprécier l'œuvre de BalDaudet Alphonse, non Léon zac ou celle de Stendhal au poids comme vous pourriez croire :--, de leurs propres théories? M. Henri complaisamment cité par le lournal Mitterand fait remarquer que la des Goncourt : « le ne puis mieux Sorbonne n'a jamais mis Zola au le comparer qu'à un bousier, un programme de la licence, et que fouille-merde [ ... ] poussant devant l'Université l'a mis une seule fois au programme de l'agrégation, en lui un étron. » 1952, pour le cinquantenaire de sa Il fallait que ce fût un « Chinois au cœur limpide et fin », le délicat mort. Quant aux formations politiques Mallarmé, qui reconnût en Zola un successeur de Balzac et de Flaubert , de la gauche, certes elles ne faiqui ne ressemblait plus à un sous- saient pas fi du soutien que leur
INFORMATIONS
24,70 % des ouvrages déposés annuellement en France sont le fait de personnes qui envoient au dépôt légal moins de cinq ouvrages par an. Il s'agit donc de minuscules maisons d'édition ou, plus vraisemblablement, d'imprimeurs publiant à compte d'auteur, voire d'auteurs eux-mêmes, faisant imprimer leurs œuvres dans ces conditions. Or ceux qui ont ainsi envoyé à la Bibliothèque Nationale un ouvrage isolé ou, en tout cas, moins de cinq ouvrages dans l'année sont au nombre de 2 065 et forment quelque 80 % des Ici enfin, en pays inutile 2 376 déposants. Le vent fait de grands gestes heureux. Qu'il s'agisse là de comptes d'auteurs, c'est ce que semble confirmer Le pays inutile, c'est le pays le moins le fait que plus de la moitié n'avaient humanisé, et savoir qu'il existe nous perfait aucun dépôt au cours de l'année met peut-être de rester hommes. Le pays antérieure . . inutile humilie nos utilités, et dissout nos On ne saurait évidemment mettre futilités. u Sa vertu d'abord négative, controp en garde les amateurs de ces traint ensuite à la prouesse »; comme le publications à compte d'auteur qui dit Ferny Besson. (Sahara, terre de vérité, dépensent souvent des sommes imporAlbin Michel.) La prouesse, une fois latantes pour le plaisir d'être édités ou vés nos soucis dérisoires, ce peut être en qui espèrent obtenir avec un livre poète accepter le défi du désert, et dire refusé par les vrais éditeurs, la forle désert, avec la force qu'il faut pour tune et la gloire. Ils sont généralele faire cQunaître à ceux qui ne s'en aIt ment fort inconscients du fait que procheront jamais. i l'édition ne suppose pas seulement un Mais le dcsert peut-être a besoin des travail d'imprimerie mais aussi une regards, comme l'homme a besoin de diffusion que l'éditeur à compte d'au' lui : teur ne leur assu re que très rarement. Quoi qu'il en soit de ces cas malPersonne ne sait heureux, les statistiques publiées pour Le destin des couleurs en l'absence des l'année 1965 par le syndicat national yeux. des Editeurs donnent des précisions sur la structure de l'édition en France. Serait-ce par l'ultime séduction des Il ne sera ici tenu compte que des paysages désertiques? Le dernier rendez311 entreprises déposant plus de 5 vous, et la complicité dernière de l'homlivres par an. me avec son dieu? ] osanp Du.ranteau Seuls cinq éditeurs ont dépollp. :)u
Structure économique de l'édition coùrs de l'année plus de 200 titres, soit 13,80 % du total, à eux cinq. On compte trois éditeurs ayant déposé de 150 à 200 titres et neuf éditeurs qui en ont déposé ,de 100 à 150. Soit · en tout 17 maisons publ iant chaque année plus de 100 ouvrages. Il semble pourtant que la dimension moyenne de la maison d'édition française, si l'on en juge par le nombre de titres déposés se situe au niveau de la petite entreprise. Le plus gros pourcentage est en effet celui des firmes ayant publié de 21 à 50 titres dans l'année: 17,05 %. - soit 65 maisons. Le secteur intermédiaire (de 51 à 100 titres) a fourni, pour 26 maisons, 14,40 % des dépôts. . Au-dessous, les chiffres s'accro-lssent régulièrement en . quantité absolue, mais décroissent en nombres relatifs: 78 éditeurs publient de 11 à 28 titres (9,45 % du total) et 125 éditeurs n'en publient que de 6 à 10 (7,90 % du total) . Quant à l'importance du chiffre d'affaires de l'édition française, il dépassait le milliard de francs en 1965 - soit exactement 1 187 millions. Huit maisons ont réalisé un chiffre d'affaires supérieur à 30 millions de Francs. Elles représentent à elles seules le tiers de l'édition française (36,72 % du chiffre d'affaires global) bien qu'elles n'aient publié que 17 % des titres. Quatre maisons ont un chiffre d'affaires situé entre 20 et 30 millions de Francs (8,45 % du total). Quatorze se placent dans la tranche de 10 à 20 millions et 19 autres dans la frange de 5 à 10 millions . Les 26 ~ntreprl ses dont le ch iffre
d'affaires dépasse 10 .millions de Francs par an accaparent à elles seules 64 % du chiffre d'affaires global. Il est intéressant de relever que ce pourcentage n'était que de 61,9 % en 1964. Il s 'est donc élevé de 2 % en un an. Parmi les plus petites maisons d'édition, les plus nombreuses, il en est 43 dont le chiffre d'affaires se situe entre 100 000 . et 200 000 Francs (0,51 % du total) et 66 dont le chiffre est de 200 000 . à 500 000 'Francs (1,88 % du total), soit quelque 2 % seulement de l'énsemble pour un tiers des maisons considérées. SI l'on y ajoute les 51 entreprises dont le chiffre d'affaires est de 500000 Francs à 1 million, il existe au total, en France, 160 éditeurs dont le chiffre d'affaires est inférieur à 1 million '; ils forment pourtant la moitié des éditeurs françaiS mais leur part dans le marché n'est que de 5 % environ. Il ne s'agit d'ailleurs pas d'un mouvement de concentration, à proprement parler: si les toutes petites maisons diminuent en nombre et en importance d'une année à l'autre', les moyennes entreprises, réalisant un chiffre d'affaires de plus de 5 millions par an, sont en progrès. Un dernier chiffre, quant au personnel des maisons d'édition: vingt entreprises emplOient plus ' de' 100 personnes (4745 employés, 52,58 % du total). Vingt autres maisons ont de 51 à 100 employés. Mals 83 emplOient de 5 à 10 personnes et 93 en emplOient moins de 5. Près de 200 éditeurs sur 300 ont donc moins de dix employés.
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de Zola apportait son œuvre, que leur avait apporté à partir de 1896 son action personnelle dans l'affaire Dreyfus, dans la question juive, dans les batailles du cléricalisme et du militarisme; et cependant elles semblent bien avoir gardé envers lui une sorte de réserve: il était solidaire de leur attitude plutôt que des partis qu'elles constituaient. Que restait-il au pauvre Zola ? Malgré toutes les techniques de la mort lente subtilement employées contre lui, il lui restait sans doute simplifié-je à l'excès - la pieuse fidélité des foules populaires dont il avait pris à cœur d'alléger la peine. Ce sont elles qui, sans guère d'éclipse, firent durer le succès des bons vieux laids massifs
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que de l'édition, c'est-à-dire dans la Pléiade: les vingt titres des Rougon-Macquart rassemblés en cinq tomes, le dernier devant paraître dans l'année, avec un accompagnement documentaire d'une ampleur et d'une signification exceptionnelles. Viennent maintenant les grandes souscriptions; l'œuvre de Zola a l'étendue qu'il faut pour les rendre rentables. Les éditions Rencontre réimpriment une série de 24 volumes (dont 20 pour les RougonMacquart) que M. Henri Guillemin a présentés titre par titre. Ses préfaces se retrouveront au fil des 40 tomes que prépare le Cercle du Bibliophile, et qui s'augmenteront d'autres textes et de divers documents. Enfin le Cercle du Livre
:LA t H·UNE
Monsieur Zola, nous retrouvons les • mêmes noms qu'aux pages de titre • de la Pléiade. Dès le premier tome • nous retrouvons aussi celui de M. • Henri Guillemin, comme préfacier: VOUS pouvez de la Confession de Claude. Mais. voir avant d'acheter rassurez-vous, on ne se contente pas. tous les l'Ivres de de reprendre les mêmes pour re- • commencer: chaque ouvrage sera. La Ouinzaine préfacé par un écrivain contempo- • rain qui doit, en principe, changer· Livres d' art de titre en titre; c'est une formule,: du monde entier inaugurée jadis par le Club fran- • çais du Livre pour son Balzac, qui. 170 bd Saint Germain. 548.36.14 peut donner lieu à des confronta- • tions beaucoup plus révélatrices· que les face-à-face électoraux. :
•
Voici ce qu'on nous annonce. pour ces quinze tomes. Un tous les. deux mois. Au total, 18.000 pages, • sur papier bible, sous une reliure • de pleine peau noire décorée, ma • foi, avec une assez noble sobriété .• Comme illustrations, 2.000 ~ra-. vures d'époque et photos, celles·ci • choisies souvent parmi les 6.000· clichés que Zola s'est plus à pren· : dre et à traiter lui-même, et qui • ont été conservés. • Un volume de premiers romans . • précédés du Zola vivant de M. Ar- • mand Lanoux: 350 grandes pages • biographiques. Puis les Rougon-: Macquart: cinq volumes, comm ... dans la Pléiade. Deux volumps d,· • Villes et d'Evangiles. Un dc cOllte - • et de nouvelles. Quatrc de criti'llH> • de chroniques et de polémiques. UIl • de théâtre et de poésie. Un dernier: enfin de correspondance. Dont. beaucoup de pages aujourd'hui in· • trouvables, ou demeurées inéditcs. en librairie, ou tout à fait inédites. • - grâce à la contribution des héri· : tiers et à celle de la Société des • Amis de Zola. Et un appareil docu- • mentaire moins développé sans. doute, du moins pour les Rougon- • Macquart, que celui de la Pléiade. ,. comportant neanmOlns notIces .• notes, appendices, bibliographies .• chronologies, tableaux de con cor- • dance. • Si vivante que soit restée l'œuvrp • de Zola, c'est cependant une sortI' • de résurrection. Nous verrons com· • ment elle va supporter l'épreuve . : Qu'en aurait-il - question idiote! • '-- pensé lui-même? Sans dout!'. ceci, qu'il ne s'agit dans l' « his- • toire naturelle et sociale » que d'un • phénomène normal d'évolution.: N'empêche que ce petit bourgeois • barbouzeux à lorgnon, tout résolu, • volontaire et entêté qu'il fût, dut • souvent savourer le goût amer du • découragement. Malgré des tirages: énormes et fructueux, il garda jus- • qu'à la fin de sa vie et longtemps • après sa mort quelque chose d'un • méconnu. Il connaît sa revanche· deux tiers de siècle trop tard pour • pouvoir la connaître. Telle est la : règle. Une règle bien déconcertante; • à moins d'admettre qu'un écrivain. véritable ne trouve sa véritable. justification que dans la conscience • qu'il prend de soi au moment de : la création. Ce qui suffit rarement. pour faire bouillir la marmite. • Samuel S. de Sacy •
•
..
Zola
bouquins Charpentier - Fasquelle. Qu'importait à la condition prolétarienne qu'ils eussent l'air imprimés avec des têtes de clous sur du papier à chandelles? Et puis, la relève est venue. Le Livre de Poche: 21 romans, tirés ensemble à quelque six millions d'exemplaires. Je trouve cette précision, et celles qui vont suivre, dans les deux pages spéciales publiées récemment par le supplément littéraire du Monde; d'autres emprunts leur ont déjà été faits plus haut. A l'autre extrémité hiérarehiLa Quinzaine littéraire, Jor au 15 avrü 1967.
précieux annonce quinze tomes, dont nous allons parler plus longuement, non pas seulement parce que les deux volumes déjà parus inspirent, eux aussi, confianee, mais parce qu'il s'agit cette fois des Œuvres complètes (ce qui explique sans doute la mention d' « édition nationale » dont se pare la publicité de l'affaire). Maître d'œuvre: M. Henri Mitterand, déjà cité. Et comme M. Armand Lanoux lui a confié, pour servir d'introduction générale, une version remaniée de son Bonjour,
à Saint Germain des Prés . ouverte de 10 h à minuit
Avez-vous lu Elskamp? Non, sans doute. Mais Paul Eluard, Saint-John Perse et d'autres, tiennent Elskamp pour l'un des deux ou trois plus grands poètes de langue franyaise de la première moitié du siècle. Chacun pourra désormais, grâce aux œuvres complètes qui viennent de paraître "ouvrir sa porte à celui qui aimait le menu peuple et les gens de métier, au poète de la vie recluse, à l'homme au chapeau rond, modeste, ailusif, imagier". En harpiste du langage et en peintre, il a dit cette illusion de passage qui n'est rien d'autre que nous, l'enfance, l'espérance, les départs, les approches, l'amour et la vie. L'édition intégrale définitive de 1024 pages 13,5 x 21 a été imprimée sur papier bible et illustrée de bois gravés de l'auteur - elle est présentée sous reliure pleine toile fine. Une découverte. Un très beau livre à lire et à offrir (44 F 30)
éditions
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ART
HUMOUR
La .ville et le petit homme Pierre Cabanne Entretiens avec Marcel Duchamp Pierre Belfon éd., 218 p.
Depuis près d'un demi-siècle, Marcel Duchamp a su entretenir son mythe et préserver son secret. Peu sont entrés dans son intimité. Le peintre italien Gianfranco Baruchello est un de ceuxlà. Célèbre à Rome et à New York (où il eut droit à la couverture de Time), presque inconnu à Paris, Baruchello est l'un des trois artistes de la nouvelle génération cités par Duchamp dans ses Entretiens avec Pierre Cabanne.
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Deux dessins de lean.Michel Fololl.
Jean-Michel Folon Le Message 36 dessins Hermann éd., 48 p.
Olivetti commande à Jean-Michel Folon un film destiné à être projeté sur les murs-écrans de sa nouvelle installation parisienne. Folon dessine le film en 36 images, bleu et blanc. Pierre Berès rassemble les images dans le temps, et fait un livre. Telle est l'histoire de cette histoire sans paroles, qui est aussi un apologue et, pour Folon, un prétexte pour exprimer ses obsessions et sa tendresse, affirmer avec éclat l'unité du contenu et de l'écriture qui est son style. Folon, donc, met en scène ses deux hér.os favoris, le petit homme et la ville. La ville, en l'occurrence, n'est pas le centre dément où convergent les informations contradictoi-
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res, telle qu'il la montra sur une récente couverture du New Y orker : c'est le désert de pierre (des villes nouvelles) dont le petit homme vaincra la malédiction en lançant un message (dactylographié, bien entendu). L'affaire se déroule en trois actes correspondant à trois cadres spatiaux : ville coupée à mi-hauteur, définie par la géométrie absurde de ses façades muettes et de ses circuits identiques, sur horizon de chaussée; clavier de machine à écrire; ville récupérée, mais vue d'en bas, ouvrant sur un ciel où s'envole le message. Les trouvailles symboliques de Folon, nées en partie de son sens des rapports (contrastes et identités) sont reprises en sourdine par le jeu du blanc et des bleus. La qualité de ces modulations passe entière dans le livre qui est un petit chef-d'œuvre du genre. F. C.
L'œuvre de Marcel Duchamp demeure mystérieuse et difficile. Mais mystérieuses et difficiles sont aussi les interprétations critiques qui en ont été données. Et en tout cas, peut-être à cause du respect inspiré par le mythe Duchamp, elles sont impuissantes à offrir une image du personnage aimable et réel que plusieurs, sinon tous les peintres contemporains, considèrent d'ailleurs comme un proche parent très sympathique, un oncle ou simplement un père. Robert Lebel, qui d'une certaine manière est lui aussi un oncle sympathique, a traité, il y a plusieurs années dans un livre qui fit date, l'œuvre de Duchamp avec amour et une curiosité tempérée et en partie émoussée par le respect pour l'homme et l'ami. De Breton aux jeunes écrivains contemporains des pages remplies de cc vibration interprétative » et des chefs-d'œuvre de compOSItion graphique se sont accumulés autour de l'image de Duchamp. Et d'autres ouvrages sont en préparation sur le même sujet, dont les interprétations ne se priveront ni de psychanalyse ni d'astrologie. Qu'a fait, au contraire, M. Cabanne avec ce bouquin à la triste couverture à l'intérieur de laquelle on peut lire, sous le portrait de l'auteur, que celui-ci « travaille depuis cinq ans à une monumentale Histoire de l'Art » ? Pierre Cabanne a procédé d'une façon tout à fait différente de ses prédécesseurs. Tout en se référant, au moins au début, à un schéma critique et historique de l'œuvre de Duchamp, il a affronté l'homme, magnétophone en main, dans le style exact où l'on interviewerait Jacques Anquetil, parmi les trophées et maillots jaunes qui décorent son château. Cette opération, réussie, a donné des résultats imprévus et curieux, car la fougue et l'insistance un peu malséante de l'interviewer ont forcé Duchamp, homme d'une rapidité mnémonique et d'l.:n humour exceptionnels, à répondre au niveau du « salut les copains du café des Sports », y compris sur des sujets dont ses amis savent combien ils le dégoûtent.
