e
a
e
UlnZalne littéraire
2F 50
Numéro 10
·
Août 1966
vacances ~ Paulhan
Livres à choisir pour les
parle. Aux sources
de la parole. Théâtre soviétique. Jean Fourastié
Silone devoya es .~
Un homme libre:
i, .Livres
.L'ancien Mexique
1
La presse fêm.inine. Jules Barbey d'Aurevilly
e
aIs e . onsleurH -R evel
Les jeunes A n Daum.ier.
Contre-censures de
.Fernand Léger
SOMMAIRE
3
LB LIVRB DB LA QUINZAINE
Ignazio Silone
Sortie de Secours
par Maurice Nadeau
,.
ROMANS FRANÇAIS
Yves Buin Suzanne Allen J acqùes Perry
Les environs de minuit Le lieu commun Vie d'un pa,ïen
par Alain Clerval par Michèle Cote par , Paul Morelle
ESSAIS
Roger Caillois
I mages, images ...
par Clarisse Francillon
Jean Paulhan publie ses œuvres complètes
Propos recueillis par Madeleine Chapsal
4
6
7
ENTRETIEN
8
LITTÉRATURE ÉTRANGÈRE
P~tru pumitriu Mario Solda.ti Arbrouzov; pogodine, Rozov
Les initiés Les deux villes Thé~tre soviétique contemporain
par André Bay par Georges Piroué par Claude Ligny
10
POÉSIE
Suzanne Allen Hubert Juin Robert Marteau
Le Pour et le CQntre L'Animalier Travaux sur Ill' Terre
par Claude Michel Cluny
11
LETTRE DE LONDRES
La jeune littérature anglaise
par John Calder
12
HISTOIRE LITTÉRAIRE
Les Quarante médaillons de l'Académ,i e Œuvres romanesques Voltaire
par Samuel S. de Sacy
Le témoin Daumier
par Jean Selz
L'homme en voyage
par Marie~Claude de Brunhoff et Delphine Todorova
9
14
Barbey d'Aurevilly Jean Orieux
par Olivier de Magny
15
ART
16
LIVRES POUR LBS VACANCES
18
VOYAGES
20
MÉMOIRES
Dag Hammarskjold
Jalons
par Birgitta Trotzig
21
PAMPHLETS
Jean-François Revel
Contre-censures
par Michel-Claude J alard
22
SCIENCES HUMAINES
Laurett~
Le' pensée des Anciens Mexicains Ethnologie et langage La parole chez les Dogon
par Geneviève Bonnefoi
Séjourné
Geneviève Calame-Griaule 24
SOCIOLOGIE
par Alfred Adler '
26
Alain Touraine
Histoire de la Presse féminine en France La conscience ouvrière
27
Jean Fourastié
Idées majeures
,p ar M. Marantz
Léger, précurseur du pop-art '?
par Jean-Louis Ferrier
28
A MARSEILLE
30
LA QUINZAINE HISTORIQUE
81
TOUS LBS LIVRES
Elevyne Sullerot
littéraire
François Erval, Maurice N adeau
Publicité générale: au journal.
Conseiller Joseph Breitbach
Abonnements: Un an: 42 F, vingt-trois numéros. Six mois : 24 F, douze numéros. Etudiants: six mois 20 F. Etranger: Un an: 50 F. Six mois :' 30 F. Tarif postal pour envoi par avion, au journal.
Rédaction, administration : 13 rue de Nesle, Paris 6. Téléphone 033.~1.97. Imprimerie : Coty. S.A. 11 rue Ferdinand-Gambon Paris 20. La Publicité littéraire: 71 rue des Saints-Pères, Paris 6. Téléphone: 548.78.21.
2
par Frédéric Bon et Michel-Antoine Burnier
par Pierre Bourgeade
Directeur artistique Pierre Bernard Administrateur, Jacques , Lory
La Quinzaine
par Edith Thomas
Règlement par mandat, chèque bancaire, chèque postal. C.C.P. Paris 15.551.53.
Directeur de la publication : François Emanuel. Copyright La Quinzaine littéraire Paris, 1966.
Crédits photographiques
p. p.
p. p. p. p. p.
p. p. p. p; p. p. p. p. p. p.
P. Juillet, Paris-Jour Annette Léna 7 Gisèle Freund 8 Gisèle Freund 11 Mark Gerson 12 Timothy Rendle 12 Claude R. Michaelides 13 Claude R. Michaelides 14 Roger Viollet 15 Roger Viollet 20 lan Berry, magnum 21 Pierre Faucheux 23 George Rodger, magnum 25 Dennis Stock, magnum 26 Marc Riboud, magnum 28 Giraudon 29 Musée Léger
3
4
LE LIVRE DE LA QUINZAINE
Un hOlnme libre Ignazio Silone Sortie de secours traduit de l'italien par Michèle Causse Del Duca éd., 250 p., cart. Ignazio Silone deviendrait-il prophète en son pays? Sortie de secours, qui paraît aujourd'hui en français, a obtenu en Italie l'un des prix littéraires les plus enviés et s'est maintenu pendant près d'un an à la tête des livres les mieux vendus. Cela n'a été le cas ni de son chef-d'œuvre, Fontamara, publié dans l'exil, ni des ouvrages suivants. Il existait même ~n Italie, parmi les écrivains et les critiques qui avaient subi le fascisme mussolinien avec plus ou moins d'impatience, une sorte de ressentiment à base de mauvaise conscience contre cet exilé qui avait écrit la plus grande partie de son œuvre hors de la Péninsule, et on préférait lui reconnaître les qualités d'un « écrivain cosmopolite» plutôt que de le réadmettre dans la famille. Ce fut également, en Allemagne, le cas de Thomas Mann et de quelques autrés. Que Silone ait incarné pour nous pendant plus de dix ans la voix même de l'Italie, celle des cafone, des intellectuels et des antifascistes réduits au silence, il n'est pas besoin d'en persuader les lecteurs de Fontamara. Ce livre de pitié et d'amour, d'humour et de révolte demeure l'un des monuments de la littérature italienne d'entre les deux guerres, et il était grand temps que les Italiens eux-mêmes finissent par s'en apercevoir. Sortie de secours n'est apparemment qu'un recueil de récits et d'essais, voire d'articles publiés par Silone ici et là depuis son retour et qui traitent de sujets divers, moins littéraires que sociaux, politiques, moraux, philosophiques. C'est, en fait, une autobiographie. Avant de devenir un écrivain, Silone était l'un des deux dirigeants du Parti communiste italien, l'autre était Togliatti, et s'il abandonna le Parti en 1931, pour des raisons et en des cil'constances qui nous sont longuement rapportées dans le récit qui s'intitule précisément Sortie de secours, il n'a jamais cessé de militer 'pour ses idées, le plus souvent seul contre tous, en « franc-tireur du socialisme ». Dans l'Italie d'après" guerre il a joué un rôle politique officiel avant de retourner à ses moutons : non point la littérature, refuge éventuel des politiciens déçus, mais l'action révolutionnaire fondée sur quelques exigences morales essentielles et menée par tous 'les moyens, y compris le plus subtil : l'expression littéraire. Ces exigences, ce combat solitaire ont donné à cet écrivain qui s'est toujours défendu d'être seulement un « intèllectuel» une autorité que peu l d'hommes au monde ont aujourd'hui en partage. On serait tenté de voir en lui « la conscience du socialisme» si les draperies La Quinzaine littéraire, août 1966
cutions préférables au mépris? Il ne vient pas au socialisme à la horreur. Il n'a rien tant dénoncé suite de savantes études ou de que les poses, les attitudes et jus- profondes réflexions sur l'évolution qu'à ce conformisme de gauche qui des sociétés : Il suffisait d'appliapaise tant d'esprits moins doués quer à la société les' principes que que lui de sens critique et d'hu- l'on jugeait valables pour la vie mour. Il est vraiment « l'homme privée. Il s'en est toujours tenu contre les pouvoirs », y compris à cette ligne de conduite, simple ceux qui sont d'essence religieuse en apparence et, l'expérience du communisme stalinien nous l'a ou idéologique. . Du plus loin qu'il se souvienne, amplement montré, si difficile à son premier mouvement a été la suivre. Il rompt avec le communisme révolte. Le deuxième, la pitié. Toutdont s'entourent malgré elles les
« grandes figures » ne lui faisaient
Ignazio Silone
enfant, il ne pouvait supporter de voir un homme enchaîné entre deux carabiniers, et il place parmi les événements déterminants de sa vie la vue d'un hobereau de sa contrée des Abruzzes lançant son chien aux trousses d'une petite couturière, mise en loques par l'animal sur la place de l'église devant des témoins apeurés qui, même devant la Justice, n'osèrent prendre le parti de la victime. Tout ce qu'on lui apprend à l'école et au catéchisme, il le mesure à l'aune de ce fait banal. Un voile se déchire qui cachait l'apparente harmonie des rapports sociaux. Il se refuse à croire que les riches ont été créés par Dieu pour posséder et commander, les pauvres pour travailler et souffrir. Choisitil d'être « rebelle»? Aujourd'hui encore, il ne le sait pas. Choisit-on ou est-on choisi? Quelle est l'origine de cette irrésistible intolérance à la résignation, de cette incapacité d'endurer l'injustice, fût-elle infligée aux autres? Et ce brusque remords de s'asseoir à une table bien garnie quand les voisins n'ont pas de quoi manger à leur faim ? Et cette fierté qui rend les persé-
pour des raisons qui, même à l'époque, faisaient sourire les cyniques et les avisés. Délégué de son Parti à Moscou, avec Togliatti, en 1927, il refuse de condamner un texte de Trotsky, pour le simple motif qu'il n'a pas lu ce texte qu'on ne veut pas lui montrer. Personne ne l'a lu, lui répond-on, il faut faire confiance à l'Exécutif. Il n'a, à l'époque, aucune raison de se défier de Staline et il veut bien croire qu'il n'est pas opportun de traduire et de distribuer le document de Trotsky, mais alors, qu'on ne lui demande pas sa signature, fût-ce au nom de raisons supérieures qu'il n'est pas appelé à connaître. II brise ainsi la sacro-sainte unanimité et prend figure d'« indiscipliné». Peu lui chaut. Il n'a pas . le sentiment d'obéir à une « morale supérieure », il réagit par spontanéité ingénue de provincial révolté, non encore contaminé par la froideur du calcul politique. Dirigeant d'un parti clandestin qui se pose en champion de la vérité contre les mensonges fascistes, il lui semblerait se parjurer en abandonnant au seuil du temple cet esprit de libre examen qui l'a
conduit à prendre la tête de la ' lutte contre Mussolini. Il n'a pas encore compris que le Parti n'est pas seulement pour ses militants un organisme politique mais encore une école, une Eglise, une caserne, une famille, et que l'esprit critique qui s'exerce à l'endroit de tout ce qui n'est pas le Parti, dans le Parti n'est plus de mise. Il préférera se laisser exclure plutôt que d'avaliser une double attitude qui heurte sa conviction profonde. : on ne lutte pas contre l'adversaire avec les armes qu'on lui a dérobées, tous les moyens. ne sont pas bons pour la fin qu'on poursuit. Silone ne s'est pas aisément consolé de cette rupture. Elle le renvoyait à l'inaction et à la solitude. C'est alors que, malade et s'exilant en Suisse, il s'est mis à écrire. Par besoin de comprendre, de confronter son action passée aux motifs qui la lui avaient fait entreprendre, par nécessité absolue de témoigner et pour affirmer une fidélité à ses idéaux qui demeurait entière au-delà de la rupture. Ecrire n'a pas été, et ne pouvait pas être, si l'on excepte quelque rare moment de grâce, une sereine jouissance esthétique, mais la pénible et solitaire continuation d'une lutte, à l'écart des très chers compagnons dont je m'étais séparé. Foritamara constitue une étape de cette lutte : non sur le plan de la propagande ou de ce qu'on a nommé plus' tard « l'engagement », mais sur le terrain qui convenait parfaitement à ce rebelle et ce moraliste : celui de l'expression littéraire, seule susceptible de remuer les consciences en leurs secrètes demeures et qui, plutôt qu'à les mobiliser, vise à les mettre en branle de leur propre mouvement. Malraux, diton, a fait beaucoup de comItlunistes avec la . Condition humaine. Silone, avec Fontamara, le Pain et le Vin, le Grain sous la n~ige, a fait bon nombre d'hommes libres. Ce recueil où le souvenir se mêle à la réflexion, .1a confidence aux vues générales, le récit, toujours fondé sur un détail concret et savoureux aux vigoureuses prises de position, n'est pas uniquement tourné vers le passé. Le rapport Kroutchtchev, les événements de Budapest analysés par Silone avec sang-froid ne sont que d'hier, il est vrai, et définissent notre préstlnt. Toutefois ce présent où les partis communistes ne bercent plus, hélas! que d'anciennes nostalgies, se manifeste sous des apparences moins simples qu'autrefois et sont devenues gibier de sociologues, d'économistes, de statisticiens, de « prospectivistes ». Silone ne s'en laisse pas imposer par tous ces spécialistes. A l'Ouest comme à l'Est, dit-il, a triomphé l'Etat tout-puissant et pullulent les bureaucraties. L'Est se dirige vers la société de consommation dont l'Ouest offre le modèle et la « massè » qu'on conditionne et manipule ~ 3
I ROMANS FRANÇAIS ~
Un voyageur sans bagage
Un homme libre
n'est plus 1e « prolétariat». Le Yves Buin système de production lui-même, Les E,nvirons de minuit « capitaliste» ici, «socialiste» là, Grasset éd. 188 p. est-il toujours, comme le pensent les marxistes, le ressort déterminant de l'évolution sociale? Silone Tenté par ce qui dans l'homme étudie ces problèmes parfois jus- excède les limites de la conscience, que dans le détail : fonctionne- attentif à fixer les phénomènes qui ment des assurances sociales, avan- surgissent dans cette frange péritages et inconvénients des « mass phérique où la mémoire et l'oubli, media '», relations entre les formes les mots et l'indicible, la naissance de l'Etat et le développement de la et la mort, le silence et le chant technique, etc. A sa manière, c'est- se confondent dans une unité indisà-dire toujours avec le bon sens soluble, YvesBuin nous fait descenll'l plus juste, sans pédantisme ni dre, à la suite de son héros, au entraînement sentimental, et dans royaume des ombres, dans une la perspective constante ' de cette contrée fantastique. ' amélioration du sort de l'homme à , Les Environs de minuit, c'est laquelle il est pro!ond~me~t atta- ritinéraire d'un voyageur sans ché. Avec les annees, il n est pas bagage, nouvel Orphée, venu cherplus tombé dans le scepticisme des cher dans une région riveraine du beaux esprits que dans la foi aveu- songe la clé d'une énigme, la gle pour l'une des multiples, s~lu réponse à une question dont la tions de salut que proposent eglises formulation ne sera jamais livrée. ou partis.: Il lui suffit d'entre- Quête sans but avoué, ni fin prévitenir, vive 'en lui, la petite flamme sible qui, sous le prétexte apparent 'q ui l'a fait se dresser, enfant, de retrouver un compagnon des contre l'injustice. le ne crois pas équipées nocturnes, conduit le perà une résignation durable des sonnage à l'extrême de soi. Mais le hommes, aussi assurée que soit terme de l'aventure compte moins l'opulence dans laquelle ils vivent. que la démarche fiévreuse et l'atIl existera toujours des groupes mosphère qui la baigne : coulée d'hommes qui ne se contentent pas d'ombre musicale et chaude. de boire et de manger l'histoire de Certains pensent que dans les l'homme est, en dernière analyse, marges de notre vie éveillée, une l'histoire de son anti-conformisme, existence parallèle suit un cours -et c'est ce qui la distingue de l'his- invisible qui affleure dans nos actoire naturelle. tions quotidiennes et; bien sûr, daps Michel Foucault a annoncé ici- nos rêves, d'où padois elle nous même la fin de l'humanisme. Il submerge et fait vaciller notre n'y a point à discuter : c'est une raison. Le héros de Yves Buin est constatation d'évidence. Il y a la proie d'un hallucination égaranlongtemps, d'ailleurs, que les révo- te et douloureuse. Comme dans lutionnaires et Silone en particu- Les Alephs, l'auteur fait le récit lier avaient repoussé cette bouillie d'une,Odyssée mythique aux confins fade. Ce qui, en revanche, ne sau- de l'histoire. Mais dans le livre prérait périr c'est ce que Silone appel- cédent, un séisme cosmique avait le « la personne humaine». Il ne fait table rase autour des amants, de doute point qu'elle finira par la civilisation dont il ne leur restait domestiquer et mettre à son service plus qu'à réinventer la splend;ur tous les mécanismes économiques abolie. Ici, c'est l'esprit du heros et sociaux qui l'oppriment. C'est qui fait naufrage. Les vestiges de ce renversement de situation de- sa vie, qui ont pu survivre au dépuis si longtemps attendu e~ tan~ luge de sa mémoire, lui servent de de fois faussement annonce qUI repères symboliques pour orienter mérite seul, à ses yeux, le nom de la ronde haletante qu'il accomplit révolution. Maurice Nadeau dans une clarté funèbre. Il rumine les images de sa vie antérieure qui une valeur onirique obsé••••••• prennent dante, et sont comme l'indice d'une unité perdue, dont il cherche désespérément à retrouver la saveur. I~I Vo", Im"o,.,
•••••••••• ,
,h., ,.1"
libraire habituel les livres dont parle la QUINZAINE -~:!!" LlTTËRAIRE. A défaut la
LIBIAIBIB PILOTI vous lès enverra, franco pour toute commande de plus de 30 F accompagnée de son montant (chèque, chèque postal ou mandat) . Pour les commandes de moins de 30 F" ajoutez au prix des livres 2 F pour frais d'envoi.
LIBIAmlB PILOTI 22, rue de Grenelle PARIS (7 e ) LIT. 63-79 C.C.P. Paris 13905 31 4
Autour du héros, la ville pareille à ces hautes constructions gothiques
des films expressionnistes allemands, dresse ses murs inquiétants, comme un réseau de symboles tentaculaires à travers lesquels il fraye sa route et traverse une forêt d'images et de mots mêlés où tous les chemins sont possibles. Révélateurs sont les monuments autour desquels le narrateur piétine avec prédilection, une gare, ou les tours d'une cathédrale dont l'ombre gigantesque signifie la déchirure ou le départ. Aucune logique ne domine les actes du personnage qui avance, tel , un aveugle Sisyphe, pour s'abîmer dans les gouffres de l'imaginaire.
Yves Buin
Le narrateur refuse la réalité et s'obstine à confondre le monde avec celui de son délire. Nous retrouvons ici un thème fécond de la littérature actuelle, celui de l'exil : soit que la réalité intérieure du personnage abolisse autour de lui l'univers pour lui substituer un ordre royal, soit que la réalité soit perçue avec une acuité si douloureuse qu'elle acquiert une dimension étrangère. Le narrateur des Environs de minuit est exilé à l'intérieur de sa folie; cet exil, il le revendique et s'acharne à le rendre encore plus radical, plus irrémédiable : s'il sombre dans la démence, c'est avec une complaisance forcenée, et c'est avec une délectation fiévreuse qu'il brouille tous les chemins, qui le relient au monde. Dans la demesure de l'homme est la naissance du monde, la démesure étant un moyen d'accéder à cette connaissance suprême où les mystères de la vie ou de la mort se confondent avec la source de l'eXpérience intérieure. C'est pourquoi l'orgueil du narrateur le pousse à récuser le jour et à chercher l'ombre, le refuge, les bars louches, les :ues étroites et humides pour y cultiver avec frénésie son vertige solitaire~ là où les présences ne dissipent pas ce qui dans le monde est sa loi. Ainsi voit-il dans les lumières de la ville, dans les visages; la preuve d'une réalité seconde, impalpable, qu'il lui faut à tout prix rejoindre, et qui se confond pour lui avec le souvenir confus de sa vie passée. Il veut semer le désordre dans le monde, pour lui faire dire son secret. S'il fait en soi-même un retour aux sources, et cherche à remonter
le cours du temps en quête de son ami Borg, c'est pour déployer dans un espace lyrique tous les prestiges de la littérature. Comme le dit lui-même le narrateur, à la suite de cette interminable orgie nocturne, où il a abusé des images et des sons, où il s'est laissé porter par une débauche grisante de couleurs et de songes, il ne lui reste plus, selon la loi universelle qui va du plaisir à la mort, qu'à se laisser engloutir dans une réalité où il n'aura rien à regretter du monde des vivanlB. Le personnage d 'Yves ,Buin lutte vainement contre l'effrit~ent de sa personnalité. Mais l'épapchement du songe dans la vie ,réelle le restitue à une existence où '"l'être intérieur n'est pas séparé du monde, où s'opère une réconciliation entre l'imaginaire et la vie. Tout au long de son livre; l'auteur réussit à nous faire sentir la sourde et grondante rumeur de la musique et de la mort, qui, comme un fleuve profond, accompagne la ronde solitaire du héros. C'est son insistante, envoûtante présence, comme une marche funèbre, qui donne au livre une résonance tragique et intense. Roman poetIque, Les Environs de minuit est écrit dans une langue qui s'affirme d'une richesse et d'une beauté remarquables : lyrique et austère, soyeuse et éclatante. L'art de l'écrivain nous introduit dans un palais effervescent qui parfois retentit des cris de la sainte et de la .fée. . Alain Clerval
Le dieu des . corps Suzanne Allen Le lieu commun' GaUimard éd. 236 p. Suzanne Allen n'en est pas à son ouvrage. Après La Mau!laise Conscience qu'une critique, liscrète mais flatteuse, salua en 1955, elle donna en 1960 L'Ile du iedans. Ici et là, l'écriture compose avec l'autobiographie, la morale et le rêve. Deux récentes publications, les poèmes du recueil Le pour et le contre et Le lieu commun, attestent encore une inspiration complexe. On y voit l'écrivain jouer avec le contrepoint savant du réel, de la mémoire et de l'imaginaire. ~remier
L 'Ile du dedans retraçait l'ilIlpossibilité d'une séparation défini~ tive pour deux êtres, cependant excédés par les difficultés de la conjugalité et du monde moderne. Ile ,déserte, désertée par la passion, colonisée par l'ennui, mais aussi par le souvenir, le désir, la crainte. Avec, Le lieu commun; le point focal de l'intrigue reste celui d'un couple. Les préjugés et les ,tabous de l'àmour y sont malmenés, mais sans que soient tellement modifiées les réactions traditionnelles du su~ conscient. Certes, les femmes-écrivains, lorsqu'elles manient, en ce domaine, l'audace évocatrice, ne semblent retenues par aucune censure, et il n'est guère d'hommes ayant poussé plus loin la hardiesse de Suzanne Allen. Le Dieu des _corps de Jules Romains, Le Dieu nu de Robert Margerit, oU le dernier Goncourt, pour citer au hasard des souvenirs, sont de l'eau de rose auprès du Lieu commun. On me dira que c'est l'œuvre d'une femme qui analyse précisément ce que seule une femme connaît ... L 'héroïne, avec une luxuriance' descriptive, raconte une aventure où sont magnifiés ses transports amoureux. Aventure-eXpérience et gageure singulière. Pierre et Irène, pour prouver, stimuler, enrichir
leur amour, ont conclu le pacte d'une totale liberté mutuelle. Geneviève, amie de Pierre, choyée par les époux, en est l'illustration immédiate. Il y a aussi tous les autres. Eros au service d'Agapê. Quand le récit commence, vingt ans se sont écoulés;- le sentiment est intact; les sens ignorent la lassitude. L'épreuve est-elle concluante? La première page, toutefois, mentionne, à l'occasion du départ de Pierre et de Geneviève au terme de vacances passées à St-Tropez, un incident ridicule de dernière minute qui provoque la mauvaise humeur du voyageur, Gênée en l'occurrence par la présence de Geneviève, Irène en est affectée. C'est pour la narratrice, qui prolonge de quelques semaines son séjour sur la Côte, le prétexte incontrôlable d'un flash-back où sont restitués la genèse et le déroulement des multiples exploits, le1,lr répercussion dan~ la vie intérieure des personnages, lem flamboiement p~nthéis tique. Festons et astragales des postures amoureuses, bouleversantes voluptés, communion de tous les sens avec tout l'univers, et la mer et les îles, et les hOJ".J.mes et les femmes. . Alors, ce m~uveme~t d'humeur? S'il était le signe d'tID insidieux changement? Et Geneviève qui semble mélancolique et. comme affligée, dirait-on, d'un sentiment d'« incomplétude»? La scrupuleuse Irène s'inquiète. Que faire? Il faut bien que l'auteur envi: sage 1,ln dénouement à une histoire qui, pour ne pas relever du genre dramatique, doit, un jour, pren~re fin. J'avoue que j'étais assez intriguée quant à l'issue de l'aventure, après tant de vertigineuses ascensions où s'était joué le de!;llin d'Irène, de Pierre et de Genevievë. C'était compter sans l'imaginatio~ de Suzanne Allen : Genevièvè, nouvelle Eve aux yeux d'Irène par le jeu d'initiatiques transfer1$, figu-
rera, dans un ultime tableau, la radieuse victime du couple, le lieu commun de leur désir ... On entrevoit ce qu'un tel sujet pourrait avoir de scabreux sans le secours du talent. Si ce livre doit être sauvé', le lyrisme y, pourvoiera. Les images les plus réalistes, les suggestions les plus suffocantes, sont protégées par l'émoi poétiqUe. La société mutile les hommes qui ne
des... Ainsi des roses tabernacles de Lesbos, ainsi du corps de .l'homme glaive et creuset pour les puisSantes alchimies ... Charme d'un style qui envoûte, s'il ne convainc, par les prestiges du vocabulaire et de la phrase... . Quelques bourgeoises considérations se glissent dans le texte, émouvantes de banalité : A moi, pense Geneviève, l'attente entre deux portes, les rendez-vous manqués, les rencontres hâtives, les brumes de la Seine, l'inconfort et la mélancolie... à Irène, le temps ' d'aimer, la chaleur du foyer, la sérénité et la tendresse omniprésente, .à Irène de faire toutes les choseS essentielles à la vie : elle emplit son assiette de 'nourriture chaude et s'assied près de lui, et ils devisent de choses qui leur sont connues ... Il faudrait pouvoir , commenter maints aperçus , de ce livre souvent grave, inscrit dans la grande tradition moraliste, prolixe aussi et dupe des faste~ du langage (lamer oisive soie courtisée du soleil), et parfois complaisant dans le détail érotique, au })9int qu'on pourrait le qualifier de pervers~
Perverse, cette jeune femme? Il entre dans la perversité, ordi. nairement définie, tant d'apprêt et de calcul, quelque chose d'actif qui ne va pas sans rupture, sans C9nflit. I~ne, peut-être traumatisée par les manières d'un père incestueux, curieuse à l'excès et désireuse d'exploiter toutes les ressources de sa sensualité pour un meilleur accord au monde, n'en garde pas moins, et sans déchirement, la . dévorante nostalgie de moments purs, une sorte ' d'émerveillement naturiste assez proche de l'enfance.· On songe Suzanne Allen à Proust, .à Colette, dans ses passages inspirés sur le miroitement peuvent être et possédan~ et. possé- .' Sous· marin, la luisance dès ~eux dés? Constatàtion brutale. Mais bois, la patine des métaux, l'odeur voici retrouvée, par la magie du des pins et des caroubiers, le frisverbe, la richesse perdue : Les son des tissus, tout cela qui la brousses d'autrefois, ces lianes remplit d'une joie « corilscant~ » et caressantes, les volubilis par une qui l'arrache, le temps d'un rêve main. éomplice épanouis, résines ébloui, à la grisaille et à l'angoisse. Michèle Cote pâles répandues, mousses profon-
• • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •• • • • • • • •• • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •••••••• M.
