La Quinzaine littéraire n°114

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SOMMAIRE

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LE LIVRE DE LA QUINZAINE

Khrouchtchev

Souvenirs

par Annie Kriegel

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LITTERATURE ETRANGERE

Strindberg

par Marthe Robert

Wyndham Lewis

Lettres à Harriet BO$$e (1900-1908) Journal occulte (1900-1908) Tarr

par Serge Fauchereau

John Updike

Les quatre faces d'une histoire

par Jacques-Pierre Amette

Dominique Rolin

Les éclairs

par Philippe Sollers

la Ludvine

Cher cher Gouratzine

par Paul Otchakovsky-Laurens

7 8 9 10

ROMANS FRANÇAIS

11 12 14 18 19

DOSSIER

André Breton André Breton et 1'« Esprit moderne»

La problématique du rêve

par Pierre Péju par Jean-Pierre Morel par Michel Deguy

Sur moi, une influence tardive Le témoignage d'un « ancien » Le surréalisme en librairie

20 22

Propos recueillis par Gilles Lapouge Propos recueillis par Pierre Bourgeade

A sa plus simple expression Surréalisme, Morale, Musique

Paul Souday et le surréalisme

24 25 28

PHILOSOPHIE PSYCHANALYSE

29 31

par José Pierre par Dionys Mascolo

Contre un détournement de pensée

CINEMA

Husserl

Philosophie première

par Robert Misrahi

Jean-Michel Rey

L'enjeu des signes

par Angèle Kremer-Marietti

Jean Laplanche

Vie et mort en psychanalyse

par Roger Dadoun

A. Kibédi-Varga

Rhétorique et littérature

par Georges KassaÏ

Bertolucci

Le conformiste

par Louis Seguin

Sautet

Max et les ferrailleurs

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THEATRE

Le théâtre à Paris

par Lucien Attoun

33

MUSIQUE

G.R.M.71

par Anne Rey

34 35

ARTS

Dans les galeries

par Jean-Jacques Lévèque par Jean-Pierre Rosier par Jean Selz

A la lumière de Morandi

Wifredo Lam

Conseiller: Joseph Breitbach.

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François Erval, Maurice Nadeau.

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Le Mercure de France Le Mercure de France D.R. Denoël Bourgois D.R. D.R. D.R. D.R. D.R. D.R. D.R. D.R. D.R. D.R. Béatrice Heylighers Bernard Perrine D.R.


Khrouchtchev parle par Annie Kriegel Khrouchtchev Souvenirs Laffont éd., 592 p.

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On a surtout jusqu'ici discuté de l'authenticité de ce document bien que les experts [ Georges F. Kennan aux Etats-Unis ou Michel Tatu en France (1)] se rencontrent sur le sens à donner, dans ce cas précis, au concept d'authenticité. Les Mémoires du général de Gaulle constituent, outre une œuvre littéraire, une source d'informations d'abord factuellement contrôlées sur dossiers puis organisées et interprétées à la fois selon l'intelligence qu'en a l'écrivain et en fonction de son désir de trancher pour la pOstérité les amihiguïtés inhérentes à toute entreprise politique. Rien de tel pour les Mémoires de Khrouchtchev. Pas de dossiers à la

base des faits qui sont ici rapportés : en un sens ce sont vraiment des mémoires, car c'est la mémoire seule de l'auteur qui a sélectionné les données et commande leur analyse. Mais la mémoire de qui ? Peutêtre Khrouchtchev a-t-il rédigé quelques courts passages dont la facture semble plus « écrite» que d'autres, mais il a surtout parlé et parlé dans ce que les Allemands appellent des Tischgesprache - des conversations de table et d'aprèsdîner, parlé de manière discursive. Parlé mais parlé à qui ? Quand il parlait, croyait-il ne parler qu'à des familiers ? Croyait-il parler au peuple soviétique, tenter un ultime effort pour contrebattre l'énorme, l'étonnante impopularité qui est restée attachée à son nom (et à son sobriquet de Koukouroujki ~ « Maïs »), intervenh à sa manière

dans la lutte toujours ouverte pour ou contre Staline et le stalinisme : un « Contre Brejnev» comme Malraux, faisant parler de Gaulle, écrit un « Contre Pompidou»? Ou savait-il qu'il ne parlait que pour l'Occident ? Ou encore protestait-il pour sa gloire, au sens classique du terme? Des récits discontinus, hétérogènes, d'un vieil homme à la retraite, rassemblés (le conteur le sachant ou non ?), rédigés (sous contrôle de l'auteur? par des tiers sans mandat ?), traduits du russe en anglais puis de l'anglais en français : il est évident dans ces conditions qu'on ne saurait ni s'attacher à la lettre de ces 592 pages, ni s'étonner que la lecture en soit souvent fastidieuse tant le texte, produit de cette cascade d'opérations, est à la fois lâc4e et. délavé. Certes Khrouchtchev n'est pas un

artiste: mais on aurait pu s'attendre à ce qu'il fût un conteur. Or sa célèbre verve ne résiste pas aux exigences de composition, de choix, et de style qu'appelle l'écriture. Seules quelques scènes particulièrement énormes ou terrifiantes gardent du trait. Dans l'univers atomisé de la dictature, les individus tirés de la masse, distingués, précipités selon un cursus inlassablement renouvelé - tournent le manège plus que les classes, groupes et instances constitués : or les personnages que devraient nous donner à voir Khrouchtchev ne sont pas seulement falots parce qu'il fallait être tel pour survivre, ils sont encore rendus falots par l'incapacité où l'auteur est de nous en dire le plus souvent autre chose que ce qu'en dit la formule stéréotypée et pauvre: c'était d'honnêtes communistes. Honnêtes se référant..

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Cinq ans, déjà Comme les années précédentes, nous ne laisserons pas passer le .15 mars sans souligner cette date anniversaire. La Quinzaine littéraire entre dans sa sixième année. Nos lecteurs, nos abonnés, nos amis s'en réjouiront avec nous, surtout en un moment où la situation de la presse littéraire dans notre pays donne lieu, ici et là, à des commentaires attristés. Il ne suffit pas que la Quinzaine littéraire • tienne -. Il faut qu'elle progresse, qu'elle s'améliore, qu'elle devienne vraiment ce que nous avons voulu en faire : le miroir critique d'une activité intellectuelle dont nous ne voudrions manquer, faute de moyens suffisants, aucune des manifestations. Une réconfortante assemblée générale de nos actionnaires (qui sont, rappelons-le, 500 de nos abonnés), tenue à Paris le 15 Janvier dernier, a suggéré diverses mesures pour le développement de la Quinzaine. La première, que nous adoptons, est de créer, pour ceux qui se sentent particulièrement proches de notre journal un abonnement de soutien annuel de 120 F. En retour, nous nous mettrons à leur service pour tout ce qu'ils voudront bien nous . demander : sur le plan de l'information, des renseignements bibliographiques, voire de conseils fournis par les divers spécialistes qui collaborent à la Quinzaine. Parmi les autres suggestions à l'étude, nous soumettons à nos lecteurs celie-ci, qui nous a séduits; la formation, partout où ce serait posslbl~, de groupes d'Amis de la Quinzaine littéraire. Nous avons dans chaque grande ville, et surtout les villes universitaires, des dizaines d'abonnés (sans parler des lecteurs au numéro) qui pourraient avoir envie de se connaître, de se rencontrer, de œener peut-être en commun une action sur l'un des divers plans qu'essaie de couvrir la Quinzaine. Par simple consultation de notre fichier nous pouvons faciliter ces rencontres, mettre .en rapports les uns avec les autres, aider à la constitution de ces groupes. Ils pourraient bénéficier des conférences que l'un ou l'autre de nos colla-

La QulnzaIne Littéraire, du 15 au 31 mars 1971

borateurs est amené à prononcer (hier, François Châtelet était à Toulouse, le 18 mars Gilbert Walusinski sera à Poitiers, etc.), en attendant que ces groupes soient assez forts et assez actifs pour nous demander d'entendre à leur seul profit tel ou tel de nos amis rédacteurs. Cette Association, régie par la loi de 1901 (sans but lucratif) et gérée de façon autonome, n'aurait pas pour but de .nous procurer de l'argent. Il suffirait qu'elle soit pour nous un réseau de relais à travers Universités, Maisons de la culture, Associations culturelles diverses et un moyen supplémentaire de nous enraciner là où nous sommes déjà présents. Que nos amis et abonnés intéressés nous écrivent. Nous étudierons leurs suggestions et les tiendrons au courant des développements possibles de cette proposition. Profitons de cet anniversaire pour rappeler une fois de plus que la Quinzaine littéraire ne bénéficie d'aucun mécénat, ne dispose d'aucune ressource occulte, n'a derrière elle ni organisme de presse ni d'édition, ni. association ou syndicat quelconque (fût-il, et cela ne serait pas si scandaleux, celui des libraires). Et pourtant elle vit. C'est peut-être parce qu'outre le capital qu'ont bien voulu lui .fournir quelques centaines de ses abonnés, elle repose sur cet autre, fait de temps, de travail, de dévouement que lui concèdent généreusement les membres d'un personnel réduit à l'essentiel et, depuis le premier jour, enthousiaste à toutes les tâches, tandis que les membres - soulignons-le, bénévoles - du comité de rédacti'on font souvent passer leurs nombreuses et Importantes occupations après les exigences du journal. Le moment semble venu où cette richesse qui tient à la pauvreté de nos moyens nous permet de prévoir d'ici le 15 mars 1972 mille abonnés nouv.eaux, cinq mille lecteurs de plus au numéro. C'est du moins l'objectif que nous nous sommes fixé. Nous comptons sur vous, amis, pour que cet objectif soit atteint. Q.L.

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I.ITTaaATuam

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.. Khrouchtchev

dans le langage communiste, à la vertu ·de loyauté (à l'égard du

parti). Est-ce à dire qu'on peut en rester là avec ce document? Certes, non. Tel quel, il jette même le lecteur averti dans un abîme de réflexion. D'abord, il permet de mieux prendre la mesure de la souffrance soviétique depuis cinquante ans. On avait jusqu'ici surtout dressé la carte de la souffrance des mem· bres de la classe politique, tour à tour bourreau et victime. D'une les témoins qui avaient survécu aux procès et aux camps appartenaient plus ou moins aux cer· cles de l'appareil et de ses dépendances ou à des groupes marginaux. D'autre part, la Lioubianka, les isolateurs, Magadan, Vorkouta; autant de mots, autant de noms qui n'appartenaient qu'au vocabulaire de la répression terroriste. Ici, ce qu'on entrevoit mieux, c'est la souffrance du peuple : une fois par décennie, au cours des trois premières décennies du pouvoir soviétique, les paysans ukrainiens ont subi une famine telle qu'elle a donné lieu à des cas d'anthropophagie. Il faut lire par exemple le récit abominable où Khrouchtchev raconte comment Kiritchenko, alors secrétaire du comité régional d'Odessa, lui rapporta dans l'hiver 1946-47 avoir vu dans un kolkhoze une paysanne devenue folle de faim découpant et salant les cadavres de ses deux enfants. Bouleversé, Khrouchtchev en parle à Staline qui le prend très mal : « Tu te ramollis! On te trompe ; on espère toucher ta sensiblerie en te racontant des choses pareilles. On veut te forcer à distribuer toutes les réserves ». Khrouchtchev ajoute alors : « Apparemment, il avait des informateurs qui me court-circuitaient et à qui il accordait plus de crédit qu'à moi ». Ce .qui nous introduit au cœur du problème"clef : le fonctionnement du système soviétique. Sous cet angle, on comprend mieux maintenant pourquoi toutes les tentatives, en Union soviétique, dans les démocraties populaires (et dans les P.C. occidentaux), faites pour changer le système se sont finalement ramenées à un essai de modifier le circuit de l'information. L'information - autrement dit, le savoir nécessaire à la construc· tion d'un quelconque projet stratégique ou tactique - varie .en effet, du point de vue de la quantité, en

part,

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fonction du grade dans lahiérarchie du parti. Le rythme d'accumulation est d'8.illeurs très lent à croître et il faut aller très haut pour être en mesure d'embrasser un pa· norama important et se trouver ex· posé à une somme appréciable de dOJlDées. Mais cela, on le savait déjà. Ce qu'on savait moins, c'est qu'en Union soviétique, exactement comme dans n'importe quel parti communiste, l'obstacle majeur à la circulation de l'information n'est pas d'ordre quantitatif mais quali. tatif : car c'est le cloisonnement horizontal qui empêche qu'on accumule d'autres informations que celles propres à son domaine d'activité spécifique. Déjà, tout jeune, au XV· congrès du Parti (1927), Khrouchtchev avait noté la ségrégation établie entre les délégations venues de républiques soviétiques différentes. Plus tard il généralise et après l'assassinat de Kirov, alors qu'il est secrétaire du comité de Moscou, il observe. « On établit une liste des gens à éloigner de la ville. J'ignore où on les envoya. Je ne l'ai jamais dem.andé. Nous sommes toujours restés fidèles à la règle qui veut que si l'on ne vous disait pas quelque chose, c'est que cela ne vous concernait pas; c'était l'affaire de l'Etat, et moins vous en saviez mieux cela valait J). Ainsi un membre du proche entourage de Staline procède, pour tout ce qui ne regarde pas le champ où il est de sa responsabilité directe d'intervenir, comme n'importe quel profane : il recueille, par son mini·réseau personnel de clients, de collaborateurs et d'amis, des signaux indirects discontinus et fugaces qu'il décrypte selon un code que la pratique enrichit et affirme progressivement. De ces signaux (langage complexe et différencié), Khrouchtchev donne un bon exemple en narrant la lutte pour la « Ligne générale» qu'il a menée à l'Institut d'Etudes industrielles de Moscou où il avait été envoyé en 1929-1930 : « Il exis· tait un groupe qui soutenait la Ligne Générale du Parti et s'opposait aux droitistes... Droitiers, opposi· tionnistes, ces gens évoluaient tous, fondamentalement, dans la même direction politique et notre groupe était contre eux. Nous ve· nions tous du Sud, du Donbass, de Dniepropetrovsk et de Kharkov; en outre, nous étions tous entrés au Parti après la Révolution. Lorsque, à une réunion, on présentait un

candidat à un poste de l'organisa. tion de l'Institut, il devait monter à la tribune et dire d'où il venait, quand il avait adhéré au Parti, de cette façon, la Vieille Garde de la cellule reconnaissait sans mal ceux qui, selon toute probabilité, ne manquerait pas de s'opposer à elle, et votait contre eux ». Ce système d'information - des réseaux verticaux officiels spéciali. sés et une myriade de mini·réseaux horizontaux, privés, généraux aboutit en bref à l'absence d'un pool commun d'informations susceptible de constituer un commun savoir : dans cette absence, dans ce creux, se love le système dictatorial (le dictateur lui-même ne faisant d'ailleurs aucunement exception : la persistance de son pouvoir ne tient pas tant à ce qu'il a une meilleure information que les autres, elle tient à ce que, ayant conquis le pouvoir, il le conserve par la terreur). A quoi il faut ajouter deux observations complémentaires. D'une part la marge de sécurité que four· nit l'imitation des précédents dans un tel système d'information: d'où la rapidité avec laquelle se cristallise une tradition protectrice dans quelque ordre que ce soit. D'autre part, plus encore dans un pays où l'administration n'a ja. mais été assez compétente pour assurer ne serait-ce que le minimum quotidien, le pouvoir politique ne s'exerce que par le biais de « campagnes », à-coups volontaires, violents et superficiels destinés à rattraper en bloc le retard, à désen·liser la machine, à atteindre les objectifs privilégiés ou, un beau jour, décidés tels. D'où l'épisode grotesque et symbolique où l'on voit Sta· line convoquer Khrouchtchev, alors « Père de la Cité », c'est·à·dire secrétaire du Comité de Moscou, pour lui enjoindre de s'occuper toutes affaires cessantes des toilettes publiques. Naturellement on peut y voir une marque de sollicitude pour le peuple. Il n'est pas non plus interdit d'y voir une farce tragique, un Clochemerle écrit par Raskolnikov Mais c'est aussi à force de « campagnes» où tous les talents et les ressources disponibles étaient concentrés sur un point que furent menées à ·bien les grandes entre-· prises du régime, le métro de Moscou comme l'industrie lourde. (1) Cf. Geor~e F. Kennan, The New York ReVlew of Books, 25 fév 1971, et Michel Tatu, Le Monde 25 fév. 1971).

Strindberg Lettres à Harriet Bosse (1900.1908) Mercure de France éd., 244 p.

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Journal occulte (1900.1908) Mercure de France éd., 182 p.

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te Nous n'avons qu'à fermer les yeux, écrit Kafka à Felice Bauer en 1912, et notre pro· pre sang nous fait des conférences sur Strindberg -. Et-ce encore vrai avec une par~iIIe évidence? Strindberg communique-t-i1 encore aussi directement avec le « sang. de nos contemporains?

Bien des choses à vrai dire seinblent s'interposer entre lui et le lecteur d'aujourd'hui, surtout pour la part de son œuvre où il se donne pour le pamphlétaire et le roman· cier de sa propre vie. Car là, luttant avec des armes puissantes contre des ennemis qui nous paraissent inexistants, pour des valeurs que nous jugeons nulles ou périmées, il brouille nos concepts, bouleverse nos catégories et porte le trouble dans notre idée compacte de la modernité. Pour un peu nous dirions qu'en lui l'artiste qui observe est de beaucoup supérieur au polémiste qui interprète et juge, en d'autres termes que Strindberg est grand dans ses pièces, et rétrograde lorsqu'il exprime tout uniment se pensée. Mais est·ce soutenable sous cette forme simplifiée? C'est précisément la question qui se pose à la lecture de son autobiographie, et spécialement des deux livres récemment parus qui constituent les dernières pièces de son dossier. De ces deux livres posthumes, dont l'un est un recueil de lettres à Harriet Bosse, sa troisième femme, l'autre un extrait de journal intime ayant trait à la même époque de sa vie et rapportant les mêmes événements, Strindberg auteur dramatique est en effet presque entièrement absent, ou plutôt il s'efface derrière la personne réelle du mari, un mari certes vieilli, un fois de plus amoureux, une fois de plus abandonné, mais toujours soupçonneux, écorché, invivable, qui se veut seul en face du public (on n'en peut douter puisqu'il a pris toutes mesures pour qu'après sa mort, sa correspond~nc,e et son Journal occulte fussent lDtegralement publiés). Or si en tant qu'auteur de pièces, Strindberg


L~enfer

de Strindberg

par Marthe Robert émeut toujours le spectateur et lE lecteur actuels, en tant que mari. tel qu'il se peint dans ses romaru autobiographiques et ses libelles, il y a lieu de croire qu'il n'attire guèrE la sympathie (paradoxalement, étan1 donné que l'homme de théâtrE trouve justement dans le mari lt principal fournisseur de ses grief: et de ses drames). Le premier es1 accepté avec les bizarreries du dé· lire qui, étant aussi celles du génie passent sans plus au compte dE la littérature; mais le deuxièmE n'est pas absous, ce doctrinaire haineux engagé dans un combat pé' nible et sans issue contre la moitit de l'humanité paraît presque mé· riter ses souffrances, on ne lu: pardonne pas les idées délirante: - les mêmes pourtant dont il fail des « scènes» d'autre part - qu: lui inspirent ses convictions déplaisantes, et en particulier sa miso gynie. A en juger par les témoignage: du temps, les contemporains dl Strindberg ne semblent pas avoÏJ connu pareille ambiguïté, les détrac leurs comme les partisans ayant vt dans ses idées non pas du tout de: productions symptomatiques liées i un dérangement mental, mais bieI l'expression vigoureuse, juste poUl les uns, fausse pour les autres, d'uI problème urgent posé à un momen' de crise grave de l'évolution so ciale et de la pensée. Au demeuraD' Strindberg n'était pas le premier i faire profession d'antiféminismt tnilitant, des philosophes famew l'avaient précédé, et l'on ne sachl pas que Schopenhauer ou Nietzscht aient traité le sujet avec plus dl ménagements au tournant du siè cleo Il n'était pas non plus le seu à ressentir le problème de la femml comme quelque chose qui touchai de près, et dangereusement, am racines de sa propre existence : el 1903, Otto Weininger se tue à l'âgl de vingt-trois ans, quatre mois aprè avoir écrit contre les femmes un ré quisitoire atroce et génial qui, dan son esprit, devait fonder une nouvel le philosophie. « W eininger a scell, sa foi avec son suicide», écri Strindberg à un ami du jeune dé sespéré, « vers 1880 j'ai été prè •de faire comme lui; seul avec m, « découverte». Ce n'est pas un opinion, mais une découverte, e Weininger était un découvreur)J Q'uelques années plus tard, Kafks qui à cette époque ne connaît pas 1 théâtre de Strindberg, mais uniqut ment les romans autobiographique

traduits par Schering, comprend encore cette découverte par l'intermédiaire de son « sang», comme le voulait en somme le « :erodi. gieux» auteur dans les bras du· quel il se voyait « blotti ». Et certes rares sont ceux qui prennent la prédication antiféministe au sérieux jusque dans ses dernières conséquences charnelles, mais si la plupart des contemporains se contentent de la tenir pour une opinion à attaquer ou à défendre, personne ne s'avise d'en rechercher les causes dans la pathologie. Pour nous au contraire, les idées de Strindberg sur les femmes - et sur la vie en général, mais ici justement les femmes sont les représentantes de fa vie - sont devenues indissociables de la personnalité morbide qui les a conçues et propagées, ce sont. moins des opinions en cela Strindberg voyait parfaitement clair - que des symptômes parmi d'autres dans une liste dont on peut dresser le tableau. L'écrivain lui-même en fournit la preuve dans le roman autobiographique qu'il tient à jour pen· dant des années pour se plaindre, accuser, se défendre et surtout, se laver de la c( faute» mystérieuse avec laquelle il dit être né Je suis né coupable )~). Du Fils de la servante au Journal occulte en passant par le Plaidoyer d'un fou, il décrit en effet les rôles changeants que la femme joue tour à tour ou parfois simultanément dans son existence morcelée, et l'on peut suivre l'évolution de son mal à la façon dont, parallèlement, ces rôles tout à la fois mythiques et concrets tendent à se dégrader. Ainsi il s'en faut de beaucoup que le Johan du Fils de la servante et de Fermenfa,. tian soit l'adolescent irréconciliable incarné par Weiniger. TI appraît bien plutôt comme un jeune homme d'un type assez courant, en proie aux tourments d'une sexualité que tout - religion, morale et mœurs du temps - relie aux idées de faute et de danger (n'oublions pas qu'a. lors les dangers imaginaires de la féminité pouvaient encore se justifier par le danger réel des maladies vénériennes), névrosé certes, et ja. loux, mais sans rien qui annonce l'espèce de messianisme antifémi· niste à quoi Strindberg se sentira bientôt appelé.

échange de correspondance publiée du vivant des intéressés, ce même Johan est encore si loin de concevoir l'amour comme une lutte sans merci entre les sexes qu'il glorifie à tout bout de champ le génie de la bien-aimée, à la façon des rOJpan· tiques de l'époque précédente et des « gynolâtres » contemporains les plus combatifs. « En avant est la voie, en avant! vers la lumière, les cimes d'où retentira ta voix pareille à la prophétesse. Oh, si une seule fois tu savais combien je crois à ton génie! ». Ce n'est pas là le langage d'un homme qui veut maintenir la femme à une place intérieure dans la hiérarchie spirituel. le et sociale, mais à n'en pas douter Strindberg le prend au sérieux, et pendant des années il pousse effec· tivement Siri von Essen à produire articles et romans, en attendant de l'aider à monter sur la scène.