Après noir lu ce petit livre (qui devrait se vendre dans les gares et dans les aérogares, tant sa lecture est facile) ceux qui connaissent Duchamp se demanderont surtout coment celui·ci a pu supporter le mitraillage de certaines questions même si après plusieurs d'entre elles l'auteur enregistre (scrupuleusement) pour toute réponse de simples points de suspension, un ouf, ou encore des mots d'esprit, probable équivalent phonétique d'un geste d'impatience. Figurez'vous un Monsieur Teste auquel on pose des questions sur ses ressources économiques, s'il connaît Malraux, ce qu'il pense de De Gaulle. Ou bien imaginez que l'on demande à Joyce un jugement objectif sur le succès de Picasso, ou encore que l'on veuille savoir de Bataille s'il aime bien sa mère. De ce~te pléthore de questions, de cette confusion, que peut-il sortir qui vienne enrichir le vieux monde hétéroclite de l'information ou du savoir? Marcel Duchamp, qui est assez littéralement un « empêcheur de danser en rond », n'a pas réussi, cette fois-ci, à empêcher Monsieur Cabanne, qui, au cours de ces quatre longues séances, aurait plutôt fait danser en rond Rrose Selavy. C'est pourquoi il serait peut-être nécessaire de dire ici quelques mots de M. D. et Rrose Selavy. Mais, après tout, les curieux seront sans doute incités par le livre de Cabanne à chercher ailleurs plus ample information. A j 0 u ton s qu'une partie de l'œuvre de Duchamp sera bientôt exposée à Paris, dans une retrospective assez importante. Pour l'instant Cabanne réussit à arracher à Duchamp pas mal de choses. Avant tout ce dernier reconnaît de façon explicite et réitérée l'importance des liens littéraires dont il se sent tributaire. Son amour pour Laforgue s'étend à Mallarmé et à Raymond Roussel : c. Peut-être le défi lancé par Raymond Roussel au langage correspondait-il à celui que vous lanciez, vous, à la peinture ? M.D. Si vous voulez! Je ne demande que ça ! c. Je n'y tiens pas, remarquez! M .D. Si, moi j'y tiendrais ... Ce « moi j'y tiendrais », si sincère et vivant dans ce dialogue assez rude, nous en dit long sur l'identification littéraire de Duchamp et son amour pour le bizarre Roussel. « ... une vie extraordinaire. Et ce suicide à la fin » : Cet aveu curieux et explicite nous renvoie en fait au semblable mais combien plus rare « suicide à tempérament » que Duchamp lui-même a accompli par la limitation et l'ellipse. A propos d'Apollinaire c'est un papillon ») qui aurait dit qu'il appartenait à Duchamp, de « réconcilier l'Art avec le peuple », l'intéressé répond : cc Je vous l'ai dit ... il affirmait n'importe quoi... c'est une belle rigolade, c'est tout Apollinaire! ))
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DuchaBlP lüelUW intérêt des réponses concernant son rapport avec les mots, Ainsi lorsqu'il est interrogé sur la définition de Retard en verre qu'il 80nne de sa grande œuvre la Mariée mise à nu par ses célibataires, même, il indique que le mot retard, doit y prendre le sens inexplicable mais plus efficace de tableau, dessin, chose : « ... c'était réellement poétique, dans le sens le plus mallarméen du mot ». Quant à l'em-
. , BlIS a
Vers la fin de l'interview, quand Cabanne dirige l'entretien sur les happenings, et sur les jeunes peintres contemporains, Duchamp ne songe même pas à se proposer comme précurseur de ces gestes qui semblent n'avoir pas eu de précédents. Pourtant n'était-il pas l'auteur du Ready-made malheureux (livre de géométrie qu'il fallait accrocher à sa fenêtre avec des ficelles, ouvert de façon que le vent
nu
tes les moins faciles poétiques contemporaines, est lui aussi, « against interpretation », comme le titre homonyme adopté par S. Sontag. Ce seront les regardeurs (ou les leeteurs) qui donn~ront une dimension au « non-sens » original choisi pour « s'amuser » par le peintre ou le poète. Tel est le contexte littéraire et linguistique qui enveloppe, entoure et suit l'œuvre de Duchamp. On peut, en outre, relever au passage nombre de mots, gestes, 'a phorismes ou paradoxes sur la peinture, qui attireront l'intérêt. A titre d'exemples: « ... on fait la peinture parce qu'on veut soi-disant être libre. On ne veut pas aller au bureau tous les matins. » « ... Picasso est devenu un drapeau ? Le public a toujours besoin d'un drapeau, que ce soit lui, Einstein ou tel autre. Après tout, le public représente la moitié de la question... » « ...les futuristes, pour moi, sont des impressionnistes urbains... » « ., .Seurat m'intéresse plus que Cézanne ... » . « ... pourquoi tous les artistes s'entêtent-ils à vouloir déformer ? C'est une réaction contre la photographie - paraît-il - ... c'est très simple je vais déformer autant que je pourrai et comme cela je serai complètement détaché de toute représentation photographique. »
Le lecteur trouvera aussi des notations plus psychologiques, concernant diverses personnalités : Picabia, Pa ch (homme intelligent mais peintre médiocre qui présenta les œuvres de Duchamp au fameux Armory Show de New York), Arensberg son ami et mécène (~a nia que de la cryptographie dantesque et shakespearienne), Steiglitz le fameux p"hotographe je lui faisais l'effet d'un charlatan... »), Mary Reynolds sa charmante amie de jadis pas le collage sérieux au sens marié ... ») ou encore Braque et l'atmosphère parisienne au moment où, 1905, tout le monde parlait encore de Manet comme maintenant tout le monde parle de Picassol . Les paroles des vieux sages effacent le temps. Cabanne même ne l'empêchera pas. Ainsi, en l'occurrence, Duchamp en arrive à des déclarations très explicites sur le contenu érotique de son œuvre; il qualifiera de « viscéral » le Grand Verre (scandale pour les exégètes !) et .définira l'art comme « masturbation », le tout avec la plus grande amabilité et sans manifester aucune impatience. Que dire encore des notations personnelles sur la famille Duchamp, la mère qui peint des faïences en amateur, le père notaire qui donne un salaire mensuel à ses trois fils artistes en le retenant sur leur héritage, les échecs répétés de Marcel à l'Ecole des Beaux-Arts, son mariage avec Mlle Sarrazin Levasseur arrangé par Picabia.
• Marcel. Ducha';tp : Instantané , d'Anemie·Cinema, 1926. Film
Avec sa masse de détails banals et curieux (plus curieux que banaIs) ce livre offre une substance vivante, un témoignage authentique que ne pourra ignorer celui qui, un jour, voudra écrire une étude sérieuse sur ce grand et secret personnage de notre époque. Pour l'instant, c'est lui, encore, qui termine à
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ploi du mot même dans ce célèbre et la pluie puissent, en tournant les titre, il en donne une interpréta- pages, en proposer et résoudre les tion absolument authentique pour théorèmes) dont il donna le mode qui coimaît un peu l'homme et sa d'emploi à Suzanne, sa jeune sœur, poétique. le jour de son mariage avec le pein« - Même : un adverbe qui tre Crotti. Pour le « subtil » Can'a aucun sens ... » Et il répète que banne qui possède ses propres ineven, équivalent de même dans le terprétations « c'est en tout cas très titre anglais de cette œuvre, « n'a symbolique pour un mariage ». Duaucun sens ». Evoquant les volumes champ coupe court : « Je n'y ai de commentaires qu'ont inspirés les même pas pensé ». cryptographies duchampiennes, il Comme souvent au cours d'une ne nous reste plus qu'à nous .excla- . interview sur bande magnétiqw;, mer, nous aussi: « C'est une belle ces brèves réparties sont signifianrigolade! » tes. Marcel Duchamp, père de touLa Quinzaine littéraire, 1"' au 15 avril 1967.
sa guise son propre portrait. Le livre s'achève sur trois mots : « Je suis heureux ». Duchamp, une fois de plus, ne nous a-t-il pas, dans un sourire, échappé ? Gianfranco Baruchello 1. Et M. Vanderbilt venait d'Amérique pour acheter un Bouguereau à 100000 dollars.
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BIBLIOPHILIE
Illustrer Valéry Valéry Regards sur la mer Litho. de Sarthou Vialetay éd. Claude-Roger Marx Neiges Litho. de Bernard Gantner Yvon Morin éd . 3, rue Lalo ou à li galerie Marcel Guïot
Alsace Ill. de Bernard Gantner Les Heures claires éd. 19, rue Bonaparte, Paris-6"
Est-il téméraire d'illustrer encore Valéry ? C'est ce que paraît se demander Mme Agathe RouartValéry, sa fille, quand elle présentc dans un style très filial, décanté à la limite de la préciosité, l'interprétation qu'en dix-huit lithographies Sarthou a donnée de Regards sur la mer, un texte de 1830 qui fit aussi l'objet, en 1945, d 'une plaquette avec des pointes sèches de Paul Baudier. Si Mme Rouart-Valéry affirme dans sa sobre préface que « l'auteur [._.] eiit aimé ce patient labeur du lithographe et du coloriste », c'est après avoir posé une question inquiète : « Le poète aurait-il vu la vague en poudre jaillir en des gerbes dressées comme des javelles sur le vaste champ d 'eau ? Et les loits de la ville, en chute jusqu'au « toit tranquille », les a-t-il vus d'ocre aussi vif qu'on me les montre là ? »
La masse des rocs La réponse, négative, est donnée par Valéry. Il avait de la mer, quand il dessinait et peignait, une vision autre que celle de Sarthou. Ses esquisses de voiliers de ports mêlées aux notes des Cahiers telles qu'on les retrouve dans l'édition monumentale du Centre national dc la Rechcrche scientif.ique sont éloignées des fulgurantes compositions de Sarthou. Peintre, Valéry gardait le souvenir de Boudin. Quand il avait recours aux eauxfortes et quelqucs-uns enrichirent Choses Tues (Lapina-1930) -il subissait l'influence de Jongkind. Pourtant, ct si différente que sa tcchnique soit de celle de Valéry, illustrateur pour son seul plaisir et qui souvent poursuivait le trait définitif dans des entrelacs nerveux. Sarthou - qui fut prix de la criti~ que en 1956 - a réussi ce miracle d", comprendre mieux Valéry que celui-ci ne parvint à s'interpréter par lc croquis, l'aquarelle et le burin. Valéry écrit : « Oisif au bord de la mer .. . où se trouvent des pensées ébauchées, des lantbeaux de poèmes, des fantômes d 'actions, des espoirs, des menaces, toute une confusion de velléités exilées et d'images agi18
Une lithographie dl' Sarthou pour Regards sur la mer.
tées par cette grandeur qui s'offre. » Il en tire, se commentant lui-même
Limité à 157 exemplaires dont 110 sur Rives et 41 sur Japon par la gravure, une image qui fait divers avec aquarelles ou dessins et penser au Grand Bé vu par Isabey. suites l'ouvrage est présenté Sarthou, à ce poncif d'ailleurs de sous une couverture de papier qualité graphique, substitue, dans d'Auvergne . Avec son granité hule chapitre « Ciel et Mer », une mecté de bleu, elle est déjà un planche en laquelle la mer et le « regard sur la mer ». Typographie ciel s'allient. Le noir profond de de l'atelier Pierre Gaudin; tirage la majuscule de Ciel est rappelé des lithos sous la direction de dans une tache de l'horizon ; sur Fernand Mourlot, tout est soigné, la gauche un éclat de vague évodigne de l'esthète Valéry. que la pensée écartelée. Il est bon que paraisse un tel livre. Son élégance, son équilibre Une autre composition mêlc, au paraissent démentir le cri tique bleu dur de la mer, l'ocre - vif, d'art Claude-Roger Marx quand, comme s'en alarma Mme Rouart-Va- dans sa présentation de Neiges, 21 léry - des jetées, des toits, de quel- eau x-fortes de Bernard Gantner, il ques voiles, d 'appareils portuaires écrit - avec raison - pensant à convulsés, assez indistincts. Mieux ces mariages de polygraphes et de que le texte raffiné, trop poli de décorateurs mondains que consaRegards sur la mer, c'est à des crent trop d'éditeurs: « On illustre propos proches, mais plus sponta- rrop depuis un demi-siècle. Pourquoi nés d'une conférence faite en 1933 condamner les peintres-graveurs à que, dans son âpreté, convie~t toutes sortes d 'exigences et de l'éclatante litho. Sarthou s'est-il concessions souvent incompatibles aussi référé à ces « inspirations avec leur tempérament. » Dans le méditerranéennes » - mouture de cas de Gantner comme dans celui Regards sur la Mer et que Valéry de Sarthou, il ne s'agit pas de décoqua 1ifiai.t de confidence pour rateurs de texte. Celui-ci a suivi composer cette autre pla n che une méditation parallèle à celle de qu'emplit une immense grève jau- Valéry. Gantner, lui, sans guide, ne, imprégnée encore de la mer a vu, aimé la neige, dans les bois, retirée et qui paraît endiguer les sur les villages des Vosges et l'écrivagues lointaines que perfore, accuvain, sans prétendre interpréter les sant le bleu des flots, un éclat de planches, sans les dénaturer par un. commentaire délirant , comme un soleil ? Le « site originel » de V aléry - et c'est sa confidence famiEluard traduisant Picasso, s'est lière dc 1933 que je cite - c'est modestement borné à les situer ce « banc de sable, d 'un sable indans l'histoire des peintres de la cessamment charrié et accru par les neige. des primitifs à nos jours. Il courants marins ». C'est « la masse n 'hésite pas à citer , à côté de de rocs [qui] se détache de la ligne Manet, Jongkind, parmi les plus générale du rivage ». Gris, avec des récents et les contemporains, des réprouvés de la mode comme Lestries de rose. ces rocs se hérissent dans une autre planche; une balise pèrc, Henri Rivière , Jacquemin, rouge est secouée par les vagucs . Ciry. Des eaux-fortes de Gantner On les retrouve plus loin, ces récifs il souligne qu'elles sont des ( variajaunes ct violets fouettés par la tions sur le silence... Aucun gibier, mcr qu'ils repoussent. L'éclabous- (lucun chasseur » ne les hante. sure de peinturc a le poudroiement Mais on soupçonne la vie sous les toits gris ' des hameaux de BréviJdu flot brisé. Et, tumultueuse ou paisible, quand elle est libérée des liers, de Rosemollt, enfouis au bout ports, la mer de Sart hou est celle d'une route blanche striée par les du poète et penseur Valéry : « Deux ornières creusécs par les charrois. autres idées, trop simples et comme La campagne, la montagne convientoutes nues, naissent encore de nent mieux au graveur que l'agglol'onde et de l'esprit. C'est de fuir, mération d'un « paysage de banfuir pour fuir, idée qu'augmente lieue ». Le recueil est beau, émouune étrange impulsion d'horizon ... » vant. Le tirage des gravures, par
Frelaut-Lacourière, est parfait commc la typographie de Pierre Bouchet et Pierre-Jean Natban, qui ont pourtant laissé passer une faute dans le titre de la Jjlanche «( la Charrette »; au mot, il manque un r. Claude-Roger Marx, lui, soulignant quc Renoir, seul des impression.ni,.:tes, pestait contre la neige qu'il baptisait «( lèpre de la nature », a méconnu, malgré son érudition, que Renoir a lui-même saisi l'envotitement de la neige dans une toi le qui figure, je crois. dans la donation Guillaume. Si l'on cherche ainsi noise, c'e t que la réussite de Gantner méritai l~ lJUe lui fussent épargnées ees vétilles. Elles ne feront pas hésiter les 130 collectionneurs auxquels l'nmateur Yvon Morin, aux dépen de qui l'ouvrage a été préparé, présente notamment, en dehors de 100 Vélin de Rives, 20 exemplaires sur Auvergne du Mou. lin Richard de Bas, d'où pr ovenait aussi la couverture du Sarthou.