Adresse Signature
Ville Date
souscrit un abonnement
Abonnez-vous
o d'un an 42 F / Etranger 50 F o de six mois 24 F / Etranger. 30 F règlement joint par
o mandat postal 0 o .chèque bancaire
chèque postal
La Quinzaine U",raire
.. \
La Quinzaine liJtéraire, août 1966
13, rue de Nèsle, Paris 6 - C.c.P. 15.551.53 Paris
1
ESSAIS
Reve et réalité
Un auteur concerté
Jacques Perry Vie d'un païen La beauté à genoux Robert Laffont éd. 315 p. Jacques Perry est un auteur volontaire. C'est une particularité qui n'est pas tellement prisée en littérature où l'on préfère que l'écrivain ait mauvaise conscience de son art, qu'il s'en excuse et feigne . d'ignorer comment il fait ses livres ou comment ils se font. Jacques Perry, lui, le sait. Et cela se voit. Peut-être un peu trop. Dans L'Amour de rien, Prix Renaudot en 1952, il racontait l'histoire, mouvementée,. d;un jeune homme' de ce siècle qui, durant les années qui précédèrent, accompagnèrentet suivirent immédiatemerit la dernière guerre, se cherchait - sans les trouver - des raisons de vivre à travers de multiples aventures bien dans le goût de cette époque : hétérodoxes et vaguement provocatrices. Ce romantisme amer et dégoûté, cette religion de l'échec et de l'ennui, seyaient bien, .lors le' livre paru, à cette période, dite de la guerre froide où, parce qu'ils feignaient de croire à leur anéantissement proch,llin, les hommes faisaient semblant de ne plus s'intéresser à rien. Le roman paraissait bien un peu concerté, et l'on' devinait parfois l'armature de fer et de béton sous la pâte des mots. Mais cette pâte elle-même était riche. Et l'intérêt romanesque qui en sourdait était puissant. Puis, longue éclipse. Les prix littéraires font souvent, on le sait, sur les jeunes hommes qui ' les reçoivent, l'effet de pavés de l'ours. On dirait qu'on les jette tout habillés ~ ce qui serait une curieuse façon de les mettre dans le bain dans un bassin rempli d'eau, tout empêtrés de leur gloire neuve. Il faut alors qu'ils se délestent de ce poids encombrant, qu'ils s'en délivrent, tout en continuant, si possible, à flotter, à respirer, à vivre. · Beaucoup s 'y perdent. Jacques Perry, lui, s'en est tiré. Non sans mal. Une première fois, il essaya· de refaire surface, en 1956, avec un roman qui s'intitulait: L'Amour de toi. C'était un peugros; On ne le crut pas. On crut surtout qu'il truquait, qu'il rusait, qu'jlessayait de se faire pardonner son ancienne gloire. C'était pire qu'une erreur : une maladresse . . On le rejeta à l'eau. Il vient d'en ressortir avec cette fois un gros roman épais et puissant, comme était L'Amour de ri~n,en trois tomes, dont deux sont déjà parus,et qui, sous le générique : Vie ' d'un païen pourrait s'intituler : L'Amour de tout ou L'Amour de la vie. Il s'agit, comme dans L'Amour de rien de l'histoire d'un homme, de sa naissance à, ' sans doute,sa mort et qui, toujours comme dans L'Amour de rien est un enfant naturel, né des amours hâtives d'une femme sans complications et d'un séducteur de passage. Egale6
ment COD;lme dans L'Amour de rien, il est mêlé à toutes sortes d'aventures, insolites et pittoresques. Mais tandis que dans L'Amour de rien le héros ne s'intéressait profondément à rien de ce qu'il entreprenait, dans Vie d'un païen, il se passionne au contraire pour tout. C'est une sorte de force de la nature, un géant primitif et instinctif qui mange comme il respire, fait l'amour comme il lIjlange et peint comme il fait l'amour. Car, et là encore, toujours comme dans L'Amour de rien, le héros est la proie dévorée - ou dévorante d'une passion artistique à laquelle il s'abandonne totalement cette fois. Les pages sur la peinture - nombreuses et paraissant parfaitement documentées sont d'ailleurs, avec celles qui traitent de l'amour physique et de l'amour tout court, parmi les plus passionnantes du livre. Elles révèlent le secret du peintre. Elles montrent comme on aime à dire aujourd'hui, le tableau en train de se faire, depuis les profondeurs viscérales de sa gestation jusqu'à la main qui l'exécute. Mais elles révèlent aussi ce qui déjà, apparaissait et gênait dans L'Amour de rien : ce côté un peu trop concerté, voloritaire de la création chez J acques Perry. Son peintre est devant sa toile, ou devant une femme ou devant l'eau d'un fleuve, ou toute espèce de nourriture païenne comme il semble qu'il soit lui-même devant le livre . à faire : un homme qui cherche à imposer sa volonté à grands coups de pinceaux, de gueule, de poings,· de dents ou de ... (pour le peintre), de phrases, pour l'auteur. Qui cherche à se prouver cette volonté, plus qu'il ne la possède réellement. Et l'idée vient alors, pernicieuse, insidieuse, que, peut-être, sous une forme inversée, cette Vie d'un païen ·n'est autre qu'une nouvelle version, plus en couleurs, de ce qu'était L'Amour ' de rien dans les teintes gris-noir. Que tout~cette furieuse agitation, .cet appétit ostentatoire pour toutesles choses de la vie cachent une .·ré~ne inappétence à vivre. Que cette jovialité . apparente et provocante recèle .une tristesse ca· chée. Que solivent, l'activité pour ellemême, c'est-à-dire l'activisme, recouvre un profond vide intérieur. Que ' jouir de . tout,et en toutes 'Circonstances, revient à ne jouir i! . vrai~ent de rien. . . . , Et que tout cela se terminera, dans lêtroisième tome, par le même son .grêle et ' désespéré, .le même renoncement à poursuivre. Reste la tentative intéressante d'un auteur qui, tel .un peintre arrivé à maturité, reprend une .œuvre de jeunesse et tente de lui donner une nouvelle dimension, en retournant le tableau, et en essayant de montrer « l'envers de la toile ou de la peau ». Paul Morelle
Roger Caillois 1mages, images ... José Corti éd. 156 p. Imaginaire, inimagin~ble., image en creux, fidèle, subie, inventée, précaire, onirique, conjecturale •.. C'est par ces déclinaisons en série, ces variations sur un thème unique, que prélude le livre de Roger Caillois, avant de nous convier à la rencontre de ces fantasmagories évoquées par l'imagination au cours de ses sinueux vagabondages. Merveilleux, magique, fantastique, surréel, irrationnel, encore une de ces jongleries, une de ces confusions de notions et de vocables dont notre temps se gargarise et se grise. Il était. urgent qu'on vînt mettre de l'ordre dans ce tumulte. Entre le merveilleux et le fantastique, l'auteur établit une discrimination stricte. Produit d'une époque où l'enchantement va de soi, où le miracle court les rues, le merveilleux ne transgresse pas la régularité. A l'inverse, le fantastique, issu d'un âge rationaliste et sCientifique, en représente la revanche, une manière de contre-poison. C'est une rupture: l'irruption de l'inadmissible ' au sein de la légalité quotidienne. Les vampires, les spectres et autres goules aux prestiges un peu usés, cèdent aujourd'hui la place aux héros de science-fiction. De celle-ci, Roger Caillois retient surtout les migrations hors du temps et de l'espace, les incursions dans le passé ou le devenir, les jeux de bascule entre les univers parallèles. Merveilleux, fantastique, sciencefiction, que révèlent-ils sinon nos aspirations, nos nostalgies, notre plus intime angoisse? Qu'y découvre-t-on, en fin de compte, sinon l'homme? Et ses rêves. Rêves prémonitoires, rêves qui infléchissent la réalité tenue après coup, de s'y confirmer, chasséscroisés du rêve et de la veille, rêves jumelés, rêves gigognes ... De la Clé des Songes, sans cesse rééditée, .aux recherches de la psychanalyse, toute une littérature témoigne de l'intérêt de l'humanité pour les bribes imprécises qui flottent à la frange de ses nuits. Elles n'élucident pas l'obscur, leur prétendue valeur allégorique est un leurre. Pourtant, dans l'Incertitude qui vient des rêves; Roger ,Caillois concède . à ceuxci . nne efficacité. Ils nous enseignent .à garder nos distances vis-àvis de l'univers. Conseil de moraliste. A"t-il des chances d'être entendu? Dans Images, images... la pensée prend un nouvel essor et, avec une charge poétique accrue, gagne un autre palier sur les pentes du vertige. Sans le rêve, l'individu se peutil concevoir ? Les théologiens les
plus severes s'accordent pour présumer. que les l'apports de Dieu et du monde s'apparentent à ceux de l'esprit avec cet univers fugace émané de ~ui, qu'il le veuille ou non. Si nous sommes les rêves d'un dieu, n'est-il pas loisible que nous traitions les nôtres comme nous souhaiterions d'être traités par lui, avec équité et tendresse ? Le livre se développe comme un triptyque. Troisième volet : l'image que la nature crée, que l'œil discerne dans les transparences de ces pierres privilégiées, les gamahés. D'après Pline l'AnCien Pyrrhus possédait une aga the qui représentait, sans l'intervention de l'art, Apollon, lyre à la main, et les neuf muses avec leurs attributs respectifs. Cela se passait au Ille siècle avant notre ère. De nos jours, la tradition ne voit"elle pas la silhouette de Bonaparte profilée au coucher du soleil sur un versant des Alpes, le chapeau de Oalvin pétrifié dans les Monts du Dap phiné, la barque d'Ulysse échouée au large de Corfou ? Slins parlér de ceS trèfles qui ,portent la trace du sang du Christ, de la douce passiflore qui montre, entre ses pétales, les instruments de son supplice. Fantaisie, délire? Sans cette manie de tout interpréter à tort et à travers, qui sait si les démarches de la connaissance ne manqueraient pas à la fois de l'impulsion dont elles ont besoin et de l'outil premier de la méthode même de leur réussite? .~oumis à l'éclairage de la rigueur, passé au crible de la raison, que devient le mystère ? Loin de le désagréger, de le .pulvériser, Caillois, en ajoutant à ses ombreux sortilèges celui de la pleine lumière, en augmente paradoxalement les . pouvoirs de fascination.
l
La couverture s'orne d'une p lanche de la Physica Sacra, oUYl"age allemand du XVIIe siècle destiné à la diffusion scientifique à par~r de versets de la Bible. Dans une' baie calme, un requin-marteau disproportionné, exophtalmique, surgit de la mer tandis que son doubledressé, déborde du cadre. Cette gravure résume tous les thèmes du livre, sinon ceux de l'œuvre entière de Roger Caillois. Rocs qui semblent des fauves à l'affût, gemmes et coquillages décorés par la nature de stries, de spires, d'entrelacs~ et hors des eaux pacifiées du {sommeil, la soudaine émergencê du cauchemar. Quant au monstrè luimême, baptisé requin par les( marins de jadis, c'est ici le Léviathan, celui du Livre d'Isaïe, que l'Eternel s'apprête à frapper de .sa dure épée. Sur la berge, microscopiques, affairés, chétifs, tôt ou tard promis à l'affrontement du Sacré~ des matelots, pêcheurs, gardien~' de phare, flâneurs et calfats : nous.
Clarisse Franbillon LI .
ENTRETIEN
Jean Paulhan publie ses œuvres complètes Vous étiez jusqu'à présent un écrivain secret. Il n'était pas facile de trouver vos livres. Peut-être n'était-il pas facile non plus de les lire. Mais on trouve vos photos, depuis quelques semaines, dans tous les journaux : Paulhan jouant au volley-ball, Paulhan en barque à voile, Paulhan en train de réfléchir, Paulhan ironique, Paulhan farouche.:.
Vos œuvres complètes publiées par Claude Tchou, quel effet cela vous fait-il ? -J.P. Un effet pas désagréable. C'est comme si j'étais déjà mort.
Etes-vous content de voir tous ces textes rassemblés ? J.P.
Content, pas précisément.
Vous avez dirigé la Nouvelle Revue Française pendant trente ans : vous aviez toute facilité pour vous faire connaître. J.P. Justement, j'avais trop de facilité. La partie n'était pas juste. J'ai veillé à ce qu'il n'y eût jamais dans la N.R.F., pendant tout le temps que je l'ai dirigée, un seul article, une seule note sur mes livres. Je crois que Marcel Arland, qui me succède, a fait là·dessus le même serment que moi. André Gide et Jacques Rivière l'avaient fait avant nous; Ce sont des serments de ce genre qui font l'indépendance et la force d'une revue ...
... et d'une maison d'édition? J.P. Ah, il nous a fallu tenir un nouveau serment : c'est que pas un livre des Editions N .R.F. ne serait dans la revue avantagé : ne recevrait un traitement de faveur. C'est ce que Gaston Gallimard avait très bien compris.
Est-ce qu'il n'y a pas là un peu d'orgueil ? J.P. Mais si, bien entendu. Un écrivain n'a droit qu'à lavanitê. Qu'on lui donne des pnx, des décorations, pourquoi pas, s'il les mérite. D'ailleurs, la vanité est un sentiment sympathique : l'on accepte, sous quelques conditions, de vivre avec ses semblables, c'est ce que l'orgueilleux refuse. Mais une revue, pourquoi n'aurait-elle pas - son assurance, son orgueil? Elle est seule de son espèce, comme les anges.
Les contes et -les récits, que réunit ce premier tome de vos œuvres, ont été écrits par vous, tout au long de votre vie, à des époques très différentes. Quelle impression vous font-ils, à présent que les voilà réunis ? J . P. A vrai dire, aucune espèce d'impression. Je crois qu'il y avait, au début de chacun d'eux, un trouble, un de ces embarras où l'on voit le monde comme s'il venait de se renverser. C'est un embarras que j'ai passé. A présent, je suis de l'autre côté. Je pense que ces petites histoires n'ont pas été sans m'aider.
/~ Paulhan
J.P. Vous savez, tout cela n'est pas t~ès sérieux. Je n'avais jamais joué aU volley-ball, je n'étais jamais mont~ en bateau à voile. C'est le photographe qui .m'a mis un ballon dans tles mains, un bateau sous les pieds:..
Il Jallait refuser. J. p ! Je suis timide. Puis il est norm~l qu'un homme en vue (com-
me on dit) se rende un peu ridicule : il n'avait qu'à rester tranqpille. La Quinzaine littéraire, août 1966
Mais extrêmement intéressé, oui. Claude Tchou a retrouvé des pages que je ne me rappelais pas avoir écrites. Il me faut revoir tout l'ensemble de près, veiller à 'ce qu'il n'y ait pas de contradictions ...
Vous passez pour n'être pas l'ennemi d'une certaine contradiction. J. P. Bien sûr. Ce sont les contradictions qui nous font vivre: c'est à la condition qu'on sache à temps s'en débarrasser.
En les lisant, j'éprouve un charme très vif; j'éprouve aussi le sentiment d'un mystère, d'une sorte d'énigme ... J.P •••• Que je serais embarrassé de débrouiller. Après tout, il ne s'agit pl,ls d'un problème d'arithmétique ou de physique. Mais de l'une de ces difficultés que la vie nous propose à chaque instant: j'entends la vie la plus banale, avec les amours et les haines qui les accompagnent si bien, les plai~il"S (qui sont si peu des plaisirs), les spectacles (qui ne sont guère faits pour être vus), les visites, la danse, l'amitié et le reste. J'ai passé qua-
tre-vingts ans : vous me direz que je pourrais être tenté par des aventures curieuses, qui à mon âge ne tirent plus guère à conséquence : la drogue, le vol organisé, le tiercé. Non, je ne suis pas tenté du tout, c'en est même vexant. J'ai un peu le sentiment que ce serait trop simple, comme une façon un peu lâche de se tirer d'affaire. Plutôt la vie de tous les jours, plus compliquée qu'un livre, plus ambiguë qu'un mot.
. Tout le monde s'intéresse de nos jours, justement, aux mots et à la linguistique. N'avez-vous pas été le premier à en parler ?' J.P. Je n'ai guère cessé d'en être préoccupé. Mais quant à avoir été le premier, non. Ce serait plutôt Héraclite ou Platon .•.
On a quelque peu oublié leurs doctrines. J.P. C'est qu'ils n'avaient pas de doctrine. Pas la moindre idée personnelle. Ils ne cherchaient que la vérité. Héraclite la voyait dans les termes qui se trouvent, comme Logos, doués d'un sens double ou triple : en tous cas, contradictoire. Platon découvrait dans chaque mot, cinq significations différentes. Allez parler après cela, allez écrire !
Platon ne s'en privait pas. J.P.
Oui, mais il n'en était pas
fier.
Nous avons changé tout cela. J.P. Oui, mais ç'a été en trichant, en nous bouchant les yeux. Tel linguiste, à la façon de Husserl (ou de Max Müller) ne voit dans un mot que l'objet vers lequel il tend. Tel autre, qui s'inspire de Descartes (ou de Saussure), l'idée qu'il manifesté. Tel autre encore, à la manière de Raymond Lulle (ou de Broomfield) le mot brut, privé de sens. Ainsi chacun nous._ trompe à sa façon.
Où voulez-vous en venir ? J.P. A ceci : Cette même difficulté qui nous empêche de considérer honnêtement un simple mot, n'est-ce pas elle qui nous arrête et nous déroute dans un poème, un essai, un roman ? Simplement elle se trouverait, dans le roman ou le poème, ' plus développée et comme étalée, plusaccessihle aussi. Or, l'instant d'après, nous sentons, plutôt que nous ne le comprenons, que la difficulté est levée, que nous sOmmes sauvés. Quelle joie! Quelle béatitude!
Quels sont les livres récents (ou les manuscrits) qui vous ont donné cette joie ? Dans ces derniers mois, par exemple ... J.P. Je verrais très , bien, par exemple, la Grande Marrade de
~ 7
LITTÉRATURE ÉTRANGÈRE
La mort conduit le bal
• Jean Paulhan Néron. C'est l'histoire de quatre amis, de nos jours, l'un marchand de motos, l'autre boxeur, le troisième médecin et le dernier homme politique, qui sont perdus par leurs femmes. C'est extrêmement violent et grossier, mais ça se pose ici, c'est incontestable. Et puis le Beau-François de Maurice Genevoix. Pourquoi en parle-t-on si peu? Parce que Genevoix est de l'Académie? Ça n'est pas une raison. C'est l'histoire d'une bande de brigands : des chauffeurs. Ça s'est passé, c'est déjà dans le folk-lore de France. Mais le folklore repris par un bon écrivain, il arrive que ce soit doublement de la bonne littérature. Ça n'a pas si mal réussi à l'Odyssée. Ni au BeauFrançois. Le troisième serait un recueil de poèmes : l'Embellie d'Edith Boissonnas. Boissonnas est notre Emily Dickinson. D'ailleurs toute différente de l'autre. Mais c'èst la même minutie, le même déroutement : le passé cherche à s'enfouir, comme l'autruche, sous la poussière du présent, et n'y parvient pas tout à fait. On distingue un œil, une phime, et tant d'espoirs sans espérance. Ah, j'oubliais le Goyarzabal de Roland Purnal ; un drame terrible, sur un sujet terrible : le progrès, dans une ville assiégée, d'une sorte de folie obsidionale. C'est saccadé, pas trop consistant, plus près de
Petru Dumitriu Les initiés Le Seuil éd. 192 p. Romancier roumain, décrivant la vie des boyards avec Les Bijoux de Famille, Petru Dumutriu est devenu, dès l'instant où il franchit les frontières de son pays, un témoin de notre temps, un autobiographe pathétique, au besoin un polémiste convaincant, et son importance, de livre en livre, n'a fait que croître . . Bien que vivant en Allemagne, Petru Dumitriu a écrit ses derniers ouvrages en français, rejoignant ainsi la pléiade des écrivains roumains qui illustrent notre littérature. L'histoire de cette métamorphose en plusieurs crises, et toujours en marge des événements de sa propre vie, apparaît plus nettemtfut encore avec Les Initiés que dans l'Extrême-Occident. -Le transfuge politique qu'il était encore, avec tout ce que cela impliquait de dramatique - on n'a pas oublié notamment comment il lui avait fallu abandonner sa petite fille, comment il devait par la suite la retrouver avait nourri jusqu'alors le meilleur de son œuvre. Avec Les Initiés, le transfuge devient un « transgresseur)J, le camarade ministre du commerce extérieur est désormais un patron, président directeur général d'une grande affaire. Le héros de Dumitriu ne peut plus être un saint qui, « incognito)J, écrasé par la lourde machinerie de l'Etat totalitaire, cherche désespérément sa vérité, ni un expatrié qui cherche à s'adapter, il est un « cadre » dans une entreprise, une espèce de technocrate.
La ligne plus , ou moins autobiographique que Dumitriu a suivi jusqu'alors continue à le servir. Le roman est écrit à la première personne. Le héros vit dans une grande ville, il a une femme, deux petites filles qu'il aime, il ne veut pas les tromper, elles sont sa réalité, c'est par elles qu'il est vulnérable, « tuable)J, comme il écrit un peu bizarrement. Néanmoins, au lieu de rester sagement chez lui le soir, il lui arrive de sortir, déguisé en clochard. Pourquoi ces escapades ? Elles sont une « transgression )J, elles lui permettent d'être un autre Marlowe que de Shakespeare. Un et d'éprouver une certaine satisfacpeu figé, comme un tableau de tion à se retrouver le lendemain Balthus. Admirablement écrit. Les matin à son bureau, parfaitement éditeurs l'ont refusé, jusqu'ici. Ils cravaté, chemise blanche, costume disent que c'est théâtral. , Et que gris de confection. Lui, le témoin, serait un drame, s'il n'était pas l'observateur, l'historien, il se sent théâtral? C'est comme si l'on en marge du groupe, du cercle ferdisait d'un monument, pour le lui mé des « initiés » au centre duquel reprocher, qu'il est monumental. gravitent ses patrons, les riches, les Ou d'un poème, qu'il est poétique. puissants. Le « je» de Dumitriu Il l'est, bien sûr. C'est même sa n'aime cependant pas être au raison d'être. bord du cercle, il voudrait parvenir au centre. Pour cela, il serait prêt Oui, c'est gênant, ces mots , à jouer franc jeu, à s'engager ambigus. jusqu'au moment où il ne pourrait plus retirer son épingle. Il lui faut _ J.P. Sans doute. Nous l'avons déjà accepter des rôles de comparse, de dit. témoin, de confident avant d'être Propos recueillis admis à jouer vraiment, et à , jouer par Madeleine Chapsal d'ailleurs assez mal. 8
Au début, ces jeux de vérité sont assez bénins. On joue par exemple au jeu de la fleur préférée, à « qu'est-ce que le plus grand malheur? », ce qui permet à chacun de se mieux définir aux yeux du lecteur. Ramon, ,le Patron atteint d'un cancer, trouve affreux de mourir trop lentement et sa femme Betty estime que rien n'est plus horrible que le cancer, cependant que pour Grace, sa maîtresse, ce qu'il y a de plus affreux, c'est la solitude. La mort conduit le bal de ces riches damnés de l'Occident. Directement pour Ramon qui se croit condamné et qui cède la moitié de son affaire à son concurrent Manfred Weil, l'autre grand patron des Initiés. Elle le conduit aussi pour les autres, même pour la plus jeune et la plus jolie, Agnès, la fille de Grace, qui se laisse tripoter par tout un chacun. A l'intérieur du cercle, il faut vivre consciemment sa vie et transgresser les lois, inventer des rites plus ou moins pornographiques pour affirmer sa liberté. Quand on n'accepte pas de n'être que ce qu'on est, il faut nécessairement devenir cet autre, ce fameux double, cette ombre que chacun porte en soi. Tous gravitent, selon l'image de Dumitriu, à l'intérieur de cercles concentriques successifs et plus ou moins transparents, au centre 'desquels se tient le néant, mais un néant plein et générateur. De chapitre en chapitre, systématiquement, et comme pour soutenir le suspens, le héros progresse vers le centre d'« initiation ». Sa pleine participation, il l'obtient finalement : il sera filmé, couché nu entre Agnès et sa mère ... Dignus est intrare, déclaré admissible au prix d'une trahison de ceux qui lui sont chers, d'un déchirement intérieur, d'un dédoublement. Il s'agit moins d'être un que d'être. Puisque de toute façon je suis multiple. Et que seule ma multiplicité peut suffire à ma rage de découvrir, à ma fureur d'agir, à ma goinfrerie d'être. Multiple? N'est-ce pas déjà beaucoup que d'assumer son double, de faire en sorte que les autres nous croient avec eux dans le jeu ? Dumitriu écrivain est à la fois spectateur et acteur, son grand jeu, c'est d'écrire, de mentir. Il fait dire à Eric : La différence entre un ordinateur et moi, c'est que je sais mentir. Et même avec art. Il a voulu construire son roman comme un ordinateur qui saurait mentir pour mieux se dégager du hasard, lequel fausse tous les comptes, et réduire son destin et le Destin, à une entrée dans un groupe, un « club» fermé, dont la prétendue lucidité pourrait bien n'être que l'affreuse cécité de la mort. Petru Dumitriu n'a pas parcouru un si long chemin et franchi tant d'obstacles pour consentir à une si piètre initiation. Il sait où est le bien et la vraie vie. Seuls sa curiosité, son appétit d'écrivain sont insatiables. André Bay
Mario Soldati Les deux villes traduit de l'italien Plon éd. 539 p.