Bien plus, dans le document qu'il intitule Lui et Elle, et qui est irrécuSable puisqu'il consiste en un

Jusqu'en 1880, si l'on accepte la date qu'il lui donne lui·même pour celle de sa première vélléité de sui·

«(

laTriet Bosse.

cide dans sa lettre sur Weininger, il est probable que, touchant les femmes, Strindberg ne se distingue pas essentiellement des jeunes gens cultivés de sa génération et de son milieu: il oscille entre l'adoration et la peur, l'idéalisation et le mé· pris, le tout et le rien, et en bon romantique qu'il reste au fond mal· gré le naturalisme de son art, il demande encore à l'Eternel féminin de jeter un voile sur les dangers de la femme réelle, ou plus exactement sur la dangereuse ambiva· lence de ses propres sentiments (rappelons toutefois que cette am· bivalence n'est pas si grande qu'elle lui interdise le mariage : à la différence des grands misogynes du siècle, il a pour comble de malheur la passion de la conjugalité). Si 1880 est bien l'année où Strindberg songe à ~ suicider, la maladie mentale qui par accès va ravager toute son existence se déclare trois ans après son union avec l'Adorée, et ce qui n'était peut. être jusque-là que le lieu commun d'un certain conformisme devient d'un coup violence halneuse, rage d'anéantir, inépuisable ressenti· ment. La fureur jalouse des lettres de Lui et Elle, encore assez compréhensible puisque alors Siri von Essen vit toujours avec son premier mari, fait place à l'explosion. de jalousie morbide décrite dans l'Histoire d'une âme et, surtout, dans le Plaidoyer d'un fou, où la misogynie somme toute banale dont Strindberg se réclamait d'abord verse définitivement dans la manie. Durant la crise terrible d'Inferno et de Légendes, la haine de la femme qui incarne les divers visages de l'épouse elle porte partout le nom symbolique de Maria n'est plus seule à nourrir les thèmes de la persécution, d'autres ennemis surgissent un à un, qui sont autant de tentatives d'explication d'une vie intérieure marquée par la c( dévastatiQD » (le mot vient de Swendenborg, auquel Strindberg demande la vision du monde totale et cohérente lJUÏ.--précisément lui est refusée). C'est qu'à-l'e.!!~ntre du paranoïaque classique, avec-lequel il a pourtant en partage le triple mal de la méfiance, ·de l'or· gueil et de la jalousie, il ne parvient pas à se former un système de délire stable, mais, obligé d'expliquer ses états à mesure de leur apparition, il consomme une quantité incroyable d'interprétations, de sorte que ces persécuteurs changent de nom

~ La QuIDzalne Uttéralre, du 15 au 31 maTS 1971

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Strindberg

et de rôle avant qu'il n'ait acquis la certitude de leur malignité. De là le manque de conviction qui perce parfois à travers ces hypothèses délirantes dont l'auteur lui-même semhle ressentir la fragilité et la monotonie. « On connaît ces électriciens... » fait-il dire à un médecin auquel il confie les agisStrindberg. sements de ses « ennemis ». Et dans un autre passage de son jour-' conscient de la « projection » et de nal de « damné »: « 0", observe, on recueille, on réfléchit, d'abord l'inversion tendancieuse sur quoi se fonde sa mythologie, il semhle à c'est pour rire de sa propre supersticertains moments qu'il ne soit plus tion, puis le rire disparaît et on ne très loin de démasquer le vrai visait plus que penser ». S'il rit, il sage de son persécuteur, ou même n'y paraît guère dans l'enfer perqu'il le connaisse sans parvenir à sonnel où il est descendu, mais s'en délivrer. C'est peut-être grâce même là il est vrai qu'il garde inà ce savoir confusément pressenti . tacte sa faculté de s'observer et de que sa pensée reste capable de se juger, tellement même qu'il est nuances jusque dans les pires aberparfois bien près du lieu obscur rations, et que la haine en lui ne d'où procèdent ses angoisses et la tue jamais tout à fait la tendresse, fatalité de ses égarements. ni le sentiment de la beauté. Ainsi, lui qui ~raint par-dessus Cependant, le dernier pas ne sera tout d'être un nouveau « M. Bovary », il met en pleine lumière, pas franchi, encore que sa dernière plus crûment que Dostoïevski et, expérience conjugale, aussi désasnotons-le, avant Freud, la constel- treuse que les deux autres, soit lation affective particulière qui pré- moins marquée par la violence jaside au destin des jaloux délirants louse que par la mélancolie. D'abord comme des éternels maris : à ses sans doute l'écrivain rend grâce à yeux l'adultère de la femme n'est la jeune femme qui est entrée dans si grave que parce qu'il entraîne sa maison, alors qu'il était « désolé, une relation homosexuelle avec le vieux, laid, méchant, désespéré» rival, de sorte que le mari trompé (étrange encore, la dureté de cette n'est pas seulement socialement auto-critique gagnée sur l'aveugle« déshonoré », mais contraint à une ment du délire). Elle lui a « rendu « promiscuité » infâme, et tenté de la jeunesse », par elle il est « desurcroît à son corps défendant venu presque bon », et il la remer'. (Freud dirait aussi conformément cie, « elle, qui l'a réconcüié avec à sOn désir le plus profond) par tou- l'humanité et avec la femme ». Mais tes les images liées à l'amour inter- cette réconciliation' ne peut pas dit. Pour, l'adepte de la « religion durer, la femme rédemptrice est une mâle », en cela effectivement inter- fois de plus placée trop haut pour ,prète fidèle qe l'inconscient viril, ne pas devenir suspecte, Strindberg là 'est l'horreur qui ronge secrète- a de nouveau un sursaut de révolte ment toute sa vie conjugale, là est devant la posture humiliante à : l'équivoque de la femme et ce qui quoi le contraint son adoration, et rend sa faute inexpiable, fût-elle bientôt il soupçonne Harriet de seulement soupçonnée. Ainsi au vouloir uniquement le mettre à sa fond de lui Strindberg connaît les merci, ou comme il dit, « l'assassi.. tenants et les aboutissants de sa ner ». Le drame éclate dès les prejalousie, et de même qu'il se sait miers jours du mariage et les époux, « assez puéril (nous dirions infan- pris sans savoir comment dans une tile) et assez malheureux pour ex- lutte farouche pour le pouvoir, ne traire la poésie des incidents les tardent pas à renoncer à la vie plus vulgaires et les plus naturels » commune, sans toutefois se résou- c'est-à-dire pour po~r en ·faits dre à une véritable séparation. des rapports de sens accidentels Pendant trois ans ils entretiende même il ne s'abuse qu'imparfai- nent pour ainsi dire à distance de . tement sur les causes de sa misère : singulières relations amoureuses « Mes ennemis, ce sont ceux qui que Strindberg pour sa part contiont été lésés par mon mauvais vou- nuera longtemps après le divorce, loir:. Et chaque fois que je dépiste sous une forme spéciale dite « téléun nouvel ennemi, c'est que ma pathique ». C'est le prétexte d'une conscience est atteinte ». A demi nouvelle construction délirante dans 6

laquelle il tente de nier sa nouvelle défaite: Harriet ne l'a quitté qu'en apparence, elle est près de lui malgré son absence, et même fiancée, même mariée, elle vient le « chercher» toutes les nuits pour lui prouver qu'elle n'appartient qu'à lui. Ainsi la persécution tourne à l'érotomanie, en prenant cette fois un sens positif, puisqu'elle tend à innocenter la femme et à annuler son abandon. Il est vrai qu'à la fin - au bout de cinq ans - Strindberg ne jouit plus sans crainte ni remords de la succube issue de son imagination torturée, l'amour sensuel « télépathique» qui l'a d'abord consolé (tout en exprimant le motif secret qu'il déguisait naguère en jalousie, car à travers Harriet il entre en contact avec son nouveau mari) lui apparaît maintenant comme une pratique dangereuse, illicite, voire criminelle. Il y renonce donc et cesse de tenir son journal. Désormais, comme il le dit dans le titre d'un de ses livres les plus émouvants, il est seul pour le reste de sa vie.

Le travail d'un esprit instable et obsédé Les écrits autobiographiques de Strindberg sont trop intimement mêlés aux intrigues tendancieuses du délire pour qu'on en attende une perspective exacte et des informations fondées. Sans doute les faits y sont convenablement datés et classés (le trouble ici ne comporte pas la moindre confusion dans les données de temps et d'espace), en outre ils sont rapportés dans un langage normalement organisé, un langage de constat en quelque sorte qui, exempt de préciosité, de maniérisme, comme des néologismes et extravagances syntaxiques à quoi se reconnaît souvent l'écriture psychotique, reste jusque dans les enchaînements les plus fallacieux l'instrument de la réalité. Mais d'un autre côté ils n'en sont pas moins

foncièrement dénaturés par le travail continuel de l'esprit tout à la fois instable et obsédé qui les explique ou les éxploite pour les besoins de sa propre cause; entachés d'erreur et d'illusion, chargés de fausses perceptions et de conclusions superstitieuses, ils n'ont pas même le ~gré de crédibilité qu'on accorde volontiers au roman et à la poésie, puisqu'ils sont censés ne rendre que des choses arrivées. Quant aux idées, opinions et croyances qui sont déduites de ces faits mal reliés, il va de soi qu'elles ressortissent plus à une mythologie personnelle qu'à une expérience intellectuelle décisive pour la généralité. Tout se passe en effet comme si les déportements du délire, faux en eux-mêmes quand ils s'expriment dans la vie, changeaient de nature et de sens dès qu'ils sont mis par écrit. Non que Strindberg cesse d'être lui-même du seul fait qu'il décide de se raconter dans une œuvre, il reste comme il le dit « méchant, désespéré », d'autant plus injuste qu'il a soif de justice, tourmenteur et tourmenté; mais l'acte d'écrire introduit entre lui-même et son expérience une mystérieuse distance grâce à quoi' il « observe, recueille, réfléchit », et le résultat de cette observation, qui reste juste' en dépit de ses prémisses faussées, le conduit effectivement à des « découvertes » imprévues. En bonne règle, le paranoïa.'JUe qu'il est encore aujourd'hui aux yeux des psychiatres ne devrait pas. savoir ce qu'il en est de ses « ennemis » et des motifs secrets de sa jalousie; il devrait ignorer les mécanismes compliqués de la «projection» par quoi il attribue aux choses et êtres du dehors des désirs maléfiques qui n'existent qu'en lui; or tout cela, bien qu'il ne puisse s'en affranchir, il le sait, et il l'écrit de telle sorte qu'une scène de ménage contée par lui devient la « scène » par excellence, une scène où il s'identifie si bien avec sa partenaire qu'il la: découvre et la révèle à elle-même dans toute la vérité « infernale » de ses désirs cachés Est-ce le radicalisme du délire qui laisse ici affleurer la vérité? Ou le génie assez fort pour le maîtriser? On ne sait, pourtant une chose paraît sûre, c'est que dans ce cas comme dans d'autres moins troublants, le faux de la vie fait le vrai de la littérature. . Marthe Robert


Wyndham Lewis Wyndham Lewis Tarr Trad. de l'anglais par B. Lafourcade Bourgois éd., 576 p.

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Contemporain de Pound, Eliot, Joyce, D.H. Lawrence et Virginia Woolf dont il fut l'ami ou l'ennemi - ses sentiments comme ses opinions étaient toujours tranchées Wyndham Lewis (1884-1957) nous est assez mal connu en France où il vécut pourtant plusieurs années avant la première Guerre Mondiale. C'est sa peinture que nous connaissons le moins mal, or nous voici en présence d'un roman. Il ne s'agit en rien d'une fantaisie de peintre ta· quinant la plume entre deux tableaux. Tarr est un livre majeur, l'un des meilleurs d'une œuvre qui comprend plusieurs dizaines de volumes de critique sociale ou littéraire, de romans et nouvelles (parmi lesquels The Revenge For Love, 1937) et même de théâtre et de poésie. Comme William Blake, Lewis était un homme au talent multiple qui entendait s'exprimer aussi bien par la peinture et le dessin que par l'écriture. Peintre, l'un des premiers peintres abstraits de l'histoire de la peinture et assurément l'un des plus importants de ce siècle en GrandeBretagne, Wyndham Lewis avait fondé la revue Blast en 1914 pour être l'organe du V orticisme, mouvement artistique qu'il avait alors conçu avec Ezra Pound. Nous défi· nirons très schématiquement le vorticisme en peinture comme une variante anglaise du futurisme italien ou du rayonnisme russe; les tableaux de Lewis peuvent parfois être rapprochés de ceux de Boccioni, de Larionov ou des frères DuchampVillon. En littérature, le vorticisme prônait une écriture fortement attachée aux sensations visuelles comme l'avait voulu plus tôt l'imagisme, mais exprimant en même temps le mouvement, le tourbillon même de la vie, le vortex que certains tableaux de Lewis à l'époque parvenaient à rendre avec une grande force. Le vorticisme impliquait un rejet de tout sentimentalisme. C'est dans ce climat effervescent que Lewis écrivit Tarr. Le livre parut d'abord en feuilleton pendant la guerre avant d'être publié en volume en 1918. Plus tard, en 1928, Lewis y apporta des corrections dans l'expression et la ponctuation, sup-

primant en particulier le modernisme bien superficiel qui consistait à séparer les phrases non par un point mais par le signe =. Le livre ne passa pas inaperçu; rejeté ou applaudi, il ne pouvait laisser indifférent le lecteur de 1918. Saluant cette publication comme un événement, Ezra Pound déclara sans ambages: « Tarr est le roman anglais le plus vigoureux et le plus volcanique de notre temps». Et Pound soutiendra toujours que seul Joyce peut supporter la comparaison avec Lewis. Avec Tarr nous évoluons dans le Paris de l'immédiat avant-guerre, dans ce monde cosmopolite de rapins et de riches étrangères moins amateurs d'art que d'artistes que devait fréquenter Wyndham Lewis lorsqu'il vivait lui-même à Paris. En fait, les Français n'apparaissent que fugitivement au cours du roman puisque l'action se déroule presque uniquement au sein d'une minorité d'artistes venus d'Allemagne ou de quelque pays de l'Est, attirés par les facilités et les plaisirs offerts par la vie parisienne aux exilés volontaires. Dans ce monde clos mais agité, le roman ne s'occupe que d'un nombre restreint de personnages. Malgré le titre, le principal personnage n'est pas Tarr mais Kreisler. Ce dernier est un peintre allemand sans talent, un romantique grotesque en proie à d'insolubles problèmes sexuels et financiers qui n'est pas sans faire songer parfois au Stavroguine des Possédés. Sans être bien brillant, l'Anglais Tarr à qui tout réussit, l'art et les femmes, est en quelque sorte son antithèse. Rapprochant et séparant l'un et l'autre, ajoutons la présense de deux femmes, Bertha une épaisse Teutonne sentimentale et la Russo-germanique Anastasya qui n'est qu'une variante un peu plus stylée du même modèle. Tous les quatre suffiront à la matière romanesque bien mince du livre : entre le moment où Tarr abandonne sa maîtresse Bertha et celui où il la remplace par Anastasya, Kreisler tergiverse fébrilement de l'une à l'autre avant de finir de façon ridicule et pitoyable. Si peu de matière et quatre pero sonnages seulement pour un si gros roman peut ·surprendre et d'autant plus que toute analyse ou suggestion psychologique est écartée : Lewis affichera toujours le plus grand mépris pour ce qu'il considère COmme des dégradations modernes, le monologue intérieur de Joyce ou

La QuInzalne Uttéralre, du 15 au 31 mars 1971

le rôle du subconscient chez D.H. Lawrence. « Dogmatiquement, je suis pour la méthode de l'approche extérieure », écrivait Lewis; « l'approche extérieure des choses (en se fondant sur le témoignage de l'œil plutôt que sur des organes des sen,s plus sensibles à l'émotion) peut faire du grotesque un compagnon sain et attrayant ». Ces théories ne vont pas l'amener à quelque chose de proche de ce qu'on a naguère appelé l'école du regard, car l'œil chez lui reste celui, analytique, du peintre ; on songe aux peintures mécanistes de l'époque, celles de Fernand Léger ou celles de Lewis lui-même, lorsque tel personnage a « l'air d'un mécanicien de l'Age de Fer, né dans un gisement de machines embryonnaires» et tel autre l'apparence d'un robot : cc cela ne l'empêchait pas, il est vrai, d'évoluer, mais ces rouages étaient tout hérissés d'inquiétantes têtes de piston, de formes semblables à des tuyaux d'orgue ou à des grosses perforatrices. Quand il essayait d'être aimable, il ne réussissait généralement qu'à être inquiétant ». Tout ce monde à la veille d'une guerre a effectivement l'aspect inquiétant. Le véritable objet du livre est la dénonciation de la faillite d'une société saisie dans l'existence vide de Kreisler ou Bertha opposant vainement l'art et la vie, étant incapables d'y trouver une raison d'être. Le mépris de Lewis affleure parfois dans les paroles de Tarr, un peu son porte-parole : C( V otre insignifiante tisane est un mélange de rebuts du Libéralisme, de triste écume de décadence Finde-Siècle et de vestiges vestimentaires d'une bohème vulgaire dont l'état-major se trouve dans les faubourgs de Carlyle et Whistler. Vous êtes un concentré de bibine, supérieurement organisé: ü n'y a absolument rien à dire en votre faveur». Ceci aurait pu conduire Lewis à une révolte analogue à celle des dadaïstes; il n'en fut rien : son refus du désordre romantique et décadent lui fera choisir la voie du fascisme pendant les années trente - erreur qui, malgré ses rétractations tardives, lui vaudra de subir un relatif purgatoire jusqu'à ces dernières années.

Tarr aurait pu n'être qu'un excellent document sur une époque sans un extraordinaire humour soutenu tout au long du livre, qui lui permet de venir jusqu'à nous presque sans rides après plus d'un demi-

Timon composition, 1912 siècle. Entièrement détaché d'eux, Lewis se montre féroce envers ses personnages. Dans un numéro spécial (1) de la revue Agenda, consacré à Lewis, le critique anglais Martin Seymour-Smith écrivait l'an dernier : « il avait sacrifié l'humanité à un humour sauvage ». C'est sans doute là le secret de la force de cette œuvre aux angles durs où· le rire de l'auteur et des lecteurs reste 'Ç'inçant.

Serge Fauchereau (1) Cf. Quinzaine du 1-15 février·70.

français 61. Le commentaire de textes littéraires J. Thoravat, M.Léo 62. Etudes de grammaire et de style. 1. Jean Chaillet 63. Etudes de grammaire et de style. 2. Jean Chaillet 64. Le français d'Afrique du Nord André Lanty

13 F 26 F 26 F 25F

bordas 7


'Des nouvelles d'Updike John Updikè

Les quatre faces d'une histoire

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Trad. de l'américain parR. Salem et P. Reumaux Seuil éd., 254 p.

En feuilletant...

perdu. Proust n'est pas loin. Mais Luther non plus.

Un narcissique impénitent

Il faudrait lire les nouvelles d'Updike dans un balancement doux de Trans-Europ Express, quand le soir tombe sur les gnmdes villes. Le mélange de volubilité charmante et de litote attristée a le goût des tasses de café qu'on termine, et cette prose s'accorderait bien avec le confort des accoudoirs, le décor feutré des couloirs et la sonnette grêle du steward qui annonce le dîner avant 1a nuit. Le clavier sur lequel Updike joue 'sa--partition n'est pas très étendu, mais ce qu'il perd en largeur, il le gagne en profondeur et en perfec. tion. Après l'échec relatif de Couples on a plaisir à retrouver la vei· ne la meilleure, celle de Plumes de pigeon et de la Ferme. Une délicatesse de regard et une finesse sensuelle assez rares. Un charme nonchalant, aussi, d'auteur couvert de succès, qui travaille dans l'ombre de Fitzge!ald.

Chroniqueur attentif de ces retournements nostalgiques et d'une quête inassouvie, John Updike n'en reste pas moins un narcissique impénitent. Sachons-lui gré de parler de ce qu'il connaît. Il prend un détachement apparent qui lui permet en réalité de se confier avec plus d'assurance. Le jeu des surfaces entre les hommes et les femmes, cette guérilla souvent muette et cruelle permet à la psychologie en dentelle de s'adonner à des acrobaties parfois décevantes. Mais l'art d'Updike, c'est de désarmer la critique au moment même où il agace. Quelques phrases d'un dialogue, toutes simples, vous réconcilient avec son art. On n'aime pas Updike, on a des faiblesses pour lui. C'est comme pour Rousseau : on l'appelle Jean-Jacques et on l'aime même quand on ne croit plUs l'aimer. Le gel inté'rieur des personnages d'Updike cache en fait une sorte de romantisme qui n'ose dire son nom. Ces fuites des personnages, L'impitoyable ces versatilités sont le fait de gens jeu des couples qui préfèrent la solitude à quelque chose qui n'est que du bricolage sentimental. C'est la technique du Tout ce beau décor d'écrivain tout ou rien. Des bouffées de tenpour magazine' de luxe ne doit pas dresse que l'auteur qualifierait nous' cacher la profonde insatisfac« d'insondable» atteignent réguliètion des êtres, le 'pessimisme du rement ces êtres écorché vifs, mororegard, la tendresse déçue des perses et fuyants, en quête de l'Autre. sonnages. Updike n'écrit pas des 'De temps à autre une sorte de répit, nouvelles à l'eau de rose. Ses his. de chant très pur s'exprime en toires' ont le mérite de se lire agréa. quelques pages parfaites : c'est le blement. Elles ont le douhle mérite cas dans la nouvelle l'Obscurité : de nous décrire impitoyahlement le niéditation menée, ,la nuit, par un jeu des couples qui ne peuvent ni personnage réfugié auprès d'une se quitter ni rester ensemble. La lâcheté, la blessure vraie et la vani- femme endormie ; alors tout devient nuancé, givré, tendre et délivré, té tissent un réseau serré qui se prend parfaitement dans le style.' avec cet arrière-plan de morosité Ses couples font penser à un tahleau tragique. On pourrait reprocher beaucoup de Cranach. L'homme et la femme de choses à Updike : son côté « couse tendent la main, ils ne se rejoignent jamais. Updike, c'est pàrti- su main», son côté « nouvelles pour magazine à papier glacé », culièrement net dans ce recueil, a complaisance à l'égard de lui-mêune vision très marquée 'p~~ la me. Mais Updike sait si bien dire ce Bible. Ses personnages, tout moderqui se passe quand il ne se passe 1 nes qu'ils soient, suhissent le péché apparemment rien, il est si rapide, originel. Une pomme est toujours si juste par éclairs qu'on reste déentre eux, au-delà des :.jeux du sarmé, subjugué : rarement romancorps. Une fêlure fondamentale les cier de chev.et l'aura été avec si rejette, chacun à sa solitude. Et peu de mièvrerie. l'accord, lorsqu'il apparaît, n'est Jacques-Pierre Amette plus qu'un souvenir. L'Eden est

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Lautréamont La revue «Entretiens" (Ed. Subervie, Rodez) publie, sous la direction de Max Chaleil un fort numéro sur Lautréamont. Outre des études originales d'Hubert Juin, J.M.G. Le Clézio, Henry Miller, André Laude, Pierre Minet, etc., il comporte la réédition complète du fa'meux numéro du «Disque vert» consacré par Franz Hellens à Lautréamont en 1925. Ce numéro du «Disque vert» avait à l'époque excité la verve des surréalistes, de Paul Eluard en particulier qui avait accolé au nom de chacun des collaborateurs de ce numéro (de Jean Cassou à Marcel Arland et Paul Valéry) des épithètes injurieuses. C'est ce que nous rapelle Marcel Jean qui a repris ses études bien connues : Maldoror et Genèse de la Pensée moderne, depuis longtemps introuvables, en commentaires aux Chants, sous le titre : Isidore Ducasse, comte de Lautréamont, Œuvres complètes, chez Eric Losfeld. Il a tenu compte des derniers ouvrages parus sur la question (qui, souvent, lui doivent beaucoup), de sorte qu'on peut considérer désormais son édition comme définitive. Elle est en outre agréablement présentée, en deux couleurs qui permettent de distinguer le commentaire du texte même.

Jean-Pierre Duprey François Di Dio (Ed. le Soleil noir) publie un troisième recueil du jeune poète surréaliste JeanPierre Duprey qui, on le sait, a mis fin à ses jours en 1959. Il contient une pièce inédite en 3 actes la Forêt sacrilège, un long poème également inédit : l'Ombre sagittaire et de nombreux fragments. Il est précédé de la préface qu'André Breton avait destiné à la Forêt sacrilège et qui a paru dans son Anthologie de l'Humour noir. Il est accompagné d'illustrations de Toyen. «Pour une fois, c'est le pouls de l'espèce humaine qu'il s'agit de prendre, écrivait Breton, et comment le pourrait-on mieux qu'au contact et par la sollicitation d'une œuvre qui soit à ce jour la plus neuve et la plus inspirée?» Précédents ouvrages de Jean"Pierre Duprey, au Soleil noir : Derrière son double et la Fin et la manière. Celui-ci porte le titre: la Forêt sacrilège (156 p.).

Le maniérisme Marcel Raymon::l (De Baudelaire au Surréalisme) vient de compo-

ser une curieuse Anthologie : la Poésie française et le maniérisme 1546-1610 (?) qui distribue les poèmes des grands et petits poètes de l'époque selon des thèmes comme « l'amour », "la louange et les fêtes », «les dieux lO, "les visions lO, « la création", etc., suivant en cela les hypothèses de WOlfflin dans ses Principes fondamentaux de l'histoire de l'art où sont opposés trait pour trait l'art de la Renaissance et l'art du Baroque. «Ordre de références commode, écrit Marcel Raymond, (qui) permet une meilleure lecture, en éclairant latéralement certains aspects de la poésie du XVI" siècle français qui étaient demeurés dans une relative obscurité". Ce qu'il a voulu voir, en somme, c'est «l'évolution d'un style •. (Librairie Droz, Genève, distributeur à Paris : Librairie Minard, 276 p.).

Dans la joie Notre ami Gilbert Walusinski publie chez Armand Colin un "Guide blanc» Pourquoi une mathématique moderne? C'est un ouvrage accessible au profane qui explique en particulier les raisons de la réforme dans l'enseignement des mathématiques et qui détaille cette réforme point par point selon les divers degrés et classes d'enseignement. Un lexique, des exemples concrets, de nombreuses références et une écriture allègre tendraient à prouver que la mathématique est désormais une science pleine d'agréments. (206 p.).

Henri Michaux Un tout petit livre d'Henri Michaux paraît à l'Herne : Poteaux d'angle. Il est difficile à définir, mais son titre indique déjà qu'il pourrait s'agir, si Henri Michaux posait au «sage lO, des fondements d'une certaine sagesse, à usage interne bien entendu. Aphorismes? peut-être, "remarques" serait plus modeste et conviendrait mieux au personnage, comme celle-ci, par exemple : " Ne laisse personne choisir tes boucs émissaires. C'est ton affaire. S'il coïncide avec le bouc émissaire d'un autre, ou de dizaines d'autres et davantage, change de bouc. Ce ne peut être' le ' tien. lO L'allure «chinoise» de nombre de ces sentences laisse croire que la couverture rouge de ce petit livre n'est pas due au hasard (40 p.). Ceux qui iront regarder les œuvres du peintre au Point Cardinal à partir du 16 mars feraient bien de consulter auparavant ce vade-mecum.