Vues aériennes A plus de collectionneurs, mais moins fortunés, Gantner est accessible puisqu'on lui doit aussi l'e cellente illustration, en couleur. du tome Alsace publié par le éditions d 'art de H eures claires dans sa collection « Houte du vin ». Déjtl la Champagne y a été exaltée par des l.iLhogxapl,i· de TOllchagucs et des te t e ' lyrilJUc!'I ou érudits d'Armand l.arrou , Y e Candon, André RaiUet et Roger Didier. C'est celui-ci qui ,_ c]as e ainsi parmi les meilleurs œnologistes, savant sans pédanterie et avec esprit, qui rend « Honneur an vin d'Alsace, la « Route prestigieuse li étant célébrée par Pierre Sehmitt et la place de la province au « Cœur de l'Europe » étant subtilement déterminée par Henri Schwamm. Est-ce un.e ob1igation ou une tradition de l'œnologie de faire appel aux militaire ? Autrefois c'était pour coiller « Monseigneur Je Vin )} - un éditeur mobilisa le maréchal Pétain. Cette fois, c'est au général Paul Stehlin de présenter l'Alsace. :rénéral d'armée de l'Air, il se devait d'en offrir des « vu cs aér:ienn P,~ ». Son urvol a bien décrit, dan ' son hi loire, sa géographie et on économie, son puys natal. Ganlncr, à ces texles variés, rend l'unité par se' illustrations, parfaitement tirées : on Alsaee v inicole e t p~lrfois vue au prinlcmps, à Colmar; à l'automnc, à Sou1L:t;. Mais le Gantner peintre de l 'hiver ou des étendues réapparaît dans les helles . vi ions des Vosges, du Grand Ballon, du bassin potussique. L'éditeur, par l'unique papier de vélin de Rives, par Je curactère un Baskerville, par l'impression de Daragnès, justifie la réputation de qualité et de goût que lui a value notamment la présentation de la Divine Comédie illustrée par Salvador Dali. Lucien Galimanà
. Les intellectuels arnerr,car,ns
LETTRE DES ÉTATS-UNIS
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et le pouvoir Quelle est l'attitude ùe l'intellectuel américain envers le pouvoir politique? Partisan Review a interrogé de nombreux écrivains, poètes et universitaires sur la crise qui sévit à l'heure présente dans le milieu intellectuel américain. Partisan Review a été, dans les années 30 et les années 40, la plate-forme de la gauche intellectuelle aux Etats-Unis. A la fin de la guerre, elle fut nettement anticommuniste, tout en demeurant le forum de la gauche. Quel sens donner au divorce entre la MaisonBlanche et les intellectuels américains? L'Amérique blanche s'engage-t-elle à accorder les droits d'égalité aux Noirs ? Les problèmes de l'inflation et de la pauvreté sont-ils sérieux? Peut-on déceler une promesse dans les activités des jeunes? Voilà les principales questions que Partisan Review a posées. Elle publie, dans son dernier numéro, les premières réponses. On trouve des opinions diverses, certes, mais aussi une commune inquiétude. Le courant anti-intellectualiste est l'un des plus persistants dans l'histoire américaine. Pendant quelques mois, le président Kennedy avait réussi à renverser la vapeur. Il avait fait entrer à la Maison-Blanche des universitaires. Ar tistes et écrivains anti-conformistes assistaient aux réceptions présidentielles. Cette lune de miel fut de courte durée et, dès son arrivée au pouvoir, le président Johnson a volontairement ou involontairement éloigné les intellectuels.
pauvreté ont éveillé la conscience américaine, ne peut dissocier la lutte contre la ségrégation de celle qui doit être menée contre la pauvreté. Tom Hayden va plus loin. Pour lui, la lutte des Noirs entre dans une nouvelle phase. Les anciens esclaves se considèrent maintenant comme un peuple colonisé et l'idéologie « du pouvoir noir » (black power) n'a rien à voir avec le mouvement intégrationniste. Pour nombre de Noirs, l'Amérique est un pays qui mène à leur égard une politique de néo-colonialisme. Tous ceux qui répondent aux questions de Partisan Review constatent que la situation des Noirs, au lieu de s'améliorer, se détériore d'année en année. Dans ce sombre tableau, n'y at-il aucune lueur? Et les jeunes ? Un universitaire, Martin Duberman, constate que la plupart des étudiants cherchent à l'université
conséquence d'une faille personnelle. Le poète Robert Lowell a l'impression que les jeunes ressemblent beaucoup à leurs aînés, sauf qu'ils peuvent espérer obtenir bien plus de la vie que ceux qui appartiennent aux générations précédentes. C'est une condamnation globale et sans rémission de toute la civilisation américaine que jette à la face des lecteurs de Partisan Review deux essayistes remarquables, Harold Rosenberg et Susan Sontag. Le premier est connu pour ses livres sur l'art et l'esthétique: « Les Etats-Unis sont gouvernés aujourd'hui par des illusionnistes professionnels. La politique prend de plus en plus les formes de la culture de masse dont l'un des phénomènes est que l'image remplace l'objet ... Les shérifs se conduisent comme des acteurs de cinéma et les acteurs de cinéma aspirent aux plus
nistes. Aujourd'hui, la nouvelle gauche la masque avec des marches, des blue-jeans, des barbes et de la musique électronique. Les uniformes et les idéologies ne sont que des substituts magiques à une pensée véritable ». Susan Sontag, dont le recueil Against interpretation d'essais, a fait beaucoup de bruit aux EtatsUnis et qui doit bientôt paraître en traduction française, ne mâche pas ses mots. L'Amérique , a été fondée sur un génocide, dit-elle. Les étrangers qui admirent l'énergie américaine savent-ils que c'est une énergie de violence, de colère et d'angoisse, le fruit d'une dislocation culturelle' chronique? Le moralisme américain, d'après Sontag, n 'est que le pendant de la foi américaine en la violence. Ce sont les symptômes d'une névrose qui prend la forme d'une adolescence attardée. Seule une certaine jeunesse trouve
Certains écrivains, tels Nat Hentoff et H. Stuart Hughes pensent qu'il n'y a pas de différence fondamentale entre Johnson et Kennedy dans leur attitude envers l'élite intellectuelle. Kènnedy, par sa rhétorique, a pu tromper les Diana intellectuels. L'essayiste Trilling met une partie du blâme sur l'intellectuel lui-même, celui-ci s'étant tenu constamment à l'écart du pouvoir politique. Et il a, par conséquent, une idée très sombre de ce pouvoir. Un autre écrivain, Richard H. Rovere, dont les Lettres de Washington, publiées dans le New y orker, font autorité, exprime un point de vue tout à fait favorable au président Johnson: « Si les intellectuels se faisaient de leur intérêt la même conception que d'autres personnes, ils seraient très satisfaits de Johnson ». Et Rovere de mentionner les subventions que le gouvernement fédéral actuel accorde aux écrivains et aux artistes. Où en est la bataille menée pour' l'égalité raciale? Les intellectuels américains expriment un profond pessimisme. Jack Newfield, Nat Hentoff et Susan Sontag sont d'avis que les Etats-Unis est un pays essentiellement raciste. Michael Harrington, dont les livres sur la
Lyndon Johnson et «The great society» (caricature parue dam The Saturday Evening).
et au collège un moyen d'obtenir ' les connaissances qui leur permettront d'avoir la sécurité et le statut du spécialiste. Ceux parmi les jeunes qui luttent en faveur des couches défavorisées de la population ne connaissent pas eux-mêmes le poids de la souffrance. Ils oublient assez vite leur idéal. On a honte en Amérique du malheur. Et l'adulte, au lieu d'accepter la souffrance comme le lot des humains, fait tout pour la cacher car, dans ce pays, le malheur est considéré comme la
La Quinzaine littéraire, 1" au 15 avril 196'1.
hauts postes. » Pour la MaisonBlanche, dit Harold Rosenberg, les intellectuels ne sont pas si différents du Vietcong. « Si seulement ils pouvaient se montrer à visage découvert et combattre comme des hommes pour en finir une fois pour toutes ». Rosenberg n'est pas tendre pour la nouvelle gauche à laquelle nombre de jeunes donnent leur adhésion. « Ce qui est essentiel en politique c'est le pouvoir. La vieille gauche a masqué cet.te question avec des clichés comrr. u-
grâce aux yeux de cet écrivain. Elle exhorte toutes les expériences sexuelles ainsi que la drogue. Les jeunes qui disent non à la société ne font pas que s'opposer à la répression sociale mais s'engagent dans l'expérience du plaisir et dans la possibilité de la connaissance de soi. L'Amérique n'est pas le seul sujet de cette vindicte; c'est toute la civilisation occidentale. « La race blanche, dit SOiltag, est le cancer de l'histoire humaine. »' Naim Kattan 19
TIERS-MONDE
Un héritage amer Wilfred Burchett Hanoï sous les bombes Maspero éd., 231 p. Jean Lacouture Ho Chi-minh Le Seuil éd., 253 p. Bertrand Russell Nüremberg pour le Vietnam Maspero éd., 135 p. A. M. Schlesinger Un héritage amer: le Vietnam Denoël éd., 251 p.
Ces quatre livres s'assemblent comme les pièces d'un puzzle. Ils nous plongent impérieusement dans la dure réalité vietnamienne, à la fois de l'intérieur et de l'extérieur, à la fois en faisant appel aux expériences du passé et en évoquant les responsabilités encourues dans l'avenir. Leur poids est encore accru, par la qualité et la compétence de leurs auteurs: un journaliste australien qui est depuis douze ans le porte-parole officieux et très bien informé des révolutionnaires ,vietnamiens, un reporter français qui depuis la fin de la seconde guerre mondiale suit avec compétence et finesse les affaires d'Indochine, un «vieillard terrible» dont les quatrevingt-quinze ans s'enflamment fougueusement pour cette nouvelle cause, un ancien conseiller privé du président Kennedy resté très lié au « clan» et à ses espoirs politiques.
en plus fouillé, avec celles de J acques , Decornoy dans le Monde ou de Harrison Salisbury dans le New York Times: Hanoï tient bon. Certes, le témoignage de Burchett ne laisse pas de côté les méthodes et les effets des bombardements. Mais Burchett prend grand soin de ne pas présenter le peuple vietnamien comme une victime résignée, traquée, terrorisée. Même si les Vietnamiens sont « préparés au pire », comme ils l'ont répété à leur interlocuteur, même si par exemple ils entraînent leurs chirurgiens à opérer dans la pénombre en se passant de lumière électrique, ils ne sont pas pour autant acculés à la défensive; ils ont réagi. Le bilan de cette contre-offensive, ce n'est pas seulement le nombre élevé d'avions abattus (plus de 1.600)
Ce qui a permis au Vietnam du Nord de s'adapter ainsi à « l'escalade», c'est la vigueur de ses traditions politiques, l'eXpérience de ses dirigeants, la confiance que leur peuple leur porte. La biographie de Ho Chi Minh par Jean Lacouture paraît à point nommé pour compléter
la terreur ':7.LUI.e et infligée, les triomphes... » (p. 179). Ce vigoureux raccourci de l'Erlebnis de l'oncle Ho suffit à montrer que le livre de Jean Lacouture est mené avec cette manière alerte et efficace, souple et nuancée, qui en fait un de nos meilleurs essayistes. Mais sa solidité ne le cède en rien à l'agrément que procure sa lecture. Il a évité presque toutes les embûches d'un genre difficile. Il a utilisé une très riche documentation (brochures, souvenirs, témoignages divers), dont il faut souhaiter qu'il présente l'inventaire en appendice dans une éventuelle réédition. Il a pris soin, à l'encontre de tant de biographies purement narratives, de compléter les chapitres consacrés aux divers épisodes de la vie de Ho Chi Minh (l'émi-
les analyses de Burchett et pour en faire comme l'aboutissement logique de l'histoire vietnamienne depuis un demi-siècle. Ho Chi Minh est une personnalité multiple, miroitante, dit Jean Lacouture. Pour façonner un homme de ce type, il faut des expériences innombrables, des épreuves multiples, une enfance pathétique dans un milieu humilié, le rude apprentissage au sein d'une société agraire en pays sous-développé, la découverte du Paris mer.veilleux, tragique et fraternel de l'aprèsguerre, la fréquentation des hommes qui furent à la fois les derniers des ({ quarante-huitards » et les premiers des « léninistes », un long exil, le travail aux côtés des bâtisseurs de la Révolution d'octobre, les prisons, la faim, les intrigues chinoises, la guérilla en haute montagne, l'ascension au pouvoir,
grant, le militant, le libérateur, le maquisard, etc.) en faisant ensuite réfléchir son lecteur avec lui sur les aspects les plus significatifs de la personnalité de Ho. La vie de Ho Chi Minh, dans une grande mesure, s'identifie à l'histoire même de la révolution vietnamienne. Il était inévitable, surtout à partir de la fondation du Vi,etminh en 1941, que le récit soit conjointement mené sur ces deux plans. Mais Lacouture ne nous fait jamais perdre de vue l'homme Ho, et cherche au contraire à définir son apport personnel à la politique vietnamienne. Ses premiers chapitres sont plus neufs encore, et mettent en lumière l'exceptionnelle variété des expériences politiques et socialcs de Ho, depuis son enfance campagnarde jusqu'aux prisons de Tchiang Kai-chek, en passant par les soutes des paquebots
collectivisation est .manifeste pour tous. Particulièrement neuf aussi est le chapitre « cerveaux électroniques et cerveaux humains », où le général Nguyen Van Vinh, commandant en chef adjoint, analyse les causes de l'échec militaire de « l'escalade» et les perspectives stratégiques de la guerre actuelle.
Multiple et miroitant
Le 17" parallèle Hanoï s'habitue à VIvre sous les bombes; mieux, l'économie, l'organisation sociale et tout l'appareil politique du Vietnam du Nord se sont paradoxalement consolidés, à travers les exigences de la résistance à « l'escalade ». Telle est la conclusion essentielle des observations de Burchett, sur la base des séjours qu'il a faits à Hanoï en février et en avril-mai 1966 - soit ~n an après les débuts des bombardements amerlcains. Conclusion d'autant plus importante que le socialisme vietnamien n'avait pas eu, à tout prendre, des débuts tellement brillants. Il était handicapé, vers 19551957, par les séquelles de la guerre, par les effets de la coupure du pays, en particulier dans le domaine économique, par l'héritage à long terme du sous-développement colonial, et aussi par les tentations du dogmatisme 'et du mécanisme (notamment par rapport aux «modèles» soviétique ou chinois de développement économique). Le premier livre de Burchett, Au nord du 17" parallèle (Hanoï 1955), reflétait bien ces difficultés, y compris par le ton naïf et un ,peu factice de certains de ses chapitres. Aujourd'hui, en revanche, plus besoin de farder la réalité. Les analyses de Burchett concordent parfaitement, 20
1eune3 garçons de Saigon.
c'est la consolidation des rapports entre le pouvoir et les masses (il y a dix ans, aurait-on aussi aisément distribué un fusil à chaque habitant ?). C'est le développement du sens civique et de l'initiative (en particulier éhez les femmes), et surtout la coopération dans tous les domaines. Face à « l'escalade», il n'est de solution que collective: organisation des abris bétonnés, décentralisation des industries, équipement spécial des écoliers, etc. La coopération agricole, dont le développement avait été difficile du fait des erreurs de la réforme agraire de 1956 (encore en 1960, la moitié des paysans travaillaient individuellement), s'est maintenant généralisée, presque sans effort des autorités. Le paysan individuel est hors d'état de cultiver la rizière, en état permanent d'alerte aérienne. La supériorité, la nécessité plutôt de la
'N atalité et développement français, un atelier de photographe rue des Patriarches à Paris, le congrès de Tours, le secrétariat de Borodine à Canton, les bureaux du Komintern à Moscou, des caves de loess de Yenan avec Mao... Ce qui manque toutefois à ce tableau, c'est quelques paragraphes sur Ho comme « sage » confucéen, comme éducateur moral de son peuple à l'aide de maximes et de distiques frappés à l'ancienne mode et imprégnés de tradition. En revanche, le chapitre XIV sur Ho et les Etats-Unis est particulièrement bien venu, et le sera plus encore dans l'édition du livre qui est annoncée aux Etats-Unis; Lacouture a parfaitement raison, à notre avis, de souligner que les sympathies lincolniennes de Ho sont un trait profond de sa personnalité, et non l'expression de préoccupations tactiques à court terme. L'auteur n'est pas spécialiste de l'histoire au demeurant si obscure du Komintern et de sa politique asiatique. Le chapitre qu'il consacre aux rapports de Ho avec la Ille Internationale n'est pas le plus solide de son livre. Mais il réussit, et c'est l'essentiel, à bien mettre en évidence le double aspect de la carrière politique de Ho, son double enracinement dans le mouvement national vietnamien et dans le mouvement communiste international. Dualité dont Ho a toujours réussi à résoudre les contradictions. « Jean-le-patriote » (Nguyen Ai Quoc), fondateur du communisme vietnamien, a été membre en même temps des partis français, chinois, soviétique. Le communisme vietnamien tout entier a été durablement marqué par cette double empreinte.
Les idées sociales Lacouture a indiscutablement été séduit par la complexe personnalité de l'oncle Ho, par ce mélange de bonhomie et de mise en scène~ de subtilité tactique et d'intransigeance, de frugalité discrète et de popularité presque familiale. Habile portraitiste politique, il nous présente ici une de ses meilleures esquisses. C'est la guerre qui vaut aujourd'hui au Vietnam la vedette de l'actualité, « une des guerres les plus inégales, les plus lâches et les plus vaines » de toute l'histoire des Etats-Unis (Lacouture, p. 249). Cette guerre a soulevé l'indignation de Lord Bertrand Russell. « Ses idées sociales, dit de lui le Larousse du XX' siècle, sont moins originales en elles-mêmes que par leur présentation audacieuse ». De fait, à l'intérieur du mouvement d'opinion que suscite aujourd'hui la guerre du Vietnam, il a apporté une note originale en proposant et en organisant u n tribunal international contre les crimes de guerre au Vietnam. La plaquette qu'il publie se propose d'aler ter l'opinion
à ce sujet, et de préparer la prochaine session de ce tribunal. Ell( présente un certain nombre d( documents et de témoignages sur le comportement des troupes amé· ricaines à l'égard des populations civiles. Mais le géant américain, face à son minuscule adversaire, · semble manifester des hésitations, des incertitudes, et le livre de Schlesinger en est un écho assez typique. Ce livre était déjà paru depuis un an aux Etats-Unis, et son édition française à peine sortie des presses, quand Robert Kennedy a lancé au début de mars 1967 un plan de paix, dont les grandes lignes sont identiques aux solutions « intermédiaires» (titre du chapitre VII) proposées dans le livre: maintien de la présence militaire américaine au Sud, mais en cessant les offensives destructrices et en cherchant à « stabiliser des zones sûres » ; cessation des bombardements contre le Nord; préparation à une négociation avec le Front nation,al de Libération, au besoin par-dessus la tête de Ky, « un de ces monstres à la Frankenstein que nous prenons plaisir à créer chez nos clients » (p. 218), en un mot, « désescalade ».