Commençons par le plus déplaisant. La version française de ces cinquante ans d'histoire italienne, du premier avant-guerre au second après-guerre (1911-1946), _ à i travers la biographie d'un jeune ambitieux, ne donne pas entière satisfaction. La faute en revient sans doute à la traduction, difficile à mener à bien puisque l'œuvre, traitant de Turin et de Rome, est le reflet de , deux langages « périodiques)J, bourgeois, ouvrier ou fasciste - dont la saveur n'a point d'équivalent chez, nous. Mario Soldati ne semble pas toujours posséder une unique et forte manière de s'exprimer. Tantôt il use de .la phrase courte, énumérative, et disons pour simplifier, moderne : de reportage; tantôt de la phrase longue, tortueuse, calquée sur la sensation à restituer et qu'on lui croirait léguée par quelque écrivain impressionniste du passé. Il arrive aussi quelquefois que, tombant dans l'analyse psychologique là plus traditionnelle, il n'a plus de style du tout. Cette variété de ton ne va pas sans un certain disparate dans la technique narrative, voire la structure du récit et des pe~onnages. Le roman fait part égalè aux souvenirs émus de l'enfance, à la chronique scandaleuse des mœurs, à ce qu'on pourrait appeler, dans la dernière partie qui n'est pas la meilleure, la comédie dramatique. Cela fait un peu pot-pourri, comme si, puisant ici et là, jusqu'aux frontières du cinéma, SQldati s'était refusé à choisir sa :;:voix propre, sa vraie voie. L Emilio Viotti, fils de médiQcres bourgeois piémontais, s'élève par une femme corrompue, aux p.ostes les plus importants de l'indti.Strie cinématographique. Lui auss~ paraît hybride, autobiographique dans ses débuts, je camouflé ,"sous le pronom il, puis de plus en plus, en cours de route, transformé en un personnage trop répugnant pour demeurer notre semb~le, notre frère, un je qui aurait llotre sympathie. C'est un mélange, -nous apprend-on, de ruse et d'ingénuité, de bonne et de mauvaise foi.; Encore faudrait-il que plus que mélange cet homme fût combinaison, fusion intime des contraires, en un mot organisme viable. Je le ~rois trop composite. Ce n'est presque qu'une fois par siècle que se réussit le héros selon la vérité et nos cœurs, à la fois pur et vendu, honnête et traficoteur" scrupuleux et machiavélique. Quiconque se mesure avec Julien Sorel risque de paraître fabriqué. Viotti, en même temps, a trop d'âme et la perd trop facilement. Sa candeur parfois nous irrite comme sa veulerie bous indigne. On en arriverait à souhaiter, pour notre confort, je le confesse, qu'il mette une bonne fois
Toléré parla censure
Rome et Turin
Maria Saloon
son cerveau à l'heure de son basventre et qu'on n'en parle plus. Soldati est trop moraliste pour cela. C'est ce qui constitue sa valeur et fixe du même coup ses limites. Les choses . ne se passent pas ainsi et, à la réflexion tant mieux. ' L'œuvre y gagne en véracité et Soldati en humanité. Qu'on pren; ne garde de l'oublier : le romr.n met en scène deux villes. Et . pas seulement par les dialectes qu'on y parle : par le site, l'urbanisme, l'atmosphère, le mode de vie et , de pensée. Turin' d'une part, au creux des cercles concentriques de ses collines et des Alpes. Ses avenues rectilignes, la rigueur de ses coutumes, son goût du . plein air et du sport. Avec un fond de rapacité bourgeoise dont l'hérédité, avant même qu'il y cède, fera le malheur de Viotti. Rome, d'autre part, et ses mollesses, ses cabotinages et ses finasseries. Sa vulgarité provocante, son hystérie sexuelle. Une société où l'on ne se prête pas sans être finalement acheté et infecté jusqu'à la moëlle ; où l'on devient un obsédé de l'argent, du pouvoir et des femmes. L'accord paraît impossible entre ces deux mondes antagonistes. Le titre de l'ouvrage en témoigne, ainsi que son contenu. 'C'est le constat géographique, sur toute l'étendue de l'Italie, d 'mYe tension entre nord et sud, d'une irréductibilité provinciale dont la France n'a aucune idée. Cette vaste c~onique reflète un morceau d'histoire qui, lui aussi, met en scène la disparité. Celle qui oppose naturellement fascistes et antifascistes. Celle surtout qui met aux prises, en tous ceux qui ne furegt pas des militants de ,gauche ou de droite, la probité et l'ambiLa Quinzaine littéraire, août 1966
tion, le sens de la dignité et l'esprit de compromission. Il y avait là, s'ils l'avaient su, de bonnes leçons d'adresse à prendre pour nos collaborateurs de 40. Là encore, nulle harmonie, mais uniquement, pour subsister, la basse et sale concession, l'art de surnager malgré tout, la politique du chien crevé. Viotti y est passé maître et tire merveille de son ambiguïté .. Son ami piémontais Piero en meurt d'une infecte maladie de peau qui, ' hypocritement, laisse intacts son visage et ses mains. Ce roman est le constat d'une triste déficience historique qui, pour comble, ne s'étend pas à la seule période fasciste, mais, semble-t-il, à toute l'Histoire. Il y a dix ans, cette chronique se serait épurée au contact de la libération .. Soldati a le courage - ou la faiblesse résignéé - de passer cette époque presque sous silence, accusant par làà quel point, malgré tant d'anniversaires tapageurs, nos points de vue sur la . guerre et ses vertus rédemptrices ont changé. Point de recours contre la malfaisance de la vie, sinon le témoignage objectif, mais qui est aussi une dérobade, une façon somme toute facile d'incriminer, pour se disculper, les déterminismes sociaux. Ce reproche, Mario Soldati en un certain sens le mérite. Il prend trop peu de dist~ce à l'égard de milieux qu'il décrit pour ne pas donner l'impression qu'il en excuse les vices ; trop peu de distance également à l'égard de son héros pour qu'on ne soit pas tenté d'y voir en partie son alter ego. C'était ainsi, nous murmure-t-il. C'est toujours ainsi. Qu'y faire ? Sa complaisance en reste là. Ici, mieux qu'un grand écrivain, se manifeste un homme rare. A l'inverse de beaucoup d'autres qui persévéreraient dans le mal · pour s'en faire une cuirasse, Soldati s'avoue plein de remords. Il se reconnait mauvaise conscience ; il se reconnaît une conscience. Cette naïveté est belle. S'il ne va pas jusqu'à se convertir, ni même jusqu'à se repentir - l'entraînement des passions est trop fort - Viotti s'afflige et regrette, pleure un passé lumineux, un paradis d'enfance perdu. Il ne se consolera jamais d'avoir saccagé son premier amour : cette Vévé de faubourg ouvrier qui, quoique épisodique, couvre de son ombre tout le livre. Il s'émeut au souvenir d'une promenade à bicyclette, d'une excursion en haute montagne, d'une partie de boules entre amis, d'un match de football en lequel, stupidement, il s'imaginait voir une sorte d'affroI!-tement politique entre fascistes et . antifascistes. Cette simplicité éton~ ne. Je la crois exceptionnelle. Elle est ce qui fait de l'œuvre de 501dati, à petit bruit continu sous la duplicité et le dévergondagë, un chant nostalgique unique, d'une humble veine populaire, d'un curieux lyrisme modeste, à la terre natale, à l'innocence originelle. Georges Piroué
ArbOuzov, Pogodine, Rozov Théâtre soviétique contemporain traduit du russe Denoël éd. 432 p. Les trois pièces qui composen! Une histoire a ce recueil Irkoutsk, La petite étudiante de Moscou et Un dimanche à Moscou - sont données comme représentatives du théâtre soviétique contemporain. Ce ne sont pas, en tout cas, des pièces de jeunes auteurs : Rozov a 53 ans, Arbouzov 58, et Pogodine est mort en 1962, à 62 ans. En outre, la plus grande partie de leur œuvre a été écrite et jouée entre 1930 et 1953, c'est-àdire sous Staline. Double titre de vieillesse. Les trois pièces du recueil, cependant, sont postérieures à l'époque stalinienne : Une histoire à Irkoutsk et Un dimanche à Moscou datent de 1959, La petite étudiante de Moscou de 1961. Trois pièces réc~ntes, donc, écrites par de vieux routiers du théâtre soviétique officiel. Si ce théâtre est « contemporain », ce ne peut être que par sa forme et ses thèmes, par le son nouveau qu'il rend, par quelque dissonance troublant le ron-ron monotone de la littérature soviétique (hormis les éclats de voix que l'on sait, et qu'un gouvernement soucieux du sommeil public ' s'est chargé d'étouffer promptement Si l'on en croit le prière d'insérer, il y aurait effectivement ici quelque chose de nouveau : les dramaturges ont largué les amarres, l'intelligentsia ose aborder des sujets qui étaient bannis, ... polémiques emflammées... , etc. C'est à voir. D'Alexéi Arbouzov, Une histoire à Irk'o utsk est incontestablement d'une forme originale, si oh a oublié les audaces et la forte personnalité de metteurs en scène comme Meyerhold et Vakhtangov, d'auteurs dramatiques tels que Goulgakov et Maïakovski. Découpage cinématographique, en « plans » au lieu de scènes, avec retours en a,rrière, apparition de personnages - morts ou absents - en « surimpression », décors suggérés, jeux de lumière, fond projeté, etc., toute cette technique est destinée - et à Moscou, elle y réussit en partie à a,ccrocher un public de jeunes qu'écœurent les dogmes pétrifiés du sysièmeStanislavski.
L'histoire en question, qui a pour ·décor un chantier de la ·région d'Irkoutsk, sur l'Angara, est facile à raconter : une jeun~ fille, Valia, par ennui - elle est vendeuse et manque d'idéal, se laisse aller à une conduite « légère». EUe est aimée de Victor, mais pas pour le bon motif : est-ce qU'on épouse une fille comme Valia? ' Survient Serguéi, excellent ouvrier, nourri de marxisme-léninisme, vrai .hé,oS positif. Il aime Valia. Il l'époUse. Bonheur. Jalousie de Victor, qui regrette sa propre légèreté, mais trop tard. Puis Serguéi -,-en. sau-
vant deux enfants, naturellement - se noie dans la rivière. Valia a perdu toute raison de vivre. NicolaÏ Pogodine, auteur célèbre d'une trilogie - qui relève plutôt de l'iconolâtrie que du théâtre - • sur 1'« immortel Lénine », produit ici une sorte de vaudeville communiste dans le décor de porphyre et de marbre de l'université de Moscou : Zina, la petite étudiante, aime-t-elle Kapline, le fort en maths? Kapline aime-t-il Zina ou Vava ? Sonia aime-t-elle son « houligan » et est-elle irrémédiablement perdue? N'importe, le groupe du Komsomol(J eunesse Communiste) veille, il est la « conscience collective» de tous ces étudiants, il les aidera à surmonter leurs faiblesses et à vaincre leurs hésitations, et tout rentrera dans l'ordre. Le ton est vif, certaines répliques sont drôles, d'autres assez surprena,ntelil si on les détache de leur contexte (Kapline : Vous entendez organiser les rapports, dam le domaine de l'amour... Laissez-moi vous dire tout de suite que c'est une absurdité pure. Non moins habile, mais ' sans doute plus sincère, est le Dimanche à Moscou de Victor Rozov, connu comme scénariste du film Quand .passent les cigognes, - triste dimanche d'été vécu par une terne famille de petits bourgeois jaloux de leur confort et avides de biens. L'U.R.S.S. n'en est pas encore au stade de cette ' civilisation de consommateurs qui avilit et abêtit l'Occident et conduit, dans l'art officiel, au triomphe de la . fesse - .. pour tous renseignements, s'adresser à ' Marcel Achatd~ de l'Académie française - mais elle évolue dans ce sens. Rozov proteste, et oppose aux collectionneurs de biens, à .titre de personnage positif, un jeune poète de 13 ans. De lointains échos du désespoir tchékhovien - encore qUe chez Tchékhov, il n'y ait pas de« personnage positif» - donnent à cette pièce .u.n certain intérêt; mais tout cela manque de vigueur et ne Vil pas loin. Au reste, dans une préface ridicule, typique de la propagande soviétique à l'usage de l'étranger, le même Rozov se charge de . marquer les limites: NQUS n'qvons pas coutume, en Union Soviétique, de considérer le théâtre uniquëment comme un divertissement, mais aussi et avant tout comme une école de la vie, une chaire pour prédicateur. On ne va don!! pas au théâtre pour se détendre ou s'amuser .mais bien pour se cultiver, pour y trouver la confirmation de sa ligne de conduite, etc., etc . .. Les traductrices ont fait ce qu'el. les .ont pu pour donner vie à ces texte~, elles ' y ont souvent réussi, à quelques détails près (on relèvera un . curieux Le Sage ' de Forsythe mis pour Forsyte Sàga de Galsworthy), et nombre de répliques sont . bien venues. En somme, un excellent exemple du faux nonconformisme que tolère la censure soviétique. Claude Ligny 9
POÉSIE
Petite théogonie portative Suzanne Allen Le Pour et le contre Gallimard éd. 137 p. Hubert Juin L'Animalier Editions Universitaires 73 p.
la mémoire et de l'espace, et tout ce qu'ils peuvent arracher vif au présent. Les travaux sur la terre, les jours: et les nuits. En , somme, en ' trois fragments, une petite théogonie portative du poète, l'homme qui recrée ... J, •.
Robert Marteau Travaux sur la Terre Le Seuil éd. 92 p.
Rapprocher ces , trois livres n'est pas absolument fortuit. On en verra · bien, même rapidement, les différences. Mais ils ont en commun ceci qui n'est pas la chose du monde poétique la 1IJieux partagée la qualité. Suzanne Allen et Robert M arteau nous proposent leur second recueil de poèmes. L'œuvre d'Hubert Juin est, déjà, importante, et nombreuse. L'intérêt en .était tempéré parfois : l'abondance du poète essoufflait son lecteur .. Pourtant, c'est le souffle, un peu épique, quelque peu élégiaque, qui permet de réunir ici, pour les besoins . souvent contre nature de la critique, ces trois œuvres. Leurs chants ne se ressemblent pas. Mais ils abordent, tous trois, le poème de front, et emportent, dans leur élan lyrique, la géographie de
Suzanne Allen ' nous donne à lire Le Pour et le Contre comme un seul poème, et je crois bien qu'elle a raison, et qu'il faut d'abord en suivre le discours tout entier, quitte à revenir sur sa lecture pour marquer les pages qu'on aimera plus particulièrement retrouver. Non pas que l'articulation des neuf chants . qui composent le livre soit rigoureuse, voire évidente. C'est, plus que l'intention, la manière, le ton adopté d'emblée et soutenu sans lassitude (l'art du continuo, avec d'incessantes, modulations) qui accorde au poème son unité profonde et originale. Suzanne Allen use d'une métrique qui n'est qu'apparemment libre; les coupures typographiques du vers (parfois inutiles) n 'empêchent pas le jeu des rythmes habilement contrariés qui soutiennent les élans d'une langue nerveuse, riche de ses images, et qui se méfie, avec raison, de la facilité. Il y a çà et là encore quelques ciselures fâcheuses, quelques éclats douteux. Ce sont des travers qui n'agacent que dans un bon livre.
••••••••••••••••••••••••••••••••••• •
Toute la sp lendeur voluptueuse : • de l'Orient ... • • • • • • • •
• • • •
LE LIVRE DES
MILLE NUITS ET UNE NUIT:• traduction MARDRUS non expurgée •
A côté de la Bi ble et des poèmes homériques, la troi sième grande œuvre co llective de l'humanité a sa place marquée dans tou tes les bibli oth èq ues . Sindbad, Alad in , Al i Baba, ont e!"chanté notre enfa,nce .. Mais la spl endeur poétique, la gaieté t rucu lente et 1 érollsme nart de ces contes merve illeux, n'ont été révé lés que par la t raduction non édu lcorée du Dr Mardrus. En voi c i enfi n le texte intég ral dan s là grande éd itIon que nous attend ions: 8 volumes 16 x 21. su r vergé p ur fi l , i llustré .d e t OO compos itions décorat ives en sIx couleu rs , som ptuelJo se re li ure plei ne peau rouge, tranChes dorées , rehaussée d ' or et de couleurs, qui évoquent rubis, émeraudes et perles rose s. La Librairi e PI LOTE peut encore, pendant un cours délai, app li quer un prix de souscriptio n extrêmement réduit pour cet ouvrage de haute b ib l iophilie : 880 Fi es 8 vo lumes au l ieu de 1.000F ,l e pri x .de chaque tome(110F au lieu de 125 F) n' eta!"t versé qu 'à sa parution ,. (l!n tome tous les 2 mo is). Le t irage étant stri ctement limité à 7.000 exemplai res, demandez-donc d' urgence à la Librai rie PILOTE 22, ru e de ~~------------. Grenell e,une docu mentation gracieuse ou, mieux, l'envol à d é couper ou à reco- ImmédIat, pour examen gratuit , avec droit de retour ·dans pier et à adresser à la Lib ;a irie les ci nq jours , du tome 1 qu i vie nt de paraître . Vous ne risPlLO TE, 22, rue de Grenelle, q ~ erez f? as, a ins i , de .I aisser éc happer une éd iti on que les b ib li ophi les vont se di sputer et qui prendra sQrement un e PARIS 7 ° t rès grande valeur. ~
BON
• • • • • • •
• • • • • • • • • • • • •
Gu:: I
-:::r::,r-;;;u-;;'m::g-;:it- - - ~ -, : "1°' volum.des MILLE NUITS ET UNE Nom .................. .... .. ...... Pro fession .......... ................... . NUIT. Si . dans I,s cinq iour. , i. ne " rd~nvoi' P" int. ct d~n. son ,mb.llage Adresse ••••............................ ... ....... ........... .................. • orlgme, ,.
ver,.,.,
J'aime les lignes de ma main, le hasard, l'éventail, l'écriture entrecroisée aux lignes d'autres mains, et j'aime ce levain qui fait respirer les objets fami1 liers quand le cœur s'aventure ... j'aime la sieste orange et striée des volets, et, sous les pins chauds des vacances, la flânerie à l'ombre des pensées ... j'aime que le soleil, sur ma peau éhontée grave les hauts jambages de sa gloire, .. Grave bavardage d'abeille qui fait son miel des heures et amer parfois si la guêpe s'en mêle - , des mots, des couleurs et des choses familières. Et le chant se lève: il faut tenter dé vivre avec Ses blessures, simplement, épelant, de l'espoir, les riches alphabets. .
.
Hubert Juin est un poète des longs parcours. S'il arrivait, autrefois, que sa parole se perde, comme une eau dans un sol trop aride, une immense fraîcheur sourd dans les derniers poèmes, un souffle nouveau, libéré, plus calme sinon plus ample, plus assuré sinon plus profond - car ces deux qualités n'ont jamais abandonné aucun poème de Juin - , qui font de ses grandes odes élégiaques des jardins de mémoire bruissants de mots et d'images. Le lent déroulement de ces poèmes, dont les versets s'enchaînent, se prolongent, se répondent selon le rythme d'une magnifique respiration range Hubert Juin parmi les lyriques amoureux du verbe jusqu'au vertige. Ils sèment, pour d'immenses moissons, le trésor des mots. On apercevra, sur la très belle houle des poèmes, d'étincelantes écumes, hommage à Saint-John Perse, ou Aragon, qui ont éclairé l'œuvre, et que l'œuvre maintenant salue sans devoir hausser la voix ni forcer son allure. Et les mots jetés ne le sont pas en vain. Ni ne sont jetés aveuglément: la vie s'y prend, avec ses arbres et ses animaux et chacun d'entre eux pour ce qu'il est: pour le poids de son feuillage, pour la couleur de son poil, pour son nom. C'est l'admirable piège:
... l'oriflamme flammée de la syn-
1 • taxe, le bûcher du destin dans les
110 F, en souscrj.
IVe·"ntet'nddu' qceU '~','t, ~ ',·ouvr'l/h••ntl'tr, et.ni No C.C.P. ou b ancaire ............... ... ..... ... ..... .... ... ... ...... .. , 1 r~g ,r~, c .que om. • • '1 .a parution au même prix réduit de sou.cription de 110 F. Signature ~.
fougères imagées. Dans les genêts
1• sont les crotales. 1 Les primevères rêvent les odes.
• • 10
Et ce livre est attachant, comme un journal où . ne serait noté que l'essentiel, défense du droit à l'erreur, recherche du pour et du contre, célébration de la magnifique misère de vivre. Parfois je rêve d'écriture .. Célébration du langage: Car le dict devient, plus on ose, difficile... Combat pour vivre mieux:',non pas en marge de la vie mais à l'intérieur de la vie:
Et l'élégie va son chemin passant le mors à la licorne.
Et l'animalier, dans sa solitude des paroles, piège le monde: Elégie d'animaux comme un naufrage sur les grèves! Elégie de plumage en ce parc où je suis avec la nuit aux lèvres blanches! Elégie d'agneaux aux rimes d'argent frais! Elégie dédiée. Comme pour le poète d'Exils et d'Anabase, l'espace toujours recommencé est une géographie du verbe. Il n'est pas de court chf#min, écrit Juin,
...et rien ne vient ici qui ne tienne au voyage. et rien ici ne vient qui ne vienne de ces entrailles et de ces cimes, comme porte d'un horizon à l'autre à dos d'hommes, et ne s'inscrit ici rien qyi ne soit le grand oiseau de la mémoire, l'épervier qui tourne et t9urne figeant l'espace. Il me semble que, l'inspi~ation s'élargissant encore, en même tempS' elle s'est allégée de ses référ~nces, le chant s'est épuré, pour att~ndre à une beauté très simple et capable de lier en un seul poème - dans la grande Ode qui clôt le recueil notamment - , tout ùn faisceau de signüications, tels les thèmes d'une œuvre devenue concertante.
Travaux sur la Terre, second recueil de Robert Marteau, est d'une remarquable qualité, tant pour les exigences formelles dont il témoigne que pour la profonde résonance . des trois longs poèmes qui sont la belle part du livre. Autrement dit (et autant le dire . franchement), il aurait mieux valu écarter les sonnets gongoriquement laborieux et médiocres groupé~ sous le titre: Terres et Teintures. Mais ces trois grands poèmes: Travaux pour un bûcher, Entre toutll,S les femmes, Ode numéro 8, devraient assurer à Robert Marteau III faveur de tout lecteur attentif,t pour qui le langage est ensemble fête et exploration, le poème charme et interrogation. Si leur prosod\e est düférente, on peut cependanl rapprocher Robert Marteau de H,ubert Juin, grâce à leur commun~ prédilection pour les longs poèmf's incantatoires, portés par un langage qui mêle. avec le même boqheur l'expression d'un cérémonial .e t les images, les cris, de la chair ft de la souffrance, les gestes d'un rite et les gestes qui font vivre. Pour Marteau, le poème est le lieu d'un rassemblement, un espace id4l où le temps dans sa totalité cOIllJIle la lumière passant dans un pris~e se décompose, révèle ses repères l et le mystérieux accord de ces visages dont l'ombre avait mangé l'U!l des profils, hommes ou dieux1 Le poème comme un aimant, e! son champ de signüications retrou~ées ? l'entative jamais satisfaisanttr, effort toujours à reprendre, parce qu'il s'agit de l'essence mê~e de la création et de déchiffrer des réponses que nous n'entendons .pas ... Claude Michel Cluny
LETTRE DE LONDRES
La jeune littérature anglaise Chaque nation a un style qui lui est naturel et, pendant fort longtemps, le style qui convenait le mieux au tempérament anglais, se situa, dans le roman en particulier, à mi-chemin du romantisme et du naturalisme. Les chroniques sociales de C.P. Snow et de Pamela Hansford prépétuent un genre qui ne semble plus offrir de grands rapports avec la vie réelle. L'engagement mystique de Graham Greene, quelle que soit l'audience qu'il ait conquise, parait actuellement tourner un peu court, et les satires sociales d'Evelyn Waugh et d'Anthony Powell continuent à se nourrir des ridicules d'une Angleterre qui n'existe plus. La plus insulaire des nations a grand peine à s'arracher à des formes que l'Europe et l'Amérique ont rejetées depuis longtemps, mais les choses sont en train de changer -et elles changent à une telle allure, de la minijupe à la nouvelle morale individuelle et à la liberté artistique, que, du jour au lendemain, l'Angleterre, et Londres en particulier, est devenue un des centres d'intérêt du monde. Les mythes ont besoin ' de temps pour mûrir et s'implanter dans les esprits. Il y a dix ans, la Paix du dimanche de John Osborne, fascina l'opinion: c'était la première pièce engagée, la première pièce qui s'attaquait au théâtre léger et bourgeois à la Noël Coward. On , la considère aujourd'hui comme l'œuvre qui a: renouvelé le théâtre anglais. En fait, la Paix du dimanche a renouvelé peu de choses et n'a guère fait école. L'œuvre qui a réellement fasciné la jeunesse, c'est En attendant Godot et les auteurs les plus significatifs de la ' dernière décade ont tous subi l'influence de Beckett et d'Ionesco. (Arden, auteur brechtien et , anti-bourgeois, fait exception mais il n'a pas encore donnll jusqu'ici une œuvre à la mesure de son talent). Bien entendu, le mythe d'Osborne, père du théâtre anglais, a été monté en épingle par la coterie qui patronna ses débuts et, notamment, par Kenneth Tynan et les brechtie'ns du Théâtre National, mais la vérité est qu'Osborne s'est contenté de mettre au goût anglais les techniques qu'il tenait d'Arthur Miller. Ses démêlés avec la critique et ses engagements politiques lui ont conservé l'attention du public. Son influence est pourtant aujourd'hui négligeable et ses meilleures pièces (Luther, A patriot forme) ne sont rien de , plus que des chroniques historiques et naturalistes. A cet égard, Harold Pinter semble beaucoup plus signüicatif; son maniement délicat de l'érotisme et du phantasme, sa transfiguration poétique de la réalité sont beaucoup plus 'a daptés à la sensibilité actuelle. :Les techniques théâtrales de Pinter ont été adoptées par le cinéma, lequel, influencé par la « noùvelle vague», a également trouVé une excellente · source de scénarios dans les œuvres d'auteurs com~e Ann Jellicoe (The Knack). La Quinzaine littéraire, août 1966
De nos jours, le cmema est la forme artistique qui attire le plus la jeunesse i et il était inévitable qu'il marquât de son influence le dernier bastion du conservatisme anglais : le roman. Cette saison a vu toute une éclosion d'œuvres intéressantes et on peut distinguer clairement deux grandes tendances : des œuvres d'imagination poétiques ou satiriques d'une part, des études microscopiques des relations humaines de l'autre. Anthony Burgess, le Raymond Queneau britannique, entreprend de retrouver dans son dernier roman, Tremor in Intent, l'engouement du public pour James Bond et, ce faisant, écrit ce
musicologue, homme de grande culture, Burgess a écrit plusieurs ouvrages didactiques destinés à initier le grand public aux œuvres les plus difficiles de la littérature du XXe siècle, ce qui n'était pas inutile dans un pays où la paresse des lecteurs est notoire. Il a brillamment soutenu la querelle de William Burroughs et d'autres auteurs modernes malmenés par la critique et prouvé une fois de plus qu'à chaque génération, l'écrivain anglais le plus marquant est presque toujours un IrlaBdais. Parmi les {emmes, la romancière la plus intéressante est probablement Ann Quinn dont le second roman, Three, n'a pas déçu les cri-
tête de pont en Grande-Bretagne. En fait, le thème dominant des romancières anglaises est l'échec du mariage. Edna O'Brien a écrit plusieurs romans très remarqués sur ce problème, le meilleur étant probablement Autumn is a wicked month, où elle étudie le problème posé aux Anglaises d'aujourd"hui par la liberté de leurs mœurs, leur obsession d'indépendance et d'égalité avec les hommes, et . les tragédies auxquelles les mènent bien souvent le conflit entre leurs émotions et leurs responsabilités. Deux autres romancières, également préoccupées par cela ont été remarquées cette saison : Eva Tuckerqui, da~ Contact, analyse l'amertume
tiques qui, lors de la parution de son premier livre, Berg, l'avaient comparée à Beckett, Nathalie Sarraute et Graham Greene. Le roman est composé du journal intime d'une jeune fille, des enregistrements au magnétophone qu'elle a faits de ses pensées, et des conversations et réflexions d'un couple en difficulté avec lequel elle vit. Il commence après le suicide présumé de la jeune fille, au moment où le , couple qui l'héberge tente de reconstituer la vie secrète de celle-ci, à partir précisément des enregistrements en magnétophone qu'elle a laissés et de leurs propres souvenirs, ce qui amène le mari et la femme à repenser leurs relations conjugales et à en constater l'échec. Avec Ann Quinn, sinon pour le fond qui ressortit aux préoccupations de sa génération, du moins pour la forme, on peut dire que le nouveau roman a établi sa première
d'un couple qui se survit et qui, au cours d'un week-end, les circonstances et l'alcool aidant, se trouve lentement confronté ' avec sa lassitude et .ses désillusions. ' Equinox, d'Eva Figes problèmes d'une femme qui, découvrant que ~on mari a cessé de l'aimer et la trompe, se retranche peu 'à peu dans une solitude qui lui permet d'échapper ' à la réalité. Tous ces livres s'attachent à condamner les relations construites sur le mariage ou la confiance réciproque, et marquent également une acceptation de la solitude par les femmes et une lucidité sur le psychisme féminin qui constituent un apport nouveau dans la littérature anglaise. Le nouveau roman a été définitivement décanté et explicité à l'usage du lecteur anglais mais les jeunes auteurs ' qui, en Grande-Bretagne, marchent sur les pas de Robbe-
Anthony Burgess
qui restera probablement le meilleur roman d'espionnage de ces dernières années, un livre qui est une parodie de Greene aussi bien que de Fleming. Burgess a prouvé qu'il était capable ,d'exceller dans tous' les genres. A Clockwork Orange (que l'on pourrait traduire par Une orange montée en horloge), roman sur les blousons noirs, est écrit en argot mais c'est un argot entièrement nouveau, dont le lecteur réussira à se rendre maître peu à peu et le livre est considéré comme le ,meilleur roman moderne sur la jeunesse délinquante. Nothing like the sun,récit romancé de la vie de Shakespeare à l'occasion de la commémoration de son quatrième centenaire, ouvre des vues entièrement nouvelles sur le dramaturge et · certaines théories de Burgess ont été approuvées par tous les experts,. Sémantiste, joycien, musicien et
~ Il
HISTOIRE LITTÉRAIRE ~
La jeune littérature anglaise Barbey d'Aurevilly Les Quarante médaillons de l'Académie Présentation de Gilles Rosset CoL « Libertés » Pauvert éd. 160 p.