ROMANS

L'écriture hors langage :fRANÇAIS

par Philippe Sollers

meté, .et ce qu'il faut bien appeler le courage, de Dominique Rolin sont ici exemplaires, et il ne semhle pas qu'on s'en soit beaucoup aperçu - tellement l'intérêt général à protéger le niveau moyennement idéologique de la narration sociale est profond, surveillé, complexe : qui a réellement lu : Maintenant, le Corps? Qui lira les Eclairs ? Ce~ titres nous sont expliqués, cependant, par trois exergues. Maintenant : « Accroche-toi à' l'ici et au maintenant, par lesquels toutIle futur plonge dans le passé » (Joyce). Le Corps: « La préparation sur mon propre corps dont je suis chargé en rêve, est donc. cette analyse de moimême que comporte la publication de mon livre» (Freud). Les Eclairs: « C'est la plus belle des nuits, la nuit des éclairs : le jour, auprès d'elle, est la nuit» (André Breton). Phrases révélatrices de l'opération sur la langue dans son rapport avec l'inconscient : c'est en pénétrant dans la déchirure de" la signi-

fication, dans ces éclairs que sont le lapsus, le rêve, la pensée obsédante, qui font du jour de la conscience une nuit; c'est en se· livrant à cette publication de soimême qui suppose un travail sans fin repris du champ organique; c'est en creusant le lieu et le présent sans présence de l'écriture qui fait communiquer tous les temps, que le transfert d'écriture peut se constituer comme tel. Théâtre de l'impossible, ou encore de la « nuit » éclairée : « dans l'impossibilité, écrit Blanchot, le temps change de sens, ne se donne plus à partir de l'avenir comme ce qui rassemble en dépassant, mais est la dispersion du présent qui ne passe pas, tout en n'étant que passage, ne se fixe jamais dans un présent, ne se remet à aucun passé, ne va vers nul avenir : l'incessant. » Il y a une courbure imaginaire du temps, comme il y a un espace courbe. Et tout se passe comme si l'effet de langage, porté par une

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Dominique Rolin Les Eclairs Dènoël éd., 320 p.

On sait, mais on ne dit sans. doute pas assez, que le déplacement récent de la pratique de la « littérature», la décomposition analytique de ce que ce mot recouvrait dans. l'habitude de notre discours, l'irruption simultanée d'une écriture liée à une autre logique que celle de la représentation écrite, ont été rendus possibles, de longue date, par le travail de Maurice Blanchot. Il faut donc relire l'Entretien infini si l'on veut comprendre comment la percée qui. se consolide aujourd'hui, a été suscitée dans un champ précis où Il l'écriture détient l'extériorité », où elle « ne commence que lorsque le langage, retourné , sur lui-même, se désigne, se saisit et disparaît ». Comment il importe de savoir reconnaître un « tracé où écrire r0!Dpt toujours par avance avec ce qui est écrit ». Comment les nouvelles relations dégagées par ce Il dehors qui s'expulse» font appa.raître, dans leur mouvement négatif, un «nuage d'intermittences», un « entrelacs lacunaire » qui forme le texte moderne. 1.e{l propositions de Blanchot, elles-mêmes insé-

parables de l'animation comme toujours déjà effacée qui les porte et les interrompt, sont répétées et tendues vers ce nouvel espace de l'absence de livre où « écrire, c'est l'absence d'œuvre telle qu'ellé se produit à travers l'œuvre et la traversant». Production génétique, moléculaire, à l'intérieur de laquelle peuvent n'être retenues.....et notées que les scansions d'interruptions, les boucles vides et suspendues d'un frayage indéfiniment repris à sa base (par exemple, Fugue de Roger Laporte). L'écriture est désormais cette instance qui affirme l'impossihilité du récit comme réel. Ce qu'on aura appelé le « roman » se voit ainsi touché à sa racine, dans son ressort inconscient et reproducteur. Aucune vérification de ce passage du récit à l'écriture du récit n'est sans doute plus évidente que dans le lent travail, discret, à l'écart, des derniers romans de Dominique Rolin. De quel prix se paye la rupture avec une pratique traditionnelle de l'exposition romanesque, l'auteur le sait sans aucun doute. Comhien, à l'inverse, de romanciers « expérimentaux» qui sont tentés· par le retour aux stéréotypes classiques, par l'abandon du risque consistant à ne pas savoir d'avance ce que le langage pense à leur place ? La fer-

La Qldnzatne Uttéralre, du 15 au 31 mars 1971

Lagarde et Michard présentent

LA LITTERATURE FRANCAISE , collection dirigée par Henri Lemaître le volume IV vient de paraitre :

LES MÉTAMORPHOSES

DU DE SIÈCLE

640 pages, format 17 x 24, illustrations noir et couleur, reliure toile, jaquette illustrée 88 F Déjà parus:

1. DU MOYEN-AGE A L'AGE BAROQUE Il. DES CLASSIQUES AUX PHILOSOPHES III. LES ÉVOLUTIONS DU XXE SI~CLE chaque volume 88 F A paraltre :

V. LÀ LITTÉRATURE AUJOURD\~HUI

BORDAS chez t~us les libraires' 9


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D. Rolin

écriture qui a pris l'initiative d'un fonctionnement « pour rien », était précisément l'éclair qui permet de voir la jonction et la disjonction de ce temps pluriel et de cet espace. Les Eclairs reprend comme technique un ensemble de gestes déjà développés dans les deux livres précédents : le surgissement de mot, comme aimanté dans le champ écrit; le récit de rêve; l'analyse du dédoublement de la fonction d'écriture; la narration d'un trajet dans une ville; l'entrée dans un tableau. La tableau (cadre du fantasme) est ici central: au contraire d'un écran, il assume la fonction d'une contreprojection qui renvoie sans cesse le récit à ses différents étages contradictoires. De même, le surgissement de mot est souligné par les quinze définitions différentes du mot « éclair» qui, comme des devinettes inconciliables à réponse pourtant unique, ouvrent chacune des séquences. Le tableau (deux promeneurs du XVIIIe siècle au bord d'un canal) filtre et transforme le temps, comme une réserve colorée de mort. Les mots, eux, « munis de moteurs à puissance inégale », « foule (qui) sillonne en tous sens l'eau tendue », déclenchent une constante circulation entrecoupée de traces, de remises en scène.

A partir d'un sarcophage « Au commencement toujours la même attitude : couchée sur le CI)té droit... » L'écriture est en effet couchée sur le côté droit, elle est, si l'on peut dire, pour celui qui en fait son ombre, son propre « divan » analytique, un lit de mort. On comprend pourquoi les Eclairs ont lieu à partir d'un « sarcophage» : ce qui se présente au regard est ici un plafond peint, muet, bleu, mortel, comme celui que devaient devenir sans fin les momies égyptiennes. Cette immobilité est en même temps mobilité déliée, sourde : « le monde est capable de s'exprimer à travers moi qui n'ai jamais existé, n'existe pas, n'existerai jamais: sa parole est circulaire, profonde et se meut avec lenteur ». Mais ainsi, depuis ce poste d'observation et de transformation : « chaque jour est un organe. Chaque heure devient un nerf, un muscle, un os. Chaque instant est l'artère et la veine ». Le mouvement s'étage : inorganique (mort) à la base, progression dans l'espace (trajet), régression dans le

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Discours de I~exil temps (scène primitive, rêves), Igression dans l'organisation « ex· ?losante-fixe» de l'écriture peinte. Corps morcelé : « organes... for· nant un corps indépendant à l'inté· deur de mon corps; parlant, parlant ;ans cesse vers moi au négatif ». :onstitution et consumation d'un ta· ms signifiant (qu'on se souvienne de la « figure dans le tapis », d'Henry rames - écrivain dont se rapproche le plus Dominique Rolin qui, de toute façon, n'est pas un « écrivain trançais» ne serait-ce que par sa ~apacité de contact immédiat avec ~e qu'on pourrait appeler la fiction il énigme) : « le monde est un wntenant brassé par l'infini d'un texte éternellement en train de ,'écrire en avançant et reculant, porté par les mots mis en phrases, puis en pages, puis en volumes [)uverts et rabattus, tour à tour déchiffrants et déchiffrés, scandants et scandés par la houle de l'air et la houle de l'eau, marquants et marqués d'attente. » L'expérience de l'écriture « horslangage » (Blanchot), ou, plus exactement, surdéterminant le langage (écriture qui, encore une fois, n'est pas ce qui est écrit, mais le lieu double d'où surgit et vers quoi retourne ce qui s'écrit), fait pivoter la représentation de l'histoire : elle pense ce qui se meurt comme une fuite vers la naissance, elle fait de toute biographie une série « d'éclairs » et de chaque nuit l'inscription rêvée d'une même question déplacée, elle guette le jour depuis une lumière trop vive pour ne pas prendre l'aspect de l'ombre, elle « aime l'annulation des gestes, l'oubli des faits », elle connaît, dans sa défense, le prix du « plaisir historique drainé en secret ». Qui ne comprend pas l'enjeu introdUit par l'analyse pour une nouvelle détermination du réel, du symbolique, de l'imaginaire, ne pourra sans doute pas lire les Eclairs, texte sans sommeil à trav~rs le sommeil. Lacan a posé- la question : « Si rien de ce qui s'articule dans le sommeil n'est admis à l'analyse que de son récit, n'est-ce pas supposer que la structure du récit ne succombe pas au sommeil ? » Ce livre étrange part bien de cette supposition : souple, feuilleté, venu d'ailleurs, gardant dans toutes ses coupures sa force de rêve, il coule comme une eau noir~ et brillante vers ce qu'il nomme lui-même un « bras de mer élargi ».

Philippe Sollers

l

ia Ludvine Cher cher Gouratzine Christian Bourgois éd., 328 p.

En Florence notre toujours at· tardée dans un songe Renaissance, ô notre jeune morte, notre jadis fastueuse. Vadim Alexandrovitch l'exilé parmi tant d'autres, s'acharne à la perte de Gouratzine le superbe, le séduisant, le criminel peutêtre, qui lui ravit Alexandrine un temps ·possédée. Et Vadim de tresser autour de son rival un fin, tourmenté réseau de révélations, de menaces à peine ou trop voilées, de louanges aussi, auquel lui-même va se laisser prendre tant cet appareillage subtil finit par ressembler à sa propre histoire et manifeste sa propre consomption. En fait, de ce récit l'on pourrait presque dire qu'il ne contient, comme la tête dolente et meurtrie du narrateur, Vadim le dessaisi, rien d'autre qu'une énorme rumeur, l'épuisante rum~ur de l'exil, celle de Florence où dans le salon de Wladimira A. Gouratzine viennent les émigrés nostalgiques causer en un français si hésitant qu'ü en devient ( ...) une chantante palabre. Car ce' long discours que distend le silence, ce perfide et tragique bavardage qui souvent s'interrompt mais toujours reprend et dans les interstices, les creux duquel se glissent, innombrables, les méprises et les malentendus, les sous-entendus dont il a besoin pour se déployer, qu'il ne cesse de susciter, de secréter, c'est, sur plus de trois cents pages, le discours de l'exil, un exil sans fin reconduit. Pourtant cette dimension prééminente, si elle est créatrice d'appauvrissement, si elle est, elle-même, l'appauvrissement, n'est pas signe de pauvreté. Au contraire. Le livre

est de l'exil le lieu, c'est en lui que se perpètre la spoliation, par lui qu'elle se consomme et qu'elle consume. Et ce, à tous les niveaux d'une création singulièrement complexe et riche. Ainsi l'histoire, celle encore d'une dépossession que Vadim Alexandrovitch tente d'annuler en l'écrivant, mais, en l'écrivant il ne peut que désespérément la vivre encore et toujours et de nouvelle façon, compte moins que le texte qui la porte et qu'elle a pour simple mission, parfois et pour mémoire mais non sans retentissements, échos multiples et contrariés, vibrations cruelles, de justifier. Car ce texte, excessif et splendide, raconte une autre histoire, plus vaste, qui ne peut celle-là être réécrite mais bien sans cesse s'écrire, uniquement s'écrire, d'un mouvement qui détruit et dilapide dans le temps où il expose. Il parvient à force d'insistance et de déraison à se séparer de l'anecdote qui fait se déchirer doucement Gouratzine et Sandra et Vadim Alexandrovitch, et devient, autonome, l'élément déterminant d'un autre procès, l'instrument d'une condamnation qui se répercute et s'amplifie jusqu'à se résoudre en une immense confiscation, une nouvelle expulsion. Alors... Quelque chose de semblable à une douleur petite et bien aimée commença de couler, d'aplanir nos reliefs intérieurs, de combler chacune de leurs cavités et de leurs brèches, les simplifia, les rendit uniformes et lisses et veloutées, d'une douceur presque excessive, crémeuse. Alors cet épuisement que provoquèrent trop d'obstination, une si grande fascination, et auquel il cède corps et âme, âme surtout, fait Vadim brader ses biens, ses mystères, ses trésors, ses mots, les aligner, lui qui ne peut parler, ne peut écrire sans devenir aussitôt le jouet de cela qui le dépasse infiniment et le mène par tours et détours sans fin, ailleurs, ailleurs toujours, son exil. Et l'exil, une fois encore, a raison de ce qui tendait à le nier mais n'existait en fait que pour l'affirmer un peu plus. Le retour en des terres aimées, terres d'exil pourtant, ne signifie plus rien d'autre que la. coîncidence d'un destin à lui.même, d'une fresque à son motif, l'extriction d'un discours, la fin d'un livre qui aura su jusqu'au terme jouer de toutes les ambiguïtés d'une fastueuse littérature du dépérissement. Paul Otchakovsky-Laurens


André Breton et le Surréalisme aujourd'hui

André Breton ne sera pas resté longtemps au purgatoire. Alors que, de son vivant, en dépit d'une influence énorme, ses ouvrages ne se vendaient guère, on assiste depuis sa mort à leurs rééditions successives. C'est ainsi que depuis 1966 on a vu reparaître Anthologie de l'humour noir et Clair de terre, les Champs magnétiques (en collaboration avec Philippe Soupault), Signe ascendant, les Pas perdus, Point du Jour, parfQis en livres de poche, tandis que Marguerite Bonnet vient de rassembler dans Perspective cavalière (Gallimard), des textes jusqu'à présents épars : préfaces, présentations d'expositions, articles, etc. Nadja, le 'Manifeste du Surréalisme figurent comme • lectures recommandées - dans les classes terminales de nos lycées, André Breton et le Surréalisme sont cette année au programme de l'agrégation des lettres. Pourtant, l'explosion de Mai 1968 devait bien quelque chose - comme Brice Parain l'a montré dans ces colonnes - au Surréalisme, et c'est bien sur le Surréalisme qu'en tous domai-nes ce qu'on appelle l'Avant-Garde prend appui, dans l'espoir de frayer des voies nouvelles à la poésie, à la littérature, à la peinture, de même qu'à partir d'un certain • acquis - surréaliste ont été explorés de nouveaux moyens d'accès vers. l'inconnu -. Si, plus que par ses œuvres même, le Surréalisme a inauguré

La QII'malne Uttâ'alre, du 15 au 31 mars 1m1

de nouvelles façons de vivre, on ne dira point que nos modernes hippies n'en ont pas tiré quelques conséquences concrètes. La fameuse trinité à laquelle André Breton entendait vouer sa vie: • l'amour, la liberté, la poésie -, sans doute toujours en voie d'être. récupérés -, n'en gardent pas moins les couleurs indélébiles de la révolte. Il se pourrait qu'en dépit du temps qui passe et des nouvelles appellations qu'on lui donne, le Surréalisme soit en effet. éternel -. Nous avons voulu nous en assurer. A côté du témoignage d'un. ancien -, Gérard Rosenthal, figurent dans les pages qu'on va lire des textes d'écrivains, de poètes, de critiques qui, sauf José Pierre, n'étaient pas en mesure d'a~partenii' au -groupe surréaliste: soit en raison d'une démarche personnelle propre qui le leur a fait ignorer, soit en raison de leur âge. Pierre Péju et Jean-Pierre Morel n'ont pas dépassé de beaucoup la vingtième année, Dionys Mascolo n'a connu André Breton qu'après là guerre, Michel Deguy ne s'est fait connaître en tant que poète que depuis vingt ans environ. Plus que l'avis des surréalistes actuels nous importaient ces témoignages, en vue de répondre à la question: • Où en est Breton aujourd'hui? où en est le Surréalisme? -.

t t


André Breton Si nous mettons de côté tout ce qui, dans l'œuvre d'André Breton, relève de cette nostalgie de « cristallisation » dont parle Julien Gracq (1), tout ce qui se veut esquisse de théorie ou de généralisation (y compris même ce projet systématique d'exprimer « le fonctionnement réel de la pensée ») tout ce qui, donc, offre un flanc gépéreux aux commentaires et analyses, quelque chose demeure; quelque chose comme la présence d'un certain nombre de constantes extralittéraires qui n'ont une force prodigieuse de conviction qu'en ce qu'elles témoignent de la façon sans concession dont cet homme mena sa vie ou souhaita que certains menassent la leur.

ses amis; si, dès 1924 Breton proclamait en grand seigneur dans sa Confession dédaigneuse: « Moi qui ne laisse passer sous ma plume aucune ligne à laquelle je ne vois prendre un sens lointain, je tiens pour RIEN la postérité» c'est bel et bien la postérité, c'est-à-dire l'ensemble variable des magasiniers de l'esprit qui lui a fait le sort que l'on sait.

L'on se prend alors à regretter que Breton n'ait pas prêté une oreille plus attentive lorsque René Daumal le prévenait prémonitoirement : « Prenez garde André !Jreton de figurer plus tard dans les manuels d'Histoire littéraire alors que si nous briguions quelque honneur ce serait celui d'être inscrit pour la postérité dans l'histoire des Comparée à ces constantes, l'œu- cataclysmes» (3). Mais il Y a pourvre n'est plus que l'inutile et iné- tant aujourd'hui encore deux ,parts vitable écho de la vie. ' à faire dans ce qui nous reste de . . Breton, dans ce que Breton reste Ces constant~, Je. les nommeraI pour nous, car, quoique Nadja et constantes de 1 Espnt Moderne, en • l'Amour foù figurent maintenant e~pl~yant ce term~ ~~s le ~ns au programme de l'agrégatioD de ou Rimbaud appelait a etre « reso- Lettres Modernes ce sont bien cerlume~t ~~erne », dans un sens taines phrases de Breton qu'en ~ al~rs ~lmm~nt.plu~ vaste ~e ce7 1968, parmi tant d'autres inventées, lUI qu Apo~ma?,e m~oqu~lt sa~s l'on pouvait lire sur certains murs ce~ sans 1 attemdre .JamaiS, malS de Paris : « La révolte, avait écrit ,dan~ un sens plus .ng?ureux qu.e un marqueur anonyme à la faculté celw que Breton lUI-meme souhal- d'Assas et la révolte seule est créatait dégager lorsqu'en 1921 il son- trice ~ lu~ière et cette lumière ge~it réunir « un Congrès ?e l'E~ ne peut ~mprunter que trois voies : prit moderne» pour en decouvnr la poésie, la liberté et l'amour »(4). une « loi de tendance» (2). Les constantes de l'esprit moderJe nomme donc « Esprit moder. ne ne se donnent que par traces et ne» tout ce qui est irrécupérable par fragments :' fragments à isoler par l'esprit dominant d'une époque dans l'œuvre de Breton, traces que et qui cependant va dans le sens Breton se fait fort de suivre lorsde l'irrémédiable et boulewrsante que dans les Pas perdus ,ou dans évolution des choses; le Moderne, l'Anthologie de l'humour noir il les modes les plus élastiques ne devient le révélateur privilégié de peuvent l'ingurgiter. ce fil rouge du modernisme qui court entre certains personnages de première grandeur comme DuSi la vie et l'œuvre de Breton champ, Jarry, Vaché ou comme ne se séparent ,pas, nous pouvons Swift, Sade ou Rigaut et dont cercependant y 'tailler deux parts : la tains n'eurent de rapports que nuls part consommable, acceptable et ou occasionnels avec la littérature. utilisable selon les normes du système dans lequel il vécut et dans Nous voudrions à présent étudier lequel nous, vivons encore, et la part quelle p4tce tiennent dans l'œuvre toujours indépassable puisque les et l'existence d'André Breton trois conditions matérielles et intellec.. grands thèmes constants de l'Esprit tuelles qui l'ont engendrée ne sont Moderne (au sens ou nous l'entenpas surmontées. dons) et que nous 'nommerons : Malgré quelques scandales réels et qUelques menus ennuis avec l'ordre ou la loi, c'est dès les débuts du surréalisme que commença l!entreprise de récupération spectaculaire de l'œuvre de Breton et de

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• La présence à la vie et la volonté d'oubli; comportement « humoristique » et l'oisiveté aristocratique ;

• Le

• La conception dédaigneuse de l'écriture et l'écriture exigeante.

1. La présence à la vie et la volonté d'oubli. « Plutôt la vie, plutôt cette rosace sur ma tombe, la vie de la présence, rien que de la présence... » demande et affirme Breton dans Clair de Terre. La présence à la vie est le premier degré de la révolte, elle est l'insurrection contre l'oppression venue de la grisaille quotidienne, elle est une façon de vivre l'instant comme une nouveauté profonde, une manière d'anéantir entre la vie et soi tous les intermédiaires tels que la convention qui pousse à se soumettre,' tels que l'habitude qui pousse à répéter, tels que le rôle qui pousse à imiter; être ,présènt à la vie c'est créer à .tout moment son existence, se rendre disponible et par conséquent ouvert au merveilleux. La présence à la vie est aussi l'attente active, la haute vigilance faite d'attention minutieuse aUx détails, aux menus événements, aux petites émotions ; la vie devient cette attente pour l'attente, féconde et exaltante :

raît avoir un caractère' magique et révélateur des connivences existant entre sa subjectivité libérée et la réalité objectale.

La présence à la vie consiste donc en une attitude de nudité mais implique aussi un acte qui dénude: « Le surréalisme, dit Georges Bataille, f:St précisément le mouvement qui dénude l'intérêt dernier, le dégage des compromis, en fait résolument le caprice même» (6). Ce sont, par delà ses poèmes et ses textes, ces moments de nudité, ces instants-expériences, qui échappent complètement à une approche et à une compréhension analytique de ce que fut, de ce qu'est André Breton.

Mais que passe-t-il dans une œuvre de la présence d'un homme? Rien, peu, ou autre chose'; et sans doute ne peut-on pas séparer la plus ou moins grande réussite de cet état de présence à la vie d'une certaine volonté individuelle d'oubli. D'ailleurs la création généra,lisée de la vie ne pourra résulter que d'un mouvement collectif de libération de toutes les subjectivités « Plutôt la vie avec ses salons dans lequel la personnalité comme d'attente lorsqu'on sait que l'on telle se verra dissoute. Souhaiter l'oubli, c'est déjà anticiper cette ne sera jamais introduit. » dissolution' et préfigurer une forme Mais créer sa vie quotidienne qualitativement supérieure d'exissuppose que l'on sache s'offrir à tence. elle, et cela oblige à la plus grande nudité. L'on a transgressé les liPassons sous silence le jeu de mites, l'on s'est dégagé de la gan- mots par lequel nous pourrions dire gue de culpabilité et de honte, plus qu'en 1920 Breton écrivit: Vous rien ne protège... L'on gêne peut- m'oublierez (7) et considérons pluêtre mais l'on est aussi extrêmement tôt la dédicace peu remarquée de 'vulnérablti «'Il n'avait pas honte, Clair de Terre: « Au grand poète dit Charh Duits d'André Breton. Saint Pol Roux. A ceux qui, comme Il ne savait même pas que l'on pou- lui s'offrirent le MAGNIFIQUE vait avoir. honte. Il était comme il plaisir de se faire oublier. » Quelétait et il se montrait. C'était très que chose se révèle dans ces-lignes grand... Il était n~. Nu parmi des . qui ,n'est pas se~ement une provogens: consternés qui baissaient les cation mais aussi un désir de trouyeux, qui réajustaient leur cravate, ver dans l'oubli le seul espace sufqui toussotaient... » (5). f~sant pour accueillir ce ;,que l'on Breton avait « de la présence » ; il prenait dans l'ici et le maintenant tout l'espace et tout le temps qu'il lui fallait. « André Breton a-t-il dit passe. » Dans de nombreux textes il se décrit ainsi comme une présence qui va, au fil de longs aprèsmidi comme lui seul a le secret d'en passer; dès lors, la simple rencontre d'un tel être dénudé pa·

est ou veut être. C'est cette authen· tique volonté d'oubli que Breton évoque chez Germain Nouveau « qui, de bonne heure renonça, même à son nom et se mit à mendier », chez Duchamp qui abandonna la peinture pour joue:\' aux ,échecs ou chez Vaché qui patlait ,( d'une réussite dans l'épicerie: .. ». Si c'est le désir qui, sous-tend la présence, la volonté d'oubli n'~t-elle


et 1"'Esprit moderne" pas alors proportionnelle à la force du désir ? On songe au propos éminemment « moderne» de Sade : « Je souhaite que les traces de ma tombe disparaissent de dessus la surface de la terre comme je me flatte que ma mémoire disparaisse de la mémoire des hommes. » Accepter la présence et l'oubli c'est adhérer de façon créatrice au temps tel qu'il s'écoule, refusant par avance d'être pris au piège atemporel de la récupération littéraire. La faiblesse de Breton (comme de Sade) est peut-être de n'avoir pas « .réussi» à se faire oublier.