Kennedy Ce livre était donc comme une préparation psychologique à l'initiative politique que devaient prendre un an plus tard, soit au jourd'hui, les Kennedy en vue de proposer aux Etats-Unis une autre politique vietnamienne. Caractère « opérationnel » qui se reflète aussi dans le dernier chapitre, consacré aux périls que la guerre du Vietnam fait courir à la démocratie américaine. Schlesinger passe assez rapidement sur la politique américaine au Vietnam sous la présidence de Kennedy; il suggère qu'elle considérait le conflit vietnamien comme une guerre civile, et s'appliquait à respecter ce caractère en se refusant à l'intervention directe des troupes américaines. Son plan de « désescalade », au fond, tend à revenir à la situation d'alors. En revanche, il est extrêmement vigoureux, presque impitoyable, au sujet de la politique suivie par Washington au Vietnam depuis le crime de Dallas. « Comment y sommes-nous venus? Qu'y avonsnous fait? Où en sommes-nous? Quel prix payons-nous? D'où viennent nos difficultés? La Chine est-elle notre ennemie? », se demande-t-il dans ses six premiers chapitres, et ses réponses sont autant d 'attaques contre les thèses officielles de Johnson, Rusk, McNamara et Westmoreland. Quatre ouvrages qui donc, chacun à sa manière, aideront à m ieu x réfléchir sur la guerre du Vietnam.
La Quinzaine littéraire, 1 er au 15 avril 1967.
Jean Chesneaux
Paul Bairoch Révolution industrielle et sous-développement S.E.D.E.S. éd., 360 p.
Diagnostic de l'évolution économique du tiers monde, 1900-1966 Gauthiers-Villars éd., 228 p. Toute l'histoire de l'ancienne société n'est que l'histoire de la confrontation entre des hommes, poussés par leur vertu générative à accroître sans cesse leur nombre jusqu'au maximum permis par les subsistances, avec la nature. c'està-dire le terroir, le climat, l'hydrologie qui, selon les lieux et les temps, rendent plus ou moins facile l'obtention de ces subsistances. A la longue, un équilibre s'établit entre les humains et la production de subsistances, mais à travers bien des souffrances, des mortalités, infantiles ou adultes. Après les disettes et les épidémies, les mariages et les naissances remplissent les vides qu'ont creusés les premières. A un taux élevé de mortalité correspond dans la société ancienne un taux non moins important de natalité qui en est la contrepartie. Le progrès technique est lent, sinon imperceptible. On ne peut accroître les subsistances qu'en augmentant les étendues cultivées ou en améliorant l'irrigation et le drainage. En Occident, certains vieux auteurs, nourris des Latins, comparent la Pax romana, propice aux cultures, aux divisions intestines et aux guerres qui ravagent l'Europe depuis les invasions barbares. Il ne fait à leurs yeux aucun doute que leur monde est moins peuplé que celui de l'Antiquité. D'autres, moins pessimistes, et plus réalistes, semble-t-il, voient dans une alternance de sur et de sous-peuplement l'histoire démographique de l'Europe. Or, à partir du milieu du XVIII"' siècle, on invente le mot population et on commence à se reudre compte que lentement, mais sûrement, le nombre des hommes croît. Malthus dramatisera cette prise de conscience en 1798. D'abord recule la mortalité, sans que diminue le taux élevé de natalité. Ce n'est qu'au XIX" siècle que s'accomplira la réduction de ce dernier, que Landry baptisera révolution démographique. On ne constate pourtant pas durant cette période, qui voit la fin des grandes famines , de fortes importations de subsistances étrangères ; celles-ci ne pourront se présenter en masse sur le marché européen qu'avec la baisse des coûts de transport permise par le développement des n avires à vapeur qui apporteront ~es blés d 'Odessa et du nouveau monde . Il y a don c un accroissement de la productiou agricole ouest-européenne qui permet à la population d'augmenter, ac-
croissement obtenu surtout par des défrichements. La révolution agricole, par l'amélioration massif des rendements, est très postérieure à la fin des famines, mais, dès le XVIII" siècle, l'agriculture accroît sa consommation de métal, donc sa productivité par tête, pour les fers à chevaux, les faux et les charrues. C'est elle, nous disait M. Bairoch dans son premier ouvrage, qui est à l'origine de la révolution industrielle dans la sidérurgie. Minutieusement, par une compilation de statistiques et de calculs originaux vraiment remarquables, M. Bairoch s'attachait à dé mou t r e r ce _qu'avaient vu les plus lucides des économistes de l'époque, je veux dire les physiocrates, rassemblés autour du génial Quesnay, et aussi un Ecossais exilé (pour jacobisme) en France, Sir James Steuart. En insistant sur le rôle fondamental du produit net ou surplus agricole, masse de subsistances non consommées par le secteur agricole et donc mises à la disposition du reste de l'économie par l'impôt, la rente foncière et les achats à l'industrie, ces économistes avaient bien analysé le mécanisme de la circulation des richesses, qu'illus. tre le fameux Tableau de Quesnay . M. Bairoch s'en tient, quant à lui., aux données de l'histoire quantita. tive dont on sait, pour la France, ce qu'elle doit aux travaux de tant d'historiens comme MM. Labrousse, Meuvret ou Goubert que d'économistes comme MM. Perroux, Marczewski et Toutain. Si le mécanisme de la révolution économique (démographique-industrielle et agricole) est à peu près connu, sa cause l'est beaucoup moins; elle s'est faite, très progressivement, avec de faibles taux annuels qui ont fini par f$e cumuler ; mais pourquoi ces dMrichements, cette utilisation plus large d 'instruments métalliques, cette modification de l'assolement, comment la demande, donc le nombre des hommes, a-t-il pu s'accroître préalablement? M. Bairoch rejette l'explication par l'influence de la méthode scientifique nouvelle sUr la technique. Cette influence est, en effet, postérieure à l'essor agricole. La hausse des prix, déjà présente en d'autres siècles, ne lui paraît pas non plus suffisante. Il rejette aussi un facteur, retenu au contraire par M. Chaunu dans son ouvrage récent sur la Civilisation de l'Europe classique: l'explication par les progrès de la santé dus à l'introduction de boissons exotiques (th é, café) exigeant l'ébullition d'u ne eau jusquelà polluée, ou à l'au gmentation de la consommation de vin dans les classes inférieures. La vaccine quant à elle ne produira ses effets qu'à la fin du XVI II' siècle. Cette partie de la première ét1.ldc de M . Bairoch, très analytique, est évidt>mment la plus contestable : ricn n ·est plus difficile à connaît re exaelement que les menta1i l~s et les éllll~
D-. 21
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Qu'est-ce que "la krellllinologie .?
Natalité et développement
de santé dn passé. Il reste - et c'est essentiel - que progrès il y a, lent certes, mais proportionné entre la population, l'agriculture et l'industrie. C'est là, disait déjà Steuart, et, avant lui, le vieux Boisguillebert, la condition essentielle de l'accroissement de la richesse nationale: le maintien de justes proportions. Deux siècles plus tard, lorsqu'on tente une comparaison entre l'ancienne société dont les traits démo-économiques se retrouvaient, peu ou prou dans l'ensemble de l'ancien monde - et le tiers monde actuel, on est frappé par l'absence de ces proportions : dans le tiers monde, la révolution de la mortalité a bien eu lieu, mais la natalité est restée d'ancien type. Cette explosion démographique absorbe et parfois dépasse l'accroissement annuel des subsistances. D'autres obstacles s'ajoutent, qui empêchent un développement du tiers monde semblable à celui de l'Occident depuis 1750. _ Fidèle à sa méthode quantitative, M. Bairoch présente aujourd'hui, en un volume très dense, son diagnostic chiffré de l'évolution économique du tiers monde de 1900 à nos jours. Ce diagnostic est fort pessimiste; il est d'un grand intérêt puisqu'il montre bien comment l'inflation démographique est ,récente chez les sous-développés; la rupture s'est faite dans les trente années qui ont suivi la première guerre mondiale; jusqu'en 1920, l'accroissement de la population est de l'ancien type (autour de 0,5 0/0 annuellement). Il passait à 1,2 % dans sa période 1920-1950. Il est de 2,6 % aujourd'hui pour les pays choisis par M. Bairoch. La famine est de nouveau à l'ordre du jour, que ce soit en Asie ou en Afrique. L'industrie ne suffit plus à absorber la main-d~(lmvre excédentaire; l'agriculture ne dégage pas assez de surplus, car elle est elle même en état de sur-peuplement, pour permettre un développement suffisant de l'industrie. Il y a là un des cercles vicieux du sous-développement, que · ne peut suffire à corriger une aide internationale, si généreuse soit-elle. Quel traitement conseiller? _ M. Bairoch réclame une priorité à l'agricul~e vivrière et, pour éviter que la production additionnelle ne soit absorbée par une population agricole supplémentaire, ·une action sur les taux de natalité, action réussie au Japon, p~ exemple, mais action nécessairement longue et socialement délicate. Peu d'auteurs, sauf les plus doctrinaires, discuteront cette thérapeutique. Quant au diagnostic, au gros effort de chiffrer l'évolution du tiers monde, il intéressera tous ceux - et ils sont nombreux qu'une littérature trop abondante et sans originalité sur le sujet avait fini par faire douter de l'aptitude de l'économiste à répondre aux questions de l'historien.
Michel Lut/alla 22
U.B.S.S.
Les dirigeants soviétiques à l'époque de KhrouchtclUlv . .
Michel Tatu
Le Pouvoir en U.R.S.S. Du déclin de Khrouchtchev à la direction collective Grasset éd., 604 p. Qui détient le pouvoir en U.R.S.S.? A cette interrogation, les spécialistes répondent en recourant essentiellement à deux méthodes d'approche différentes qui découlent de problématiques différentes aussi. D'un côté la science politique cherche à poser le problème en termes sociologiques et centre sa réflexion sur les · liens entre la société, l'~déologie et les mécanismes du pouvoir. A cette direction se rattachent tout particulièrement les travaux de Léonard Shapiro ou d'Alfred Meyer. De l'autre côté, la kremlinologie, se fondant sur la concelltration du pouvoir aux mains de quelques dizaines de personnes, s'attache à étudier la lutte politique au sommet. Entre ceux qui considèrent que le pouvoir en U.R.S.S. relève des catégories de la science politique (dans un contexte sociologique et idéologique particulier) et ceux qui affirment sa spécificité, l'existence de lois propres à ce cas, l'écart est moins grand qu'il n'y paraît, car les « . politistes » se font un petit peu kremlinologues et les kremlinologues ne s'enferment jamais totalement dans leur méthode. De surcroît, les études des uns et des autres sont complémentaires et enrichissent sans conteste la connaissance de la vie politique en U.R.S.S. Michel Tatu se rattache clairement et délibérément à l'école kremlinologique et apporte à ses travaux une expérience directe de l'U.R.S.S. et une compréhension très sûre, un flair même,. de l'atmosphère politique soviétique. Il a lui-même défini son projet: étudier l'évolution du pouvoir post-stalinien qui aboutit à cet événement extraordinaire pour TU .R.S.S., l'élimination pacifique d'un dirigeant politique qui avait réussi au préalable à rassembler tout le pouvoir dans ses mains. La chute de Khrouchtchev en novembre 1964, bien qu'elle ait surpris l'U.R.S.S. autant que le
monde, a été l'aboutissement d'une série de conflits entre les dirigeants, et d'un progressif déclin du pouvoir khrouchtchevien. Quand ce déclin a-t-il commencé? Quels ont été les moments privilégiés de la lutte qui brisa Khrouchtchev? A quel niveau se fit cette lutte ? Pour Michel Tatu, toutes ces questions ont des réponses : le déclin commence en 1960, il a été marqué par trois grandes étapes et la lutte pour le pouvoir a été conduite par un petit groupe d'hommes au sommet de la hiérarchie du Parti, et là seulement. Si le kremlinologue peut apercevoir les prodromes de l'attaque menée contre le pouvoir khrouchtchevien dès le début de 1960 dans le limogeage de Kiritchenko, c'est réellement avec l'affaire de l'U2 et l'échec de la conférence au sommet que s'ouvre l'ère des crises qui conduira finalement à la chute de Khrouchtchev. La première de ces crises, celle d'avril-mai 1960, a eu des conséquences multiples : une mise en question de la politique extérieure de Khrouchtchev, un raidissement de la politique étrangère soviétique, enfin, et surtout, des remaniements au sein du Présidium. Si Khrouchtchev conservait au terme de laborieuses discussions le « rôle privilégié» qu'il avait en politique extérieure, dans tous les autres domaines où depuis 1957 il s'était efforcé de s'assurer un pouvoir absolu, il lui fallait faire place à ses pairs. L'affaire de l'U2 a été ainsi essentiellement « le catalyseur d'une · opposition larvée », qui a permis aux adversaires de Khrouchtchev, appuyés sur les mécontentements croissants (les niilitaires, les - ceIitralisateurs, etc.), d'obtenir un certain partage du pouvoir. La seconde étape majeure de ce combat des dirigeants fut le XXIIe Congrès du P.C.U.S. où la déstalinisation apparaît d'abord comme un moyen pour Khrouchtchev de se débarrasser de ses adversaires personnels de la direction collégiale post-stalinienne. La cris", de Cuba, troisième et dernière étape d'un déclin drama-
tique, recouvre en réalité une tentative générale de Khrouchtchev pour résoudre les problèmes fondamentaux ' qu'affronte l'U.R.S.S. à l'intérieur et à l'extérieur. A l'intérieur, il doit redéfinir la place du Parti en tenant compte des p ers p e c t ive s idéologiques du XXIIe Congrès (le passage de « la dictature du prolétariat » à « l'Etat de tout le peuple »), de la volonté des gestionnaires de l'économie de desserrer l'étau bureaucratique, de la volonté de mieux-être généralement manifestée à la base. A l'extérieur l'U .R.S.S. doit tenter de modifier l'équilibre stratégique le plus rapidement possible, et au meilleur compte possible dans la mesure où la course aux armements prend, sous l'impulsion de Kennedy, un rythme sans cesse accéléré où l'économie soviétique s'essouffle, et où l'effort qu'exige cette course va à l'encontre des exigences manifestées par le peuple soviétique.
La réforme du Parti, qui sera divisé en branches industrielle et agricole, et l'installation des fusées soviétiques à Cuba sont des initiatives spectaculaires de Khrouchtchev à l'automne 1962 pour résoudre ces problèmes. L'échec de politique extérieure qu'il enregistre alors ouvre une période de difficultés internes dont le recensement kremlinologique est fort curieux et éclairant. En février-mars 1963, Khrouchtchev semble avoir été mis en accusation par le Présidium, et l'attaque conduite par Kozlov l'aurait presque acculé à la démission. Cependant cette éventualité est remise à plus tard par la disparition de Kozlov, qui est apparu après la crise des Caraïbes comme le vrai chef de l'opposition. Celle-ci souffre encore d'un manque d'unité et de l'incapacité à résoudre le problème du « dauphinat ». Khrouchtchev se maintient au pouvoir, mais il se heurte dès lors à l'inertie de l'appareil, voire à un certain sabotage .. Comment est-on passé de cette usure du pouvoir et des attaques timorées d'une opposition dispersée, et limitée au demeurant à quelques hommes, à un complot en règle? Quel fut le catalyseur de
200.000 pages sur l'U.R.S.S.
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la dernière crise? Ce fut selon Tatu une menace immédiate, l'intention de Khrouchtchev d'utiliser le plenum de novembre pour reprendre la situation en main, écarter de8 vraies responsabilités les membres de la direction collective. Ceux-ci réagirent en retournant contre Khrouchtchev l'arme qu'il préparait, en faisant du plenum l'instrument de sa chute. Ainsi, dans les journées dramatiques de novembre 1964, l'événement décisif ne fut m la crise du camp socialiste, ni la nouvelle politique allemande 1 de Khrouchtchev, mais une fois de plus l'éternel problème de l'U.R.S.S., la lutte pour le pouvoir. Depuis lors, les successeurs ont établi et maintenu une direction collective. Cet équilibre est-il durable '! : Le problème du pouvoir se pose-t-il en 1966 de la même manière qu'en 1953 ou même en 1960? A ces deux questions l'auteur répond par la négative. « La collégialité "{leut se révéler acceptable pour la gestion des affaires courantes, mais qu'un choix plus grave vienne à s'impo- 1 ser, qu'un conflit plus aigu surgisse entre tel ou tel de ses membres et la direction collective fera apparaître toutes ses faiblesses. ) La chute du « numéro 1 » et le fait que la lutte ne se déroule plus totalement en vase clos comme dans le passé en modifient les données. Surtout il est clair qu'à tous les niveaux on aborde le problème du pouvoir de décision en termes nouveaux. L'idée de «( l'Etat de tout le peuple » répondait certes à des exigences de propagande extérieure, mais bien plus encore à des besoins internes. Il suffit de lire les revues soviétiques (Sovetskoe gosudarstvo ipravo voprosy filosofii, etc.) pour constater que le débat ouvert sur ce th;:' ..... " n'a pas été une manœuvre du pouvoir, mais correspondait à des preoccupations profondes de la (( base ». Les discussions sur la compétence des_soviets locaux sont probablement à compter au nombre des indications les plus importantes sur l'évolution du problème du pouvoir en U.R.S.S. Dans quel sens peut aller l'évolution soviétique? Sera-ce le retour au pouvoir absolu d'un homIJlP ? Une t p 11" p"'--.othèse n'ef<t pas exclue par M. Tatu mais il en dennit les moyens, « une purge extrêmement vigoureuse, une nouvelle révolution frappant comme dans les annp.es trente l'immense majorité de l'appareil en place ». L'autre voie est une authentique démocratisation de la vie politique. C'est vers cette voie que tend l'opinion soviétique et l'on peut en voir un témoignage très sûr dans l'intérêt qu'elle porte à toutes les discussions sur ce sujet, dans l'attraction qu'exerce déjà sur elle la résurrection de groupements à caractère non politique mais qui ma· nifestent un désir nouveau de par. ticipation. S'il est encore détenu par un groupe restreint, le pouvoir en U.R.S.S. est ressenti de plus en plus comme la chose publique. Hélène Carrère d'Encausse
Merle Fainsod Smolensk à l'heure de Staline traduit par Gisèle Bernier Fayard éd., 496 p.
