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Ulnzalne littéraire.
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Un texte
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Numéro 7
15 juin 1966
de Jean-Paul
Kierkegaard
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.Le·livre
en France
SOMMAIRE
3
Arts de l'Afrique noire
par Jean·Louis Ferrier
Ce philosophe est un antiphilosophe
par Jean.Paul Sartre
Françoise Mallet.Joris
Les Signes et les Prodiges
par Michèle Cote
André Dhôtel Roger Blondel
Pays natal Le Bœuf
par Jacques Brenner par Marie·Claude de Brunhoff
Carlo Cassola
Le chasseur
par Georges Piroué
Jorge Luis Borges
Discussion
par Gérard Genette
Jean Laude
4
LB LIVRB DB LA QUINZAINB UN TBXTB INilDIT
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ROMAN8 l'RANÇAI8
7
8
LITTilRATURB ilTRANG:l:RB
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LBTTR. DB MONTR:lAL POil81B
11
.RUDITION
13
HI8TOIRB LITT.RAIRB
14
INCONNU BN l'RANCB ART
10
18
17
par Naïm Kattan André Frénaud
Les Rois Mages
par Claude Michel Cluny
Monsieur Léautaud père
par Pascal Pia
Jacques Laurent Henri Martineau
La fin de Lamiel L'Œuvre de Stendhal
par Samuel S. de Sacy
Mario Praz
Il prazesco
par K.-A. Jeleoski
Robert Magnan Denise Fédit
Féérie des bois Kupka Histoire générale des Eglises de France, Belgique, Suisse
par Marcel Marnat par Jean Selz par Marcel Marnat
Frank Lloyd Wright
L'architecture de l'avenir
par Françoise Choay
18
B88AI8
Dominique Fernandez Michel Pantaleone Martin W. Duyzings
Les événements de Palerme Mafia et Politique La Mafia
par Guy Braucourt
18
LINGUI8TIQUB
Jean Cohen
Structure du langage poétique
par Delphine Perret
10
PHIL080PHIB
Noël Mouloud
Le psychologie et les structures
par Roland Caillois
Il
HI8TOIRB
Georges Lefranc
Juin 36
par Victor Fay
René Gillouin Georges Blond André Brissaud Jules Roy
J'étais l'ami du Maréchal Pétain Pétain Pétain à Siegmaringen Le grand naufrage
par Pierre Viansson-Ponté
Etiemble
Le jargon des sciences
par Emile Simon
Israel Scheffler
Anatomie de la science
par Khalil Jaouiche
Gitt-Witt
par Juliette Raabe
Dictionnaire de la Politique
par François Châtelet
Godard entre deux chaises
par Roger Dadoun
13
14
8CIBNCB8
1&
18
BANDB8 DB881N:l1I8
18
DICTIONN AIRB
Jean Noël Aquistaface
PARI8 10
TOU8 LB8 LIVRB8
31
LA QUINZAINB HI8TORIQUB
par Pierre Bourgeade
François Erval, Maurice Nadeau
Publicité générale: au journal.
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2
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LIVRE DB LA QUINZAINE
• Arts d'Afrique nOIre Jean Laude Les Arts de l'Afrique nOlre Le Livre de Poche
Art nègre? Connais pas! lancera un jour Picasso en guise de boutade à un journaliste incapable de percevoir l'originalité de son œuvre par rapport aux sculptures dogon et aux masques du Dahomey. Max Jacob cepèndant a raconté· comment. en 1906, Matisse avait· montré nne statuette africaine qui devait longuement retenir son attention à celui qui se trouvait sur le point de bouleverser la peinture moderne. L'art de l'Afrique noire qu'on avait considéré jusque là comme une curiosité exotique à l'usage des explorateurs devenait soudain, grâce aux fauves et aux cubistes, l'objet d'une appréciation esthétique. De quel art, toutefois, s'agissait. il ? Le phll~ souvent on a vu dans l'art nègre la manifestation des forces incontrôlables de l'instinct liées à l'incantation, au primiti. visme. L'immense mérite du livre de Tean Laude. en examinant les toohniques employées, en délimi· tant les styles, en dégageant leurs relations avec la société, consiste d'abord il démontrer qu'il n'en est rien La statuaire dans laquelle les artistes créateurs du début de notre siècle décounirent une confirma· tion de lenrs recherches, expose l'auteur, doit être comprise comme un art classique. Elle en possède tous les cllractères significatifs, de l'artiste œuvrant à l'intérieur d'un milieu social défini, réglé par des conventions, qui se préoccupe moins de ce qu'il a à dire que de la manière dont il le dira, au modèle vivant dont il s'inspire, au jeu de la commande, de la critique et de la perfidie confraternelles ou même de la critique d'art. Mais ce classicisme est celui d'une civi· lisation sans écriture qui ne se fonde pas sur la chose littéraire, qui ignore le rapport pour nous traditionnel du texte et de l'image au profit d'œuvres non narratives agissant en tant qu'ensembles for· mels. La situation privilégiée du sculp. teur dans les sociétés africaines est remplie d'enseignement. Ou bien, dans certaines communautés, il s'identifie au forgeron nanti du prestige de celui qui fabrique l'ou· tillage de fer ainsi que l'armement dont ont hesoin des peuples de ('ultivateurs et de chasseurs. Ou bien il devient un artiste profes. ~ionnel qui, selon le témoignage d'une épouse, « ne s'intéresse à rien, sauf is de!! blocs de bois )J. Ni enfant ni fOIl. dans les deux cas il est un individu conscient qui a fait l'apprentissage d'un métier difficile régi par des règles précises, ce qui lui vaut d'occuper une fonc· tion de choix. Loin de rechercher des effets illusionnistes. cependant, l'art nègre est fondé essentiellement sur la figuration des .événements myLa Quimaine littéraire, 15 juin 1966
thiques. Chez les Tellem et les Dogon, par exemple, la sculpture renvoie toujours aux mythes d'origine exprimant une cosmogonie, une sagesse, une réglementation des comportements sociaux. Dans la hiérarchie initiatique, l'homme accède à des significations plus profondes, plus proches d'un centre où les notions deviennent plus
royale reconnaissable, mais vont jusqu'à caractériser les individus. C'est alors, montre Laude dans des pages qui comptent parmi les meilleures de l'ouvrage, l'irruption de l'histoire. L'individualisation des figures sculptées apparaît dans des sociétés possédant des chroniques qui relatent les événements marquants de leur passé, consi-
Masque Bakwélé. Congo-Léopoldvüle. CoUection Ch. Ratton
graves et lui r~vèlent la place qu'il occupe dans l'univers. Le but de l'œuvre d'art eSt d'actualisér le système universel permanent au· quel doit se ~onformer la vie terrestre. Les mythes s'élaborent ici de manière directe: ils se glissent dans les forme!! auxquelles ils donment un sens et qui, en même temps, les orientent. Il arrive parlois que la statuaire nègre vise à la ressemblance. Les figures d'ancêtres que les Ba-Luba sculptent afin d'apaiser le défunt qui poursuit le vivant dans ses rêves possèdent la fidélité d'authentiques portraits. Les statuettes qui représentent le Nyimi, véritable roi de droit divin responsable aussi bien du fonctionnement de la société que de la régulation des pluies dans le royaume ba.kuba, restituent non seulement les attributs qui rendent la personne
gnent les noms et les hauts faits de leurs souverains successifs, détiennent des repères chronologiques qui remontent souvent très loin dan.'! le temps. Il s'agit d'un art de cours qui baigne, certes, dans une atmosphère de légende, mais qui. confirnle un pouvoir politique centralisé et correspond à un type de culture où l'accent est porté sur une conception linéaire de la durée. Il s'oppose ù J'art des sociétés tribales plus mouvantes qui, comme les peuplades du Mandé, demeurent prisonnières du temps cyclique de la mythologie. Le masque, d'autre part, associé aux rites agraires, funéraires, ini· tiatiques, du simple masque de feuilles et de vannerie au masqueheaume qui enveloppe toute la tête du porteur, présente de nombreuses variantes. Toujours, dissimulant ses traits et leur en substituant
d'autres, il protège celui qui le porte. Il transforme l'homme qu'il utilise comme support animé afin d'incarner un autre être: génie ou animal fabuleux qui est ainsi figuré momentanément. A J'occasion des funérailles, de l'ouverture ou de la clôture des travaux saisonniers tels que les semailles ou les moissons, il sert à rappeler les événements remar· quables qui se sont produits à l'origine et ont abouti à l'organisa. tion du monde et de la société. Les célébrations où il intervient constituent des cosmogonies en acte qui soustraient l'homme et les valeurs dont il est le dépositaire à la dé· gradation qui atteint toute chose dans le temps historique. Ce sont aussi des spectacles cathartiques pù l'individu voit sa vie et sa mort inscrites daDs un drame collectif qui en supprime l'absurdité. Les principaux modèles du masque, in· dissociables de la danse, sont des· tinés à capter la puissance éparse de l'univers, à recueillir l'énergie spirituelle dont il faut empêcher l'errance. Le danseur, cependant, ne se confond pas avec la force vitale qu'il. manipule, mais il sent sa propre force nourrie par cette présence qui lui donne accès, par delà son corps périssable, à la vraie vie. Le masque n'a rien de magique. Ce n'est pas non plus une statue, mais f( un accessoire de ballet ou d'opéra mythique ». Sa signüication entière ne peut être mieux saisie <lUe lorsqu'il est aperçu en mouvement, comme élément d'un ensemble, dans le rythme de la cérémonie. Il n'y a pas de sourire dans l'art africain. Les constructions par plans articulés, la ferme armature d'un dessin comprimant l'expansion des formes, le jeu des tensions entre les courbes et les droites qui ont séduit Matisse et Picasso manifestent, à l'opposé de tout esthé· tisme, une manière conséquente d'exister. Qu'il s'agisse de statuet· tes ou de statuaire, de masques, de fétiches, l'art nègre ne cesse de supposer une organisation sociale et religieuse, un développement technique déterminés qui, seuls, permettent d'en comprendre la portée. Nous ne sommes pas dans le fantastique. mais dans un art attaché à l'existence physique, ex· primant une civilisation paysanne, liée à la vie sédentaire. Sa destination consiste à protéger l'homme des puissances matérielles ou immatérielles qui l'assaillent, c'est-àdire à prendre possession de la nature par la culture. Le livre de Jean Laude, aussi bien par la méthode à laquelle il a recours que par l'information sans défaut qu'il apporte est de ceux qui démy~tifient. Au moment où le Grand Palais ouvre ses portes à l'exposition d'art africain venue de Dak.ar, il ne représente pas seulement un important ouvrage d'érudition. mais une lecture pas· sionnante et un guide.
lean.Louis Ferrier 3
A l'o.ccasion du cent-cinquan hème anniversaire de la naissance de Kierkegaard, l'Unesco a organisé un colloque avec la participation de Martin Heidegger, Jean Wahl, Karl Jaspers, Gabriel Marcel, Jean-Paul Sartre et d'autres philosophes. Ces entretiens seront publiés incessamment dans la collection Idées. Nous publions de larges extraits de l'intervention de Jean-Paul Sartre. ...Ce philosophe est un antiphilosophe. Pourquoi refuse·t·il le système hégélien et, d'une manière générale, toute philosophie ? Paree que, nous dit-il, le philosophe est à la recherche d'un commencement premier. Mais pourquoi, demandera-t.on, lui qui refuse les commencements, prend-il pour point de départ les dogmes chrétiens? Car c'est les faire principes incontestés de la pensée que de les admettre a priori sans même en éprouver la validité. N'y a-t-il pas contradiction? Et Kierkegaard, faute d'avoir établi lui-même un commencement solide ne prend-il pas pour origine et fondement de sa pensée le commencement des autres? Et, faute de l'éprouver par la critique, faute de douter jusqu'à n'en plus pouvoir douter, ne lui con!w.rve-t-il pas, jusque 'dans sa pensée la plus intime, son caractère d'altérité? Voilà justement l'injuste question que le savoir pose à l'existence. Mais, par la plume de Kierkegaard, l'existence répond en déboutant le savoir. Nier le dogme, dit.il, c'est être fou et le déclarer. Mais prouver le dogme, c'est être imbécile: pendant qu'on perd son temps à prouver l'immortalité de l'i.me. la t'royance vivante à l'imruorlalité s'étiole. En poussant les choses à l'absurde, le jour où l'immortalité sera irréfutablement prouvée, personne n'y croira plus. Rien ne fait mieux comprendre que l'immortalité, même prouvée, ne peut être objet de savoir mais qu'elle est un certain rapport absolu de l'immanence à la transcendant'e qui ne peut s'établir que dan" et par le vécu. Et, bien sûr, cela VDut pour les croyants. Mais poUl 1ïn~royant que je suis, cela signifie. que le vrai rapport de l'homme à 80n être ne peut être véc11. dans. l'histoire, que comme une relation transhistorique. Kierkegaard répond à notre question en refusant la philosophie ou plutôt en changeant radicalement son but et ses visées. Chercher le commencement du savoir, c'est affirmer que le fondement de la temporalité est justement intemporel et que la personne historique peut s'arracher à l'histoire, se dé-situer et retrouver son intemporalité fondamentale par la vision directe de l'être. La temporalité devient le moyen de l'intemporalité. Et certes, Hegel était conscient du problème puisqu'il plaçait la philosophie à la fin de l'histoire. comme vérité devenue et 4
savoir rétrospectif. Mais, précisément, l'histoire n'est pas finie et ct'tte reconstitution a-temporelle de la tempo.ralité, comme unité du logique et du tragique; devient à son tour objet de savoir. De ce point de vue, au commencement du système hégélien, il n'y a point l'être mais la personne de Hegel, telle qu'on l'a faite, telle qu'elle s'est faite. Découverte ambiguë qui, du point de vue de Savoir, ne peut conduire qu'au scepticisme. Pour y échapper, Kierkegaard prend pour point de départ la personne envisagée comme nonsavoir, c'edt-à-dire en tant qu'elle produit et découvre, à un certain moment du déroulement temporel de sa vie, son rapport à un absolu qui est lui-même inséré dans l'histoire. Bref, Kierkegaard, loin de nier le commencement, témoigne pour U[l commencement vécu. Comment concevoir, dans le milieu de l'histoire, que cette situation historique ne conteste pas la prétention du penseur au dévoile· ment de l'absolu? Comment une pensée appame peut-elle témoigner pour elle-même au delà de sa disparition. C'est la question qu'il pose dans les Miettes philosàphiques. Bien t'ntendu ce paradoxe. est d'abord religieux, éminemment. C'est l'apparition et la disparition de Jésus qui est en cause. Ou, tout aussi bien, la transformation d'un péché - celui d'Adam - en péché originel et héréditaire. Mais c'est aussi le problème personnel du penseur Kierkegaard: comment fonder la validité transhistorique d'une pensée qui s'est produite dans l'histoire et qui disparaît en elle ? La réponse est dans la Il réduplication»: l'insurpassable ne peut être le savoir mais l'instauration dans l'histoire d'un rapport absolu et non contemplatif avec l'absolu qui s'est réalisé dans l'histoire. Au lieu que le savoir dissolve le penseur, c'est le penseur qui témoigne pour sa propre pensée. Ou, témoigner pour elle sont une seule et même chose. Mais ces idées sont obscures et peuvent apparaître comme une solution verbale tant que l'on ne comprend pas qu'elles procèdent d'une nouvelle conception de la pensée. Le penseur commence comme on naît. Il n 'y a pas refus mais déplacement du commencement. Avant la naissance il y avait le non-être, il y a le saut, puis, naissant à soi-même l'enfant et le penseur se trouvent immédiatement situés dans un cere tain monde historique qui les a faits. Ils se découvrent comme une certaine aventure dont le point de départ est un ensemble de relations économico-soeiales, culturelles, morales, religieuses, etc., qui se poursuivra avec les moyens du bord, c'est-à-dire en fonction de ces mêmes relations et qui s'inscrira progressivement dans ce même ensemble. Le commencement est réflexif; je voyais, je touchais le monde: je me vois, je J:Ile touche, moi qui touche et vois les choses
environnantes et je me découvre comme un ê-tre fini que des mêmes choses. touchées et vues par moi conditionnent invisiblement jusque dans mon tact et dans ma vision. Contre le commencement non·hu· main et fixe de Hegel, Kierkegaard propose un début mouvant, conditionné conditionnant, dont le fondement est très semblable à ce que Merleau-Ponty appelle l'enveloppement. Nous sommes enveloppés: l'être est derrière nous et dfwant nous. Le voyant est visible
par la même histoire, par les mêmes traditions culturelles. Dan.'! le même temps, en outre, il peut penser les traditions et les circonstances historiques qui les ont tous produits et l'ont produit lui-même. y a-t-il déviation ou appropriation ? L'une et l'autre. Si l'objectivité doit être savoir inconditionné, il n'y a pas d'objectivité réelle: voir l'environnement, ici, c'est voir sans voir, toucher sans toucher, avoir par soi-même une intuition a priori de l'autre et, en même
lean-Paul Sartre
et ne voit qu'en raison de sa VISIbilité. Le cdrps, dit Merleau-Ponty, est pris dans le tissu du monde mais le monde est fait de l'étoffe de mon corps. Kierkegaard se sait enveloppé: il voit le christianisme et plus particulièrement la communauté chrétienne du Danemark avec les yeux qùe lui a faits cette communauté même. Nouve~u paradoxe: je VOL'! l'être qui m'a fait; je le vois comme il est ou comme il m'a fait. Pour la « pensée de survol », rien de plus simple: étant sans qualité l'entendement saisit l'essence objective sans que sa nature propre lui impose de déviations particulières. Et pour le relativisme idéaliste, pas de difficulté non plus: l'objet s'évanouit; ce que je vois, étant l'effet des causes qui modifient ma vision, ne contient rien de plus que ma détermination par celles-ci. Dans l'un et l'autre cas l'être se réduit au savoir. Kierkegaard repousse l'une et l'autre solution. Le paradoxe, pour lui, c'est qu'on découvre l'absolu dans le relatif. Danois, fils de Danois, né au début du siècle dernier, conditionné par l'histoire et la culture danoise, il découvre des Danois ses contemporains, formés
temps, le saISIr à partir de présuppositions communes qu'on ne peut mettre au jour entièrement. Mon prochain est obscur en pleine lumière, éloigné de moi par ses ressemblances apparentes; pourtant je le !w.ns dans sa réalité profonde quand je m'approfondis ju&qu'à trouver en moi les conditions transcendantes de ma propre réalité. Plus tard, beaucoup plus tard, les présuppositions inscrites dans les choses seront mises au net par l'historien. Mais, à ce niveau, la compréhension réciproque qui suppose communauté d'enveloppement aura disparu. Bref les contemporains se comprennent sans se connaître, l'historien futur les connaîtra mais sa tâche la plus difficile - elle confine à l'impossibilité - sera de les comprendre comme ils se comprenaient. En vérité - Kierkegaard en est conscient - l'expérience qui, après le saut, revient sur elle-même se comprend plus qu'elle ne se connaît. Cela veut dire qu'elle se maintient dans le milieu des présuppositions qui la fondent sans parvenir à les élucider. D'où ce commencement: les dogmes. Une certaine religion a produit Kierkegaard: il ne peut feindre de s'en
Ce philosophe est un antiphilosophe. affranchir pour remonter au-delà d'elle et la voir se constituer historiquement. Entendons - n 0 u s, Pourtant: d'autres Danois, de la même société,. de la même classe, sont devenus incroyants: mais celix·là mêmes ne pouvaient faire que leur irreligion ne soit la mise en question ou la contestation de dogmes, de cette chrétienté qUi. les avaient produits donc de leur passé, de leur enfance religieuse et finalement d'eux.mêmes. Cela signüie qu'ils restaient entiers avec leur .foi et leurs dogmes dans la négation vaine qu'ils exerçaient sur e~, employant d'autres mots pour désigner leur exigence d'ahsolu. Leur athéisme était en fait un pseudo-athéisme chrétien. De fait, . l'enveloppement décide des limites entre lesqÛelles les modifications réelles sont possibles. Il est des époques où l'incroyance ne peut être que verbale. Kierkegaard, pour avoir douté dans sa jeunesse, est plus conséqul'nt que ces «libres penseurs »: il. reconnaît que sa pensée n'est pas libre et que les déterminations religieuses le poursuivront quoi qu'il fasse, où qu'il aille. Si les dogmes chrétiens sont 'pour lui, en dépit de lui·même un irréductible, il est parfaitement légitime qu'il mette le commence· ment de la pensée à l'instant qu'elle se. retourne sur eux pour saisir son enracinement. Pensée doublement historique: elle saisit l'enveloppement comme conjoncture, elle se définit comme l'identité du commencement de la pensétl et de la pensée du commencement. . S'il en est ainsi, que devient l'universalité des déterminations historiques? Faut-il nier absolu-. ment le milieu social, ses structures, ses conditionnements et son évolution? Nullement. Nous verrons que Kierkegaard témoigne d'une universalité double. La révolution c'est qu~ l'homme historique. par son ancrage, .fait de cette universalité une situation particulière et de la nécessité commune une contingence irréductible. Autrement dit, loin que l'at.titude . particulière soit, comme chez Hegel, une incarnation dialectique du moment universel, l'ancrage de .la personne fait. de cet universel une singularité irréductible. Sœren n'a-t-il pas dit un jour, à Lévine: Quelle chance vous avez d'être juif: vous échappez au christianisme. Si moi j'en at'ais été protégé, j'aurais bien auJrement joui de la vie. Remarque ambiguë: car il reproche souvent aux juifs d'être inaccessibles à l'expérience religieuse. Nul doute que ln vérit~, c'.est le dogme: et le chrétien qui n'est pas religieux reste inauthentique, extérieur à soi-même, perdu. Mais il y a comme un humhle droit de naissance qui fait pour un juif, un mahométan, un bouddhi5te, que le hasard d'être né ici plutôt que là se transforme en statut. Inversement la réalité profonde de Kierkegaard,' le tissu de s~m être, son tourment et sa loi
ces
La Quinzaine littéraire. 15 juill
1966
lui apparaissent au cœur même de leur nécessité comme le hasard de sa facticité. Encore cette contingence est-elle commune à tous les membres de sa société. Il en découvre d'autres qui ne sOnt propres qu'à lui. 11 écrit en 46: Croire, c'est se rendre léger grâce à une pesanteur considérable dont on se charge; être objectif c'est se rendre léger en se débarrassant. des lardeaux... La légèreté est une pesanteur infinie et son altitude l'effet d'une pesanteur infinie. L'allusion est claire à cè qu'il appelle ailleurs l'écharde dans la' chair. Il s'agit ici d'une contingence pure, de la singularité de ses conditionnements: la conscience malheureuse de Sœren est produite par des déterminations chanceuses dont le· rationalisme hégélien ne tient pu:; compte: un père sombre, persuadé que 11\ malédiction divine ·l'attewdra dan... ses enfants, les deuils qui semblent confil-mer ces vues et finissent par persuader Sœren qu'il mourra avant trentequatre ans, la mère, maîtresse-servante, qu'il aime en. tant qu'elle est sa mère et qu'il réprouve en tant qu'elle s'est install~. en. intruse au foyer d'un veuf et qu'elle témoigne 'des égarements charnels du père, etc. L'origine de la singularité c'est le hasard l~ plus radical: si j'avais eu un autre père... Si mon père n'avait pas blasphémé, etc. ~t ce hasard prénatal se retrouve dans la personne même et dans ses déterminations : l'écharde dans la chair est une disposition complexe et dont nous ne connaissons pas le véritable secret. Mais tous les auteurs s'accordent pour découvrir en elle, comme son noyau, une anomalie sexuelle. Hasard singularisant, cette anomalie est Kierkegaard, elle le fait; inguérissable, elle est indépassable; elle produit son moi Il' plus intime comme une pure contingence historique, qui pouvait ne pas être et qui, d'elle-même, ne signifie rien. La nécessité hégélienne n'esé pas niée, mais elle' ne peut s'incarner sans devenir contingence opaque et singulière; en un indi· vidu la raison de l'histoire ~t irréductiblement vécue comme folie, comme hasard intérieur,. exprimant des rencontres de hasard. A notre interrogation, Kierkegaard répOnd. en dévoilant un autre aspect du paradoxl' : il n'est d'absolu historique qu'enraciné dans le hasard; par la nécessité de l'ancrage, il n'est d'incarnation. de l'universel que dans l'irréductible opacité du' singulier. Est-ce Sœren qui dit cela ? Oui et non: à vrai dire il ne dit rien si Il dire » équi. vaut à l( signifier », mais son œuvre nous renvoie, sans parler, à sa vie. Mais, ici, le paradoxe se retourne: car vivre la contingence originelle, c'est la dépasser: l'homme, irrérr..édiable singularité, est l'l'tre par qui l'universel vient au momIe et le hasard constitutif, dès qu'il est vécu, prend figure de nécessité. Le· vécu. nous l'appre-
nons chez Kierkegaard, ce sont les hasards non signifiants de l'être en tant qu'il~ se dépassent vers un sens qu'ils n'avaient pas 'au départ et que je nommerai l'universel singulier. Kierkegaard vit parce que, refusant le savoir, il :révèle la contemporanéité transhistorique des morts et des vivants, c'est-à-dire qu'il dévoile que tout homme est tout l'hQ.mme en tant qu'universel singulier ou. si l'on préfère, parce qu'il manifeste, contre Hègel, la iemporalisation comme dimension transhistorique de l'histoire, l'hu-
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Kierkegaard, dessin de Marstrand.
manité perd ses morts et les recommence ahsolument par ses vivants. II n'est pas moi, pourtant, qui suis athée. Ni tel chrétien qui demain lui reprochera sa théologie négative. Disons qu'il était, au temps de sa vie, sujet unique. Mort il ne ressuscite tout à fait qu'en devenant sujet . multiple, c'est-à-dire liaison interne de nos singularités. Chacun de nous est Sœren comme aventure. Et chaque interprétation. contestant les au· .tres, les assume pourtant comme sa profondeur négative. Chacune, inversement, est contestée mais assumée par les autres, dans la mesure où, refusant d'y voir une réalité plénière ou un savoir concernant la réalité, elles conçoivent sa possibilité en se référant à la possibilité qu'a Kierkegaard de supporter plusieurs interprétations: de fait la divergence, la contradiction et l'ambiguité sont précisément la qualification. déter· minée de l'existence. Ainsi la profondeur de Kierkegaard, sa manière de rester autre, en moi, sans cesser d'être mien, c'est l'Autre d'aujourd'hui, mon contemporain réel qui en est le fondement. In· versement il est, en chacun, dénonciation de l'ambiguïté chez lui
et chez les autres: compréhensible au nom de chaque ambiguïté, il est notre liaison, relation existentielle, multiple et ambiguë entre les existants contemporains comme tels, c'est-à-dire comme ambivalences vécues. Il demeure dans l'histoire comme relation transhistorique entre les contemporains saisis dans leur historialité singulière. En cha· cun de nous il se donne et se refuse, comme il faisait du temps de sa vie, il est mon aventure et reste, pour lés autres, Kierkegaard, l'Autre, à l'horizon, témoin pour ce c.hrétien que la foi est un devenir toujours. en péril, témoin pour moi que Il' devenir-athée est une longue entreprise difficile, un rapport absolu avec ces deux in· finis, l'homme et l'univers. Toute entreprise même triom· phalement menée reste échec, c'est· à-dire incomplétude à· compléter. Elle vit parce qu'elle est ouveI1e. L'échec, id, est clair. Kierkegaard manifeste l'historialité mais manque l'histoire. Buté contre' Hegel, il s'est employé trop exclusivement à rendre sa contingence· instituée à l'aventure humaine et, de ce fait, il a négligé la praxis qui est ra· tionalité. Du coup, il a dénaturé le savoir, oubliant que le monde que nous saVQns est celui que nous faisons. L'ancrage est. un ·événe· ment fortuit mais la possibilité et la signification rationnelle de ce hasard est donnée dans des structures générales d'enveloppement qui le fondent et .qui sont elles· mêmes l'universalisation d'aventu· l'es singulières par la matérialité où elles s'inscrivent. Kierkegaard est vivant dans la mort en ce qu'il affirme la singularité irréductible de tout honime à l'histoirl' qui ,pourtant le conditionne rigoureusement. II est mort, au sein ml'me de la vie qu'il continue par nous, en tant qu'il. demeure interrogation inerte, cel" cle ouvert qui exige par nous d'être terminé. D'autrl's, à son époque ou peu après, ont été plus . loin que lui, ont montré le cercle achevé en écrivant: l.es hpmmes font l'histoire sur la base des circonstances anté~ieure$. En ces mots, il y a et il ni ' a pas progrès sur Kierkegaar :. car Cl'ttl' circularité reste abstraite et risque d'exclure la singularité humaine de l'universel concret tant qu'elle n'intègre pas l'immanence kierkegaardienne à la dialectique historique. Kierkegaard et Marx: ces morts-vivants conditionnent notre ancrage et se font instituer. disparus, comme notre tâche future: comment con· cevoir l'histoire et le transhistori· que pour restituer, en théorie et en pratique, leur réalité plénière et leur relation d'intériorité réci· proque à la nécessité transcendante du processus historique et à la libre immanence d'une historiali· sation sans cesse recommencée, bref pour découvrir en chaque conjoncture, indissolublement liées, la singularité de l'universel et l'universalisation du singulier? lean-Paul Sartre 5
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ROMANS FRANÇAIS ~~~~.~~~~~~~~~~~~!!!!!!!I!!~ •• eette no."elle enellelop~dlefie
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LA trIE SEXIJELLE
Dlet fin el dell
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Françoise Mallet-Joris Les Signes et les Prodiges Grasset, éd.