2. Le comportement cc Umoristique )) et l'oisiveté aristocratique. Dans 1'« Umour » (comme l'écrit Vaché) se manüeste le refus sans appel de participer; une attitude umoristique de base est le scandale qui consiste à provoquer l'incompréhension d'autrui. Peu d'umour dans l'œuvre même de Breton mais l'on n'est cependant pas près de trouver dans les manuels scolaires le commentaire littéraire du poème P.S.T.T. consistant en une liste des Breton relevée dans l'annuaire du téléphone avec leur fonction et leur profession. Peu d'umour comme tel, mais un dépistage systématique et une célébration de toutes les attitudes qui en relèvent. L'on a pu taxer l'Umour d'attitude strictement esthétique s'attaquant à toutes les valeurs morales et culturelles mais refusant d'en considérer les racines politiques. Il y a cependant dans l'Humour noir que Breton sut dégager de « ... la bêtise, de l'ironie sceptique, de la plaisanterie sans gravité » (8), une intimité trop poussée avec la mort et avec l'angoisse (Rigaut dormant avec son suicide sous son oreiller) et l'on est encore trop loin d'entrevoir quelles solutions collectives pourront être apportées à certains problèmes individuels vitaux pour que l'on puisse le reléguer au magasin des accessoires. Breton montra quelle exigence radicale se mani· feste dans tout comportement umoristique et qui fait que l'on ne peut « expliquer » l'Umour en le rédui-

sant à une attitude politiquement situable (réaction petite-bourgeoise désengagée de quelques intellectuels d'avant-garde) ou en faisant une facette parmi d'autres de l'existence de tel ou tel homme. L'Umour radical, l'Umour sans concession constitue donc l'une des constantes de l'Esprit moderne dont on ne peut affirmer encore ou infirmer la puissance révolutionnaire et qui reste vraiment une utilisation dangereuse de l'imagination : «chère imagination, dit Breton, ce que j'aime surtout en toi c'est que tu ne pardonnea pas» (9). Sans cette mise en jeu, sans ce risque de se perdre, pas de changement qualilÜ possible. Paradoxalement, dans les attitudes de pure dérision que révère Breton, il y a le pressentiment presque sacré que quelque chose de « totalement autre » doit se donner ; quelque chose qui loin d'exclure un changement de l'ordre social signüie un changement total de la vie. Et donc une seule alternative, u~ seul choix : d'un côté l'ennui, la débilité, le type d'existence d'hommes incapables « de se trouver à la hauteur d'une situation exceptionnelle telle que l'amour » de l'autre: la vie de la présence, dangereuse peut-être, mais prometteuse et gratuite. « Nous sommes désignés, estime Breton dans Légitime défense, pour présider à une sorte d'échange vertigineux faute duquel nous nous désintéresserions du sens de notre vie, ne serait-ce que par paresse, par rage et pour laisser libre cours à notre débilité. »

Ainsi, c'est à la fois à une morale bourgeoise du labeur et du mérite et à une certaine morale ouvriériste qui en est le décalque que Breton s'attaque, leur opposant une éthique aristocratique du désir.

A propos du travail, c'est aussi d'un choix qu'il s'agit: « Et qu'on ne me parle pas après cela du travail, demande Breton, je veux dire de la valeur morale du travail... Que les sinistres obligations de la vie me l'imPosent, soit, qu'on me demande d'y croire, de révérer le mien ou celui des autres (10), jamais ». Et lorsqu'il attaque le journal l'Humanité qu'il juge « indigne du rôle d'éducation prolétarienne qu'il prétend assumer » c'est entre autres parce que ce journal décourage «toute autre activité extrapolitique que le sport et glorifie le travail non chom » (11).

A un monde fondé sur le travail, le projet d'un monde de la jouissance. Lorsqu'il fulmine contre l'homme « qui a consenti à travailler, qui tout au moins n'a pas répugné à jouer sa chance (ce qu'il appelle sa chance 1) »Breton estime qu'en face de cette chance offerte par le système s'en trouve une autre qu'à un moment ou à un autre de son existence (dans l'adolescence, peut-être) tout individu peut courir... C'est à ne pas manquer cette chance qu'il invite dans LGchez tout : cr LGchez tout... Lâchez la proie pour l'ombre. Lâchez au besoin une vie aisée, ce qu'on

La QuInzaIne Uttéraire, du 15 au 31 mars 1971

Breto~ oppose

vQUS donne pour une situation d'avenir, partez sur les routes. »

3. La conception dédaigneuse de l'écriture et l'écriture èxigeante. Contrairement à « un personnage

à la Vaché » Breton produit ; pire, Breton publie. Même s'il précise : « On publie pour trouver des hommes, rien de plus ». Il n'en reste pas moins que certains de ses p0èmes sont classés par les cuistres de la postérité «parmi les plus beaux de la langue française » dont paradoxalement il reconnaît avoir le sens, lui qui proclame ailleurs : «Nous n'avons pas de talent! D. Breton, pourtant, comprend et magnüie ce sentiment essentiellement moderne de l'inutilité d'écri-

~ 13


La

~ L'« Esprit moderne »

re ; il parle de « la poésie au besoin sans poèmes : la poésie telle que nous l'entendons»; il envie, c'est une façon de parler, « ... tout hom-

me qui a le temps de préparer quelque chose comme un livre... » « ... Que ne me laisse-t-il croire que chemin faisant s'est présentée à lui au moins une véritable occasion d'y renoncer! » (12). • Ecrire est une activité que frappe de dérision « l'autre chose» à laquelle on ne peut participer par la description, mais seulement en la vivant et en l'éprouvant, comme Desnos « qui, nous raconte Breton,

lit en lui, à livre ouvert et ne fait rien pour retenir les feuillets qui s'envolent au vent de sa vie» (13).

cond et le texte : cc le ne .fais pas

état des moments nuls de ma vie » explique Breton. Ecrire permet alors de ne pas rompre la tension, d'introduire et de cristalliser l'inquiétude.' Et peut-être que pour Breton, produire selon cette discipline d'écriture, selon cette écriture exigeante, est une manière d'échapper à l'esthétisme purement oisü et stérile car, dit-il :

« Mieux vaut laisser dire qu'André Breton receveur de Contributions indirectes s'adonne au collage en attendant la retraite. » écrit·il dans Pour Lafcadio (14).

« l'accorde un peu d'umour à .Lafcadio, disait justement Vaché, car il ne lit pas et ne produit qu'en expériences amusantes comme l'assassinat» (15). Breton ne peut se résoudre à cette stérilité volontaire qu'il remplace par une austérité créatrice en choisissant d'une part de ne pas raturer l'écriture, d'autre part de ne pas écrire n'importe quoi. Que représentent les Champs magnétiques sinon une façon magistrale d'annuler le reproche de Lafcadio à la littérature ? Mais, en dehors de l'écriture automatique, c'est l'austérité qui est de règle; « le veux qu'on se taise lorsqu'on cesse de ressentir. »

delIlande le Premier manifeste. Ecrire devient un moyen de maintenir la présence, d'y faire écho, de l'approfondir, de la stimuler, de la prolonger.

qui incarne ou manifeste le mieux tous ces thèmes de l'Esprit modeme qui sont liés à une transgres. sion de tous les instants : transgression des rapports ordinaires entre les hommes, transgression de l'habitude et de toutes les contrain· tes journalières diffuses ; dans chacune de ces attitudes modernes, Breton trouve son maître; il ne pouvait être en effet à la fois Duchamp, Vaché, Rigaut, Crevel et

Jarry. Sans doute est·il pourtant celui

qui sut le mieux indiquer, dans ses écrits comme dans son existence en quoi ces conceptions et comportements fragmentaires relèvent d'une même vision de la vie sans jamais renvoyer à une cohérence ni à un. tout qui les expliquerait et les inclurait.

Pierre Péju 1. Dans.André Breton de J.: Gracq (Corti éditeur); 2. Caractères de l'évolution modeme, les Pas perdus p. 187; 3. Dans le Grand jeu n° 3 1929; 4. Dans l'Amour fou .. S. Dans André Breton a-t-il dit passe de C. Duits (Denoël, LN); 6. Georges Bataille : Lettre à Merleau-Ponty, 1947; 7. Vous m'oublierez, pièce écrite par Breton en. collaboration avec Plùlippe Soupault; 8. Par'!tonnerre (préface à l'Anthologie de l'humour noir, 1939); 9. Premier manifeste du surréalisme, p. 12, (Idées); 10. Nadja, p. 67, (Livre de poche); 11. Légitime défense, dans Point du jour, p. 38; 12. Nadja ..

13. Premier manifeste du surréalisme .. 14. Pour Lafcadio, dans Mont de Piété, 1919; 15. Jacques Vaché,

De nécessaires correspondances lettre de guerre du 11 octobre 1916 ; doivent exister entre l'instant fé-' 16. LA Confession dédaigneuse, p. 7.

14

Non pour suivre la mode : mais bien des recoupements et des concordances entre l'activité surréaliste et la définition, par la psychanalyse, de ses objets et de son champ paraissaient alors possibles. A mesure toutefois que l'œuvre de Freud était

mieux connue, le compromis devenait plus difficile, et les intuitiol1s surréalistes, ne pouvant guère changer, devaient au moins se formuler en des termes nouveaux. D'après les Vases Communicants, récemment réédités, on peut voir comment Breton remodelait en 1932 la problématique surréaliste du rêve en la confrontant à l'Interprétation des Rêves de Freud.

cc le suis cependant très loin de l'insouciance et je n'admets pas qu'on puisse trouver un repos dans le sentiment de la vanité de toutes choses» (16).

Certes, Breton n'est pas l'homme Au contact de Vaché ou de Duchamp, Breton fut peut-être tenté par l'improductivité :

A l'époque où la psychanalyse commençait à être connue en France, les surréalistes furent parmi les premiers à se «reconnaître It en elle.

On sait quelle place le rêve tient dans la production et la réflexion surréalistes et quel intérêt Breton en particulier y attache. Tout d'abord, le rêve dépasse les limites traditionnellement assignées à l'ex· pression par la convention réaliste dominante. Les produits de l'exi· gence de figurabilité, par exemple, ont toute la .valeur subversive des œuvres d'avant-garde et l'attrait supplémentaire d'être à la portée cc de tous les inconscients». C'est sur la reproduction matérielle et en série de formations composites - ainsi le gnome.livre de bois et de laine dont il parle en 1924 que Breton comptait, entre autres, pour attester de la présence concrète du surréel dans le décor de l'existence et de son lieu au désir. Les cc égards aux moyens de la mise en scène», selon l'expression de Lacan, ne touchent pas seule· ment aux procédés d'expression. Pour Breton, la machinerie du rêve commande aussi, du moins en par· tie, la vie quotidienne telle qu'il peut l'éprouver et la concevoir dans certaines circonstances : un théâtre unique, bien que fait de lieux différents, une intrigue bizarre, mais (c qui perd presque tout à n'être pas vue», des personnages et des figurants dont il ignore s'ils sont, par rapport à lui, des copies à peine modüiées, c( quelques mil· lions d'exemplaires de lui seul» ou, au contraire, l'altérité radicale. Si « la vérité particulière à chacun de nous est un jeu de patience » et si l'on pense que le rêve est dans le secret de ces découpes et de c.es emboîtures, il faut donc connaître, mais 'surtout (c capter» ou « discipliner » les forces qui le constituent. Ainsi, pense Breton, seraient expo-

sées devant l'homme, et comme mises à portée de sa main, toutes les possibilités de la vie, notamment celles qu'il se refuse toujours à exploiter et celles qu'il ne connaît même pas. Maître de l'agence du rêve, l'homme aura enfin compris la « nécessité naturelle » qui dirige sa vie. Seules, la poésie plastique et la poésie donnent parfois l'impression de déployer toutes les possibilités humaines: justement dans la mesure où les auteurs se sont libérés de la figuration conventionnelle pour se soumettre au travail du rêve. Toutes ces intuitions sont reprises dans les Vases communicants, et Breton semble alors soucieux de les vérifier, en les confrontant à l'Interprétation des rêves de Freud, et de leur donner une portée qui soit à la fois celle de la science positive et celle d'un programme rigoureux d'action pratique. On a pu écrire que ce texte clôt, dans le développement du surréalisme, la période de production du matériel et ouvre celle de son interprétation. A première vue, la psychanalyse paraît en effet avoir gagné beaucoup de terrain, surtout si l'on pense aux réserves faites à son sujet dans Nadja ou le second Ma· nifeste. C'est le processus de la for· mation des rêves, tel que Freud l'étahlit qui devient, dans ses gran· des lignes, le modèle unique pour reconstituer la genèse d'un ohjet surréaliste ou d'une phrase de veil; chaque fois, c'est un élément sexuel - désir, allusion, représentation - qui se découvre déterminant. On peut s'étonner, surtout en considérant des textes postérieurs, que le recours aux « pires éclaircis-

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problématique du rêve sements» (c'est Breton qui le dit) rées au récit du rêve; simplification des rêves typiques et à « la clé de certains procédés, notamment la des symboles sexuels les plus sim- condensation; abandon de certaines exigences de la figurabilîté (celle pies» soit si soudain et si massif. de l'ironie, par ex.) quand elles Pour l'expliquer, il faut se rappeler que, pour Breton, l'art n'a aucun pourraient compliquer le décodage privilège particulier parmi toutes qu'opère l'auteur; absence appales formations du désir et que ces . rente de résistances qui rapproche interprétations, destinées à balayer le travail associatif, pour sa rapiles « misérables cachotteries» spidité et sa c( profusion », de l'écriritualistes dont on entoure d'habi- ture automatique. A vrai dire, Bretude la production littéraire, trou- ton analyse moins son rêve qu'il ne vent une place normale dans son repère et n'éclaircit des corresponauto-analyse. C'est même seulement dances entre les éléments de celuià leur propos qu'il remonte jusqu'à ci et tel souvenir des jours ou des des événements infantiles. Pour- semaines passées : personnes, détant, l'avancée, la percée de front cors, idées, soucis, projets. Le rêve qu'opère ici la psychanalyse est et la veille sont deux séries, contipeut-être destinée aussi à masquer nues et homogènes, de représentales progrès incertains qu'elle fait tions, la première transcrivant la par ailleurs. seconde de manière un peu partiLaissant de côté la question de culière. Le texte antérieur une fois savoir si le choix d'une auto-analyse rétabli, l'analyse peut s'arrêter. Breton n'insiste pas sur les causes partielle n'est pas une façon de résister à la psychanalyse et à ses de cette transcription dont il indique pourtant les mécanismes. L'hy« exploits d'huissier », il faut remarquer que Breton, par ce choix, pothèse de l'appareil psychique et veut d'abord soumettre l'enseigne- des variations de l'énergie dans ment de Freud au cc critérium de la chacun des systèmes suivant que pratique », notion qu'il emprunte le sujet dort ou qu'il est éveillé n'a à Lénine : trait constant, et l'un pas entamé ses convictions de 1924 des plus curieux, de la démarche sur « le fonctionnement réel» de surréaliste que d'éprouver toute la pensée, et il postule que cc l'actinotion, tout mode de sentir ou de vité psychique s'exercerait dans le penser hors des limites que les in- sommeil de façon continue ». De la venteurs ou les spécialistes - les nature et du rôle des désirs incc professwnnels lui reconnais- conscients et des fantasmes, il ne sent ou lui assignent, et de l'éprou- garde à peu près rien, comme le ver sur soi. D'autre part, Breton montrent ses considérations sur le entend montrer, sur des exemples fameux rêve de Maury. Et c'est personnels, cc l'identité entre les re- toute la notion de cc réalité psychiprésentations de la veille et celles que » qu'il· rejette comme une exdu sommeil ». La mise en scène trapolation idéaliste, imposée à de la vie passe alors entièrement à Freud par son manque d'esprit la charge de l'agence du rêve, au philosophique. prix d'une extension analogue à C'est ici un point sensible. En celle qui faisait de la formation du termes provisoirement marxistes, et rêve le modèle de toute production au fil d'un raisonnement qui veut artistique. se calquer sur Matérialisme et ·EmA cette douhle fin, Breton retient pirWcriticisme, Breton reformule sa surtout l'Interprétation des rêves, conception moniste de la surréalité ; le rôle des cc restes diurnes·» et les bien entendu, l'opposition de la procédés du travail du rêve; les réalité matérielle et de la réalité premiers pour établir que les maté- psychique lui est inacceptable parce riaux essentiels sont pris dans la qu'elle allonge la liste des antinovie éveillée, les autres pour suggé- mies entre l'esprit et le monde; rer que, dans certains cas, l'esprit au-delà, la conception psychanalytiéveillé peut fonctionner assez long- que de cc l'autre scène» comme lieu temps, hors de toute hypnose, com- - ou théâtre, ou réserve - du rêve me celui du rêveur. Pour les besoins et de la fantaisie est à repousser, de sa cause, Breton doit tantôt car elle rendrait impossible le seul restreindre, tantôt étendre les dé- vœu d'une « conversion de plus en couvertes de Freud. Les restrictions plus nécessaire... de l'imaginé au sont manifestes dans l'auto-analyse vécu ou plus exactement au devoirde la première partie : confusions vivre ». Or, pour Breton, cette à propos des stimuli sensoriels ou conversion n'est pas seulement un de certaines associations, incorpo- souhait, c'est une entreprise qu'il

~ La Qulnza1ne Littéraire, du 15 au 31 mars 1971

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~ Le rêve

veut mener à bien. Dans ces conditions, et si le rêve nocturne trouve ses garants 'dans la vie matérielle, le « rêve diurne » ne peut rester, lui non plus, un théâtre privé. Il doit prendre, dans le temps et l'espace, les dimensions de la vie effective. Ce que Breton retrace dans la deuxième paltie de son livre, ce n'est pas un fantasme, ni même une série de fantasmes, c'est « un rêve éveillé traînant sur plusieurs jours ». Toutefois, la narration seule assure la continuité de cette rêverie et sa ressemblance avec le contenu manifeste d'un rêve. D'autre part, l'état affectif dans lequel Breton se trouvait au moment de ce « rêve », et dont il nous donne le tableau, laisse penser qu'un psychanalyste userait ici d'un autre modèle : celui de la mélancolie. L'extension du rêve diurne fournit à Breton un pendant commode ·du rêve des nuits pour sa façon de voir les choses ; quand le sentiment du monde extérieur est vivace dans l'esprit de l'homme, il l'est aussi dans le rêve; celui-ci s'unit avec la veille pour le renforcer; mais quand la mélancolie provoque une perte d'intérêt pour le monde, à l'état de veille, ce vide s'accroît encore sous l'effet du rêve « liquidateur »; dans le premier cas le rêve renforce la vie éveillée ; dans le second, il l'affaiblit en l'envahissant. On :voit que, pour maintenir l'idée d'un rêve diurne sans supposer qu'en certains cas la réalité psychique peut se montrer aussi cohérente. que la réalité matérielle, et même la dominer, Breton est obligé de recourir à une distinctioD normative entre « bons » ·et « mauvais rêves ». Et si l'antinomie tra· ditionnelle entre le rêve et l'action est supprimée par .ce moyen, elle est rétablie entre. la rêverie et l'action. L'oppositon des deux rêves permet alors à Breton d'établir une sorte de typologie des formes de la figuration humaine selon qu'elle suit le modèle du « bon» ou du « mauvaiS rêve» : dans un cas, confiance.en la vie, action' révolutionnaire, pratique de la poésie; dans l'autre, refuge dans la mondanité, ,dans la religion, dans le suicide. .

Le troisième'- grand souci de Breton, celui de la fonction du rêve, reparaît donc dans les Vases com· municants et, une fois encore, la réponse est cherchée dans une direction très différente de celle de

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Première page du «Manifeste du Surréalisme,., 1924.

la. psychanalyse : ce n'est pas la fonction du rêve qui est l'essentiel pour Freud. Et le savant n'ouvre pas, dans ce domaine, des voies comparables à celles qu'ont pu tracer Saint Pol Roux ou Hervey de Saint·Denis : « Bien avant qu'eût cours la théorie de moins en moins controversée selon laquelle le rêve serait toujours la réalisation d'un désir, il est remarquable qu'un homme se soit trouvé pour tenter de réaliser pratiquement ses désirs dans le rêve ». Il n'y a guère que le jeu de mots qui puisse assurer ici le lien entre la psychanalyse et la recherche surréaliste. . Alors que Freud voit, entre autres, dans le rêve, un moyen de conserver le sommeil du préconscient, Breton s'intéresse presque exclusivement au destin des

désirs ou des pensées de ce système, les « entrepreneurs» du rêve; quant à ceux que Freud baptise les « capitalistes », Breton connaît leur existence~ mais il n'en fait guère état. Un clivage se marque ici: offi· ciellement, Breton proclame l'importance des désirs inconscients, infantiles et refoulés, et il reproche à Freud d'avoir donné une version trop expurgée de ses propres analyses; en même temps, sa résistance est assez nette, malgré ses dénégations; on trouve dans les Vases communicants plusieurs des reproches généralement faits à Freud à cette époque : l'abus de la suggestion, l'extension à l'homme normal des résultats obtenus avec les névrosés; on, lit aussi, dans maint passage, l'opposition des « enivrements vulgaires» l'ex-

pression est de Nerval - et d'une conception normative de l'amour qui peut seule justifier l'attrait sexuel. Dans l'auto-analyse, la distinction se retrouve : le travail d'association se fait en direction des restes diurnes, la vie sexuelle du rêveur n'étant évoquée, la plupart du temps, qu'en liaison avec la traduction symbolique d'éléments tels que le pont, la cravate, la machine à sous ou la table mise. De ce fait, la sexualité apparaît surtout comme un code, et les révélaqu'avait pu promettre tions 1'« observateur imprudent et sans tache » ne le compromettent guère. A cet endroit, toute la portée de la découverte psychanalytique est remise en question de façon explicite. Loin que l'imaginaire se construise en relation avec l'hallucina-


Dans la débâcle de la culture occidentale, chrétienne et bourgeoise,

tion et avec le désir, c'est en somme la sexualité qui est une province de l'imagination. Breton parle, dans sa réplique à Freud, de « la caractéristique sexuelle... de l'activité imaginaire ·symbolique» et, de son point de vue, la polémique sur l'oubli des noms de Scherner et de Volkelt n'est pas absurde. Si l'on assimile la psychanalyse à la trouvaille et à l'exploitation de c~tte « caractéristique », il se peut bien que Freud perde toute priorité. Du reste, si l'on se reporte aux idées de Scherner, dans le résumé qu'en donne Freud, on comprend la sympathie que Breton pouvait éprouver à leur égard : imagination libérée de la raison, cc activité artistique » du rêve, usage de la métaphore, une grande partie du Manifeste y semble par avance contenue. A ce compte, la psychanalyse et le surréalisme semblent procéder de la même intuition fondamentale et poursuivre une entreprise commune qui « peut passer pour être aussi bien du ressort des poètes que des savants ». En faisant jouer aux restes diurnes, contre ce qu'enseigne Freud, le rôle primordial dans la formation du rêve, Breton peut donner une réponse affirmative à sa question de 1924 : « le rêve ne peut-il être appliqué, lui aussi, à la résolution des questions fondamentales de la vie ?». Il suffit de généraliser et même de légiférer - à partir de certaines remarques de Freud sur la poursuite possible, en rêve, d'une activité intellectuelle apparentée à celle de la veille; que le rêve puisse aider à résoudre des pro~lèmes o~ à lever,des préoccupations deVient une regle : toujours, il « tire parti des contradictions dans le sens de la vie ». Cette fonction anticipatrice, dans la mesure où elle dépend, selon Freud, de la pensé~ de veille, ne peut même pas etre dite une cc fonction secondaire » du rêve : Breton en fait la marque de la toute-puissance de ce dernier. Qu'elle soit capable à l'occasion d'être prophétique, Breton l'affirme encore, contre Freud qui le nie explicitement. Bien entendu, l'hypothèse d'une régression temporelle et formelle pour expliquer le rêve n'est, pour le poète, qu'une diver· s~on « métaphysique», puisque le reve nocturne est le mécanisme principal de la conversion de l'ima· wné au devoir·être; comme ce devoir-être est aussi le sens de l'his· toire, aucune action individuelle ou collective, surtout politique, ne

ANTONIN ARTAUD La recherche intense, fulgurante, de ce visionnaire peut se passer des conseils du rêve. On voit se dessiner l'ambition suprême : actuellement, le rêve se substitue à l'homme pour résoudre les problèmes de celui-ci; il convient que, dans l'avenir, l'homme reprenne toute sa place et se serve de .ses rêves; ou encore : après av~nr app~is ,des rêves le rôle qui lUI est assigne dans la vie, l'homme s'efforcera d'être non seulement un acteur clairvoyant, mais l'auteur de son texte, de tout le texte. C'est en ce sens que la négation de l'inconscient est, chez Breton, la plus radicale. C'est sur ce point aussi qu'il essaie de fléchir le matéria· lisme historique. Après sa lecture de l'Interprétation des rêves comme avant Breton , ' s occupe moins du sens du rêve que de sa vérité ou de son secret. Et seule une interprétation anagogique peut rendre compte de sa fonction : « principe salutaire», « source inconnue de lumière». Que Breton n'ait guère quitté le terrain des débuts se voit à plus d'un indice, en particulier l'importance qu'il donne à l'élément symholique du pont dans le premier rêve qu'il analys~ ; c~r le rêve ne fait pas que condUIre 1 homme en avant, il représente encore sa propre activité par l'emblème le plus clair; cette sorte de mise en abyme ou de « phénomène fonctionnel» confirme que, de toutes les possibilités offertes à l'homme par le rêve, comme par l'écriture automatique, la plus haute reste, pour Breton, celle qui lui fait saisir le fonctionnement réel de la pensée dans l'instant même où il écrit, l'instant même où il dort. lean-Pierre Morel

La QuInzalne UttéraJre, du 15 au 31 mars 1971

a marqué notre temps. . "est cité partout, par tout le monde. MaiS peu sont ceux qui connaissent vraiment l'homme et son œuvre.