Au mois de juillet 1941 l'armée allemande fit son entrée dans Smolensk. Les autorités locales avaient reçu des instructions pour détruire ou emporter leurs archives ce qui fut fait dans la confusion du premier mois de l'invasion. Néanmoins les dossiers du parti communiste wuvrant la période 19071928 n'étaient pas conservés au
Il fallait le destin curieux de l'historiographie soviétique pour leur donner quelque valeur. Depuis cinquante ans, en effet, sa tâche n'est pas de vérifier mais de valider l'ensemble des théorisations proposées par le pouvoir pour rendre compte de sa politique présente. Chaque mutation doctrinale entraîne un rajustement du passé. Beaucoup d'érudition est ainsi dépensée pour conformer la vérité du passé à la fiction du présent. Les archives sont ' consultées, de nouveaux documents publiés, d'autre retirés de la circulation travail considérable
province rurale hostile ou indifférente. Ils recrutent, colonisent okrug et raion, resserrent les contrôles, installent l'appareil. Les beaux orgamgrammes évoquent une image J'administration sereine et puissante. Mais les documents montrent au contraire la tension et l'urgence. Les militants s'essoufflent à atteindre des objectifs presque inaccessibles, n'agissent que sous des pressions intenses, venues d'en haut, les répercutent plus bas. Ils courent d'un point à l'autre du front, s'efforcent de se convaincre du bien-fondé des décisions imposées, d'en convaincre leurs inférieurs, fanatiques de l'efficacité. Mais en même temps on les voit occupés à se créer des abris et des refuges, à rêver d'une sécurité personnelle qui ne vient jamais, à trouver compensation dans les privilèges matériels, les réseaux personnels de puissance à bâtir en somme une société arbitraire mais humaine dans les interstices d'une société non moins arbitraire mais inhumaine, cela jusqu'à ce qu'ils périssent en masse, vers 1936. Mais à cette date, dans chaque village fonctionne un avant-poste de · l'appareil, permanent, interchangeable, contrôlant de l'intérieur la matière sociale, laquelle est tenue de l'extérieur par les instruments traditionnels de l'autorité, la police et la justice conjointe. Le pouvoir est en place. Pour quoi faire? Pour contrôler, c'est-à-dire pour exister en tant que pouvoir. Ce pourrait être le motif le plus profond de l'opération du régime : la collectivisation de l'ancienne cul· ture.
Les koulaks
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Fonctionnaire de l'ère stalinienne.
slege mais dans un autre bâtiment assez éloigné : ils demeurèrent intacts. Les officiers de renseignement allemands trouvèrent la collection dans le plus grand désordre. Ils effectuèrent un choix de hasard, selon la dimension des cais!'es et les possibilités de transport. Cinq cents dossiers, contenant approximativement 200 000 pages, prirent ainsi le chemin de l'Allemagne. C'est là qu'à la fin de la guerre ils tombèrent entre les mains des Américains. Ils se trouvent maintenant confiés à la garde de la Section militaire des Archives, au Cen· tre fédéral des Archives, Etats-Unis. _Cinq cents dossiers ce n'est rien.
La Quinzaine littéraire, 1 er au 15 avril 1967.
de confection my thologique dont les historiens de l'Occident tirent constamment -profit. Cependant il est frustrant, : pour ces derniers, de toujours comparer deux mensonges pour en extraire- la vérité, de reconstituer un texte authentique à travers une série de truquages ; d'où l'aubaine des cinq cents dossiers. Cette infime collection est la seule. L'information qu'elle livre se concentre sur deux problèmes clefs : le pouvoir et son exercice ; la vie concrète d"~ne région. Le pouvoir, parce qUf, ce sont les archives du Parti. On voit comment une poignée d'hommes s'installe, vers 1920, dans une vaste
La lutte contre les koulaks, par exemple, telle qu'elle ressort des documents, combine deux phénomènes différents l'application aveugle de décisions privées de sens et le bunt, le déchaînement du banditisme dans les villages. Singulière répétition de l'Opritchnina qui, sous Ivan le Terrible, avait dévasté le royaume. Une circulaire - malheureusement non reproduite.répartissait les koulaks en trois catégories qui devaient être déportées plus ou moins loin de leurs villages et dépouillées plus ou moins complètement. Mais la définition de koulak n'était pas donnée, ce qui permettait le glissement d'une catégorie économique à une catégorie fantasmatique. Le koulak est l'Ennemi. Il souille ce qu'il approche, contamine sa famille, ses enfants : loup-garou et chien enragé. Ainsi fut-il traité. Ce fut, pendant l'année 1930, l'orgie dt pillage, la gabegie meurtrière, la déportation désordonnée, les suicides collectifs, les manifestations de pitié de la part de la population. Ensuite, ce fut la famine. Tel fuf le traumatisme originaire dont l'institution kolkhozienne ne s'est jamais relevée. 23
HISTOIRB ~
200.000 pages sur l'U.R. S. S.
Avant 1914
La purge des universités, pour être moins expéditive, ne fut pas moins efficace. Inexorablement, les non-communistes sont évincés des postes clefs, des chaires importantes. Par cette sorte de racisme de classe qui distingue l'ère stalinienne, les étudiants d'origine non prolétarienne sont éliminés, frappés d'un numerus clausus. La baisse catastrophique ,de niveau ne paraît pas un prix trop élevé pour cette épuration. Les étudiants mènent une vie spartiate et enfiévrée. Ils doivent répondre à des obligations extra-scolaires, aider à la collectivisation, militer chez les sans-Dieu, faire souscrire aux emprunts d'Etat, participer à la préparation militaire et, s'ils veulent faire carrière, s'inscrire au komsomol et au Parti. La censure, en contrôlant l'information, garantit l'efficacité de la nouvelle éducation. Les bibliothèques sont purgées des livres écrits par les auteurs disgraciés, fussent-ils vétérinaires ou agronomes. On porte au pilon des milliers de cartes postales, des éditions musicales, tout livre faisant, fût-ce en note, allusion à Trotsky ou à un auteur interdit, les œuvres de Staline en chinois la traduction étant suspecte - , des affiches, etc. Mais les archives 'n ous présentent les censeurs dans toute leur faiblesse humaine, accablés par un arbitraire aussi lourd que celui qù 'ils font peser, pris dans un filet de relations dangereuses avec les rédacteurs de journaux, les bibliothécaires, les représentants du Parti ou du N.K.V.D.
Le parti Ce qui donne vie à ces descriptions, et à l'ouvrage son mérite, c'est son caractère de monographie locale. Car la valeur des archives , de Smolensk n'est pas tant qu'elles permettent la preuve (on savait déjà qqe les choses s'étaient ainsi passées), mais qu'elles permettent de passer de l'analyse globale et abstraite à l'analyse détaillée et à la vision concrète. Ce n'èst plus le Parti, mais des hommes qui ont des noins, de la ' bravoure et de la lâcheté, de la sottise et de l'habileté, des êtres vivants. Ce n'est plus l'U.R.S.S., mais le paysage russe, ses villages, ses forêts, ses çhamps. Ce n'est plus la théorie, mais la pratique, non plus le socialisme, mais un pouvoir. Un livre d'histoire est un aliment de la rêverie, un stimulateur de l'imagination : celui-ci, entre tous, impose une vision. Cinq cents dossiers, c'est peu pour l'histoire, mais accablant pour un historien. Il fallait à Fainsod des qualités ,de chef d'équipe pour en extraire de quoi faire un livre ; beaucoup de modestie pour s'effacer derrière les textes, de coup d'œil pour leS trier, de talent pour les dominer.
Luc Delardenne 24
Exposition Universelle, Paris' 1900
le château d'eau vu de la Tour Eiffel.
Barbara Tuchman
L'Autre Avant-Guerre 1890-1914 Plon ' éd., 564 p. Il y avait ' des marquis et des ducs, des vicomtes, des barons et des baronnets. A la richesse et à la propriété foncière ils joignaient des talents divers et remarquables. Le présent était délicieux dans l'Angleterre de 1895. Les murmures de quelque 20 millions de malheureux n'atteignaient pas ces « dieux et ces déesses » d'un empire colossal. C'est dans cette atmosphère de confort et de paix, emplie d'espoir, que s'ouvre le récit de B. Tuchman. A tant d'espoirs il y avait des causes multiples mais toutes avaient une même source de progrès. « Il semblait impossible que tant de gains matériels pussent ne pas produire de changement spirituel et que le nouveau siècle n'ouvrît pas une ère nouvelle dans le comportement humain. » Malgré ses misères le peuple demeure silencieux. La révolte soulève une poignée d'hommes, intellectuels, solitaires, romantiques ou voyous. De Russie, l'Idée gagne l'Europe. L'esclave doit se dresser contre le maître. Après la révolution, lorsqu'il n'y aura , plus ni lois, ni propriété, un nouveau contrat raisonnable et juste s'établira en-
tre les hommes et l'on vivra l'Age d'or. Ce rêve anarchiste d' fi. une société sans Etat ll, alors que l'Etat en tout pays n'a jamais été aussi fort, ni aussi désireux d'affirmer cette puissante relève de l'Utopie pure. L'Amérique dont la population s'est accrue de 1880 à 1890 de 50 % découvre la, puissance maritime, sa mission de « race conquérante ll. L'Allemagne se couvre d'industries géantes, de villes enflées. A l'exposition universelle de 1900, son pavillon étale cette supériorité . Tout y est plus grand, plJ1S beau, plus brillant qu'ailleurs. L'économie anglaise connaît aussi après 1900 une nouvelle expansion et la France, qui a besoin d'héroïsme, se déchaine autour de l'Affaire. Dans le même temps les travailleurs, pour survivre, apprennent à protester. Le progrès n'est pour eux qu'un air irrespirable et rationné, l'impossibilité de satisfaire aux besoins les plus élémentaires. Sous l'égide du socialisme, des synJicats, ils réclament la journée de huit heures et le suffrage universel, l'hygiène et la sécurité dans les usines. Grève des mines, grève générale en Belgique ou en Italie, la révolution de 1905 sort de l'une de ces manifestations populaires et arrache provisoin:ment à l'Etat une constitution. La grève est l'affirmation nouvelle de classes demeurées jusqu'ici sans existence réelle, sur un autre registre le même appétit de conquête, la même volonté de
grandeur que ceux exprimés par la montées des nationalismes. Tant de violences à demi exprimées ne laissaient pas d'inquiéter. Allait-on marcher à la révolution totale, ou était-il encore possible de maintenir le statu quo? Deux conférences internationales réunies à La Haye en 1899 et 1907 sur l'initiative du tsar Nicolas II tentent d'arrêter la course aux armements mais n'aboutissent sur rien, l'on parle « d'adoucir la guerre ll. Devant l'échec des diplomates à Stuttgart, Copenhagne et Bâle, les congrès socialistes reprennent ce jeu de la paix. En cas de conflit les masses doivent imposer leur volonté en désobéissant aux gouvernements par la grève totale. Pourtant, le 24 juillet 1914, l'ultimatum de l'Autriche à la Serbie ne provoque aucun soulèvement des peuples qui acceptent de se faire mercenaires de leur pays. Le patriotisme sert de canal d'évacuation à toutes les passions de la fin du siècle. L'auteur prend un personnage central, le temps, c'est-à-dire les quelque vingt-cinq années qui ont précédé la Grande Guerre. Entremêlant les thèmes, elle construit peu à peu ce personnage sans cesse retouché par un nouvel éclairage. Une telle écriture, souvent proche de l'ironie, pittoresque, parfois agressive demande au lecteur une certaine sensibilité. Libre à chacun de supprimer les pointillés là où il le désire et de choisir un fil condueteur à ces pages.
Geneviève Poidevin
INFORMATIONS Les bibliothèques d'entrepri8e L'association Lire a adressé des questionnaires à 6 000 entreprises françaises dans le but de constituer un fichier central des bibliothèques d'entreprise. C'est là, en effet, une question délicate et les spécialistes euxmêmes sont rarement capables de citer plus de 150 de ces bibliothèques, alors qu'une enquête menée dans la seule région de Bordeaux, il y a trois ans, en dénombrait 80, non sans de multiples recherches et démarches, il est vrai. Le problème des bibliothèques sur les lieux de travail est l'un de ceux qui préoccupent le plus les spécialistes de l'action culturelle. Le modèle est sans doute, actuellement, celui de la Régie Renault qui compte 55 000 ouvrages enregistrés - dont un certain nombre, d'ailleurs, endommagés, , ont dg , être retirés de la oirculation - et qui dénombrait approximativement 104 000 prêts en 1966, pour un publiç de lecteurs groupant à peu près un tiers du personnel. Pour la même année, 1966, il était
relevé 43 000 prêts de romans et 61 000 d'ouvrages documentaires, parmi lesquels 15 000 de livres d'art, 7600 de livres d'histoire (concernant notamment les deux guerres mondiales) , 7 000 d'ouvrages dits « littéraires • (surtout des classiques) outre 10 000 livres d'enfants. Il semble que les membres du personnel de la Régie ne viennent pas seulement choisir des livres pour eux-mêmes, mais aussi pour toute leur famille. Les chiffres fournis sont actuellement encore approximatifs. On trouve plus de précisions dans l'enquête réalisée par l'Université de Bordeaux, au centre de sociologie des faits littéraires. Alors que chez 'Renault, il ne semble pas être fait de distinction entre employés et ouvriers, dans la région bordelaise, l'enquête révèle que ce si;>nt les premiers qui ont le plus fort taux de fréquentation, alors que les seconds estiment souvent que • la bibliothèque n'est pas pour eux -. ' Dans l'ensemble, le problème est
encore mal connu (:t les renseignements sont fragrnentaires et contradictoires. SI certaine bibliothécaire relève que des ouvriers lisent du Maurois et certains cadres du Jean Bruce, ailleurs il r:::t constaté que 76 employés sur 320 répondent à un questionnaire de la bibliothèque alors que l'on n'enregistre que 23 réponses pour 2 000 ouvriers. La question est d'nutant plus intéressante qu'elle ost étroitement liée à celle de la promotion sociale. Une bibliothécaire répond notamment à l'enquête bordelaise que les lecteurs de romans poliCiers ml lisent générall7 ment pas autre chose, alors que les amateurs de romans d'espionnage $e transforment vite Cil lecteurs de livres de voyage et de documents. Il ressort en tout cas de ces d",.. nées contradictoires, dont chacune présente de l'intérêt on sol, qu'elles doivent être replacéos da!1S un catlre d'ensemble. C'est té à quoi t'lnd l'initiative de l'association Ure aidée par le Cercle cie 1. librairie.
LOISIRS
De , Jacques Brel a Klee J. Dumazedier et A. Ripert Le Loisir et la Ville 1. Loisir et Culture Le Seuil éd., 398 p. Le mot loisir présente quelque ambiguïté, car il est à la fois contenant - le temps disponible - et contenu - ce à quoi ce temps est consacré. Cette dualité, qui est déjà manifeste dans la définition (non signée) que l'Encyclopédie donne de ce mot (temps vide que nos devoirs nous laissent, dont nous pou, vons disposer d'une manière agréable et honnête), est d'ailleurs moins sensible pour le sociologue que pour l'économiste, aux yeux duquel le temps lihre est important parce qu'il constitue un prélèvement sur les gains de productivité et le volume des heures de travail disponible. Or les auteurs de Loisir et Culture sont sociologues, à ce titre c'est à l'usage qUi est fait du temps hors travail qu'ils .s'intéressent. .Le livre qu'ils viennent de publier sera prochainement suivi d'tin volume intitulé Loisir et Société. Culture et société : ce diptyque familier pourrait être mal interprété. Il ne renvoie pas à l'opposition clas- sique entre typique-arbitraire et fonctionnel-rationnel, mais plutôt à celle, tout aussi classique, de l'individu et du corps social. A partir d'une_ série d'enquêtes sur le terrain menées à Annecy pendant plusieurs années, les deux auteurs ont en effet étudié le phénomène des loisirs à deux niveaux : celui de l'individu qui, grâce à ce temps libre, dispose de possibilités - variables de développement ' culturel, et celui de la société, dont le fonctionnement ne peut manquer d'être affecté lui aussi par d'aussi
et
des besoins de détente, de divertissement et de développement. Le second en revanche, même envisagé sous l'angle personnel qui est celui choisi par les auteurs, est extraordinairement fuyant, comme en témoi.gnent les -innombrables interprétatiOll-S qui en ont été données. Dumazedier-Ripert définissent ici la culture, comme Cassirer, par référence à l'ensemble des symboles « qui mettent l'individu en relation avec le monde, la société et luimême dans une civilisation donnée» (p. 33) : dans cett~ perspective, « l'unité spécifique des divers secteurs de la culture ( ...) est à chercher dans la fonction symbolique, dans le maniement des signessymboles, en contraste avec le comportement de l'animal ql,ti réagit seulement à des signaux. » (R. Ruyer). Loisir et Culture cherche à ré.pondre à deux grandes questions: 1. la culture des masses s'est-eUe améliorée ou dégradée au cours du temps? 2. s'est-eUe homogénéisée, ou voit-on au contraire s'affirmer des stratifications fondées sur les ' classes d'âge ou les classes sociales?