.'~elell d'Interdits
L'amour ce n'esl Das l'Idéalisma purllaln Qui Ignore la chair, en s'v la/sasnl aller secrêlemenr el hypocrllemenl. mals ce n'esl pas non Dlus/e déchalnemenl d'un érollsme décapité qu'une sexologie Incomplèle pourrall affirmer. Docleur CHAUCHARO
Iln langage enfin clair. Aucune hypocrisie ni fsusse pudeur: pour la première fols, un grand médecin, Have/ock Ellis, a réuni el classé avec méthode le plus grand nombre d'observallons, parfois ahurlssanles, sur la vie sexuelle. Avec sagesse el prèclslon, 1/ répond Il Ioules les questions que se posenl/es Ind/vldus, si sowenllortllrés par la cralnle d'Olre anormaux. Voici les Ihèmes des dix volumes qui consl/luenlla seule encyclopédie de sexologie Jamels publiée, donl l'Immensité el l'audace slupéflenl. Sommaire des dix volumes
La Pudeur. LaP~rlodlelt~§exuelle
adolescents? Comment enseigner la dignité du sexe? Ce livre est surtout destiné aux parents qui, bien décidés Il renoncer aux fables absurdes, Ignorent comment entreprendre l'éducation se, xuelle de leurs, enfants, faute d'être eux-mémes guidés. (312 pages)
La Prostitution. Sulet éternel. Depuis que les hommes sont 'orga· nlsés en sociétés, Il n'est pas une de ces sociétés qLI n'ait connu, toléré, souvent mOme admis la prostitution. Ellis en étudie les raisons profondes ats'attache Il définir le rOla de la prostituée dans la aexuallté masculine. (264 pages)
L'Auto.Erodsnae. Dans ce premier .volume, 'Ellis analyse d'abord la Budeur, comme manifestation érotique féminine.
Tou. la. volum.. ont paru
tén:'~~~~~~~K:,t~~lr:~r~~:.a~~'ra~~~~~~~: d'une forme trés répandue de la sexualité: l'autoérotisme. (~pages)
Comment nalt l'attraction sexuella? Selon quelle démarche mystérieuse procède cet Instinct qui a'un regard fait un désir, d'un contact fortuit crée un s,ntlment et transforme une pensée? Ellis expose Ici 1.. facteurs de l'émotion érotique, les m6canlsm.. du désir et de l'amour. (880 pages)
Le Harlafle, ,1'Ari de l'Anaoura Des slatlstlques récentes montrent que la proportion des mésententes conjugales va croissent. A·t-on perdu le Becret de l'amour? Ellis consecre tout un volume Il la volupté et Il l'harmonie en amour. Il pose sur le mariage un regerd neuf. (312 pages)
Le H~e"n"naedes d~.,latlonssexuelles. Occupé Il élucider l'amour, Ellis est amené Il étudier les phénoménes érotiques - non seulement dans leur forme normale - mals ausal dans leurs déviations et leurs anomalies. A partir d'un cas particulier analysé de trés prés, Il définit et expll-' que le narclsalsme. (308 pages)
L'Eonlsnae l'Ineerslon.
OU
Sous le nom d'éonlsme; Ellis désigne une tendance qui conduit certains Individus Il adopter le langage, les attitudes et les vêtements de l'autre se, xe. Le chevalier d'Eon en est un des premiers exemples connus. C'est dans ce volume qU'est àussi démontré par des exemples précis, expliqués et commentés, le rOle du rêve et des obsesilions dans la vie Intérieure. (372 pages)
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EditIon IImlt. . . 8000 .xamplalr.. numéro"•.
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Ce' volume contient la seule étude approfondie du rOle du symbole et du fétichisme dans la vie amoureuse. Ce texte, qualifié" d'admirable" par Jean Duvlgnaud dans la' Nouvelle Revue Françalae (1/5166), .. éclate de généroalté Intellectuelle ". (458 pages)
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L'Edueatlon sexuelle. La nécessité d'une vérllable éducation sexuelle eat aujourd'hui reconnue. Mals quelle attitude dolt-on Il l'égard de l'Inclination érotique des
~dopter
Plus encore que les autres, ce volume, le dernier de l'œuvre d'Ellis, constitue un appel au bon sens et Il la santé Intérieure. Avant la publication de cette nouvelle encyclopédie de la vie amoureuse, les problèmes qu'Ellis a su abordar avec autant de tact, que d'Intuition n'étalent traités que par des spécialistes qui se cantonnaient dans les cas pathologiques. Ellis, lui, se penche sur l'homme normal. (312 pages'
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Lorsqu'on vit Françoise MalletJoris, après sa Lettre à moi-même, dériver vers 1'histoire romancée (Marie Mancini), on put craindre que sa conversion n'eût stérilisé, en elle, la veine romanesque souvent audacieuse, dans son érotisme à la fois glacé et désinvolte. La lauréate du Fémina paraissait tellement plus à l'aise dans le désordre des sens, la liberté du verbe, des images et de la fiction !... On jetait un regard nostalgique vers' ses premières œuvres. La jeune fille des Mensonges, encore fragile et démunie, prolongeant cette posture, essaie de dur· cil', dans la rouerie, sa naïveté ini· tiale. Mais déjà, avec cette histoire touffue d'hél'itage aux accents balzaciens, l'aventure individuelle est située dans un cadre social qui la débordera avec l'Empire Céleste et Les Personnages. Dans Les Signes et les Prodiges, elle étale la tranquille 'impudeur qui paraît être, en fin de compte, sa loi naturelle, mais sous laquelle perce l'angoisse, à l'heure de don· ner un sens à la flouerie de la vie. Et c'est cette angoisse même qui pousse son héros à interpréter au lieu de voir. Quelle débâcle intérieure dissimule cet affût des signes chez un homme athée, ou qui, se croit tel, parce qu'il se voudrait tel ! Préoccupation bien moderne que ce décryptage de l'univers, introduit dans l'art par le symbolisme et le surréalisme et que poursuit Bujourd'hui une certaine Critique.
Le titre, de résonance biblique, nous renvoie, de fait, à de multiples paroles de l'Ecriture. Il garde même l'ambiguïté attachée à ces notions de signes et de prodiges. Tout est signe ? Peut.être, mais il en est de vrais et de faux. Comme à côté des vrais prophètes, les idoles trompeuses. C'est qu'il y a toujours un décalage entre le signe que 1'homme exige de Dieu (un messianisme temporel par exemple) et celui que Dieu donne (la baleine de Jonas). Antinomie radicale entre la question et la réponse. Le livre de Françoise Mallet.Joris .ne satis· fait pas pleinement à cet égard : on ne sait au juste si elle parodie la recherche des signes comme un fa" talisme calfeutré, si elle met en garde contre le risque d'une interprétation délirante, si elle regrette qu'ils ne soient plus éloquents, et donc plus contraignants, si elle invite à les dépister pour que l'homme y lise son destin. Une marge d'incertitude sépare, de propos délibéré, le livre du lecteur. Là est sans doute la morale de l'histoire. C'est un homme encore jeune, Nicolas' Léclusier, qui est ici le porte-parole de l'auteur. C'est lui qui jouera jusqu'au bout la carte de la révolte, c'est lui qui, de façon masochiste, s'anéantit dans sa pro-
propre quête d'unité et sa soif de vérité. Sans crier gare, ce jeune écrivain quitte une' confortable si· tuation pour s'engager, aux côtés de sa maîtresse, dans une douteuse' affaire de presse et de fina~ce. Sans amour, car plus rien n'importe. Il lui faut oublier la mort de Rènata, la déportation de sa mère Wanda qui a épousé par la- suite son gar· dien de camp, le sacerdoce de son frère Simon, caché derrière une soutane plutôt que de regarder en face 'l'incohérence des choses. Ce dernier, inquiet du départ de Ni· colas lui ménage des retrouvailles avec leur mère (qui n'a rien d'une sainte ni d'un monstre) et leur beau.père, tout ce qu'il y a de brave homme. Mais c'est trop dé chocs pour Nicolas : les signes se ren· voient dos à dos. S'il se suicide à
Françoise Mallet.Joris
cause de l'enfant qui va naître de lui, c'est par crainte de le corrompre en restant de ce monde. Lui, au moins, sera sauf. Intact. Mis à l'abri de Dieu. L'accident sera for· tuit, dérisoire. Ce sera l'épilogue d'une vie sans signification. Pourquoi alors parler de « si· gnes » et de (l prodiges », leur con· férer une relation à un autre ci or· dre », ne pas réduire l'événement à sa matérialité, étla vie à « une belle histoire pleine de signes, de mirages, de miracles », dont personne ne connaîtrait plus la signi. fication ? Car, c'est le désespoir, en eux, qui leur donne tant de force. C'est la mort qu'ils contiennent qui les rend si vivants. Quand Nic()1as est·il sincère ? Lorsqu'il souffre de ne pouvoir se détacher de la trop fidèle sollicitude de Dieu, dans un univers où tout le rappelle. (Dieu s'était mis en lui comme un ver dans urt fruit, et il n'arrivait pas à l'extirper) ou, lorsque, la vie sans Dieu n'étant pas soutenable, l'y introduire est cependant un artifice que tout son être refuse. Sincère, dans les deux cas, mais trop faible ' pour être véridique et accepter la contradiction, pour choisir l'autonomie ou la dépendance. La praxis eût sauvé ce vélléitaire, mais il en reste aux pétitions de principe, aux palinodies ombrageuses, et il en meurt. Livre étrange, irrigué par la foi et qui distille la désespérance. Il renvoie les héros et nous·mêmes à une solitude fondamentale, signe de notre condition mortelle lézar· dée par l'angoisse du néant, mais rançon, également, du narcissisme. Michèle Cote
André Dhôtel Pays natal Gallimard éd. A la fiIi du nouveau roman d'André Dhôtel, un jeune homme contemple la fille qu'il aime depuis son enfance: La lumière de ses yeux et de son visage n'avait pas vieilli d'un jour, depuis ce temps... Depuis quel temps? C'était étonnant comme le soir où elle l'avait délivré (on n'oublierait jamais) ou encore comme cette nuit sous le réverbère quand il l'avait reconnue (on n'oublierait jamais).
elle devient le symbole d'un 'ailleurs vers lequel on tend. Ainsi s'explique le goût des vagabondages chez les jeunes héros de Dhôtel. En même temps, cet ailleurs n'est au fond que le véritable pays natal, puisqu'on est né jadis à la « vraie vie» en regardant le visage de la fillette : là oÙ,on le retrouvera, là on vivra pour de bon. Au début voyons Félix de vingt-cinq abandonné )),
de Pays natal, nous Marceau, un garçon ans, ancien « enfant qui, grâce à son tra-
Cet « on n'oublierait jamais », répété deux fois entre parenthèses comme un refrain de chanson, m'a rappelé le « qui le savait? » utilisé de la même manière poétique, au début de L'Homme de la Scierie : Il y avait eu ces courses folles le long des quais de Nogent. On se baignait dans les roseaux. Garçons et filles étaient nus. Qui le savait? D'un refrain à l'autre, il y a place pour tous les jeux de la mémoire et de l'oubli. Il y a toujours eu pour les personnages de Dhôtel, dans le passé, une illumination, un moment de bonheur qui justifiait la vie; et comment ne souhaite, rait-on pas le retrouver? Ce souhait porte un beau nom, cela s'appelle l'espoir. Mais les héros de Dhôtel ne parlent guère de l'espoir qui les nourrit, c'est plutôt le moteur secret de leurs actions. Eux-mêmes ne sont pas très conscients de ce qu'ils cherchent, ils paraissent souvent des êtres abandonnés aux ciro constances, et l'on voit chez Dhôtel des amoureux qui ne sewhlent même pas savoir qu'ils aiment. Cependant leur cœur et tout leur corps ne l'ouhlient jamais, même lorsque leur esprit pense à autre chose.
Le souvenir du bonheur est lié à celui d'un visage de fille un peu sauvage. La fille a disparu. Absente,
de. Félix voudrait bien ne pas se compromettre avec lui, mais il se trouvera impliqué dans une fâcheu· se bagarre et c'en sera fait de ses projets de mariage. En vérité, ce qui a resurgi avec Tihurce, c'est le souvenir d'une fillette surnommée Puceronne, qui dirigeait la bande adverse dans les batailles de gosses et dont le visage était « d'une beauté incroyable» (puis la fille avait la première quitté Namur...) Félix ne s'est pas compromis avec Tihurce, mais avec un souvenir. Et com· mencent les aventures. Elles nous mèneront en particulier à Charleville, qui se trouve être le Pays natal de Puceronne. A noter que ni Félix, ni Puceronne ne se reconnaîtront tout de suite. Là aussi on yourrait voir un symbole. André Dhôtel est ici dans ses meilleurs jours. Il m'a semblé que la dose de cocasserie était peut-être plus forte que d'habitude, mais cela, c'est un autre aspect du' livre. Pays natal: un voyage dans un pays où l'on aimerait bien vivre. Le pays natal de Dhôtel est celui des contes de fées. Jacques Brenner
Roger Blondel Le Bœuf Robert Laffont, éd.
André Dhôtel
vail, a obtenu un bon emploi à Dinant. Il se trouve sur le point d'épouser la fille de riches bourgeois. Il est heureux. L'avenir lui sourit. C'est alors que reparaît dans sa vie un ancien camarade de Namur (où il a été élevé). Tihurce n'a pas bonne réputation: il est mêlé à des histoires de contreban-
Henri Denizot, né le 4 septembre 1904 en Corrèze, a l'œil globuleux, une placidité. à toute épreuve et un asthme coriace; il est professeur de physique dans une petite ville et ses élèves l'ont surnommé « Le Bœuf ». Il le sait et connaît les passages de son cours - toujours identique - qui déchaîneront les chahuts formidables. Lorsque année après année il s'écoute dire : « Supposez un instant que vous vous mettiez à cheval sur un rayon lumineux qui part de l'étoile
Sirius il prononce : l'étouale Sirious... le tumulte devient chaotique. Henri Denizot ne s'émeut pas pour autant. Roger Blondel n'a pas seulement voulu nous raconter les vicissitudes d'un mauvais professeur, il s'est glissé dans ses pensées. Le Bœuf pense sans arrêt... il a de calmes élèves, petites idées sur tout fromages, souvenirs. Il enregistre tout ce qu'il voit. Son monologue intérieur est tout d'abord une cascade de courtes phrases, au bout de quelques pages la cascade devient les chutes du Niagara, et finalement un déluge qui prend peu à peu une allure démentielle. Ce bovidé aime les femmes, du moins il y pense constamment, imagine des aventures avec la fleuriste, avec la crémière et surtout avec la « Vénitienne », dessin formé dans son plafond par une fissure suggestive... Il considère ses collègues sans méchanceté,' mais sans hêtise non plus; il les « voit venir )) et se réfugie vite dans son monde intérieur. Il aime ruminer ses pensées : c'est bon, c'est à lui. Il est seul, car la brave Madame Denizotn'est à ses côtés' ...qu'un aide-mémoire. Cette solitude lui apporte un certaine force. Pourtant, une fois' il a. eu une vague, très vague sympathie pour un collègue. Celui-ci passe de vie à trépas dans un accident d'auto. Le Bœuf va-t-il enfin réagir? Non, ce qui le préoccupe, c'est de tenir un des cordons du poêle. A suivre DeniZot, un vertige s'empare de nous : devant la médiocrité à l'état brut, sans la moindre méchanceté, sans le moindre grain de sel... Blondel accentue ce vertige en faisant courir ses phrases à toute vitesse. Grâce au ton, au rythme, il a réussi à fabriquer un « gadget )) littéraire. On vend bien des boîtes d'air pur ou des cerveaux transparents. Marie-Claude de Brunhoff
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La QUinzaine littéraire, 15 juin 1~66
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;"LIT"T-ÉRATURE "É'TRANGÈRE
Desoiseallx et des feJnDles . Carlo Cassola . Le Chasseur traduit de l'italien par Philippe Jaccottet Le Seuil, éd.
Les Français pensent qu'au Nord de Rome l'Italie est civilisée et que les romans qu'on y écrit sont mo· dernes, citadins, en qtIelque sorte continentaux. L'idée n'est juste qu'en partie. Ces romans peuvent être encote régionaux, mais d'autre manière que provinciale, qui serait la manière française ; et aussi ter· riens, campagnards, mais d'une façon particulière, sur fond d'His· toire et d'inquiétude métaphysique, comme le furent les récits de Pavese. Ainsi Mario Rigoni Stern qui nous contait, il y a quelques années, ses balades en forêt, en montagne, au Nord de Padoue, yrès d'Asiago, dans sa Chasse aux coqs de bruyèrel : récits, on le devine, de pour· suites d'oiseaux souvent vaines, mais associées à des souvenirs de guerre en Ukraine, d'émigration aux Amériques qui, sous la précision de la narration cynégétique, font vibrer la nostalgie d'on ne sait trop quoi exactement. Or, voici qu'aujourd'hui Cassola, en la personne interposée d'un dénommé Alfredo, s'est mis à sOn tour à chasser. En Toscane cette fois, tantôt en bordure de la mer pour la passée des cailles, tantôt par monts et vaux pour y faire lever la perdrix ou sur le pourtour des champs à guetter les alouettes. Il n'ignore rien de ce dont il parle, ne nous fait grâce d'aucun détail, n'évoque jamais le décor qu'en fonction du gibier qui s'y cache et qu'il s'agit de débusquer. Un vrai texte de professionnel. Une existence active et simple, remplie de choses à observer et de gestes à accomplir qui occupent entièrement l'esprit. Le froid, la chaleur, la pluie, la nature du terrain, des cul· tures, le coup réussi ou raté, par-
Des aventures en Toscane
fois un regard au ciel ou sur les manèges d'un insecte. Une région sans passé, anonyme, avec des char· rettes qui vont et viennent, des ombres qu'on salue dans la nuit. Le reste est pour gens cultivés ou pour ceux qui se croient poètes. Sa vie était pleine, comblée, pas moyen d'y rien ajouter, dit Cassola de son personnage. Pourtant le pays est en guerre. Celle de 14, qu'on se rassure. C'est· à·dire une guerre lointaine, pour nous qui l'avons presque oubliée comme pour ces Toscans de naguè. re,puisqu'elle se déroule dans les Alpes. En apparence, tout d'abord, elle semble n'avoir rien changé à l'aspect tranquille des lieux. Puis on s'aperçoit qu'elle a tout de mê· me mo4ifié le dosage de la population : moins de jeunes mâles, plus de jeunes filles qui, abandonnées à' elles-mêmes, sont dès lors plus vulnérables. Si bien que, réformé pour un souffle au cœur, notre embusqué d'Alfredo y trouve, au cours de ses promenades, l'occasion d'une nouvelle chasse, celle de la femelle à renverser dans les brous· sailles d'un talus . .Pas plus passionnante, d'ailleurs, la' victoire sur cette proie que sur le gibier à plu-
me, mais menée selon la même technique, circonspecte et têtue. Au fil des pages donc, en écho assourdi des carnages de Caporetto, anecdotes de chasse et aventures d'amour se trouvent intimement mêlées, toutes les deux faites de rencontres, de coups de chance, d'attentes et de lassitudes, d'agressivités sans cause, quoique opiniâ. tres et cruelles, de la part du coureur de jupons ; d'étourderies, de prudences et de craintes justifiées de la part de la victime. Un rythme, un schéma identiques ; une sembla· ble désillusion, une pareille indiffé· rence une fois le jeu à son terme. Au bout d'une longue période d'af· fût entrecoupée de pauses, c'est comme il a tiré un geai, à deux doigts de renoncer, mais se ravisant tout à coup, qu'Alfrédo couche avec Nelly. Elle sera enceinte. Il partira. Elle épousera un bon bougre ; il reviendra, verra son fils qui lui aussi voudra chasser. Tout est dans le sens de ce verbe chasser qui s'applique à tant de do· maines. Aimaient·ils ? La femme, oui ; l'homme, non. Mais cela im· porte peu. Chacun dans le rôle que le sexe leur avait assigné, ils se sont soumis humblement à un ri-
tuel ancestral, réglé de toute éternité. Un sport, une distraction, un mélange d'instinct et de maîtrise, de persévérance et de laisser-aller. Pourtant, il est clair que sous ces comportements dictés par l'ennui, la coutume, le désir d'aboutir et de se découvrir adroit, ils visaient à un bonheur qui leur a été refusé, dont ils n'avaient aucune prescience, mais qu'ils auraient su recon· naître. La réussite est si négligea. ble, comparée aux travaux d'approche! Alfredo vend d'habitude le contenu de sa gibecière avant même d'arriver chez lui. Pourquoi se se· rait·il attaché à cette femme prise au piège ? Tuer, aimer, la chose faite, on ne comprend plus son attrait. La vie coule, efface les traces. Subsiste cependant un regret d'un quelque chose qui n'a pas eu lieu. Ce quelque chose est ce qu'on attend de Cassola, qu'il ne pourra jamais nous dire, quoique cela flotte à l'état diffus dans le moindre de ses propos. Souvent on croit que cela se concentre, va prendre forme et persister. Mais le temps 'd'une phrase sur la forme d'une colline ou la couleur d'un nuage, et cela se disperse, se dissout. Le poète re· devient « chasseur ». J'entends par là quelqu'un qui découvre le monde au travers d'une profession ou de sa distraction préférée. Qui regarderait avec les mains, la peau qui sue, les jambes qui marchent. Et d'être ainsi conditionné le rend curieusement perspicace. Mais à l'aube et au crépuscule, dans l'errance et l'ombre qui aiguisent les yeux il souhaiterait voir encore mieux. voir proprement l'invisible. Tout le monde sait que c'est impossible. Lui le premier. D'où son admirable modestie, sa discrète mélancolie, ses délicates nomenclatures· d'insignifiances si émouvantes, sa manière d'aller son chemin le nez sur les choses et la tête ailleurs. Georges Piroué 1. Denoël, éd.
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ARAGON le réalisme de l'amour' PAR JEAN SUR
AVEC DES NOTES MARGINALES D'ARAGON
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PAULLEAUTAUD BORIS ~ VIAN:•
la poursuite : de la :• vie totale:
.•.
PAR HENRI BAUDIN •
LE CENTURION ••• 8
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Lettres à Marie Dormoy inédit
•. Un ton qu'on ne retrouve dans aucune autre de ses œuvres"
EDITIONS ALBIN MICHEL
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Le vertige de Borges Jorge Luis Borges Discussion traduit de l'espagnol par Claire Staub Coll. La Croix du Sud Gallimàrd'~d. 176 p.
Le dernier recueil de Borges publié en traduction française, Discussion, correspond (à peu près) au tome VI (Discussion, 1957) de l'édition Emecé des Œuvres Complètes. Le prière d'insérer parle d'un ordre rigoureux voulu par l'auteur, mais il faut· alors admettre que cet ordre est assez rigoureux pour s'accommoder de trois sup· pressions: celle d'un essai sur la poésie gauchesque, et celles de la Note sur Walt Whitman et des Avatars de la Tortue, déjà traduits dans Enquêtes. En vérité, prêter de la rigueur à la disposition des textes est bien la plus vaine des superstitions d'auteur, ou d'éditeur, car, à supposer qu'un lecteur sur mille consente à respecter cet ordre factice, imaginer qu'un sens s'attachera de lui-même à une telle succession, c'est accorder au déroulement temporel une importance plus qu'excessive: que voudrait une si· gnificationqui ne pourrait être perçue que selon un parcours imposé, comme ces curiosités touristiques dont la pleine jouissance exige que le visiteur se poste précisément à telle heure en tel lieu pour saisir aux cheveux le passage fugace d'on ne sait quel effet de perspective ? Je me refuse donc à croire qu'un écrivain aussi scrupuleux que Borges ait eu cette frivolité rhétorique, et j'affirme que la figure de son œuvre est lisible en tous sens et à . tous régimes, pour deux raisons dont chacune est suffisante. La première est très générale: c'est que ce patient labyrinthe de formes que dessine un auteur, et qui n'est rien d'autre que son portrait, se .dispose non dans le cours du temps, mais dans l'espace de l'écrit et de la lecture; lire (lire vraiment), c'est toujours déjà relire, c'est-à-dire relier plusieurs textes ·dans une seule et multiple lecture, et peu iinporte alors, dans la simultanéité encbevêtrée de la compréhension, quelle fut la disposition première de ces tex. tes. La seconde raison est, si l'on veut, plus spécifique, encore qu'il soit malaisé de discerner si elle contredit la première ·ou si elle se confond simplement avec elle: c'est que, pour tout lecteur borgésien, n'importe quelle page de Borges contient toutes les autres. Je m'autoriserai donc de cette ubiquit~ peur énumérer simplement quelques-unes des magies partielles (et· totales) de cette œuvre ni plus ni moins fortuite que les autres. Je relève à la page lOque Borges se dit helléniste par divination. A la page 15, il cite Gaspar Martin, qui exerce la métaphysique à Buenos-Aires. Page 130, îl désigne James Joyce par cette périphrase minutieuse: l'Irlandais enchevêtré et presque infini qui trama Ulysse. La Quinzaine littéraire, 15 juin 1966
J'ignore pourquoi ces locutions, diversement, me fascinent. Ou plutôt, je crois savoir qu'elles me fascinent, justement, parce que j'ignore pourquoi. Voici maintenant quelques motifs plus graves pour s'intéresser à ce livre. Page 139, Borges remarque, après Gib~n, qu'on ne trouve aucun chameau dans le Coran, et il en conclut à l'authenticité du texte: seul un Arabe pouvait négli-
thèse, dans Tlon Uqbar Orbis Tertius, la paternité conjointe du Tao Te King et des Mille et une Nuits. Pourtant, penser à l'œuvre de Flaubert c'est penser à Flaubert, à ses consultations nombreuses et à ses inextricables brouillons. Don Quichotte et Sancho Pança sont plus réels que le soldat espagnol qui les inventa, mais aucune créature de Flaubert n'est aussi réelle que Flaubert. Le paradoxe n'est peut-être ici
ger un détail aussi typique, n'importe quel faussaire aurait prodigué la caravane· à chaque page; donc, l'auteur· du Coran est bien Mahomet. (De ce syllogisme elliptique, le lecteur rétablira sans peine la mineure, clandestine parce qu'évidente: tout Arabe est Mahomet). Page 130, Borges observe que nul ne pourrait deviner, sans le savoir par avance, qu'une même plume a écrit Salammbô et Madame Bovary. Leur auteur devrait donc être ùn personnage aussi inconsistant que l'improbable homme de lettres auquel la critique attribue par hypo-
qu'apparent, puisque Borges semhIe admettre aussitôt que Flaubert lui-même n'est rien d'autre qu'un personnage de fiction, laquelle fiction est évidemment la Correspondance. Page 36, on trouve cette hypothèse (inavouée) selon laquelle le véritable Enfer chrétien serait le mystère de la Sainte Trinité: l'enfer est une violence purement physique, mais les trois personnes inextricables impliquent une horreur intellectuelle, une infinitude étouffée, spécieuse, comme de miroirs opposés. Enfer typiquement borgésien,
mais retenons encore, concernant l'autre, cette profession de foi d'une exemplaire sohriété: Les catholiques (lisez: les catholiques argentins) croient en un monde de l'audelà, mais j'ai remarqué qu'ils ne s'y intéressent pas. C'est le contraire pour moi; ce monde m'intéresse, et je n'y crois pas (page 163). Il va de soi, ici, d'abord que tous les catholiques sont argentins, et ensuite qu'une relation d'incertitude énonce que l'on ne peut à la fois croire à une chose et s'y intéresser. Notons enfin, vers la page 39, la conjecture vertigineuse d'un Livre hypermallarméen, texte absolu, où la collaboration du hasard se réduit à zéro. Aucune des innombrables relations contenues dans ce livre ne serait insignifiante, toutes les lectur.es, de gauche à droite, de droite à gauche, verticale, bouestrophedon (une ligne de droite à gauche, une de gauche à droite), en diagonale, en profondeur (toutes les premières lettres de toutes les pages, puis toutes les secondes, et ainsi de suite), et toutes leurs. combinaisons possihIes seraient pertinentes et révélatrices : livre impénétrable à la contingence, mécanisme aux desseins infinis, aux variations infaillibles, aux lumières superposées, cette anagramme totale existerait déjà, si Dieu lui-même avait dicté mot·à· mot la Genèse, comme le croit la Cahale. Faute de quoi, comment empêcher que la littérature ne s'ef· force impatiemment, imprudemment peut-être, vers ce degré absolu de l'Ecriture ? L'exercice le mieux apte à suggérer quelque chose de cet infini est peut-être encore la traduction. Du moins peut:elle figurer les innom· hrables vicissitudes par lesquelles passe un texte, avant et après sa naissance. Toute traduction est en principe inférieure au texte original, mais ce principe est une pure superstition. Un hon texte souvent pratiqué apparaît comme parfait et définitif, et ce sentiment est évidemment illusoire : l'idée de texte définitif ne relève que de la religion ou de la fatigue. Le classicisme de Borges refuse toute excellence aux textes intraduisihles, comme les poèmes de Gongora, et célèbre au contraire, avec une ferveur appliquée, la façon dont l'Odyssée ou le Quichotte gagnent· des batailles posthumes contre leurs plus négligentes versions. Saisissons l'occasion de discerner de quel côté penche l'œuvre de Borges lui-même, en comparant, comme il l'a fait pour Homère, deux traductions du premier para· graphe de L'art narratif et la Magie. La première est celle du recueil pu· hlié chez Gallimard, nous la devons à Mme Claire Staub : L'analyse des procédés du roman n'a guère connu de publicité. La cause historique de cette réserve prolongée est la priorité d'autres genres. La cause fondamentale, la complexité presque inextricable des artifices du roman, qu'il est difficile de dégager de la trame. L'analyste d'une pièce •
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Le vertige de
juridique ou d'une élégie dispose d'un vocabulaire spécial et a toute latitude pour produire des paragraphes qui se suffisent à eux.mêmes; danS le cas' d'un long roman, il manque de termes consacrés et ne peut ülustrer ses affirmations par des exemples immédiatement probants. Je demande donc un peu de patience devant les .recherches qui vont suivre. La seconde a été proposée voici quelques années par un des écrivains les moins contestables, et donc les plus contestés, de' la nouvelle génération : Rares ont été les analyses des procédés romanesques. La cause historique de cette persistante . réserve est la priorité donnée aux autres genres littéraires; la cause fondamentale, la presque inextricable complexité des artifices du roman, dont il est laborieux de dégager la trame. L'analyste d'un cas de jurisprudence ou d'une élégie dispose d'un vocabulaire spécialisé et de la facilité de citer des paragraphes qui se suffisent à eux-mêmes. Celui d'un long roman manque des termes convenables et ne peut illustrer ce qu'il affirme par des exemples immédiatement convaincants. Je demande donc un peu de résignation pour les vérifications qui vont suivre. Décevante confrontation, d'où ne consent à se dégager aucune impression décisive, si ce n'est l'évidence de quelques incompatibilités par· tielles, et l'avantage éclatant de résignàtion sur patience : trouvaille si rigoureusement horgésienne qu'on la dirait volontiers apocryphe, si le suspect n'était ici la marque même de l'authentique. Tout recours au texte original fausserait inutilement leS conditions de l'expérience: on s'en tiendra donc à une perplexité factice, mais salutaire. Demandons·nous enfin pourquoi toute tentative d'écrire, si peu que ce soit, sur Borges, tourne presque inévit8blement à une sorte de parodie, laborieuse, souvent irritante, comme si le discours horgésien ne pouvait susciter d'autre discours que sa propre imitation (ou carica· ture), tel un miroir qui ne pourrait refléter que son propre reflet dans un autre miroir, si possible identi· que. Je me suis déjà posé cette question, et je crois pouvoir suggérer l'explication suivante. Borges, selon cette hypothèse, ne serait pas un écrivain, c'est-à-dire une manifestation particulière de la littérature, mais tout le contraire: l'idée même de littérature, dans son état le plus général, et poussée jus. qu'à l'absolu. Cette idée, Maurice Blanchot l'a nommée l'infini littéraire, et, comme on le voit en ma· thématiques, rien n'est plus contagieux que l'infini. C'est, dit Borges, un concept qui corrompt et dérègle tous les autres et qui, une fois admis dans une pensée, éclate et la tue, ne laissant rien subsister que luimême. Parler de Borges, c'est introduire dans un discours quelque chose ~ déjà le comprend et l'annule. J'écris sur Borges, maiS c'est Borges qui m'écrit, et qui m"efface. Gérard Genette 10
Lettre de Montréal
Borges Le jury qui vient de choisir le lauréat du Grand Prix de la ville de Montréal avait l'embarras du choix. Les années se suivent et ne se ressemblent pas. Quand on a décerné ce prix de $3,000 pour la première fois l'an dernier, on a beaucoup hésité avant de décider de proclamer Réal Benoit comme gagnant. Certains membres du jury n'étaient pas convaincus que son petit roman Quelqu'un pour m'écouter méritait une si haute récompense. Mais il eût été absurde de lancer le prix et d'avouer qu'on ne peut l'accorder faute de lauréat. Cette année, en revanche, la moisson a été riche. On avait à choisir entre un poète, Roland Giguère, et deux romanciers. Hu-
préoccupait. Cependant, le Canada point de départ essentiel, lui pero met de rejoindre l'universel. C'est à travers le Quéhec et non au-delà du Québec qu'il s'ouvre au monde. Et c'est pour cela que le drame de l'homme quéhecois, les ambi· guïtés de sa vie, ses déchirements, sa recherche d'identité lui inspirent ses plus beaux poèmes. Giguère n'est pas un poète social. Ce qui importe pour lui, c'est le poids des forces écrasantes qui accahlent l'homme d'ici et l'énergie dont il fait preuve. pour s'en libérer:
Un vent ancien arrache nos tréteaux dans une plaine ajourée renaissent les aurochs la vie sacrée reprend ses ornements de fer ses armes blanches ses lames d'or pour des combats loyaux Giguère est sans doute parmi les poètes canadiens celui dont le chant atteint un lyrisme déployé, exempt ~e sentimentalité. Certes, on perçoit ici et là des influences : celle d'Eluard en particulie'r. Sa 'voix n'en demeure pas moins personnelle. Sa poésie est celle de l'espoir et de l'attente:
Plus tard le ciel déchiré de cris plus tard les enfants nus plus tard les bruits légers des belles rencontrés plus tard les poignets cernés par l'amour plus tard la pitié des affamés plus tard le livre comme un oiseau blanc plus tard le culte des innocents.