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Sur moi., une influence tardive par Michel Deguy L'influence du surréalisme fut sur moi assez tardive (entre 18 et 20 ans), en tout cas seconde, et, plutôt que du « surréalisme » il ne s'agissait au début que de la lecture - partielle - de tel ou tel poète (Breton, Aragon, l:luard...). Pour autant que je me rappelle ces premières rencontres, je fus atteint surtout par une rhétorique : la pompe de Breton, rinsolence d'Aragon, la préciosité d'Eluard. La leçon de liberté poétique, c'est d'Apollinaire que je l'avais d'abord reçue; le Mouvement perpétuel ou le Traité du style confirmaient. Mais le « philosophe» que j'étais par les études ne prenait pas assez au sérieux les idées concentrées dans les Manifestes. Sous des maî_tres alanistes, ou, dans le meilleur cas, hegeliens, nous n'avions pas encore l'âge du surréalisme - et par là je compris, plus tard, combien il est difficile et chanceux de rejoindre sa propre époque. Cette époque nous arrivait en ordre dispersé, et académisée par les filtres pédagogiques ou autres; Artaud, Bataille, nous venaient d'en dehors du surréalisme. Plus tard, sous l'influence directe d'un ami, homme d'une génération intermédiaire et étranger (le poète chilien Iommi), s'ouvrit enfin l'occasion d'une « imitation », dans le meilleur Sens possible, du surréalisme : la tentative ensemble de quitter (le) tout d'une certaine façon pour ramasser (le) tout a'une certaine façon; la ..c onfiance que la capacité d'un ensemble est supérieure à la somme de ses éléments; le constat qu'une objectivité d'acte poétique en configuration peut -avoir un résultat indépendant des int~HRp.s et des aptitudes de chacun, èolli1D:e le texte ~tique écrit sur le champ p~,:" plusieurs engloutit' le matéria~ psychique de sa genèse monst~euse pour prop?" ser son énigm~_qui f.qrce à inventer des décrypteniénts. ' Nous en avons fait l'expérience dans' des voyages et des traductions collectives, dont la Revue de poésie fut le document. Nous avons pratiqué l'alliage « plastique» de la peinture et des phrases. (Chose amusante, dans l'anecdote il est même arrivé à not~e groupe d'exploser une première fois à l'occasion d'une querene sur Breton où je ne me rappelle plus comment les rôles étaient distribués). Peut-être le long de cette- « répétition » en sommes-nous arrivés au moment où la réalité po-

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litique dissout le meilleur désir poétique d'un être-ensemble et d'un faire-ensemble qui n'aurait de compte à rendre à personne; et où nous sommes rattrapés et corrodés par le retard et le manque de l'analyse sur l'idéologie qui cimentait notre réunion - s'il faut de l'idéologie, ou croyance, ou implicite, pour tenir ensemble quelque temps. A échelle cavalière, il est sans doute facile, trop peut-être, de faire un bilan, dont je trouve par exemple sous la plume de Sollers (T.Q. 44) un résumé qui vaut aussi bien comme memorandum des myopies des neveux du surréalisme : rupture insuffisante avec le code rhétorique; relalton trop esthétique avec l'inconscient traité comme boîte de Pandore; élargissement, mais trop limité, de Paire occidentale ; alibi pour les hésitations politiques trouvé dans telle modalité de « socialisme utopique» réinventé à peu de frais ... etc., Breton exploite le filon des lieux communs, des sillons tracés dans la langue, des locutions « toutes faites », toute cette lettre plus morte que vive C'est un certain état de nous qui pense », dit Kleist). Il obéit à l'attraction des traces; il refraye les chemins-de-pensée-quimarchent de la langue. La pensée se cherche dans les choses en les disant comme elles sont par ce que la langue en a déjà dit. Comme Flaubert était fasciné par la bêtise de l'us, ainsi et à l'envers pour Breton l'usage, l'usure, peut être relevé. La langue est somniloque, il la fait marcher en perte d'équilibre sur les arêtes des rencontres. Il est l'Orphée des stéréotypes. Parlant biologiquement (si nous prenons dans la langue, comme métaphore pour la langue, aussi ce qu'elle dit de la vie) _: il croise les locutions : hybridations, greffes, croisements... Il engendre une postérité de mulets, de roses... Il domestique et il tératologise. L'élément, ou matière de la p~m­ sée poétique, est ce système de -'répercussion, ou lettre, ce lit d'assonances où elle se retourne. « L'écho répond à l'écho, tout se répercute » (Braque). Certes, le texte de Breton s'est acculturé : il est devenu la vitrine de Dali par le jeu de la représentation (pris au tourniquet de l'imitation art-nature par le biais de « l'image psychique» ) et par la commande de l'industrie du luxe : on fabrique très vite un décor qui

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ressemble à ce poème, un « monde de rêve»; la technique s'en charge ; mais cet échec n'est pas imputable à Breton qui convoquait tout le monde au jeu d'une transformation réelle ne pouvant avoir lieu sans le langage : « La rose peut changer totalement de propriétés en passant par l'écriture automatique ». Le mouvement du poème est d'inventer ce qui est comme c'est. Il ne s'agit pas, lisant le texte de Breton, de « reconstituer le perçu », c'est-à-dire ce qu'avait sous les yeux André Breton; mais d'apprendre à percevoir en disant, à dire en percevant. C'est pourquoi je n'étais pas d'accord avec Genette soupçonnant Breton de « retour à la magie» parce qu'il avait parlé « d'agir sur le moteur du monde ». Le moteur du monde c'est le langage; il ne s'agit pas de formules magiques dispensant d'une action réelle pour agir à distance sur un moteur du ~onde qui, lui, s'en moque bien; mais d'agir poétiquement dans et sur ce milieu-langage : le monde. Il s'agit des métamorphoses. C'est le contraire de l'esprit de géométrie: il n'y a pas une définition pour le défini. Il n'y a pas de définition; il y a les équivalences du « loup» (par exemple); sans blocage sur un rapport unilatéral motchose. Pour dire une chose, tout le monde y passerait, c'est-à-dire tout le langage de la langue : union libre. Si le poème propose des « guetteuses nues », attention : elles ne sont pas littérales, c'est-à-dire pas imaginaires : il ne s'agit pas « d'images », ersatz de perception, vagues fantasmes qu'aurait le poète erreur des sens », etc.,; mirage 0: érotique » à quoi il nous induirait magiquement). Il n'y a jamais de femmes nues qui guettent sur la place, ni pour la perception, ni pour l'imagination. Mais avec ces guetteuses nues, il s'agit de deux effets propres au poème : a) la référence mythologique, consciente ou non, aux sirènes; b) n'importe quoi peut s'appeler guetteuses nues, et ai:psi, il y a des guetteuses nues; par exemple des fleurs ou des réverbères; à savoir tout ce qui est comme. « Guetteuses nues» est, un moment, le comparaht, le noyau-figure pour ce qui paraît en trouvant ainsi nom emprunté et configuration éphémère. Le mode d'être poétique d'un étant est son être-comme; c'est là son identité : il n'y a pas d'abord un être-propre;

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mais l'étant se donne (il y a) en être-avec, en trans-ition, en métamorphoses. La métaphoricité est donc le mode d'être de l'étant, un avec le manque de son nom. La poésie est précieuse. Il faut que s'échangent les choses en leur fiction. Breton souvent, pour nommer juger », souvent) une chose, fait une déclaration générale, un équivalent verbal, avec vaste détour par une déclaration de principe sur le monde, le tout. Il remet « tout» en question dans la perspective en question; il réarticuleéquilibre le « tout» avec {ou par rapport à) ce détail, cette circonstance. Opération de contrepoids; la poésie joue le tout pour le tout (un « tout» pour ce tout). D'un côté cette chose (innommable, « extatique impuissance à disparaître » selon Mallarmé) de l'autre sa tare en mots; il àllègue-résume le tout dans une perspective : formulesymbole. Le transbord en poème s'effectue par l'opération d'un Je de majesté qui (n') est personne; mais le sujet de la langue. La langue prend la parole en personne pour accueillir l'être fable selon ce qui a lieu, sa formule: le poème est emphase; le transfert en la disparition vibratoire est cérémonieux, d'un cérémonial qu'on entend bien que Breton a appris chez Lautréamont. Faste périodique, l'acte d'écrire se fait remarquer comme opération. Le nombreux, le bien musclé de la syntaxe, l'ampoulé, autant, chez Breton, d'exhibitions du discours jouant le jeu du vraisemblable. Ce sont p.t:écautions, circonlocutions : dans tous les sens ; roues, roulements. La phrase; péri-et paraphrase d'elle-même, s'échauffe cmphatiquement. Vous allez voir ce que vous allez voir; une phase à ne pas rater. Vous avez vu ce que vous avez vu. Exhortation, apprêt, apparat, appareillage~ Les phrases raniment la langue, lui font entendre sa liberté de jeu. Il y a dans le poème moderne une sorte de harcèlement stochastique de ce qui lui échappe, qui est sa chose. C'est un peu comme le jeu de la « bataille navale » ; un sondage par mots et syntagmes qui prospectent au hasard -objectivement. Il s'en faut d'une lettre, au millimètre, pour que « tout» change ( ... varié, carié...). Le poème saute silencieusement sur les mines...

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Michel Deguy


Le témoignage d~un "ancien'~

Jean Petithory, tient une librairie-galerie, 2, rue du PèreCorentin, 14-, à l'enseigne des • Mains Libres -. Pierre Bourgeade a été lui rendre visite.

Gérard Rosenthal (Francis Gérard) qui fut l'un des premiers compagnons d'André Breton, devait s'éloigner assez rapidement du groupe surréaliste, pour se vouer à l'action politique. Voici les souvenirs qu'il a bien voulu nous confier. - J'ai participé aux deux grandes aventures de ce temps, le surréa~ IIsme puis le marxisme révolutionnaire. J'ai suivi un chemin assez semblable à celui de Pierre Naville : l'un et l'autre, nous avons appartenu au groupe surréaliste; peu de temps après la rupture avec Dada. Ensuite, nous avons fait, à peu près au même moment, notre service militaire. Je suis resté absent de Paris assez longtemps puisque j'avais été appelé en Syrie. A mon retour, je me suis engagé à fond dans l'action politique et idéologique mais je voudrais bien préciser dans quel esprit : le but demeurait de poursuivre cette libération inconditionnelle de l'homme que le surréalisme exigeait aussi. Simplement, il nous paraissait que cette libération ne pouvait s'accom· plir que par les moyens de la politique. A l'époque, les efforts que nous avons faits pour provoquer les surréalistes à l'engagement politique n'ont pas été bien compris. Leiris me rappelait récemment que le jour où j'ai fait remarquer, dans une réunion, qu'il ne serait peut-être pas inutile de jeter un coup d'œil sur ce qui se passait en Russie, un rire homérique m'a salué. Plus tard, Breton a senti que le surréalisme ne pouvait être un pur jeu poétique, détaché des drames de l'histoire. Il fut l'un des premiers à nous rejoindre lorsque fut organisée par nous l'enquête sur les procès de Moscou. Il nous a toujours apporté un soutien efficace dans le soutien des révolutionnaires écrasés mais, même lorsqu'ils se mêlaient à la lutte politique, les surréalistes étaient d'abord des poètes, qui faisaient alliance avec les révolutionnaires. Au contraire, pour Naville et moi, il s'imposait de passer sur un nouveau plan, celui de la politique, qui englobe et domine le premier.- Comment nous sommes-nous séparés des surréa!istes? Il n'y a pas eu rupture ni excommunication mais une distance de plus en plus grande s'est creusée entre nous. L'éloignement définitif s'est concrétisé lors du voyage que nous avons

Le Surréalisme en librairie Comment êtes-vous devenu libraire? P. H. - Tout naturellement. J'aimais les livres. Je suivais les ventes. J'étals collectionneur. Un beau jour, j'ai décidé d'ouvrir une Iibrai· rie. Voilà.

Avec Uon Trotsky. fait en Russie, pour le 10" anniversaire de la Révolution. Nous avons rencontré Trotsky, que je devais bien connaître plus tard puisque j'ai été son secrétaire pendant cinq mois et son avocat jusqu'à sa mort. Dès cette première entrevue, sa puissance m'a frappé. Il avait été exclu la veille du Comité central et il nous a expliqué la situation de la Russie, due au recul des forces vives de la révolution. Je vous parle de Trotsky mais cela ne nous éloigne pas de Breton puisque plus tard les deux hommes se sont connus au Mexique. Entre le révolutionnaire banni et le poète maudit, le contact a été Immédiat et profond. C'est à cette époque qu'ont été jetées les bases de la Fédération internationale de l'art révolutionnaire et Indépendant. la FlARI. A son retour du Mexique, Breton a collaboré avec Pierre Mabille et moi à la direction de la revue • Clé -, qui s'Inspirait justement des principes de la FIARI.- C'est en 1923 que j'étais entré en relation avec Breton, par l'intermédiaire d'Aragon et de Desnos. Je me suis intégré au groupe. On se réunissait chaque jour à Certa, dans le passage de l'Opéra et chaque soir au Cyrano, à l'heure duMandarin puis on terminait la soirée chez Breton, au 42, rue Fon· taine. Là, il régnait, il était le cen· tre, tout passait par lui. Du reste, on ne voit guère qui lui eut disputé cette primauté : Eluard était une sorte d'amateur distingué, Aragon jouait les chevau-légers, Péret était le fidèle, un • mameluck - et ce n'est pas Soupault qui eût contredit Breton. Ainsi s'organisait spontanément une espèce de phalanstère un peu démoniaque. Oui" un phalanstère plutôt qu'une cha· pelle, avec des passions très vives.

La QulDzalne Uttéralre, du 15 au 31 mars 1971

Je crois que vous êtes • expert du fonds Eluard à la bibliothèque de Saint-Denis? P. H. - Oui. J'admirais beaucoup Eluard. J'admire beaucoup Man Ray, avec qui je suis lié d'amitié depuis très longtemps. J'al donc appelé la librairie • Les Mains LI· bres. en hommage au livre -qu'Ils ont fait ensemble. Avez-vous remarqué qu'un des poèmes des Mains Libres porte un titre qui se rapporte à l'entretien que nous avons aujourd'hui? P. H. ne pas.

Non, mais ça ne m'éton-

Nous étions très sensibles à une morale collective qui évoque celle du groupe des Possédés, même si nous allions beaucoup moins loin ou plus loin que les Possédés. • De quoi débattions-nous? Oh ! de tout mais je ne me souviens pas de discussions de doctrine. Il y avait une curiosité insatiable et nous mettions tout en commun, chacun proposait ses trouvailles qui pouvaient aller de Fantômas à un livre de Freud. Ce qui dominait, c'était un extraordinaire jaillissement intellectuel, un goût ardent de la poésie, une gaieté constante." Sur ce point, une légende s'est formée, je ne sais pourquoi, selon laquelle Breton était un homme triste et maussade. Rien de moins exact. C'est vrai qu'il affectait une allure solennelle, majestueuse, mais je ne me souviens pas de m'être jamais ennuyé avec lui. Même sa politesse, qui était d'un raffinement extrême, elle constituait un luxe et il en usait avec ironie. Il en allait de même des modes. A un certain moment, tout le monde s'est mis à porter une casquette mais ce n'était pas vraiment du dandysme, plutôt une figure de ce jeu très

Cet entretien va paraître d~ns la Quinzaine du 15 mars. L'un des, poèmes des Mains Libres a pour titre" Le temps qu'il faisait le 14 mars.• Il pourrait nous servir de préface. P. H. - C'est vrai 1 • Enjôleur d'enfants [charmeur d'oiseaux • J'attends la venue du [printemps... Cette coïncidence jette un jour obscur sur les correspondances littéraires. P. H. - Je crois qu'II n'y a pas de coïncidences. Si une rencontre se fait, c'est qu'elle était Inévitable. Eluard et Man Ray, par exemple. On ne peut dire iequel des deux Illustre l'autre. P. H. - On peut très bien le dire, au contraire! C'est Eluard qui illustre Man Ray. (J.P. prend l'édi· tlon originale et me montre la page de titre. • Les mains Iibres/ Man Ray / dessins / Illustrés par les poèmes / de / Paul Eluard .). Les poèmes ont été faits pour les des· sins.

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grave qu'était le ~urréallsme. Je vous jure qu'on ne s'ennuyait pas durant le dîner Saint·Pol Roux ou dans toutes les provocations surréalistes. Or, c'était toujours Breton qui les organisait. C'était un homme extrêmement cultivé, au début en poésie exclusivement, puis dans toutes sortes d'autres domai· .nes. Il était un brillant causeur et il adorait la mystification - mals pas la farce - ce qui ne l'empêchait pas de tenir le surréalisme pour une aventure sérieuse, une aventure essentielle.• Vous voyez, ma participation active au groupe n'a pas duré très longtemps, de 1923 à 1925, mais jusqu'à la fin, j'ai conservé une estime absolue pour Breton. Il a toujours fait preuve d'une intégrité morale et intellectuelle irréprochable. Il ya une phrase de Drieu la Rochelle qu'Aragon avait rapportée à Breton et qui le définit fort bien: • Dans le surréalisme, tout le mon· de prétend dépasser le surréalisme mais il n'yen a qu'un qui y par· vienne et c'est André Breton.Propos recueillis' par Gilles Lapouge

19


Asa

~ Librairie

par José Pierre Vous avez raison. On entend dire quelquefois que la bibliophilie est une activité un peu en marge de la littérature. Mais souvent, la connaissance de l'œuvre originale... je veux dire, dans sa matérialité, éclaire son contenu - à supposer qu'on puisse les distinguer. C'est bibliologie, qu'on devrait dire! On manque de sciences para-littéraires, en ce moment.

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Otlll.LUJME APOWNAIItE

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LES MAMELLES DE TIRESIAS DRAME

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SURREALISTE

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P. H. - Oui. Ça explique l'intérêt des autographes, des manuscrits. J'ai eu récemment en catalogue la page de titre, manuscrite, des Mamelles de Tirésias, de la main même d'Apollinaire. J'ai aussi le livre en édition originale. Les voicI.· Vous remarquerez, entre le manuscrit et le livre, une légère différence.

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PARIS EDITIONS SIC 57.

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Je ne la vois pas.

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P. H. Vous lisez trop vite. Apollinaire a écrit sur le manuscrit : drame surnaturaliste. L'édition originale porte : drame surréaHste. C'est la première apparition écrite de ce mot.

de demandes! Il en a été de même pour le manuscrit d'Apollinaire que nous venons de citer. Vingt demandes!

C'est Apollinaire qui l'a inventé? A quel prix? P. H. - C'est Pierre Albert-Birot qui lui a suggéré, parce que lui n'aimait pas le mot cc surnaturaliste •. Vous vous intéressez ment au surréalisme?

P. H. -

500 F.

C'est donné!

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P. H. -

Novak vit actuellement

à Trebic, en Moravie, où Il est professeur. Son art est, en quelque sorte, la recherche d'une poésie .visuelle. Il est de la I.ignée (les créateurs cc d'objets . rréallstes» Depuis qJ.lelq es années, Il expérimente de nouvelles tecllniques automatiques, cc alchlmages », froissages, etc. Ses œu cent à ap musée artis

P. H. - Je m'intéresse' les œuvres cont raines, Futurisme Jourd'hui. J'al catal e plusieurs manuscrits Genet, par exemple.

« C'est André Breton qui m'a appris à lire », me disait il y a quelques jours un jeune peintre que je rencontrais pour la première fois. Seule la lecture de Breton lui avait découvert que les livres, ces meubles inutiles, pouvaient parfois le concerner (pas souvent, dites). Et que les mots, soudain arrachés à ce vaste complot ourdi contre notre esprit, afin de le maintenir dans la somnolence et le renoncement, par « les idéologies d'intimidation», comme les nomme Dionys Mascolo, reprenaient la parole dès lors qu'ils faisaient l'amour... Aux peintres, si par exemple je parle des peintres, on dirait que Breton a plus d'une fois « appris à lire » non seulement les livres (et la vie), mais la peinture elle-même et tout ce qui en elle somnolait d'explosives possibilités. Robert Lebel n'allait-il pas jusqu'à affirmer (dans une récente émission télévisée) qu'en somme Breton était parvenu à persuader les peintres surréalistes de peindre la peinture que lui, Breton, souhaitait leur voir peindre? C'était aller bravement contre cette méconnaissance chroniqu de la pensée artistique de Breton qui fait le principal otnemènt de pres e tous les ouvrages consacrés à la peinture surréaliste (ce dont il convient de tenir davantage rigueur à un Marcel i tout de mêpte milita assez ement dans les rangs surréalis, qu'à des amateurs aussi peu lairés que WilliaIIJ, RlIbin ou' René Passeron). Et l' irmation de Robert Lebel ne cessive que si elle ne su consente-

men~tHtaic:'=~!i~r=~peintres tale despropre

1BI,.".,;,ieka11IiÎfiJt Quels sont les auteurs les plus recherchés? P. H. Breton, évidemment, Eluard, Aragon. Tous les grand textes surréalistes. Et les obje Par exemple, J'avais sur mOÏ·~~;i;~ji~~\~di;wM~ nier catalogue cc un cart ..~ Breton avec n petit couleur rose, maintenu par des ficelles en croix» et portant ces vers: • Le torrent automobile de sucre Ja[candi ornent, à la Prend en éc rpa un long fr exposition du jeune [son tchécoslovaque ladislas ovak, qui se rattache à ce mouen.» vement. était coté 2500 F. Il s'est vendu immédiatePouvez-vous le situer, en quelment. J'al même eu une vingtaine ques mots?

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Manne-

P. H. - Non. C'était un tirage à très peu d'exemplaires, qui a été aussitôt épuisé. Vous devriez en faire une édition courante. P. H. -

Pourquoi pas

'1


plus simple expression personnalité hors du commun de tels dons d' « éveilleur », mais tout autant sur le compte d'une pensée que Breton a lui·même définie, orientée, approfondie et baptisée le surréalismè.

Povera, Minimal Art, Art cinétique), ce qui d'ailleurs n'exclut forcément ni le lyrisme ni la subjectivité. Mais à ces références de caractère sensihle, voire sensuel, se substituent de plus en plus des références intellectuelles (dites abusivement «scientiIiques» en même temps que le bavardage pédant se voit élevé à la dignité de « théo· rie»), le « ma<Jèle» de l'œuvre d'art (ou du comportement artisti· que) étant alors demandé à la cybernétique, à la sociologie, à la Gestalt· theorie, au matérialisme dialectique, au néo-positivisme anglo-saxon, au structuralisme linguistique ou en· core à une aimable décoction de toutes ces belles choses réunies : la tisane qui en résulte est généralement désignée par l'appellation d'Art conceptuel. Comme nous en avertit Otto Hahn, «l'Art est maintenant invention et présentation de schémas artüiciels ou ré· flexion sur l'artüice ).

(Joseph Kosuth) : je pense au contraire que même les moins sobjectüs des artistes sont mus par des causes qu'ils ne contrôlent pas. Je remarque pourtant que l'esthétique dominante du moment privilégie un en deça de l'œuvre alors que Breton était plutôt sensihle à son au-delà, à ce sur quoi elle débouche, en somme à sa générosité. Si passionnant que soit quelquefois (rare. ment) l'Art conceptuel, la seule chose dont il paraisse en mesure de nous délivrer, c'est de la Cl mysti- . fication» de l'art (rendant ainsi d'autant plus pesantes toutes les autres mystiIications). Car il s'accomplit au prix d'une annihilation presque totale des pouvoirs de l'artiste (c'est·à-dire de l'homme) alors que le surréalisme entendait les porter à leur degré maximum pour les faire servir à l'émancipation de tous les hommes. « Le peuple et les artistes partagent l'imagination poétique», comme l'écrit superbement Jean Schuster (1). Car ce n'est sans doute pas un hasard si cet art sans illusions est aussi un phénomène hyper-culturel (Cl La culture ne se développe que sur la culture », répète Otto Hahn après Malraux) qui nie toute possibilité pour l'art d'échapper à la culture, qui nie .que « l'œil existe à l'état sauvage» (comme le fait Ber· nard Teyssèdre), qui s'acharne à nier « des arts que la barbarie occidentale qualüie de primitüs parce que le processus de son élaboration lui échappe, ou de nms parce que toute fraîcheur de la pensée lui pa· raît le contraire de la pensée », pour citer encore Jean Schuster (2). li n'existe peut-être pas de meilleure arme contre le « dernier cri» de la « barbarie occidentale» (ce Cl couteau sans manche auquel il manque la lame ») et la démission qu'il institue que la pensée d'André Breton, plus que jamais « à la portée de tous les inconscients ». Les jeux ne sont pas faits. Certes, chacun est libre de préférer les fruits secs de VB 101 au~ artistes que loue Le surréalisme et la peinture, ou l'ané· mie graisseuse de Tel Quel aux Vases communicants. Mais quel programme à ce jour pourrait se me· surer à celui qu'indique cette phra. se d'André Breton: « Nous réduirons l'art à sa plus simple expression, qui est l'amour» ? José Pierre

Je ne mets pas en cause le bienfondé de ces « nouvelles propositions quant à la nature de l'art»

(1) et (2) Jean Schuster, Développements sur l'infra-réalisme de Matta, « Le désordre ", Eric Losfeld.