Œuvres romanesques complètes Tome deuxième et dernier Présentation de Jacques Petit La Pléiade Gallimard' éd. 1.708 p. D'abord on se dit : « A quoi bon ? » A quoi bon patauger dans une médiocrité périmée, à quoi bon rebrasser encore la pourriture des feuilles mortes ? Barbey publia ses Quarante médaillons en 1863 puis en 1864 (il était né en 1808). Après un siècle passé, et comme il s'agit non pas de quarante quelconques hommes de lettres mais des Quarante en personne, nous n'avons guère de surprise à attendre. D'ores et déjà les grands sont situés sur leur orbite, les sots ont sombré dans les abîmes, les moyens se débrouillent comme ils peuvent avec la postérité, Barbey n'a plus grand-chose à nous enseigner sur eux. Sur lui-même, en . revanche, et sous ces prétextes, oui. Ce forcené, beaucoup d'entre nous préféreraient l'abandonner à ses enfers. Mais cela n'est pas posAnne Quin sible : il a une démoniaque vertu Grillet, Pinget et Duras ne s'éloi- conscients du monde qui les entou- qui se défend trop bien. Puisqu'il gnent jamais trop du style natura- re, et qu'ils commencent à s'accor- faut en passer par là, laissons-nous liste lorsqu'ils tentent de nous en der le droit de subir l'influence de violer. Quitte à nous venger, si transmettre l'obliquité et le sens ce que, la littérature étrangère pro- j'ose dire, sur le dos de Sainte-Beuve de l'irréel. Il ne faut pas négliger pose de meilleur. Le fait' que le (perspective qui n'est pas follement non plus l'influence des films de livre de Patrick Walberg sur le gaie). Le « médaillon» de Saintela « nouvelle vague » et de certains ' surréalisme ait atteint un des plus Beuve, sensiblement plus étendu auteurs allemands comme Günter forts chiffres de vente de la saison qu'aucun des autres, lesquels sont Grass et Heinrich BoIl, ainsi que est significatif. Deux ans plus tôt, fort brefs, préfigure d'une manière des écrivains américains de la beat il n'y avait pas un écrivain anglais singulière l'acte de salubrité publigeneration, influence qui, d'évi- sur dix qui eût ·été capable de dé- que qu'est le Contre Sainte-Beuve dence, est plus manifeste chez les finir le surréalisme où même d'en . de Proust. Oui, je sais, mal parler de Saintehommes, attirés par la violence et parler. Beuve est de mauvais ton. Et pourl'érotisme contemporains, que chez Aujourd'hui, les techniques surles femmes, intéressées par les pro- réalistes et dadaïstes ont trouvé leur blèmes émotionnels. place dans le roman anglais, en Peter Everett, dont le premier particulier dans l'ouvrage d'Alan roman : Negatives, a remporté un Burns, Europe alter the rain, succès considérable, a fait paraître l'Europe après la pluie, où l'auteur un second roman: The Fetch, qui parle de la guerre en des termes qui est une Histoire d'O au goût an- évoquent une peinture de Max glais, où, dans une atmosphère qui Ernst, où encore dans les œuvres lan rappelle celle des films de Robbe- des poètes dits concrets Grillet, l'amour se dégage délicate- Hamilton Finlay, Edwin Morgan ment de l'érotisme. La .recherche de et Dom Sylvester Houdouard. Detechniques nouvelles, capables de vant l'éclectisme des jeunes aurendre compte de l'irréalité du teurs qui prennent ce qu'ils veulent monde moderne, de l'instabilité des à Beckett, Nathalie Sarraute, Grass relations humaines et de la rela- ou Burroughs pour ensuite compotivité de · toute expérience .est appa- ser un bouquet à leur façon, adapté rente chez tous les jeunes auteurs à un .pays qui a perdu sa réserve et les programmes de la rentrée traditionnelle avec ses colonies et marquent la même tendance. brûle de vivre intensément, les Il n'est pas jusqu'aux écrivains anciens champions du nouveau consacrés qui ne tentent de s'ali- roman, Christine Brookerose et gner sur la jeune génération et de Rayner Heppenstall, sont brusquerenouveler leur style, bien que la ment passés à l'arrière-plan. Toute plupart des critiques soient encore cette nouvelle floraison d'écrivains hostiles aux expériences nouvelles anglais sera bientôt traduite en et qu'ils y perdent incontestable- d'autres langues; le lecteur fran- 1 ment un grand nombre de lecteurs, çais verra alors les idées nouvelles déroutés par le changement. Il est qui régissaient sa littérature d'aprèscependant capital que les écrivains guerre lui revenir avec l'accent britanniques perdent leur , suffisan- anglais. ce insulaire, qu'ils deviennent plus John Calder L'écriture de Barbey d'Aurevilly 1
12
tant. Sa finesse, d'accord. Sa sensibilité aux nuances du passé, d'accord. Sa subtilité dans l'irisation, d'accord. Son flair de navigateur dans les méandres des rivières deltaïques, d'accord. Mais à quel prix! Un esprit mou, une âme flottante, un homme qui ne croit ni en l'homme ni en soi ne me paraissent pas faire un vrai critique. L'astuce et les rideaux de fumée ne tiennent pas lieu de caractère. (D'ailleurs Adèle Hugo n'a aimé en ce bedeau, comme disait Alain, que le demiimpuissant qui la reposait d'un époux trop vigouréux). Certes Barbey critique a proféré d'énormes sottises que Sainte-Beuve auraIt contournées avec plus d'adresse. Certes les deux compères ennemis ont rivalisé d'obtusion à propos d'un Flaubert. Cependant il faut toujours en revenir aux tests contestés et incontestables de Stendhal, de Balzac, de Baudelaire, sur lesquels celui qui s'est trompé, et avec quelle grossièreté, n'est pas Barbey. Si longtemps oubliée, son œuvre critique - trois ou quatre dizaines de volumes, sans compter les articles non recueillis - a été ressuscitée dernièrement par M. Jacques Petit, à la fois dans les 770 pages de sa thèse sur Barbey d'Aurevilly critique (1963) et dans les deux volumes de choix (quelque 350 pages chacun) qu'il a donnés au Mercure en 1964 et 1966. N'omettons pas le Barbey d'Aurevilly, critique littéraire de Gisèle Corbière-Gille (1962). Mais ne nous embarquons pas dans une description critique de divers critiques traitant d'un critique qui lui-même, à l'occasion, pour donner le ton , de son agressivité, etc. Limitons-nous à une seule citation. Il s'agit de Hugo, dans les Quarante médaillons (dont le choix de M. Jacques Petit n'a retenu que sept), de ce Hugo envers qui Barbey se montre à peu près aussi sectaire
INFORMATIONS
Signé Furax dans ,une manière différente, que Sainte-Beuve. On se demande, dit-il, pourquoi M. Victor Hugo a sollicité d'être, académicien, et a fait trenteneuf ~isites à des gens dont il méprisait littérairement pour le moins trente-sept... La racine d'un chêne n'est ;pas de taille à tenir dans un vieux . pot à cornichons ! C'est un frénétique. L'organisation même de ses romans traduit la même' véhémence, la même tension que son langage. A vrai dire, les frontiêres sont quelquefois flottantes entre le ridicule et le goût qu'il a pour la splendeur. Il aimait qu'on l'appelât « le Connétable des Lettres » : allons, allons, ou bien on est connétable, pourquoi pas, ou bien on est écrivain, on ne cumule pas, - sinon au risque de se faire matamore de littérature. Il y a en lui quelque chose du bateleur forain qui empoigne le porte-voix pour rameuter les ,chalands : Vous allez voir ce que vous allez voir ! Imprégné de Balzac, il en avait gardé:1es tics. Mais en lisant Balzac on a ,v ite fait de les oublier : tout chez lui, y compris les tics, appartient :il la figure du génie. Tandis que Barbey a contre lui d'avoir assuré, de Balzac à Bourget, une transition affligeante. A Bourget et à toutes ses séquelles. Affaire encore alourdie de politique et de religion : les deux « vérité5 éternelles» du trône et de l'autel, Balzac croyait y croire, Barbey y croyait; cette distinction ne simplifie rien. Barbey, légitimiste plus royaliste que le roi, furieux calotin que la Sainte Inquisition n 'aurait pas manqué de rôtir, s'est trouvé plus tard servir d'agent au maurrassisme aussi bien qu'au renouveau catholique ... Tous ces imbroglios sont heureusement dépassés. Au-dessus de leur confusion morose surnage aujour. d'hui ~ un romancier (voire un criti<ple) qui, soixante-dix-sept ans après sa mort, mérite encore, ou mérite de nouveau, d'être appelé avec révérence Barbey d'Aurevilly. Je vous abandonne, soit, cette VieUl'e maîtresse (1851) devant qui on est tenté de répéter : « A quoi bon ?h) Mais débouchez ensuite sur VEnsorcelée (1852 et 1855) : si vous n'êtes pas le lecteur blasé, sénescent et flétri qu'était SainteBeuve, vous vous sentirez, à votre tour, ~nsorcelé. Oui, malgré ce que j'ai dit tout à l 'heure, et que je maintiens; mais maintenant nous passons au-delà. Quand le paroxysme un peu puéril devient grandeur tragique, c'est une joie de céder, nonobstant toutes préventions, à l'émerveillement. La ~houannerie même de ce vieux Chouan éveille en nous des résonances fraîches depuis que nous ,avons pris de nouvelles mesures de nos élémentaires et profondes puissan' ces insurrectionnelles. Après L'Ensorcelée paraissent Le Chevalier des Touches en 1863 et 1864, Un prêtre marié en 1864 et 1865~ Les Diaboliques en 1874 (après des prépublications bien antérieures). Etc.: je ne vais pas vous recopier toute la table - chronoLa Quinzaine littéraire, août 1966
logique comme il convient - des deux tomes de la Pléiade. Ceux-ci sont plus « complets )) que ne l'annonce le titre : aux œuvres les plus connues (et qui d'ailleurs ne se trouvent pas toujours aisément en librairie) on y voit s'ajouter non pas
éclaircissements sur l'aventuré spirituelle, charnelle et séculière de Barbey ne laissent apparemment rien à désirer. Et de surcroît (telle est la règle générale de la collection) on ne vous les impose pas; vous restez libres de ne recourir à tout
'Le oompagnon Fénéon Dans un article que La Quinzaine liuéraire publiait le lS juillet, je m'étonnais que ' Jean Paulhan eût écrit, sans donner plus de précisions : Il n'est pa& douteux que Fénéon a pris part cl une affaire plutôt grave, et qui l'eût dû conduire aux travaux forcés. Mai& jamai& personne n'a connu le rôle qu'il avait joué. Pour se laver du reproche que je lui faisais d'avoir cédé au mythe Fénéon, Paulhan me communique les renseigne, ments suivants ' ':Emile Henry, s'étant _ décidé cl l'attentat, fit part de sa déc~ion cl F.F. qui , lui dit : «Pourquoi ne pa& vous habiller ,en femme? Il faut être prq. dent ». La semaine suivante, F. lui remit une robe de sa mère, qu'Henry porta le jour de l'attentat. Y avait-il là de quoi env9)'er F.F. aux Travaux Forcés? A l'époque, et étant donriée la fureur des gens, certainement oui (c'était là du moins le sentiment de Félix et de Fanny, de qui je tiens le récit). La mère, anarchiste elle-même, se montrait enchantée d'avoir pu donner la robe, qui était neuve (ou peu s'en faut). La robe suffit à égarer plusieurs jours les recherches de la police, qui pensait trouver une femme : Emile Henry, impatient, ,la remit sur le bon chemin (paraît-il). Jean Paulhan ajoute : Il y a peutêtre encore des témoignages cl recueillir. Je doute qu'il existe encore des survivants de l'époqufl où Emile Henry , s'insurgeait contre la société tout entière. Mais il serait certainement intéressant de se reporter aux dossiers de police et aux pièces judiciaires relatifs à Emile Henry. Savoir s'ils n'ont pas été détruits ? Les pouvoirs publics aiment à prendre des précautions, moins contre l'Histoire en général que contre les commentaires auxquels leurs sottises risquent de les exposer, P.P.
Bataille posthume Jean-Jacques Pauvert publie un « roman» de Georges Bataille : Ma mère. L'ouvrage était en grande partie achevé, mais Georges Bataille ne s'était pas décidé à le publier de son vivant. On le rapprochera d'un autre texte : Le Petit, où Bataille parle surtout de son père.
Truman Capote Capote arrive à Paris aujourd'hui. Son livre De sang froid paraîtra au début de septembre. Il est depuis six mois sur la liste des best-sellers américains où il occupe la 4· place.
Critique
seulement d'autres œuvres romanesques tout à fait ignorées, mais aussi le Dandysme, les M emoranda, les Poèmes, les Pensées détachées, textes qui n'ont rien de romanesque, et qui pourtant - on ,a fait bon poids et bonne mesure - préparent le romanesque ou le prolongent. Je ne me risquerai jamais à dire d'une édition qu'elle soit « définitive )) ; ce serait outrecuidant de ma part, et peu prudent. Mais enfin celle-ci me semble être une des réussites et un des, bonheurs de la collection; et s'il doit arriver un jour qu'on l'égale ou qu'on la surclasse, c'est pas demain la ~eille, comme dit Abraracourcix. Les annexes documentaires, l'histoire des œuvres, le, commentaire du texte, les
cet appareil que dans les moments où vous vous y trouvez disposé. L'art de lire est une technique de la naïveté : il importe de refaire en soi la merveilleuse faculté de croyance des enfants (ce dont Sainte~Beuve n'était plus capable), et de savoir en toute docilité suivre les poussées de cette large et profonde houle qu'est la cadence physiologique du créateur. Barbey mérite un tel effort de non-résistance : alors on dépasse en lui les asÎkcts trop évidents de la convulsion pour accéder au domaine où se développe ce qu'il appelle, en pleine poésie, la suavité du mal et de la nuit. Samuel S. de Sacy
Etude de Jacques Derrida sur le Théâtre de la Cruauté d'Artaud. Suite de l'étude de Michel Butor sur Diderot et Jacques le Fataliste. Note fort intéressante de Dominique Tassel sur l'édition posthume de L'Homme dans Qualités d'où il apparaît que le roman de Musil a été « complété» par des brouillons et des notes qui n'en auraient sans doute pas fait partie. L'Homme sans Qualités ne se comprend pas, en tout cas, sans liaison étroite avec le Journal et les Essais.
Les Lettres Nouvelles « Nouvelle» d'Alexandre Kluge, l'auteur allemand de Stalingrad, description d'une bataille, nouveau manifeste de Jean-Jacques Lebel en faveur du « happening», étude de Gabriel Bounoure sur Edmond Jabès, l'auteur du Livre des Questions. A signaler en outre de fort intéressants textes de Jean-Claude Hémery, Claude Ollier, Charles Duits. Extrait d'un ouvrage à paraître sur Fourier par Emile Lehouck. Annie Kriegel a retrouvé dans les Archives de la Préfecture de Police quinze lettres de Trotsky adressées d'Espagne à sa femme, après son expulsion de France en 1916.
13
Voltaire lui-DleDle Jean Orieux Voltaire Flammarion éd., 827 pages La séduisante réussite et l'intérêt si multiple du Voltaire que vient de nous donner M. Jean Orieux invitent d'abord à s'interroger sur cette' discrète défaveur, sur ce demi-dédain dont pâtit en
destin. On veut bien d'un auteur, mais pas d'un homme. Par un préjugé ou en vertu d'un choix d'ailleurs très significatifs, car ils révèlent une attitude discutable face à l'existence humaine, on ne retient du passage d'un individu sur notre planète que quelques traces privilégiées : le fait, par exemple, qu'il ait écrit Phèdre ou Les Caractères, Un coup de dé ou
Le triomphe de Voltaire. gravure du XVIII"
France, dans les milieux intellectuels, un genre aussi prisé et aussi brillamment cultivé ailleurs que celui de la biographie, en particulier s'il s'agit de la biographie d'un écrivain. C'est que chez nous, par l'opération d'une algèbre tout à fait contestable, l'œuvre mémorable , d'un écrivain en abolit la personne et le 14,
M. Teste. Si les œuvres de Racine ou de La Bruyère, de Mallarmé ou de ,Valéry nous ont d'une certaine façon ,privé de leur biographie, ce n'est pas, malgré les apparences, qu'ils ri 'aient point vécu; c'est qu'ils n'ont pas trouvé de biographe : je veux dire quelqu'un à qui leurs œuvres les signalent comme des personnes vivantes,
repérables, et desquelles il y a grand bénéfice pour l'esprit à connaître l'histoire, la manière dont elles ont développé leur personnalité, conduil: leur aventure ou subi leur destin. Mais voilà qui suppose de leur rendre d'abord cette justice : oublier dans une certaine mesure leur œuvre, ou plutôt ne la considérer que comme l'une des façons particulières que ces hommes ont eues de remplir une tâche beaucoup plus vaste et plus importante : celle de vivre. , M. Orieux a pour premier mérite d'avoir trouvé l'exacte optique du biographe. Il a parfaitement esquivé un redoutable ' piège posé par Sainte-Beuve et par Taine : l'explication de l'œuvre par la vie, ce malentendu si fréquent qui aboutit à la mésintelligence de l'une et d,e l'autre. Parce que Jean Orieux n 'a pas voulu écrire rien d'autre que l'histoire de la vie de Voltaire, il a écrit un livre magistral et enfermé dans ce livre une sorte de chef-d'œuvre du portrait. Il nous apparaît enfin que ses propres ouvrages sont par rapport à Voltaire comme des citations imprimées par rapport à un grand texte manuscrit. Ce dont il faut ensuite savoir gré à Jean Orieux, c'est d'avoir si étroitement tissé ~a foisonnante tapisserie de faits et d'anecdotes, d'actions, de réactions et de èontradictions, d'avoir du plus mince comme du plus considérable événement si exactement su dégager l'accent, et si délibérément réparti un éclairage égal sur les menus détails et sur les épisodes fameux des éphémérides voltairiennes, que tout en restituant de son extraordinaire personnage la complexe figure en mouvement, il laisse à chaque lecteur l'excitante possibilité de distinguer pour son propre compte un Voltaire en filigrane ou, si l'on préfère, de retenir une lecture de l'histoire de Voltaire. On peut prendre intérêt, par exemple, à observer comment Voltaire fut par l'essence même de sa nature le personnage le plus subversif de son siècle ; il le fut en , effet continuellement, part~)Ut, en toute chose, de toutes les façons à la fois, et cela simplement parce qu'il n'obéit qu'à une seule loi, la sienne propre, à savoir : l'irrésistible exubérance, et l'affirmation frénétique et l'intrépide expansion de son individualité. Voilà ce qui le pousse, le condamne, mourant de peur parfois, à une perpétuelle subversion contre les coutumes et les institutions, les croyances et les dogmatismes; les injustices ou préjugés sociaux, les pouvoirs constitués en général, et voilà en même ' temps ce qui l'empêèhe tout à fait d'être un révolutionnaire; Il combattait pour le genre humain en ne combattant que pour lui-même. Choisissons un détail : l'analyse de ce que nous appellerions aujourd'hui son snobisme ou son arrivisme social ' me semble profondément significative. Il ne se soucie nulle·
ment de poser, comme Jean·Jac. ques, une théorie de l'égalité à la· quelle d'ailleurs il ne croit pas ; en revanche, dans cette société du XVIIIe à laquelle des privilèges et des différences d'origine féodale donnent encore toutes ses atructu· res, ce qui le sépare personpelle. ment des Grands et même des; Sou· verains est intolérable à Voltaire. Non seulement il n'accepte' pas cette inégalité, mais encore il l'ef· face effectivement par la conquête opiniâtre de la familiarité des Ducs et de l'amitié des Rois. Ainsi se déchiffre son rapport ~i complexe, et si divertissant, avec Frédéric II : chacun se sert de l'autre, mais si le roi de Prusse devient le compère d'Arouet, Arouet est donc l'égal du roi de Prusse ; cela seul, au bout du compte, lui importe. En satis· faisant l'une des plus vives exigen. ces de sa personnalité, Voltaire bat en brèche l'esprit de caste, et la fa. talité d'une hiérarchie que souvent, d'autre part, il ridiculise en l;utili. sant comme la machinerie l d'un théâtre où, du reste, il prétend aux premiers rôles. Mais en s'appropriant certains privilèges, il ,com· mence à les abolir. La biographie de Jean Orieux nous montre avec un luxe irréfutable de détails que Voltaire fit mieux encore : par le pouvoir de son intelligence, l'éten· due de son influence, la prodigieu. se diversité de ses entreprises, l'ad· miration et la crainte, la curiosité et les haines innombrables qu'il suscita, par la ' somptuosité de son train de vie, et la « çour » des vi. siteurs qui se pressent autour de lui à Ferney, il prend place parmi les monarques de son époque. Qu'au siècle de Louis XV et de Ca. therine II un intellectuel bourgeois soit devenu un roi, je me demande s'il pouvait arriver quelque çhose de plus scandaleux. .. Ainsi le seul fonctionneme~t de son caractère propage.t.il autour de sa personne et fort loin, ço~e un élément aux ondes nourricjères, l'ptmosphère électrique, trépi!Iante et dévastatrice du scandale. ,Qu'il soit sédentaire ou nomade, sa gi. gantesque, son incessante correspondance obéit toujours à ce dynamisme centrifuge, assouvit toujours cette même exigence d'ubiquité qui constituent sa nature. L'Europe doit lire l 'heure aux montres sorties de ses manufactures, comme l'EurQpe doit penser avec les idées de Vol. taire, et c'est une volonté unique qu'il gaspille dans de bouffonnes querelles avec des valets de p'ume, et qu'il .investit dans la réhaJ,ilita. tion des Calas ou l'écraseme~t de l'Infâme, hydre aux cent tête~ cou· ronnées par le Dogmatisme Ft la Superstition. En ,ne cultivant que son jardin, le Lucifer du siècle des Lumières ensemence le monde en· tier. C'est donc en son jardin; qu'il faut, comme Jean Orieux, aller le surprendre afin de connaître ; Vol. taire lui·même : un tourbillon d'in· telligence qui, de surcroît, eut souvent raison, Olivier de Magny
ART
Le téD1.oin DauD1.ier
Daumier: Le Ventre
Légis~tif.
détail;
Daumier Les Gens de Justice 47 lithographies de Daumier. Vilo, éd.
Les Gens de Médecine 48 lithographies de Daumier. Vilo; éd. Catalogue de la Vente Daumier Collection René G.-D. Palais Galliera, juin 1966. Ba.udelaire ne s'était pas trompé en voyant en Daumier l'un des homtnes> les plus importants, pas seulement de la caricature, mais encore de l'art moderne. C'est cependant par la caricature-. qu'il connut de son vivant la célébrité alors que i'audace de sa peinture ne fut que tardivement reconnue et ply.s tardivement encore son génie de sculpteur, qui permet de le désigner " aujourd'hui comme le seul précurseur de toute ,la sculpture moderne. Lai publicatIon simultanée de deux ' recueils de ses lithographies, les Gens de J usticê et les Gens de Médecine, et l'importànte vente de la collection René G.-D. qui vient dé disperser au PalaiS Galliera un ' ensemble de 338 pièces, attirent de nouveau notre attention sur l'dmvre de cet artiste révolutionnaire à qui Michelet disait un jour : C'est par vous que le peuple pourra parler au peuple. L'ironie est une arme qu'ont toujours redoutée les gouvernements autoritaires ou qui, faute d'aut~rité, preiment ombrage de voir leur dignité contestée. Pour un dessinateur, il n'était pas plus facile que de nos jours de s'adonner, sous la monarchie, aux plaisirs subversifs de la satire politique. La Ouinzaine littéraire, août 1966
Daumier l'apprit à ses dépens, qui au fait que le dessinateur voulait fut condamné à six' mois de prison tout exprimer par le dessin et ne pour avoir représenté Louis-Philip- composait pas ses planches à partir pe en Gargantua dévoreur de bud- d'un trait d'esprit dont elles au'gets. Obligé de se méfier de la cen- raient été l'illustration. Il n'était sure, son crayon féroCe s'attaqua pas écrivain et nullement faiseur aux « bons bourge,ois » et à tous les de bons mots. Il était de plus affliprofessionnels de l'autorité abusive. gé d'une difficulté de parole que Les 39 lithographies des Gens de Jean Adhémar, dans sa postface Justice, auxquelles la réédition Vi- aux Gens de Médecine, nous rap10 a ajouté quatre planches Inédites pelle en soulignant que Daumier la ou demeurées inemployées et quatre masquait par la présence constante planches plus tardives (de 1851), à sa bouche d'une courte pipe. Trop constituent une suite publiée dans peu bon parleur, peut-être, pour le Charivari de 1845 à 1848, c'est- faire parler ses personnages. Ses à~dire à l'époque où Daumier était dessins étaient exécutés avant que parvenu à la pleine maîtrise de son fussent écrites leurs légendes, et, art. , Elles forment un ,ensemble ces légendes, ce n'est pas lui qui plus cohérent que les 48 , lithogra- les trouvait. Rêdigéespar divers phies réunies sous le titre des Gens journalistes, parfois sans doute par de Médecine et qui furent publiées Philipon, le 'directeur de la Caricaau cours d'une longue période, en- ture, elles étaient souvent laborieutre 1833 et 1868. Composées pou,r ses, trop longues et peu spirituelles. des journaux différents, elles fai- Si Daumier les avait inventées luisaient partie de séries intit~lées même, il est probable que, dans Galerie physionomique, Caricatu- bien des' cas, le caractère de ses firand, Mœurs conjugales, Emotio'lis gures se serait exprimé avec plus parisiennes, Scènes grotesques,' etc. - de finesse. Ce qui explique la diversHé de leur , Quoi qu'il en soit, il reste, en style et l'inégalité de leur valeur. .lucîde témoin de son temps, le proPar la lourdeur du trait qui ne se digieux animateur d'une Comédie retenait pas toujours d'aller trop humaine oùl'on voit si bien défiler loin dans la recherche de l'expres- , tous les personnages balzaciens sion, quelques-unes nous laissent qu'on s'étonne qu'une collaboration deviner que Daumier, parfois, se :- plus étendue he se soit pas établie forçait un peu pour faire rire les entte le 'romancier et le dessinateur. lecteurs du Charivari, de la Revue On' ne connaît,- 'nous dit Julien des Peintres ou de la Caricature. Càin dans sa préface aux Gèns de La faune judiciaire l'a mieux ins- Justice, queqùatre planchlfs de piré, bien que, là aussi, certaines Daumier illustrant Balzac, bien que planches nous fassent penser à l'es- celui-ci ait lui-même collaboré à la prit un peu simplet avec leque] Caricature. Marcel Aymé écrivit la Tête des La vente Daumier a été l'occaautres. Mais devant une œuvre sion pour Maurice Rheims d'éditer comme celle de Daumier, qui comp- un , fastùeUx catalogue, établi par te 4 000 lithographies, on ne sau- Marcel Lecompte, et qui ne tardera rait lui reprocher ses moments de pas à susciter la convoitise des bifaiblesse. 'Celle-ci, résultat d'un bliophiles et des amateurs d'estamexcès caricatural, tient sans doute pes. Il sera une consolation pour
ceux qui n'ont pu se permettre d'at. tiser le feu des enchères. ' On y trouve, admirablement reproduits, quatorze dessins de Daumier (Deu% buveurs, Un avocat chargé de dossiers, la M ott et le Médecin, le Prestidigitateur, et 125 lithographies sur 264 épreuves avant la let, tre ou demeurées inédites faisant partie de la vente. La qualité de chacune de ces planches nous permet d'apprécier pleinement le tra· vail du dessinateur et nous rensei· gne sur le goût qui a présidé au choix du collectionneur. La même vente comprenait encore quatorze suites totalisant 692 lithographies sur les Mœurs conjugales, les Cent Robert Macaire, les Beaux jours de la vie, les Gens de Justice, les Pastorales, etc., et la collection complète, d'une grande rareté, des 251 numéros de la Caricature publiés de 1830 à 1835 et dont les illustrations hors-texte sont signées Daumier, Henry Monnier, Deveria, Grandville, Raffet, etc. Enfin, et ce n'était , pas là le moindre intérêt d'une telle vacation, 35 sculptures de D,aumier y figuraient, parmi lesquelles les plâtres originaux de deux de ses chefsd'œuvre, le Ratapoil et son Autoportrait, ainsi que cet étonnant Louis XIV, au visage empâté sous la perruque à coquilles, et 9 petits bustes (de la série des ,3 6 portraits d'hommes politiques) que l'artiste exécuta vers 1830-1832 et qui montrent comment,à vingt-quatre ans, Daumier avait bouleversé toutes les techniques classiques de la sculpture. La façon dont il pétrissait un visage de terre, sa conception audacieuse et violente du modelé, nous ne la retrouverons que bien plus tard chez Rodin, Giacometti et Germaine Richier. lean Selz 15
POUR VOS VACANCES
Choisissez parmi les meilleurs ROMANS rBANçAIS
ROMANS :tTBANGBBS
PO:tSIB
CLASSIQUES R:t:tDITIONS
CBITIQUE HISTOIBE LITT:tBAIBB
CORBB&PONDANCB
Samuel ' Beckett Assez Minuit éd. Le plus récent texte de Beckett. Publié dans • La Quinzaine • n° 1.
Nicolas ArJak Ici Moscou Sédimo éd. Alias Youll Daniel, condamné à la déportation pour ce,s nouvelles Irrévérencieuses.
Anna Akhmatova Requiem Minuit éd. Le dernier recueil, longtemps tenu sous le boisseau, de la grande poétesse russe.
André Breton Anthologie de l'humour, noir J.-J. Pauvert éd. Une dimension essentielle du surréalisme.
Gottfried Benn Un poète et le monde Gaillniard éd, Des essais dans la tradition de Nietzsche par un des grands poètes allemands de ce siècle.
Scott Fitzgerald Lettres Gallimard éd.
losslp Brodski Colline et , autres poèmes Le Seuil éd. Poète déporté en Sibérie pour « parasitisme social -.
Georges Darien Biribi Jérôme Martlneau éd. Les bataillons d'Afrique. Par l'auteur du « Voleur -.
René Char Retour amont Gallimard éd. Prix des Critiques 1966.
Diderot Mémoires pour Catherine \1 Garnier éd. Conseils à un prince « éclalr,é -.