bert Aquin et Marie-Claire Blais. Claire Martin était également dans la course avec ses mémoires. C'est Roland Giguère qui l'a emporté. Son recueil, L'Age de la parole comprend ses poèmes de 1949 à 1960. Giguère est l'un des poètes les plus marquants de sa génération; Œuvre considérable mais très peu connue. Peintre, dessinateur, imprimeur,Giguère a vécu' pendant de 10ng1Jes années à Paris. n faisait paraître des plaquettes" en édition de luxe.· n en était luimême l'éditeur et l'imprimeur. Ses lecteurs formaient un cercle restreint qui l'entouraient d'estime et d'admiration. Pour beaucoup de lecteurs qui connaissaient Roland Giguère de nom et qui avaient lu quelques-uns de ses poèmes dispersés dans les anthologies, ce livre fut la grande révélation de }lannée. A le lire, on a l'impression que Giguère avait un pouvoir de divination. Malgré son exil volontaire et momentané, il est" resté un poète d'ici et c'est l'homme. d'ici qui le
Giguère est aussi le. poète de l'énergie. n croit en les forces de l'homme et il croit en les forces de la nature. De l'union' de l'homme et de la nature surgit la vie qui se fait chant. Le paysage que vit et que décrit Giguère au·delà de l'exil et de l'ouhli est celui de son enfance celui de sa terre natale. Dans ses exils, il retrouve le sens des II plus obscures paroles »:1.oin du Canada, à l'ombre même des désirs, on revit les chemins de neige et c'est a ce moment-là que Giguère découvre son adhésion à la :vie qui devient réalité:
nous appartenons à tous les futurs puisque ta réalité est possible puisque tu es réelle au" cœur des neiges éternelles. Par la voies les plus indirectes et les plus insoupçonnées. MarieClaire Blais rejoint Giguère dans son roman Une saison dans la vie d'Emmanuel'. Livre insoutenable et d'une puissance poétique rarement atteinte dans la littérature canadienne. Dans ses précédents romans, Marie-Claire Blais nous faisait pénétrer dans un monde de rêves tourmentés, d'angoissants
personnages et d'images infernales. Ici, elle atteint le hout du tunnel. Son cauchemar revêt une force telle qu'il se confond avec la réa~ lité, qu'il se transmue en une réa· lité transfigurée par une douleur inguérissable. n est un grand malheur : celui de naître pauvre parmi des êtres qui vivent aux confins de l'humain. Il est dur ce monde où les enfants tent~nt, dans Î'épuisement de plaisirs sordides, de reculer .le moment où ils seront envahis par un monde de dégra. dation. Pour Marie-Claire Blais, les adultes sont frappés d'une humiliation telle que même le souvenir d'une dignité passée leur est interdit. Ce livre est aussi un livre d'attente, un livre annonciateur. Ses personnages sont dans les limbes. L'homme d'ici naît et ce sont les poètes qui le proclament, au delà une simple quête d'identité. Et c'est une telle quête q~e nous évoque Hubert Aquin dans Prochain épisode. C'est un roman dans un roman et ce n'est pas sans rappeler le Feu pâle de Nabokov. Un Canadien-français revit la révolution manquée. Pour la comprendre, il la refait en imagination. Aquin nous entraîne dans une in· vraisemblable histoire d'espionnage qui se déroule en Suisse. Après deux siècles de mélancolie et trente-quatre ans d'impuissance, je me dépersonnalise. Pour trouver son identité, ce Canadien-français dépersonnalisé doit surmonter les assauts de l'en· nemi qui gît en lui. Car l'espion mystérieux qui se nomme H. de Heutz est un frère siamois du Québecois en révolte.' Une histoire d'amour s'imbrique dans ce rêve philosophique. Les deux ennemis ont la même amante. Chez le Canadien.français, la feIIime et la patrie se confondent dans une même image. Ce livre contient des pages émouvantes où l'auteur laisse percer les sentiments d'amour pour la femme et pour la patrie. C'est un roman d'une extrême habileté. L'individu est confondu avec la collectivité. La réalité n'est pas encore créée puisque le Cana· dien-français est en perte d'identité. Le roman ne peut donc que s'annuler puisque les personnages ne montent à la surface que pour être assassinés. C'est une œuvre d'élucidation. Il prend son départ .du point atteint par Marie-Claire Blais. Chez elle, la nébulosité fait place à la vie; chez Aquin, la vie est condamnée car elle est jugée nébuleuse. La littérature canadienne·fran· çaise n'en est plus au stade des regrets et des lamentations. Dans ses négations, dans ses refus de ce qui fut et de ce qui est, on décèle les germes d'une affirmation. Malgré les apparences, c'est une littérature qui annonce l'avenir, qui l'accueille, qui le prépare. Naim Kattan 1. Publi~, en France. chez Grasset. Voir .
La quinzaine littéraire, nO 4:'
POÉSIE
La précision des mots André Frénaud Les Rois Mages Nouvelle édition, Seghers, éd. L'étape dans la clairière Gallimard, éd. Voilà, bien campé au milieu de son· œuvre dont il nous donne deux récents grands poèmes déjà noU8. en pressentons' les prolongements dans les textes publiés en ~vue - , voilà donc André, Frénaud reprenant avec un exemplaire souci d'écrivain le livre qui 'le fit connaître et reconnaître d'emblée comme l'un des poètes dont la voix était capahle, dans le chaos de la guerre, de témoigner pour l'homme et de s'affirmer comme' l'une' des vo~ leS plus fortes et les plus évidentes d'un lyrisme nouveau. Ni Eluard, ni Aragon ne s'y trompèrent: Les Rois Mages (publiés par, Pierre Seghers en 1943, réédités en 194~ et 1946), c'était le début d'une œuvre. Les poèmes qui composent ce recueil n'avaient pas été repris quand André Frénaud publia en un seul ouvrage l'essentiel de ses textes, dont les tirages étaient souvent épuisés, sous le titre Il n'y a pas de Paradis 1943 - 1959 (Gallimard, 1962). Cette réédition est donc bienvenue. Ce qui ajoute encore à son intérêt, c'est le patient et difficile travail de révision que Frénaud vient d'accomplir sur ces poèmes - dont quelques-uns ont été sup· primés - , rétablissant la ponctua. tion,et les soumettant à un examen critique d'une scrupuleuse exigence. Rien n'est plus périlleux pour l'œuvre que de vouloir y reprendre les fautes. que le temps y fait apparaître, ou ces écarts, cette dif· férence, de degré et non pas de nature (en ce qui concerne Frénaud), nécessairement fondés entre deux ,moments donnés de l'œuvre. Je crois, ne pas me tromper en assurant que l'apparition de la ponctuation, si parfois elle efface le jeu de miroir des images entre deux vers, si elle supprime l'ap-
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préciser que les deux poèmes de L'Etape ont été écrits alors que la nécessité de la ponctuation le préoccupait mais encore ce qui anime le poème, la constante interrogation de l'homme. C'est bien récho des Rois Mages qu'on entend dans ce nouveau chant, clairement signifié, noté même par la reprise de ces deux vers :
A vancerons-nous aussi vite que l'étoile? La randonnée n'a-t-elle pas ' assez duré ?
élan baroque qui s'élève ainsi en appuyant la lumière contre l'om· bre,
Comme si la chance pouvait sourire à la justiCe. Comme si la passion~faisait un feu durable. Comme si les élans avaient objet destiné. Comme si le mot terminal n'était pas dans la gorge à la naissance.
écho soutenu, multiplié et fidèle, de cette démarche, de ce balancement si caractéristique, comme le mouvement de la mer réglé sur ces vers de L'Etape dans la Clailes 'réalités d'un rivage, ses limites, rière éclaircissent bien cette lutte et la loi des astres qui tournent perpétuelle de deux forces et ce combat de deux courants. Les sous un ciel vide. Mouvement du 'poème sans cesse allant et venant grands poèmes de Frénaud, dont certains sont parmi les, plus heaux de la certitude à l'interrogation, de la sérénité à l'angoisse, de la et les plus forts qui aient été éqits célébration de la terre à l'accusa- . depuis la guerre, prennent tous André Fré_ud tion de la solitude, de poème en leurs racines' dans le livre initial, poème et à l'intérieur du poème : Les Rois Mages, et tous s'élèvent ainsi en se tordant sur eux-mêmes, pour dépasser }lans cesse leur parente liberté de la strophe ou- Les trésors toute la vie contradiction interne, pour porter transportés verte, a su resserrer chaque poème, le plus haut possible, et le plus et en mettant à l'épreuve son éco- depuis l'époque ancienne clair possible, ce chant dont l'in· nomie et son rythme a conduit dans une bourse qu'on ne quitte quiétude se laisse tour à tour emAndré Frénaud à faire la démonspas, porter par l'exultation de la rage tration que ce qui lui importe, ce un caillou, des cheveux tressés, et guider par « les intuitions les ,ne, sont pas les hasards de l'écriture, quelques images, plus profondes de l'être », qui se un carnet d'ivoire avec des mots mais la rigueur du langage. refuse à séduire et demande au pâles... Ecrivain attentif à la précision contraire qu'on l'écoute longue• du mot, à son poids" sa saveur et ...Les pauvres avoirs. L'inutile ment avant de bien l'entendre. sa sonorité, attentif à l'équilibre du charroi... Chant dont la forme me fait vers et ,à la valeur nécessaire de ...]e parle, je parle pour taire songer aux grands baroques franl'image, il' vient de nous donner un silence irréfutable. çais, charriant le mot juste amoula rare leçon d'humilité d'un reusement enchâssé dans la gangue Il y a, chez Frénaud, un imhomme qui connaît bien sa langue, sonore du vers ou soudain l'im· qui sait se fortifier -des contraintes mense élan toujours brisé, toujours posant a~ec brutalité, aux poètes qu'elle lui impose et user des repris, toujours blessé par son de révolte comme aux poètes libertés qu'elle n'offre qu'à partir contraire. Il est déjà un peu auIl métaphysiques »; lisant, relisant de cette connaissance. Leçon d'hu- delà de l'endroit où il s'arrête; .,milité également que ce retour sur pour mieux juger de la lumière Frénaud, je songe presque toujours soi, au moment même qu'il puhlie qui le baignait, de l'ombre posée aux stances du Printemps de d'AuL'Etape dans la Clairière, poème sur lui. A mesure que le poème bigné, et j'y retrouve en écho une daté de 1964, suivi de Pour une s'écrit, le poème se dédouhle: le même helle violence contenue, un plus haute flamme par le défi, possible-l'impossible, la vie morte- niême tremblement, un même écrit en 1960. A mesure qu'il la vie, le honheur-l'injustice, mê- charroi des vocables ave~ de souavance dans son œuvre, sans cesse lant ses deux courants contradic- dains apaisements, et qui demeuil remet en question non seulement toires, les opposant et les tressant rent, dans l'oreille et la mémoire. l'outil qui lui est propre - faut-il l'un l'autre sans jamajs renoncer: ~
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'•...
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'352 p.
15,40 TLC
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F,rank Lloyd WRIGHT
l'avenir de l'architecturé
15,40 TLC
Betty FRIEDAN
la femme mystifiée'
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DéJili parus:
La Quinzaine littéraire, 15 juin 1966
.La douleur manee à la vre sans partage pour vaincre la douleur pour pouvoir vivre
12,85 TLC
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JACQUES BRENNER La·race des seigneurs Les crimes célèbres: PETIOT· MATUSKA • LE VAMPIRE DE DUSSELDORF • LOEB ET LEOPOLD.
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ÉRUDITION
Monsieur Léautaud , pere
• La précision des mots
La vue dépouillée par de nouveaux vr,sages. La voix retenue par les échos enfouiS. Ne reconnaissant plus les regards qu'on aima. Sans plus espérer la parole jumelle~
s'attardant sottement à poursuivre, irrité. Plus tard la fureur amoindrie, la loi qui. gagne, l'arbitrage des désirs et l'apaisement mortel, patenôtres dernières, l'entrée nauséeuse. Mais, au sommet du poème, le combat ne se résout pas. Témoin, entre les hommes, de la souffrance, André Frénaud est aussi témoin de la mort de Dieu. Son inquié. tude, sa recherche constante, la protestation, l'aimante fureur éparse dans son œuvre, témoignent à .la fois de l'absence de Dieu et d'un refus de s'abandonner: la vie, pour être entachée de mal et d'absurdité, la vie nous est due; on découvre, chez Frénaud, une sorte de panthéisme simple fondé sur l'évidence, le recommencement des choses de la terre, au-delà de l'espoir et du désespoir. Le regard peut se porter sur. la mort qui allaite ma vie comme son enfançon, l'homme sait bien qu'il nourrit ensemble un rêve, celui de l'éternel enfant des aventures de la terre qu'il sera toujours, et l'ap. pétit raisonnable d'un bonheur durable:
Et je poursuis dans la durée toujours recommençante... vers mon devenir aux lentes chaînes libératrices.
La poésie est création. Frénaud peut donc céder à son appel: c'est par là-même combattre ce qu'il redoute, le silence dont l'homme n'est plus· maître. La poésie est partage. Frénaud ne la trahit pas, qui voudrait prendre le mal aux hommes et donner de la bonté. Tourné aujourd'hui vers le premier livre, et brassant déjà les images et les joies, les générosités, les souffrances, les admonestations grondeuses et les partages de demain, il peut se souvenir, sans que rien nous guide que le devoir de vivre et d'aider à vivre: C'est l'écho de mon cri dans le futur qui m'appelle. comme nous garderons en mémoire, avec cette fidélité qu'on accorde aux œuvres généreuses, ces derniers vers de L'Etape dans la clairière: Un paradis frêle à l'abri des saules. De l'eau doucement nous recouvrirait, les menues graines. C'est ici où je voudrais . m "evanOUlr A l'instant où le monde serait bon. Claude Michel Cluny 12
Léautaud a si souvent évoqué son enfance et sa jeunesse qu'il n'est aucun de ses lecteurs qui ne sache quels parents hors série ont été les siens. En fait, sur Jeanne Forestier, sa mère, il n'avait pourtant jamais en que des renseignements très fragmentaires. Il approchait de la trentaine quand il eut pour la première fois l'occasion de s'entretenir quelques heures avec elle. Il eût aimé n'en pas rester là, la revoir, en recevoir des confidences, mais un mariage avantageux l'ayant déjà changée en bourgeoise de Genève, Jeanne Forestier devenue Mme Hugues Oltramare ne tenait pas à laisser s'introduire dans son existence ce fils qu'elle s'était autrefois empressée d'abandonner à l'amant qui le lui avait fait. De son père, Léautaud· a tracé dans ln memoriam un portrait que l'on n'est pas près d'oublier. Un portrait si· peu flatté que lorsque le Mercure de France publia ln memoriam dans ses deux numéros de novembre 1905, nombre de gens ne voulurent pas croire qu'il s'agissait d'un authentique portrait du père de l'auteur. Parler des coucheries de son géniteur; peindre celui·ci comme un grigou et comme un fat aimant à plastronner devant les bonnil'hes de son quartier, un tel mépris des convenances· sem· blait inconcevable. On en fut révolté dans· les coulisses de la Comédie Fram,aise, où Firmin Léautaud avait passé presque un quart de siècle. Aujourd'hui, à plus de soixante ans de distance, les réactions ne sont plus les mêmes. Sa qualité suffit à· justifier le portrait qui faisait scandale jadis. La seule question -que l'on se pose à son sujet, c'est de savoir si la ressem· blance y était attrapée. Que Léautaud, dans ce portrait, ne se soit pas interdit la malice et l'ironie auxquelles il était enclin, cela n'est pas douteux, mais il est certain également qu'il n'a pas visé à la caricature. Ce qu'il. lui est arrivé d'écrire plus tard sur son père en maints endroits de son lournal littéraire prouve qu'il le voyait bien tel qu'il l'a représenté dans In me· moriam. Seulement, il n'en aura saisi que quelques aspects, faute d'avoir jamais eu avec lui un peu d'intimité affectueuse et confiante. Il l'a d'ailleurS noté lui-même en écrivant: « Né quand il avait déjà trente-huit ans, presque toute sa vie d'avant m'échappe. Pas un homme, non plus, qui vécût moins chez lui. Tant qu'it fut bien portant, je ne l'ai jamais vu à la maison que pour les repas [ ... ] Cet homme, qui était si gai et si amusant au dehors, paraît-il, chez lui ne parlait jamais, et encore moins de lui, en aucune façon. Ce silence, peut-être faudrait-il en chercher l'explication dans l'échec définitif à quoi Firmin Léautaud avait dû se résigner peu après la naissance de Paul. Celui-ci n'avait encore que deux ans quand, en 1874, son père entra à la Comédie Française, non comme artiste, mais comme souffleur, ce qui,
sans être déshonorant, n'a vraiment rien d'exaltant pour un ancien lauréat du Conservatoire. Né en 1834, Firmin Léautaud avait été admis au Conservatoire en 1856 ou 1857, dans la classe de Régnier. Il y obtint en 1858 un accessit de comédie et en 1859 un second prix de tragédie. Contrai· rement à ce que semble indiquer la brève notice que lui a consacrée Henry Lyonnet dans son Dictionnaire des Comédiens français, il n'avait jamais étudié l'art dramatique à Lille, où il est posSible en revanche, qu'il ait séjoumé entre 1866 et 1868 après avoir joué sans grand succès dans des théâtres de faubourg et des théâtres d'essai. Marie Coll)mbier, dans le chapitre
les répliques, l'émotion de lfJ scène le gagnait, ses ambitions déçues lui remontaient au cœur, il s'emballait, ne se connaissait plus, et l'accent reparaissait. L'acteur qui, au moment de lancer la tirade d'Oreste, se penchait vers son antre, entendait monter des profondeurs le ver, de Corneille traduit dans la langue des porteurs d'eau, et entraîné par l'exemple prcmonça# Grâche au chiel, mon malheur pache mon espéranche ! Si bien qu'il fallut prier Léotaud de souffler d'une voix blanche, sans inflexions. Il s'y habitua comme il s'était fait à son ombre souterraine. Pour Marie Colombier, pour Sarah Bernhardt également, Firmin Léautaud ne pouvait être qu'Auver.