Ce qui m'importe, c'est moins aujourd'hui, en 1971, de savoir si Breton a ou non «appris à lire » (les livres, la peinture et le monde) à Max Ernst, à Magritte et à Dali (c'est.à.dire à des gens qui l'ont connu et fréquenté des années durant, ont eu avec lui des échanges assez passionnés pour se traduire fi· nalement, au moins dans d.eux des trois cas cités, par d'éclatm{tes ruptures) que de savoir si sa pensée ar· tistique (ou sa pensée tout court) continue de toucher et d'animer de jeunes artistes qui ne l'ont ni connu ni fréquenté. En d'autres termes : quels rapports entretient l'art d'aujourd'hui (celui qui se fait, celui qui va se faire) avec la -pensée artis· tique (ou la pensée tout court) de Breton, c'est-à·dire avec la pensée artistique (ou la pensée tout court) du surréalisme ? Une réponse véritable à cette question supposerait tout d'abord une enquête menée auprès de tous ceux qui comptent dans la défini· tion de l'art d'aujourd'hui (et pas seulement les vedettes du « dernier cri », mais elles aussi), entreprise d'autant plus difficile à conduire que beaucoup d'artistes (les Améri· cains, notamment) sont à peu près· totalement ignorants des écrits de Breton (ignorance que je ne déplore pas, que je constate seulement) et seraient donc portés à interpréter la question comme une invitation à se situer par rapport aux activités historiquement datées (disons 1919-1969) d'un groupe de poètes el de peintres. Or, à mes yeux du moins, il s'agit de tout autre chose. .Je sais qu'il y a des peintres surréalistes qui se sont révélés depuis la disparition d'André Breton et je suis persuadé qu'il y en aura d'au· tres, demain ou après-demain, dont certains souhaiteront vraisemblablement s'intégrer à une action col· lective pour peu que la formule de celle-ci vienne à s'imposer, non pas en termes de nostalgie mais au pré. sent. Mais ce n'est là qu'une partie de la réponse... Parce que, lorsque Breton écri· vait par exemple en 1925 : cc L'œuvre plastique, pour répondre à la nécessité de révision absolue des valeurs réelles sur laquelle aujour-

Victor Brauner: Le surréaliste, 1947. d'hui tous les esprits s'accordent, se référera donc à un modèle pure· ment intérieur ou ne. sera pas », il s'agÏssaÏt pour lui de bien autre chose que de promulguer un dogme artistique ou même plus simplement de définir une plateforme commune aux activités des peintres de son entourage. li s'agÏssaÏt de « répondre à la nécessité de révision absolue des valeurs réelles », c'est·à·dire d'une cc nécessité» qui en est venue de· puis à s'imposer de manière abrupte (surtout depuis deux ans, par on ne sait quel mystère) aux intellectuels en général et aux artistes en parti. culier. Où en sommes·nous donc avec cette c( nécessité» ? Ou, si l'on préfère, quelles réponses s'y propo· sent actuellement, presque un demi· siècle après que leur urgence ait été proclamée ? On jurerait bien que le « modèle » est devenu, ces derniers temps, de plus en plus « extérieur » ! Fréquemment, la référence à l'environ· nement quotidien emprunte à celuici ses formes ou ses matériaux (Pop Art, Nouveau Réalisme, Arte

La QuInzaIne Littéraire, du 15 au 31 mars 1971

21


Surréalisme~ par Dionys Mascolo Le· llUl'I'éalisme, aux exigences duquel je sais que mes ·propres exigences s'identifient pour l'essentiel, si je cherche à nouveau, aujourd'hui,· avec l'effort de simpli. cité qui s'impose, à me Ï:tgurer ce qu'il signifie pour moi de vital, . au-cleIà donc de l'esprit de modernité dont quelque chose, grâce à lui, appartient déjà au présent (est pœsé), je dois constater dèS l'abord qu'à peu près rien dans l'expérience pratiqUe ou de pensée que je puis en avoir ne correspond. à l'emploi couràriunent fait du mot. Je ne puis me dire «surréaliste» D'où Vient cela ? Il est évident du moins que l'existence. d'un surréalisme ésotérique ne saurait se soutenir un instant.

Surréalisme restreint Rappelons-nous pour commencer que le mot lui-même ne fut jamais qu'une approximation. Breton le proposant en convint le premier : il le proposai~ faute de mieux, et IOUII le parrainage occasionnel d'Apollinaire. Approximatif, il est né aussi .polémique. Il s'agissait alors d'opposer, au réalisme régnant et à tous les procédés d'imitation qui en découlent, un réalisme de l'imaginaire et du rêve. La défini-

tionemin que d'entrée de jeu Breton en donna « une fois pour toutes », et qu'il remit sans cel'.'ie en avant en effet par la suite, est elle-même de caractère déIihérément restrictif. Il ne pouvait en être autrement. Avec l'automatisme psychique et la primauté qui lui fut alors reconnue, le moment est atteint d'une élévation de la tem. pérature de l'esprit qui pouvait seule conduire à la formation de tout le complexe ~te. Si l'automatisme se trouve toujours en lui comme son principe, son foyer premier et sa pierre de touche, il est bien éloigné néanmoins d'en épuiser aujourd'hui le contenu. Ou pour le dire. en d'autres termes, il ne pourrait de lui-même y conduire à nouveau (en ce sens, et seulement en ce sens, le llUl'I'éalisme est « historique ]», Cette approximation, cette modestie à la fois rigoureuse et provocant~ n'éhtit que trop juste, s'agissant d'un ·mouvement de pensée voué de naissance, non pas simplement à miser SUl' l'mconnu (ce qui n'aurait encore rien eu d'absolument n~uveau, au regard surtout des problèmes d'expression), mais bien plus profondément, bien plus gravement, à viser l'inconnu, et qui, se défendant de· préjuger en

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rien de son développement ultérieur, ne put longl.emps se cléfinir qu'en rupture avec tout l'ordre existant : ordre philosophique et poétique aussi bien que politique - en révolte contre l'état de choses auquel tout nouveau désir se heurte dans les esprits non moins que dans les choses. Cinquante ans ont passé. Les développements attendus (non pas prévus) ont eu lieu. Et c'est la fortune même du mot qui oblige à rappeler que le surréalisme, loin d'être réalisé nulle part ni en personne, demeure une exigence infinie (sans accomplissement possible, puisque après tout accomplissement possible elle doit se retrouver entière), en même temps qu'une puissance de rupture indéfinie, puissance qui ne s'en prend plus à la seule réalité extérieure ou au seul état de choses intellectuel, mais· qui. a pénétré jusqu'à l'âme des pllH eecrets mobiles, et forcé les défenses de l'antique for intérieur même. Si le mot, en effet, dans sa fortune actuelle, a gardé le caractère restric· tif qu'il avait à l'origine, ce n'est plus là, pour nous, ni rigueur ni réserve; c'est négligence et omis· sion, comme si les développements accomplis n'existaient pas (ou, ce qui revient au même, comme s'il n'en était sorti que des œuvres). A ce point, le mot se réduit à désigner une surface « culturelle », un style, un ton, un tic, une mode, une époque, une école, un musée... Il devient repère esthétique, épithète littéraire, et comme tel, mot évasü, vidé, vidant. Certaines propositions « en l'air» ne deviennent admissibles et ne prennent de sens que précisément dans cette acception quasi nulle du mot. Affirmer que «nous sommes ·tous surréalistes» n'est pas aujourd'hui parler faux, c'est dire presque rien. Ce «presque rien]) justifierait à lui seul la récente décision. du groupe surréaliste s'interdisant sine die de porter ce nom et d'en marquer les activités qu'il poursuit. C'est redonner le surréalisme à sa vérité de projet, abandonnant l'étiquette à ce qui est certes du surréalisme encore, mais qui, pour s'être fixé, en est déjà au presque rien (et n'est pas devenu pour autant le « bien de tous », si ce n'est au sens d'un pauvre enrichissement du décor le décor· fût·il révolutionnaire : à cet égard Mai 68 - le surréalisme dans la rue - ou sur les murs ? apporta sa'part d'équivoque).

Surréalisme généralisé Essayons maintenant de dire quelque chose du surréalisme développé (ou généralisé, non restreint), sans perdre de vue que la « l.héorie » ne saurait jamais en être faite qu'a posteriori, et que nous n'en sommes pas là. Il faut répéter que le surréalisme, tout comme le communisme, auquel il est indissociablement lié, appartient à cette catégorie d'idées qui sont des commencements (des exigences), non des fins (des « vérités »). L'un des premiers traits qui le distinguent de tout mouvement de pensée et lui donne droit de regard sur tous, c'est qu'il pose l'exigence révolutionriaire et celles de la pensée comme une seule et même exigence. Mais cela ne fait encore qu'indiquer très sommairement sa généralité. Si cette idée, ce commencement, ce projet qui n'est pas né dans la sphère de la recherche philosophique, l'activité philosophique y est assujettie désormais, il y a à cela des causes plus profondes, encore mal reconnues, peut-être inavouables. L'attentat qu'aucun philosophe n'aurait osé accomplir, attentat contre l'atome de l'esprit, l'insécable concept, un désir est venu, de l'extérieur (on le dirait venu du génie féminin, de cet extérieur que le génie féminin n'a pas cessé d'être dans l'histoire des émotiom et des idées) l'accomplir. Il est il peine croyable que le célèbre « toul porte à croire qu'il existe un cer· tain point de l'esprit... » ait été pris au sérieux. Il l'a été. Cette « belle phrase » dit dans la langue de l'in~tion à partir d:e quoi, et vers quoi l'effort de la pensée cherchante vaut d'être poursuivi. C'est à partir de cette attente, de cet espoir - au vrai : de ce soupçon, qui a déjà retiré de sa stabilité à l'édifice des concepts en même temps qu'à tout concept de sa fixité (que leu)' valeur d'usage y survive n'y change rien), que le travail de pensée peut reprendre en effet, et pour l'approfondir. A la réalité du concept se substitue la réalité du désir, des exigences (surréalité) issus de ce qui existe en l'homme « à l'état sauvage », et qui visent l'inconnu. A la domination des concepts, dans lesquels s'effectue la limitation rationnelle du désir, son asservisse· ment « réaliste », s'oppose l'autorité des exigences qui placent au plus haut ce qui n'est pas - ce qui me


Morale, Musique manque, que je désire, dont j'ai besoin, cela que je suis le moins irréellement : ma réalité hors de moi. Infiniment diversifiée, cette puissailce de rupture initiale se retrouve agissante à ehaqup, stade, en ehaquè poin'i du' développement de {'ic;lée sûrr6aJiste. Ce subvertisSe· mént inultipli~ n'est lui-même pos· sible que parce que, parallèlement à ce qu'elle libère d'énergies en ce sens, l'idée' surréaliste ne cesse d'opérer comme force d'intégration 4J1li ' ri 'admet pas de limites. Elle. se donne en quelque sorte de quoi rompre sans fin à nouveau. Elle rassemble et refond toutes les questions qUi se posent dans la réalite en une question d'ensemble où les 4J1lestions particulières demeurent, m~ ne peuvent plus se résoudre ni même être pensées séparément : la question séparée n'admet plus de répOnse (commodité réaliste caractéristique des fi: âges classiques»). En ce sens, aimanté par l'image de «l'homme total» (totalité des démarches humaines), le surréalisme dans ses développements est moins lié à une surréalité qui fut au départ son point d'appui réel, existant, qu'à une exigence de totalité, volonté de ce qui n'est pas. Il est moins un surréalisme (son départ) qu'un fi: totalisme» (sa visée), si l'on peut risquer ce mot. Le pouvoir englobant qui est le sien, la fusion à laquelle il soumet tout l'homme est précisément ce qui multiplie sa capacité de rupture initiale. L'homme « surréaliste » devient le lie.1J. de forces dont on ne peut plus dire qu'elles sont ni destructrices ni constructrices, qui plutôt ont pour rôle de remonter in. cessamment en lui ce double mouvement inédit de fusion-rupture, d'intégration-désintégration. Il s'ensuit notamment que c'en est fini pour quiconque de pouvoir vivre sans dommage, deux, trois vies sé· parées: vie intellectuelle, vie civi· que, vie privée cette dernière dichotomisée elle-même en : vie sociale, vie affective - cette der· nière partagée à son tour en d'autres tout aussI peu communicantes entre elles : vies vécues, vies rêvées... Dans un tel système d'exigences, réunissant toutes les condui· tes humaines sous le signe unique de la recherche de ce qui n'est pas, on voit comment peut jouer à plein sur tous les plis, à tous les nœuds du réseau d'entraves la force dérangeante de l'esprit d'insoumission. Toute activité pratique, tout acte

de pensée, quelle que soit sa « va· leur JO propre, attend désormais et reçoit du, dehors la confirmation de son authenticité; toute activité spécialisée peut désormais être niée par n'importe quelle autre, du dehors' toujours: niée précisément par ce qu'elle aura cru pouvoir laisser en dehors d'elle pour s'ac· complir. Premier emporté par ce vent du large, le poèt~-poète est déjà une C#lpèce disparue. Il n'est plus possible d'être philosophe, ou artiste, ou militant révolutionnaire, au amant, et chrétien. La profondeur sans humour n'est pas profonde. L'humour non libertaire n'est pas l'humour. L'amour non matérialiste n'est pas l'amour. Ainsi de suite. Valéry qui méprisa le romantisme allemand est un littérateur intelligent, non un penseur. Tout talent est ennui, néant vif, temps tué, qui développe une faculté sur l'atrophie des autres : désolante fi: beauté »,' nullité de champion olympique. Ce schéma néglige apparemment deux faits majeurs, qu'il est donc juste de prendre en exemples pour conclure. En tant que force de rup· ture, le surréalisme dans ses développements semble n'être pas parvenu à se délester de toute morale. En tant que force d'intégration, il a cru pouvoir faire comme si un monde de non-musique était théoriquement admissible et humainement vivable. Il y aurait dans le surréalisme une morale de trop, et la musique de moins.

Morale Il est aisé de répondre à la question d'une prétendue morale sur· réaliste. Il y en eut souvent appa· rence, il n'exista jamais rien de tel. L'extrême sévérité à laquelle aboutit le jeu de négation réciproque que l'on a dit ne s'appuie sur aucune considération de valeur. Elle est « objective », exprime l'extrême ,sévérité de la partie dont tout homme qui a choisi de ne pas prendre congé a accepté que son existence soit l'enjeu. Il ne s'agit plus ensuite que d'être régùlier dans un jeu accepté. Si c'est là rigueur, c'est rigueur au simple sens de loi de cohérence d'un ensemble ce qui retient la vie quotidienne dé n'être que les décombres du temps qui passe (l'ami. tié à vau-l'eau, la tristesse étale,

La QuInzaIne Littéraire, du 15 au 31 mars 1971

tout geste humain détourné dans le sens de l'entropie universelle). A Jean Ballard qui venait de consa· crer un numéro des Cahiers du sud au romantisme allemand : a: Pour· quoi vous occupez-vous d~ ces ténè· bres, Jean, alors que nous avons ici une trinité lumineuse : le ciel, le soleil et la mer?». C'est Valéry qui dit là très lumineusement lui· même qu'il n'était pas un penseur, ce n'est pas moi en l'écrivant plus haut. Il est vrai que cette rigueur de la chose même, parfaitement neutre, mais qui a de la ressem· blance avec une morale, certains auteurs surréalistes se sont si bien identifiés à elle qu'il leur est arrivé d'en donner une image inquiétante, lui prêtant voix comme si par.1ait en elle une conscience morale. Ces écarts du langage moralisant ne peuvent remettre en question le fait que tout ce ,que le surréalisme a de vigueur métaphysique se confond avec une négatia!l absolue de toutes les valeurs de morale. Il y a bien rupture, et rupture sans retour.

Musique Qua~t à la musique. -

Si je dis

qu'à chaque mot prononcé ü y a 'Une

musique qui n'est pas jouée-

voulant exprimer mon horreur du discours qui étouffè la croissance dans la pensée de ce qui lui permettrait de s'identifier au désir - cette proposition, à mon sens, est d'esprit surréaliste. Quand je sais d'une part que rien n'est plus proche de l'érotique que le délire à n'en pas finir d'une musique, même poussée d'identification engendrant l'absen· ce impersonnelle, même excès impossiblement dirigé, même acharne· ment mis à fuir la fin recherchée, fatale peut-être, toujours illégitime (il n'y a pas de musique qui ne s'accompagne de l'absolue certitude

qu'ü n'y a pas de raison pour que ça finisse); quand je dis d'autre part que ce qui se cherche dans l'exercice du surréalisme est un état des facultés où la pensée tout entière se soit véritablement faite désir, je ne puis donner de cet état d'image p.lus pertinente que celle de la musique. Il est possible de dire cela encore autrement. Musique est ce qu'il y a de plus proche du silence, ou ce qui est plus silencieux que le si·

lence même. Il n'existe pas, on le sait, de silence absolu : aucun n'interrompt en effet le perpétuel murmure intérieur, bien au contrai. re. La musique, si. Pour mieux dire, elle coïncide parfaitement avec lui, se substitue parfaitement à lui, ou le comble : elle est de même nature que cet intarissable murmure intérieur et coule exac. tement entre les mêmes rives; Mais il faut voir ici que le murmure ou mo~ologue intérieur, source' perpé., tuelle de pure parole, n'est peut. être pas encore le jeu absolument désintéressé de la pensée. Il charrie des mots, par quoi quelque chose de la pensée logicienne, de la misère du discours, de la servilité des ha. . bitudes ne peut manquer de péné. trer en lui. Supposons-nous assez d'héroïsme pour nous priver un temps de l'assise des mots, assez d'esprit' de risque pour descendre écouter la pensée là où les mots lui manquent, là où elle est la pen. sée de ce qu'elle est d'inconnu à elle-même. Au-dessous du niveau du monologue intérieur, sourée aJ,i. mentant la source, le murmure profond, dont quelque chose parvient d'ailleurs à franchir parfois le seuil de la perception, serait ie murmure parfait, et serait tout entier musi. que. Autrement encore. Si l'exigence surréaliste en principe illimitée s'est' apparemment, par l'exclusion de la musique, donné une limite, on'supposera tout d'abord que la raison en est que Breton ne put se résoudre à manquer de l'assise des mots. La condamnation qu'il. porta contre elle - et qu'il ne semble pas que personne ait jamais contestée - ne fit qu'exagérer le caractère restric· tif originel du surréalisme. De l'ex· pression musicale il dit alors qu'elle est, par opposition à l'expression plastique, confusionnelle. De la musique même, au témoignage d'An. dré Masson, il disait, pour motiver son refus, qu'elle est l'indéterminé. Motivation étrange, qui donne à penser : car quel motif à refus est. ce là, si vous ne vous éclairez plus à la lanterne rationaliste? Bien plutôt, si Breton l'exclut en prin~ cipe, ne serait·ce p8s que la 'musi· que est déjà l'imaginaire réalisé, le lieu surréaliste par excellence, à proximité du point où le silence et la parole cesseraient d'être perçus contradictoirement? Il est tout à fait frappant qu'aussitôt après avoir ainsi rejeté la musique à « la nuit », Breton tentant de dire ce que peut être le modèle. intérieur de l'œuvre

~. 23


Contre un détournement de pensée plastique tient un langage qui pourrait s'appliquer au mieux, à quelques mots près, à la pensée musicale. Mais nous devons nous souvenir que pour Breton, à ce moment, c'est la réalité même qui était en jeu. Il lui importait pardessus tout d'accroître le champ réel de toute démarche, de faire gagner de la réalité à l'imaginaire. Pour la musique, c'était déjà fait. En ce sens, et quoi qu'il en eût, son entreprise revenait à musicaliser le réel. Ce qui n'est pas saper peu les assurances. Son refus lui aurait alors été dicté par une sorte de prudence vitale (comme Freud se refusant à lire Nietzsche, qu'il devinait trop proche de lui). Dans un texte trop négligé de 1944, Silence d'or, Breton lui-même ébauche d'ailleurs un dépassement de l'antagonisme qu'il a toujours vu entre musique et poésie, et va jusqu'à parler d'une II. musique intérieure» portant et conditionnant vraisemblablement la «parole intérieure ». Il est vrai qu'il en parle encore du point de vue exclusif de la poésie : il s'agit d'une musique indissolublement liée aux mots, de cette musique que font les mots de la parole intérieure eux-mêmes (II. les grands poètes ont été des auditifs, non des visionnaires»). Texte d'une ouverture, d'une générosité admirahle cependant, d'un homme qui prétendait ne rien entendre à la chose, et dont les présentes réflexions voudraient être un prolongement. Qu'il y ait ou non maintenant une musique surréaliste (au sens des œuvres musicales), c'est une tout autre question, fausse question sans doute. « Musique surréaliste », n'est-ce pas pléonasme, si le fonctionnement réel de la pensée est d'ordre musical ? En tout état de cause, si l'esprit de la musique n'était pas intégrable à l'idée surréaliste, il faudrait convenir que celle-ci n'est pas encore ce qui peut conduire à la refonte de toutes les facultés en une faculté unique, à la réunion de toutes les démarches en une démarche souveraine, dont elle a fait naître l'exigence.. Exigence à laquelle il est trop tard pour renoncer. Question? Dionys MascQIo .

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Extraits d'un article de Paul Souday, paru le 13 novembre 1924 dans fi Le Temps D, après la publication du Manifeste du surréalisme. • Grâce aux dieux, nous avons une nouvelle école littéraire. A vrai dire, ce n'est pas d'écoles littéraires que nous avons jamais manqué; mais elle n'ont pas toujours produit d'aussi brillants sujets qu'II l'eOt fallu (u.). La nouvelle école professe le surréalisme et M. André Breton vient d'en publier le manifeste. En est-II le chef? Du moins Il n'est pas seul. Avec lui sont MM. Louis Aragon, Philippe Soupault, Jean Paulhan, Joseph Delteil. C'est lui qui les nomme et Il en cite d'autres dont l'énumération n'en finit pas. On refuse du monde. En quoi consiste le surréalisme? D'après l'étymologie, Il est au réalisme ce que le surhomme est (ou serait) à l'homme : Il le surpasse. Mais ce n'est point assez et, d'après M. André Breton, Il le nie. • Le procès de l'attitude réaliste demande à être in~truit, dit M. André Breton. L'attitude réaliste, Inspirée du positivisme, de Saint· Thomas à Anatole France, m'a bien l'air hostile à tout essor Intellectuel et moral. Je- l'al en horreur car elle est faite de médiocrité, de Haine et de plate .suffisance.. On ne savait pas que Saint Thomas fOt positiviste et l'on croyait qu'Anatole France avait combattu le réalisme ·ou naturalisme contemporain. N'insistons pas 1 En d'autres termes, les personnes qui se laissent aller à dire ou écrire tout ce, qui leur passe par la tête, font du surréalisme sans le savoir, comme M. Jourdain faisait de la prose.' Si j'al bien compris, c'est ce que M. James Joyce appelle le monologue intérieur. Voilà une esthétique bien commode. Vous devinez qu'elle s'appuie sur le freudisme, l'inconscient, etc. Il s'agit d'écouter et d'.enregistrer précisément les oracles surgis des profondeurs de notre être, sans •. les gâter par la logique, l'esprit critique ni aucune Intrusion d'aucune sort~.

Cher Maurice Nadeau,

Toutefois le spectacle de cette bagarre d'héritiers se disputant des pensées qui nous sont amies dure trop. Il incommodait. A la longue Ü fait honte. Il va de soi que ces pensées appartiennent à tous, que

chacun peut s'en réclamer autant qu'aucun de nous, et ceux que nous incriminons autant que quiconque. C'est pourquoi, décidant de passer outre à la difficulté signalée, nous tenons à préciser très clairement qu'à nos yeux ce qui est en question ici n'est pas la valeur intellectuelle générale de trois noms et de trois œuvres, mais bien l'utilisation opportuniste qui en est faite aujourd'hui pour des besoin.s politiques précis. Nous avons pris enfin le parti de signer ce texte de nos quatre seuls noms, qui ont simple valeur indicative. Nous espérons ainsi lui retirer de son caractère déclaratif, nécessairement tranchant (mais on conviendra qu'un long travaü de questionnement ne s'imposait pas ici), toujours dans le souci de ne pas donner d'extension à une 4ispute dont nous refusons le principe même, et à l'intérieur de laquelle nous entendons encore une fois que la condamnation que nous portons contre elle ne nous entraîne pas.