,Mllovan Djllas L'exécution Calmann-Lévy M. Des nouvelles sur la guerre des partisans.
André Frénaud L'Etape dans la clairière Gallimard éd. Par l'un des meilleurs poètes françaiS contemporains.
Léon-Paul Fargue Haute solitude Gallimard éd. L'un des chefs-d'œuvre du poète.
Peter Faecke La nuit de feu Gallimard éd. Un roman très • f'iulknérlen - par un des grands espoirs de la jeune littérature allemande.
Robert Marteau Travaux sur la terre Le SeuiL éd. Un jeune poète auquel est promis ' un brillant avenir.
Drieu la Rochelle Mémoires de Dirk Raspe Gallimard éd. Drieu, à travers une libre biographie ,de Van Gogh. J.M.G. Le Le déluge Gallimard Un homme monde en mourir.
Clézio éd. seul dans un train de
Alain Robbe-Grillet La maison de rendez-vous Minuit éd. Un rOman d'aventures, certes, mals également un • nouveau roman '.
Stig Dagerman Le Serpent Denoël éd. La mythologie de la ptlur, par un jeune Suédois qui a mis fin à ses jours. Tibor Dery La phrase InaChevée Albin Michel éd. Le chef-d'œuvrtl Ju grand rormmcier hongrois.
Vitold Gombrowicz Cosmos Denoël éd. , L'Insolite du quotidien, par l'auteur de « Ferdydurke '. Günter Grass Une vie de chien Le Seuil éd. Un, grand roman baroque contre le régime nazI. Alexander Kluge Stalingrad Gallimard éd. Un « nouveau romancier • allemand qui tente la synthèse entre l'Imaginaire et le ' document. ' Alexandre Soljenitsyne La maison de Matrlona Julliard éd. Par l'auteur d' «, Une Journée d'Ivan Denlssovltch ,- . L'un des meilleurs écrivains russes contemporains.
Neill et R. Lavaud Les Troubadours Oesclée de Brouwer éd. Le trésor poétique de J'Occitanie, ou l'une des premières poésies nationales de J'Europe. Ezra Pound Cantos plsans L'Herne 'éd. Une œuvre classique, jusqu'à présent Ignorée des Français.
L.d
Foune'
Cantos pisans
Gustave Flaubert La second volume de
Bouvard et Pécuchet Denoël éd. Ce qu'aurait pu être «Bouvard et Pécuchetsi Flaubert avait eu le temps de le terminer. Katherlne Mansfield L'œuvre romanesque Stock éd. Toutes les nouvelles de Katherlne Mansfield. Jean Paulhan Œuvres T.1. Cercle du Livre Précieux éd. Textes et récits de Paulhan. Rainer-Maria Rilke Œuvres T.I., Prose Le Seuil éd. Le premier tome des « Œuvres - de Rilke comprend entre autres' « Malte -. Sel Shonagon Notes de chevet Gaillmar'd éd. Uo chef-d'œuvre de la littérature japonaise, composé au XI" siècle.
~
f
Edmund Wilson MémoIres ' du comté d'Hécate , Julliard éd. Nouvelles par le critique le plus Intelligent , des Etats-Unis.
Stig Dàgerflian
Le Serpent
16
Serge Doubrovsky Pourquoi la nouvelle critique Mercure éd. Un exposé complet des problèmes soulevés par la crItique contemporaine. Ludovic Janvier Pour Samuel Beckett Minuit éd. L'essai critique le plus complet sur l'œuvre de Samuel Beckett. Stanislas Joyce Le gardien de mon frère Gallimard éd. Le frère de l'auteur de « Ulysse - parle. Michel Leiris Brisées , 0. Mercure éd. Ecrits de circonst~nce qui jalonnent le cOurs d'une vie. Jean Orleux Voltaire, ou la royauté de l'esprit Flammarion éd. Une biographie intelligente et complète. George Palnter, Proust Mercure éd. La monographie définitive sur Marcel Proust. Raymond ' Picard Nouvelle critique ou nouvelle Imposture Pauvert éd. Une attaque en règle contre la nouvelle critique, Georges Poulet Trois essels de mythologique romantique Cortl éd. Nerval, Gautier, l'Influence de Piranèse sur les romantiques.
ARdré ~ BRETON ' AnlhOIOgle de
, l 'HUMOUR
,:~,~:"
~i
l.' (
~1
' '- l ,
jean
orieux voltaire
1-
Franz 'Kafka Correspondance (1902-1924) Gallimard éd, Paul Léautaud Lettres il Marle Dormoy Albin Michel éd. Léautaud très Intime. Marcel Proust Lettres retrouvées Plon éd. Des lettres que Proust n'a pas envoyées et d'autres qu'II a redemandées à ses correspondants. George Sand Correspondance Garnier éd. Pour la première fols, la correspondance complète, Oscar Wilde Correspondanca T. 1 et \1 Gallimard éd.
PAUL LIlAlITAUD
LETTRES à Marie Dormoy
et le. Hvre. pubHés par les oollaborateurs de La QUÏDllaine
livres de l'année PHILOSOPHIB PSYCHOLOGIE
LANGAGE SOCIOLOGIB
ART
Karl Abraham Œuvres complètes. T. li (1913-1925) Payot éd. Des études sur la -libido par le grand psychanallste.
Raymond Aron Démocratie et Totalitarisme Gallimard éd. L'affrontement de deux conceptions du monde.
R.L. Delvoy Dimensions du XX' siècle (1900-1945) Sklra éd. La révolution artistique de notre siècle.
E. Benveniste Problèmes de linguistique générale Gallimard éd. Des textes fondamentaux sur la linguistique.
Félix FénéolJ Au-delà ' de l'impresslonisme Hermann ·éd. Le modèle des critiques d'art.
Louis Althusser Lire le Capital Maspéro éd. Une révolution dans les études marxistes. Ernst Cassirer La philosophie des lumières Fayard éd. Par le grand philosophe allemand, une, Interprétation passionnante du XVIII" siècle. Martin Heidegger IQuestions 1\1 Gallimard éd. Divers écrits récents dont l'Importante c Lettre sur l'Humanisme ". Jean Piaget Sagesse et illusion ~ la philosophie P.U.F. éd. Le grand psychologue critique d'un point de vue positiviste la , philosophie.
A.J. Greimas , Sémantique structurale Larousse éd. Les fondements de la nouvelle science du langage. Margaret Mead L'un et l'autre sexe Gonthier éd. L'homme et la femme par la grande SOCiologue américaine. David Patter Les fils de l'abondance Seg~ers éd. Une Interprétation originale de l'histoire américaine. Tzvetan Todorov Théorie de la littérature Le Seuil éd . Textes des formalistes russes.
J.:P. Sartre, M. Heidegger, K. Jaspers et autres Kierkegaard vivant Gallimard éd. Les discussions organisées par l'Unesco à l'occasion du 1SO"anniversaire du philosophe danoIs.
Théorie de la littérature
C411«11~~
"T.I Q ... I"
AUX SDITIONS DU SEUIL
EH;'oIST tASSIIŒK
la philosophje des lumières
HISTOIRB
POLITIQUB
François Daumas
F.J. Cook Le F.B.I. Inconnu Denoël éd . Les dessous de la politiqu~ américaine.
Anouar Abdel Malek Anthologie de la IIttératurearabe T. Il (Les essais) Le Seull éd.
Jacques FauvetHistoire du parti communiste françaiS T. li Fayard éd . De 1939 à nos jours.
Roland Barthes Critique et vérité Le Seuil éd.
'n
Jean Laude Arts de l'Afrique Noire Hachette éd. Une remarquable introduction et mise au point.
La civilisation de l'Egypte pharaonique Arthaud éd. Une remarquable interprétation de l'Egypte ancienne. F. Furet et D. Richet
La Révolution Des Etats Généraux . au 9 Thermidor Hachette éd. La Révolution déjacobinisée. Daniel Guérin NI Dieu ni maître Delphes éd . Une anthologie historique du mouvement anarchiste. Eric J. Hobsbawm Les primitifs de la révolte dans l'Europe moderne Fayard éd., Les révoltes archaïques de la Sicile aux Carpathes. Lord Moran Mémoires Laffont éd. Les souvenirs indiscrets, mals passionnants du médecin de Churchill. Cornelius Ryan La dernière bataille Laffont éd . La chute de Berlin par l'auteur , du c Jour le plùs long" Arthur SchleSinger Les .mille Jours de Kennedy Denoël éd. Le meilleur livre sur Kennedy, ' par un de ses collaborateurs directs Nicolas Soukhanov La Révolution Russe ,Stock éd. Un des livres fondamentaux sur 1917
MEMOIRES E\YARD
LORD MORAN
\ Vt fi~ OU GENIE le document la plus Important dapuls la gueffe. par e medacln de Cherchlll
P. pfllmlln et R. Legrand-Lane L'Europe communautaire Plon éd. Vers l'Europe unifiée. René Rémond La vie politique en France Armand Colin éd. De la Révolution de 1789 li celle de 1848. Pierre Rouanet Mendès-France au pouvoir Laffont éd. L'action de Mendès-France à la Présidence du Conseil. ,
PIERRE PFLIMLIN ri RAYMOND t..mRAND-LANE
L'EUROPE COMMUNAuTAIRE
' Jean-Louis Bory Musique Il Julliard éd . Bernard Cazes
La vie écOnomique Armand Colin éd. François Châtelet 'Platon Gallimard éd. Jean Chesneaux les sociétés secrète. en Chine Julliard éd . Françoise Choay L'urbanisme, utopie et réalités Le Seuil éd. Claude COUffOli Rafaël Alberti Seghers éd . Dominique Fernandez Les événements de Palerme Grasset éd. Michel Foucault Les mots et les chos.s Gallimard éd.
l'WN
Gérard Genette Fi9ures Le Seuil éd. Francis Jeanson Simone de Beauvoir Le Seûll éd. Georges Perec Les chose. Julliard éd . Georges Piroué Une si grande faiblesse Denoël éd . Jean-François Revel Contre-Censures PaLJvert é& Geneviève Serreau ,Histoire ' du «nouveau théâtre. Gallimard éd. André Warusfel DIctionnaire raisonné des mathématiques Le Seuil éd.
Les mots
et les ehoses
La Quinzaine littéraire, août 1966
17
:>
VOYAGES
L'homme en voyage Voyage d'une Hollandaise en France en 1819 Maurice Garçon Pauvert éd. 192 p. Me Maurice Garçon ne boude pas les joies que lui apporte le destin : il a trouvé chez un libraire de La Haye un manuscrit élégamment relié en maroquin rouge sur lequel était écrit Journal de 1819 - Voyage en France. L'objet était curieux. Quant au voyage lui même il était raconté avec finesse et intelligence et, comble de bonheur, tous les faits rapportés étaient d'une rigoureuse exactitude. Me Garçon fit des recherches, trouva des précisions biographiques sur l'auteur : Henrica Rees Van Tets, femme d'un membre du conseil communal de Dordrecht et membre des Etats provinciaux de la Hollande du Sud. Publier ce manuscrit écrit en français et découvert dans cesconditions relève de l'étrange. Me Garçon a toujours apprécié l'insolite.
épitaphes ! tous ces morts étaient donc des créatures parfaites. Arrivée en mai à Bordeaux elle décrit des paysages d'une plume légère et animée, elle est enthousiasmée par le grand Talma jouant dans Athalie et Iphigénie :il est réellement au dessus de tout éloge. Chaque geste, chaque position conviendrait au statuaire ...
Cette femme cultivée et raffinée s'amuse de mille riens : à Peyrehorade, petite ville pauvre, eHe découvre, telle Marie-Chantal, que. , l on peut se passer de heurre, à Bayonne elle se déplace en cacolet : deux petites chaises d'osier suspendues aux deux côtés d'un cheval. Elle pense aux Mystères d'U dolphe en apercevant dans les Pyrénées ' des ruines antiques ornées de tours et de créneaux. Elle décrit le passage d'Une cascade telle une nouvelle Mme de Sévigné et en effet plus tard elle mentionne les lettres de la dite qu'elle qualifie de « charmantes ». Les intérêts de. Mme Van Tets Ce voyage en France pendant la sont variés, elle est au courant de Restauration dura près de quatre l'affaire Fualdès, et, protestante, mois. Le ménage Rees Van Tets elle réagit violemment à Toulouse, venu directenient de Dordrecht à et . surtout à Nîmes : nous voilà Paris l'assa la frontière d'une façon dans cette ville connue depuis quaamusante. Le douanier expliqua tre ans pour avoir donné dans tous qu'il ne pouvait accepter de pot de . les excès de cruauté et de fanatisvin : veuillez le donner à ce jeune me. Une impression funeste s'est enfant qui me le remettra, dit-il répandue sur mon âme. En effet, avec élégance ... Ces Hollandaisve- en 1815, la Terreur y avait régné . naient fréquemment à Paris. En pendant cinq mois, les huguenots 1819 ils vont assister à la fête de avaient subi mille sévices : si à la Longchamp où le duc d'Orléans se Saint Barthélémy on assassinait, en pavane sur un grand char surmonté 1815 on torturait. . d'un toit chinois ; puis ils visitent Repartant par Genève, Mme Van le musée des Antiques composé de Tets a ainsi parcouru 2.924 kilo-
Carcassonne
statues ramenées par Napoléon : Mme Rees Van Tets a une prédilection marquée pour les formes pures et nobles des divinités grecques. La salle égyptienne la surprend désagréablement. Allant admirer une collection particulière, les genoux de notre voyageuse plient devant un beau Titien représentant une tête de Christ. Mais en se promenant au Père Lachaise son humeur est moqueuse : Quelles 18
mètres en 365 postes et demi, et son journal nous procure. un grand plaisir. Non seulement elle nous transporte avec une curiosité insatiable sous la Restauration, mais elle juge tout sans fausses complaisances, sans admiration factice de touriste hanal ; tel un nouveau Thomas Coryate elle sait mêler l'histoire, la politique, les anecdotes et les arts. Marie-Claude de Brunhoff
La Moscovie du XVIe siècle vue par un ambassadeur occidental, Herhenstein Présentation de Robert Delort
ment-là) à une époque où les Grecs quand ils ne sont pas marchands, restent tranquillement chez eux, et où Socrate déclare une sentence d'exil pire qu'une sentence de L'Amérique espagnole en 1800 mort. vue par un savant allemand, Ils étaient curieux, nous disent Humboldt les . historiens qui présentent ces livres. Mais qu'est-ce que la curiosiPrésentation de Jean Tulard té ? Humboldt et Thévenot font à ce L'Empire du Grand Turc sujet un aveu qui retient l'attenvu par un sujet de Louis XIV, tion. Ils nous disent que la lecture Jean Thévenot de relations de voyage a précisé leur désir de courir le monde. Les Présentation de François Billacois ob jets que nous ne connaissons que par les récits animés des voyageurs L'Orient barbare ont un charme particulier, écrit Humboldt : notre imagination se vu par un voyageur grec, Hérodote plaît à tout ce qui est vague et inPrésentation de Philippe Sellier défini ; les jouissances dont nous nous voyons privés paraissent préCollection Temps et continents férables à celles que nous éprouCalmann-Lévy, éd. vons journellement dans le cercle étroit de la vie séden.taire. Or, si la relation de voyage incite au Si les voyageurs d'autrefois s'ab- voyage, du voyage lui-même naîtra sentaient pour de longs mois ou de le désir de le raconter. Ce qu'Hùmlongues années, ils écrivaient aussi boldt et Thévenot se sont empresde volumineux ouvrages à leur re- sés de faire, dès qu'ils eurent emtour. C'est pourquoi les relations pli leurs yeux des pays dont ils de voyages déjà parues dans la col- avaient rêvé, c'est d'en offrir une lection Temps et continents de Cal- relation à d'autres. Humboldt ne mann-Lévy n'en présentent que des repartira pas en Amérique, mais il extraits. On connaissait certains de écrira onze volumes in-folio, agréc'es auteurs, restés célèbres, tels Hé- mentés de 400 gravures et de 70 rodot et Humboldt; d'autres, Her- cartes. Le voyage n'est qu'un méhenstein, Thévenot, n'ont laissé diateur entre deux récits de voyad'eux d'autre trace que des récits, ge, de même que le récit de voyage oubliés jusqu'à ce jour dans les lui-même est le médiateur entre hibliothèques. deux voyages éloignés souvent par Il fallait avoir le cœur bien ac- des siècles. La réalité et sa réflexion croché, jadis, pour voyager, car littéraire se renvoient sans cesse mille malheurs vous guettaient leurs images dans un jeu de mi. ~ournoisement sur mer et sur terre. roirs qui rend vaine l'interrogation J eàn Thévenot, jeune .rentier de sur l'antériorité du voyage ou du 22 ans qui s'en va visiter l'Empire récit qui le décrit. Voyage dans l'espace, mais aussi du Grand Turc pour son plaisir, n'échappe à un naufrage que pour voyage dans le temps. L'homme en tomber entre les bras des Corsai- voyage se découvre des traits qu'il res . : Quoique je dise que j'étais n'avait jamais soupçonnés chez lui. Français, je fus entouré de cinq La continuité historique s'ouvre à valets de chambre de malheur qui, son regard curieux. Herhenstein se me tenant la plupart le pistolet sous croit obligé non seulement de nous la gorge et 1'épée sur le ventre, vou- décrire l'état présent des cités et lurent d'abord m'obliger à me dés- des peuples de la Moscovie du habiller, puis, me tirant l'un par XVIe siècle, mais aussi, chaque devant, l'autre par derrière, l'un par fois, de remonter à leur origine. La en haut, l'autre par en bas, me mi- découverte de l'espace se transforrent tout nu en un tour de main. me en une découverte du temps. Et Heureusement, Dieu était à son par un juste retour des choses, la côté et sut le tirer de ce mauvais conscience du temps les amène à pas par sa sainte grâce. Un siècle et une vision atemporelle : Thévenot demi plus tôt, Herhenstein, ambas- ne décrit pas des Turcs mais « le sadeur de Ferdinand auprès du Turc» ; Humboldt s'interroge sans prince de Russie, Vassili III, man- cesse sur ce qu'est l'Indien et Héroque en chemin d'avoir le nez gelé. dote déduit du climat le caractère Un siècle et demi plus tard, Hum- éternel des Egyptiens. L'homme en boldt découvre, avec l'Orénoque, les voyage est qualitativement difféfièvres et les animaux maHaisants, rent du sédentaire: il n'était chez sans qqinine en poche, et armé d'un lui qu'un simple participant à la mauvais fusil dont il ne faut pas routine de la vie ; chez les autres, espérer qu'avec l'humidité il fasse il devient observateur. Ma propre religion va de soi, mais celle des feu. Mais qu'allaient-ils faire en de autres provoque mon étonnement pareilles aventures, ces érudits et une foule de réflexions. L'ethno- . que rien n'obligeait, sauf Her- logue contemporain est préfiguré benstein, à quitter leurs biblio- par chacun de ces . hommes en thèques bien chauffées (ou fraî- voyage (et surtout par Humboldt) : ches) ? Le goût du voyage ne s'ex- .la vie cesse d'être vécue pour deveplique pas toujours par l'influence . nir ohjet de réflexion. de l'esprit du siècle. Ainsi Hérodote Le discours supplante alors l'hisfait le tour du bassin méditerra- toire. La simple relation des faits néen (le tour du monde à ce mo- qui surviennent au cours du voya-
Au mois d'août,
La Quinzaine littéraire
ne paraîtra qu'une seule fois. Le proohain numéro, oelui de la
t; (t)
=:s
e+t;
(t)~
(t) t-II t-I-
#
(t)~
t; ~ t-It; (t) sera mis en vente le
~ CD t1
fil
(t)
~
e+-
Constantinople
ge est submergée par les multiples digressions : méditation sur une fleur, description de la }açon dont les Tartars mangent les entrailles des chevaux, etc. La règle de ce genre particulier qu'est le récit du voyage est bien l'absence de règles du genre au sens où nous l'entendons habituellement. Le récit . de voyage est un monologuè, parole hautement personnalisée qui laisse -transparaître autant que le pays visité l'image de ce narrateur tout en étonnements. Thévenot, tranchant, un peu simplet mais non dépourvu d'admiration pour les mœurs turques ; Humboldt, romantique, mais perspicace; Herbenstein, d'une honnêteté scrupuleuse ; Hérodote, pour nous plus poète et feuilletoniste que le « père de l'histoire }). Il ne faut pourtant pas être trop critique pour ce qui nous paraît La Quinzaine littéraire, août 1966
fantaisiste chez eux. Au temps du voyageur grec, la connaissance du monde se réduit à celle de deux continents et demi. Au delà, c'est l'inconnu et le royaume des légendes. Le monde végétal et animal est lui-même à peine entrevu et ceci justifie les explications fantastiques d'Hérodote, le côtoiement de récits véridiques et fabulés. Herbenstein est déjà infiniment plus méfiant, mais qui sait ? Gloire au Créateur à qui tout est possible. C'est avec Humboldt que l'on reconnaît les temps modernes. Ce qui n'est pas très étonnant car à la fin du XVIIIe siècle, la carte du monde est à peu près tracée. Les présentateurs de ces quatre livres ont sûrement apprécié l'aspect fantastique, anecdotique, de ces récits. Puisqu'il fallait couper, ils ont sacrifié les volumes en-
combrés d' obsetvations astronomiques, de tableaux démographiques, de descriptions géologiques et de statistiques économiques... les narrations un peu longues, des notices assez impersonnelles sur des escales qui n'ont pas vraiment intéressé le voyageur. De ce fait, nous ne pouvons pas nous rendre compte comment sont structurées et conduites les relations originales, et le fait de ne lire que des extraits, si bien choisis soient-ils, laisse un sentiment de frustration. Mais les précisions les plus techniques, dépassées le plus souvent, n'intéressent que les spécialistes. Cette collection nous offre un répertoire des différents « coups d'œil }) sur un monde passé, d'hommes du passé, qui réjouit celui qui aime à douter de la validité de ses propres jugements. Delphine Todorova
(t)
a cr 11
(t) , De nouvelles rubriques donneront une vue d'ensemble enoore plus oomplète sur l'aotivité oulturelle en Franoe et à 'l'étranger.
19
MÉMOIRES_
EnigDlatique HaDlDlarskjold Dag Hammarskjold Jalons traduit du Suédois Plon éd. 228 p. Par suite de la difficulté que rencontrèrent les étrangers à prononcer son nom, Dag Hammarskjold, secrétaire général des Nations Unies entre 1953 et 1961, était surtout connu sous le nom de M. H. Un nom aussi anonyme que le masque impassible d'homme du monde que revêtait le personnage officiel : un homme qui, autant par besoin personnel que par conviction morale, s'effaçait derrière sa mission et le rôle qu'elle lui imposait. Hammarskjold, un Suédois de Suède, appartenait de p~r sa naissance à un peuple où la réserve et la domination de soi sont considérées comme des vertus cardinales - et le furent surtout dans le mi-' lieu où il grandit. Faire èas de sa personne, parler de soi, se raconter : autant de signes de laisser-aller et de faiblesse de caractère. La société suédoise exerce et a toujours exercé sur l'individu une extrême pression morale et sociale, exigeant de lui .une identification totale avec la convention sociale en cours (quelle qu'elle soit d'ailleurs) . Il y a peu de milieux où l'on cherche avec un tel perfectionnisme à rejoindre un modèle social à sens unique, où la conscience collective soit si peu encline à la compréhension et à la tolérance. Un Suédois est une personne qui a mauvaise conscience. Ce traumatisme, cette peur de ne pas être à la hauteur sont le revers d'une société qui, d'autre part, se distingue par un grand nombre de vertus éminement sociales : le sens du devoir, la loyauté, un respect presque sacré de la parole donnée, une incorruptibilité presque entière. Le journal de M . H. reflète beaucoup de ces traits : à la fois les vertus et l'angoisse.
Monsieur H et Tchombé
de ces serviteurs de l'Etat : raffinés, réfléchis, mélancoliques et au · fond d'eux-mêmes profondément inquiets et partagés. Cette classe, avant 1914, représentait traditionnellement la culture. (C'est plus tard que s'est développée cette culture autodidacte qui est actuellement un des traits car~ctéristiques du milieu culturel suédois). Si H. a choisi pour guides Holderlin, Hesse, Joyce, Ezra Pound et Eliot, c'est plutôt l'effet d'une tradition que d'une révolte personnelle. Les écrivains dont il se sentait le plus proche - et qu'il a aussi traduits en suédois étaient Saint-John Perse et Djuna Barnes, des poètes où la grande angoisse métaphysiqueest habillée, déguisée presque, sous une rhétorique abondante et compliquée, charriant les débris de cultures révolues.