de ses Mémoires où elle raconte son propre pa~sage au Conservatoire, parle de Firmin Léautaud comme un des camarades qu'elle eut alors. L'élève Léotaud, écrit-elle sans souci d'en bien orthographier le nom, organisait des tournées dans les environs de Paris. Il conduisait jusqu'à Chart1p.s le chariot de Thalie et de Melpomène. Mais le plus souvent il donnait au théâtre de la Tour d'AuveJ'~ne des représentations classiques très lngénieusemeni machinées: il s'était imaginé d'utiliser les relations des camarades qu'il faisait jouer pour placer, le plus cher possible, des billets. Le reste était pris par de petites horizontales, elU:hantées de tenir une panne dans un proverbe de Musset, ce qui les préparait à devenir plus tard autre chose que des cocottes: des actrices! [ ... ] Léotaud jouait, à la Tour d'Auvergne, les pères nobles qu'il aurait tant voulu jouer à la Cqmédie Française; il interprétait les classiques avec le plus pur accent d'Auvergne. Et cela était d'un effet irrésistible lorsque, dans les Enfants d'Edouard, il faisait Tyrrel; on l'entendait s'écrier: Ainsi, je recommenche !... Ah! ce malheureux accent! Sans lui, qui sait où Léotaud serait parvenu? Mais il n'y avait pas moyen de s'en débarrasser. Plus tard, à la Comédie Française, Léotaud soufflait encore en auvergnat. Il se surveil· lait, cela allait bien pendant quelque temps, puis, tout en envoyant
goat. Sarah, dans son recueil de souvenirs, Ma double vie, men· tionne ce qu'elle appelle son accent fouchtra. Aimée Tessandier fait encore de lui un, Auvergnat, bien qu'elle ne. raft entendu que beau· coup plus tard, vets<.1889, lors. qu'ayant été engagée A.uxF'rançaïs, elle dut apprendre à Jbuer les Classiques qu'au cours de vingi annÇes de théâtre elle n'avait pas e.ncOre interprétées. Dans ses SouveniTl;' elle dit: Je me suis mis à répéter toute seule. dans un coin du. fOyer public, avec mon souffleur, .M. Léautaud. Pour comble d'infortune, l'excellent homme avait quelque peu la prononciation auvergnate. le le comprenais mal dans mon énervement et, çà et là, j'en arrivais à reproduire son accent. Il est vrai qu'il riait le premier de cette petite mésaventure, et que ses conseils intelligents, joints à cette bonne grâce, cette patience et cette bonté qui, on le sait, firent de lui une si aimable et si sympathique figure, me valurent de ne point abandonner ma tâche. A notre connaissance, des divers chroniqueurs et mémorialistes qui ont parlé de Firmin Léautaud, le journaliste Guy Tomel est le seul qui ne se soit pas mépris sur les origines du souffleur. Sans le nommer, c'est évidemment à Firmin Léautaud qu'il fait allusion lorsque, dans le chapitre de ses Petits métiers parisiens relatif aux souf· fleurs, il dit d'un des souffleurs du
HISTOIRE LITTÉRAJRE
Lantiel chérie Théâtre Français que, prix du Conservatoire et élève de Régnier, il joua les fi1Ulnciers à l'Odéon, fut régisseur général chez Ballande et comédien de la Gaîté et de la Porte Saint-Martin; jusqu'au jour où, lassé de lutter contre un accent méridional qui égayait les situations les plus dramatiques, il écouta les conseils de Maubant et vint offrir ses services à la maison de Molière. Firmin Léautaud était en effet un Provenç~l de Haute-Provence, -'- exactement du village de Fours, aux environs de Barceloimette. Mais il avait contre lui autre chose qu'un simple accent. Il chuintait ct ne parvenait pas toujours à s'en empêcher. Son activité, avant qu'il ne consentît à descendre dans le trou du souffleur, parait avoir été surtout celle d'un organisateur de spectacle, d'un metteur en scène. Après noir monté des classiques au théâtre de la rue de la Tour d'Auvergn~, qui était une sorte de théâtre d'essai. il en monta d'autres da~s une salle du passage du Saumon, la salle Molière. Il servit ensuite de régisseur à Hilarion Ballande, lequel, à partir de 1869, c'est-à-dire à une époque où les théâtres parisiens ne donnaient de représéntations qu'en soirée, s'avisa d'offrir en matinée des spectacles classiques, précédés d'une courte causerie littéraire. Plus tard, ayant renoncé, à la, scène, Firmin Léautaud ne se borna pas à son emploi de souffleur., JI se fit professeur libre d'art dramatique. In memoriam rappelle le cours de déclamation qu'il donnait à des jeunes filles: chaque fois, écrit Paul Léautaud, q~e j'allais le voir à son cours (le matin, dans son cabinet, au Théâtre Français), j'en trouvais une sur se, genoux. Mais sans doute toutes Ses leçons n'étaient-elles pas aussi « particulières ». S'il n'avait eu dessein d'enseigner que la gymnastique de canapé, eût-il demandé à Cil Blas d'annoncer en septembre 1882 qu'il venait de fonder pour les jeunes gens se préparant au Conservatoire un cours de déclamation donné les lundis, mercredis et vendredis, de neuf à onze heures du matin, 42, faubourg Montmartre? Pascal Pia Bibliographie: J. Maret.Leriche, Les Matinées littéraires fondées par M.-H. Bal· lande. Librairie Théâtrale, 1874. - Coup de sonnette, par Coquelin Cadet, Gil BIas, 1er mars 1897. - Marie Colombier, Mémoires Fin d'empire. Ernest Flammarion, '1898. - Guy Tomel, Petits métiers pari-' siens. Eugène Fasquelle, 1898. - Maximin Roll, Notes sur la Comédie-Françai8e. Souvenirs, d'un claqueur et d'un figurant. Magasin Pittoresque, 1904. - Jules Cla· retie, La vie à Pan.' 1905. Eugène Fasquelle, 1906. Sarah Bernhardt, Ma double vie. Mémoires. Eugène Fasquelle, 1907. - Henry Lyonnet, Dictionnaire des Comédiem françai8. Librairie de l'Art du théâtre, ut. Aimée Tessandier, Sou'venirs recueillis et rédigés par Henri Fes· court. Ernest Flammarion, 1912. - Firmin Léautaud, par Auriant, Mercure de France, 15 février 1938. - A paraitre prochainement dans les Annales de HauteProvence une intéressante étude de M. Etienne Buthaud sur Firmin Léautaud et ses origines bas.alpines. La Quinzaine littéraire, 15 juill ,/966
Jacques Laurent La Fin de Lamiel Julliard, éd. Henri Martineau L'Œuvre de Stendhal Edition, revue et complétée Alhin Michel, éd. '
guerre, une Chartreuse de Parme intrépidement récrite d'a'près un film tiré du roman: une telle ignominie vous vaccine à vie contre les indignations inconsidérées. Avec quelle gentillesse, au con· traire, M. Jacques Laurent vient
Vn manuscrit de Stendhal
Ce pauvre Stendhal s'étant montré incapable de terminer son roman Lamiel avant de mourir, M.' Jacques Laurent a jugé qu'il était grand temps de venir, cinq quarts de siècle plus tard, lui tendre une main pour l'aider à, se tirer de ce bourbier ridicule. Sa Fin de Lamiel est un bon devoir d'un bon élève. Si j'étais son professeur, je l'annoterais ainsi: « Votre copie confirme l'opinion qu'on a de vos dons. Le style est généralement rapide, net, un peu terne; par endroits des r-elâche· ments surprennent de votre part. Quant au fond, votre travail ressemblerait plutôt à un schéma trop sec de ce qu'il aurait pu être. Rappelez.vous qu'il y a une ma· nière et une seule de faire du Stendhal, c'est d'être Stendhal.» A vrai dire, ma propre bénévolence m'attendrit moi-même. En ouvrant le livre. je m'attendais à m'indigner ou à m'esclaffer. non pas à y prendre de l'intérêt (nuancé, je l'avoue. de quelque ennui). Ne parlons pas de la préface, où il faudrait l'enchérir sur les violences de Jacques-Laurent Bost, ni des notes, dout les menus canulars sont futiles. ~ais, voyez-vous. je me rappelle avoir lu, peu après la
se placer aux côtés de Stendhal, lui tient le coude, s'efforce de régler sur lui son allure et son pas l Stendhal, justement, parlait d'une timidité hardie; ici on pourrait parler d'une familiarité défé· rente. Ou plutôt d'une déférence familière. Ce serait pire. Je n'aime pas ces familiarités-là. Il me sem· hIe qu'en présence d'un vrai grand Itomme la morale veut, oui je dis hien la morale, que l'on mette tous ses soins à 1'econnaître la diffé. rence. Allons. M. Jacques Laurent irait-il faire des chatouilles à sa grand-mèt'e .~ C'est le cinéma qui nous a communiqué sa vilaine maladie.. On prend Tolstoï. on prend Laclos .- des copains, quoi - , 'on vous les désosse. on vous les triture, on vous les découpe, on vous les ma· laxe, on 'OIlS en fait de la cuisine chinoise. Ils vous disent: transposition; la docte Zazie répond, bêtement et sans réplique: transposition mon cul. Le Rouge et le Noir n'est pas un sujet quelconque qui se prête indifféremment à des modps d'e:>..pression divers; le Rouge cesse d'être lui-même dès qu'il n'est plus lui-même; il n'y a, il ne saurait y avoir qu'un Rouge
et un seul. Yous m'opposerez Bau· delaire, dont une partie des Fleurs est faite pr~cisément de transpositions... Bon. D'accord. Tout cela est inextricahle. Passons outre. M. Jacques Laurent nous conduit à relire Lamiel. Ce qui est aussi à son actif. (Ayez seulement la prudence de lire La Fin de Lamiel avant de relire Lamiel.) De ce roman inachevé et tardif j'avais gardé le sou\'enir d'une entreprise déconcertante et terriblement concertée: tension, raideur, sarcasme systématique. sécheresse poussée à la dessicatioll. Et certes on n'y retrouve plus grand-chose des mélodies adorahles ou tragigues du Rouge, de l.('I:wen et de la Char~ treuse; certes il y a quelques points de ressemblance, ou du moins de correspondance, entre cet essai d'œuvre et .ce que devait être pour Flaubert Bouvari et Pécuchet. Mais il ne faut pas juger de cet ultime Stendhal par référence aux divers Stendhal qui l'avaient précédé. Lisez-le comme si vous ne saviez rien: vous le trouverez mordant, oui. mais plein d'alacrité, .toujours attaché aux « motifs» d'anti-politique et d'anti-morale (c'est-à-dire de politique et de morale) qui le tenaient depuis sa jeunesse, mais renouvelé au point que le roman qui se dessinait en lui eût couvert un espace comparable -'- je sim· plifie grossièrement - à celui qui va de Fielding. de Sterne, pourquoi pas de Dickens, à Eugène Sue, en passant par Balzac, par les complaintes populaires, par les brochures du colportage, et sans 3'écarter néanmoins d'une certaine ligne purement et droitement sten· 1 dhalienne. N'oublions pas Git Bias. Une sorte de roman anglais très français, long. lent, sinueux, délicieusement interminable; et constamment relevé par ce qu'il appelle l'esprit, qui est la forme que prend chez lui l'humour~ Tout cela, bien sûr, n'est point' vrai. Imaginé seulement, ou rêvé, à partir des Il pilotis» implantés dans le texte même de IJamiel,à partir aussi des plans, ébauches et notes anne"Xés par Henri Martineau à ses différente~ éditions, à partir enfin des études et préfaces du même Henri MartineaÜ, te pion. nier quelquefois autoritaire dont on réédite aujourd'hui le gros livre sur L'ŒIU're de Stendhal (II édition revue .et complétée », est-il dit). \'ous y trouverez sur Lamiel vingt pages non pas exhaustives peutêtre. mais hautement instructives. Le premier; projet, tout partial et tout flottant qu'il ait pu être, "embJe remonter à l'époque où parut la Chl!rtreuse, soit au mois d'avril 1839. Six mois plus tard Stendhal se Illet à écrire. L'héroïne dont il rêve doit être un équivalent féminin de Julien Sorel; mais dix ans ont passé depuis le Rouge, dix ans d'évolution ct de révolution dans l'Etat. la société et les mœurs, dix ans aussi de vieillissement chez un homme qui néanmoins., ~ux ~ 13
INCONNU EN FRANCE • Lamiel chérie approches de la soixantaine, conti· nue à ohserver son époque d'un regard scrupuleusement aigu. Il garde, et il attribue à Lamiel, trois répugnances fondamentales, à l'égard de la haute noblesse, des grandes forlunes et de la religion. Ce qui a changé, en revanche, aux yeux de ce napoléonide, c'est la localisation de l'énergie: elle ne peut plus se trouver que dans les basses classes en général et chez les criminels en particulier. Où il se trouve confluer avec Balzac, avec Sue, etc. Ce qui change aussi, c'est la condit~on féminine; mais la mutation n'apparaît pas encore en littérature, et Henri Martineau fait observer quune héroïne aussi af· franchie devra attendre encore un siècle avant de passer pour autre chose qu'une monstruosité scanda· leuse. Ici M. Jacques Laurent marque un point: beaucoup mieux qu'Henri Martineau, pourtant mé· decin, et suivant les indications mêmes de Stendhal, il signale en Lamiel une frigidité d'origine, en somme, sociologique, et qui ne cède que sous l'assaut du criminel grossier et donc naturel auquel elle va désormais s'asservir. Ce qui nous reste de Lamiel semble avoir été écrit en trois mois. Après le début de janvier 1840 Stendhal' n'aurait plus fait que revoir, remanier, prendre des notes, dresser des plans, se commenter lui-même, etc., sans parvenir jamais à pousser plus avant. II manquait d'expérience sur les milieux et motifs' qu'il désirait mettre en œuvre; un Vautrin ou un Chourineur n'étaient pas de sa société, sa délicatesse se serait vite dégoûtée d'eux s'il les eût connus, et je suppose qu'il ressentait, confusémelll peut-être mais vivement, cette aporie. Et puis il manquait alors des longues suites de rêveries qui étaient pour lui la condition préalable des quelques heures d'un travail quotidien à pleine puissance hors de quoi il ne valait plus rien. Il en était réduit à griffonner de fugitives velléités dans les marges de sa propre pen· sée. Besogne qui, il l'a déclaré tant de fois, ahattait en lui l'imagination et la vigueur créatrice. De ce cercle vicieux il n'est plus sorti. Le charitable effort de M. Jacques Laurent, déCidément, ne suffit pas à sortir Lamiel·de l'impasse. Dommage que le plagiat soit aujourcl'hui si tlécrié. Un bOn vieux plagiat à la manière d'autrefois serait tellement plus amusant, à la manière de Stendhal lui-même, à la manière de Molière, - en toute simplicité. Sur des thèmes adaptés - pardon, transposés! - de Lamiel et des scénarios de Lamiel, que ne réussirait pas l'auteur de Caroline chérie et de Prénom Clotilde! De tout cœur je souhaite qu'il s'emploie à un tel ouvrage. Et s'il me le dédiait pour me remercier de mon bon conseil, j'en '. serais heureux et fier; je le dis en toute sincérité. Samuel S. de Sacy 14
A un an de distance, au début des années trente, deux livres paraissaient qui, tout en se complétant, jetaient un éclairage nouveau sur l'esprit de la littérature moderne: La Came la Morte e il Diavolo de Mario Praz (publié en 1930, en italien, mais qui acquit une renommée universelle trois ans plus tard sous son titre anglais de Romantic Agony) et Axel's Castle d'Edmund Wilson (1931). Le livre de Praz était apparemment consacré à un aspect de l'histoire littéraire: celui du développement de la sensibilité (et de la sensibilité érotique en particulier) dans le Romantisme et le « Modernisme » Fin de Siècle. Axel's Castle est .en quelque sorte le prolongement, car Wilson y interprète l'histoire littéraire de notre temps en termes de développement du sym. bolisme et de sa fusion ou conflit avec le Naturalisme. Il est caracté· ristique que ni l'un ni l'autre livre n'ait été jusqu'à présent traduit en français. Bien que Mario Praz ait accompli une longue et brillante carrière' universitaire, il est, comme Edmund Wilson, surtout un artiste', un écrivain (et un des plus grands écrivains italiens contemporains). Il n'est pas étonnant qu'ils soient amis et on ne saurait mieux situer Mario Praz qu'en se référant d'emblée à un essai que lui consacra récemment Edmund Wilson dans le New York (20 février· 1965). Praz étant surtout connu dans les pays anglo.saxons précisément pour The Romantic Agony et, d'autre part, pour ses études sur la littérature anglaise qui ont fait école en Angleterre même, Edmund WiI· son écrit: Ce serait mal concevoir le rôle de· Praz que de le considérer en premier lieu comme un expert anglicisant et un critique littéraire. Il devrait être considéré d'abord comme un artiste - et je ne dis même pas artiste littéraire, car les résultats de ses activités comme collectionneur .de meubles, de tablèaux et d'objets d'art font! tout autant partie de son œuvre que ses livres. Il est un artiste et une personnalité unique qui s'exprime à travers son art en rapport avec tout sujet qu'il traite. Enfin, Wilson trouve que tous les écrits, toutes les collections, toute la démarche intellectuelle. et esthétique de Mario Praz forment un ensemble à la fois si homogène et si particulier, qu'il a été amené, pour le définir, à forger un terme' nouveau: il prazesco, qui comprend un goût certain pour le macabre, mais encore. plus pour le rare et l'etrangC. Il prazesco se trouve tout entier exprimé dans un des derniers livres de Mario Praz, son grand essai autobiographique La Casa della Vita (1958) qui est à mon avis son chef·d'œuvre. Nous retrouvons également il prazesco à la base de l'interprétation que donne du « Mal du Siècle» The Romantic Agony. La critique historique avait déjà des bases solides quand Mattew Arnold écri·
vit que le plus haut devoir du critique est d'exprimer l'espritmaître de la littérature d'une époque. L'histoire littéraire avait donc tôt décelé ce « Mal du Siècle» caractéristique du Romantisme, mais on l'attribuait généralement au passage d'une conception de vie à une autre: l'ancienne foi héréditaire s'était écroulée vers la fin du XVIIIe siècle, tandis que la foi nouvelle, la croyance au progrès, basée sur des idées philosophiques. et libérales, n'aurait encore été qu'imparfaitement assimilée. Ainsi, pour Benedetto Croce - dont les griefs à l'égard de Praz rappellent un des reproches que Picard adres· se à Barthes: trop de sexe le malaise des romantiques serait dû non pas tant à la perte d'une foi traditionnelle, mais à la difficulté d'assimiler et de vivre la foi- nouvelle qui, pour être vécue et mise en œuvre, demandait du coura,ge et une attitude virile... Cela étaii possible pour des intelligences et des caractères robustes... mais hors de portée des esprits féminins, impressionnables, sentimentaux, incohérents, instables, qui stimulaient en eux-mêmes les doutes et les difficultés sans pouvoir ensuite les vaincre, qui aimaient et excitaient les dangers pour ensuite y périr. Praz cite le jugement de Croce dans la préface à la deuxième édi· tion de son livre et il répond: Ces
V. Bonomic : Le charpentier « Il émanait de lui une érudition vouée à l'étrange »
esprits féminins sont ceux que les psychologues ont appelés schizoïdes et on peut se demander si les esprits de tous les artistes n'appartiennent pas, plus ou moins, à cette catégorie. Keats n'écrivait-il pas en 1818, en s'opposant à un de ces « esprits virils li exaltés par Çroce qu 'était Wordsworth: Quant au
caractère poétique lui-même... ü n'est pas lui-même - il n'a pas d'identité - il est tout et rien à la fois - il n'a pas de caractère il s'enchante de l'ombre et de la lumière - ... il a autant de plaisir à concevoir un Iago qu'une [magène. Ce' qui choque le phüosophe vertueux, enchante le poète camé· léon. Pour Mario Praz, l'histoire religieuse, philosophique, morale et même économique et sociale de l'époque ne saurait apporter de réponses à un aspect particulier, mais fondamental de la littérature romantique - celui de la forma· tion d'une sensibilité. Pourquoi, dès la fin du XVIIIe siècle, a·t-on regardé le paysage d'un œil nou· veau, en y recherchant un « je ne sais quoi» qu'on ne recherchait pas auparavant? Pourquoi, à la même époque, t( la beauté de l'hor· rible» est·elle devenue la source, non plus de « concetti » comme au XVIIe siècle, mais de sensations? Praz trouve dans cet ordre d'idées la confirmation de l'axiome de Wilde sur la Nature imitant l'Art. L'éducation de la sensibilité se fait à travers les œuvres d'art; par conséquent, ce qu'il importe avant tout de faire - à son avis - est d'établir les moyens à travers les· quels s'effectue la transmission des thèmes d'un artiste à l'autre. Le lien mystérieux entre le plaisir et la souffrance - écrit Praz - a certainement toujours existé, il est un des « vulnera naturœ » qui sont aussi vieux que l'homme lui-même. Mais ce lien est devenu l'héritage commun de la sensibilité romantique et décadente à travers une chaîne particulière d'influences lit· téraires. Le véritable thème de L'Agonie romantique est l'influence de Sade sur le romantisme et la littérature de la fin du siècle. Praz accorde à « L'Ombre du Divin Marquis» le chapitré central, le plus important, de son livre. Mais sa découverte principale, à peine suggérée dans la préface par l'allusion au lien mystérieux entre le plaisir et la souffrance se trouve dans une courte phrase, glissée comme une clef au milieu du volume: L'Ennui n'est que la forme la plus générale du « Mal du Siècle». Son aspect spécifique, c'est le sadisme. Con· vaincu par la masse des citations, par la simplicité et la clarté du commentaire, ébloui par la rare érudition des notes, le lecteur ne découvre pas tout de suite que Praz a construit son livre avec une savante et significative symétrie. Il n'est pas étonnant que Baudelaire et Flaubert y soient placés au cen· tre. Présents dans tous les chapi. tres, ils sont étudiés plus particu. Iièrement sous l'angle de leurs affinités avec Sade. Cette position centrale que leur accorde Praz a pour lui une signification presque symbolique: Baudelaire et Flau· bert - écrit·il - sont comme les deux visages d'un hermès solide· ment planté au milieu du siècle, marquant la division entre Roman· tisme et Décadence, entre la période
• L'agonie rO:rnantlque de l'Homme Fatal et celle de la Femme Fatale, entre la période de Delacroix et celle de Moreau. Or, c'est précisément comme le Siècle, ainsi conçu, qu'est construit le livre de Praz. Il commence par un chapitre qui ,est comme une ouverture, sur ,la Beauté de ta Médwe (beauté teinte de douleur, de corruption, de mort) qui est le thème romantique par excellence, celui qui contient tous les autres. Le thème de l' « Homme Fatal » est repris dans le chapitre suivant, Les métamorphoses de Satan, consacré en premier lieu à Byron. C'est vers ce « passé» que regarde un des visages de l'hermès BaudelaireFlaubert, divinité tutélaire du modemisme. L'autre visage est toumé vers l'avenir et dans L'Agonie romaniiqzie cela nous vaut - dans la deuxième partie le chapitre sur la Femme Fatale (La Belle Dame sans Merci) et finalement un chapitre intitulé Byzance où, sur le fond dé toiles de Gustave Moreau, Praz étudie le culte de , Salomé, l'occultisme décadent et le « finis latinorum », avec D'Annunzio comme expression exaspérée du Modernisme Fin de Siècle. En ce qui conceme le thème plus précisément « sadiste », le livre de Praz est une révélation. La reconnaissance du génie et de la valeur sigJ;ùficative des œuvres de Sade nous semble récente. Nous la croyons ébauchée par Apollinaire, due aux efforts inlassables de Maurice Heine et de Gilbert Lely, consacrée par les surréalistes et surtout par les écrits de Jean Paul· han, de Georges Bataille, de Pierre Klossowski et de Maurice Blanchot. Or, l'analyse que donne Praz des motifs sadistes de la littérature du XIX· siècle semble donner raison à Sainte-Beuve qui voyait dans Sade la plus grande source d'inspiration pour les modernes et ajoutait, en 1843: Ne perdez jamais de vue cette clef. Les thèmes sadistes dans la poésie et les romans de l'époque cités par Praz sont impressionnants et il ne manque pas de références directes à l'auteur de Justine. '. La définition que donne Edm:und Wilson du « prazesco » pourrait faire penser à cette phrase de Valéry sùr Huysmans: Il émanait de lui' une érudition vouée à l'ét~ange. Mais Mario Praz, s'il est sans aucun doute attiré par le bizarre, sait le situer sur un fond historique qui fait une large place au quotidien. Son premier livre important, publié en 1925, à l'âge de vingt-neuf ans, était Seicentismo e Marinismo in Inghilterra, étude de précurseur sur les poètes métaphysiques comme Crashaw et Donne, qu'on connaissait peu alors, inême en Angleterre. En 1940 Praz, amateur passionné d'ameublement Empire, p1Ù;)lie son Gusto Neoclassico. Là encore il fait œuvre de pionnier, son livre ayant beaucoup contribué au' renouveau d'intérêt pour le style néo-classique. Comme l'œuvre de Walter Pater sur la Renaissance, Gusto Neoclas· La Quinzaine littéraire, 15 juin 1966
traite sur le même plan des personnalités, des moments cruciaux et va de larges synthèses d'une époque jusqu'aux menus dé· tails des mœurs et de la mode. Ainsi l'œuvre de Praz, sans négliger la personnalité des artistes, met de préférence en relief le milieu culturel, en indiquant la sensibilité, les goûts, les thèmes, les motifs, en approfondissant la connaissance psychologique du baraqué d'abord, ensuite du romantisme' et du modernisme Fin de Siècle, du Néoclassicisme et enfin de cet embourgeoisement graduel du romantisme qui culmina en l'époque victorienne. La Maison de la Vie n'est autre que l'appartement que Mario Praz occupe, depuis 1943, dans un ancien palais de la Via Giulia - cette rue située derrière le Palais Famèse qui est une des plus bélles et encore - des plus calmes de Rome. Chaque fois que j'ai rendu visite à Praz, j'étais surpris de ce que cette maison parfaite dans son genre par la qualité de ses meubles Empire, la rareté et la curiosité de ses objets n'ait rien de la froideur d'un musée. Ce livre m'en a fait comprendre la raison: le 146 Via Giulia est vraiment « la maison de la vie » de Praz, les objets qui s'y trouvent sont intégrés dans son œuvre et dans son expérience intime et c'est pourquoi, en se donnant pour but de décrire une Philosophie de l'Ameublement person· nelle, il a fini par nous livrer un essai autobiographique. Parmi les objets que Praz affectionne se trouvent les figures de cire. Ceci nous vaut un essai éblouissant sur les cires réalisées et imaginaires - les Pestes du Zumho à Florence, la Duchesse d'Amalfi de Webster, l'effigie en cire de Pierre le Grand à l'Ermitage, le Château d'UdoHo de Mrs Radcliffe, des anecdotes narrées par Horace Walpole et jusqu'à une analyse parfaite des raisons pour lesquelles le trompe-l'œil ne peut jamais devenir œuvre d'art. Mais si les cires ne sont pas de l'art dans le vrai sens' du mot - semble s'excuser Praz - pourquoi les collectionnet-on, pourquoi est-ce que j'en possède moi-même plus de deux douzaines? Les cours des rois ne seraient pas complètes sans les nains et les bouffons. Il n'y a pas seulement les choses belles qui plaisent, les clioses bizarres peuvent plaire elles aussi. Mais n'en cherchez pas la raison dans L'Esthétique de Benedetto Croce. , Il y a, plus loin, à propos d'une collection de bustes, une autre forme d'excuse pour ce « prazesco » que Praz l'artiste assume mais qui semble gêner le professeur: Quel. que esprit subtil pourrait observer que, tout comme les cires ont eu une origine funéraire (des siècles durant, les figures de cire firent partie du rituel funèbre des grands), de même les bustes, car les lexiques vous diront qu'en latin « bustum» équivaut à « crématoire, l,ieu où l'on incendie le cada-
SlCO
vre (de combustus, comburere, brûler), d'où « tombe, sépu,lcre '» et, plus tard « effigie en forme de buste d'un défunt sur son sépulcre. » Tout ceci, uni à la réputation funèbre des meubles Empire préciserait mes goûts d'une façon, comme on dit, inconfondable. Telle ne serait Ras notre conclusion. Tout, chez Praz, est vivant, mêmê son attachement' à cette chose morte - les objets.
'Gustave Moreau : Léda «La période de 14 Femme Fatale.., »
Les « figures» sont en effet in· dispensables à Praz. Je lui ai demandé de participer à une enquête sur l'art informel que j'ai rédigée, il Y a quelques années, pour Preuves. Je suis à ce point figuratif - me répondit-il - que mes raisonnements mêmes s'expriment par des figures. Et ma dernière visite au musée Guggenheim, à New York, a été pour moi très instructive. ,L'édifice a été construit par Wright en forme d'escalier en spirale (plutôt de plan incliné en spirale). Le visiteur monte jusqu'au dernier étage et y trouve Cézanne; puis à mesure qu'il descend, la peinture devient de plus en plus abstraite; de même Dante, à mesure qu'il descendait en Enfer, trouvait des damnés de plus en plus coupables. Au fond de l'enfer dantesque Lucifer tenaillait, les traîtres. Au bas de la spirale du musée Guggenheim, il yale vide, la toile. monochrome qu'on appelle « tableau »... Je déjeunais, il y a deux ans, avec Edmund Wilson et Leonor Fini (une autre amie de Praz, et dont il a analysé l'œuvre dans un pénétrant éssai). Wilson nous disait que la notion du « bizarre qui attire Mario Praz » doit être prise à la lettre, dans le sens de l'aimant qui attire le fer. Praz venait de passer quelques jours, chez Edmund
Wilson, dans le Connecticut, et il avait découvert, dans les environs, « la maison la plus romantique de l'Amérique», qu'il fallait, comme pour les monstres de BOlDarzo, chercher dans une sorte de jungle. J'en' ai plus tard trouvé la description dans son volume récent Vùiggi in accidente. Il s'agit de la maison d'un sculpteur américain du début du siècle qui l'avait abandonnée sur ses vieux jours: La végétation enlaçait les statues et il se peut que dés vandales aient complété l'œuvre de désintégration accomplie par la nature et le temps, car les membres de certaines danseuses de marbre semblent défigurés par des coups de marteau. Ou était-ce l'artiste lui-même qui" dans une crise d'exaspération, les aurait mutilés avant de quitter sa maison et Bon art? La maison ne date que d'hier, mais elle semble plus lointaine dans le temps et depuis plus longtemps que toutes les maisons de Pompêi... Qui, sinon Mario Praz, aurait trouvé, à deux heures de New York, inconnue de' tous, une maison dans « l'agonie romantique» ? J'ai écrit à Praz que La Quinzaine littéraire m'avait demandé un article sur son œuvre. Il s,'en est réjoui. Aucun des éditeurs françats qui s'étaient, depuis des années, intéressés à L'Agonie Romantique, m'a-t-il dit~ n'en a réalisé la publication: curieux. qu'un livre qui traite spécialement de littérature française soitinconflu en France, tandis qu'en Angleterre le titre « romantic agony» est passé dans le langage littéraire courant. Dans sa lettre, il me signale une heureuse coïncidence : Je quitte l'enseignement cette année - m'écrit· il - car j'aurait soixante-dix ans le 6 septembre; le 30 mai, mes collègues et mes' disciples me font présent d'une « Festschrift» de deux volumes, contenant divers ~. sais, une bibliographie de mes œuvres et la reproduction d'un tableau de Sergio de Francisco dans lequel est représenté, avec une mi· nutie flamande, mon cabinet de travail. Ainsi, comme dans un jeu de miroirs, tandis que les livres de Praz décrivent des tableaux, des gravures de pièces de toute sorte, une prochaine édition de La Philo~ sophie de l'Ameublement pourra comporter la reproduction d'un tableau de la pièce même où ces livres furent écrits. Dans la conclu· sion de La Casa della V ita, ne se représente-t-il pas lui-même regar· dant son propre reflet dans un de ces miroirs magiques qu'on appelle « sorcières »? Cette personne qui regarde c'est moi, et ce livre que j'ai écrit est comme le raccourci, dans un miroir convexe, d'une vie et d'une maison... je me suis regardé dans un miroir « ardent » convexe eJ je me suis vu pas plus grand qu'une poignée de poussière.
K.-A. Jelenski L Mario Praz a été présenté au pulJ1ic lrançais par un liyre d'art: La Philo50phie de l'Ameublement, Tisné éd.