Le propre des enquêtes scientifiques est de ne pas se prêter aux conclusions tranchées et spectaculaires. Celle-ci (qui a été menée avec une ingéniosité tout à fait remarquable . dans l'art de faire . avouer aux intéressés leurs goûts culturels), ne fait pas exception à la règle, car elle nous révèle un tableau des loisirs urbains - décomposés en cinq « centres d'intérêts » : physiques, pratiques (par exemple bricolage), esthétiques, intellectuels, sociaux (les rencontres) - où les facteurs d'optimisme coexistent avec les éléments négatifs.
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récusent par réalisme le critère df la « haute 'culture », ils reconnais- • sent que le risque est grand, sous • couleur de culture librement ' accep- : tée, de voir se généraliser ce que Ha· • rold Rosenberg appelle « mid-cul- • ture », c'est-à-dire un brevet pour • pseudo-intellectuels. De là sans· doute leur attitude ambivalente: envers l'école, -à qui ils reprochent. d'être contraignante, donc de se. situer aux antipodes d'une culture. librement choisie, tout en admet- • tant que, sans elle, la culture a du • mal à s'enraciner. • Ce qui ressort précisément des • :réponses données à la deuxième. question (disparité ou homogénéité), • 1 i\Vi\ NTi\G l': i\ VICII\ c'est que si cc dans le loisir les • ' ' ' ,."" différences de générations ont ten- • ~ dance à s'estomper », en revanche. les stratifications sociales conservent , leur importance. Non pas qu'il y ait • des différences spécifiques entre loi- • sirs ouvriers et loisirs .bourgeois en • tant que tels. Les auteurs ont même constaté au sein du groupe ouvrier : de leur échantillon un clivage assez • significatif à l'égard des congés • d'études, cette proposition étant re- jetée dans près de la moitié des • réponses (voir le tableau p. 210). • Mais néanmoins il ressort de l'en- • quête que cc le niveau d'instruction • ne confère pas seulement un pres- • tige, mais une capacité plus grande : de participation à la vie culturelle », nuance « que la sociologie a . souvent sous-estimée ». Plus encore • que les niveaux économiques, c( les • différences de niveaux d'instruction • apparaissent comme le point strae • • • • • • • • • • • • • • • • . ' tégique qui décide des inégalités • du développement culturel dans le : loisir des différentes classes socia- • les » (inégalités que suggère par • Dès le 15 mars exemple le fait que la moitié de • aux Editions l'échantillon interrogé ne lit jamaü •
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Rencontre • • • Les œuvres • •
• • complètes de • •
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ROGER
VAILLAND
• • 14 volumes •
• • 9.60F • le volume •
profondes transformations dans l'emploi du temps et les dépenses de consommationl • Dans lè couple loisir-culture, le premier des deux termes est assez facile à cerner. Seront activités de loisir toutes celles qui présentent les quatre caractéristiques suivantes : 1. libération vis-à-vis des contraintes sociales, familiales, professionnelles, etc.; 2. absence de fins lucratives, utilitaires ou idéologiques; 3. recherche d'un plaisir; 4. satisfaction chez l'individu
On a le sentiment qu'il y a eu développement culturel chaque fois que l'effort demandé n'était pas trop grand, ou que des « médiateurs » ont aidé la culture à « aller au peuple », mais qu'au-delà il devient beaucoup plus difficile d'avancer: de l'accordéon (ou du chromo) à Jacques Brel (ou Dufy), la distance est plus facile à franchir que de ce palier à Ezra Pound (ou Klee). Les auteurs en son t conscients, et si, à la différence de certains sociologues américains, ils
La Quinzaine littéraire, 1" au 15 avril 1967.
(+ port 0.60 F)
• • de livre). Ce tome 1 est donc essen- •
Pour souscrire : Editions Rencontre 4, rue Madame, Paris Vi e tiellement un constat : on attend· . avec grand intérêt le tome 2, où· J. Dumazedier et -A. Ripert e~: seront ce que propose le sociolo-. gue pour tenter de surmonter cette. • • • • • • • • • • • • • • • • • distorsion préoccupante. • Bernard Caze3 :
•
1. En ce qui concerne les Etats-Unis, ces. EDITEURS cherchent bons ttansformations sont retracées de façon. précise et extrêmement parlante dans. tous genres rarticle d'Elisabeth Thomas, les Loisir• • Ecrire: TM T, .33 rue du Dragon, Paris 6 aux U.S.A. (Co1l8ommatWn, juillet.septem• • • • • • • • • • • • • • • • • • bre 1966.)
MAN use RIT S
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PHILOSOPHIE
La cODlDlunication
Philosophie européenne
André Amar L'Europe a fait le monde Planète éd. Avec ce titre, on s'attend à un ouvrage politique, polémique même, dans le sens des valeurs occidentales les plus traditionnelles, et la préface de Thierry Maulnier ne contribue guère à dissiper cette appréhension. Il faut bien reconnaître que pour André Amar, en dehors de l'Europe (et de la pensée européenne dont il est question dans l'ouvrage) il n'y a rien; les autres civilisations condamnées à s'étioler ou à subir son influence sont au plus des épiphénomènes. Si aujourd'hui des peuples non européens peuvent s'opposer à l'Europe, ce n'est qu'à l'aide de la pensée et des techniques qu'elle leur a léguées. Tout cela d'ailleurs est affirmé co=e allant de soi. Mais il y a autre chose dans le livre d'André Amar : une thèse proprement philosophique, celle-là. La pensée européemie s'est développée d'une manière continue et circulaire. Continue : car, derrière des contradictions apparentes, c'est le même problème qu'on cherche à résoudre; circulaire : de la Bible à Heidegger l'Europe est revenue à son point de départ. Quatre étapes jalonnent cette route. Avec la religion judéo-chrétienne, la pensée s'éveille, elle trouve son objet et sa méthode. L'idée d'un . Dieu unique, proprement révolutionnaire, conduit au refus des apparences; il n'y a plus des êtres, mais l'être, des connaissances mais la connaissance. Plus tard la scolastique, en affirmant la primauté de la raison, et en entreprenant l'eJÇplication des données de la révélation, donne à cette pensée · la méthode qui lui manquait. La deuxième période débute avec la Renaissance. La philosophie européenne garde la méthode rationnelle que lui a léguée le scolastique, mais se détourne du monde supra-sensible pour. s'appliquer au monde sensible. C'est le moment où Bacon définit l'esprit scientifique et où naissent les grands systèmes rationalistes. Au début du XIX' siècle, troisième étape et nouveau changement d'orientation : l'homme n'est plus considéré comme sujet universel de connaissance mais comme être vivant concret. Ce n'est plus vers un monde figé mais vers le monde en évolution, l'histoire, que se tourne la pensée, et André Amar trouve ici l'occasion d'un excellent exposé de la Phénoménologie de l'esprit de Hegel. Enfin, dans un quatrième chapitre qu'il intitule A la recherche d'un recommencement, l'auteur montre à travers Nietzsche et Heidegger la pensée européenne retrouvant ses sources et s'interrogeant de nouveau sur l'être. La philosophie, enrichie et. approfondie, est revenue au point d'où elle était partie il y a plusieurs millénaires, et se trouve devant le même problème. André Amar, semble-t-il, pourrait conclure sOn étude par le mot de Malraux : « La Question de l'àn 2000 sera la création d'une nouvelle religion. » li y a trois façons de considérer ce livre : comme une thèse philosophique, comme une histoire de la philosophie, comme un bon livre de vulgarisation. En tant que thèse philosophique il ne nous convainc pas. L'importance donnée à la pensée biblique est exagérée et semble plutôt refléter des convictions personnelles de l'auteur, tandis que le rôle de la pensée grecque - au moins aussi important dans l'histoire des idées - est négligé. D'autre part, il est inexact que l'évolution se soit faite sans heurts car, malgré ce que dit l'auteur, c'est contre la pensée scolastique, pour 'iui tout partait de la Révélation, que s'est formée la pensée scientifique de la Renaissance. On ne peut pas non plus considérer l'ouvrage comme une histoire de la philosophie : outre la lacune sur l'école grecque déjà signalée, d'autres penseurs sont complètement passés sous silence (Marx, Freud) ou traités en quelques lignes (Descartes, Spinoza, Kant). Il s'agit bien d'un ouvrage orienté où les auteurs sont traités en fonction d'une conception philosophique. Mais, dans ce qu'il apprécie, André Amar se montre un excellent initiateur. lean-François Nah,nias 26
René Schérer Structure et fondement de la communication humaine. Essai critique sur les théories contemporaines de la communication. S.E.D.E.S. éd., 423 p.
La philosophie moderne au moins depuis un peu moins d '..in siècle - a découvert le problème de la communication interpersonnelle comme problème spécifique. Jusqu'alors, cette question de la relation entre deux sujets vivant èt parlant était tenue pour seconde par rapport à des interrogations plus vastes: celle du lien existant entre la conscience individuelle et la pensée universelle s'exprimant dans le discours entre l'individu enfermé dans sa finitude et Dieu, médiateur universel, ou encore entre l'homme, situé dans l'espace et le temps, et la nature, .dépositaire . et garant de la vérité. Platon considère, par exe.m ple, que le dialogue est toujours, en droit, possible, qu'il existe un lieu où do# pouvoir s'instituer la communication et s'abolir la partialité des opinions; Descartes ne se pose jamais qu'indirectement la question de .l'existence · d'autrui lui qui est allé si loin dans l'opération de mise en doute de toutes les vérités":"": il lUi suffit que les modalités du rapport du sujet à Dieù .soient précisées pour qu'à ses yeUx soit résolue la question de sujet à sujet .•. C'est cette « découverte» que R. Schérer prend pour point de départ ' de son élucidation. Et l'intérêt profond de son livre réside moins peutêtre dans la richesse et la diversité de ses analyses que dans la conception adoptée qui, au fond, vise plus · à contester cette « nouveauté» . qu'à la commenter. Les références sont nombreuses et précises et c'est, sans doute, un grand mérite que d'offrir au lecteur une sorte de catalogue systématique des théories contemporaines de la communication. La première partie de l'ouvrage - les six premiers cha. pitres est consacrée à l'étude des efforts faits depuis Dilthey pour saisir le sens de cet acte étrange et fondateur qu'est la compréhension. Après avoir montré l'intérêt, mais l'insuffisance théorique, des recherches positives linguistiques et sociologiques, elle établit qu'une philosophie de la communication ne saurait. se limiter à une accumulation de notions empiriques ou à l'établissement de systèmes formels si perfectionnés soient-ils mais qu'elle débouche nécessairement sur une théorie de la comiaissance. Le problème de cet autrui, ·avec qui je communique, n'est pas séparable de celui de ce monde qui m'entoure, qui l'entoure et à propos duquel je communique. Pour le sujet parlant, qui veut la vérité, autrui et le monde sont deux enseignes qui renvoient l'une à l'autre et la réponse à l'une doit aussi être
réponse à l'autre. Husserl l'a admirablement démontré: la construction de l'objectivité - dont se prévalent les sciences positives renvoie à la constitution de l'intersubjectivité; et celle-ci ne saurait être conçue comme une simple affaire empirique; il s'agit de savoir ce que doit être, en droit, le sujet comme sujet connaissant le
à définir le concept de la communication. Il n'y a pas, en effet, de domaine autonome de la communication - qu'on la prenne au niveau de l'universalité philosophique ou à celui de la relation de conscience à . conscience - domaine à propos duquel on pourrait définir des interrogations et des réponses rigoureuses : il est impossible
Marx
"
même monde que d'autres sujets, eux-mêmes connus comme tels. Cette analyse de la pensée husserlienne constitue, en fait. le vrai point de départ de cette première partie. A partir de là, R. Schérer s'attache à suivre la dialectique interne qui conduit à Heidegger et à Binswanger, à mettre en évidence l'apport fondamental de Freud et de la pratique psychanalytique, à dégager le sens des recherches de J. Lacan, à saisir la portée théorique des travaux ethnologiques ou linguistiques. Or, à l'issue de cette conquête, l~ conclusion provisoire de R. Schérer est partiellement négative: la pensée contemporaine laisse des zones d'ombre et non seulement elle n'apporte pas un concept rigoureux de la communication, mais encore elle ignore les raisons de son incertitude. Au vrai, c'est l'ontologie heideggerienne qui révèle la nécessité d'aller ou, plutôt, de revenir en arrière. Le problème de la communication n'est pas de l'ordre de la connaissance, empirique ou théorique ; il désigne une question plus profonde, celle de l'acte même de penser, qui est celui de l'Etre. Or c'est là la question qui traverse toute la méthaphysique depuis Héraclite: la seconde partie de l'ouvrage - chapitres VII à X reprend donc le chemin parcouru par la tradition philosophique dans ses tentatives pour construire ce discours clos et exhaustif à l'intérieur duquel chaque sujet puisse à la fois assurer sa propre transparence et instituer une identique transparence dans sa relation à l'autre. C'est d'ailleurs, semble-t-il, à un échec qu'on aboutit encore. Il n'est pas étonnant que les recherches contemporaines n'aient pas réussi
« pour le monde des communications de subsister en lui-même, de se fonder en lui-même, de se justifier lui-même entièrement. Si la communication humaine a un sens, ce sens ne peut s'épuiser totalement, du moins selon son origine, dans la communication elle-même. Par suite, il ne peut y avoir de discours philosophique auto-suffisant, et transposant les significations du monde humain dans son texte universellement communicable, parfaitement achevé; pas plus que d'ex.tase originaire nous situant d'emblée au sein de la communication. Le monde objectif cesse d'être le thème ou le prétexte d'un dialogue pour se lier dialectiquement aux hommes qui œuvrent sur lui et en lui et, par là, il opère sa fonction avec le monde effectivement vécu. » Selon R. Schérer, c'est là ce qu'établit effectivement Marx, qui nous libère des multiples impasses ontologiques que nous avons rencontrées. Le matérialisme de' Marx consiste précisément à « reconnaître que l,- fondement de la communication - de la relation authentique· à « l'autre» - ne peut être recherché dans · la communication elle-même, ni dans une forme d'unité d'ores et déjà communicative, mais en l'autre que la communication même.» Cet autre, c'est le monde au sein duquel les hommes développent leurs pratiques. Dès lors - pour la concevoir de cette manière - « la communication n'est jamais passive, donnée, ni subie. Elle est un faire, et elle. même est à faire être. Elle s'inscrit dans l'imprévisibl~ d'un engagemeJ:Z,t. Et c'est ainsi que nous pouvons lui donner un sens dernier à la fois comme initiative et comme résultat. » François Châtelet
CENSURE
SCIENCES
L'histoire des quanta thèse des quanta d'énergie pour L'Etrange Histoire des quanta expliquer les lois du rayonnement traduit de l'américain par du corps noir. Le génie de Planck consiste à avoir su découvrir une C. de Richemont Le Seuil éd., 288 p. règle « ad hoc» audacieuse, en . contradiction avec les idées de l'époque, et qui postulent la disCe livre retrace l'histoire de la continuité de l'énergie, afin de physique des q'iianta depuis ses justifier un résultat expérimental. modestes débuts (Planck, 1900) Un processus analogue se répète jusqu'à ses aspects les plus actuels avec Bohr (1913) qui énonce les (1959). L'exposé est clair, bien règles de quantification sur mesure enchaîné et écrit dans un style pour interpréter le spectre émis par alerte non dénué parfois de poésie. l'atome d'hydrogène. Cette premièIl faut saluer le mérite de la tra- re théorie quantique, dite de Bohr, ductrice qui a su restituer les sub- s'avère d'ailleurs rapidement insuftilités du texte anglais. L'humour fisante. La période cruciale se situe et la poésie ne diminuent en rien entre 1925 et 1930, avec les trale « sérieux » de ce livre. vaux de De· Broglie, Heinsenberg, Il s'agit d'un ouvrage de vulga- Schrodinger, Dirac et Pauli, qui risation. Mais cette vulgarisation sont les véritables créateurs de la est le fruit d'une mûre réflexion théorie quantique moderne. et le fait d'un savant qui domine L'auteur consacre à cette période avec maîtrise son sujet. L'auteur capitale plusieurs chapitres captia travaillé dans le domaine de la vants qui constituent la charnière théorie de la relativité générale. Il du livre. Il montre la manière de est cosignataire, avec Einstein, procéder du théoricien de la phyd'un article consacré à la théorie sique qui n'hésite pas à faire table rase de beaucoup d'idées reçues et de la gravitation. La théorie des quanta apparaît à donner naissance à de nouveaux à certains égards comme un « en- monstres, inquiétants, qu'il faudra fant mal né», surtout si on la dompter. Le créateur, qui procède compare à sa brillante sœur, la théo- par intuition, ne perçoit pas tourie de la relativité, c'est pour cette jours immédiatement la significaraison qu'elle repose sur des axio- tion profonde des concepts noumes dont le sens profond nous veaux qu'il introduit. L'idée d'une échappe encore. Si personne ne science toujours parfaitement claidiscute la nécessité de ces axiomes 're et immédiatement comprise par pour expliquer les phénomènes ceux-là mêmes qui 'la bâtissent est observés à l'échelle atomique et une vue simpliste et inexacte. Il y nucléaire, on discute encore de a donc là matière à réflexion pour l'interprétation qu'il convient de tous ceux qui s'intéressent à la phileur donner. losophie des sciences. Les développeL'histoire de cette théorie com- ments les plus récents ne font que mence en 1900, avec Planck qui confirmer les remarques précédense voit, non sans hésitation et peut- tes. Citons simplement, par exemêtre même sans trop y croire lui- ple, l'introduction par Gell Mann même, obligé d'introduire l'hypo- du concept « d'étrangeté », afin · de Banesh Hoffmann
prévoir les réactions possibles et les réactions impossibles pour une certaine catégorie d'interactions entre particules élémentaires. Pour pallier le non-recours aux mathématiques, l'auteur utilise souvent ?ertaines images, dont quelques-unes sont très astucieuses. Celle qui nous fait comprendre, par exemple, la genèse de l'onde broglienne. De même, la mécanique matricielle de Heinsenberg est habilement décrite et, si l'on se reporte à l'ouvrage fondamental de Heinsenberg, on peut noter que le texte de Banesh Hoffmann traduit fidèlement le contenu (très mathématique) de cet ouvrage. Notons également que les diagrammes de Feynman, qui jouent un rôle si important dans la théorie quantique des champs, font l'objet d'un exposé très clair. Ce livre est essentiellement consacré à l'exposé des idées, ou si l'on veut des théories. Le côté expérimental n'est pas pour autant négligé. Les expériences fondamentales qui ont servi de support et de fil directeur au développement de la tr.éorie quantique sont soigneusement relatées. L'ouvrage débute d'ailleurs par la description des célèbres expériences de Hertz qui tout à la fois justifiaient et condamnaient la théorie électromagnétique de Maxwell. Ce livre brillant doit être lu par tous ceux qui, épris de culture, veulent comprendre quelques-unes des idées nouvelles introduites par la physique du xxe siècle. Le lecteur est entraîné par un texte dynamique qui met constamment en lumière les efforts de l'esprit humain pour résoudre les énigmes posées par la nature.