M. H. - cette personne réservée par définition - a cependant laissé un document personnel le concernant, un « démasquage » empreint, lui aussi, de 'cette réserve et de cette attitude indirecte qu'annonce l'épigraphe : Seule la main qui efface peut écrire le mot juste. C'est néanmoins un document expressément destiné à la publication. Un homme de son tempéra-' M. H . était un bon Suédois -et ment a dû sans doute souffrir de la un moulage particulièrement réussi pression à laquelle il était sans cesde son milieu, en ce sens que la se soumis en tant que personnage domination de soi, le masque public, au centre de l'actualité et étaient vraiment pour lui essentiels. des bruits les plus divers, exposé aux à peu-près journalistiques. AcDans ses notes le pronom « je » et l'attitude sentimentale qui y cor- ceptant de voir publier son journal, respond - sont étrangement élimi- . il a sans doute voulu souligner la nés : il se parle à la deuxième per- véritable dimension des problèmes sonne comme s'il ne lui était pos- et plaider pour l'intégrité d'une sible d'articuler une situation sen- personnalité et son aspect finaletimentale qu'en faisant un détour, ment inaccessible et énigmatique. un en faisant semblant de transformer Dans ce cadre astreignant ce- « moi » encombrant, vulnérable homme qui finalement n'a d'autre et informe en un objet facile à vie privée que son travail - se démanier . Par cette approche indirec- roulait une vie et un drame spirite il est également un produit de tuel dont rendent compte ses Jasa classe - une classe qu'on pour- lons. rait peut-être définir comme une C'est l'histoire du drame issu de bourgeoisie intellectuelle faite de professeurs d'université (le pè- la découverte d'une complication re de H. avait été professeur de Insolubre, aux fondements mêmes de sciences politiques à l'Université la vie, et la description d'une vie d'Upsala et homme politique de qui a pris forme et est devenue podroite avant de deven~r premier mi- sitive justement à partir de cette nistre de 1914 à 1917), de hauts blessure. Ce qui apparaît comme fonctionnaires 1 de pasteurs et de une humiliation de la nature, une médecins - qui a produit pas mal défaite - initiale, se présente finale20
ment comme une vocation, une forme de vie que l'on peut embrasser d 'une volonté positive. Jalons est un document humain à recommander surtout à ceux qui comme M. H . ont vu leur vie prendre forme à partir d'une ambiguïté insupportable - ce que Hesse appelle dans le Loup des steppes, l'ambiguïté fantastique. Hammarskjold se reporte d'ailleurs explicitement au Loup des steppes, livre de chevet de la génération d'intellectuels suédois à laquelle il appartenait, fortement orientée vers la psychanalyse et en tout cas la première à essayer de vivre consciemment l'abîme entre instinct et idéal. Il serait à la fois grossier et faux d 'essayer de donner un nom particulier à cette race particulière, vouée à la solitude. Hammarskjold parle lui-même à plusieurs reprises, avec une amertume frappante, de la psychologie vulgaire qui se débarrasse de ce qui est inconnu et inquiétant en lui collant une étiquette d'anomalie. Cette psychologie simplifiée et les bruits qui ne manquent pas de surgir autour d'un homme en vue, semblent avoir envenimé sa vie - nous n 'en voulons pour témoignage que cette note, deux ans seulement avant sa mort : Parce qu'elle ne trouvait pas d'époux, la licorne fut accusée de perversité. L'homme que nous rencontrons dans Jalons n'est pas un ennemi des femmes, il est tout simplement seul. Et sa particularité n'avait pour lui qu'un seul sens : elle entraînait la solitude, le condamnait à la solitude, le vouait à la solitude. Et c'est ce rapport avec la solitude qui constitue le problème essentiel pour Hammarskjold : la lutte avec une sitUl~tion que spontanément et subjectivement il conçoit comme un -désert ' stérile, au~si immuablement amer au dernier jour qu'au premier. Il faut voir son travail dans ce contexte : son engagement social de plus en plus vaste, atteignant finalement une échelle mondiale, reniant la politique conservatrice de sa classe pour une attitude social-démocrate qùi aux yeux de beaucoup faisait de lui un rénégat et un traître. Lorsque Hammarskjold se compare à la licorne ce n'est pas seulement par amertume, mais aussi par une sorte d'orgueil et dans la cons-
cience d 'une -relation plus difficile à comprendre : celle d'une « vocation ». Les premières pages de Jalons, qui datent des années 20 (M. H. était né en 1905), ont, il est vrai, une certaine teinte nietzschéenne (héroïsation de la volonté, la vie conçue comme un exploit sportif). Et au cours des années 1931-1951, où Hammarskjold se présente extérieurement comme un des constructeurs de l'économie moderne suédoise (travailleur infatigable, sous-secrétaire d'Etat aux Finances, directeur de la Banque Nationale, ministre) certaines notes donnent l'impression que pour lui la vie n'est qu'un désert, d 'une immense souffrance : La soif est ma patrie dans les pays des passions. Un sentiment intuitif de la vie, qui est déjà une mystique, coule comme u n réseau de sources en core à moitié cachées, pas encore découvt;rtes, à travers ce paysage désolé. Dieu ne meurt pas le jour où nous cessons de croire en un dieu personnel, mais nous mourons le jour où la vie n'est plus transfigurée par la lumière du miracle sans cesse renouvelé dont la source est située au delà de toute raison. Ce thème sous-entendu et longtemps interprété à demi, va vers son accomplissement et devient à partir de 1952 une connaissance dans laquelle Dieu est. A partir de ce jour M . H. s'adresse à un « Toi » à T majuscule. Est-ce- que la nausée du vide sera la seule chose dont Tu rempliras le vide ? A partir de ce jour le journal devient de plus en plus un tissu de citations, empruntées le plus souvent aux P saumes et à Maître Eckhardt, mais également à Saint-Jean-de-la-Croix. Nous y rencontrons une religion du vide, de l'absence et des difficultés, mais remplis d'une joie irrépressible: la joie d'un être qui a coupé les amarres, et qui se sait détaché, délivré : Non pas moi, mais Dieu en moi. Toute la dernière période de sa vie qui coïncide presque entièrement avec le temps où il fut secrétaire général des Nations Unies jusqu'au jour où il rencontra la mort dans un accident d'avion non encore élucidé, sur le chemin du Congo - est l'histoire d'un mystique: Ceux qui adorent Dieu n'ont d'autre religion que lui. Birgitta Trotzig
PAMPHLETS
•• Un JIvaro intellectuel Jean-François Revel Contre-Censures J.J. Pauvert éd. 392 p. Pas moins de soixante-deux articles de cinq pages en moyenne, initialement parus, le plus souvent, dans l'Express, Le Figaro littéraire, ou l'Observateur, brassant les sujets les plus divers, du Général de Gaulle à Luis Mariano, du turf à la pensée sauvage, classés avec une rigueur malicieusement aberrante: tel est ce recueil dont la masse pourra paraître singulière, mais qui s'ordonne, en fait, autour de deux ou trois soucis vigoureusement illustrés et, plus profondément, d'une certaine attitude d'esprit, exigeante et souvent insolite. S'il suffisait de démontrer ou de réfuter pour supprimer les problèmes, écrit J.F. Revel, l'humanité nagerait depuis longtemps dans le bonheur complet. Il faut pourtant en commencer par là et c'est, pour préparer notre bonheur, à un art de penser que nous nous voyons, d'abord, confrontés, un art de penser où la rectitude de la réflexion est enrichie des pouvoirs de l'humeur et du ton, seuls capables d'ébranler, en nous, les tabous sociaux et religieux, et débouche sur ce mélange d'argumentation et d'indignation qui, selon l'auteur,fait les bonnes polémiques. Art de penser, mais aussi art de vivre La véritable folie de l'homme est la culpabilité qui lui fait fuir le plaisir, écrit amèrement Revel, l'escroquerie habile des religions et des philosophies a toujours consisté à lutter contre le penchant prétendûment irrésistible des hommes à jouir, alors que c'est là le penchant qu'ils possèdent le moins. Pourtant de jouissance il est assez peu question dans ce livre, hormis les pages consacrées à la cuisine. C'est qu'il y a un ordre des urgences: comment cultiver son plaisir dans une société qu'aliène le mythe de sa propre abondance, où l'on est tenu de racheter les loisirs qu'elle vous abandonne, que gouverne la persuasion clandestine, c'est-à-dire le conditionnement inconscient, et les interdits de toutes sortes, où la surproduction nous contraint, à notre insu, à acheter sans consommer? Il importe donc, avant tout, de dire ({ non » à ces « non ». Priorité absolue à l'exercice critique: notre actuel régime politique, pompeuse caricature de démocratie, le catholicisme et les hypocrisies du Concile, les idéologies à la mode, tant dans le domaine de l'art que · de la philosophie, font les frais d'une analyse incisive et nécessaire. Mais, et ceci est fort caractéristique de notre auteur, ces analyses ne sont pas conduites selon une méthode historique de type marxiste, mais plutôt selon un rationalisme abstrait, attentif à la contradiction, soucieux de preuve objective et de clarté, dédaigneux de ce qui n'est pas de son ordre La Quinzaine littéraire, août 1966
(la religion est une superst~twn écrit l'auteur). D'où un humanisme fondé sur le droit de chacun à penser et juger, qui entraîne un moralisme de la justice et, en politique, le légalisme démocratique (la civilisation politique moderne se caractérise par ceci qu'elle a remplacé la dépendance à l'égard des personnes par la subordination à l'égard de la loi); d'où, aussi, une tendance à: réduire la philosophie aux sciences positives, figées chacune dans leur spécificité. Par là, on voit assez que J.F. Revel a quelque chose d'un homme du XIX· siècle et on peut penser qu'il met beaucoup de lui-même dans le portrait qu'il fait du vieux chnoque, Julien Benda Démocrate, il se fit haïr par la réaction, libéral, il ne fut pas approuvé p'ar les communistes. Athée, il déplut aux chrétiens de gauche. Rationaliste, il était à contre-courant face au bergsonisme dominant de ces années. C'est à d'autres courants que s'oppose, aujourd'hui, J .F . Revel: le sartrisme de l'Etre et le Néant, par exemple, qu'il rapproche des philosophiè's spiritualistes et dont il dit qu'on n'y trouve nulle trace d'une philosophie révolutionnaire, si du moins l'on accorde qu'est révolutionnaire toute
que, est en avance sur elle, par conséquent, est méconnu par elle. Or l'avant-garde, dans notre époque qui craint toujours d'être en retard d'une nouveauté, correspond à un secteur parfaitement reconnu, peuplé de créateurs incompris aussitôt compris. Notre avantgarde est do.nc en fait un académisme et la véritable avant-garde, nous ne la connaissons pas. A cela on pourrait, cependant, répondre que l'avant-garde n'est pas une pure catégorie logique où se rangeraient les œuvres délibérément nouvelles, qu'elle est aussi le lieu où se rejoignent, fût-ce en s'opposant, tous ceux qui, par delà leurs œuvres, se soucient de renouveler, en le redéfinissant, le mode d'expression qu'ils ont choisi. En ce sens, elle peut être reconnue comme telle, même si elle manque à sa vocation - ce qui est un autre problème .. L'erreur, semble-t-il, d'une critique aussi unilatéralement réductive, c'est qu'elle ne tient pas compte de ce que les faits, les doctrines ou les comportements ne sont pas seulement ce par quoi ils se définissent mais aussi ce qui est leur horizon. On peut tirer de Contre censures deux exemples
Jean-François Revel
pensée qui fait passer dans le champ de l'explication et de la causalité les phénomènes auparavant attribués au hasard, à la subjectivité, au libre arbitre ou au surnaturel. Aussi bien J.F. Revel recourtil constamment à une sorte de bon sens terroriste sous l'effet duquel tout phénomène se trouve ramené à sa définition la plus roide. Vous me parlez de ceci? Mais voyons plutôt le dictionnaire. Epurés de leurs composantes affectives et sociales, peu de faits résistent, ainsi, à ce jivaro intellectuel. Exemple qu'est-ce que l'avantgarde? Ce qui précède son épo-
fort significatifs. A propos de la biographie de Proust par G. Painter, J.F. Revel note que la matière d'A la Recherche du temps perdu se confond presque totalement avec la propre vie de son auteur l'imagination proustienne n'est pas ce qui éloigne de la , réalité, écrit-il, mais ce qui sert à la voir. Peut-on dire pourtant que la création chez Proust, se limite à redistribuer une certaine matière, afin de la mieux éclairer? C'est oublier l'essentiel, à savoir que Proust ·est .créateur, d'abord, par le passage à une écriture, ici une écriture de la remémoration, et que cette écriture elle-même n'est possible que
par cette experlence de toute écriture possible qui est à son horizon. De même, à propos de peinture et critiquant, à juste titre, cette paresse que recouvre trop souvent le culte du musée imaginaire, notre auteur dit : Etre atteint par une œuvre requiert un intense et exclusif acte d'imagination. L'art. se met à exister pour nous dans les rares moments où nous nous rendons capables d'interroger et de préférer une seule œuvre. Et assurément, le commerce d'une œuvre, c'est d'abord cela. Mais interroger et préférer une œuvre, n'est-ce pas dégager de cette œuvre un style qui, d'une certaine manière, la dépasse, -renvoie à toute l'entreprise d'un peintre et à l'expérience originelle qui la fonde, quitte à reconnaître, dans tel tableau particulier, un des moments les plus accomplis de ce style et de cette entreprise ? Contrairement, donc, à J.F. Revel, il faut savoir admettre que le lointain n'est pas nécessairement le fumeux, qu'à l'encontre de ce qu'il écrit sur Merleau-Ponty, la philosophie, si elle ne dit rien à bavarder de l'Etre, ne peut exister sans la pensée de l'Etre, qu'à l'encontre de ce qu'il écrit à propos de Cl. Levi-Strauss, la science ne peut être le domaine de la preuve et du résultat que si elle est aussi d'une certaine manière une entre- , prise métaphorique. La grande critique est celle qui mesure l'écart entre une réalité donnée et ce qui l'investit : démystifier, c'est pour elle dénoncer la subversion de ce rapport, lorsque, par exemple, la politique de grandeur prétend se passer de démocratie et de programme, lorsqu'une certaine exégèse du marxisme finit par le dépouiller de sa valeur révolutionnaire, lorsque la psychologie de l'art dispense de voir. J.F. Revel, en fait, a choisi de ne défendre que les droits d'une certaine « positivité». Reconnaissons, cependant, que de nos jours, c'est une partialité singulièrement tonique. Soucieux d'abord de ne pas être dérangé dans sa liberté civique, jouant les naïfs afin d'éviter d'être pris pour un sot, J.F. Revel incarne les vertus de celui à qui on ne la fait pas, tantôt avec une verve tranchante, tantôt avec cette humeur bougonne des polémistes qui, par définition, pensent toujours que leur époque est la pire de toutes. Evoquant à la dernière page de SOIl livre les éventualités, toutes malheureuses, auxquelles se heurte le Dlus souvent, dans notre société 'sans visage, l'usager du téléphone, J.F. Revel écrit Parfois cependant une quatrième éventualité se réalise; on vous parle, mais on vous engueule. C'est là une des rares preuves sérieuses que l'on puisse obtenir aujourd'hui de l'existence de l'homme. Avouons que son livre fait partie de ces preuves-là, et qu'il nous plaît bien d'être engueulés par lui. Michel-Claude lalard 21
SCIENCES HUMAINES
Quetzalcoatl Laurette Séjourné La Pensée des Anciens Mexicains François Maspero éd. 184 p. Française émigrée au Mexique par le fameux dernier bateau libre qui quitta la France - elle était alors la femme de Victor Serge Laurette Séjourné a non seulement adopté ce pays comme seconde ' patrie mais n'a cessé, depuis, de se pencher sur son riche passé précolombien. Une étude attentive des textes anciens et de l'iconographie, l'expérience acquise sur le terrain lors des fouilles qu'elle a menées pendant plusieurs années dans la grande cité sacrée dè Teotihuacan, une curiosité particulièrement orientée vers les valeurs spirituelles, un esprit intuitif qui ne craint pas d'aller à l'encontre de certaines thèses officielles, ont fait d'elle, en quelques années, une des figures les plus intéressantes dans cette pléiade de chercheurs, d'ethnologues et d'archéologues qui tentent de percer les mystères de c~ civilisations disparues. On s'étonne qu'il ait fallu attendre près de dix années dans un domaine où chaque jour de nouvelles découvertes modifient les conclusions de la veille - pour voir paraître .en français cet ouvrage passionné, abondamment documenté et illustré. La première partie en est co~sa crée à l'étude du phénomène aztèque tel que le rencontrèrent les Espagnols au moment de la Conquête, tel qu'il fut décrit par les chroniqueurs de l'époque et surtout par cet étonnant précurseur de .tous les ethnologues : Fray Bernardino de Sahagun. L'opposition qui existait entre les mœurs sanguinaires de ce peuple et l'enseignement idéaliste que leurs prêtres prodiguaient aux jeunes gens qu'ils éduquaient, l'écart entre les textes sacrés et les pratiques cruelles journellement appliquées, n'ont pas manqué de frapper les observateurs et les historiens du passé mexicain. Mais aucune explication satisfaisante ne semble avoir été donnéè de ce phénomène et l'on a généralement admis que la justification de ces pratiques résidait dans la mythologie même du peuple aztèque. . Or, pour Laurette Séjourné, l'explication en est des ' plus claires : la théocratie aztècple n'était qu'une imposture. Les textes et la tradition sacrée qu'ils continuaient d'utiliser avaient été par eux dévoyés et ne servaient qu'à masquer leur appétit de pouvoir et de domination. Il s'agissait en réalité d'un état totalitaire où chaque geste, chaque acte de la vie était soigneusement codifié, où la mort guettait à chaque instant l'individu susceptible de s'éloigner si peu que ce fût de la ligne qui lui était tracée dès sa naissance. Confondre les extermina.tions en masse des Aztèques avec l'idéal éthique qui circule dans leurs textes écrit l'auteur, serait expliquer l'Inquisition par l'enseignement du Christ. Le message 22
spirituel dont on retrouve l'écho à peine affaibli dans les textes et les chants recueillis au moment de la Conquête, venait de plus loin. C'est au peuple Toltèque, prédécesseur des Aztèques sur le haut-plateau mexicain, et à son chef mythique Quetzalcoatl, qu'il faut en attribuer la paternité. Et c'est dans le grand centre cérémoniel de Teotihuacan que cette religion aurait pris forme et se serait développée pendant plusieurs siècles avant l'arrivée de ceux
Personrwges qui figurent sur la fresque Terrestre de Teotihuacan
qui n'étaient encore que « les barbares du Nord », les Chichimèques. Mais le mythe. de Quetzalcoatl avait survécu parmi ceux-ci, qui avaient assimilé avec une rapidité stupéfiante les connaissances toltèques . tout en enrichissant le panthéon nahuatl de leurs propres dieux comme le farouche Huizilopochtli, dieu de la guerre. Tout un langage symbolique très élaboré était encore en vigueur au XVIe siècle et les grandes lignes de l'ancienne religion avaient été maintenues. D'après tous les textes de cette époque les Aztèques n'ont d'ailleurs jamais manqué de rendre hommage à ceux qui furent leurs maîtres et leurs initiateurs après avoir été, sans doute, défaits par eux. Dans l'analyse fouillée qu'elle entreprend de ce langage symbolique et des principaux ' dieux auxquels il se référait, Laurette Séjourné met en lumière cette « dynamique de l'union des contraires » si merveilleusement symbolisée par le glyphe de l'eau brûlée - qui
semble le fondement même de toute la pensée et de la philosophie du haut Mexique. L'Oiseau-serpent, Quetzalcoatl, symbole de la double nature terréstre et céleste de l'homme, l'eau brûlée, emblème de la lutte qu'il doit mener en lui-même pour transcender sa condition et réaliser cette fusion des contraires, la pierre fleurie sur laquelle pousse le nopal aux fruits en forme de cœur - signe du lieu où les Aztèques devaient fonder leur capitale
Geneviève Calame-Griaule Ethnologie et langage La parole chez les Dogon Gallimard éd. 596 p.
Les Dogon, un des hauts lieux de l'ethnographie française depuis les travaux de Marcel Griaule et de son équipe, inaugurés en 1931, reviennent à l'ordre du jour. Au début de cette année paraissait le Renard pâle 1, premier fascicule de . la somme monumentale qui donnera au public l'accès à une mythologie et à une pensée, présentées avec une rigueur et une ~idélité sans exemple dans la . littérature anthropologique. Ces derniers jours est sortie une réédition du classique Dieu d'eau, qui é,t ait devenu introuvahle. Par ailleurs, on nous donne la traduction française d'un livre de psychanalytes suisses dont le titre Les Blancs pensent trop dans sa démagogie n'est certes pas un garant de la valeur des idées que leurs auteurs nous apportent sur la culture du peuple Dogon et sur les problèmes des individus qui la vivent. Enfin voici cette thèse, ouvrage aux proportions imposantes, dans lequel l'auteur, collahoratrice et continuatrice de son père Marcel Griaule, se propose de développer un des thèmes essentiels, dégagé dès les premières recherches sur les civilisations soudanaises, celui de la parole. La parole comme verbe dans la création qui est échangée quotidiennement entre les hommes. L'originalité de Geneviève Calame-Griaule qui est à la fois linguiste et ethnologue, donc à même de serrer de très près les faits de parole et les faits de langue, ' est de poursuivre sans défaillance à travers les manifestations les plus variées de la vie sociale, familiale et individuelle, cette dialectique de la parole vivante dont elle a posé du Paradis pour nous les fondements logiques et métaphysiques dans ses chapitres inauguraux sur la théorie et - tous ces principes antinomiques, la mythologie. Entre ce qu'on peut souvent transposés par une vision appeler la psychologie rationnelle profondément poétique du monde, et la cosmogonie de la parole se retrouvent constamment associés, d'une part et la pratique sociale aussi bien dans les codex que dans du discours d'autre part, point de les diverses formes d'art qui s'épa- cassure : l'apprentissage dp. langanouirent pendant plus de quinze ge par les enfants, les modes cents ans sur le haut plateau mexi- d'adresse entre les différents types cain. de parents, l'échange de plaisantePar cette interprétation haute- ries, d'insultes, les diverses sortes ment spiritualiste des mythes et de littératures orales, contes, énigsymboles nahuatl Laurette Séjour- mes, proverbes, etc... toutes ces né ne craint pas de s'opposer aux modalités institutionnalisées de la thèses généralement admises qui parole manifestent une parfaite font une part plus large à l'analyse cohérence avec les positions statumatérialiste et aux contingences taires des locuteurs, elles-mêmes rites de la végétation, de la pluie, fondées sur le mythe et la théorie. et qui ont de la chasse, etc. Il en résulte pour le lecteur une abouti à des classifications .plus ' po- impression tout à fait extraordinaisitivistes mais parfois aussi plus re d'avoir affaire à une société si sommaires. C'est le mérite de cet parfaitement intégrée que même ouvrage passionnant de les remettre les tensions et les conflits entre en question et de tenter une péné- sexes et entre parents que l'auteur tration en profondeur .d'une des . s'efforce de mettre en . évidence cosmologies les plus déroutantes et n'ont l'air d'être là que pour mieux les plus fascinantes de tous les signifier la toute-puissance équilibrante du système. Ecrasé par la temps. Geneviève Bonnefoi majorité des lignes de l'ensemble,
La parole chez les Dogon il faut se promener dans l'édifice pour regarder les choses d'un peu plus près. Les deux premiers chapitres, consacrés à la théorie et à la mythologie de la parole, reprennent et développent dans la perspective propre à l'auteur, les conceptions dogon déjà connues, mais éparses et fragmentaires dans les travaux antérieurs. Divine dans son essen'ce, la parole est dans la créature humaine, structurée sur le mode même de la personne. Avec force, Mme Calame·Griaule met en relation les composantes de la parole avec celles de la personnalité conçue comme une unité cosmo.biologique dans laquelle les principes spirituels sont articulés avec les constituants fondamentaux du corps. La parole est chose physique et comme telle, elle comprend les quatre éléments dont est fait le corps : eau, air, terre, feu; elle est vivante et comme telle comprend un sexe, des graines qui la rendent féconde, une certaine quantité de force vitale (nyama) qui la rend plus ou moins pure; enfin elle est psychique et à ce titre possède les huit âmes deux à deux jumelles, qui dans la topique Dogon, constituent les principes organisateurs de la personne humaine. Avec le mythe, nous passons de la psychologie à la métaphysique de la parole, qui est son fondement. Rappelons d'abord avec l'auteur quels sont les personnages du « drame» de la création: Amma, le dieu créateur, l' œuf du monde composé d'un double placenta fécondé par la parole d'Amma; les premiers êtres créés, deux jumeaux androgynes, dont l'un fait figure de révolté contre l'au· torité paternelle et l'autre de sau· veur qui réorganise par son propre sacrifice le monde perturbé par les agissements du premier (dont le plus grave fut l'inceste avec la Terre, issue d'un morceau du placenta originel qu'il avait emporté avec lui dans sa descente prématu· rée). Mis à mort puis ressuscité, ce sauveur, Nommo, descendit sur la terre avec une arche qui portait les premiers hommes, ainsi que tous les animaux et plantes destinés à peupler leur univers. Cependant son frère ennemi était métamorphosé en une espèce de renard et condamné à mener une existence misérable. Son influence néfaste est perpétuellement en lutte avec celle de Nommo, les principes contraires qu'ils incarnent se disputant le monde et l'homme. C'est Nommo, consacré maître de la parole par Amma, qui révèlera aux hommes par la technique du tissage, la technique primordiale par laquelle se tissent les liens des créatures entre elles, avec la création et avec le Créateur, celle du langage. Autrement dit, dans cette révélation sont donnés les principes de l'organisation ~ale, politique et religieuse qui aux yeux des sages Dogon, qui ont la connaissance profonde du sens ontologique de la parole. forment un tout indissociable. La Quinzaine littéraire. . août 1966
Une. comme le Créateur dont elle émane, multiple comme la création qu'elle signifie, la parole est justiciable d'un classement qu'il faut rattacher au classement plus vaste des êtres et des choses en « familles» entre lesquelles est établi un réseau de correspondances symboliques. Les paroles, au nombre de 48 (2 fois 24, nombreclé du monde dans la mythologie Dogon) s'ordonnent en deux séries de 24 commandées l'une par le Nommo et plutôt bénéfique et l'au-
puisqu'ils étaient connus d'avance. nous ne sommes pas convaincus. On ne fait pas sa part à la « naÏveté» phénoménologique et la fraîcheur de sa vision non infor· mée est d'ailleurs tout à fait absente de ces pages où la richesse et la solidité de l'information ethnographique ne doivent rien à une quelconque appréhension du vécu. Peut-être qu'après tout la « phénoménologie sociale» n'a guère de portée méthodologique dans les sciences anthropologiques
"''"~
dans son artiele célèbre sur « l'Alliance cathartique » où les insultes entre alliés « mangu» ( appelés traditionnellement parents à plaisanterie, mais à tort, on le voit dans ce texte) trouvent leur expli. cation profonde dans le mythe cosmogonique, c'est·à·dire dans la pensée indigène, l'auteur rapporte sans cesse les faits à la théorie et à la mythologie ou si l'on préfère à l'ontologie dogon. La culture dogon s'interprète elle-même tout comme la culture occidentale qui
"\-..... ,
~ "~.'"
tre par le Renard et plutôt néfaste. Elles correspondent à une technique, ou à une institution, à une plante, ou un animal, à un organe du corps humain; d'autre part elles se réfèrent à un événement ou à une séquence du mythe que justifie leur numéro d'ordre symbolique dans le classement. Nous passons sur ce long chapitre du livre dont l'étude critique n'a pas sa place ici pour en venir à la partie la plus neuve, la plus personnelle de cette thèse que l'auteur a intitulée La parole vécue (phénoménologie de la vie sociale).
•
Marquons tout d'abord que l'invocation de la méthode phénoménologique n'est guère justifiée ici. En dépit de l'argument avancé par Mme Calame-Griaule dans son avant-propos pour expliquer le paradoxe d'une phénoménologie qui fait suite à son exposé de la théorie et du mythe qu'elle ne pouvait faire semblant dedécouvrir au terme. de ses description!!
et ceci ne devrait pas choquer un auteur qui d'autre part se réfère au structuralisme et surtout à la psychanalyse. Disons que son éclectisme est plus dans sa recherche d'un parrainage doctrinal que dans sa démarche effective qui est fina· lement très classique dans toutes les études dogon. Depuis l'acquisition du langage par les enfants et toutes les précautions rituelles qui s'y attachent pour qu'ils demeurent porteurs de bonnes paroles, jusqu'aux formes les plus élaborées du discours poétique et sacré en passant par la parole dans la vie amoureuse, dans la vie sociale et dans la vie religieuse, Mme Calame-Griaule nous expose avec un luxe de détails, une précision, une finesse qui est sans exemple, à mon sens, dans la production ethnologique, la manière dont une société traÎte et maîtrise, dans sa pratique, cet univers de la parole qui n'est pas un double du réel, mais le réel lui·même. C'est pourquoi, comme le faisait Griaule
prétend posséder le langage de sa vérité qui serait aussi bien la vérité de son langage. Seulement, Mme Calame-Griaule moins « dogon » que son père, ou plus inquiète des impasses auxquelles peut aboutir une telle attitude, éprouve le besoin de superposer à l'interprétation en termes de pensée africaine un commentaire tantôt psychologique tantôt psychanalytique. Par ce moyen, elle entend faire entrer dans les cadres l'explication socio· logique courante, donc accessible au public, une culture que les ouvrages de M. Griaule et Mme G. Dieterlen préservaient jalousement de toute réduction préma. turée. En fin de compte, cette thèse, et ce n'est pas un mince mérite, nous expose avec force et clarté ce qu'est la science du langage et la métaphysique de la parole qu'ont forgé les sages Dogon, elle nous présente · une analyse minu~ 23
• • • •
une révolution •• technique au service de la réforme de 'ens' e-I I nement : ::: ::~n::r~:n:::e: l~::~~::; l . .. .. •
La parole chez
• • • •• •
les Dogon
tieuse des comportements institu• tionalisés liés à la parole mais on ne saurait dire que conformément à son titre, au demeurant peu satisfaisant et mal approprié à son contenu sinon à son projet, elle apporte une contribution neuve à la théorie des rapports entre société et signifiant indépendamment du recours à une psychanalyse plutôt psychologisante, la faute en incombe peut-être au parti pris qu'a eu l'auteur d'être le plus exhaustif possible alors qu'un approfondis• sement plus rigoureux de certains • faits bien choisis eût été beaucoup • plus payant. • On regrette par exemple que : dans le passionnant chapitre con• sacré à la parole dans la vie amou• reuse Mme Calame-Griaule ne soit • pas entrée plus avant dans la • rhétorique des échanges réglés •
• ": • • • •
• ••
• • • • : • • • • • • • • • • • •• • •
• 1 200 C,E.S. à construire en 5 ans 1 Seule, l'industrialisation du Bâtiment peut y parvenir. Dans le domaine scolaire, G.E.E.P.-C.I.C., le plus ancien et le plus important des Constructeurs (4000 classes édifiées en 6 ans, pour 150 000 élèves; 2500 classes pour la seule année 1966), • reste à la pointe de ce combat • Grâce au dynamisme de son Service" Recherches ", • à la puissance des moyens mis en œuvre, G.E.E.P.-C.I.C., ne cesse d'améliorer la qualité et le confort de ses réalisations et de justifier
la confiance grandissante qui lui est faite.
GEEP-CIC~ 22, rue St-Martin Paris 4-: Tél. 272.25.10 - 887.61.57 • 24
SOCIOLOGIE
Evelyne Sullerot Histoire de la Presse féminine en France des origines à 1848 Armand Colin ed. 228 p.