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"ARTS,
Féérie des Bois. 71 photos de Robert Magnan. Textes de Marie Mauron. Ed. du Mont Blanc, Genève. Si l'art de photographier consiste essentiellement à choisir et il met· tre en valeur jusqu'à cette volonté de choisir, assurément Robert Ma· gnan s'inscrit parmi nos auteurs· photographes, ceux qui, régulière. ment, auront le bonheur de trouver un éditeur pour tirer une œuvre cohérente de leur qJiête acharnée, tâtonnante,' opiniâtre, on dirait presque' aveugle. Sous-titré Suite sylvestre (et di· visé, en effet, selon les mouvements d"une suite de musique ancienne), le texte de Marie Mauron, à grand renfort d'allusions à la Genèse, au bouddhisme et aux cosmogonies extrême-orientales épouse les in· tentions baroques de l'imagis!e, mais s'il en dégage le caractère élémentaire, il néglige le 'plus souvent d'en souligner trop l'évidente angoisse, le baroquisme sys, tématiquement, menaçant trah!s. sant, chez le photographe, qtlelque panique (panique aveugle?): ce que pourrait' éprouver l'homme des premiers âges.... Le silence l'oppresse... épouvanté l'homme fuit. De retour dans sa hutte, obsédé
goguenards, faunesques, terrifiants soudain comme ce Nosferatu dres· sé contre le ciel. Ballet obsédant de gnomes étirant gauchement leurs pattes trop longues, rassem· blement de trognes, poses' biscot· nues de réunion eQtre maléficiers : On pense aux rusticités démonia· ques d'un Claude Seignolle, mais situées à l'aube des éléments dans une pénombre de potentialités menaçantes... Chaque séquence s'ouvre sous un angle plus vaste, mais les bruissements et les sen· teurs quotidiennes qu'on y détecte sont bientôt contaminées et le sabbat infernal reprendra de plus belle... Il y a longtemps que le Diable n'avait pas été aussi maître de son monde. Marcel Marnat
Denise Fédit Kupka Editions des Musées Nationaux En consacrant à Kupka le pre· mier tome de son catalogue scienti· fique, le Musée National d'Art Moderne a complété l'hommage récemment rendu à l'artiste par l'ex· position' des cent trente·neuf œu· vres qui constituent la donation de sa veuve. Dans la préface à cet ouvrage minutieusement rédigé par Denise Fédit, Bernard Dorival écrit que Kupka est de ces artistes qui, demeurés de leur vivant dans une sorte de pénombre, prennent, après leur mort, une importance grandis. sante. Cette cc sorte de pénombre », qui 'fut à vrai dire une ombre pres· que totale, nous en ressentons au· jourd'hui l'injustice. Mais cc l'im· portance grandissante » que ten· dent à lui donner les historiens d'art, les critiques, les musées et les galeries, est-elle entièrement justifiée ? En un mot, Kupka est· il un grand peintre ainsi qu'on se plaît, depuis une dizaine d'années, à l'affirmer ? Que Kupka ait été l'un des cc pionniers de l'art abstrait » et le
Ul'le photo de J(obert Mag1UJn.
par cette v/.Swn, il sculpte dans le bois une cr~ature à l'image de ce qit'il·a vu. Pense·t·il pouvoir ainsi, en do'minant" la matière, dominer sa propre angoisse ? ' Rentrant chez lui pour dévelop. per sa 'moisson photographique, Robert Magnan nous restitue donc cette angoisse retrouvée au spec· tacle d'une nature- sardonique, pul. lulante, pourrissante;' nature dont les -fantasmagories animales sem· blent , être le 'signe de métamorphoscs 'autrement décisives, du végétal au minéral, de la pierre au ~olem puis à. l'Esprit Malin. Sor· ciers et sorcières sont partout, 16
premier, en 1912 (donc avant Ma· lévitch), à utiliser, dans la série de ses Plans verticaux, les principes de l'abstraction géométrique, cela n'est pas contestable. Mais ce point d'histoire une fois établi avec tout le respect dû' aux précurseurs, il paraît singulier qu'on ne soit pas frappé par le manque de raffine· ment d'une palette dont les cou· leurs, à partir de 1918, ont fait dominer sur la peinture de Kupka ,une vulgarité éclatante. Entre la médiocrité académique de ses débuts, résultat inévitable et excusable de ses études aux Ecoles des Beaux-Arts de Prague et de Vienne (mais qu'il n'était pas né· cessaire de nous présenter comme un témoignage de sa cc science approfondie du dessin »), et l'esthé·
tique abstraite à laquelle il demeu· ra attaché jusqu'à la fin de sa vie, se situent deux périodes figuratives qui révèlent sa volonté de rompre avec cet académisme et d'entraîner sa vision vers des moyens d'expres. sion absolument nouveaux. Dans chacune de ces périodes nous trou· vons des toiles d'un grand intérêt et qui nous font regretter qu'elles n'aient pas empêché Kupka de s'attarder à ce lyrisme décoratif, issu du modern'style, qui devait peser si lourdement sur son travail. Les Gigolettes de la première période conjuguent passagèrement les influences du Fauvisme et de l'Ex· pressionnisme. Dans la seconde période, une suite de pastels, d'abOrd orientée vers une représen. tation du mouvement comparable aux recherches de Marcel Duchamp et de Giacomo Balla, devait aboutir à cette toile intitulée Plans par couleurs qui demeure une de ses œu· vres capitales. C'était pour lui le chemin de l'abstraction qu'il abor· da par des compositions dont la géométrie n'avait rien de mécani· que et dont Plans verticaux 1 nous paraît la plus heureuse. En dépit des réserves formulées ici à l'égard de Kupka, l'excellent travail d'analyse accompli par De· nise Fédit, ses commentaires et les 183 reproductions illustrant l'ouvrage, en font un précieux instrument de connaissance pour l'étude de la peinture du vingtième siècle. Jean Selz
Le 21
JWD, au Musée Galliéra, Me Rheims procédera à une vente dont le profit doit aller aux intellectuels espa· gnols frappés administrativement de lour· des amendes (plus de 25 millions d'anciens francs) pour avoir assisté à une réunion d'étudiants, au couvent de Sorria, à Barcelone, le 9 mars dernier. Plus de vingt peintres ont donné toiles, gouaches, dessins. Parmi eux : Picasso, Miro, Calder, Saura, Pignon, Rebeyrolle, Appel, Chillida, Ubac. Des écrivains ont donné' des manuscrits, en particulier René Char et Samuel Beckett. Ci·dessus : la toile de Miro.
Chastel, Durliat, Pernoud, Debidour, Yvan Christ, etc. Histoire Générale des Eglises de France, Belgique, Luxembourg, SuiSse. Nombreuses ill. in-texte en noir 16 planches couleur. Lexique, bibliographies. Relié toile. Robert Laffont, éd. Annuacé de longue date comme un Dictionnaire des Eglises historiques encore visitables en pays de langue française, cet ouvrage se présente comme une manière de vaste préface à l'œuvre à venir, laquelle compterait plusieurs volu· mes. Il s'agit donc, avant tout, d'une mise en place des connaissances indispensables et, par là même, d'un ouvrage aussi utile que maniable. Regroupées en un ensemble d'études générales ces différentes approches de l'art religieux en France forment ici treize sections abordant notamment une histoire générale de l'Architecture religieuse occidentale (de l'aube du christianisme à Le Corbusier: le chapitre le plus long, confié à Marcel Durliat), suivie de son parallèle dans l'Architecture Monastique. L'art de 'la construction au Moyen Age (Régine Pernoud), sculpture monumentale et peinture murale, vitrail, 'iconographie et symbolisme relie gieux complètent ces données fondamentales, mais à ces rubriques attendues on a eu l'heureuse idée d'adjoindre des études plus spéciales (mais tout aussi éclairantes) non seulement sur un sujet d'ensemble comme la Vie historique de l'Eglise mais encore sur des aspects négligés de la question: le mobi· lier, le vantlalisme, les fouilles entreprises ou à entreprendre. A Madeleine Ochsé revient la tâche de boucler le présent volume 'par les considérations d'usage, sur l'Art sacré contemporain~ Un Lexique de termes techniques (illustré avec clarté et élégance) permet au profane de ne point se perdre parmi ces fruits d'une érudition à vrilÏ dire très soumise au souci d'être clair à tout le monde, voire pittoresque. Extrêmement copieuse (1.000 images lit-on quelque part) l'illustration cherehe moins' à être originale qu'à fournir (en évitant partout la saturation) un maximum d'informations. Mise en page avec un souci imprévu d'aération et d'espace, elle évite l'accumulation encyclopédique comme les rythmes trop cahotiques, les juxtapositions malheureuses. Au niveau de la Vulgarisation agréable et sûre, voici donc un ouvrage d'ensemble qui saura conquérir un public lassé par le ,déferlement des études particulières et les prétentions outrecuidantes de spécialistes dont les productions lugubres font régner la terreur sur un domaine de l'art bien près de s'en trouver momifié.
Marcel Marnat
Contre l'enfer vertical Frank Lloyd Wright
L 'architecture de l'avenir Collection Médiations Denoël éd. Les architectes du XX" siècle n'ont pas fait exception dans un siècle où la démarche- esthétique tend à se prolonger en commen· taire. à se dédoubler narcissique. ment en une écriture seconde : les architectes du XX" siècle se sont
témoignage sur les rapports des Etats·Unis et de la culture et sur les motivations fondamentalement amé· ricaines d'une architecture qui a eu un rayonnement international. Wright a été le Whitman· - ou le Pollock - de l'architecture américaine. Il est le premier architecte américain de renom à rompre avec les styles européens, le premier qui ait dédaigné l'Ecole des Beaux· Arts de Paris, dont son maître Sul· livan, gloire de l'Ecole de Chicago,
dès les années 1890, inspire à Wright son plan libre : plan qui nie les habitudes du XIXc siècle pour affirmer « organiquement » la personnalité de chaque famille, à la différence du· plan libre qui servira plus tard à Le Corbusier à affirmer polémiquement la .liberté d'une technique. . Cette conception oppose· aussi Wright aux architectes de l'école internationale qui, émigrés d'Europe, ont donné à l'Amérique urbaine
La célèbre spirale du musée Guggenheim. à New York, œuvre de Wright.
beaucoup expliqués. Les records de publication sont tenus par les deux « géants ». devenus héros natio· naux. Frank Lloyd Wright (18671959) et Le Corbusier (1887-1955). Mais les livres des deux archi· tectes sont aussi opposés que leurs œuvres. Le Corbusier demeure le propagandiste et le théoricien combien talentueux - d'une idéologie et d'une méthode qui ont été élaborées en commun par les archi· teetes rationalistes de sa généra. tion; ses ouvrages ont exercé une influence didactique immense ; ils ont par surcroît jeté une ambiguïté non encore dissipée sur une œuvre construite qui en contredit avec éclat la plupart des affirmations. Les livres de Wright, au contraire, n'ont pas eu de retentissement doctrinal leur intérêt spéculatif est mince ; ils constituent surtout un La Quinzaine lilléruirc. 15 juill 1%6
avait encore suivi l'enseignement, le premier enfin qui ait directement influencé l'architecture européenne. Et les Etats·Unis sont en définitive le thème majeur de ses livres. Avec dureté, il y stigmatise les emprunts à l'Europe et à la France en particulier, pour préconiser une architecture autochtone : c'est ain· si. explique-t.il. qu'il créa « le style de la prairie », intimement lié au sol et au paysage, affirmation à ras de terre, pour et contre l'immense horizon américain. L'analyse de Wright confirme et complète l'ad· mirable parabole de l'esprit franc· tireur contre l'esprit « habit rouge» développé par H. Rosenberg dans La tradition du IlOlweau' à propos de Whitman et Melville. de Audu· bon et des (lction-painters. C'est le même désir d'affranchis· sement à l'égard de l'Europe qui.
le visage que nous connaissons. Wright, lui, s'inscrit dans la tradition de « l'anti-urbanisme » dont L. et M. White ont montré la permanence. et la violence chez les intellectuels des Etats-Unis, de Emerson à Henry James. De livre en livre, Wright jette l'anathème contre l'enfer vertical des grandes villes américaines, vitupère le gratte-cieL prophétise la mort de la mégalopolis, et dès 1930 propose une solution de remplacement Broadacre, l'établissement « usonien »), la noncité qui recouvrira la planète de demeures individuelles parfaitement équipées, assorties de terre cultivable et liées à de petites unités d'équipement économique et culturel. Dans la eonception de cet équipement, le machinisme joue un rôle clé à condition d'être subordonné à
un humanisme : la formule européenne de la machine à habiter est critiquée au nom d'une technologie sûre de soi, d'une connaissance supérieure de la machine, que la faci. lité matérielle ne fascine plus. Architecture organique, urbanisme de décentralisation, démystification de la machine, ces. quelques thèmes sont repris par Wright, identiques de chapitre en chapitre, de livre en livre (de 1894 à 1956), noyés dans une logomachie qui, sur. le ton de la prédication, exalte à tour de rôle la démocratie, la nature ou la liberté. Parfois cependant, dans des pages trop brèves, l'architecte évoque son aventure créatrice et les jalons qui portent les noms prestigieux d'Hôtel Impérial, Villa sur la Cascade, Taliesin. Mais en aucun cas ces discours sur l'architecture organique n'approchent la richesse et la complexité de ce don fait par Wright au XXe siècle, l'architecture organique. Bref, la lecture de Wright est ingrate. C'est un auteur qui appelle les morceaux choisis tels ceux publiés en 1960, aux U.S.A., par Edgar Kaufmann. Cependant, les éditions Plon nous ont ·donné une traduction du meilleur livre de Wright, son Autobiographie (1932· 1943). On peut donc légitimement se demander s'il' était nécessairè de traduire L'Architecture de l'avenir (1953) qui est un des ouvrages les plus décevants de Wright : les redites y sont particulièrement nombreuses, les analyses concrètes rares, les développements sur l'urbilnisme sommaires. Cette entreprise est d'autant plus regrettable que la traduction fran· çaise est spécialement mauvaise. Du style lyrique, ample, coloré, abondant en néologismes, plus rien ne demeure, ni le rythme, ni la terminologie. (La faute de français n'est d'ailleurs pas toujour& évitée). Plus grave, on relève à chaque page des contre-sens, portant aussi bien sur les ·termes techniques que sur les idées. Aux yeux du lecteur innocent, Wright prend alors parfois une dimension cocasse et surréaliste. Par exemple, il garnit le toit de ses maisons « de cailloux ou d'argile »2, in"ente des « plans à paliers prolongés », Il consolide les étages par rapport· au sol »3. Le plus souvent cependant, à force de faux-sens et d'omissions, le texte atteint à· une absurdité ou une platitude que le lecteur non averti risque d'imputer au grand âge d'un auteur de 86 ans. Bref cette traduction semble vouloir justifier, à titre posthume, la défiance irréductible témoignée par Wright à l'égard des Français.
Françoise Choay 1. Harotd Rosenberg, La tradition du /louveau. Editions de Minuit 1962, remar· 'luablement traduit par Anne Marchand. 2. Il s'agit simplement d'ardoises et de p~tites tuiles en bois. 3. Il s·a;:it. en fait. de souligner leur horizontalité dc façon à exprimer la solidarité d~ la maison par rapport au paysage (p. 127). 17
ESSAIS
La Mafia Dominique Fernandez Les Evénements de Palerme Grasset éd. 243 p. Michel Pantaleone Mafia et Politique traduit de l'italien Gallimard éd. 288 p. Martin W. Duyzings La Mafia traduit de l'allemand Payot éd. 283 p. En Sicile. en plein XX, siècle, un homme tous les douze jours, meurt assassiné. Ce chiffre ne tient pas compte des disparitions sans cadavres! En Sicile - « ce mor· c~au éclaté de l'Italie» - , à l'heure du Marché commun, un siècle après l'Unité, règne un Etat dans l'Etat: la Mafia. Dominique Fernandez, auteur de Mère Méditerranée, est allé enquêter sur place en juin 1965 pour la Télévision suisse. Il a rapporté un livre pas· sionnant qui, loin de s'ajouter aux multiples ouvrages sur ce sujet, l'éclaire d'un jour nouveau. Si la Mafia ne s'est implantée que dans la moitié occidentale de l'île, à Palerme. Trapana, Monte· lepre. Villalba, Agrigente et non à Messine, Syracuse, Catane ou Raguse. l'auteur refuse de trop faciles déterminations raciales, historiques (Sicile « aJ;'abe », Sicile «grecque»), climatiques ou mêmes économiques pour expliquer le mystère de Il l'honorable société ». Mystère quant à l'origine même du mot et de l'organisation. Vient-il du français Il maufe» (mauvais), du flo· rentin Il maffia» (misère) - d'où l'orthographe erronée du mot écrit parfois avec deux f - , de l'arabe « mahias» (vantardise), du grec « morphe» (beauté)? Ou encore ces cinq lettres sont-elles le sigle d'un mouvement de résistance à l'occupation française au XIII< siècle : Morte Ai Francesi Italia Anela (l'Italie aspire à la mort des Français), mouvement qui perpétra le célèbre massacre des Vêpres Sici· liennes... Il semblerait plutôt que le mot, employé pour la première fois en 1863 dans une pièce de brigands dans le sens d'Il associa· tion de malfaiteurs» ou Il société criminelle», ait désigné au cours du XIX' siècle des bandes organisées par les propriétaires siciliens pour protéger leurs terres et leurs personnes contre les émeutes paye sannes. Sorte de police mercenaire, la mafia des campagnes aida Garibaldi lorsque les propriétaires choi· sirent le rattachement à l'Italie. Aussi. nombre de Siciliens défendent·ils aujourd'hui la Mafia qui, disent-ils, a toujours servi Il d'appui à l'ordre social» et à la liberté: quatre-vingts ans après Garibaldi, elle se fit l'alliée des Américains contre le fascisme. Les Siciliens traités en race conquise par les Il piemontese », justifient la Mafia comme une force compensatoire à l'Etat des Il gens 18
Photo de famille de la Malis devant la statue de Saint Joseph
du Nord» (de même, le Ku Klux Klan n'apparaît-il pas, encore aujourd'hui, comme un objet de rancœur, de revanche et de fierté des « Sudistes» vaincus face au pouvoir fédéral du Nord ?). Cette mau· vaise foi est révélatrice de « la confusion publique », l'une des principales causes de l'invulnérabilité de la Mafia: complicité des uns, susceptibilité des autres, peur de beaucoup, ignorance réelle de la plupart, 31 % des Italiens interrogés en janvier 1963 prétendent n'avoir jamais entendu parler de la Mafia, 32 % sont incapables de la juger, 37 % seulement la condamnent (en Sicile même, les proportions respectives sont de 14 %, 53 % et 10 %). La Mafia, c'est aussi, répond un pharmacien interrogé, une force électorale qui appuie les hommes du parti au pouvoir et reçoit en échange le monopole de secteurs déterminés dans la vie économique. Ainsi, après une phase américaine, une phase séparatiste, la vieille Mafia monarchiste a accordé, depuis les élections de 1948, son soutien quasi exclusif à la démocratie-chrétienne, prenant une part de plus en plus active aux luttes politiques et électorales et, écrit Michele Pantaleone, se transfor. mant d'instrument politique en force de gouvernement. D'où une curieuse obstination des gouvernements de Rome à considérer les
attentats et· assassinats de l'île (2.000 tués ou disparus depuis la guerre) comme des Il faits diverS », la Mafia comme « une exhibition de folklore », et à refusèr aux par· lementaires socialistes et commu· nistes l'envoi de commissions d'enquête. A ce mur de silence à l'échelle politique et nationale, s'ajoute celui individuel et local du Sicilien que l'omertà empêche de s'adressèr à l'autorité, contraignant l'uomo d'~nore à se rendre justice SQi. meme. L'apport le plus important et le plus personnel de Dominique Fernandez à l'étude du phénomène Mafia, c'est la socio.psychanalyse de tout un peuple, d'une civilisation et d'un mode de vie et d'éducation. Il nous montre l'homme du Sud étouffé dès l'enfance par la tendresse primordiale, enveloppante et illimitée du sein maternel, coupé. de toutes « réalités .extérieures ». Et plutôt que de remplir les fonc· tions du père et contrebalancer le poids de cette éducation matriar· cale, l'Etat accuse sa carence, dans cette Italie méridionale où un million d'enfants sont privés de maîtres et de locaux. D'où le transfert en Il cette providence psychologique» qu'est la Mafia et que Domi· nique Fernandez définit comme l'exagération d'une tendance de l'esprit à envisager les rapports sociaux sous l'angle personnel. De
même, l'Eglise a accepté de ne jouer dans cette île que le rôle d'une autre mère l( qui berce et désarme ». Elle réduit la foi en une dévotion maternelle à un trio de saintes (Rosalie, Agathe et Lucie) et à la Mère des Douleurs, elle abandonne elle aussi à la seule Mafia le beau rôle de l'affronte. ment viril. En une remarquable saisie de la vie quotidienne, l'auteur montre, sur une plage de Palerme, un groupe de jeunes gens, une famille. A partir de leurs gestes, de leurs regards, de leurs rares paroles, il reconstitue tout le système d'éduca· tion qui aboutit à la Mafia. Il est normal, dit-il, que la frustration sexuelle pousse à la violence... La Mafia, c'est aussi un gang, « une organisation qui - écrit M. Pantaleoue - permet l'accumula· tion rapide de capitaux dans un pays de grande misère et qui inté· resse tous ceux qui veulent devenir riches par des moyens malhon· nêtes ». Mafia des puits et de l'eau dans la campagne paleniliiaine,. Mafia des intermédiaires, des com· missionnaires et des revendeurs au détail qui tiennent en leurs mains le marché des fruits et légumes, de la viande et du poisson. Mafia de la spéculation foncière, du trafic international de la drogue, de toutes sortes de fraudes à l'échelle italienne que couvre l'immunité politique, ministérielle ou parlementaire. Mafia et Politique, publié à Turin en 1962 déjà, est le témoignage engagé d'un adversaire direct de la Mafia. Ancien député du Parti Socialiste au parlement sicilien, Michele Pantaleone est né à Villalba, une des capitales de la Mafia, ville natale et fief d'un de ses chefs les plus marquants, Calogero Vizzini dit Don Calo. C'est un livre né d'une expérience person· nelle, d'une lutte constante à l'in· térieur même du pays et de son histoire de l'après.guerre. Les pagèS les mieux venues sont celles où l'auteur rend compte de la remontée de la Mafia à la fin des hostie lités grâce aux Américains qui utilisent Lucky Luciano, alors détenu, comme intermédiaire avec les dirigeants locaux. L'Allemand, Martin W. Duy. zings retrace toute l'histoire de la Mafia depuis ses origines mysté. rieuses jusqu'à sa constitution en Internationale du crime, en passant par le personnage, devenu légen. daire, de Salvatore Giuliano.. It. insiste plus que les autres· auteurs sur les ramifications américaines et crapuleuses de la Mafia, et leur consacre près d'un tiers de son étude. Il contribue ainsi à nous faire comprendre que, comme le déclare Leonardo Sciascia à l'auteur des Evénements de Palerme: la Mafia n'est pas un phénomène, c'est une habitude morale, une manière de sentir et d'agir, qui s'étend à la vie nationale, après vingt ans d'expérience pseudo-démocratique. Guy Braucourt
LINGUISTI'QUE
Le langage poétique Jean Cohen Structure du langage poétique Nouvelle bibliothèque scientifique Flammarion, 225 p.
Hier, sur la nationale sept Une automobile Roulant à cent à l'heure s'est jetée Sur un platane Ses quatre occupants ont été
Tués. Cette phrase est tirée d'un jour. nal et pourtant la disposition gra· phique lui confère déjà un petit quelque chose de poétique. Or, qu'est-ee que celle-ci a de particulier? Les pauses rythmiques n'y correspondent pas aux pauses sée maJ;ltiques. Ce trait, qui est donc signe de poésie, peut être défini comme une déviation par rapport au discours ordinaire où pauses sémantiques et rythmiqûes coïncident. En pour· suivant cette idée, Jean Cohen s'est aperçu que le langage poétique n'est pas de la prose plus quelque chose, mais très exactement de l'antiprose. En effet, toutes les fi· gures qui pour lui sont l'essence même de rart poétique enfreignent l'une des règles qui composent le code du langage. Si l'on a depuis longtemps considéré le langage poétique comme un écart et une déviation, l'accord ne s'est jamais fait sur la nature de cet écart. Jean Cohen élève la déviation au rang d'opposition, ce qui lui permet d'expliciter certains principes du langage courant. En même temps, il démonte le premier temps d'un « mécanisme » poétique qui
Jean Cohen
selon lui en comporte deux (à la déstructuration doit succéder une restructuration d'un autre ordre). Pour ce faire, Jean Cohen choi· sit d'étudier dans ce livre le poème en vers de langue française au dou· ble niveau phonique et sémantique, et ceci à trois époques : classique, romantique et symboliste. Suivant les .p.rectives de Charles Bally, le La Quinzaine littéraire, 15 juin 1966
fondateur de la stylistique, il prend comme référence normative le langage scientifique : des sondages statistiques lui permettent dans c,haque cas de vérifier ses hypothèses. Voyons les différents procédés analysés. Qu'est-ce que la rime, sinon un rapprochement des sons là où il n'y a pas ressemblance des sens? Il y a donc écart par rapport aux règles de parallélisme du son et du sens qui règne dans toute prose. La rime, de même que le mètre régulier vise à brouiller le message: tout se passe... comme si le poète cherchait, au contraire des exigences normales ,de la communication, à augmenter les risques de confusion. Dansee sèns, si la poésie, au contràire de la prose, vise les ressemblances, la façon la plus poétique de dire les vers est sans doute la diction monocorde, comme celle d'Apollinaire enregistrant Le Pont Mirabeau et qui étonnait les spécialistes de l'époque. Au niveau sémantique, Jean Cohen retrouve intuitivement certaines théories de la linguistique contemporaine concernant la combinaison des mots en phrases. En se fondant sur la logique, il dégage deux types d'incorrections qu'il appelle impertinence et redondance. L'impertinence se manifeste, en particulier, dans le rapport du prédicat au sujet. Dire le ciel est mort (Mallarmé), c'est dire une impertinence car Pour que la phrase « X est mort » ait un sens, il faut que X entre dans le parcours de signification du prédicat, donc qu'il fasse partie de la catégorie des êtres vivants, et ce n'est pas le cas du ciel. La redondance est le nom donné par Jean Cohen à un phénomène que la rhétorique remarquait dans l'épithète. Elle apparaît lorsqu'un adjectif, au lieu de détermi· ner le nom c'est·à-dire d'en limiter l'extension, s'applique à toute l'extension de ce nom. Par ce fait il devient inapte à assumer sa fonction déterminative. Les éléphants rugueux... vont au pays natal dit Leconte de Lisle. Rugueux est ici un écart de « redondance » car en tant qu'épithète il devrait délimiter une espèce à l'intérieur du genre « éléphant ». Or tout éléphant est rugueux. Il en va de même quant au fameux azur bleu de Mallarmé. Jean Cohen cite encore quelques types de déviations comme le manque de référence contextuelle : qui dit « Je» dans « Je suis le téné· breux, le veuf, l'inconsolé»? Le manque de coordination logique ou inconséquence, systématique depuis le romantisme (le romantisme, notait Paul Valéry, a décidé l'abolition de l'esclavage de soi. Il a pour essence la suppression de la suite dans les idées) etc. Ainsi, il retrouve la structure commune des diffé· rentes figures, ce que l'ancienne rhétorique, trop occùpée à les classer, n'avait pas entrevu. D'après ses sondages, l'écart va grandissant au fur et à mesure que l'on se rap~
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"Un livre - le meilleur peut-être d'Hélène Parmelin . qui nous atteint profondément et nous oblige à regarder la réalité folle que no,,!s vivons." Gilette Ziegler (France Nouvelle) "Un des caractères de ce roman: le contraste entre un certain sourire amer, le mépris, la pitié qui alternent dans ce récit où la grandeur succède à la faiblesse, l'amour à la trahison, parce que la vie continue." Adrien Jans (Le Soir) "Un des meilleurs romans des dix dernières années." André Stll (L'Humanité) "Que ce grand livre soit le livre d'une femme, bien sûr, me réjouit (".) L'audace est vraie ici. Car ce regard d'Hélène Parmelin sur un problème universel, sur notre mal à tous, aucun homme, je crois, ne pouvait le porter:' Josane Duranteau (Combat)
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PHILOSOPHIE ~
Le langage poétique
proche des classiques aux symbolistes. Mais si toutes ces figures se présentent bien comme une manière particulière de violer un code, elle~ n'ont pas qu'une fonction négative • La poésie ne détruit que pour re· • construire et l'écart se trouve tou• 1 jours réduit de quelque façon. Dans son dernier chapitre, Jean Cohen :: donne un aperçu de cette deuxième .' phase du processus poétique. Il dé· signe par dénotation le sens notion. .! nel et par connotation le sens émo• tionnel : la fonction de la prose : sera dénotative, celle de la poésie • connotative. Ainsi, dans la figure • sémantique, la connotation prend le • relais de la dénotation ; les angélus .' : • • •
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sont bleus parce que l'impression qualitative correspondant à cette couleur disons calme, apaisemènt - s'accorde à celle que produisent les cloches qui sonnent l'angélus.
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Or, pour obtenir le sens émotionnel, il taut nécessairement faire obstacle au sens notionnel. La poé. sie doit rompre la liaison originelle
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du signifiant avec la notion pour lui substituer l'émotion. Il lui faut bloquer le fonctionnement du vieux code pour permettre au nouveau de fonctionner. La poésie n'est pas autre chose que la prose, elle est l'an.tiprose. La métaphore n'est pas sitnple chàngement de sens, elle en est la métamorphose. La parole poétique est tout à la fois mort et résurrection du langage.
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On peut contester certaines ana· lyses ou remarques, mais l'essentiel n'est pas là : ce livre présente le développement cohérent d'une hypothèSe et si on l'admet, on ne peut qu'approuver l'argumentation qui la soutient. Dans son désir de trancher tous les problèmes et de dépasser les anciennes conceptions hésitantes, Jean Cohen aboutit à des conclusions parfois trop simples sur les phénomènes poétiques complexes. D'après sa conception, le langage poétique se ramène àce qui est chez lui institutionalisé, conventionnel : la rime, le mètre, les figures de rhétorique. Si ces conventions s'opposent effectivement à des règles bien précises du langage courant, tous les aspects de la poésie n'entrent pas dans une telle opposition ; le discours poéti. que ne se réduit pas à la seule connotation au détriment du sens dénotatif des mots, d'autant moins si la connotation n'est que pure affectivité. Toutefois, le fait même de pouvoir discuter ces questions montre que la direction choisie par Jean Cohen est la bonne : il faut étudier le langage poétique en lui-même, aidé d'une connaissance approfondie du langage en général, et non réduire la poésie à des opérations de l'esprit et son étude, à un: poème sur le poème. Voici donc une preniière approche de cette « science de la littérature » que préconise Roland Barthes et dont le champ immense commence à se dessiner à nos yeux.