Les signataires de la présente communication s'élèvent contre l'exploitation dont sont l'objet de différents côtés, singulièrement depuis mai 68, les noms d'Antonin Artaud, de Georges Bataille et d'André Breton. Qu'avec plus ou moins de rigueur ou de naïveté certains cercles intellectuels tentent de tirer à eux des pensées fortes, sur lesquelles ils éprouvent le besoin de s'appuyer, avant même souvent. d'en avoir aperçu toutes les nuances, c'est là sans doute un phénomène généralement admissible, inévitable en tout cas. Il n'est pas tolérable en revanche qu'ils en viennent à réduire ces pensées à jouer un rôle tactique dans les actions polémiques où leur volonté de croissance les entraîne. Ces procédés se sont récemment développés à outrance. Aux citations abusives des textes s'ajoutent maintenant celles de communications privées, la relation de confidences, les notations affectives, les

anecdotes - bref, tout un prétendu matériel d'information qui n'a d'autre vérité que celle d'une indiscrétion généralisée. Plus gravement encore, les groupes en question se disputent à la fois la triple autorité d'Antonin Artaud, de Georges Bataille et d'André Breton et l'agrément de l'actuel parti communiste français. Nous sommes convaincus que la brutalité à laquelle on s'abandonne ainsi n'est pas celle du «combat spirituel» qui la justifierait peutêtre, mais, bien plus dérisoirement, celle d'une bataille d'hommes de lettres. Ils se devraient de faire passer le respect des pensées dont ils se réclament avant le souci des victoires qu'ils peuvent remporter les uns sur les autres en se couvrant de ces pensées. Marguerite Bonnet, Robert Antelme, Michel Leiris, Dionys Mascolo.

La lettre que nous vous envoyons aujourd'hui et que nous serions heureux que vous acceptiez de rendre publique a été rédigée. aux premiers jours de janvier et n'avait pas alors de destination certaine. Elle traduit les sentiments de beaucoup. Un scrupule nous a retenus jusqu'ici de la rendre publique. Le simple fait d'exprimer notre réprobation de procédés qui, tantôt selon le mouvement d'une pénible inconscience, tantôt sous forme de manœuvre intéressée, aboutissent à un détournement de pensée, risquait de nous entraîner dans le jeu auquel il s'agissait précisément de porter un coup d'arrêt. Difficulté considérable, dont nous ne nous dissimulons pas qu'elle ne peut être tout à fait surmontée.


PHILOSOPHIE

Les idées majeures de 'Husserl

Husserl Philosophie Première Collection Epiméthée, P.U.F. éd., 374 p.

1

C'est Ludwig Landgrebe, alors assistant de Husserl à Fribourg-enBrisgau, qui réalisa la première transcription dactylographique à partir d'une sténographie, du cours de l'hiver 1923-24; le titre, qui est un vrai titre, dit le programme et le contenu de ce cours: il s'agit d'une Philosophie première, c'est-àdire du fondement et du commencement de la philosophie. Le texte est si dense, il exprime avec tant de' fermeté les idées majeures et constantes de Husserl, qu'on ne saurait trop se féliciter de l'excellente traduction qu'en donne aujourd'hui Arion L. KelkeI. Pourtant, cette publication ne manque pas d'être étonnante: c'est un demi-siècle qui nous sépare du moment vivant où ce cours fut dit. N'y a-t-il pas là un retard irréparable? Nous allons dire pourquoi nous ne le pensons pas, mais le problème de l'actualité de Husserl n'en reste pas moins posé, si l'on jette un regard synthétique sur le mouvement actuel des idées. Du côté des Sciences humaines, les mouvements psychanalytiques semblent n'avoir été en mesure d'acquérir leur autonomie et leur fécondité que dans l'exacte mesure où ils s'opposaient à l'idée centrale de la phénoménologie husserlienne, idée selon laquelle il y a une science possible de l'ego cogito et selon laquelle le philosophe est celui qui peut et doit jeter les bases d'une telle science. La polémique qui opposa il y a quelque temps Ricœur aux psychanalystes et aux philosophes lacaniens semble illustrer la nécessité du divorce entre le savoir de l'inconscient et ce qu'on appelle une philosophie du sujet. Du côté de l'ethnologie, la polémique ancienne de Lévi-Strauss et Sartre semble encore prouver (si l'on n'a pas lu Critique de la raison dialectique) qu'il y a aussi une insurmontable opposition entre la science des structures sociales et une philosophie phénoménologique. D'une façon plus générale ne faut-il pas constater que l'épistémologie contemporaine ou l'archéologie du savoir ou la méthode linguistique manifestent une effective fécondité de la connaissance et cela sur un tout

autre terrain que celui qu'avait choisi Husserl? La marque de la modernité n'est-elle pas en dehors de la phénoménologie ? Que s'est-il donc passé? Qu'est devenu le public de Husserl? Qu'est devenue la phénoménologie? S'est-elle réfugiée dans les cours ésotériques de Ricœur, traducteur des Ideen; ou dans les cours plus ésotériques encore d'un Lévinas? Des cours de Fribourg-en-Brisgau aux cours de Nanterre-la-Folie, la phénoménologie ne fut-elle qu'un simple discours universitaire, morne et abstrait, séparé de l'histoire, de la politique et des intérêts vivants du public? N'est-elle, comme certains feignent de le croire en Sorbonne, que la description de la subjectivité illusoire? Ne fut-elle, dans les années 50, qu'un beau feu de paille, un' éclat d'or à la sortie de la nuit nazie, une promesse sans suite ? . Nous ne pensons pas qu'il en soit ainsi. Notons d'abord quelques faits. L'œuvre de Gaston Bachelard porte sûrement la marque de la modernité, mais sa fille, l'épistémologue Suzanne Bachelard, traduit précisément Husserl (Logique formelle' et logique transcendantale). Certes, Ricœur n'est pas épistémologue, et parce qu'il est husserlien, il ne cesse pas d'être chrétien : où est donc la modernité de Husserl? C'est ici qu'on peut cerner un malentendu, ou plutôt une mauvaise foi et une récupération ; on lit en effet, et précisément dans Philosophie première : «... ce qu'on peut accorder à la théologie ne convient pas ipso facto à la philosophie. Celle-ci n'a pas le droit de s'appuyer sur un dogme préalable, une conviction a priori de quelque

La Qtdnza1ne Uttéralre, du 15 au 31 mars 1971

ordre qu'elle soit. » (p. 273). Trois pages plus haut, interprétant Spinoza avec intelligence et profondeur, Husserl écrivait : en faisant preuve d'un irrespect brutal, Spinoza tente de développer une ontologie et une théologie a-théologiques et une éthique à partir de définitions fondamentales d'ordre purement axiomatique et selon une méthode rigoureusement déductive. » Nous commençons à percevoir un nouveau visage de la phénoménologie husserlienne : d'une part elle est peut-être l'une des racines souterraines du souci moderne pour l'épistémologie (notre texte, p. 278), et d'autre part elle justifie beaucoup plus un humanisme athée comme celui de Sartre par exemple, que les théologies pseudo-phénoménologiques de Ricœur ou Lévinas. C'est dans cette perspective que le texte aujourd'hui publié sera -utile : il permettra de rappeler ce que doit et peut être aujourd'hui une philosophie authentiquement

première, qui commencerait authen. tiquement à l'homme et bannirait de son champ tout principe transcendant, fût-il masqué. On pourrait alors comprendre que si la tâche de la phénoménologie est de décrire les actes essentiels, généraux, et in· telligibles d'une conscience en général (voir les pages 148-153, 181· 184 et 198-199)et non pas le moins du monde une émotivité privée, elle est aussi, désormais, de décrire la totalité des actes de la conscience, et notamment ceux qui sont à la source de la sociabilité en général c'est-à-dire de l'éthique individuelle et de l'histoire politique. Phüosophie première devrait donc pero mettre de mieux comprendre d'une part la Critique de la raison dialectique, parue en 1960, et d'autre part les œuvres d'autres phénoménologues qui, depuis cette date, n'ont pas forcément brandi le nom de Husserl comme un drapeau, mais doivent à ce philosophe et leur méthode et leur souci de réfléchir

, . , . . MABII-JOSI aOD.lBT DI UUWB

MARS 1971

Un monde autre: l'enfanee

De ses représentations à son mythe

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Soelologle des relations raelales

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Le proeessus pSJebanalJtlque Préface du Dr Bégoin

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Pour eommeQter la genèse aB.PABIIS

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Catalogue sur demande au: Editions PaJot semce Q[, 106, bd S&iDt-Oermain, PAlUS 6·. .

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L~enjeu

~ Husserl

sur ce qu'est, dans l'ordre de l'existence et de la pensée, le re-commencement. C'est que l'influence de Husserl se manifeste beaucoup plus dans les développements et les fruits de sa pensée que dans les discours de ralliement. Bachelard pratique en fait .une phénoménologie de l'imagination de la matière, .et il le dit. Les sciences humaines empruntent .à la linguistique (croient-elles) l'idée de structure, mais c'est à la linguistique et à la phénoménologie qu'elles empruntent l'idée de signification, de sens et de signes; ce qui leur revient n'est que le privilège qu'elles accordent aux fQrmes vides, par rapport aux contenus effectivement vécus et actualisés au moyen des structures. Ce n'est pas non plus un hasard si tel jeune philosophe de valeur, qui aime réfléclftr sur .les signes, écrit aussi un oU~I;age sur l'empirisme de Hume: n"est-ce pas dans PhÎÙJsophie première que Husserl rappelle (p. 262) : « Etant donné l'intérêt particulier que nous portons à l'empirisme.» Par ailleurs, il se réfère touj~urs à Hume et, ici, à Hume et à'Locke.

La phénoménologie n'est pas une orthodoxie Certes, la phénoménologie n'est pas une orthodoxie ni un clan. Mais à prendre conscience de l'universelle fécondité, présente et future, de la méthode phénoménologique, on ouvrira de nouvelles sentes aux chemins du savoir, sur les champs mêmes qui sont .actuellement ex· plorés par les sciences humaines aussi bien que par la philosophie. En ayant le même souci du concret et de la rigueur que Husserl, la pensée contemporaine évitera peutêtre l'obstacle prochain qui la menace et qui est paradoxalement le positivisme et le formalisme tout ensemble. L'inconscient ne peut pas parler si le désir n'a pas de sens, et le langage est absurde et muet si·la parole n'est pas une chair. Si ron n'oublie pas le sens, on pourra bien abandonner le mot « phénoménologie » qui ne fera plus rien à l'affaire. Libérées des luttes de clan, toutes les disciplines pourront cheminer ensemble et travailler ensemble à la constitution d'une philosophie qui serait à la fois une vérité, un pouvoir, et une vie. Robert Misrahi

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Jean-Michel Rey L'enjeu des signes Lecture de Nietzsche Editions du Seuil, 287 p.

1

Le principe de l'exégèse est désormais dépassé pour une bonne part des nouveaux travaux philosophiques et pour l'ouvrage de Jean-Michel Rey, dont la première marque distinctive est justement de se différencier de ceux que l'on rangeait traditionnellement sous la ru· hrique « histoire de la philosophie ». Ou bien, disons plutôt qu'il s'agit d'une nouveUe exégèse proprement philologique, en ce sens qu'elle se veut non pas un commentaire mais une lecture. Et qui dit ici lecture implique une présence réelle, celle d'une écriture prise dans son acti· vité vivante, voire corporelle, par celui qui la lit. Le texte n'est plus une chose en soi, sa signification n'est plus « appréhendée»; il est pris comme un signe épais, il est percé d'un mouvement de relance manifestant ses deux versants : écriture/lecture. C'est l'articulation duelle d'une pratique psychanalytique/philologique. Et si ce nouveau travail est universellement praticable, à Nietzsche il est applicable, lui qui en ef· fet ramenait toutes les manifestations écrites à des effets de conditions d'existence. En outre, il faut bien reconnaître que les masques, que réalise son « écriture », suppor· tent le choc et même se laissent volontiers percuter, car ils se veulent par eux-mêmes provoquants. Enfin, l'assimilation aux concepts freu· diens est aisée, car il est toujours possible de ramener le plus au moins : Nietzsche implique Freud et même davantage, si l'on veut bien considérer ce qu'il veut nous mettre en évidence : tous les « peut-être » dans la manifestation et tous les démasquages de sa « psychologie des profondeurs».

Pour une historicité stratifiée ))

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Certes, qui veut procéder au n'avance guère dans la lecture de Nietzsche, et tous les « nietzschéens» seront d'accord. En fait foi, un texte qui me tombe sous les yeux, parmi'tant d'autres : « on doit ranger la plus grande partie de la pensée conscien· te parmi les activités instinctives, il en est de même de la pensée philo« commentaire' simple»

sopique» (Par delà le bien .et le mal, § 3). Jean-Michel Rey suscitera néanmoins des réactions scandalisées, puisqu'il veut étreindre « le désir sans fin déplacé et idéalisé, sans fin réinvesti par des détours inédits» (p. 12) qu'est le désir inhérent au discours philosophique. Discours auquel est ici re· porté le processus du refoulement avec « interdit» et « castration ». Contre le commentaire stérile qui « dissimule » de connivence avec la philosophie commentée, Jean-Mi. chel Rey tente une nouvelle prati. que pour « traiter» le texte comme il peut le mériter, contre la disqua. lification du corps, pour l'exhumation d'une «historicité stratifiée» (p. 34). « Interprétation du corps et malentendu du corps », telle est la phi. losophie pour Nietzsche, ainsi que le souligne Jean-Michel Rey, et cet· te « logique de la fiction » comporte tout un système d'oppositions dé· noncées par Nietzsche dont le dualisme âme-corps est le modèle. C'est à partir de ce modèle à réduire que Nietzsche cherche à « produire et mettre en scène ce qui rend possible ces oppositions » : par-delà les dua· lismes, il découvre à nos yeux, il dévoile, non pas une « vérité », mais le « procès infini de l'interprétation», sa différentielle; et cela contre le désaveu pratiqué par la métaphysique à l'endroit de ce qui l'a mise en acte. La logique philosophique devient alors une logique du désir, « qui n'est, écrit JeaJlooMichel Rey, que l'autre nom du jeu des instances saisi dans sa face « trop humaine ». La philosophie des valeurs devient ici un réinvestissement des signes, une perte de valeur : « équa-

tion où la valeur et le mot se confondent». Telle est cette fameuse « transvaluation» des valeurs, qui n'est que l'effet du « surplomb du signifiant» : la métaphore est usée sans être nommée jamais, Le leurre de la métaphore reste en pointillé dans les textes qui suivent son tracé en niant ce support : Nietzsche désinvestit et déréalise le discours ainsi défini, pour finalement éclairer les « jeux de mots )1 que sont le sujet et l'être. Le discours métaphysique est donc épuisé à sa source, là même où s'échangèrent le signe et la valeur, dans un « espace théologique». Aussi toute présence n'est-elle que dissimulée, voilée, masquée : ainsi en est-il de la vérité que les philosophes ne réussirent pas à séduire (voir la préface de Par-delà le bien et le mal).

Un geste ininterrompu Non plus des « vérités», mais seulement des « lignes d'horizon de notre connaissance », mais aussi un horizon de peu de profondeur, comme le remarque Jean-Michel Rey, c'est à quoi aboutit la destruction nietzschéenne. Mais cette destruc· tion était en puissance dans le texte même de la métaphysique dans la mesure où « elle a en même temps effacé son texte dans son tracé et institué une hiérarchie des signes et des valeurs : les deux gestes sont liés intimement et relèvent des mê· mes procédures syntaxiques et logiques, ils s'empruntent mutuelle· ment leurs ressources pour s'établir et se codifier ». On le voit, le véri· table « Livre du philosophe », c'est désormais le livre désarticulé, dé· truit, vidé de ses bourdes. Entre autres, tel est le Zarathoustra qui, en tant que « livre », « peut se lire comme la subversion totale de l'es· pace du livre, sa mise en scène qui en disperse les éléments et les redistribue suivant une autre articu· lation, suivant d'autres axes». Le livre fait semblant de commencer et de finir, en fait il est un geste interrompu : il n'est que l'effet d'un procès. Il est une inscription dont Nietzsche, comme le montre nettement Jean-Michel Rey, veut lire les procédures d'inscription. Nous dirions ici : lire l'indicible, lire ce que le livre ne peut pas dire et dont la lecture reste cependant possible. Certes, cette lecture indiscrète de l'indicible peut choquer certains, elle nous semble cependant loyale.


RF U

nietzschéen Loyauté, probité, vigilance : tel· les sont les « qualités » que Nietzsche ne se refusait pas, et qui devait le justifier de décrypter le Livre. Mais le monde n'est pas un livre ouvert, c'est un jeu de forces. L'articulation écriture/lecture est présente dans le Zarathoustra, en effet n'est-il pas, comme le suggère pertinemment Jean-Michel Rey, une scène de lecture et un théâtre d'écriture? L'inscription du Zara· thoustra est celle d'un tracé dans un sillon et ce tracé s'écrit avec le sang. Nietzsche n'a pas écrit: il a gravé, laissant des empreintes (ses aphorismes), provoquant, tout com· me force dans le monde, une « lec· ture productive ». Jean-Michel Rey fait·il une noue velle «interprétation» de Nietzsche? La nouveauté réside ici, non pas dans « l'interprétation », mais dans la « production ». En transgressant la transgression métaphysique ellemême (qui consiste à tourner la loi, à l'inscrire ailleurs) Nietzsche réa· lise l'indicible: et c'est sans doute ce que tente de dire l'auteur de ce livre difficile: difficile, parce qu'il doit jouer son inscription 'pour prouver l'inscription de Nietzsche. En effet, il n'y a pas de langage prévu pour « faire voir », sans abuser des signes, à la fois de décryptage du Livre et le geste que ce livre im· plique dans la continuité du monde. Dans quel sens le livre de J-ean. Michel Rey est·il un « livre » ? Commence-t·il et finit·il ? Non, il fait davantage en se faisant le livre de l'enjeu nietzschéen.

Dégager la contradiction Car, il ne s'agit pas de commen· ter le vrai et le faux, mais de déga. ger dans la gravure la contradiction instaurée « entre les « abréviations de signes» et les signes eux·mê· mes» (Nietzsche, La Volonté de Puissance; cité par J.·M. Rey, p. 199). S'en prendre au chiffre du langage chiffré, c'est ce qu'accomplit cette « lecture de Nietzsche ». Mais le signe a l'habitude du « sens» : celui·ci apparaît comme « procès de dégagement hors de ses procédures ». A la fois un résumé et un compromis, le signe reproduit l'interdit : il est stratégique. Le sens, c'est «l'effet surchargé d'un investissement », c'est un effet après coup. Là-dessus vient l' «interpré. tation » pour recouvrir les procédu.

ROLAND MOUSNIER

LA PLUME,LA FAUCILLE ET LE MARTEAU

res économiques qui créèrent le « sens » qui est, dans le passage de la Généalogie de la Morale cité ici, un « élément mobile » non pas un sens mais une « synthèse de sens» : « tout le passé historique du châtiment, l'histoire de son uti· lisation à deS fins diverses, se cristallise finalement en une sorte d'unité difficile à résoudre, difficile à analyser, et, appuyons sur ce point, absolument impossible à définir ». L'exégèse a donc ses ni. veaux dans l'épaisseur du signe, « ~vident ». Le sens ne peut être que sujet à métamorphoses sur la base d'un signifiant multiple.

BERNARD GORCEIX

LA BIBLE DES ROSE-CROIX ANNIE KRIEGEL

LE PAIN ET LES ROSES ~ONTROTSKY

LA JEUNESSE DE LÉNINE

Où s'inscrit le leurre L'enjeu des signes, on le com· prend, est l'enjeu des différents points où s'inscrit le leurre, de là les guillemets fréquents de Nietzsche : le signifiant est alors barré. Le sens n'est que l'effet d'un tel signifiant, et il est mis en question comme les termes dont on peut demander : « de quelles forces sontils les représentants? Qu'est-ce qui est investi ? De quelles équivalences sont·ils l'enjeu? Quelle loi y fonctionne toujours déjà ? », On mesure toute la distance qui sépare une telle entreprise de leèture d'une interprétation très psychologisante, mais intéressante cependant, celle de Lou AndréasSalomé, dont on vient de réimprimer le Frédéric Nietzsche (1). En effet, et bien qu'il ne s'agisse pas d'un commentaire mais d'un témoignage amical, tout ce qu'écrit Lou ne pénètre pas les masques dont Nietzsche se recouvre, y compris le masque de la folie, qu'elle constate sans réussir à en percer le mystère, qui n'est pas que psychologique; non plus, les métamorphoses de Nietzsche ne sont ramenées à leur véritable dénominateur com· mun. Quant au' « ,système Nietzsche », loin d'être vu comme un souterrain ou comme le labyrinthe optique du monde, il apparaît comme une simple « histoire de son âme ». C'est à l'écriture de Lou AndréasSalomé qu'il 'faudrait appliquer la lecture, pour y découvrir la femme. Angèle Kreiner-Marietti

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1P8YCBANALYS.

Vie et mort

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Jean Laplanche Vie et mort en psychanalyse Flammarion éd., 216 p.

La problématique de la sexualité, premier volet du triptyque présenté par Jean Laplanche sous le titre Vie et mort en psychanalyse., commence par lever la confusion si longtemps et encore entretenue aùtour de la notion d'instinct. Freud emploie instinkt pour désigner l'instinct au sens traditionnel du terme, « un comportement préformé, dont le schème est héréditairement fixé et qui se répète selon des modalités relativement adaptées à un certain type d'objet» (p. 20); s'il fait intervenir le mot Trieb, d'une valeur étymologique parallèle au précédent (racine: pousser), c'est, pour lui qui est si attentif aux valeurs du langage, dans le but de greffer, sur une similarité, une différence - et cette différence est, en psychanalyse, proprement fondatrice. La distance entre Instinkt et Trieb, ,entre l'Instinct et la Pulsion, mesure très exactement le temps et le mouvement au cours desquels la sexualité s'institue face à l'ordre biologique, décroche de l'organisation vitale, « naturelle ». Pour décrire le mode spécifique d'articulation de la pulsion à l'instinct, Laplanche est obligé de rétablir, encore, un autre terme freudien, anlehnung, qui désigne le processus capital de l'étayage : « la pulsion sexuelle s'étaye sur une fonction non sexuelle, vitale, ou, comme le formule Freud... « sur une fonction corporelle essentielle à la vie » (p. 31) ; on pourrait parler ici d'un temps contre- : au double sens de la préposition, qualifiant aussi bien la proximité que l'opposition, pour marquer ce rapport dialectique de la pulsion à l'instinct. Il y a un étrange « destin » des mots ,de la pulsion : au lieu d'étayage (pourtant proposé, note Laplanche, dès 1923, par Mme, ReverchonJouve dans sa première traduction des Trois essais), les traductions française et anglaise ont mis en circulation le terme jargonnant d'« anaclitique », lequel, servant à désigner un type de choix d'objet opposé au type narcissique, véhicule toute une « théorie de la relation à la mère» et assume, en tout état cie cause, une fonction idéologique de couverture, ou d'occultation, de ce moment primordial, originaire, dans la théorie freudienne, qu'est

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l'émergence de la sexualité. Si «la sexualité, tout entière d'abord appuyée sur la fonction, est en même temps tout entière dans le mouvement qui la dissocie d'avec la fonction vitale », (p. 34, souligné par Laplanche), réciproquement, la logique freudienne déployée à partir du thème de l'excitation, en arrive à poser toute dissociation comme instauratrice de sexualité, « toute fonction, et finalement toute activité humaine... peut être érogène» (p. 39). Reste à décrire et à rendre compte de ce mouvement de dissociation, de cette «légère déviation », de ce « clinamen» à partir de la fonction. Laplanche ne peut faire mieux, ici, que de citer Freud : « L'excitation sexuelle se produit comme effet marginal (Nebenwirkung) de toute une série de

processus internes dès que l'intensité de ces processus a dépassé certaines limites quantitatives» (p. 40). Le recours à la quantité est une des constantes de la pensée freudienne; mais il faut bien voir que, chez lui, la quantité est toujours liée à des seuils, à des lignes frontières, que leur passage, leur transgression met à jour, à des nœuds à partir desquels s'opèrent des bifurcations, s'effectue un saut qualitatif; elle se lit dans un système, une structure. Evoquer ici un « clinamen » emprunté à la métaphysique atomiste d'Epicure et de Lucrèce n'est pas S4l!S danger; c'est supposer qu'une pure accumu· lation de quantité - mais cela existe-t-il ? - produit comme spontanément (clinamen 1) une transformation aussi radicale que la se-

cousse sexuelle originaire. En fait, à diverses reprises, Laplanche désigne la structure au sein de laquelle le phénomène quantitatif peut produire son effet « L'ordre vital, dit-il, comporte ce qu'on peut appeler une imperfection fondamentale chez l'être humain, une véritable déhiscence. Ce qui est « perverti » par la sexualité, c'est... une fonction débile, prémature » (p. 45). L'immaturité de la structure biologique de l'homme serait précisément le terrain propice aux déviations, aux « aberrations », la brèche appelant toutes les formes d'intrusion; il convenait peut-être de signaler à ce point la théorie de la foetalisation de l'espèce humaine proposée par Bolk et dont on sait tout le parti qu'a tiré Geza Roheim. Une des caractéristiques les plus spectaculaires de cette immaturité se manifeste précisément dans l' « instauration diphasée» de la sexualité, et Laplanche montre comment à la fois la sexualité vient trop tard comme processus organique, et trop tôt comme « relation interhumaine» (p. 77). La défaillance des montages instinctuels chez l'homme, la « perversion » de l'ordre vital « infesté », comme le dit fortement Laplanche, par la sexualité, s'expriment en processus véritablement constitutifs du sujet humain. La continuité fonctionnelle qui mène du besoin à l'objet réel (de la faim au lait/sein nourricier) est rompue: perte de l'objet; l'extériorisation fonctionnelle est du même coup renversée : rebroussement auto-érotique; la dé-naturation de l'instinct appelle l'occupation du corps biologique par les fantasmes parentaux : « l'excitation sexuelle» est vécue par l'enfant comme « un corps étranger interne» (p. 43, souligné par Laplanche). Poser la sexualité, au moins dans son temps essentiel d'émergence, comme perversion de l'instinct, de la « nature », comme coextensive donc au procès même d'humanisa· tion (ou d'hominisation), c'est dé· finir le principe fondamental de ·la révolution freudienne; .on comprend qu'à l'accusation de « pansexualisme » - la plus repandue Freud n'ait riposté « que 'de biais » : c'est qu'il va beaucoup plus loin que de « mettre de la sexualité partout », puisqu'il en fait l'origine même, l'originaire de, l'homme comme tel. C'est un coup terrible et décisif porté li la vision naturelle