Jusqu'à des années récentes, les études sur l'histoire et la sociologie k:les femmes n'avaient guère de place dans « les sciences humaines». Cela ne faisait pas sérieux. Pour les historiens bourgeois et « mondains», les femmes ne présent,a ient d'autre intérêt que celui de leurs aventures amoureuses : Mme de Pompadour est toujours un « best-seller». Pour les historiens marxistes, l'histoire des femmes ne saurait être séparée de celle des classes. Il n'y a pas de problèmes spécifiques des sexes au point de vue historique. Les résistances à étudier l 'histoire des femmes, comme une catégorie à du couple, etc ... Les relations entre part, tiraient, donc leur origine de deux positions contraires. Les choses sont en train de changer. Mais sées et pourtant quel terrain d'élec- les résistances ne sont pas complètion pour une conjugaison des ' tement tombées, même chez ceux méthodes structurales et psychana. ,q ui se l'avouent le moins. Millélytiques! On peut d'autant plus naire, i< l'anti-féminisme» ne peut s'étonner que ces voies n'aient pas pas disparaître en quelques décaété explorées ici que déjà chez des, même s'il n'est plus aujourGriaule, dans l'article que' nous d'hui qu'inavouable et larvé. avons cité, sé trouve, simplement en passant, il est vrai, mise en Parmi les historiens et socioloévidence la relation structurale gues qui se sont attachés à l'étude entre la parole de la devi~e et ingrate des femmes, Evelyne l'impur cathartique, discours iden- Sullerot prend aujourd'hui la tiques dans leur fonction (purifier, première place. Ses livres sur La augmenter la force vitale du sujet) vie des Femmes et Demain, les mais inversés dans leur procédé. femmes, montrent qu'elle a fait le tour de la question. Aujourd'hui, Ces regrets que ne peut man- elle nous livre le résultat de ses quer de formuler le lecteur frappé longues recherches aux Archives par une telle richesse de matière Nationales, à la Bibliothèque Naà penser, sont à la mesure de ce tionale, etc., sur 'les journaux que cet ambitieux et partant esti- féminins en France du XVIIIe mable ouvrage laissait espérer siècle à 1848. Sous son titre modesaux modes de compréhension qui te, l'ouvrage est monumental et ont cours dans nos milieux scienti- fait avancer les recherches sur la fiques. Cette barrière protectrice « mentalité » (le mot est à la mode) par laquelle la fidélité scrupuleu- féminine beaucoup plus que de se à l'auth'1ntique 'pensée dogon pesantes et hâtives synthèses (Le écartait la généralisation banali- deuxième sexe de Simone de Beausante, Mme Calame-Griaule, il faut voir, par exemple). C'est de ce bien le dire, l'a quelque peu genre de monographies dont nous entr'ouverte. Les dichotomies qu'el- avons besoin afin d'y voir un peu le invoque celles fondées sur plus clair. A la fin du XVIIIe siècle (1785), l'opposition du Amma et du Renard, du bien et du mal, de l'ordre 80 0/0. des femmes ne savaient et désordre, de la bonne et mau- même pas signer leur nom, pour vaise parole, etc... la manière dont 56 0/0. des hommes. Cette simple elle s'y rattache, l'opposition des constatation prouve que les joursexes, la nécessité où elle se trouve naux de femmes ne pouvaient de les corriger sans cesse, notam~ guère atteindre qu'une très faiblé ment en avançant la notion pour minorité de bourgeoises et d'ariselle essentielle de la femme , et de tocrates. Le droit romain, si défal'ambiguïté des rapports hommes/ vorable aux femmes, l'a définitivefemmes, tout cela relève ' d'une ment emporté sur le droit coututhéorisation hâtive fondée sur . les mier qui leur reconnaissait quelconceptions' décevantes de l'équi~ ques libertés. Le relâchement des libre et de l 'humanisllle dogon, mœurs leur est pourtant assez comme si ce label manquait propice : les philosophes et nombre à la considération que nous pou- de femmes réclament le droit au V,9DS porter à cette culture et à ce .divorce. Mais Rousseau, profondément antiféministe, veut les ramep~uple. Alfred Adler net au rôle ' exclusif d'épouses et de mères. Le JDurnal des Dames (17591. M. Griaule et G. Dieterlen. Le Renard 1779) est le premier périodique pâle. Institut fEthnologie, Musée de féminin. Le vocabulaire « citoyen », l'Homme, Paris.
~~:~s::~:~:~~ :~:té~i~;ineé:~~:
Nous, les feDlDles
« patriote », « national », annonce déjà les temps nouveaux. Les aspirations des femmes vers « l'humanisme féminin », expression que je préfère à « féminisme »,s'y exprime dans des plaintesconfuses. Mme de Montenclos : Qu'importe à notre gloire que les hommes adorent les charmes que ' la nature nous a donnés, s'ils veulent dénigrer les vertus ou les talents que le ciel nous a départis. On y trouve aussi un plaidoyer pour Mlle Polly Baker, qui eut cinq ,enfants illégitimes et les éleva. Les réflexions sur le mariage sont si hardies qu'aucun magazine féminin ne les publierait aujourd'hui. Le mari est « ennuyeux », ,et l'on ne trouve que peu de références à la famille. Cependant, on donne quelques préceptes pour l'éducation des enfants. Il ne faut pas les bercer de contes ridicules, ni leur infliger des châtiments, ni leur faire de , vaines promesses. Il faut respecter leur caractère et La' Quinzaine littéraire, août 1966
utiliser leur curiosité naturelle :
Je voudrais qu'ils apprissent les sciences avant de savoir qu'il y a des sciences. On y prône, selon Rousseau, l'allaitement maternel. La mode y tient peu de place, mais d'une manière savoureuse. Qu'estce qu'uh « pouf »? On a voulu imiter là les jardins anglais et offrir sur la tête d'une jolie femme toutes les belles productions de la nature tels les épis de blé, les gerbes et même des sources d'eau. pes réclames apparaissent : la graisse d'oprs fabriquée par les sauvages fait repousser les cheveux. Le savon se déguise sous cette périphrase digne de l'abb~ Delisle : pâte de propreté en usage chez les Orientaux dans les harems. Mais laissons ces badinages. La Révolution de 1789 commence avec son total bouleversement des valeurs. Ya-t-on reconnaître aux femm~s ces droits qu'on reconnaît à tous les êtres humains? L'on a accordé aux nègres leur affranchis-
sement... serait-il possible que la nation fût muette à l'égard des femmes? (Etrennes nationales des Dames). Le 5 octobre, les femmes sont allé chercher à Versailles Louis XVI et sa famille, et les ont ramenés à Paris : Va-t-on leur reconnaître le droit à une représentation féminine à l'Assemblée nationale? Parmi les journalistes, on relève les noms de Louise-Félicité de Keralio, de Mme de Beaumont, d'Etta Palm d'Aelders, dont les revendications font écho à la Déclaration des Droits de la Femme d'OIYJ1lpe de Gouges. Pauvre Olympe qui allait payer de sa tête le seul droit que les femmes aient obtenu celui de monter " 'sur l'échafaud. Car les Conventionnels, Robespierre, Marat, Hébert, Chaumette, tous disciples de Rousseau, haïssent les revendications politiques des femmes. Robespierre dissout leurs clubs, considérant que les
femmes ne sont point appelées dans l'ordre actuel des choses et par l'organisation qui leur est propre à exercer aucun droit civique. Plus de clubs donc, ni de journaux. La période folle du Directoire voit ressortir une presse féminine légère, blasée, cynique, à l'image du temps. Pour le Journal des Dames et des Modes qui battra tous les records de longévité et vivra quarante ans (1797-1839), la femme est redevenue un objet de plaisir. Le directeur, Pierre de la Mésangère, préfère les petites maîtresses aux Amazones Nous condamnons les femmes à n'avoir que des , grâces. , C'est aussi l'avis de Napoléon 1er • On prend le vent. En 1802, avec le Concordat, on renvoie les femmes à l'Eglise. La plus jolie Jemme de Paris se met en quêteuse à l'Eglise Saint-Roch. En 1811, la tristesse devient à la mode. Le mal du siècle ~om mence. On déplore le mauvais esprit de la jeunesse niaise, mauvaise, i1l!!écente. L'autorité paternelle est nulle, on ne respecte plus les vieillards. Il faut réagir. Les lycées de l'Empire renvoient les garçons, tambour battant, au latin et aux mathématiques, tandis que les filles sont éduquées pour devenir les gouvernantes de leurs enfants. En 1808, un journal féministe, l'Athénée des Dames, qui réclame pour les femmes l'instruction et la dignité d'être' humain, échoue complètement dans ce cUmat de réaction militaire. La Restauration rend à la presse la liberté que l'Empire lui avait enlevée. Le Journal des [James et des Modes continue imperturbablement sa carrière à travers tous les r~gimes . Mais d'autres prolifèrent. On est royaliste, aristocratique, catholique. La charité est l'exercice mondain des femmes distinguées : Les larmes sont partout essuyées et c'est encore du sein des plaisirs que partent les consolations. La femme à l'église, au foyer, aux enfants ; et surtout, pas de politique. L'ennui ne vient , que du manque de religion. Il fa1.lt bien pourtant distraire ces dames. On leur donne des contes arabes, turcs, chinois. ' L'exotisme est à la mode, ainsi que les horoscopes. Entre la rue Vieille du Temple et la Madeleine, il y a cinquante sorciers et sorcières qui vivent fort bien de leur industrie. Le mot « romantique », à partir de 1819, fleurit à chaque page. Tout est « moral », « sacré », « religieux », « vague », « immense ». Si, après la révolution de 1830, les journaux de mode continuent à se multiplier, une autre presse féminine apparaît, . témoin des temps nouveaux. L'industrie se développe; les penseurs socialistes, dits « ,utopistes », Saint-Simon et les Saint-Simonien.s, Fourier, Cabet ont posé la question de la femme , , en même temps que celle du prolétariat. Créée par des ouvrières lingères saint-simoniennes, Désirée , ~ 25
~
Veret, Reine Guindorff, la Tribune des Femmes (1832-1834) défend vigoureusement la cause des femmes en même temps que celle des travailleurs : Avec l'affranchissement de la femme, viendra l'affranchissement du travailleur. Li· berté pour les femmes, liberté pour le peuple, par une nouvelle organisation du ménage et de l'industrie. Egalité entre tous des droits et des devoirs. Les publications bien pensantes, le Figaro, la Revue des Deux-Mondes se moquent de ces lingères qui auraient mieux fait de fonder un magasin de lingerie. A ce journal collabore Jeanne Deroin, que l'on retrouvera en 1848, dans les clubs et l'organi-· sation du travail, Pauline Roland (qu'Evelyne Sullerot a omis de citer), Suzanne Voilquin. Toutes les questions sont posées à la fois. Ces femmes qui ont souffert de leur · double condition de femme et de travailleuse réclament une meilleure instruction, une formation professionnelle, le droit au travail, qui peut seul leur assurer leur dignité d'être humain, l'égalité des salaites, l'affranchissement du mariage et même, la liberté sexuelle (Claire Demar). Les autres vont moins loin, mais refusent la soumISSIon de la femme dans le mariage : Plutôt le célibat que ['esclavage, et réclament le rétablissèmeilt du divorce. Mais tout est conditionné par la nécessité de gagner personnellement sa vie, d.' exister dans la société sans médiateur, mari ou amant: Avant... d'être libres moralement, nous devons l'être matériellement (Suzanne Voilquin), ce qui est poser le problème en termes très justes. A côté de la lucide et vigoureuse Tribune des Femmes, le Journal des Femmes de F~Jmy Richomme (1832-1838), catholique et bourgeois, paraît bien pâle. Ces bonnes bourgeoises demandent cependant lemoit au divorce, parce que le mariage est devenu un « trafic », dont la jeune fille est l'enjeu. Le travail d'Evelyne Sullerot s'arrête à la veille de la révolution de 1848. Souhaitons qu'elle puisse le continuer ou le confier à des étudiants. Une monographie du journal La Fronde, .par exemple, serait indispensable pour une histoire totale des femmes. L'on ne peut que souscrire à la conclusion d'Evelyne Sullerot, qui oppose les journaux de femmes écrits par des hommes (la presse du vous) à ceux qui sont écrits par les femmes (la presse du nous) : La presse du nous davantage liée à la situation politique et économique du moment, retrace l'histoire des tentations de l'action. Elle apparaît comme le témoin d'une immense frustration de puissance qui fit peu de bruit. Evelyne Sullerot nous montre que l'étude de ces journaux éphémères, maladroits et décriés, est un jalon essentiel de l'histoire de l'humanisme féminin en devenir. Edith Thomas 26
.
Une nouvelle conscIence ouvrlere
Nous, les femmes
Alain Touraine La conscience ouvrière Le Seuil, éd. 400 p. Un tel livre n'est possible que dans une société industrielle : Alain Touraine démontre · que l'analyse des attitudes ouvrières ne peut s'effectuer dans la période d'industrialisation, où la condition ouvrière apparaît comme une contrainte, où situation et attitudes au travail sont englobées et dissoutes dans une même réali~é, la misère. La notion d'attitude au travail surgit lorsque, dans une société développée, la population ouvrière ne subit plus seulement son travail : l'enquête d'Alain Touraine montre que 44 à 66 % des ouvriers interrogés ne ressentent pas uniquement leur travail comme un fardeau. L'entreprise et son chef restent un obstacle entre le travailleur et son œuvre, ils sont aussi perçus comme une médiation nécessaire de l'un à l'autre, et non plus comme de simples parasites. La misère n'autorisait que la soumission absolue ou la révolte pure, la positivité relative du travail, son organisation dans la société indu,,-trielle donnent à l'ouvrier des possibilités, encore limitées, d'intervention dans le système : le bilan de l'expérience de travail n'étant pas entièrement négatif, les travailleurs peuvent chercher à l'améliorer et possèdent une certaine capacité de faire varier leurs canditions de travail en même temps que leur niveau d'attentes. Alain Touraine distingue trois éléments constitutifs d'une situation des individus, des de travail moyens d'organisation et une politique - qui l'amènent à dégager
.~
trois systèmes d'analyse : étude de sique, le travail professionnel se déla satisfaction pour l'individu, de compose, remplacé par le travail à l'intégration et de l'adaptation pour la chaîne et le taylorisme; ·un poul'organisation industrielle, de la li- voir d'organisation apparaît. Cette berté pour la décision politique. Ces phase B, dans laquelle se trouve trois systèmes d'analyse se rappor- encore la majeure partie de l'industent à trois systèmes d'action : trie française, n'est pour Alain Toud'abord l'individu qui gère les ten- raine ni un point d'aboutissement sions créées par ses besoins et les ni mê91e un état durable ou un moyens de réduire ces tensions ; moment autonome, mais une phase ensuite le système social de l'entre- transitoire entre A et C. L'évoluprise qui est plus ou moins cohérent tion ne se fragmente ni ne s'arrête, et intégré ( ... ) ; enfin la conscience la phase B résulte d'une rencontre ouvrière, c'est-à-dire le système entre les contraintes et les données d'exigences défini par le travail lui- d'un système de travail qui dispamême, double valorisation de la raît et les exigences d'un nouveau créativité et du contrôle du · travail- système dont les traits apparaissent leur sur ses œuvres. déjà dans certaines industries de Alain Touraine retrouve ce ry- pointe qui le préfigurent. thme ternaire dans le système de _ production - systèmes d'exécution, L'auteur étudie l'évolution de la d'administration, de décision - , conscience ouvrière en fonction de dans la typologie du travail ouvrier cette transformation du travail ou- où se succèdent les phases de vrier. Il se fonde sur une enquête l'autonomie professionnelle, de la , - un peu ancienne: 1956 - , me· décomposition du système profes- née par questionnaire auprès des · sionnel, du système technique ~ ouvriers de sept secteurs industriels susceptibles dé représenter les didans la méthode sociologique structuralisme ou analyse de la per- verses étapes de l'évolution. Il ne sonnalité ouvrière, fonctionalisme cherche pas à partir de cette enquêou analyse de l'adaptation au tra- te, à dresser un catalogue des opivail et à l'entreprise,actionalisme nions des ouvriers sur différents ou analyse du système d'action his- problèmes, mais à définir une attitude ouvrière pour étayer une ~ torique. cherche théorique qui dépasse de Ce schéma général fonde une loin les résultats de l'enquête elleanalyse sociologique de l'évolution même. La conscience ouvrière s'analyse du travail ouvrier : le travail ouvrier passe de la phase A, que selon . trois principes : le principe caractérisent l'autonomie profes- d'identité qui est, plus encore que sionnelle et l'intervention directe la définition d'un groupe d'appardes mécanismes du marché dans tenance, la définition d'une contrila situation du travailleur (salaire bution, d'une fonction sociale et aux pièces), au-delà de toute donc le fondement des revendicamédiation de l'organisation sur tions ; le principe d'opposition, l'éxécutiOJi. Durant la phase B, que c'est-à-dire la définition du groupe représente la grande industrie clas- antagonistè et plus précisément
Les idées majeures
~~ Fo~~urast~~ mm,,~ ,ap~k, ~m.
Ü m celle des obstacles au contrôle des 1 travailleurs sur leurs œuvres ; le Les conditions mes d'action à la réflexion scienprincipe de totalité qui définit le de l'esprit scientifique tifique... et plus généralement les champ social dans lequel se situe la Coll. Idées Gallimard, éd. jeunes hommes moyens pour qu'ils relation définie par les deux priny trouvent des moyens de progrès. cipes précédents. C'est-à-dire que Il va même plus loin: la quantité Idées majeures dans sa solidarité et dans ses luttes, d'information croissante... perturbe Médiations, Gonthier, éd. le mouvement ouvrier n'est pas gravement l'unité de la personnaseulement, la plupart du temps, une lité. Pour lutter contre cette démoforce de négation, mais un mouveCes deux livres procèdent d'une ralisation, il faut que chaque perment positif qui se définit par la seule et même pensée. Ne pas sonne dispose d'idées générales, revendication de rétributions, de lire Idées Majeures, c'est ne suffisamment adéquates au réel droits, ou d'une autre société. pas comprendre l'origine des. pour que la multitude des inforLa conscience ouvrière ne se ré- questions que se pose Jean ,F ouras- mations quotidiennes soient , ac.duit pas à la conscience de classe : tié. Omettre les Conditions, ce cuèillies, classées, assimilées, enla conscience de classe n'est pas la serait croire qu'il hésite, t~tonne registrées; comprises par le cerveau forme pleinement développée de sur la voie qu'il a choisie1 • . (LM., 145). toute conscience ouvrière, la vérité Pour le lecteur, c'est un grand Quelle est cette méthode, quelles permanente de celle-ci, mais un enrichissement de suivre la pro- sont ces idées générales ? moment particulier de la conscien- gression d'un esprit fertile en idées D'abord, savoir et dire ce que ce ouvrière. La conscience de classe et en faits. Formé aux techniques nous ignorons: nos professeurs et surgit de la conjonction d'une cons- de l'ingénieur, praticien des opé- nos savants s'épuisent à enseigner cience de groupe - appartenance rations financières, attiré par la ce qu'ils savent et n'ont 'ni le temps à la classe ouvrière - et de la cons- recherche économique, Jean Fou- ni le goût de parler de ce qu'ils ne cience d'un nouvel ensemble histo- rastié aurait pu glisser vers une savent pas.. . Il faut construire la rique - la société industrielle. La étroite spécialisation. Pris par le science de l'ignorance. L'ignorance conscience de groupe est apparue courant des mathématiques qui n'est-elle pas la contrepartie natulors de la phase A, dans une so- s'infiltre de partout dans les scien- relle de l'étonnement, faculté esciété proto-industrielle dominée par ces humaines, il aurait pu s'en- sentielle qui fait le bon chercheur? le métier et le profit. L'idée d'un fermer dans quelque modèle. Tout C'est le déterminisme qui, appliqué ordre industriel naît au début de la le contraire s'est produit: du par- aux sciences sociales, à l'économie, phase B, lorsque s'engage le proces- ticulier, Jean Fourastié remonte au aboutit à une image déformée du sus qui mène au système technique général, va vers la philoso- réel, c'est le raisonnement 'rade travail. Les deux éléments cons- phie, stade ultime disait, je crois, tionnel qui est en même temps titutifs de la conscience de classe B. Russel" pour l'homme intelli- qu'une arme indispensable un sont contradictoires : pour Alain gent. Voici Jean Fourastié à la piège insidieux. Issue de notre Touraine, la société industrielle est quête de la vérité, aspiration et cerveau, la pensée rationnelle corpar définition une société de masse, devoir du savant, du chercheur. respond à notre réalité intérieure; III conscience de ce système historiLa connaissance de l'économie linéaire, elle ' n'est pas accordée à que tend à dissoudre la conscience connaît une crise , d'autant plus la complexité de l'univers sensible; de groupe au moment où le métier sérieuse qu'elle est latente, dissi- recourant à. l'abstraction, elle tend et le profit cessent de jouer un rôle mulée - pour combien de temps à simplifier, à mutiler la diversité primordial. Là conscience de classe . encore? - sous d'apparentes cer- et l'immensité du réel. Le détern'est possible qu'au moment très titudes qui n'ont aucun fondement. minisme n'est que relatif: rien ne précis de l'évolution sociale où les On l'entraperçoit, cependant, dans deux ,' éléments se superposent et le conflit qui oppose deux modes coexistent : elle est le « coup de de pensée, l'un d'ailleurs aussi intonnerre » qui marque la naissance complet que l'autre. D'un côté, des de la société industrielle. A mesure concepts, des thèses, des « lois », qu'on pénètre plus ' profondément venues d'un passé brillant et condans la civilisation industrielle ( ... ) fus, ont déterminé et déterminent se forme la nouvelle conscience encore les attitudes du grand nomouvrière, ou, à défaut, une simple ' bre et les , actions des hommes conscience de la stratification et des d'Etat et d'affaires. Ces concepts, tensions qu'elle entraîne entre stra- ces thèses, ces lois, infirmés par tes et catégories. la vie, démentis par la réalité A travers l'étude de la conscience s'émiettent, se dispersent, s'écrououvrière, l'auteur retrouve la théo- lent. Ils ne peuvent suivre le rie des sociétés industrielles qu'il rythme des conn.aissances scientifiavait proposée dans Sociologie de ques et techniques, des nécessités . l'action. On peut contester certaines sociales car les sciences humaiet plus spécialement la analyses, certaines conclusions : il nes reste que la mise en rapport des dif- science économique - ne sont pas férents aspects de l'évolution des nées dans l'ordre qui eût été désisociétés industrielles, que la systé- rable pour la satisfaction des bematisation, dans une perspective soins humains. De l'autre côté, une dynamique, des résultats obtenus minorité active croit avoir trouvé, Jean Fourastié par la sociologie du travail brisent par la mise en œuvre d'outils made vieilles analyses par clichés suc- thématiques ou statistiques, par l'usage de prodigieuses machines, préexiste, . absolu, valable dans tous cessifs. le moyen de tout connaître et de ' les temps, dans tous les lieux. Il La Conscience ouvrière apporte tout comprendre. Des dogmes rem- n'est que l'une des trois formes un schéma historique à l'étude de placent d'autres dogmes, des con- de relation qui unissent les faits la classe ouvrière. L'ouvrage ne vise cepts prennent la place d'autres du monde réel. Le réel, en effet, pas seulement à fournir des résul- .concepts. Dans les . deux cas, la se décrit soit par les relations .détats et des descriptions, mais à in- connaissance omet le sujet essentiel terminées, s9it par les relations troduire, parmi les instruments de de l'économie, l'homme. Cette aléatoires (dans ' LM., Foura~tié la science sociologique, un nouveau crise, ces conflits, Jean Fourastié rend un vif hommage à Pierre mode d'analyse: cet effort ne con- les sent - me semble-t-il de Vendryès pour aVQir le premier damne ni d'autres méthodes ni façon aiguë- puisqu'il les constate introduit l'idée de l'aléatoire dans les sciences sociales), soit enfin par et qu'il en indique les remèdes. d'autres systèmes. Frédéric Bon Certes, il s'adresse au chercheur, les relations conditionnées, celles Michel-Antoine Burnier à l 'homme de science mais qui supposent qu'une action résul-
La Quinzaine littéraire, .août 1966
te de l'action d'un « Autre .» être, objet, nature (relations auxquelles sont attachées les noms de Von Neumann, un mathématicien, et d'O. Morgenstern, un économiste). Nous voici au centre ' de la réf~exion de . l'auteur : la loi, l'ordre est un stade sinon faux, en tout cas inutile de la pensée scientifique. L'observation et l'expérience sont les sources primordîales de la connaissance du réel. Fourastié rallie donc le parti des expérimentaux" derrière l'illustre Claude Bernard. Mais avec une ' différence essentielle. Pour l'auteur de l'Introduction, l'hypothèse était liée à l'observation; elle s'en dégageait en quelque sorte naturellement, ouvrant la voie à l'expérimentation. Fourastié, lui, ne souscrit pas à l'opinion commUne que l'acte scientifique fondamental est l'élaboration de l'hypothèse à partir de faits donnés: le progrès scientifique vient d'abord de l'accroissement du nombre des faits donnés, de l'accroissement du stock d'observations sur lequell'hypothèse peut prendre appui. Ainsi, priorité à l'observation et spécificité, cela, entraîne une démarche dichot'ome: . l'hypothèse est une ' étape ultérieure - et p.on comme pour Claude Bernard, une démarche simultanée, parallèle.