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Delphine Perret
Noël Mouloud
La psychologie et les structures
P.U.F. Il serait temps de prendre au sérieux la mauvaise querelle que se cherchent psychologues et philosophes. Les uns et les autres considèrent trop souveç.t que la question est réglée : certains psychologues proclainent joyeusement la fin de la philosophie, certains philosophes font profession de mépriser ceux qui mesurent « l'esprit » et les testeurs qui auraient besoin d'être testés. , Voici un petit livre qui semhle sans parti pris, informé, et désireux de dresser un bilan équitable. Ces qualités, rarissimes dans ce domai· ne ambigu, méritent une lecture attentive. La psychologie de la forme n'est plus une nouveauté, chacun a entendu parler de Kœlher, Koffka; Guillaume, etc... Il est plus rare-'
qu'on sache ce qu'elle est devenue après eux. Or elle a subi une profonde transformation. L'auteur constate que la psychologie comme
toute science devient plus structurale dans la mesure où elle s'éloigne des séquences purement empiriques, des corrélations purement' statistiques, pour introduire la clarté des modèles mathématiques. Nous voilà donc loin des « figures » qui amusaient les étudiants en psychologie il y a encore vingt ans. Elles' servaient surtout à réfuter le sensualisme, l'élémentarisme. C'est encore dans cet esprit que cette psychologie était naguère invoquée par Merleau Ponty. Mais il n'avait pas tout à fait tort puisque les méthodes concernent des êtres structurés, des traits d'organisation comme la gestalt l'avait montré intuitivement. Il n'est pas évident que l'aspect méthodologique, et l'aspect ontologique s'accordent, la méthode mathématique et expérimentale peut, elle, coopérer avec l'intuitif et le descriptif. L'accès aux structures est double. La « Gestalt » s'est appuyée sur une description phénoménologique parce qu'elle s'opposait à la tentative behavioriste, mais on sait que Kœlher s'est très vite orienté vers, des analyses causales et si possible mathématiques. En même temps se développaient des recherches sur l'apprentissage, l'information et la
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•. La psychologie est-elle une science '1: • •• communication. Les travaux de Hull (behavioriste moins strict que Watson) fournissent sur l'apprentissage, un exemple de théorie à la fois formelle et expérimentale. Mais les aspects formels n'éliminent pas les aspects intuitifs, il y a en effet un choix initial des concepts explicatifs' (stimuli du behavioriste, champ spatial structuré de la gestalt), de sorte qu'on peut parler d'un statut mixte des concepts psychologiques. La construction ne supprime pas, elle suppose le vécu de la conscience. Un problème paraît crucial : la psychologie s'occupe entre autres, des formes cognitives et dévoile l'origine des formes logiques de la pensée. Plus précisément, elle con· cerne des catégories intermédiaires entre les catégories de l'existence et celle de la pensée explicite. On par· lera de « régulations » unissant in· formation et action, ce ne sont ni des implications logiques ni des dé· terminations matérielles (causales), elles sont de l'ordre de la motiva· tion. La conduite auto-régulatrice, capable de se rectifier elle même, n'est pas mais esquisse la conduite intelligente. On peut analyser les « régulations » à partir de la réflexion et aussi bien à partir de l'étude objective. On emploiera dans ce dernier cas des modèles mathématiques, topologiques SUftout. Pour comprendre les structUres régulatrices, on fait donc appel à des catégories diverses voire opposées : les catégories du sens qui conduisent à l'idée de conduite optimale et finale, les catégories de la cause et du conditionnement. Intermédiaires, elles font appel et à la contrainte réelle et à la nécessité· idéale, elles se définissent à la fois comme fait et valeur. Pavlov ou la cybernétique. nous montrent finale· ment la même chose : que la conduite a (ou est) un sens mais un sens qui se réalise dans des structures qui relient information et action et tendent à un optimum. Merleau Ponty parlait de la struc·
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sée n'est jamais hors de l'image, de • l'acte, de l'image. Qu'il y ait ten· • dance vers les formes logiques, c'est: vrai, mais il est douteux que les • modè~es psychologiques soient ja. • mais' adéquats aux modèles logiques • et que comme le veut Jean Piaget • la logique soit axiomatisation de la • psychologie, : En tout cas les modèles psycho. • logiques qu'on peut appeler Il stra· •
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tégiques » sont irréductibles à la géométrie euclidienne et leur probabilité irréductible à celle de la chose physique, puisqu'elle se fon· de sur l'option et l'estimation (qui n'ont physiquement aucun sens). La pensée est apprentissage donc tributaire des situations mais apprentissage intellectuel créant des schèmes et des règles. D'où l'importance de la disposition et du langage prospectif, tous deux irré· ductibles à l'association. Psychologues et philosophes de· vraient s'accorder sur le fait que la psychologie est une science mais elle a un statut original. Le problème existe pour toute science hUa maine à savoir que l'objectivation des contenus de la connaissance ne signifie pas la réduction des formes objectivées aux formes physiques. La. mathématisation ne passe pas nécessairement par la physique, l'analyse objective ne supprime pas la compréhension (par laquelle il faut sans doute commencer sous peine de ne pas savoir où l'on va). L'auteur rappelle que les .catégories psychologiques concernent l'activité non l'événement. En d'aùtres termes encore, le temps psychique ne peut être tota· lement objectivé dans la mesure où il est activité et projet (il serait pré. férable de dire « acte »). La tem· poralité vécue n'est. pas réductible • aux temps des équilibres de l'ap• • prentissage. Ce qui n'est pas sans • rappeler le temps originaire de la • conscience chez (Kant, Husserl ou • Heidegger). La psychologie aurait • tort de confondre le caractère de • science avec le projet de toute coma • préhension.. Ce n'est pas vers un • strict positivisme expérimental. qu'elle découvrira ses problèmes • mais vers l'anthropologie structura- • le. Une telle direction ne serait pas • sans convergence avec la phénomé- • nologie (nécessaire et non suffi· • sante). • M. Mouloud nous paraît poser le problème de la psychologie sur le • terrain qui convient : à savoir que : l'homme a beau s'analyser dans le • rôle d'objet, il est tout de même un • sujet ! • Roland Caillois •
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StéréodYT/.4mique de formules florales
ture comme n'étant ni chose ni idée mais cette définition restait négative. Ici nous voyons mieux la nature de ce mixte. Il convient de distinguer la pen· sée logique (la cohérence) de la pe~sée vivante de la perception, action, intuition. Le psychologue a tendance à dire que la première procède de la seconde. Ce n'est pas faux à condition qu'on se souvienne que dans ce « prélogique » la penLa Quinzaine littéraire, 15 juin 1966
naufrage
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"II faut louer sans réserve le livre que Jules Roy vient de consacrer au maréchal Pétain sous un titre qui lui dorme toute sa signification." R.P.-L (Aux Ecoutes) "Jules Roy déroule, en commentant les propos des acteurs et en méditant sur le passé, le tableau des audiences, du 23 juillet au 14 aoüt : il les fait revivre avec cette puissance d'évocation qui est celle de son talent et de sa douleur, et dans cette totale indépendance d'esprit qu'on lui connait... .. André Latrellle (Le Monde) "En Jules Roy, la littérature "événementielle" a trouvé un créateur qui devrait ouvrir la voie aux autres." (La Gazette de Lausanne) "II fallait cette évocation de colère et de pitié, ce frémissement et ces lignes d'un très grand écrivain pour témoigner que la vérité, s'il en existe une doit se trouver dans un cri de l'âme," Yvon Hecht (Paris·Normandie) "Le lecteur lira un des récits les mieux écrits de Jules Roy, et n'oubliera pas facilement l'atmosphère de la Haute Cour et le plancher qui craque, craque..... Michèle Cotta (l'Express) "Le Grand Naufrage" de Jules Roy permettra désormais de comprendre un moment infiniment douloureux de la conscience nationale." Gilbert Gullleminauit (L'Aurore)
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HISTOIRE
Il Y a 30 ans, le front populaire Georges Lelranc luin 36 Coll. Archives. Julliard, éd;
revendications. Ils s'adressent ensuite aux syndicats dont les militants sont débordés. Il . La promotion Léon Blum », qui fait enfler subitement les effectifs, inquiète un peu les vieux syndicalistes. Le mouvement est spontané, il échappe souvent au contrôle des syndicats. La réaction patronale va de la surprise et de l'indignation à l'épouvante. Personne ne s'attendait à
c'est la Il défervescence », selon l'expression de Léon Blum. A la fin du mois, la situation est presque normale. Le 26 juin, Salengro peut conclure: Il Ainsi s'achève, sans une goutte de sang, le plus formidable conflit social qu'ait connu la République ». Que· reste-t-il, à distance de 30 ans, de cette Il explosion sociale » ? Les réformes de structure, obtenues
Trente ans après, la controverse continue entre les partisans et les adversaires du Front Populaire. On discute encore des dimensions. du phénomène, de ce qu'il a .apporté réellement aux travailleUJ:s, de ce qu'il aurait pu leur apporter. Un numéro spécial de la revue Le Mouvement social (aux Editions Ouvrières) traite de ces différents problèmes. Georges Lefranc, ancien secrétaire de l'Institut supérieur ouvrier de la C.G.T. (1932-39) lui avait consacré deux études (Histoire du Front Populaire, Payot 1965·; le Front Populaire, P.U.F., 1965). Dans celle dont nous parlons ici, il s'occupe d'un sujet plus limité, mais essentiel : de l'immense vague de grèves qui a déferlé sur le pays et dont la caractéristique particulière a été l'occupation des usines par les ouvriers. Ce n'est pas un ouvrage d'analyse. C'est un recueil de documents ou plutôt d'extraits de documents de l'époque qui pennettent de saisir les divers aspects de ce grand affrontement social. Il s'agit en premier lieu des discours et déclarations de Léon Blum, chef du gouvernement du Front Populaire, de ceux des représentants du patronat et de la C.G.T. qui avaient participé, sous son égide, à la né-. gociation des accords Matignon. Lefranc se réfère souvent aux écrits de Belin ex-secrétaire confédéral, j\lanife,tation à la Bastille, 1936 dont les réticences à l'égard du mouvement de juin sont évidentes, et qui sera plus tard munichois et une offensive brusquée d'une telle grâce à la coïncidence de la pres· même vichyste. L'auteur suscite et . envergure.. Personne n'ose deman· ~ion populaire et de l'action gouver. obtient un grand nombre de récits der dans ce milieu l'évacuation des nementale, ont pour la .plupart sur. et témoignages de responsables cé- usines ·par la force. On veut laisser vécu· ou ont été rétablies après la gétistes qui avaient pris part, sur le aux patrons la possibilité de repren- guerre. Les congés payés, la semaitas, à l'occupation des usines. Mais dre en main leurs usines et llieurs» ne de 40 heures, les conventions il ignore la plupart du temps les ouvriers. Car, au-delà des hausses collectives, le statut des délégués témoignages de militants commu- des salaires de la semaine de 40 ouvriers, forment un acquis quasi. nistes. heures et des congés payés, c'est la inaliénable. Les premières et timiLe porte-parole du patronat, Lu- mise en question de l'autorité pa· des nationalisations de 1936 ont été cien Romier, parle dans Le Figaro, tronale et de la propriété privée qui largement dépassées en 1944. de l'explosion politique, dont le ca- soulève le plus de protestations. En revanche, la politique éconobinet Blum fut le résultat et qui Alors que les extrémistes de mique et financière du gouverneprit le pouvoir juste à temps pour droite parlent d'un Il chef d'orches- ment de Front Populaire, timorée recevoir l'explosion sociale. Cette tre clandestin» et Il d'un complot et « orthodoxe » dans le pire sens dernière formule a fait fortune. A bolchevique », du côté ouvrier, on du mot, menant à l'inflation moné· juste titre, car elle exprime à la célèbre la victoire. Les socialistes taire et à la hausse des prix a pero fois l'ampleur et la soudaineté du sont les plus enthousiastes, ils mis au patronat d'éponger rapidemouvement. Des grèves, avec occu- approuvent sans réserves la volonté ment les hausses des salaires et de pation, ont eu lieu auparavant dans de Léon Blum de contenir le mou-· reprendre en main la situation. De certains cas isolés. Cependant, c'est vement dans les limites de la léga- même, la politique de non·intervenla victoire électorale du Front Po- lité ! les cégétistes suivent Léon tion en Espagne, quelles qu'en fuspulaire qui. donne le signal. La la- Jouhaux qui annonce Il le début sent les raisons, a contribué à affaime de fond des actions ouvrières d'une ère nouvelle » Benoit-Fra· blir le mouvement et à diviser les démarre dans la métallurgie pari. chon parle d'une «grande victoire» traités alliés. sienne. De défensives les luttes de- et reconnaît Il l'appui apporté aux Tout cela nous éloigne quelque viennent vite offensives, s'étendent, ouvriers par le gouvernement Léon peu du livre de. Lefranc qui traite par un essaimage à. la fois local et Blum ». Sauf les trotskystes et une de l'action directe de la classe ouprofessionnel, aux autres industries, faible opposition communiste, pero vrière et des grèves avec occupation aux banques, aux grands magasins, sonne ne critique les accords, ni des usines. Il est certain que ces puis aux autres régions. propose de poursuivre la lutte. action Il illégales » ont ouvert une Malgré le ·nombre insignifiant de Maurice Thorez déclare le Il juin brêche, qui n'a jamais été entièresyndiqués, les grèVes avec occupa- . que l( l'heure de la révolution n'est ment colmatée. dans le respect de tion se multiplient à une vitesse pas venue ». qu'il faut II savoir ter- l'autorité patronale, qu'elles ont vertigineuse. Inexpérimentés, l~s miner une grève », « consentir au permis de poser le problème, tou· travailleurs se mettent en grève compromis », affirme que « tout jours actuel, du rôle des travailparfois avant de formuler leurs n'est pas possible ». Désormais leurs dans l'entreprise.. de leur .:!2
droit au contrôle de la gestion, à la sécurité de l'emploi, à la propriété collective des moyens de production. Dans ce sens, le grand élan de juin 1936 a marqué effectivement Il le début d'une ère nouvelle » pour les travailleurs français. C'est pourquoi, dans la conscience ou· vrière, le Front Populaire. reste. le symbole, malgré ses insuffisances et ses divisions, d'une « grande victoire » qui a enr.ichi et embelli la vie des travailleurs. D'où le regret cuisant de son échec et la nostalgie tenace· de son retour. Tout autre est l'attitude constante des défenseurs des privilèges qui maudissent le souvenir du Front Populaire et vivent dans la hantise d'un mouvement analogue. On a parlé à propos des accords Matignon de la « nuit du 4 août du patronat français ». Formule inexacte et excessive puisqu'en fait le patronat n'a nullement renoncé à ses privilèges, s'il a plié, pour un temps, devant la menace. C'est plutôt d'une nuit. de « grande peur· » qu'il faudrait parler. Après une brève période de pa~ .nique, c'est avec une hostilité impitoyable que le patronat s'est acharné à· démanteler les conquêtes ouvrières. Cette « grande peur » explique en partie les tendances défaitistes qui se font jour à l'époque dans les milieux bourgeois, traditionnellement nationalistes et l'accueil enthousiaste réservé dans ces milieux à la « divine surprise » de Vichy. Comme contre la Com· mune de Paris en 1871, se réalise en 1940 une Sainte Alliance réac. tionnaire qui permet toutes les revanches. Etait·ce, comme le croient cer· tains, une révolution manquée ? Une révolution socialiste était·elle possible alors en France ? La situa· tion internationale, le rapport des forces à l'intérieur du pays, le ni-' veau de la conscience de classe et de la combativité des travailleurs français permettaient-ils de pousser au·delà des limites de la légalité? Comme pour la période de la Libé· ration en septembre 1944, le même problème se pose, les chances pa· raissant plus grandes après la vic· toire sur Hitler qu'avant, maigré l'ampleur sans précédent du mou~ vement de juin 1936-. C'est pour· quoi, seule une petite avant.garde . croit toujours que la révolution so. cialiste était réalisable en 1936. Œuvre de vulgarisation qui permet au grand public de. se familiariser, à travers un certain nombre de. documents, avec le climat de l'époque, le livre de Lefranc s'efforce de pr,ésenter avec objectivité les rapports entre le patronat, le gouvernement et les syndicats ouvriers. ainsi que les conflits internes de chaque camp. Si l'étude complète de la grande II explosion sociale » de juin 36 reste encore à faire; le livre de Lefranc y apporte, malgré certaines lacunes et partipris. une utile contribution.
Victor Fay
La pétainologie se porte bien Un Français de 1966, s'il est né avec le siècle, a traversé deux grandes guerres, également horrihies et meurtrières bien que fort différentes à maints égards, et il a connu en outre un certain nombre d'expéditions coloniales, également vaines. Un Français d'au· jourd'hui, s'il est âgé d'environ quarante.cinq ans, a vécu sous trois Républiques et trois gouvernements provisoires. Et ce n'est sans doute pas fini. , Pétain, né sous Napoléon III et mort sous Vincent Auriol, résume toutes les péripéties militaires et politiques du demi-siècle. Quinze ans après sa disparition, il demeure pour les anciens de 14-18 comme pour les combattants avec ou sans armes de tous les camps en 39-45, un objet de controverses et" aussi une énigme. Traître ou martyr? Les plus jeunes, les moins de trente ans, un peu las du Verdun de grand.père et de la Résistance de papa, n'y voient qu'un point d'histoire à élucider. Mais leurs aînés ne peuvent se départir de la passion, voire des passions succes· sives et contradictoires, qui les ont tous animés, à un moment ou à un autre, à l'égard du vainqueur de "1916, du Maréchal républicain, de l'homme de l'armistice et de Montoire, de Vichy et de Siegmaringen, du prisonnier presque centenaire de l'Ile d'Yeu ... S'ils étaient tentés de l'oublier, l'actualité quotidienne, et d'abord cette haute et lourde silhouette de l'ancien disciple des années vingt, qui célèbre aujour. d'hui au nom de l'Etat dont il est le chef la victoire de Verdun, se chargerait de le leur rappeler. Cet anniversaire a fourni, comme il est de règle à une époque où l'Histoire s'écrit encore chaude, voire brûlante, l'occasion d'un extraordinaire foisonnement d'ouvrages: récits, témoignages, documents, portraits, examens de cons· cience affluent de toutes parts. La Pétainologie envahit les vitrines des libraires, de façon parfois assez cocasse, il faut bien le dire.
Côté ouisine, oôté oour Un médecin.lieutenant, prison. nier en Allemagne, était désigné à la fin de 1944 pour veiller sur la santé de Pétain après l'arrestation de son conseiller intime, le docteur Ménétrel. En guise de protestation, le vieux Maréchal refuse tout contact avec le nouveau venu. Celui-ci demeurera un mois au château des Hohenzollern sans jamais approcher son illustre patient qu'il n'apercevra qu'une seule fois, de loin, dans la campagne. Il aura le temps de trouver Joseph Darnand, chef de la Milice, très sym· pathique, et Fernand de Brinon parfaitement odieux, avant de réintégrer son camp de prisonniers. Vingt ans après, cette vision plus que fugitive donne un livre bavard et prétentieux, intitulé par un abus La Quinzaine littéraire, 15 juin 1966
outrecuidant Philippe Pétain, le prisonnier de Siegmaringen. Autre témoignage, côté cuisine: l'une des infirmières militaires, brave femme sans aucun doute, qui a soigné le prisonnier de l'Ile d'Yeu pendant les trois derniers mois de sa longue existence, conte par le menu ses états d'âme et ses hauts faits: le plus remarquable apparemment consistait à lui chanter la Marseillaise pour le faire tenir tranquille pendant qu'un infirmier le rasait. Après un long coma, le
Médecin, infirmière, conseiller: il manquait un juge. Le voici: Guy Raïssac, haut magistrat, a dépouillé toutes les archives de Vichy, vérifié toutp.s les dépositions, entendu maints grands personnages à la Haute-Cour, où il fut membre de la Commission d'instruction dès 1944, secrétaire général à partir de 1948, magistrat instructeur jus. qu'en 1960. Son livre, axé sur ce qu'il nomme Un combat sans merci. L'affaire Pétain-de Gaulle est donc nourri d'une documentation
Vente d'insignes aux armes du Maréchal, le 1" mai 1941.
vieux malade rend le dernier soupir en lui tenant la main. J'ai vu mourir Philippe Pétain s'exclame fière· ment - en deux cents pages cette bonne demoiselle. Et, imperturbablement, Jacques Isorni pré. face l'infirmière comme il avait préfacé le médecin·lieutenant. Côté cour, un témoin plus sérieux: René Gillouin, austère philosophe protestant, a joué pendant les deux premières années de Vichy le rôle à la fois effacé et considérable de conseiller occulte du chef de l'Etat français. Violemment hostile à la politique de collaboration, méprisant tout « l'entourage» et haïssant Darlan et Laval, il a fait très vite l'unanimité contre lui; évincé, il a gagné prudemment la Suisse en 1943 pour attendre des jours meilleurs. Ses acides souve· nirs, préfacés par le Pasteur Boegner, sont essentiellement un plaidoyer personnel qui, sous le pavillon de la fidélité, constitue en fait un accablant réquisitoire contre l'impuissance, la" vanité, l'aveuglement du vieillard dont il était, dit-il, l'ami.
exceptionnelle. Mais la construction en est si étrangement tarabiscotée, le dossier si curieusement mis en miettes, puis reconstitué par quel. que greffier distrait, qu'on a bien ùu mal à découvrir les perles dans ce fatras et à suivre le récit. C'est bien dommage, et l'illogisme, la confusion d'esprit de ce grand juge donnera à réfléchir aux justiciables éventuels que nous sommes tous".
Deux portraits Deux biographies ensuite, en contrepoint. Georges Blond, ancien lieutenant au long cours, a appris depuis longtemps à mieux naviguer dans le journalisme et le livre que sur les mers du Sud. Il n'ignore pas qu'il faut écrire gros et ne pas craindre l'hyperbole, l'emphase et la déclamation si l'on veut connaî· tre les succès populaires. Sur la lancée de son Verdun et de son excellent récit de La Marne, il offre aux anciens combattants de toutes les guerres un Pétain exhaustif et apologétique. Comme il a tout lu
sur le sujet qu'il traite, mené sérieusement son enquête et qu'il sait s'y prendre, ce gros ouvrage se lit vite et aisément, sans ennui, sinon sans étonnement parfois devant les lacunes d'un travail aussi ambitieux. Pétain héros et martyr prend place, humanisé et dépous. siéré, dans le Panthéon aseptisé des gloires incolores. Pierre Bourget, lui, n'est ni pompeux, ni sonore, mais simple, détendu, "presque désinvolte. Le Joseph Prudhomme avec képi qu'il dépeint n'est pas plus un héros qu'un martyr, mais un bonhomme un peu faible, sec, ambitieux et finalement gâteux. L'entreprise de démystification, peut-être poussée un peu loin parfois, irritera les lecteurs conformistes, mais intéressera ceux qui gardent l'esprit libre et redoutent l'enflure. De toutes ces contributions ré· centes à l'exploration du « cas Pétain », la plus instructive paraît bien être celle d'André Brissaud. Qu'il soit partisan et se range ré· solument au nombre des défenseurs non seulement du vieux Maréchal mais du dernier carré de fidèles qui l'ont suivi jusqu'à Siegmaringen ne fait aucun doute, et d'ailleurs il n'en fait pas mystère. Peut· être est-ce d'ailleurs en raison de sa visible sympathie pour nombre de ces émigrés qu'il a obtenu leurs confidences. En tout cas, il offre pour la première fois un tableau relativement complet, fortement étayé et - ce qui ne gâte rien bien écrit, de la vie à Siegmaringen et du destin à travers l'Allemagne en guerre, puis en décomposition, de chaque chef, de chaque groupe de cet étrange carrousel. Ce qui frappe, c'est l'extraordi· naire aveuglement de ces hommes qui, jusqu'au dernier instant, nient l'effondrement de leurs protecteurs nazis, attendent le miracle - ar· mes secrètes, Il réduit» tyrolien et surtout alliance germano.alliée contre le « bolchevisme» qui retournera la situation. On apprend" non sans étonnement que quinze à seize mille Français, membres de la Milice de Darnand, de la L.V.F., du parti de Doriot ou de celui de Déat, des Waffen S.S., voire de la Gestapo, avaient suivi les Il prison. niers d'honneur» de Siegmaringen. On croît rêver en voyant Déat ouvrir dans la petite ville une permanence de son Rassemblement National Populaire et tenir, comme à Paris, des réunions de sections. Quand Pétain, à bout de rage devant l'usage abusif que Brinon ne cesse de faire de son nom et de son appui, veut le désavouer avec éclat, il lui adresse une lettre solennelle pour... lui interdire de porter la francisque. Laval, qui a présidé à la répression sanglante de l'occupant et - hélas! - de ses complices français contre la Résis· tance, s'indigne de l'épuration: Maintenant en France, dit-il, le sang coule, et c'est inexpiable. Ce Il maintenant» comme les divagations des tortionnaires et bourreaux
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SC.IENCES ~
La pétainologie S8 porte bien
de la peste brune contre la terreur rouge ordonnée par de Gaulle, prisonnier des communistes, disent assez l'état d'esprit, fait de haine et de peur, de ces desperados de la collaboration. On a gardé pour la bonne bouche, dans cette chronique, le meilleur, le plus honnête et sincère et aussi le plus prenant des récents ouvrages de Pétainologie : Le grand naufrage, de Jules Roy. On n'y trouvera aucune révélation, aucune peinture des grenouillages de Vichy ou de Siegmaringen, pas plus que de Londres ou d'Alger. C'est l'examen de conscience d'un soldat de métier qui, pendant deux ans, jusqu'en novembre 1942, a aimé Pétain et lui a obéi. On revient avec lui au cœur du vrai débat: traître ou héros? Pour le savoir, Jules Roy a repris le dossier du procès de 1945, les commentaires de l'époque et, à travers les pages du Journal Officiel, il a traqué la réponse à son angoisse qui, après vingt ans, demeure. Il s'était tu alors, écrit-il, parce que c'était une part de nousmêmes qu'on jugeait. Ce procès, l'écrivain le perçoit comme un drame et c'est une tragédie en effet qu'il reconstitue, une tragédie antique dans laquelle l'officier qu'il était joue le rôle du chœur. Il n'épargne personne et tel cacique de la V, République comme Léon Noël, telle légende comme le gaullisme de Saint-Exupéry, tel général ou amiral de l'un ou de l'autre bord, sont remis en quelques lignes à leur juste place. Au fil des audiences, la conclusion s'esquisse avant d'être ainsi formulée: Il n'y a ni énigme, ni mystère Pétain: avec son bon sens, sa prudence et sa maîtrise de soi, l'homme est d'une clarté si éclatante qu'elle en devient la pureté. Il a préféré la perte de l'honneur au cheval blanc. Ce roublard est un innocent. Il a cru incarner la France... Ce que je sais à présent, c'est que Pétain n'a pas été un traître et qu'aucun de ceux qui, parmi nous, l'ont suivi et aimé, n'ont trahi. Ayant ainsi absous, et s'étant aussi absous, Jules Roy fournit, comme il l'avait fait déjà avec son Voyage en Chine, à ses amis de l'intelligentsia française, qui ne se livre qu'aux jeux de l'esprit, d'ordinaire sans risques pour la vie, un beau, sujet de controverses. Pierre Viansson-Ponté Bibliographie : G. T. Schillemans : Philippe Pétain, le prisonnier de Siegmaringen. Préface de Me lsomi. Editions M.P. 160 p. M. A. Combaluzier : l'ai vu mourir Philippe Pétain. Préface de Me lsomi. Flammarion, éd. 200 p. René Gillouin : l'étais l'ami du Maréchal Pétain. Préface du Pasteur Boegner. Plon. Guy Raissac : Un combat san& merci. L'affaire Pétain-De Gaulle. Albin Michel, éd. 528 p. Georges Blond : Pétain. Presses de la Cité, 586 p. Pierre Bourget : Un certain Philippe Pétain. Casterman, éd. André Brissaud : Pétain à Siegmaringen. Librairie Académique Perrin. 604 p. Jules Roy: Le grand naufrage. Julliard. 24
Après le franglais Etiemble
Le jargon des sciences Hermann, éd.