Hubert Gié
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La Quinzaine littéraire; Jer au 15 avril 1967.
Il_pa_ae En ce début d'année, qui a vu se développer l'agitation en Espagne, un certain nombre de mesures ont été prises par les autorités qui jettent un doute sur la valeur du nouveau régime de la censure instauré en 1966 et qui semblait libéraliser celle-cI. C'est d'aborrl le romancier Isaac Montero qui a été condamné à six mois de prison et dix mille pesetas d'amende, pour avoir publié à compte d'auteur son roman Alrededor de un dia de abril (Autour d'un jour d'avril). Ce roman, qui tourne autour de l'adoption d'un enfant naturel espagnol par un couple américain, avait fait l'objet de « conseils. de la part du • Conseil volontaire du livre. au ser· vice de l'orientation bibliographique _ (terminologie particulièrement savoureuse) ~ au terme desquels l'auteur avait été requis d'opérer vlngtquatre coupures dans son manuscrit. L'œuvre ayant paru sans ces coupure, en vertu de la nouvelle loi de 1966 le livre a été saisi et Isaac Montero condamné. L'auteur a été laissé en liberté provisoire après avoir fait appel. A peu près au même moment, l'anthologie des poèmes de Joaquln Horta était saisie à son tour chez l'imprimeur, les représentations de Mariana Pineda, de Garcia Lorca, interdites : l'héroïne brodait sur scène le drapeau républicain. Le poète Rafael Alberti a introduit une action en diffamation contre un commentateur qui lui reproche d'être en partie responsable de la mort de Lorca pour avoir lu des poèmes de ce dernier en faveur de la République espagnole, au cours de l'été 1935, sur lès antennes de Radio:Madrid. Danemark
Une anthologie des œuvres du marquis de Sade a été saisie à Copenha· gue par la police danoise. Yougoslavie
Après avoir passé de longues années en prison, en raison de ses démêlés avec Tito, son ancien compagnon d'armes , Milovan Djilas, a été libéré à l'occasion de l'amnistie du nouvel an. Djilas avait été condamné, notamment, pour avoir publié à l'étrari-. ger des ouvrages qui faisaient état de ses différends avec le chef de l'Etat yougoslave au sujet de la Nouvelle Classe. Au cours des cinq années passées en cellule depuis sa condamnation (à huis clos) en 1962 Djilas a écrit deux romans : les Batailles perdues qui retrace les luttes balkaniques de 1879, non sans allusions au monde actuel où les batailles perdues font les guerres gagnées, et le Monde et les Ponts qu'il se propose d'ailleurs de remanier depuis sa libération. Siniavski-DaD.Ïel
Esprit (février) consacre une grande partie de son numéro à l'affaire Siniavski-Daniel. Pour Claude Frioux, • Siniavski et Daniel ont été sanctionnés pour des motifs essentiellement techniques : parce qu'ils ont enfreint le dogme du naturalisme didactique. - Les écrivains soviétiques ont toute liberté de critiquer l'histoire récente s'ils respectent les rites de « l'écriture plus ou moins réaliste -. S'ils donnent dans le récit fantastique « ou dans ce langage un peu cru qui a enrichi et décapé toutes les littératures modernes - ils passent pour plus antisoviétiques que les adversaires de l'U.R.S.S. et du socialisme. Claude Frioux s'étonne à bon droit qu'aucune allusion à l'affaire n'ait été faite par la presse libérale lors du voyage de M. Kossyguine à Paris et il décèle dans ce silence • un secret bonheur de principe à voir le non-conformisme puni, même chez les autres -.
une révolution technique au service de la réforme de l'enseignement
• TOULOUSE • •
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matière dq sa dramaturgie, c'est Aujourd'hui, l'œuvre d'Armand une expérience multiple : celle de 'Gatti occupe une place centrale dans le répertoire des « théâtres plusieurs personnages en un lieu et populaires» français. Pourtant lors- en un moment de notre société, ou celle d'un homme seul évoquant difque, en 1959, Jean Vilar inaugura la salle Récamier du T .N.P. avec férents moments et différents lieux le Crapau.d-buffle, la pièce ne re- de sa propre vie. Et cette expérientint guère l'attention. Il fallut ce multiple, il entend la faire parattendre la présentation par le tager à son public, pour que celui-ci Théâtre de la Cité de Lyon-Villeur- y adhère ou s'en détache après .banne de la Vie imaginaire de il'avoir en quelque sorte faite l'éboueur Auguste G., dans une sienne. mise en scène de Jacques Rosner, On sait que, arrêté par les Allepour que l'on reconnaisse le dramamands à l'âge de 18 ans, condamné • t Il rge Gatti. Depuis, celui-ci est deà mort et grâcié en raison de son • VCllU aussi son propre metteur en âge, puis déporté, Gatti a connu les : scène. Et les spectacles Gatti ont camps de concentration et de tra• troublé ce qu'il y a d'un peu trop vail forcé. Toute son œuvre en est • mécaniquement « culturel » dans issue. C'est dans la volonté de ren• l'activité de nos théâtres. Au dre coupte de l'univers concentra• T.N.P. (Chant public devant deux tionn'.tire que s'enracine sa vocation • chaises électriques) comme, à la de '.J.ramaturge. Or, pour cela Gatti • Comédie de Saint Etienne (un ne pouvait se contenter des mo.yens • /Jomme seul). Mais c'est au Gre. de la dramaturgie traditionnelle. • nier de Toulouse que Gatti a proComposer, avec de tels matériaux, • voqué une véritable mutation. En des pièces pensantes et bien cons• 1963, il y montait, pour quelques truites, c'eût été réduire cet univers • représentations seulement, données à la fonction d'un décor pour un • au Théâtre du Capitole, une predrame philosophico-politique (com• mière version de Chroniques d'une me Hochhuth avec le Vicaire) ou, • planète provisoire. En 1965, c'était pire encore, en faire un spectaCle • avec le Poisson noir que le Grenier et donc le rendre admissible. Au • ouvrait le Théâtre Daniel Sorano. lieu de le reconstituer, Gatti choisit • Et cette saison, après la eréation donc ùe le réinventer: c'est par les • des Chroniques, dans une version phantasmes qu'il atteindra sa réa• considérablement modifiée, le Grelité ou plutôt qu'il fera reconnaître • nier vient de renoncer à la Nuit des celle-ci à un public pris au piège • rois de Shakespeare pour présendu théâtre. • ter, en collaboration avec le CollecRien de plus significatif de cette • tif intersyndical universitaire d'acpremière démarche que ces Chroni• tion pour la paix au Viet-Nam, la ques d'une planète provisoire écrites : dernière pièce de Gatti V comme il y a près de 15 ans. Ici, c'est par • Viet-Nam qui, à Toulouse, portera le biais d'une planète de science• ce. titre : « la Nuit des rois » de fiction que Gatti reconstruit l'uni• Shakespeare, interprétée par les covers nazi . Des astronautes sont en• médiens du Grenier de Toulouse trés en liaison avec une planète • face aux événements du Sud-Est inconnue et voici que leur en par• asiatique »1. viennent d'étranges images: des images dans lesquelles nous reconnaissons à la fois la dernière jourLes années 50 née d'un déporté, la comédie histrionique et sanglante de hauts • Gatti rompt d'abord avec les pro- dignitaires barberoussiens acharnés • cédés chers à l'avant-garde des à exterminer une race pour en • années 50. Au lieu de réduire les créer une autre, supérieure et pure, • personnages à de rares figures et tout un imbroglio de tractations • archétypales, de gommer tout événe- entre juifs et barberoussiens qui • ment et d'amener le langage aux rappelle celle de l'affaire Joël • confins du silence, il installe au Brandt. Sans doute, le procédé ap1 200 C.E.S. à construire· en 5 ans! • con traire sur la scèn~ une prolifé- paraît-il maintenant sommaire et Seule, l'industrialisation du Bâtiment . peut -y parvenir. : ration de faits, d'individus (certai- padois artiIiciel. Du moins a-t-il Dans le domaine scolaire, G.E.E.P.-INDUSTRIES, • nes de ses pièces ne comportent pas permis à Gatti d'échapper aux serle plus ancien et le plus important 'des Constructeurs • moins de cent rôles) et de paroles. vitudes de la description natura(4000 classes édifiées en 6. ans, pour 150 OO~ élèves; • Loin de miser sur la clôture de liste. Ainsi l'univers de cette « pla2500 classes pour la seule année 1966), • runivers scemque, de renchérir nète provisoire » est au monde nazi reste à la pointe de ce combat. • sur la « boîte » du. théâtre à l'ita- ce que le masque de théâtre est au Grâce au dynamisme de son Service « Recherches " • lienne, il l'ouvre et institue entre visage de l'acteur. Mais l'essentiel à la puissance des moyens mis en œuvre, G.E.~.~.-I~DUSTR\ES, • la scène, la salle et le monde comme n'est pas dans cette liberté poétique ne cesse d'améliorer la quahte et le confort • un courant d'échanges, d'interroga- que s'est donnée Gatti: il est dans de ses réalisations et de justifier • tions. le lien que les astronautes établisla confiance grandissante qui lui est faite. : Car, pour lui, fair~ du théâtre, sent entre un tel univers et nous• c'est-à-dire écrire une pièce et la mêmes. Car à mesure que le spec• mettre en scène" ( ces deux opéra- tacle se déroule, un doute surgit: • tions étant indissociables l'une de cet univers imaginaire n'est peutl'autre), c'est essentiellement créer être ni l'Allemagne nazie, ni un domaine de science-fiction; ne : ::Uc;::t:tl serait-il pas aussi le produit des • crire et jouer le plus de données images que les astronautes portaient • possible. Gatti ne part ni des sen- en eux ? Plus exactement encore, • timents 'd'un héros -ni d'une intri- ne serait-il pas nôtre, issu de notre 22, rue Saint-Martin, Paris-4' Téléph. 212.25.10" 887.61.57 .. gue entre plusi~urs individus. La propre imagination? Dès lors Je • • • • • • • • • : • • •
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Le théâtre d'Arnland Gatti
V, comme Vietnam d'Armand Gatti, joué par le GreTlÙr de Toulouse.
spectacle se retourne comme un boomerang contre le spectateur: il ne témoigne plus seulement de ce qui a été, il annonce ce qui pourrait être encore. Voilà le public mis en cause. Comme le déclare, en conclusion, l'acteur qui interprétait le rôle du dictateur en second, Petit-Rat: « Un spectacle terminé est toujours un spectacle qui commence ,». I.e jeu du théâtre et de la réalité selon Gatti nous renvoie en fin de compte à la réalité - à notre propre réalité. Comme Gatti le dit luimême: « I.e théâtre, c'est un moyen, ce n'est pas fait pour nous donner des réponses et pour nous dire : voilà ce que vous avez à faire à la sortie. C'est fait pour que le public se pose des questions, car quand un homme se pose des questions, il commence à cilanger et il a des chances un jour de changer le monde2 • »
Le parodoxe Gatti n'a ni le désir ni l'ambition de reproduire le réel sur la scène et d'y résoudre les problèmes qui se posent à chacun de nous dans notre vie. C'est l'imaginaire qui fait la substance même de sa dramaturgie: l'imaginaire d'un homme comme Auguste G. vivant sa propre vie au passé, au présent et au futur à la fois où l'imaginaire des spectateurs venus assister à une pièce sur Sacco et Vanzetti qui La QuinzaiDe littéraire.
substituent progressivement leurs propres souvenirs et leurs propres rêves à ceux des htSros, prêtant ainsi à ces derniers une nouvelle vie, plus riche de tout ce qui s'est passé depuis une quarantaine d'années ... Mais cet imaginaire n'a pas non plus pour fonction d'annuler le réel. Il est bien plutôt appel à la transformation de la réalité. Ici, le document explose: au lieu d'une seule version d'un événement ou d'un personnage, en VOICI une infinité qui se recoupent et se combinent entre elles. Dès lors, nous ne sommes plus en dehors: nous sommes dedans, concernés, sommés de choisir, de prendre position. Fécond paradoxe: c'est par sa théâtralité même que l'œuvre dramatique de Gatti rejoint la réalité, nous oblige à nous interroger sur elle. D'où l'intérêt de l'cntreprise qu'il tente aujourd'hui, à l'initiative du Collectti intersyndical universitaire d'action pour la paix au Viet-nam : réaliser un spectacle sur la guerre du Viet-nam. Là encore, Gatti ne nous propose ni une pièce documentaire ni un montage sur la lutte héroïque du Viet-Cong. On ne trouvera guère, dans V. comme Viet-nam 3, de héros positifs, non plus que l'image à la fois exotique et rassurante d'un peuple de paysans luttant les mains nues contre un envahisseur armé jusqu'aux dents. Car Gatti a situé sa pièce aux Etats-Unis, exactement dans un
Pentagone reconstruit à la façon de la planète des Chroniques et symbolisé par le cerveau électronique dit la Chataigne qui occupe le centre de la scène et qui est comme la nouvelle divinité de ce modfmle univers concentrationnaire. Et cel espace suprêmement théâtral va, sous nos yeux, se décomposer et voler en éclats, avec la logique même de nos rêves.
La réalité C'est à travers les calculs démentiels, les travestissements burlesques, les rivalités dérisoires des politiques et des 'militaires américains que, peu, à peu, la réalité vietnamienne nous apparaît. Elle surgit de leurs manœuvres mêmes (au propre et au figuré) et de notre propre co.m édie (car la Quadrature, secrétaire d'Etat à la Défense, c'est bien sûr Mac Namara mais c'est aussi nous). Smybolisée, elle, par une planche à clous elle l'emporte petit à petit - la planche à clous finit par faire littéralement exploser la Chataigne. Alors, le théâtre aura fait long feu: Nguyen Van Troï, fusillé à la suite d'un attentat contre Mac Namara, pourra s'adresser directement à nous, et l'acteur qui interprète la Quadrature (Maurice Sarrazin) nous dire en son nom propre: « Ce n'est plus la Quadrature qui vous parle. C'est Maurice Sarrazin acteur. Mon rôle est fini,
mais je n'en reste pas moins enfermé dans les sept lettres qui forment le mot Viet-nam. L'humanité entière fait aujourd'hui partie de chacune de ses rizières, de chacun de; ses peuples. de chacun de ses ;lauts plateaux ... » Des Chroniques à V. comme V iet-nam, Gatti poursuit le même chemin: il ne met pas le théâtre dans la dépendance de la réalité, pas plus qu'il ne subordonne celleci au théâtre. Il entend plutôt faire servir celui-ci à l'intelligence de celle-là. Et c'est en renchérissant sur la théâtralité de la scène qu'il force la salle à découvrir sa réalité. Avec lui le théâtre n'est ni un instrument de propagande ni un moyen de divertissement. Il est le jeu le plus grave et le plus cnj~ué : un grand puzzle qui permet aux spectateurs de composer ct de reconnaître leur propre image. Bernard Dort 1. Mis en scène par Armand Gatti, dans des décors d'Hubert Monloup, joué par la troupe du Grenier dp. Toulnu5<". le spectacle sera donné pendant tout le mois d'avril au Théâtre Daniel Sorano de Toulouse. Au cours du mois de mai, toujours avec la Troupe du Grenier, le Collectif intersyndical universitaire organisera une tournée dans les principales grandes villes de province qui se termi. nera par une série de représentations à Paris et dans la hanlieue pendant la première quinzaine de juin. 2. Cité par Henri Lhong : Qui êtesvous, Armand Gatti ? dans le Bulletin du Grenier de Toulouse, nO 4, février 1967. 3. Le teIœ de la pièce sera publié par les éditions du Seuil, dès le début d'avril.