t'a~t de l'invention, l'heuristique, sont encore entourés d'épais nuages. Or, je ne sais, pour moi, rien de plus créateur que de réunir des faits,de les rassembler, bref d'observer. Le courant de l'observation . crée souvent l'étincelle, si j'ose dire. Si l'un observe, l'autre pourra-t-il créer, inventer? Observare primum, j'en reste persuadé. Egalement que l'hypothèse est faible si elle ne s'appuie pas sur les faits. Je vois aussi combien nous devenons riches d'observations grâce aux merveilleux moyens de reproduction, de transmission, ,de mémoire que nous donnent les techniques modernes. Mais s'il faut retrouver un nouvel équilibre - ou si 'nous y sommes obligés par la gravité des chosès, alor~, il faut songer à des formes nouvelles de travail, à des communications de type original. , ' La méthode expérimentale peut, doit désormais s'appliquer aux sciences humaines: Jean Fourastié y voit une nécessité, une urgence supérieures. Car, dans ces sciences, trop d'hypothèses sans fondement sont tenues pour lois, trop d'observations sont rassemblées sans précaution ni probi~é. La vérification qui remplace ici l'expérimentation des sciences physiques ~ est négligée, ignorée, vc;>ire méprisée. Et l'auteur de citer, parmi ces hypothèses jamais vérifiées, ces lois tenues pour certaines, ces idées pour indiscutablès .: la plusvalue marxiste, la négation entre ~ 27
A MARSEILLE ~
Les idées majeures de Fourastié
~
1850 et 1940 du progrès technique, d'un long terme constitué par du les espoirs entretenus sur la pla- court terme mais non identique à lui ... nification. Ainsi, pour sortir de l'impasse A appliquer la pensée scientifique ~ aux sciences humaines où mène normalement l'expériet plus spécialement à l'économie mentalisme, Jean Fourastié - qui est une nécessité d'autànt plus repousse le matérialisme, qui (tel impérieuse que les sciences A. Huxley) conditionne la fin aux physiques continuent de pro- moyens puisque ceux-ci détermise représente un gresser en exclp~nt l'hum~in; au nent cene-là point que ceux d?entre nous qui homme scientifique et religieux, ttnt essayé et qui essaient encore un homo idealus: il utilise la de les prendre comme point d'ap- méthode expérimentale pour compui pour élaborer des sciences prendre le monde, donc seul le humaines ne sont parvenus qu'à court terme lui est accessible, prédes impasses. De sorte qu'au lieu visible, et il ne peut, par nature, de nous faire gagner du temps, avoir qu'une seule idée claire à les sciences classiques nous en ont opposer à la multiplicité des situafait perdre (LM., 153). Et c'est ce tions. L'unicité de la pensée clàire retard pris par: les sciences hu- implique le court terme, la méthomaines qui explique la proliféra- de expérimentale montre que le tion et la virulence des idéologies court terme diffère du long terme, en ces matières. Ce que nous ap- lui est hétérogène. D'où quand pelons le déclin des idéologies est l'homme s'interroge sur la durée en réalité la naissance de l'esprit de son être, il constate la contradiction de sa conscience et de son scientifique expérimental... L'un des faits les plus impor- expérience. La conscience lui fait tants des annéits que nous vivons concevoir son moi comme existant me paraît être que les hommes qui, sans limite de temps; l'expérience depuis trois ou quatre cents ans, (mais seulement par la perception ont commencé d'apprendre la mé- des autres hommes) lui apprend thode expérimentale dans les que son èorps èst mortel. Il est sciences physiques sont sur le naturel 'dans ces conditions que point de comprendre que cette l'homme élabore (ou plus exacteméthode expérimentale s'applique ment ait conscience de) une duaaussi aux faits humains, à l'éco- lité âme - corps (LM. 239). nomie, à la politique, à nos conAdmettre la nécessité d'une moceptions de l'histoire et du monde, à la philosophie, à la métaphysique rale, d'une religion - n'est-ce pas le propre du finalisme "- non dans même. le principe, mais dans le fait, dans Philosophie, métaphysique nous sommes à l'extrémité de' la la représentation de cette .morale, pensée de l'auteur, aux limites de de cette religion fixés au départ donc excluant à tout jamais la science dernière partie de l'ouvrage. La prise ,de conscience l'expérience? Car si la vie morale du monde par et à partir du fait est donc un effort difficile et préobservé, se heurte toujours au caire pour reconnaître et surmonmême obstacle: et quoi de ce qui ter celles des impulsions du court ne peut être observé? Faut-il le terme qui sont génératrices d'ernier, le rejeter? Valéry dissimu- reurs à long terme (LM., 190), lait son embarras, devant ce di- n'est-ce. pas que l'on s'est fixé ce lemme, par un' feu d'artifice qui était non-erreur? Et puis, c'est des morales, des (l'Idée Fixe). Mais, pour Fourastié, nous devons être conscients que la religions, qu'il faut dire. Alors par science expérimentale quoiqu'elle 'quel mécanisme verra-t-on chasoit notre seule lumière pour la cune d'elles :évoluer, s'adapter aux connaissance de la réalité seliSible, faits, à la comparaison avec les ne répond et ne peut répondre qu'à autres? Comment expliquer l'arune part relativement 'restreinte rêt de certaines morales, de cerdes besoins des hommes. Dar:z,s le taines civilisations, le' progrès des monde qui nous est donné, la autres? Si la méthode était uniscience implante des oasis ~d'ordre, formément valable, si les nécesde calcul, .d'efficacité; mais exis- . sités se faisaiènt sentir de même, tent, demeurent et deviennent toutes les morales, toutes les red'immenses forêts d'ignorance, ligions devraient évoluer de même d'erreur, de passion, de souffrance, . et . toutes vers une? Les questions posées par Foud'inquiétude. L'esprit expérimental implique (linsi la connaissance, rastié auront le résultat de ramela légitimité, la nécessité des re- ner le débat de la connaissance cherches philosophiques et des sur le terrain solide de l'eXpérience valeurs moral~s et religieuses. La - en un moment où, au rythme conscience des limites de la scien- croissant des outils dont nous disce, d'une part le besoin qu'a posons, l'on croit pouvoir se passer l'homme d'une cosmogonie et de m:éthode. M. Marantz d'une morale d'autre part - c'est la justification d'une philosophie, fait, l.M. contient deux parties disd'une religion. L'expérience est En tinctes. impuissante à permettre la con- Celle qui complète ·les « Conditions II est naissance par l'homme des évolu- la seconde : Pensées pour demain. La tions ultérieures puisqu'on ne peut première partie passe en revue des proobserver que le passé et que l'ave- blèmes « majeurs II dans l'économie contemporaine. L'auteur y fait preuve nir est différent du passé. Ainsi comme ailleurs - d'un remarquable sens l'expérience démontre l'existence des réalités chiffrées, concrètes. 28
Léger rapporte l'anecdote suivante : Je me rappellerai toujours une année où, plaçant au Salon d'Automne, j'avais l'avantage d'être voisin avec le Salon de l'A viation qui allait s'ouvrir. l'entendais à travers les cloisons les marteaux et les chansons des hommes de la machine. Je franchis la frontière et jamais, malgré mon habitude de ces spectacles, je ne fus autant impressionné. Jamais pareil contraste brutal n'avait frappé mes yeux. Je quittais d'énormes surfaces mornes et grises, prétentieuses dans leur cadre, pour les beaux ob jets métalliques durs, fixes et utiles, aux couleurs locales et pures, l'acier aux infinies variétés ' jouant à côté des vermillons et des bleus. La puissance gé0ntétrique des formes dominait tout cela. n raconte ensuite comment les mécaniciens de l'exposition lui demandèrent l'autorisation de venir visiter. le Salon d'Automne et comment ils s'extasiaient devant des Léger: La Joconde aux clefs. détail.
toiles innommables. Puis il conclut : Je reverrai toujours un gamin de seize ans, les cheveux rouge feu, une veste de treillis bleu toute neuve, un pantalon rouge et une main tachée de bleu de Prusse, contemplant béatement des femmes nues dans des cadres dorés ; sans s'en douter le moins du monde, avec son accoutrement d'ouvrier moderne éclatant de couleur, il tuait tout le Salon, il ne restait plus rien sur les murs que des ombres vaporeuses dans des cadres vieillW. . L'anecdote est significative. Peintre de la civilisation machiniste, peintre de l'objet, peintre de la modernité, tel apparaît Léger onze ans après sa mort survenue en 1955 et tel il apparaît aussi à l'importante rétrospective que lui consacre actuellement le Musée Cantini à Marseille. Son aventure .picturale commence avec le cubisme, mais sans qu'il fasse partie du groupe du ' BateauLavoir. Contrairement à Picasso ' et
Léger, précurseur du pop-art? Braque préoccupés à l'époque de casser la figuration illusionniste traditionnelle, de déhancher l'espace euclidien, d'élaborer une perspective à entrées multiples, ce qu'il recherche ce sont les contrastes de formes. II prend au sérieux la phrase dans laquelle Cézanne explique à Emile Bernard que tout, dans la nature se ramène à des emboitements de cubes, de cônes, de cylindres et il peint des œuvres fortes, capables d'exprimer notre société. Alors que les autres cubistes, en outre, modulent les bruns ' et les gris, il utilise, avec u~e rigueur architecturale, les aplats colorés. L'idée essentielle, cependant, autour de laquelle Léger organisera sa peinture est celle de figure-objet. Le sujet n'étant plus personnage principal, écrit-il, l'objet, élément nouveau, le remplace. A ce moment dans l'esprit de l'artiste moderne, un nuage, une machine, un arbre sont des éléments de même intérêt que les personnages ou les figures. Cela veut dire que pour moi la figure humaine, le corps humain n'ont pas plus d'importance que des clés ou' des vélos). Dans les années où il les peignait, durant l'entre deux-guerres, le public considérait ses nus inexpressifs comme des robots. Aujourd'hui encore, nombreux sont ceux qui les refusent au nom du goût en même temps qu'ils y voient le signe de la réification dont souffre, à les en croire, l 'humanité contemporaine. En réalité, Léger ne poursuivait pas d'autre but que de déniaiser la peinture. II s'agissait dc rompre avec la sentimentalité littéraire dans laquelle avait sombré l'art hérité de la Renaissance et la nouveauté c'est que ses modèles, loin de les recruter dans les beaux quartiers, il allait les découvrir dans les bals populaires où il savait pouvoir trouver des filles aux cheveux plaqués et des hommes aux profils de médaille. Des toiles comme Femme dans un intérieur, de 1922, ou Nu sur fond rouge, de 1927, qui figurent à l'exposition, possèdent une grande beauté pour qui prend la peine de les lire. Mais cette beauté est d'abord picturale et ensuite seulement, dans leurs corps immenses, se révèlent la tendresse et la grâce. La nature morte, d'autre part, centrale dans toute la peinture cubiste, accède chez Léger à un dépouillement exceptionnel. le suis un classique, je pars de l'objet sec, a-t-il pu remarquer. Du point de vue du thème, il s'éloigne ici une nouvelle fois de Picasso et Braque à qui il abandonne les guitares ou les pichets, et il choisit de représenter dans ses tableaùx des ustensiles d'usage courant, fabriqués en grande série, tels que des parapluies, des chapeaux, des fers à repasser, des accordéons. Il s'en distingue fondamentalement par l'effort qu'il fait pour arriver à la froideur et à la monumentalité. Le peintre du machinisme n'a jamais reproduit de machines dans La Quinzaine littéraire, août 1966
Léger: Etude pour trois musiciens, 1930.
ses toiles. Tout au plus y rencontret-on des fragments de roues, des disques de signalisation routière, des montages imaginaires où interviennent des pistons et des bielles. En revanche, chacun de ses ouvrages participe pleinement de notre civilisation ; des objets techniques, ils partagent le mode d'existence ; qu'ils représentent des papiJlons ou des êtres humains, ils en possèdent l'économie. Leurs formes agissent sur notre sensibilité et sur notre esprit comme agissent les machines. Ses tableaux de la période américaine, enfin, dans lesquels Léger disjoint le contour de ses objets ou de ses personnages et l'armature colorée poussent jusqu'à un point extrême la volonté qu'il avait toujours affirmée de créer un grand art mural en accord avec nos édifices de béton et nos cités tentaculaires. Les visages de femmes entourées de fruits, de branches feuillues , d'oiseaux, de racines, y déroulent les infléchissements d'un dessin linéaire très simplifié, tandis que les rectangles de bleu, d'orangé et de rouge y distribuent l'espace, le dé-
ploient, l'animent à travers la surface de l'écran plastique. Ils seront suivis des Con.structeurs et de la série consacrée au Cirque où Léger, malgré une invention dans laquelle on reconnaît le créateur, cède peut-être trop à l'idéologie littéraire du « réalisme socialiste » . II n'est pas rare qu'on reproche à Léger son absence de lyrisme_ On en conclut parfois qu'il manquait de sensibilité. C'est ne pas comprendre que, sa vie durant, il s'est attaché, au contraire, à détruire de manière systématique la petite sensation liée au tableau de chevalet afin de se hausser à l'expression d'une sensibilité collective, aux dimenIlions de nos stades et de nos usines. II suffit de se reporter à ses toiles du début, telles que Réveil matin ou Paysage, exécutées en 1913, pour constater combien il jouait avec une habileté totale sur les nuances et les modulations. Son problème consistait à éliminer, comme le firent David et Poussin, l'écriture artiste et de parvenir à un maximum d'objectivité.
Peu de temps avant de mourir, Léger s'était rendu à Prague où il désirait assister aux Spartakiades. A son retour, enthousiaste, il écrivait : Des kilomètres de cuisses, de pieds, de bras levés, de figures blondes souriantes dans le soleil. L'action des corps qui se baissent. Cela jamais vu, jamais cru possible. II expliquait son émotion d'avoir vu 20.000 gymnastes accomplir ensemble un même mouvement. Si Degas s'emploi à détailler interminablement la silhouette d'une danseuse, le trait de Léger, à l'inverse, contient à chaque fois 20.000 personnages en un seul. C'est par là que Léger est Léger. Précurseur solitaire du pop-art, n'avait-il pas saisi que l'unique ambition sérieuse dans notre siècle, consiste à se mettre de niveau avec notre réalité ? lean-Louis Ferrier 1. Les différentes citations du présent article sont tirées de textes s'échelonnant entre 1924 et 1955. Devenus introuvables, ils ont été repris, avec d'autres, dans : Fernand Léger, Fonctions de la peinture, Bibliothèque Médiations, Gonthier éd. Paris 1965.
29
LA QUINZAINE HISTOR-IQUE
INFORMATION
Vingt ans après la mort de Boy De Rabelais à Levi-Strauss, le cru et le cuit encombrent beaucoup notre littérature. Le peuple est gastronome, en France, et le mois d'août, qui le jette sur les routes, le jette aussi dans un certain nombre de gargotes où le guettent divers périls. Un homme a bien parlé des sauces, c'est Huysmans. Le déjeuner qu'il fait, ou qu'il fait faire à deux de ses héros, des Hermies et Durtal, en août 1908, dans un restaurant de la rive gauche, mérite d'écarter à jamais des nourritures naturelles, sinon de l'esthétique naturaliste, tout homme de goût. Et le fait est qu'on ne déjeune plus, de nos jours, au Bren-Club, comme on déjeunait en août 1862, à Mégara, faubourg de Carthage, dans les jardins d'Hamilcar.
d'argile T:ouge rehaussées de dessins noirs, puis toutes les espèces de coquillages que l'on ramasse sur les côtes puniques, des bouillies de froment, de fèves et d'orge, et des escargots au cumin, sur des plats d'ambre jaune. Ensuite les tables furent couvertes de viandes : antilopes avec leurs cornes, paons avec leurs plumes, moutons entiers cuits au vin doux, gigots de chamelles et de buffles, hérissons au harum, cigales, frites et loirs confits. Flaubert. Salammbô. Gastronomie réaliste, 1908.
Il se rappela un restaurant voisin où il avait autrefois mangé sans trop de crainte. Il y chipota un poisson de la dernière heure, une viande molle et froide, pêcha dans . leur Gastronomie pré-classique, 1553. sauce des lentilles mortes, sans doute tuées par l'insecticide ; il savouGargantua mit les six pélerins avec- ra enfin d'anciens pruneaux dont que ses laitues dedans un plat de le jus sentait le moisi, était à la fois la maison grand comme la tonne de aquatique et tombal. Je découCitaux. Et avec huile, et vinaigre, ' vrais... des viandes fardées par les et sel, les mangeait pour se rafraî- marinades, peintes avec des sauces chir avant souper, et avait déjà en- couleur d'égoût, des vins colorés goullé cinq des pélerins. Le sixième par les fuschines, parfumés par les était dedans le plat, caché sous une furforols; alourdis par les mélasses laitue, excepté son bourdon, qui et par les plâtres. Huy~mans. Làapparaissait au dessus. Ce que Bas. voyant, Grandgousier dit à Gargantua : « Je crois que c'est là une Gastronomie contemporaine, corne ~ de limasson ; ne le ,mangez 1938-1966. , point.- Pourquoi ? dit Gargan- La dinde était farcie à l'asticot, la tua. Ils sont bons tout ce mois ». salade avait été nettoyée au camEt tirant le bourdon, ensemble enle- bouis, les pommes de terre avaient va le pélerin, et le mangea très été recrachées. L'arbre à grape-fruit bien. Rabelais Gargantua. avait dû croître en terrain de naphtaline, les champignons sentaient Gastronomie naturaliste, 1862. l'acier, le pâté sentait l'aisselle. Le vin était vin comme le permangaD'abord on leur servit des oiseaux nate. Plume sans lever la tête manà la sauce verte, dans des assiettes geait patiemment. Un serpent tombé d'un régime de bananes rampa vers lui. Il l'avala par politesse, puis il se replongea dans son assiette. " Michaux. L'hôte d'honneur du Bren-Club. On sait que Flaubert emprunta beaucoup à la Normandie, qu'il connaissait bien, pour décrire Carthage, qu'il connaissait mal. L'influence des repas de Première Communion, tels qu'on les . célèbre à Rouen, Honfleur, Trouville, est flagrante, à la table d'Hamilcar, où les coquillages précèdent classiquement les escargots, et où figure en bonne place la « sauce verte ». Au contraire, le funeste déjeuner que fait Huysmans, en 1908, chez quelque fusilleur en toque blanche, figure toujours à la carte de plusieurs restaurants bien parisiens. Cet évident souci de la réalité ne fait pas, pour autant,. que nous aimions LàBas' et les ouvrages qui suivirent. J'ai toujours regretté qu'après A Rebours Huysmans n'ait pas suivi le second terme de la fameuse alternative que lui signifia Barbey d'Aurevilly par la voie du Constitutionnel : les pieds de la Croix oU- la bouche d'un pistolet. A Rebours méritait d'être un dernier livre. Il jetait notre littérature dans l'imaginaire. Elle ne devait plus en sortir.
•••••••••••••••••
• • •
Pierre Bourgeade 30
La Pologne rend hommage en cet ete 1966 à l'un de ses écrivains les plus prestigieux - Tadeusz Zelenski, dit Boy, (1874-1941). Assassiné il y aura vingtcinq ans cette année par les nazis, Boy fut sans nul doute le traducteur le plus fervent, le plus passionné, le plus remarquable peut-être que la littérature française ait jamais compté dans le monde. Balzac presque tout Balzac ; Beaumarchais, Brantôme, Chateaubriand, Benjamin Constant, Descartes, Crébillon fils, Diderot, Dumas fils, Anatole France, Théophile Gautier, Gide, Jarry, Mme de La Fayette, Julie de Lespinasse, Lesage, Choderlos de Laclos, Marivaux, Mérimée, tout Molière, Montaigne, Montesquieu, Murger, Musset, Pascal, l'abbé Prévost, une importante partie de l'œuvre de Proust, Rabelais, Racine, La Rochefoucauld, Rousseau, Bernardin de SaintPierre, Stendhal, Verlaine, Villon, Voltaire - dans le Dictionnaire des Ecrivains polonais contemporains la bibliographie de ses traductions compte cent douze titres. .. .Je crains de voir quelqu'un ... faire la moue et dire: « Mais c'est dégoûtant! ce n'est pas un homme, mais une machine à traduire ! - C'est Boy lui-même qui parle ; ces mots sont extraits du texte d'une conférence donnée par Boyau Grand Amphithéâtre de la Sorbonne le 19 février 1927. ... Je n'ai jamais fait une seule ligne par application, par assiduité - disait-il encore à propos de ses traductions. - Toujours, pendant le travail, je sentais en moi comme le frémissement d'un rythme, comme qui dirait un chant ; si je savais chanter, je vous chanterais ici non seulement la musique des Femmes savantes, mais des Provinciales et de Candide ...
qu'à Don Garcie de Navarre, jusqu'à La Coupole du Val de Grâce... Vinrent ensuite Les Dames Galantes (pour me délasser... ), puis Les Liaisons dangereuses, puis tout Rabelais (qui n'a pas traduit Rabelais, ne sait pas ce que c'est que le plaisir de vivre ... ), les Essais de Montaigne, Descartes, etc., Désireux de toucher un large public, Boy faisait précéder chacune de ses traductions d'une préface. Ces préfaces formèrent plus tard quelques
Fils d'un êminent compositeur, WlaTadeusz Zelenski, dit Boy. dyslaw Zelenski, il eut pour maître de français un Courlandais francisé, ancien de la Légion Etrangère, qui ne vivait que volumes de remarquables Etudes sur la de l'amour - frénétique des grands littérature française. Parfois il avait aussi écrivains français (il suffira de dire qu'il pour recours à d'exquis subterfuges faisait réciter par cœur à son élève la l'édition du Discours de la méthode, par description de la grotte de Calypso du exemple : Persuadé que, pour bien comTélémaque de Fénélon tout en essayant prendre la ligne du développement de la de le persuader qu'il n'existait rien de plus beau au monde ... ). Sorti du collège, 'littérature française, il faut absolument connaître le petit livre Le Discours de la Boy se mit à étudier la médecine, tout en méthode de Descartes, et craignant de ne fréquentant assidûment les milieux littépas trouver pour ce livre assez de lecteurs raires de Cracovie où il devait passer la bénévoles, j'ornais cet opuscule de la plus grande partie de sa vie. bande alléchante : Pour adultes seuleme~t, Les Polonais étaient alors - c'était à en expliquant loyalement dans ma préface la fin du siècle dernier engoués de qu'en effet ce livre est seulement pour les littératures étrangères. Les maîtres spiadultes, étant pour la jeunesse de beaurituels de l'époque s'appelaient Ibsen, coup trop difficile et trop sérieux. L'effet Dostoïevsky, Nietzsche, Oscar Wilde. fut immédiat. Les potaches, les fillettes, les Pour ce qui est de la France" on était vieux marcheurs, tous entraient dans la quelquefois rebelle au côté rationaliste de librairie et emportaient dans leur manla pensée française, mais on admirait et on chon ou sous leur manteau leur Descartraduisait Baudelaire, Verlaine, Rimbaud : tes ; puis ils couraient à la maison, ver· dans un des jeunes cénacles dont je fairouillaient leur porte et se plongeaient sais partie, et où on faisait largement dans le livre, pour voir quelle était cette honneur aux spiritueux, il était de rite de méthode mystérieuse qu'ils ne connaiss'agenouiller tous ensemble, et de réciter saient pas encore. Grâce à cela, Le Disen chœur Les litanies de 'Satan, - raconcours de la méthode obtint en peu d'antait B9Y en évoquant cette période. Mais nées quatre éditioris 'en polonais, succès les traductions étaient rares et rares deve· qui dépassa assurément les rêves ~ ce naient ceux qui pouvaient lire les auteurs philosophe. français dans l'original. Si à l'époque où Malgré leur nombre prodigieux, les le roi Stanislas-Auguste Poniatowski écritraductions de Boy sont toutes des chefsvait à Mme de Geoffrin : Arrivez, mad'œuvre du genre. Si l'on admet que l'ori~an, votre fils est roi !, et au temps où ginal d'une oeuvre littéraire indique ' une Mme Hanska correspondait avec Balzac on' certaine heure, il faut que sa traduction, n'avait pas besoin en Pologne de traducpour qu'elle soit bonne, ne retarde pas tions du français, vers la fin du siècle plus d'un quart d'heure sur lui - disait dernier la connaissance de la langue franle poète polonais Julian Tuwin. Dans le çais commençait à se perdre. cas de Boy, l'original et la traduction La première traduction de Boy ---; « indiquent la même heure » toucelle de la Physiologie du mariage, de jours. Comme le notait dans sa présenta- ' Balzac - parut à Cracovie en 1909. L'étution de la conférence de Boy à la Sordiant en médècine avait fait un séjour à bonne Mme Rosa Bailly : Un élève peut Paris ; il devait y découvrir sa véritable s'en servir (des traductions de Boy), pour vocation : c'est là, sur les quais, que j'ai l'étude, soit du français, soit du polonais. suivi, en quelque façon, le cours de litUn lettré peut lire Montaigne ou Balzac térature française ; c'est d'ailleurs le seul dans l'original ou dans la version de Boy. que j'aie suivi. C'est là aussi qu'il subira En 1914, l'Académie Française coul'envoûtement de la chanson parisienne ronna sa traduction de Molière. En 1922, dont se souviendra plus tard le spirituel lè gouvernement français lui décerna le auteur des célèbres couplets du Petit Baltitre d' « officier d'instruction publilon Vert de Cracovie. que » ; il fut également fait chevalier de la Légion d'honneur. En Pologne, nombre Puis ce fut Le Misanthrope : alors, d'excellent traducteurs poursuivent auavec Molière, ce fut une sorte de folie jourd'hui la tâche qu'il avait entrepriSe. qui s'empara , de moi ... En moins de trois Stanislas Kocik ans je traduisis tout, vers et prose, jus.
TOUS LES LIVRES 1
1
Ouvrage. publiés du 15 au 25 juillet 1
ROMANS FRANÇAIS
PO*SIE
Georges Bataille Ma mère Pauvert, 212 p. 16,85 F Un roman inédit de Bataille.
Bertolt Brecht Poèmes, 1930-1933 traduit de l'allemand L'Arche, 240 p., 15 F
Noël Calef
La
1UJ8&e
Fayard, 248 p. 12,30 F Par le scénari&te et metteur en scène.
Paul Chaulot Luc Bérimont Seghers, 192 p., 7 F Un jeune poète par un autre jeune ' poète.
Jean-Marie Magnan Jacques Houban et Michel Rankovitch Guerres sans drapeau Julliard, 344 p., 25 F Le métier d'espion.
Jean Genet Seghers, 192 p., 7 F Un essai sur l'auteur des « Paravents D.
Violette Leduc Thérèse .et Isabelle Gallimard, 116 p., 10 F Une nouvelle de Violette Leduc; à tirage limité.
PHILOSOPHIE .JlELIGIONS
Michel Servin Les tantes Julliard, 256 p., 15 F Par l'auteur de « Deo Gratias D .
Giordano Bruno Le banquet des cendres Gauthier-Villars, 128 p.,
9 F Un texte capital traduit en français et publié pour la première fois.
ROMANS .*TRANGERS
Grigori Baklanov Les canons tirent à l'aube traduit du russe Julliard, 256 p., 15 F Un épisode de la contreoffensive russe de l'hiver 1944-1945. Iouri Bondarev
La
~ique
traduit du russe Gallimard, 212 .p., 13 F La peur sous un Etat autoritaire.
Robert Wallis Le temps, quatrième dimension de l'esprit Flammarion, 290 p., 20 F La notion du temps sources, effets, conséquences.
Eugène Jarry L'Eglise en face des révolutions Fayard, 144 p., 5,75 F Pour ou contre l' Pour et contre.
SOCIOLOGIE Ambrose Bierce et autres Histoires d'outre-monde traduit par Jacques Papy Casterman, 340 p., 13,50 F Science-fiction et fantastique. Joseph Hayes Le témoin du troisième jour traduit de l'américain Hachette, 448 p., 15 F pans les rues de New-York, un amnésique. Michel Prisco La dame de Naples traduit de l'italien Hachette, 512 p., 16 F A travers les passions d'une femme, la vie de Naples, Franz Werfel Verdi ou le roman de l'opéra traduit de l'allemand Hachette, 400 p., 15 F Récit romancé de la vie de Verdi.
Anllré de ·Peretti La liberté dans les' relations humaines ou l'inspiration non directive Ed. de l'Epi, 304 p. 21,60 F Les textes du Directeur des Etudes de l'Institut National d'Administration partisan des thèses et de la méthode de C. Rogers.
HISTOIRB POLITIQUB
Philippe Bauchard Les technocrates et le pouvoir Arthaud, 317 p., 19,60 F De l'école polytechnique aux groupes d'influence.
SUCCÈS DE VENTE,
EN JUIN
..
1::1 ..
III 1::1 III III "0 ... ·1Il
El
.!... 'f'"
.H. Gunsberg Le porri gri& Pauvert, 3,10 F Contre les catholiq~ de gauche.
~Q.
1 2 3 4
Oleg Penkovsky Carnets d'un agent secret traduit de l'américain Tallandier, 388 p., 22,80 F Un ouvrage qui a défrayé la chronique. Son auteur a été fusillé.
5 6 7
8 9 10
Han . Suyin F. Mallet-Joris Ryan Bodin Steiner Revel Alain Prévost Foucault Larteguy Ch. Rochefort
L'arbre blessé Les signes et les prodiges La dernière bataille Une jeune femme Treblinka Contre censures Grenadou Les mots et les choses Sauveterre Une rose pour M orrison
Cl
III
."
1;\
;::
f
1 .•. . .!I 00"
il!: El 5l
1 4
2 3 9 6
3 2 4 1 4 1 1 2 1 2
ART
SUCCÈS DE CRITIQUE
Max Loreau Dubuffet et le voyage au centre de la perception La Jeune Parque, 100 p., 18,50 F Une étude pénétrante de l'art de Dubuffet. Jacqueline Porret-Forel Aloise "L'Art Brut, Cahier 7 Cie de l'Art Brut, 144 p., 66 repr. Un grand peintre naïf.
Cette liste est établie, selon un mode de calcul complexe qui en garantit l'objectivité - d'après les articles publiés dans cinq quotidiens, huit hebdomadaires ... et un bi-mensuel parisiens.
'1 2
3 4
HUMOUR
5 6 7
8 Art Buchwald Art Buchwald nous câble de Washington Julliard, 256 p ., 15 F Par l'humori&te américain. Pierre Dac Du côté d'ailleurs Julliard, 384 p., 18 F Par le créateur de l'Os à Moelle. Leacock Traduit de l'anglais par Francine Sternberg Julliard, 256 p., 15 F Un grand humori&te canadien.
Roger Ducouret et Hervé Nègre L'humour en soutane Fayard, 160 p ., 9,60 F Histoires desacri&tie.
9
10
Jean Orieux
Voltaire ou la royauté de l'esprit Camille Bourniquel La maison verte Kléber Haedens L'été finit sous les tilleuls Pasteur Vallery-Radot Mémoires d'un non-conformiste Alain Prévost Grenadou Lawrence Durrell Poèmes Hubert Juin Le repas chez Marguerite Françoise Mallet-Joris Les signeS et les prodiges Noël Devaulx Frontières Marcel Jouhandeau Que la vie est une fête
,}
Grasset Seuil Gallimard Calm~mn-Lévy
Grasset Gallimard Gallimard
LA QUINZAINE LITTtRAIRE VOUS RECOMMANDE parmi les ouvrages qui viennent de paraître:
Littérature Georges Bataille Ambrose Bierceet autres Bertolt Brecht
Ma mère Histoires d'outre-monde Poèmes, III
J.-J. Pau vert Casterman L'Arche
Le Banquet de cendres Le temps, qùatrième dimension de l'esprit
Gauthier-Villars Flammarion
PhilC!sophie R**DITIONS Alan Clark La guerre à l'Est 1941-1945 traduit de l'anglais par René Marie Laffont, 536 p., 26,25 F Histoire de la campagne de Russie.
La Ouinzaine littéraire,aoû( 1966 '
Vassili Grossmann L'enfer de Treblinka traduit du russe Arthaud, 96 p., 7 F Edité pour la première fois en 1945,
Giordano Bruno Robert · Wallis
Histoire Eric Hobsbawn
Les primitifs de la révolte dans l'Europe moderne Fayard 31