écrit vite et mal. On brouille l'ordre des mots. On se brouille avec la grammaire. On complique à plaisir ce qui pourrait être simple. On bafouille et cafouille à longueur de jour et d'ondes, à vitesse de linotypes. Pour ne citer qu'un exemple entre mille, que peut signifier, je vous le demande, la phrase suivante relevée par Etiemble dans une revue médicale: Les facteurs d'environnement produisent des stress occlLpationnels qui suggèrent une indication de relaxation, faute de
Poursuivant son œuvre d'épuration du langage - plus malaisée que les travaux d'Hercule le célèbre pourfendeur du franglais, avec sa verve et sa véhémence coutumières, avec cette juvénile et féroce allégresse qui nous le rendent sympathique même lorsque nous ne partageons pas ses vues, s'attaque aujourd'hui au jargon des sciences. Dois-je dire : il était temps ? Et peut-on espérer que ce pamphlet, publié chez un éditeur réputé pour ses ouvrages scientifiques, aura quelque retentissement chez les spécialistes et produira quelque effet dans le monde clos où nos soidisant initiés vaticinent et baragouinent à plaisir, n'arrivant pas même à se comprendre entre eux, pour peu qu'ils pratiquent des disciplines légèrement distinctes ? Je ne le crois guère pour ma part, car nos « chercheurs » pareils à d'excellents chiens de chasse, ne s'aventurent jamais loin de leur piste. Et s'il leur advient de tomber en arrêt sur quelques pages de belle prose, leur réaction risque d'être analogue il celle de cet examinateur de sciences ,naturelles, disant à un candidat : Votre thèse est trop bren écrite, et toui ce qui est bien écrit a toutes chances de Une illustration de Garache pour Le jargon n'être qu'un tissu de mensonges. Passe encore si cet examinateur voulait condamner quelque abus d'ornements, quelque afféterie de quoi l'intéressant intéressé sera pralangage : superfluités qui diluent tiquement au niveau du nervous la pensée au lieu de la mettre en break-down ? Qu'est-ce, je vous relief. Mais s'agit-il bien de cela ? prie, qu'un blessé grave ? ou une Et peut-on croire qu'il n'existe pas 'clinique infantile ? ou un cœur des vertus littéraires éminemment pulmonaire chronique ? Et peutpropres au langage scientifique : la on ignorer à ce point le bon usage clarté, la précision, la rigueur ? du français ? Le plus souvent, d'ailleurs, les Parmi les savants qui furent de grands écrivains, Etiemble cite les écrivains dits scientifiques pêchent noms d'Ambroise Paré, de Pascal, simplement par indigence de synde Descartes, de Buffon, de Lavoi- taxe, toutes leurs phrases étant sier, d'Henri Poincaré, ajoutant : construites sur le modèle le plus Qui peut lire sans un frémissement simple : sujet, verbe, attribut (Le sensuel la prose la plus nue de coquelicot est une herbe annuelle) Descartes, croyez-moi: c'est qu'il comme si la complexité d'un style n'est sensible ni à la beauté ni à la organisé, utilisant des subordonnées relatives ou complétives, vavérité! riant les tours et les modes, était D'où vient alors que les savants incompatible avec la dignité du d'aujourd'hui se croient tenus savoir. Après avoir cité plusieurs d'user d'un jargon qu'ils sont seuls pages d'exemples : « ces phrasesà entendre, d'où vient qu'ils nous là suent l'ennui », dit Etiemble. Et, accablent de tournures pédantes- non sans malice, il se souvient ques et de mots barbares le plus d'avoir remarqué cette même conssouvent empruntés à des lexiques truction monotone et stéréotypée étrangers ? Ici, il nous faut faire chez un architecte du nouveau la distinction entre les malheurs roman : Alain Robbe-Grillet. du vocabulaire et ceux dont pâtit Mais venons-en au vocabulaire. la syntaxe. Pour ce qui est du mas- Sur ce point, il semble qu'on puisse sacre des beautés de la phrase, les trouver de bonnes excuses aux sa· Il chercheurs » ne font que suivre vants. Car les notions qu'ils maet précipiter - sans aucune justi- nient ne sont pas toujours de celles fication particulière - le courant qui tombent sous le sens, ni même de corruption générale qui abîme sous le sens commun. En outre, il notre langue. En vérité, ils ne s'ex- faut bien créer des mots nouveaux priment pas plus mal que beau- pour désigner des réalités ou des coup de journalistes, de feuilleto- inventions nouvelles. Et n'oublions nistes ou même de romanciers pas que les sciences ont connu un s'ils se font toutefois moins com- développement extraordinaire deprendre. L'habitude est prise. On puis cinquante ans: c'est au point
que le nombre des chercheurs aujourd'hui vivants (nous dit-on) est près de cent fois supérieur à celui des chercheurs ayant vécu depuis le début de l'histoire. Enfin, une très large part de la découverte et de l'invention s'effectue évidemment hors de nos frontières. Comment s'étonner si nos spécialistes, cédant à la facilité, utilisent des mots venus d'ailleurs pour désigner des réalités qui ont été vues et nommées avant eux par des hommes ne parlant pas notre langue ? D'où il suit que le français de
des sciences.
nos jours est victime d'une véritable invasion de mots barbares, importés tels quels d'Allemagne, de Russie, d'Angleterre, d'Amérique... Importés sans subir de transformation, sans se plier aux lois du parler en usage. Et c'est là que se ré-, vèle notre faiblesse; c'est à ce propos que jaillit à bon droit l'indignation d'Etiemble. Car de tout temps les Français ont acclimaté chez eux des mots étrangers - scientifiques ou autres - mais précisément ils les ont naturalisés, assimilés, harmonisés au génie de la langue. L'arabe al djabr devenait en français : algèbre, le grec arsenikon devenait : arsenic, l'italien articiocco : artichaut, et l'allemand sper· ber : épervier. Ce si joli mot français : boulingrin, évocateur de fraîches pelouses, combien de gens savent-ils qu'il dérive de l'anglais : bowling-green ? Nos aïeux savaient franciser les parlers exotiques. Mais que ferônsnous aujourd'hui de melting pot, de crossing-over, de behavioral, de ego-involvment, de gestalltheorie... et de centaines de mots analogues qui envahissent non seulement la chimie, la physique" la hotanique, mais encore la psychologie et les sciences de l'homme ? Comment les lirons-nous ? Comment pourrons-nous insérer leurs figures insolites dans le dessin harmonieux de nos phrases ? Comment prononcerons-nous l'invraisemblable cwmwd, venu tout droit de l'irlandais avec ses cinq consonnes à la suite ?
Anatolnie des sciences Bien souvent, d'ailleurs, ces mots étrangers possèdent en français leurs équivalents, plus clairs ou plus imagés, mais que les sociologues et les physiciens ignorent, n'étant pas des linguistes et surtout pas des littérateurs ! Pourquoi utiliser melting-pot si nous avons le mot : creuset, pourquoi parler de crossing-over si nous savons dire: enjambement? Le sens, direz·vous, n'est pas tout à fait le même? Mais c'est le propre d'une langue vivante de faire dévier certains mots de leur sens pour leur faire adopter une acception voisine. Ouvrez votre dictionnaire et vous trouverez souvent quatre ou cinq définitions différentes pour un même vocable. Que si l'équivalent français n'existe pas, est-il si difficile de forger des mots "nouveaux en utilisant du moins le pur métal de notre langue ? N'avons-nous' pas des milliers de racines qu'il suffit de cultiver avec un peu d'ingéniosité pour qu'elles fleurissent aussitôt en verbes, adjectifs, substantifs, à consonance typiquement française? Etiemble nous en donne des séries étourdissantes d'exemples. Outre les mots nouveaux, il y a bien d'autres filons à exploiter: les parlers locaux, les patois, le langage populaire, les dictionnaires de métiers, si riches en termes techniques. Une science nouvelle, la pédologie, qui s'occupe de l'étude des sols, a fort heureusement cherché et trouvé son lexique (par la grâce d'un certain M. Plaisance, à qui Etiemble se plaît à rendre hommage) dans les mots du terroir gascon, lorrain, picard, berrichon, etc... Elle a fait revivre des provincialismes savoureux et suscité des expressions qui feraient rêver les poètes : terre vanne, eau d'essaim, eau folle, yeux blancs... Le petit livre d'Etiemble contient quantité d'autres suggestions et de remarques pertinentes. Il traite, en son dernier chapitre, du problème posé par la création d'une langue universelle qui permettrait aux savants du monde entier de se comprendre sans être obligés de .recourir à d'impossibles traductions, car la prolifération des écrits scientifiques est telle qu'il faudrait mobiliser la moitié de l'humanité instruite pour traduire les œuvres de l'autre moitié. Etiemble opte pour un langage idéographique... Mais la question est trop complexe pour que je l'aborde dans l'espace mesuré de cet article. Est-il besoin d'ajouter qu'Etiemble, en même temps qu'il dénonce le jargon pernicieux de certains savants (qui savent tout, hors leur langue) leur donne une excellente leçon de français par le style même de son libelle, dru, nerveux, fortement charpenté, varié dans ses tours et sa syntaxe, parfois drôle, plein de verve, découpé en arêtes vives et toujours scintillant d'une lumière qu'il emprunte aux diamants rigoureux de l'idée. Emile Simon La Quinzaine littéraire, 15 juin 1966
Israel Scheffler Anatomie de la science Etude philosophique de l'explication et de la confirmation. Coll. Science ouverte, Le Seuil éd.
Anatomie de la science, d'Israel Scheffler, remarquablement traduit en français par Pierre Thuillier, est un exposé critique des principales théories contemporaines relatives aux fondements de la science. Par cette expression, l'auteur entend un certain ensemble de concepts tels que ceux de « théorie », de « loi >J, de « justification de l'induction >J etc., qui n'interviennent pas, généralement, dans la formulation des énoncés scientifiques mais qui sont utilisés par la philosophie qui veut décrire la structure épistémologique d'une science en particulier ou des sciences en général. De tels concepts sont appelés « structuraux >J. Leur explication claire et systématique constitue une théorie de la structure de la science ou, plus simplement, une théorie de la science.
L'acceptation des croyances Alors que l'ouvrage original étudie trois de ces concepts, ceux de signification, d'explication et de confirmation, on peut regretter que, pour des raisons matérielles, la traduction française ne traite que des deux derniers. Par les termes d'explication et de confirmation,il faut enj.endre ce que l'on a coutume cl 'appeler le raisonnement déductif et le fondement de l'induction. L'ouvrage se présente donc sous forme de diptyque dont les volets sont respectivement consacrés à ces deux problèmes. Comme les théories exposées s'inscrivent dans le cadre du positivisme logique du Cercle de Vienne, l'auteur rappelle opportunément les principes de deux grands maîtres de l'empirisme, Hume et Mill, principes qui servent de base philosophique et méthodologique à ces recherches. Ainsi, avant d'aborder le problème de l' « explication », Scheff1er précise l'arrière-plan humien qui préside à l'élaboration des théories relatives à l'explication. La critique du principe de causalité étant admise, expliquer un phénomène ne consistera pas à tenir un discours sur sa cause, philosophiquement parlant, mais à reconstruire l'explication causale comme un modèle de raisonnement déductif dont les prémisses décrivent des conditions particulières et formulent des principes généraux et dont la conclusion décrit le ou les événements à expliquer. Le modêle déductif qui servira de base à la discussion est celui donné par Hempel et Oppenheim dans Studies in the Logic of Explanation. Il est constitué par quatre conditions :
RI / L'explanandum (la conclusion) doit être une conséquence logique de l'explanans (les prémisses). R2/ L'explanans doit contenir les lois générales requises pour la déduction de l'explanandum. R3 / L'explanans doit avoir un contenu empirique. R4 / Les propositions constituant l'explanans doivent être vraies. Ce modèle étant admis, tout le problème est de savoir en quoi consistera la nature des lois générales requises pour une déduction de l'explanandum. Il est bien clair, tout d'abord, que si ces lois sont statistiques, - ce qui est généralement le cas la conclusion ne pourra pas être logiquement déduite des prémisses. Mais l'auteur emprunte ensuite à Hempel et Oppenheim un exemple du modèle proposé plus haut et dans lequel, bien que les prémisses ne soient pas statistiques, la conclusion ne peut en être logiquement déduite. Devant la difficulté de trouver un explanans conforme au modèle, c'est-à-dire impliquant logiquement l'explanandum. on pourrait songer à affaiblir l'exigence de déductibi· lité requise par R'. C'est la théorie de la généralisation confirmative, selon laquelle un ensemble d'énoncés constituera un explanans s'il fournit à l'explanandum une valeur de haute confirmation. Mais alors une explication valable à un certain moment risque de ne plus l'être à un moment ultérieur. Pour éviter l'écueil de la relativisation temporelle, l'auteur propose un exemple de système d'énoncés dans lequel la conséquence peut être logiquement déduite des prémisses. Cet exemple, qui est une véritable tautologie, permet à l'auteur de revenir à une distinction qui n'a rien d'empiriste, à savoir celle qui existe entre la « cause >J d'un phénomène et la cause de l'acceptation des croyances. Il établit ensuite, par voie de conséquence, une distinction fondamentale et parallèle entre explication et prédiction. On peut douter que les considérations de l'auteur suffisent à elles seules à résoudre le problème de la rela· tivisation temporelle, que Descartes avait déjà signalé au sujet de la validité du raisonnement déductif. Cette question est d'ailleurs traitée plus amplement dans la deuxième partie.
Les assertions Mais l'une des thèses les plus originales de cette première partie est celle dans laquelle Scheffler essaye d'établir que la science ne vise ni à expliquer ni à prédire mais à « justifier» les phénomènes et à poser, à leur sujet, des « assertions >J. Ces deux notions sont plus générales que celles d'explication et de prédiction. Plus précisément, l'ensemble des énoncés qui « justi. fient» et qui sont conformes au
modèle déductif, constitue une classe dont les énoncés qui « expli. quent >J constituent une sous-classe. De même les « prédictions» constitue une sous-classe de la classe des assertions. Ainsi, je n'explique pas, mais je justifie une éclipse b, qui a eu lieu dans le passé si, moyennant un certain ensemble de lois appropriées, je déduis logique. ment cette éclipse à partir d'une configuration présente de corps célestes. Des considérations analogues permettent de distinguer la sousclasse des prédictions dans la clas· se des assertions.
Le déft de Hume Nous ne pouvons entrer ici dans le détail de ces analyses fort ingénieuses. Mais l'antériorité temporelle et la distinction que l'auteur fait par la suite entre celle-ci et l'antériorité logique ne peuvent servir de critère de discrimination quand il s'agit de raisonnement déductif. La seule antériorité qui intervient en l'occurrence est l'an· tériorité logique. Le reste de la première partie est consacré à des tentatives extrême· ment intéressantes tendant à rame· ner le jugement en histoire et en psychologie, moyennant certaines conditions imposées aux énoncés, au modèle déductif précédemment admis. L'auteur y analyse minutieusement toutes les difficultés auxquelles se heurtent de pareilles tentatives. Dans la deuxième partie, consacrée à la « confirmation », l'auteur aborde le problème classique du fondement de l'induction. Il nous prévient tout de suite que les théories qui seront examinées se situent à égale distance des réponses des sceptiques, qui sont tout prêts à admettre verbalement que toute in· duction est effectivement sans fondement rationnel et celles des déductivistes irréductibles, qui essayent vainement de montrer que l'analyse de Hume est fausse. Mais cette analyse, étant admise comme vraie, constitue, selon l'expression célèbre, un « défi » qu'il faut bien relever si l'on veut fonder l'induction. Les théories relatives à la confirmation expriment les différentes tentatives faites par les logiciens positivistes contemporains pour répondre au défi de Hume. Ces tentatives consistent principalement à interpréter correcte· ment ce que l'auteur appelle la formule de généralisation, censée répondre à ce défi. Celle·ci n'est autre qu'une version moderne d'une théorie déjà élaborée par Hume lui-même et basée sur la formation des habitudes. Selon la formule de généralisation, des jugements particuliers portant sur des cas dépas. sant les observations dont on dispose sont légitimés par leur confor.
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• BANDES • •• DESSINÉES • • Anatomie de8 • • • • sCIences • • • • mité avec des généralisations qui Pour la première fois depuis • ont quelques jours, il est possible jusqu'ici. Ces généralisa• tionsréussi une revue exclusive· d'acheter sont celles qui s'accordent • complètement avec les données ment consacrée aux bandes des• • dont on dispose... Mais il reste sinées: son nom: Giff·Wiff, • encore à interpréter cette formule, (petit animal fantastique des • Aventures de Pim, Pam, Poum). à énoncer les conditions • c'est-à-dire qui rendent un énoncé conforme à • une généralisation. En d'autres J.-J. Pauvert éd. •• termes: quels sont les critères de • conformité ou d'accord d'un énoncé La promotion du fanzine. (éty• e avec une hypothèse h. mologiquement: bulletin édité par • La théorie de Hempel, qui es- des fanatiques) ronéotypé de Fran• de répondre à cette question cis Lacassin au rang de revue lit• saye que l'auteur développe longue- téraire d'avant-garde suscite tantôt • etment, a soulevé bien des critiques. un enthousiasme inconditionnel, • • Elle a cependant le mérite de faire tantôt les sarcasmes. • ressortir la faiblesse de certains Mais, bataille d'Hernani ou sim• critères, comme le critère de Nicod, ple escarmouche, l'incident n'af· • fecte en rien l'aventure propre de que les paradoxes auxquels •• ainsi aboutissent certaines théories de la la Bande Dessinée, produit indusconfirmation. Ainsi, par un sys- triel de grande consommation ·et de•• tème de propositions convenable- première nécessité. A titre d'exem-
JEAN-FRANÇOIS STEINER
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PRIX LITTERAIRE
DE
..,. '...•• • ..•
LA RESISTANCE 1'966 FAYARD
..........' ......................... Après l'Histo.ire de la Guerre 39-45 la Librairie, Pilote vous offre"autre œuvre, aussi célèbre, de
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pIe: des vallées de l'Himalaya à l'Union Sud-africaine (en passant par la France) plus de 150 millions de personnes absorbent quotidiennecorbeau confirme l'hypothèse que ment un fragment plus ou moins étendu des aventures de l'une des tous les corbeaux sont noirs. Mais les critiques formulées par bandes les plus célèbres et les plus Goodman à l'encontre de la formu- durables: Mandrake le Magicien le de généralisation sont encore (dont plusieurs nouveaux épisodes plus radicales. Celle-ci peut, par paraissent chaque mois depuis trente-deux ans). exemple; engendrer des inductions Pour s'en tenir à notre pays, qui vont à l'encontre des lois les mieux ~tablies. Ainsi, par un choix lorsque l'on entre dans la èlassique convenable. d'énoncés· qui font in- librairie-papeterie-journaux, le sim· tervenir le temps, on peut montrer pIe dénOJ;nbrenient des bandes des- . qu'un morceau de cuivre ne con- sinées mises en vente constitue une duira pas l'électricité. La théorie de tâche presque insurmontable : - nombre de quotidiens pula « projectibilité» de Goodman qui essaye de fournir des critères blient une page entière de bandes permettant de distinguer entre les dessinées; - les périodiques pour enfants hypothèses légales ou projectibles ou adolescents reposent en gran,de et celles qui ne le sont pas, se heurtent à de sérieuses difficultés. partie sur la publication de bandes dessinées présentées sous forme de Pour les lever, Goodman introduit feuilletons ou de récits complets; le concept de Il consolidation », - il y a aussi les albums (Tinque d'ailleurs il n'explique pas, tin, Lucky Luke, Astérix), les mais qui semble pallier, d'après Scheffler, les insuffisances, et somptueuses rééditions de classimême l'échec, de la formule de ques (Pieds Nickelés, Bicot), les éditions de luxe· pour adultes seul~ généralisation. L'ouvrage .achevé, le lecteur reste ment (Barbarella); -:- reste une bonne centaine de un peu sur sa faim. La- déduction publications régulières (mensuelles logique, si elle veut être réellement déductive, est ramenée à une tauto- ou hebdomadaires) présentées en logie. L'induction, en dépit des fascicules ou mieux, en format de efforts déployés pOur la garantir, poche et consacrées à des rééditions demeure frappée d'une marge d'in- ou à des nouveautés, le plus soucertitude. L'auteur lui-même recon- vent· d'origine américaine, mais naît qu'on ne peut jamais la garan- aussi italiennes ~t françaises. Tous les genres du romanesque tir impeccablement en s'appuyant Il populaire » y sont représentés, de sur les données dont on dispose. Mais cette impression d'inachève- l'histoire à l'anticipation, de l'hument et d'impuissance qui se dé- mour quotidien à l'aventure fantasgage de ces multiples théories, au tique, du roman sentin;tental au demeurant fort ingénieuses et policier, . sans oublier le western,· complexes, ne tient-il pas à cette l'horreur, l'espionnage, le récit de gageure qui est au fond de toute guerre et même la politique. On conçoit que les bandes deslogique empiriste: la transformation du jugement assertorique en· sinées, mass media par. excellence, attirent l'attention des sociologues jugement apodictique? sous leur. double aspect économique Le mérite de l'ouvrage est indé- et culturel. En Frânce; -des· études· pendant, bien entendu, de ce point partielles intéressantes ont été fai· de vue doctrinal. Il est dans le tes, en particulier par le Centre caractère remarquable d'un exposé d'Etude des Communications de qui fait de ce livre un manuel de Masses. Mais il n'est guère possible· haut niveau pour l'étude des théo- d'espérer une vision synthétique ries empiristes relatives au fon4e- tant que des moyellS matériels ment de la science. beaucoup plus considérables n'auKhalil 1aouiche ront pas été mis en œuvre, ment choisies, mais qui, prises isolément, sont parfaitement raisonnables et même évidentes, on peut montrer que n'importe quel non-
La Diode des bandes dessinées ,"
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L e:S~T'TE:MPS,C"E'~ AMNESÎA,ot T'ÎHÎTiE':l
~ TES, NOWEU.ES
' OCCUPATioHS:COt1fllE TU PEUX I.E VOIA.,C' EST D'ÎMPaiMERiE. QU'Îe..· S'AGiT. ,
Une JXIse de l'album de Guy Pelart
Les Aventures de Jodelle,' à paraître aux éd. du Terr(Ji~ 'Vasue.