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TOUS LES LIVRES
Ouvrages publiés entre le 5 et le 20 Mars
ROMANS :rRAl\TÇ ..~:;rS
Léon Aréga La débarras GBllimard, 224 n., 14 r= Voir p. 6. .
F!otenctl Asie Griseri ~
GallilllclrCl, 216 p., 10 F L'::ldulescente de .. Fascination .. devi~;n'
felllmE:.
Samuel Beckett Têtes·mortes Ed. de Minuit, 68 p., 5,85 F Assez, Imagination morte, Imaginez, bingo D'un texte abandonné.
Michel Bernanos La montagne morte de la vie Postface de Dominique de Roux Pauvert, 161 p., 9,25 F Une œuvre posthume du fils de Bernanos, mort en 1964.
Marguerite Cassan A développer dans l'obscurité laffont, 254 p., 13,90 F Neuf nouvelles fantastiques.
Marguerite Duras L'amante anglaise Gallimard, 200 p., 10 F Voir p. 5.
Maud Frère Le temps d'une carte postale Gallimard, 280 p., 14 F Adolescence et maturité dans le cadre de la mer du Nord.
Yves Gandon Pour un Bourbon Collins Laffont, 272 p., 13,90 F Un recueil de nouvelles insolites.
Marie Gasquet Une enfance provençale suivi de Gai·savoir Flammarion, 368 p., 30 F Réédition, en un volume, de deux ouvrages parus en 1926 et en 1941.
Marcel Jouhandeau Que l'amour est un Journaliers IX Gallimard, 272 p., 15 F Amour, éthique et sainteté.
Pascal Lainé
B. Comme Barabbas Gallimard, 192 p., 10 F L'image du père·Dieu.
Eric Ollivier J'ai cru trop longtemps aux vacances Denoël, 256 p., 17,50 F Un homme de quarante ans pour qui la guerre et l'après-guerre tinrent lieu d'univers romanesque .
Pierre Osenat La chronique d'un cancer Flammarion, 224 p., 12 F le témoignage d'un médecin atteint du cancer.
Charles Pascarel La grande jouasse Le Seuil, 208 p., 15 F. Une épopée feuilletonesque.
Délia Passever Ludmilla, garçonne russe préf. de Jean Blanzat Debresse, 220 p., 14 F Une jeune fille russe vit à sa manière la révolution d'Octobre.
Roger Peyrefitte Notre amour Flammarion, 272 p., 18 F Des amitiés particulières à l'obsession de la pureté.
M. Pierson-Pierard Entre hier et demain Stock, 176 p., 12,65 F Une femme, quittant son mari, fait le bilan de sa vie passée.
Jean Raguel Les loups... chasseurs de lune Debresse, 190 p., 15 F Une teen-ager de 1864.
Gabrielle Roy La route d'Altamont Flammarion, 240 p., 12 F Quatre nouvelles ayant pour théâtre le Canada.
ROMANS ÉTRANGERS
Robert Goffin Le versant noir Flammarion, 144 p., 7,50 F
J.G. Ballard La forêt de cristal trad. de l'américain par Claude Saunier Denoël , 216 p., 6,15 F Un homme débarque dans un pays fantastique.
ESSAIS
Brendan Behan Mon Dublin trad. de l'anglais par R. Marienstras et P. Bensimon Dessins de P. Hogarth Denoël, 160 p., 20,05 F Promenade humoristique du grand écrivain irlandais à travers les rues de son enfance.
Alejo Carpentier Guerre du temps trad. de l'espagnol par René L.-F. Durand Gallimard, 176 p., 10 F Voir p. 8.
James Clavell Tai Pan trad. de l'américain par F.M. Roucayrol Stock, 688 p., 22,50 F Un capitaine d'industrie à Hong-Kong, en 1841.
Zutran Dourado La barque des hommes trad. du portugais par J. Villard Stock, 288 p., 16;50 F Une île de la côte brésilienne où règnent la cruauté et la sexualité.
tangston Hugues L'ingénu de Harlem trad. de l'américain par F..J. Roy Lattont, 377 p., 20,10 F Nouvelles du grand poète noir.
Cees Nooteboom Le chevalier est mort trad. du néerlandais par L. Fessard Denoël, 192 p., 13,35 F Un écrivain tente vainement d'achever le livre d'un ami mort.
POÉSIE Gilbert Handache La pierre aux serpents Julliard, 416 p., 20 F Un aventurier au Brésil.
Simone JacquemarC: Navigation vers
les îles Le Seuil , 190 p., 12 F ü uat :'e nouvelles sur ce
\,'"'etJ;( !Il
30
t·(-~ve
de rhon1:;le :
non·pesanteur.
Michel Tournier Vendredi, ou les limbes du Pacifique Gallimard, 208 p., 12 F Le mythe éternel de Robinson Crusoe
Jean-Noël Vuarnet La fiancée posthume Le Seuil, 127 p. 8,50 F. La divagation d'un adolescent qui se découvre écrivain .
Joë Bousquet Préface de J. Paulhan Lettres à « Poisson d'Or » Gallimard, 240 p., 15 F Lettres du grand poète à une jeune fille.
Paul Chaulot Soudaine écorce Seghers, 109 p., 9,90 F
Pierre Alexandre Langue~ et langage en Afrique noire Payot , i 76 p.; 21 F L'enchevêtrement linguistique de l'Afrique et les problèmes qu'il pose.
Frank Bourdier Préhistoire de France 152 dessins in-texte Flammarion, 416 p., 25 F Les cadres géographique et humain de la préhistoire française.
Armand Denis Tabou Stock, 160 p., 19,50 F Un tableau des mœurs à travers le monde entier.
Jean-Marie Domenach Le retour au tragique Le Seuil, 302 p., 15 F. Analyse d'un nouveau théâtre.
Pierre Dommergues Les U.S.A. à la recherche de leur identité Grasset, 488 p., 29,50 F la jeune littérature américaine.
Bernard Dort Théâtre public (1953·1966) Le Seuil, 382 p., 24 F. De Shakespeare à Beckett, de Jean Vilar à Guy Rétoré.
Jean-Pierre Faye Le récit hunique le Seuil, 357 p., 24 F. Textes critiques écrits entre 1963 et 1966.
M.L. Vidal de Fonseca Les oiseaux m'ont dit Lattont, 268 p., 13,90 F Une ornithologue nous parle des oiseaux.
Richard Hennig Les grandes énigmes de l'univers Laffont, 272 p., 13,80 F le déluge, la mer Rouge, la grande pyramide, etc.
Bruce Kenrick La sortie du désert trad. de l'américain par A. Bernard-Loire Préf. de T. Huddleston Le Seuil, 212 p., 15 F. L'expérience d'une communaut é chrétienne à Harlem.
Jacques Isorni Le vrai procès de Jésus Flammarion, 208 p., 11 F Un avocat se penche sur un des plus litigieux dossiers du monde. '
trad. de l'allemand par Raymond Albeck A. Michel, 320 p., 19,75 F la cause première de deux millénaires de persécutions.
P.E. Lapide Rome et les juifs trad . de l'anglaiS par Françoise Winock Le Seuil , 430 p., 24 F. Une importante personnalité israélienne répond au réquisitoire du «Vicaire •.
Fernand Carréras L'accord F.L.N.·O.A.S. Préface de J. Chevalier Flammarion, 280 p., 13,80 F Des négociations secrètes au cessez-le-feu.
Georges Mathé Le cancer Hachette, 160 p., 8 F Par l'un des plus grands spécialistes mondiaux.
Yvonne Pellé-Oouël Etre femme Le Seuil, 267 p., 18 F. Nature, destin, vocation et structures spécifiques de la femme.
Jules Romains Pour raison garder tome III Flammarion, 260 p., 14 F Questions éternelles et problèmes nouveaux.
George Sand Correspondance • T. III (Juillet 1835-avril 1837) Garnier, 1024 p., 38 F
Marcel Schneider Entre deux vanités Grasset, 256 p., 15 F A travers l'œuvre des peintres, des poètes et des mystiques, une certaine idée d'éternité.
PHILOSOPHIB Georges Gusdorf Les sciences humaines et la pensée occidentale Il: Les origines des sciences humaines Payot, 504 p., 35 F L'aventure millénaire de la connaissance.
Robert Misrahi Spinoza Seghers, 200 p., 7,10 F Analyse, biographie et choix de textes.
Albert-Marie Schmidt Paracelse ou la force qui va Plon, 192 p., 8 F Paracelse réhabilité et expliqué.
André Castelot Marie·Antoinette 280 illustrations Hachette, 240 p., 58 F Une des reines les plus discutées de l'histoire.
Jacques de Launay Les grandes controverses du temps présent 1945·1965 Rencontre, 517 p., 13,35 F Un des meilleurs historiens de la Jeune génération.
Pierre Naville
La guerre et la révolution 1 : Guerres d'Asie E.D.I. éd., 320 p., 18,50 F Chroniques sur la guerre franco-vietnamienne et la guerre de Corée, rédigées entre 1949 et 1956.
Pierre Ordioni Les cinq jours de Toul 18-22 juin 1940 laffont, 280 p., 15,40 F Une page Inconnue de la campagne de 1940.
Dmitri V. Pavlov Leningrad trad. de l'anglais par D. Bernard Presses de la Cité, 285 p., 15 F La vie et les activités des habitants de Leningrad pendant le blocus.
léonard Shapiro De Lénine à Staline H !!~toire du Parti communiste de l'Union soviétique trad. de l'anglais par Anda Golem Gallimard, 696 p., 35 F Un livre de référence pour les spécialistes des problèmes ~oviétiques.
George H. Stein
La Waffen SS
HISTOIRE
Hellmut Andics Histoire de l'antisémitisme
trad. de . l'américain par J. Brécard 32 photos . Stock, 340 p., 24 F Les origines de la WaHen SS et son rôle dans la seconoe guerre mondiale.
Bilan de Mars POLITIQUE Jacques Decornoy L'Asie du Sud-Est 24 p. de hors-texte Casterman, 248 p., 18 F Une région en guerre depuis 25 ans.
G. Dupuis, J. Georgel et J. Moreau Politique de Chateaubriand A. Colin, 295 p., 11,50 F Le témoin extraordinaire d'une extraordinaire époque.
Andrew Tully F.B.I. trad. de l'américain Stock, 260 p., 18,60 F Les investigations les plus retentissantes du F.B.I.
William HA Carr Ces étonnants du Pont de Nemours trad. de l'anglais par Jane Fillion 12 hors-texte Ed. de Trévise, 352 p., 29,82 F 160 années d'une des sociétés les plus importantes du monde.
John Cashman Le phénomène LSD Préface de J. Mousseau Trad. de l'américain par M .-R. Delorme Planète, 189 p., 14,95 F Historique, aspects médicaux, légaux, sociaux, perspectives du phénomène.
Pierre Nord Les mots croisés du monde Livre de Poche
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La Malandre · Citations André et Simone Un plat de porc aux Schwarz-Bart bananes vertes Han Suyin Une fleur mortelle P. Viansson-Ponté Les Politiques Anne Philipe les rendez·vous de la colline O. Neubert La vallée des Rois Simone de Beauvoir Les belles images ' Ed. Charles-Roux Oublier Palerme Pierre-Henri Simon Pour un garçon de 20 ans
2. Mao Tsé-toung
La mandarine
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3 2 8
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Es..ls William Wilson La L.B.J. brigade trad. de l'américain par Pierre Amen Julliard, 216 p., 18 F La guerre aU Sud Viet·nam.
Arrabal Théâtre panique Christian Bourgois 192 p., 15 F
Romain Weingarten Théâtre Christian Bourgois, 352 p., 25 F L'été, les Nourrices, Akara.
A.TS
Raymond Cogntat Dessins et aquarelles du XX· siècle Nombr. illustrations en noir et couleur Hachette, 224 p., 75 F Non pas un art mineur mais un langage bien particulier.
Georges Papazoff Lettres à Derain 16 illustrations Debresse, 125 p., 1[;,50 F Un grand peintre bulgare parle à un ami mort.
HUMOUR DIVERS
Loïs Carlson Le docteur Paul Carlson mon mari trad. de l'américain par F. Weyergans 16 hors-texte Casterman, 192 p., 12 F La vie dangereuse d'un médecin protestant du Congo belge.
Jacques Faizant La ruée vers l'ordre Album de dessins Denoël, 128 p., 10,15 F La politique française vue par un humoriste.
Georges Pillement La Yougoslavie inconnue Grasset, 320 p., 27,50 F A travers onze itinéraires, une Yougoslavie aussi diverse que séduisante.
J.-L. de Waziers Chiens d'aujourd'hui 16 p. hors-texte Flammarion, 368 p.,
22 F A l'attention des propriétaires des cinq millions de chiens qui vivent en France.
Gaston Diehl Greco, Gauguin Grand Art, Petites Monographies (Flammarion)
LES CRITIQUES ONT PARLÉ DE
Pierre Francastel Histoire de la peinture française - 1 et Il suivie d'un dictionnaire des peintres 16 p. d'illustrations Médiations.
Sigmund Freud Psychopathologie de la vie quotidienne Petite Bibliothèque Payot
D'après les articles publiés dans les principaux quotidiens et hebdomadaires de Paris et de province.
1. Simone et André Schwarz-Bart 2. Paul Guth 3. Roger Bordier
Annie Jaubert Les premiers chrétiens Microcosme (Seuil).
Jean Lacouture Ho Chi·minh Politique (Seuil)
4. Monique Lange 5. Armand Hoog 6. 7. 8. 9. 10.
O. de Hasbourg H. Boil Henri Troyat Thomas Pynchon Pierre Salinger
Un plat de porc aux bananes vertes Histoire de la littérature française Un âge d'or Cannibales en Sicile Las deux côtés de la mer Charles Quint Le train était à l'heure La malandre
V.
Avec Kennedy
Le Seuil Fayard Cal mann-Lévy Gallimard Grasset Hachette Denoël Flammarion Plon Buchet-Chastel
POCHE
Littérature Paul Claudel , Daniel-Rops, Selma Lagerlôf, H. Melville Jean Cayrol Récits du temps de Pâques Livre de Vie (Seuil).
René Laurentin Bilan du Concile Vatican Il Livre de Vie (Seuil)
Jean-Guy Moreau Le règne de la télévision Société (Seuil)
LA QUINZAINE LITTÉ RA IRE VOUS RECOMM A NDE
Alexandre Dumas Joseph Balsamo Livre de Poche.
R. Osborn Marxisme et psychanalyse Petite Bibliothèque Payot
Littérature
Anatole France Le crime de Sylvestre Bonnard Livre de Poche.
Pierre Paraf Le racisme dans le monde Petite Bibliothèque Payot
Joé Bousquet Alejo Carpentier J. Cowper-Powys louri Kasakov Raymond Queneau Ernesto Sabato
Régis Paranque
La Quinzaine littéraire, 1'" au 15 avril 1967.
La semaine de trente heures Société (Seuil)
Gallimard Gallimard Grasset Gallimard Gallimard Le Seuil
Œuvres Présentation de Sacher·Masoch Homo hierarchicus Les civilisations noires Ma sœur, mon épouse Sur le papier
Flammarion Minuit Gallimard Marabout Gallimard Grasset
Essais Léon Chestov Gilles Deleuze
Paul Guimard Rue du Havre Livre de Poche
Lettres à « Poisson d'or • Guerre du temps Le camp retranché Ce nord maudit Courir les rues Alejandra
Louis Dumont Jacques Maquet H.-F. Peters Marthe Robert
31
romans français du premier trimestre . LEONAREGA Le débarras
JOSEPH KESSEL Les Cavaliers
Le champ clos où se heurtent les uns aux autres, les journalistes.
Une épopée sauvage au pays Afghan . Le premier roman de Kessel depuis le Lion.
FLORENCE ASIE Griserie
PASCAL LAINE B.comme Barabbas
A la recherche d'un souvenir, des amours sans amour.
Le monologue d'une Passion entretenue par la seule Foi en la mort.
HELENE BESSETTE Les 'petites'Iiishart
MONIQUE LANGE Cannibales en Sicile
Un épisode de la vie de province, coupé d'un épisode de la vie de Paris.
. MARIE-LAORE DAVID L'échappée Ni l'amour, ni le monde ne la retiendront prisonnière.
MARGUERITE DURAS L'amante anglaise
Au bout d'une longue patience une nouvelle force de vivre et d'aimer.
MONIQUE RIVET La caisse noire En milieu scolaire les amÎtiés de l'adolescence confrontées aux influences familiales .
MICHEL TOURNIER Vendredi ou les limbes du pacifique Dans une île déserte, une solitude à assumer, un monde à construire.
L'histoire d'un crime par récits alternés.
LOUISE MAUD FRERE DE VILMORIN Le temps ' . L'h III . d'une carte postale ('OU,pr:e~re ma IClose .ft.
Trois amours parallèles dans le paysage furieux qui borde la mer du Nord.
Une tradition imaginaire, . un amour impossible, un trésor inaliénable.