Toutefois, si l'essor extraordi· naire de la bande dessinée au cours du dernier demi·siècle est un phénomène incontestable, l'utilisation de la bande dessinée en tant que ,moyen d'expression ne constitue pas à proprement parler un fait nouveau. L'idée de raconter une histoire à l'aide' d'une succession d'images a, tout à la fois, préexisté à l'écriture et présidé à l'élaboration de ses premières formes. Plus tard, la mise au point des techniques de la gravure et de l'imprimerie, en permettant une reproduction facile de l'image, lui a redonné une place de premier plan et on trouve au XVIe siècle des épisodes tirés des Evangiles dans lesquels le texte se réduit au profit de l'image jusqu'à disparaître parfois complètement. Au XIX' siècle (et on en trouve encore des exemples de nos jours) le dessin d'illustration accompagne pas à pas le texte des romans popu· . laires. Une forme de transition apparaît à la fin du siècle dernier avec les récits composés d'une suc· cession d'images de petites dimen· sions accompagnant un texte ,mol" celé en paragraphes d'égale longueur: C'est la forme adoptée par .Christophe, par l'Allemand W. La Quinzaine littéraire, 15 juin 1966
Busch et on la retrouve encore dans 1924 - Mickey Mouse 1928 les Pieds Nickelés de Forton qui 'Popeye 1929). datent pourtant de 1908. Ces récits Vers la même époque apparais. ne constituent pas véritablement sent les premiers signes d'une ré· des bandes dessinées, le sens est volution beaucoup plus originale, renfermé essentiellement dans le probablement liée à la grande remise en cause des valeurs qui ac· texte et reste intelligible si l'on compagne aux USA la crise éconosupprime les images. mique de 1929. En même temps La bande dessinée telle que nous que l'on assiste à l'apparition de la connaissons, avec ses dialogues héros rédempteurs vivant en marge et ses pensées en « ballons» est de la société (Le Fantôme, 1934), née aux Etats·Unis avec les Katzen· d'hommes-sauvages (Tarzan,' 1929), jammers Kids de R. Dirks (1897), c'est une véritable explosion de et les deux séries de R.-F. Oütcault, l'imaginaire qui vient bouleverser Yellow Kid (1896) et Buster Brown les structures antérieures de la (1902). Le thème en est sensible·, bande dessinée. Rejetant le cadre ment le même que dans le Max et de la réalité, dessinateurs et scé· Moritz de W. Busch (186~): un naristes se livrent à un véritable ou plusieurs garnements accumu- délire fantastique et anticipateur. lant les pires forfaits et subissant (Mandrake, 1934 . Guy L'Eclair, sans cesse d'horribles châtiments, 1935 - Luc Brade/er, 1936). renaissent immanquablement de La parution du premier numéro leurs cendres pour perpétrer de du Journal de Mickey, le 21 octonouveaux crimes. C'est là, sans bre 1934, apporta à toute une doute, l'origine de notre Il affreux génération d'écoliers français la révélation des univers imaginaires Jojo ». Les personnages caricaturaux venus d'outre-Atlantique. Généra· des dessins animés, repris à quel. tion dont sont issus la plupart de ques mois d'intervalles par les ces intellectuels que l'on retrouve bandes dessinées apporteront un à l'origine du Gill-Witt (Resnais, important renouvellement au cours Bôileau, Narcejac...). Un article des années 20·30 (Félix le Chat publié en juillet 1961 dans la revue
Fiction avait cristallisé les nostal· gies communes et bientôt naquit ce qui s'appela d'abord simplement Club des Bandes Dessinées. Plus tard, animé peut.être par un secret désir de justification, ou par le prosélytisme, il changea son nom pour celui de Centre d'Etudes des littératures d'Expression Graphique. Objet d'étude, nous l'avons vu, la bande dessinée l'est sans con· teste, mais un tel objectif s'ac· commode difficilèment de l'attitude passionnelle des fondateurs du Centre. Comparer Hogarth (remar· quable dessinateur de Tarzan) à Michel-Ange, n'est guère scientifi· que; c'est oublier qu'au XX, siècle la .représentation de la musculature d'un corps en mouvement est un exercice scolaire à la portée du des· sinateur moyen. En revanche, il est certain que la Il dignité » de la bande dessinée est loin d'être reconnue. En France, elle se heurte à la fois à la tradition de l'enseignement primaire et à une méfiance nationale à l'encontre de la culture américaine. La loi de 1949, ,instituant le contrôle des' publications destinées à la jeunesse, et dirigée essentiellement contre les bandes dessinées américaines, témoigne clairelllent de cet état d'esprit: n'a-t-elle pas permis, du· rant plusieurs années, l'interdiction de Fantôme, champion du bien, sous le prétexte qu'il portait un masque et n'exerçait dans la société aucune fonction rétribuée ? La bande dessinée constitue un mode d'expression dont on ne voit pas pourquoi il serait voué par essence à la médiocrité et à l'infantilisme ; ouvrant un champ presque illimité à l'imagination, elle p0ssède ses lois propres qui doivent' à la technique du dessin, du théâtre, du cinéma (dont elle a suivi et parfois même devancé l'évolution). Eminemment .portative et bon mal'· ché, elle pOssède des atoutS qui lui permettront sans doute de survivre encore. longtemps, malgré le rôle croissant de la télévision. 'Telle qu'elle nous apparaît actuellement, ses caractères tiennent autant à un mode d'expression spécifique qu'aux conditions économiques dans lesquelles elle' est produite et consommée. On souhaiterait que Gill·Will ne se borne pas à réunir des archivistes confinés dans le regret d'un âge d'or révolu et livrés parfois à des querelles byzantines. Quel que soit l'intérêt de la documentation, dè la réédition de planches devenues introuvables, il ne faut pas oublier que la bande dessinée se crée, Se vend, évolue en vertu d'un système qui échappe entièrement aux ama· teurs, si éclairés soient-ils. Lorsque Lee Falk, inventeur et scénariste des seriaIs Mandrake et Le Fantôme, se rend à Paris pour une exposition organisée par le CELEG en son honneur, il éprou. ve, selon ses propres termes « une surprise... agréable », mais son travail reste un travail et il se déroule dans un autre monde. Juliette Raabe
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D ICTIONN AIRE
PARIS
Politique Jean Noël Aquistaface Dictionnaire de la Politique Seghers, éd. Voici incontestablement un ouvrage « utile ». Mieux que ses multiples prédécesseurs, il remplit sa fonction : fournir aux lecteurs des quotidiens et des hebdomadaires correctement informés, auX auditeurs d'Europe nO 1 et aux télespectateurs, les renseignements permettant de comprendre la simple signification des textes émanant de l'A.F.P., de U.P.L ou de l'agence Tass et des commentaires qu'ils entraînent. C'est un dictionnaire. Il comporte deux parties : la première vise à définir brièvement les te~es dont on use quand « on parle polipque » (ou de politique, ou de la politique) ; la seconde consacre « à chaque pays indépendant, ou en voie de le devenir, une notice particulière. Chacun comprend un court paragraphe précisant sa position géographique..., un bref rappel des origines de l'Etat et de son évolution politique récente, un exposé de sa situation actuelle (institutions, forces politiques, problèmes majeurs) et, enfin, un rapide tableau de son économie ». Cette seconde partie est correcte, semble-t-il, bien documentée et « objective ». La première est bien décevante : si l'on y trouve, avec
plaisir, l'explication du sens de sigles comme A.E.L.E., A.LD. ou B.LR.D., on constate bien vite que les articles consacrés aux termes « idéologiques » sont purement signalétiques, qu'ils prennent les nolions de l'extérieur. Ainsi - à tout seigneur tout honneur' - le concept d'idéologie est seulement défini de la manière suivante : « doctrine politique et sociale non religieuse qui généralement procède d'une tentative d'explication critique de la société telle qu'elle se présente et du désir de voir se transformer cette dernière ». La brièveté nécessaire des textes n'est pas seule responsable de cette pauvreté. Ce qui, plus profondément, invalide cette nomenclature, c'est son genre même. Le style « dictionnaire » nivelle· les perspectives et contraint à une pseudo-objectivité. Or, en ce domaine de la politique plus que dans tout autre, la technique égalisatrice et le parti-pris de froideur conduisent bien vite à la fadeur, voire au non-sens. Il eût certainement mieux valu que les notions fondamentales fussent isolées et fissent l'objet, non de définitions, toujours abstraites, mais d'analyses critiques. A cet égard, le style « encyclopédie » qui, à première vue, paraît impliquer une moindre maniabilité est, en fait, beaucoup plus fructueux. ' François Châtelet
Aux critiques, Godard fait la tâche belle ; il mâche le travail, ses films sont présentés dans un « em, ballage » facile à détacher, découper, exploiter ; citations, légendes, « pensées » disent ce qu'il faut penser du film, ce que le film doit donner à penser ; ses formules-choc font des titres excellents. Un des facteurs techniques du succès au moins journalistique de Godard réside dans cette aptitude qu'il possède comme nul autre d'offrir à la presse un matériau pré-digéré, prêtà-rédiger. Même ceux qui n'ont pas vu son dernier film, MasculinFéminin, connaissent le slogan de la séquence finale : « les enfants de Marx et de coca-cola » ; ils savent peut-être aussi que le film se donne comme une « enquête », portant sur « 15 faits précis », et décrivant » le sexe et la jeunesse dans la France d'aujourd'hui ». Thème affriolant, qui a immédiatement fait les anxieuses délices de maints hebdomadaires. de la presse du cœur et de l'esprit: « Nos filles, nos petites Françaises, ressemblentelles· à ces monstres » ? C'est trop s'inquiéter; les petites filles de Godard sont bien gentilll'S, et leur riche vocabulaire anti-con· ceptionnel ne les empêche pas de devenir, comme leurs aînées, en· ceintes. Elles défilent sur l'écran, sagement"chacune à son tour, pour dire qu'elles voudraient réussir
dans la vi~, que l'amour, c'est l'amour, et que la politique ne les intéresse pas. Ternes, interminables entretiens, si pauvres et si banals, que le spectateur n'a d'autre ressource que de se faire le voyeur d'un visage en gros plan tenu en laisse par la caméra. MasculinFéminin est la transposition au cinéma de ces misérables interrogatoires de chanteuses yé-yé et de coureurs cyclistes que diverses radiodiffusions offrent en pâture quotidienne à leurs auditeurs. Nous reconnaissons, encore que sous une forme confuse et équivoque, un certain cinéma-vérité, qui se caractérise, outre sa fadeur, par une inutilité totale. Aussi bien, aucun des farouches laudateurs ne se hasarde à présenter un quelconque bilan des - informations apportées par '( l'enquête» de Godard. Si Masculin-Féminin ne nous apprend rien sur « le sexe et la jeunesse dans la France d'aujourd'hui », au moins a-t-il le mérite de désigner les sujets brûlants, politiques et moraux, qui préoccupent notre société, notre civilisation ? Qu'on y regarde de près. L'amour lihre, l'amour fou, l'Amour ? Les garçons et les filles de MasculinFéminin: se regardent beaucoup, se parlent énormément, mais ne se touehent guère ; une fille dit que l'amour est une question de peau : un bon point ; mais nous sommes
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La Quinzaine littéraire
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Godard entre deux chaises au Cinema, ce n'est pas un bavardage de potache ébloui par des vérités premières que nous sommes venus chercher, ce sont des images.. Dans Pierrot le Fou, de même, le héros' disait à sa belle qu'il l'embrassait il partout » - tout en conduisant son automobile ! La contraceptio~ diaphragme, pessaire, pilules ? Le sympathique Antoine il émis là-dessus une proposition fulgurante et définitive : « mettez la pilule en vente dans les monoprix », et nous espérons que les enfants de France ne l'oublieront pas de si tôt ; c'est plus fort que les mines et minauderies de Godard sur le même sujet. Les camps de concentration ? Godard n~ perd 'jainàis l'occasion de s'en servir : Auschwitz, ça fait historique, c'est du tout cuit. Dans Une Femme Mariée, il y avait l'anecdote des Juifs et des coiffeurs ~ « marrante ! » - et surtout on y citait Ma.."ulin-Féminin M. Rossellini, cinéaste italien, qui se plaignait, voyant défiler sur les l'apparition fugitive et inattendue .Champs-ElYsées des anciens dépor- d'une chanteuse' à, .la mode , déréa'tés dans leurs habits rayés, que ces lise le gé{lOcide vietnamien ; le ci"derniers fussent devenus 'trop néaste récupère les procédés de· diétroits, vu rembonpoint de l'après- version et de mystification grâce guerre. (Mais que pensait Mme In- auxquels la grande presse maintient 'grid Bergman de Rossellini en le public dans l'imbécillité politipyjama ?) Le porte-parole de!! que. Les suicides par le feu - forcamps, dans Masculin-Féminin, me d'action politique originale et c'est une putain blonde, qui tombe peut-être singulièrement efficace sur un' client allemand, et l'en- au Vietnam du Sud - sont paro· gueule parce .que ses parents ont diés d'une façon grotesque, inutile, été exterminés en Allemagne ; mais et simplement bête : un inconnu ce que le spectateur voit, c'est le passe sur l'écran, quitte sa femme client qui calcule sur la table du en lui recommandant de « bien café le prix de la passe ! Le racis- "embrasser les enfants ll, et va se me ? Deux Noirs, dans un wagon brûler dans une cour, « comme on de métro, insultent et ont bien en- se, précipite aux lavabo~ » écrit pervie de frapper la femme blanche tinemment Catherine Turlan dans qui -les accompagne; et l'un d'eux L'Action. évoque avec hargne le « cul» d'une , De ces quelques exemples, faciles grande chanteuse noire, bon' pré- à multIplier, on peut dégager une .texte pour libérer Godard d'une de ' lI}éthode spécifique, constante, de dans' Godard : la réduction de toute réa· ses obsessions majeures lité - . historique, politique, pas~asculin, dit l'un de ses· héros, il y a cul »; et Pierrot le Fou évo- sionnelle - au minable et au marquait profondément la « civilisa- rant. Le marrant-minable est l'élément commun des divers 'effets, .tion du cul »). Accordera-t-on à Godard qu'il procédés ou tics du cinéaste : anecfait place largement, dans ses dotes et histoires pour rire, va·etfilms, à un des aspects les plus dra· vient de personnages connus (dans matiques, les plus odieux, de la Masculin-Féminin, c'est la pénible réalité politique actuelle, la guerre corvee à laquelle se prêtent Bourdu .Vietnam ? Il en était question seiller et Brigitte Bardot), recours dans Pierrot le Fou, sous la forme puéril aux « gros mots » (que l'on d'une mascarade exécutée l'ar les compare la virulence et la résonance du verbe « baiser » dans Les de~x héros pour «_soutirer un peu de fric aux Amerloques », tel était Paravents de Jean Genet, et la à peu près le ton de cette pitrerie. pauvre boursouflure du terme chez Dans Masculin-Féminin, les deux Godard), importance de certains garçons crient « U .S., go home », thèmes comme la putain (un film et l'un d'eux peint sur une grosse lui est consacré, V ivre sa Vie - et « bagnole » américaine, tandis que les filles de Maséulin-Féminin ne l'autre distrait le chauffeur noir, 'cessent de demander aux garçons «Paix au Vietnam ». Excellent s'ils font l'amour avec des putains), canular ; mais le spectateur ne se et les cabinets, les latrines, haut lieu de la communication humaine «. marre » même pas, son attention est captée par autré chose, il a chez Godard où Jean-Pierre bara· aperçu, sortant de la voiture en tine longuement Madeleine devant compagnie de l'officier américain, la, porte d'un cabinet. Le long de ces quelques lignes devinez 'qui '? Françoise Hardy en .personne, de dos seulement, habil- obsessionnelles de fabrication vienlée en style Courrèges, avec bot- nent s'enfiler des bribes de réalité tines blanches vachement chic. contemporaine. Si nous ne tr.ouvons Tout Godard est là : dans cet esca- dans Godard ni véritable observamotage de la réalité politique ou tion, ni la moindre analyse, nous reconnaissons chez lui un talent ~iale par l'anecdote, par le potin ;
«(
La Quinzaine littéraire, 15 juin 1966
certain de mimétisme, grâce à quoi il épouse',avec aisance et vélocité les crêtes' et les creux qUI? dessinent les vagues de la réalité ; il est le cinéaste de ce qui est dans l'air, dans le vent ; rien de ce qui est à la mode, qui se discute dans les cafés et les cocktails" aucune -des rubriques qui composent les « pense-bête » de Elle ou autres journaux, ne lui est étranger. Un film de ,Godard est un fourre-tout de tous les derniers trucs sortis : Elie Faure en livre de poche dans Pierrot le Fou, la conférence de Brice Parain sur le lan· gage dans Vivre sa Vie, etc. Remarquez comme le principe de Masc'ulin-Féminin une enquête, des interviews - coïncide avec la brusque popularité des instituts de sondage et d'opinion publique, provoquée par les élections présidentiel. les. Quand on a de la culture, on appelle ce bric-à-brac un collage. La surface des choses étant mouvante, hétéroclite, fragmentaire, elle apparaît aisément comme illusoire ; la réalité opaque et dure se transforme en fantasmagorie : dans Masculin-Féminin, une femme tire sur son mari qui emporte son enfant ; un homme se plante un couteau dans le ventre, etc., tout cela par la grâce souveraine du réalisateur. Le mimétisme de Godard, loin d'accrocher le réel, le camoufle sous des apparences arbitrairement choisies et étalées. Cet illusionnisme s'inscrit assez bien dans l'omniprésence actuelle de l'illusion : illusion de la grandeur politique en France, illusion du libéralisme culturel, illusions de la gauche jouant à fabriquer avec des fantômes des gouvernementsfantômes ... Mais il faut sans doute aller chercher plus loi~ la racine sOciologique du succès de Godard. Ici se fait cruellement sentir l'absence d'une sociologie critique qui permettrait d'évaluer correctement l'accueil fait par les différents puou blics aux différents films pièces de théâtre, ou œuvres d'art. En tenant, par hypothèse, pour significatifs les avis formulés dans divers journaux et un' cer.tain nOm-
bre de réactions individuelles nettement concordantes, il est facile de constater que Godard jouit, presque exclusivement, des faveurs d'une certaine intelligentsia, située aussi bien à droite qu'à gau~he, et définie, outre ses divers rapports avec la production intellectuelle ou culturelle, par une consommation intensive des plaisirs de la vie dispensée par la société bourgeoise de l'abondance. Les personnages de Godard rappellent assez hien, par leurs conditions et leur style de vie, ces consommateurs de luxe, réels ou potentiels : leurs revenus paraissent assurés, ils ne se posent guère de problème d'argent, de budget mensuel ; leur temps de loisir est considérable : ils ont toujours largement le temps de parler, de se voir, de s'ennuyer, partir où cela leur chante, ils ne «pointent» pas; leur profession, souvent mal défi· nie, est rarement celle d'un salarié moyen ou banal, elle touche toujours en quelque manière à l'art ou au savoir ; le cadre matériel est confortable : ils disposent de beaux et vastes appartements, de voitures rapides, de villas parfois somptueuses pour les vacances. On comprend mieux, sur ces bases, la qualité que ces couches intellectuelles limitées et favorisées s'accordent à goûter chez Godard : Liberté, spontanéité, disponibilité, fantaisie, neuf, nouveau, jeune, absence de règles et de contraintes, tout cela poésie, charme, etc. semble converger vers un même point central, le refus de la réalité massive et redoutable, et des res· ponsabilités écrasantes que son affrontement suppose. L'histoire et l'univers hostiles, des camps de concentration à la guerre du Vietnam, sont simplifiés, aplatis, réduits à de scintillantes futilités' ; voilà qui repose les nerfs et tranquillise la conscience des « couches hégémoniques » de notre société. Même les bombes. atomiques, chez Godard. « font tchoufa »1. , Roger Dadoun 1. Dans l'argot pied-noir : éclatent comme des pétards mouillés.
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TOUS LESL!'VRES Ouvrages publiés entre le 15 mai et le 1 e .. juin
ROMANS .. RANÇAIS
Gwyn GriIfin Liberté surveillée Albin Michel, 24,68 F. Les débuts d'indépendarn:e d'une République Noire
Henry Bauchau La déchirure Gallimard, 15 F. Un fiU en face de la mort de sa mère Camille Bourniquel
La maison verte Seuil, 15 F. Quatre nouvelles par l'auteur du Lac. Philippe Guillemard Ivre joie Gallimard, 10 F. Premier roman, le journal d'un homme qui va se suicider Kleber Haedens L'été finit soU.t les tilleuls Grasset, 12 F. Une Madame Bovary fanttuque. Marcel Jouhandeau Que la vie est une fête Gallimard, 19 F. Huitième volume des Journaliers Jean Marix Jérôme Martin, Flammarion, 10 Le conflit entre médecins et la
médecin F. les société
Lederer et Burdick Les fourmis rouges Seuil, 18 F. Un roman-document sur la politique américaine au Viet·Nam
Giancarlo Marmori Cérémonie d'un corps Seuil, 12 F. La transformation d'un corps en ob jet e4 d'une liberté en impuissarn:e
Jacques Papy Histoires d'Outre· monde Casterman, 13,50 F. Anthologie de contes fanttutiques anglo-saxons
Goffredo Parise Le patron Traduit de l'italien Stock, 16,50 F. L'aliénation de l'homme dans la société moderne
Boris Pasternak Les voies aériennes Gallimard, 12 F. Des nouvelles par l'auteur du Docteur Jivago
M*MOIRES
Jacques Isorni Quand j'avais l'âge de raison Flammarion, 15 F. L'enfance, l'adolescence et le service militaire Paul Léautaud Lettres à Marie Dormoy Albin Michel, 27 F.
Ramon deI Valle·Inclan
Flammarion, 16 F. Le. camps de cprn:entration
La guerre carliste
Elie . Wiesel Le chont de. morts Seuil, 15 F. Un volume de nouvelles par le grand écrivain juif
'ROMANS *TRANGBRS
Eugène Barbu La foue Traduit .du Roumain Buchet.Chastel, 15 F. Par l'un de. romanciers les plU.t représentatifs de . la, jeune littérature roumaine Petru Dimitriu Le. initiés Seuil, 12 F. Le. névroses du monde occidental . Hal Dresner
Le. mésaventures d'un parnographe Laffont, 15,90 F. Un roman drôle. Le· parnographe et le F.B.I. Elena Garro La fête à lxtepec . Traduit de l'espagnol par Alice Gaspard Stock, éd. 15,90 F. Par la femme d'Octavio Paz, l'histoire d'une petite ville mexicaine 30
Traduit de l'espagnol Gallimard, 20 F. Un roman historique
PO*SU:
Roger Bochert . Geo Librecht Seghers, 7,10 F. Un poète académicien belge
Lawrence Durrell Poèmes Gallimard, 12 F. Premiers poèmes de l'auteur publiés en France
P ..]. Grossmann Cummings Coll. Poètes d'aujourd'hui Seghers, 6,90 F. Un des maîtres de la paésie américaine Alain Rascle Poèmes Seghers, 9,90 F. Rascle, un ami de Brice Parain, est mort à l'âge de 45 ans
LITT*RATURE *TRANG:f:RE
Tirso de Moli~a Les trois maris mystifiés Edition bilingue Aubier, 9 F.
R. Lefèvre Condillac Seghers, 7,10 F. La philosophie sensualiste
SOCIOLOGIE
Alain Touraine
La conscience ouvrière
HISTOIRE LITT*RAIRE
Françoise d'Eaubonne Madame de Staël, une femme témoin de son siècle. Germaine de Staël Flammarion, 14 F. Pour le bicentenaire de Mme de Staël Ida MaÏer Ange Politien La formation d'un poète humaniste 1469 . 1480 Draz, 90 F. Dans la collection Travaux d'humanisme et Renaissance Jean Rousselot Agrippa d'Aubigné Seghers, 6,90 F.
Richard Nollier
La solution finale
PHILOSOPHIE
Seuil, 29 F. Une enquête, complément de La sociologie de l'action du même auteur
RELIGIONS
Owen Lauimore Mongolie Seuil, 12 F. La transformation de la Mongolie au cours du dernier demi·siècle Albert Meister L'Afrique peut.elle partir? Seuil, 25 F. 1/Afrique est·elle un continent perdu? Jean Montigny Le complot contre la paix Denoël, 25,20 F. Un livre pro.munichois Poli et Sainderichin Histoire secrète d'une élection Plon, 14,58 F. Les dessoU.t des élections présidentielles
Louis Hjelmslev Le langage Traduit du danois Ed. de Minuit, 19,50 F. Un classique de la linguistique dont l'auteur vient de mourir
René MarIé Bultmann et l'interprétation du 110uveau Testament Aubier, 18 F. Etude sur le grand théologien protestant
SCIENCES
Jean·Marie Pérès La vie dans l'Océan Seuil, 4,90 F. Le dernier état des études océanographiques
Arthur Schlesinger Ir Richard H. Rovere L'affaire Mac·Arthur France.Empire, 16,50 F. Mac Arthur, la Chine et la guerre de Corée
*CONOMIE POLITIQUE·
Roland Claude Organiser pour vivre Hermann, 48 F. Les problèmes d'organisation dans le monde moderne
Romanovsky Physique de l'Océan Seuil, 4,90 F. Les bealltés de la recherche sous·marine
André Warusfel Dictionnaire raisonné des mathématiques Seuil, 48 F.
Vilfredo Pareto Manuel d'économie politique Draz, 50 F. L'œuvre fondamentale du grand sociologue italien Vilfredo Pareto Mythes et idéolagies Droz, Genève, 42 F. Essais divers datés de 1892 à 1929
HISTOIRB DOCUMENTS
ESSAIS
Roger Caillois 1mages, images... Corti, 9,25 F .. Le rêve et le fantastique Docteur Henry Eck Sodome Fayard, 15 F. Un psychiotre chrétien se penche sur les problèmes de l'homosexualité Pierre Lyautey Charles Foucauld Ed. Universitaires, 3,95 F. Un essai sur le mystique du désert par Pierr..e Lyautey, président de la société des Gens de Lettres François Mauriac D'autres et moi Grasset, 15 F. Les préfaces de François Mauriac
Mario Reguzzoni La réforme de l'enseignement dans la communauté économique européenne Aubier, 21 F. Etude et dacuments sur les réformes entreprises par les Six
TH*ATRE
Arthur Adamov Théâtre III Gallimard, 15 F. Trois pièces par l'auteur de Ping.Pong Maurice Clavel
La grande pitié
LANGAGE
Jean Cohen Structures du langage paétique Flammarion, 16,50 F. Voir l'article p. 19
P*DAGOGIB
Bénoist·Méchin Histoire de l'armée allemande Albin Michel, 30,85 F. Le sixième tome de cette œuvre monumentale nous conduit jU.tqu'au début de la guerre de 1939
Alexander Dorozzuski Landau, l'homme qu'on Il 'a pas laissé mourir Robert Laffont, 15,45 F. Comment on a ressU.tcité quatre fois le savant qui obtint le Prix Nobel de Physique
Werner Haupt
La dernière bataille de Hitler France Empire, 12 F. La fin de la guerre
POLITIQUE Guy Nania Un parti de la gauche Le P.S.U. Gedalge. A. Wastch Cie, 20 F. Le P.S.U. est·il le survivant d'un socialisme d'extrême gauche ou bien annonce·t·il le socialisme de demain.
René Gillouin J'étais l'ami du Maréchol Pétain Plon, 15 F. Voir l'article p. 23 Albert Simonin Lettre ouverte' aux voyous Albin Michel, 7,50 F. Dans la collection Lettre ouverte Paul Wellman Les hors·la·loi du Far·West Stock, 22,50 F. Le crime et l'aventure dans le Far-West entre 1860 et 1934
Gallimard, 10 F. Cette pièce dait être monteé cet été Obaldia Théâtre en deux volumes Grasset, T. 1: 12,50 F. T. 2: 10 F. Première édition des œuvres complètes d'Obaldia
VOYAGES
Maurice Andrieux Au plaisir de Rome Fayard, 15 F. Un petit guide parfait pour les amoureux de Rome
DIVERS
André Clergeat Dictionnaire du jau Seghers, 13,60 F. . Les mots, les hommes, les écoles par l'ancien ~édacteur en chef du Jazz Hot Herzmanoski·Orlando Humour autrichien Julliard, 15 F. Un humoriste autrichien du début du siècle Desmond Varaday Gara Yaka, l'histoire d'un guépard Stock, 15 F. L'auteur a recueilli un jeune guépard
Nicolas Berdiaeff Cinq méditations sur l'existence Traduit du russe Aubier, 6,90 F. Raymond Furan Manuel de Préhistoire générale Payot, 36 F. Cinquième édition révisée et mise à jour
LA QUINZAINE HISTORIQUE
SUCCÈS DE VENTE,
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Han Suyin Ryan Steiner F. Mallet-Joris Daninos Ch. Rochefort Accoce et Quet
8 Kosinski 9 Foucault 10 -Moravia
L'arbre blessé La dernière bataille Treblinka Les signes et les prodiges Le 36 e dessous .une rose pour Morrison La guerre a été gagnée en Suisse L'oiseau bariolé Les Mots et les Choses L'attention
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Juin incite aux grandes entreprises. Que, par une chaleur de trentetrois degrés, sur le boulevard Bourdon absolument désert, Bouvard, pour la première fois, adresse la parole à Pécuchet (Juin 1879); que Charlus, désireux de briller aux yeux de Mme de Surgis dont
3. Pétain suave. VOUll" étiez prêts à continuer la lutte ; je le savais. La guerre était perdue dans la métropole. Fallaitil la prolonger dans les colonies ? Je ne serais pas digne de rester à votre tête, si j'avais accepté de répandre le sang français pour pro-
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SUCCÈS DE CRITIQUE Cette liSte est établie, selon un mode de calcul complexe qui en garantit l'objectivité - d'après les articles "publiés dans cinq -quotidiens, huit hebdomadaires... et un bi-mensuel parisiens. 1" "Christiane Rochefort 2 Gustave Flaubert
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Hervé Bazin Alberto Moravia F. Mallet-Joris Marie-Claire Blais
7 Roger Ikor 8 Raymond Queneau 9 Witold Gombrowicz 10 "Michel Foucault
Une rose pour Morrison Le second volume de Bouvard et Pécuchet Plumons l'oiseau L'attention Les signes et les prodiges Une saison dans la vie d'Emmanuel Les poulains Une histoire modèle Cosmos Les Mots et les Choses
Grasset Flammarion Grasset Grasset Alhin-Michel Gallimard Denoël Gallimard
LA QUINZAINE LITTÉRAIRE VOUS RECOMMANDE parmi les ouvrages qui viennent de paraître : Romans et nouvelles Léonie Bruel Personne ne répond Boris Pasternak Les voies aériennes Pandelis Prevelakis Le soleil de la mort Pierre Rottenberg Le livre partagé Ramon deI Valle-Inclan La guerre carliste
Ed. de Minuit Gallimard Gallimard Seuil Gallimard
Poésie René Char
Retour A mont
Gallimard
Correspondance Paul Léautaud
Lettres à Marie Dormoy
Albin Michel
Contre-censures Histoire du nouveau théâtre La conscience ouvrière Dictionnaire raisonné des mathématiques
J.-J. Pauvert
Essais J .•F. Revel Genevière Serréau Alain Touraine André Warusfel
Voy-ages Maurice Andrieux Bibliophilie Guillaume Apollinaire
~ "Quinzaine
littéraire, 15 juiri
Gallimard Ed. du Seuil Ed. du Seuil
Au plaisir de Rome
Fayard
Œuvres complètes sous la direction de Michel Décaudin
André Balland
l tJ6b
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Grasset Denoël
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il convoite les fils, Arnulphe et Victurnien, accable incomparablement d'outrages la Marquise de Saint Euverte (juin 1912); que René Crevel se donne la mort (juin 1935); que Pétain ose parler au peuple (juin 1940); qu'enfin, un chien ose apparaître dans l'œuvre de Paulhan, pour des motifs obscurs, et qui ne laissent pas les femmes indifférentes (juin 1950), tout événement littéraire, en cette quinzaine de juin, est événement historique, par excellence. Méditons ces textes mémorables.
1. Idéalistes associés. Pour s'essuyer le front, ils retirerent leurs coiffures, que chacun posa près de soi ; et le petit homme aperçut, écrit dans le chapeau de son voisin: Bouvard; pendant que celui-ci distinguait aisément dans la casquette du particulier en redingote le mot : Pécuchet. « Tiens, dit-il, nous avons eu la même idée, celle d'inscrire nos noms dans nos couvre-chefs. - Mon Dieu oui! On pourrait prendre le mien à mon bureau. - C'est comme moi, je suis employé. Alors, ils se considérèrent. Flaubert.
2. Féminité odorante. Je me dis tout d'un coup: « Oh mon Dieu! on a crevé ma fosse d'aisances ». C'est simplement la marquise qui, dans quelque but d'invitation, vient d'ouvrir la bouche. Et vous comprenez que si j'avais le malheur d'aller chez elle, la fosse d'aisances se multiplierait en un formidable tonneau de vi· dange. On me dit que l'infatigllble marcheuse donne _des "garden-parties, moi j'appellerais cela des « invites à se promener dans les égoûts Est-ce que vou,. allez vous crotter là ? Marcel Proust.
».
longer le rêve de quelques Français mal instruits des conditions de la lutte. Je hais les mensonges qui vous ont fait tant de mal. Pétain.
4. Bracelet narcissique. Ma maîtresse de piano avait un chapeau à plumes on ne peut plus amazone, et, l'enlevait-elle, c'était pour révéler une architecture de boucles oxygénées dont elle couronnait son visage très maquillé. Elle regardait l'heure à un bracelet-mon. tre extensible (objet alors fort rare), et, très volontiers pour ma grande joie (à nous le symbolisme sexuel) sa main allait et venait à travers ce cercle complaisant. Crevel. 5. Chien linguistique. Quant aux enfants, ils s'amusaient avec le berger d'Ecosse de Marilou, dont le regard était ce soir si grave que: « On dirait qu'il souffre de ne pouvoir parler» dit Jenny. Il Pourtant, il a l~ langue bien pendue » répliqua Maryvonne. Il y eut un moment de silence, et Maryvonne se montra confuse. Puis toutes deux partirent à la suite d'un rire incertain, décidé, éclatant. ( ...) II Que Maryvonne ait osé devant les enfants! » dit Georges. Paulhan. Les récits de Paulhan ~nferment fréquemment (à moins qu'ils ne libèrent) une « moralité» qui va bien au-delà de l'anecdote. J'ose dire què dans cette ésotérique histoire, quelque chose m~ rappelle obscurément Pétain. Est-ce la perversion ?... Est-ce le mot berger ? .. Est-ce _le caractè~ infâme, quoique diSllimulé de l'acte? ... Je ne saurais ' le dire. Cependant, entre le BergerMaréchal adroit à la parole, et le berger canin, habile de sa langue,' le Français curieux du mot propre, ne peut-il établir quelque rapport? .. Pierre Bourgeade 31
"PETITE PLANETE "
Collection dirigée par Simonne Lacouture ressentiel des connaissances actuelles sur un pays: Ni guide, ni livre d'histoire~ ni brochure de propagande, ni Impressions de voyage,' l'équivalent plutôt de la conversation que nous aimerions avoir avec un homme intelligent et connaissant bien le pays qui nous intéresse. Coll. "Microcosme", chaque vol 192 p., 100 illustrations, 4,90 F
rownans PETRU DUMITRIU Les Inltl" 12 f
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Les secrets et les Jeux d'une certaine technocratie, par l'auteur de l'Extrême-occldent et Incognito.
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GIANCARLO MARMORI <:'r6monle d'un corps 12 f Un hommage è la femme-bijou du modern'style, parure' oil s'engloutit' la liberté.
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CAMILLE BOURNIQUEL Le maison verte 15 f
(JALVINO lajournée d'un scrutateur récit De Calvino, le lecteur français connaissait des contes fantastiques et des nouvelles ironiques. Voici un ton nouveau. Un intellectuel communiste surveille les votes dans un hospice religieux, le Cottolengo, où sont soignés des infirmes, des demeurés. C'est la dénonciation d'une fraude politique des catholiques, mais c'est aussi la découverte de ce qu'a d'insuffisant un vague humanisme optimiste.
1 vol. traduit de l'italien par Gérard Génot, 144 p., 8,50 F
Aucun lien entre ces quatre nouvelles, sinon la vision des êtres et des choses propre au romancier du ~ son charme nuancé d'humour.
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essais JEAN GRANIER Le probl6me de la v6rlt6 dan. la philosophie de Nletz.che 29 f Coll. "l'ordre philosophique ".
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