Retour de la rhétorique

en psychanalyse (quel que soit le système qu'elle informe, : idéalisme, vitalisme ou mécanisme) de l 'homme, vision dans laquelle est « tenue », depuis Platon, la pensée occidentale. Que le sujet de la philosophie traditionnelle, le sujet du Cogito, soit entraîné dans le démantèlement opéré par Freud, cela est inévitable, et c'est avec une parfaite logique que Laplanche fait succéder à la problématique de la genèse sexuelle uné problématique du moi, où il découpe avec une extrême précision les ,processus et fonctions du moi. D'une analyse particulièrement serrée et minutieuse, nous retiendrons donc, plus ou moins arbitrairement, mais en tout cas parce qu'elles nous paraissent étroitement reliées aux recherches théoriques actuelles, la reprise de la thèse freudienne de 1895 posant, « d'emblée le moi comme n'étant pas essentiellement un sujet» (p. 113), mais précisée et développée par Laplanche en cette proposition plus pratique : «le moi est... une sorte d'objet. relais, susceptible de se donner, de façon plus ou moins usurpée et trompeuse pour nous, comme un sujet voulant et désirant » (p. 114) ; )a relation du moi à la « conscience de réalité », où il apparaît que le moi « n'apporte pas un accès' privilégié au réel, mais... va permettre à la réalité externe de jouer seule, tandis qu'ü va mettre hors de jeu la pseudo-réalité d'origine interne » (p. 106); enfin et surtout, l'idée d'une « sorte de reprise des fonctions vitales, débiles et immatures, par le moi et son support libidinal » (p. 141), reprise qui rend compte, sans doute, du prodigieux acharnement mis à vouloir assurer l'autonomie du moi et l'instance transcendantale du sujet. Traitant enfin, dans un troisième mouvement, de la pulsion de mort, Laplanche écarte la tentation psychographique : que la guerre, la maladie, la mort de sa fille, l'hos· tilité ambiante, aient profondément affecté Freud, nul n'en doute; mais une accumulation d'événements ne saurait expliquer l'opération théorique monumentale que constitue l'inscription de la pulsion de mort dans le système freudien. Inscription préparée, certes, comme le montre Laplanche, par maintes élaborations antérieures. Mais la pul. sion de mort n'est pas sommation de traits - empruntés au masochisme, au sadisme, à l'agressivité, au principe de plaisir, etc. mais

bien, comme jadis la sexualité, une pièce capitale dans la construction freudienne, et comme précédemment, c'est en termes de révolution qu'elle s'évoque. Avec Eros, Freud semblait faire un pas en arrière : force de liaison, d'intégration, force de vie, n'était-elle pas, écho de l'idéalisme platonicien, réhabilitation dé l'ordre naturel et vital? Mais le Zwang freudien, son daimon en quelquë sorte, dont Laplanche tout au long de son ouvrage n'a cessé de suivre, avec une vigilance aiguë, les subtils et souvent étranges cheminements, pousse Freud deux pas en avant : la pulsion de mort renouvelle cette rupture du vital opérée précédemment par la sexualité; mais alors que celle-ci continuait de s'étayer sur la fonction, la pulsion de mort porte son attaque et s'installe au cœur même de la vie, l'ébranle dans ses fondements, dans son être même remettant du coup en question l'existence même d'un être de ce nom. « Cette compulsion à démolir la vie » pousse à la limite - pour certains, la limite de l'absurde - « la subversion généralisée introduite par la sexualité », pour aboutir à la proposition selon laquelle « la pulsion de mort est l'âme même, le principe constitutif, de la. circulation libidinale» (p. 211). C'est une proposition qui, littéralement, donne à penser : peu, à ce jour, s'y sont risqués. Redistribuant, selon trois axes capitaux - la sexualité, le moi, la mort - la riche et complexe production de concepts freudiens, Jean Laplanche accomplit l'exploit intel· lectuel (la passion y est incluse) de livrer en deux cents pages limpides, non seulement une lecture/analyse rigoureuse de quelques ensembles freudiens fondamentaux, mais encore le dessin des lignes de force inconscientes qui commandent ces ensembles et les transforment. En un temps où des tas de petits poucets chaussent à la six-quatre-deux les bottes de sept lieues de la théorisation, Vie et mort en psychanalyse fournit la preuve que, pour la pensée freudienne définie comme mode original d'intrication de l'ex· périence et de la théorie, l'abord historico·structural pratiqué par Laplanche est une des voies les plus sûres et les plus efficaces pour sai. sir l'ampleur et l'audace de la pero cée prati~théorique de Freud.

Roger D'adoun

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A. Kibédi-Varga Rhétorique et littérature Didier éd., 235 p.

La rhétorique occupe une place prépondérante dans l'analyse du discours : les rhéteurs sont parmi les premiers précurseurs du structuralisme en littérature. L'idée que l'amvre d'art verbale obéit à des règles de construction strictes et inéluctables qui, de par leur nature même, imposent des limites à l'arbitraire de l'inspiration, n'est pas étrangère à cette conception artisanale de la littérature, développée, par exem· pIe, par Barthes, dans le Degré zéro de l'écriture.

Les vieux principes Professeur de français à l'Université d'Amsterdam, M. Kibédi Varga, auteur d'une thèse remar· quée sur l'essence de la poésie (Les constantes du poème), a mis à profit les explications de texte qu'il avait été, amenées à conduire avec ses étudiants pour « 'établir des rapports entre la rhétorique et' l' œuvre littéraire et montrer le profit que l'étudiant, l'amateur et le critique peuvent tirer de la connaissance de la rhétorique, au moment où ils abordent l'étude des structures littéraires» (p. 15). Laissant de côté les références aux grands auteurs de l'Antiquité et du Moyen Age, il se borne à exposer les préceptes tels qu'ils ont été enseignés et pratiqués en France à l'époque classique. Il ressort de cet ensei· gnement que les trois genres de la rhétorique (le démonstratif, le délibératif et le judiciaire) correspondent aux principaux besoins de l'homme, ils « enferment et comprennent tout ce qui se passe parmi les hommes dans le commerce de la vie civile, et ce qui regarde leur bonheur dans cette vie et dans l'autre » (Le Gras, La Rhétorique française, Paris, 1671). On reconnaît ici le souci de nos structuralistes de ramener l'apparente multiplicité des phénomènes à un nombre restreint de principes et d'unités. Avec prudence, Kibédi·Varga propose une analogie entre les distinctions que les traités de rhétorique établissent pour définir les trois genres du discours et celles qui servent d'habitude à définir les. trois genres lit· téraires : le genre épique, le genre

lyrique et le genre dramatique : le lyrique et l'épique se rattachent au démonstratif et le genre dramati· que n'est pas sans analogie avec le délibératif et le judiciaire, cependant que certaines formes moder. nes du genre épique, certaines caté· gories modernes du roman, relè· vent peut-être également du délibé· ratif. Parmi les cinq parties de la rhétorique : l'inventio, la dispositio, l'elocutio, la memoria et la pronuntiatio, les deux dernières concer· nent respectivement les méthodes d'apprentissage par cœur des textes et l'utilisation de la voix et des gestes appropriés pendant la reproduction orale du discours. Selon la définition de la Rhétorique et les r~gles de l'éloquence de Gibert, Paris, 1730 « quelque soit le sujet que l'orateur ait à traiter,... il faut d'abord qu'il cherche les moyens de persuader ce qu'il avance. Il faut ensuite qu'il donne un ordre aux moyens qu'il a ju. gé convenables à son sujet; il faut ,enfin qu'il sache énoncer chaque chose selon son importance ou sa dignité» d'où les trois parties : l'Invention, l'Ordre et l'Elocution. Kibédi-Varga n'étudie que les deux premières catégories qui concernent directement les rapports entre structures théoriques et structures littéraires, pour souligner que « l'étude de l'argumentation logique est plus importante que celle des passions ; mais... persuader veut dire tout aussi bien toucher que convaincre. C'est que, en dernière analyse, la rhétorique est un art de la communication humaine; l'au· diteur-récepteur est au centre de l'intérêt ».

La rhétorique, point de départ On ne peut ne pas être frappé par la ressemblance entre la préoccupation des rhéteurs de donner des « re· cettes» efficaces pour une cuisine discursive et l'insistance de certains courants de la linguistique moderne sur le déterminisme des structures linguistiques, sur le côté systématique des langues et, partant, des œuvres littéraires, sur les règles qui engendrent, qui « génèrent » le discours. Dans la troisième partie de son ouvrage, Kibédi-Varga aborde le fond du problème : les rapports entre rhétorique et littérature. Il analyse d'abord la rhétorique comme point de départ de la litté-

~ La QuIDzaJne Uttéra1re, du 15 au 31 mars 1971

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COLLECTIONS

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Rhétorique

rature .et se demande comment la littérature s'y conforme: toute œuvre littéraire est défiirle par rapport à l'une des trois situations en rhétorique ; après quoi Kihédi-Varga étudie les rapports de la littérature avec les autres parties principales de la rhétorique : l'invention et la disposition. Travail préliminaire, souligne-t-il, et forcément incomplet : la démonstration de l'auteur ne porte que sur quelques textes littéraires des siècles classiques : trois poèmes lyriques, deux tragédies. Il met d'ailleurs en garde contre les difficultés d'étendre une telle tentative au-delà du XVIIIe siècle : la rhétorique correspond au classicisme : la littérature romantique est née du refus à la fois du classicisme et de la rhétorique; l'analyse de la littérature moderne ne pourra être entreprise dans cette perspective que lorsque la critique moderne aura corrigé les défauts de la rhétorique classique.

Retour de la rhetorique Dans un dernier chapitre, l'auteur trace les perspectives d'une telle recherche. Le retour actuel à la rhétorique est peut-être l'aboutissement d'un processus dialectique : les conditions de la production littéraire ont changé; l'écrivain sait inieux à qui il s'adresse, les oppositions du genre «extérieur-intérieur» et «objet-sujet» sont en passe d'être abolies grâce aux progrès des sciences humaines, une rhétorique nouvelle et synthétique est en train de naître avec un champ d'application bien plus vaste que n'était celui de la rhétorique classique. La littérarité n'est pas une affaire de sujet; la véritable fin de l'œuvre est l'écriture, le langage est une combinatoire, l'histoire devient une «.disposition » au sens rhétorique du terme, du passé. L'ouvrage se termine sur une note optimiste: « on est en droit d'espérer que la critique littéraire d'aujourd'hui réussira à créer une scien. ce de la littérature qui sera une rhétorique assouplie et enrichie, permettant de rendre compte de toutes les structures internes, riches et complexes, de l'œuvre littéraire, et qu'elle réussira ainsi d'une manière plus générale là où l'esthétique classique a échoué ».

Georges Kassai'

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Les collections de Maspero On ne peut qU"applaudlr aux efforts faits depuis quelques années par la collection • Bibliothèque Soclallste-, aux éditions Maspero, qui, sous la dl·. rection de Gérard Haupt et dans un domaine sans doute pal'tlouller, mals dont nul ne saurait aujourd'hui contes· ter l'Importance: celui de l'histoire des mouvements socialistes, a entrapris de mettre àla disposition des étudiants, des chercheurs, des mlll· tants ou, tout simplement, des lec· teurs Intéressés par ces problèmes, des ouvrages tenus occultés en France pour des raisons diverses quoique considérés, dans le ·reste du monde, comme de grands classiques. C'est ainsi qu'après plus de quarante ans, le public français va enfin avoir accès à la célèbre biographie de Marx par Franz Mehrlng, parue en Allemagne vers 1928 et qui. de l'avis de tous les spécialistes, reste avec la Vie de Karl Marx par Boris Nicolaievskl et Otto Maenchen-Helfen, récemment réédité chez Gallimard, l'étu· de la plus complète et la plus sOre que l'on possède sur le grand penseur socialiste Cette première traduction française de la Vie et l'œuvre cie Karl Marx, par Franz Mehrlng paraîtra, comme tous les livres de la série, avec un Important appareil critique. Précisons qu'II n'aura pas fallu moins de cinq années au traducteur, Gérard Bloch, pour mener à bien son entreprise. Le fait mérite d'être souligné car Il pero met de mesurer la difficulté d'un tel travail et Illustre bien l'esprit d'une collection dont le souci est moins de répondre à des impératifs de circonstance qu'à ceux d'une conception exl· geante de la recherche scientifique. Travail de longue haleine aussi que celui de la mise au point de la biographie de Rosa Luxemburg par P. Nettl, à paraître én 1971, et dont on n'a pas hésité à reprendre la traduction d'abord entreprise d'après l'original anglais - après la parution de ia version allemande de l'ouvrage, remaniée par l'auteur peu avant sa mort et considérablement augmentée par ses soins - Il est Intéressant de noter à ce propos que, par un curieux ratour des choses, certains autres titres et, notamment, l'Accumulation du capital de Rosa Luxemburg (réédité depuis peu dans la • Petite Collection Maspero -). ont été en revanche traduits à l'étranger d'après la version française. Parallèlement à ces· classIques de la littérature socialiste, présentés pour la plupart dans leur première traduction française ou, tout au moins, dans une traduction Inédite, la • Bibliothèque Socialiste - poursuit deux autres objectifs. Le premier est de publier des documents de base pour l'histoire du mouvement ouvrier français et International en ce qu'Ils nous donnent, à l'état brut, le témoignage de ceux qui en furent les principaux artisans, tout en nous proposant d'autre part, grâce à une longue présentation et à un abon· dant appareil de notes, des éléments d'Interprétation sur les problèmes qui se posaient en ce domaine au d6but

du siècle et qui, souvent, se posent encore dans lès mêmes termes aujour· d'huI. C'est dans cette optique que Jean Maitron et Colette Chambelland nous présentent, sous le titre de Syndicalisme révolutionnaire et communisme, les archives de Pierre Monatte, fondateur de • ta Vie Ouvrière -, grande figure du syndicalisme français, qui participa à la fondation du Parti communiste et dont les rapports avec le mouvement communiste (II démissionna de ses fonctions au Comité direc· teur du Parti en 1924) éclairent d'un jour nouveau l'histoire présente et passée du syndicalisme révolutionnaire. Conçu selon la même démarche, les Bolchévlks et ta révolution d'octobre, où se trouvent rassemblés les procès-verbaux des réunions du Comité central du Parti Bolchévlk entre avril 1917 et février 1918 (présentation de Giuseppe Boffa) , met en pleine lumière le rôle joué par Lénlné, Trots1cy, Staline, Zinoviev, Kamenev, Boukharine, etc., aussi bien dans leurs décisions collectives que dans leurs affrontements parfois critiques. Citons également les BoIchévlks par eux-mêmes, où Gérard Haupt et JeanJacques Marle ont réuni cinquante articles concernant les grands diri· geants du Parti Bolchévlk, extraits de la Grande Encyclopédie Soviétique publiée en 1924, articles qui, pour la plupart, étalent autobiographiques et que les présentateurs se sont attachés 11 compléter dans la suite des événe:ments, en précisant ce que sont devenus les protagonistes dans le cours de l'histoire soviétique; Militarisme, guerre ·et révolution, choix de textes présentés par Claudie Weill et traduits

de l'allemand par Marcel Ollivier, et qui constituent un tableau d'ensemble de l'œuvre de Karl Liebknecht dans tous les domaines de son action politique. 'Enfin, parmi les ouvrages en préparation, figurent la C0rrespondance en deux volumes de Rosa Luxemburg qui, dans le cas d'un accueil favorable, Inaugurera une série consacrée à la correspondance des grandes figures du socialisme; les Mémoires de N. Roy, communiste Indien à la personnalité singulière et qui fut le premier militant asiatique à jouer un rôle de premier plan au sein du Komintern ; une Vie révolutionnaire de Charles Rappoport, écrivain socialiste d'origine russe (auteur, notamment, d'une biographie de Jean Jaurès), qui, émigré en France, participa à la fondation du Parti communiste français dont Il démissionna en 1938, lors des derniers procès de Moscou, ainsi qu'II s'en explique dans ces Mémoires. Le troisième volet de ce triptyque autour duquel la • Bibliothèque Socialiste - entend de plus en plus articuler sa production, est représenté par des ouvrages de réflexion théorique qui mettent l'accent aussi bien sur des aspects cruciaux que sur des aspects négligés de l'histoire du mouvement ouvrier. Actuellement sous presse, Alfred Rosmer et le mouvement ouvrier inter· national, par Charles Gras, retrace au plus près, à travers la vie de ce syndicaliste qui ,fut rami et l'exécuteur testamentaire de Trotsky et se sépara du Parti communiste dont il avait pourtant été un des fondateurs, l'histoire des mouvements oppositionnels au communisme, de la veille de la pramière guerre mondiale aux années 30. Aclélliide Blasquez

LES REVUES

Annales (1970-4) présente un dossier d'une grande richesse sur le thème • Histoire et urbanisation -, où figurent notamment des études sur les villes américaines et soviétiques, et une mise au point de F. Choay sur l'histoire et la méthode en urbanisme. Sociologie du Travail (1970-4) traite également de l'urbanisme, mais cette fOl!! dans sa dimension politique (voir par exemple • La commande publique d'architecture - de J. lautman et Raymonde Moulin).

Contrepoint, revue créée l'année dernière (16, rue de la Granga-Bata11ère, Paris-go), traite dans son n° 2 de l'Union Soviétique. A signaler partlculièrement: des extraits du Programme du Mouvement Démocratique de l'U.R.S.S. (Boris L1tv1noff), et deux textes d'Alain Besançon et François Fejto. Economie et Soclét6s Onstltut de Science Economique Appliquée, dirigé par F. Perroux) : le n° 10 contient la troisième livraison d'un ensemble consacré au saint-simonisme. Le thè-

me général: les Influences exercées à l'étranger. Une étude se détache par son caractère singulièrement actuel, celle de J. Walch • Le Saintsimonisme et les grandes entreprises du XiX· siècle.•

EsprIt (décembre 1970) : deux articles, très différents de ton, sur l'enseignement. Ivan illich, qui fut membre de la communauté religieuse mexicaine de Cuernavaca, poursuit son œuvre de démolition de l'école, qu'II accuse d'être responsable de la société de consommation; Antoine Prost, de son côté, passe au crible d'une critique sans complaisance La Repr0duction de Bourdieu et Passeron. population et Sociét6s est un bullatin mensuel de 4 p'ages, édité par l'Institut National d Etudes Démographiques, qui renferme une quantité considérable d'Informations sous un volume restreint. te numéro de décembre y traite des perspectives de population à long terme, et du caractère peu réaliste de • croissance démographique zéro • dont on parle beaucoup actuellement aux U.SA., et pas seulement dans les milieux contestataires.


Les bons usages Bertolucci Le conformiste Bonaparte . Cinémonde opéra Elysées"· Lincoln 1 . Marbeuf

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sautet Max et les ferrailleurs Danton - Marignan Montrouge • Richelieu

I

Bien que leurs mobiles soient différents, provocation et pari pour Bertolucci, habitude professionnelle chez Sautet, le Conformiste et Max et les ferrailleurs s'enferment volontairement dans les limites et les règles d'un sytème commercial. Ils sont conformes et Bertolucci était certainement fort conscient de la coïncidence et de ses retombées. Les restrictions ainsi acceptées et une fols établies, Il est curieux de voir comment les auteurs s'en accommodent, comment ils utilisent les lois du succès financier, les règles de la fabrication et jusqu'à la convention du récit pour tenter d'en dénaturer l'objet, faire en sorte que la réall· sation ne coïncide plus avec son projet, s'appliquer pour que la beauté et l'Intelligence du produit soient les signes les plus visibles de cette disparité.

Une libre adaptation L'adaptation du Confonnlste fntroduit quelques différences. Elles vont du retrait à l'ajout en passant par la variation et ont toutes leur intérêt, mais Il faut retenir d'abord la nouveauté qui a trait à l'organisation même du récit. Elle· est la plus manifeste et aussi la, plus fertile. Bertolucci transforme le roman linéaire de Moravia· en une multitude étagée de retours sur le passé. Tandis qu'II suit en voiture son ancien maître libéral pour être sOr qu'II tombera dans le guetapens qui lui est tendu, un professeur fasciste se rappelle, en un désordre calculé, les événements qui, pour lui, expliquent le présent de l'année 1938 et que ce présent ordonne et fige. Ces rappels sont autant de visions qui se signaient, au contraire des brumes dont se pare d'habitude la mémoire, par leur netteté. Chacune est construite autour d'un thème moins analogique qu'esthétique. Le souvenir, pour Bertolucci,

est un objet d'art. Le passé est montré comme si le héros n'en avait retenu que des perspectives, des meubles et des papiers peints, où"'se disposent les reliques décoratives des années trente. La couleur, traitée en dominantes monochromes, concourt à cette ornementation où le mouvement ne veut plus· apparaître que comme une beauté parmi d'autres. Un envol de feuilles mortes, admirable, est suivi dans son élan. Il annnexe la scène et l'enferme dans l'admira· tion même. Il n'est jusqu'à la « philosophie -, où une référence « mise en scène - au mythe de la caverne est plus crocéenne que platonicienne, d'époque donc, qui n'apporte son glacis. .

L'avantage du procédé L'avantage Immédiat du procédé est de régler son compte au psychologisme de Moravia qui, spécialement dans ce roman, apparaît comme la conséquence lointaine d'une Inspiration sartrienne. Perdu dans l'analyse des sèntiments, dilué dans la recherche des mobiles et dans le cheminement des pen'· sées, le roman est comme le reflet anachronique et déformé de l'Enfance~d'un chef. Lé film abandonne cette obsession de la causalité intérieure et laisse avec elle une interprétation qui relevait d'une psychanalyse mécaniste. L'ambiguïté sexuelle était une clé du livre, où Marcello, torturé par sa féminité latente la combattait, précisément, par la. conformité. La voici réduite et tr~nsformée en une collection de phantasmes. Bertolucci a prêté le meilleur de son talent à produire, avec une précision attentive et un souel presque maniaque de stylisation, les scènes érotiques de 80n film. Le Conformiste est un album de hantises. La scène où Trlntlgnant observe Dominique Sanda caressant Stefana Sandrelli et où sa présence est devinée par la plus avisée des deux partenaires est caractéristique de ce fétichisme par l'Image. Toutefois Bertolucci ne semble guère conscient de ce que, en dédaignant la psychologie surannée de Moravia, Il prive son récit de sa substance politique-. Le psychologisme n'était pas une simple soumission à un romanesque désuet, Il était polémique. S'adressant à la

La Q1 dnza1ne UttéraJre, du15 au 31 mars 1971

Romy Schneider et Michel Piccoli dans c Max et les ferrailleurs _. bourgeoisie fascisante ~e l'Italie, dans les années 60, Moravia lui offrait, comme Sartre en France vlngt-clnq ans avant lui, une Image Inquiétante de ses malformations mentales. Dépouillés de cette réflexion agressive, les épisodes se vident aussi de leur sens. Ils ne sont plus que prétextes à esthétique Ingénieuse et brillante, où les figurants même ne sont que passants imperturbables, automates esclaves du décor, même s'Ils accompagnent les héros en chantant l'Internationale. Le marxisme dont se réclame l'auteur suit le sort commun. Privée de cette fiction Intérieure, la grille gramclste, sans laquelle l'opposition du maître, traditionnel, et du disciple, « organique -, est peu intelligible, devient une référence abstraite à peine perceptible. Le récit enfin pâtit de la règle qu'II" s'est donnée. Tant que le présent sert de support au jeu des retours et des évocations, la forme est équilibrée et belle. Mais lorsque, vers la fin, le passé est abandonné définitivement au profit de la seule actualité, l'intérêt, l'unité et le style fléchissent d~un seul coup. Un double crime dans une forêt, où Dominique Sanda s'écroule avec la grâce d'un animai blessé, donne au film son véritable dénouement. Au-delà le propos ne fait plus que survivre, de fausse fin en fausse fin, dans l'uniformité d'un" aujourd'hui où la beauté des formes ausl\1 bien que l'Invention des gestes, lorsqu'elles apparaissent néanmoins, ne parviennent pas à trouver leur place ni à fonder leurs prétextes.

Tandis que Bertolucci engage un pari condescendant avec le commerce, Claude Sautel. professionnel s'II en est, joue systématiquement la partie. Max et les ferrailleurs est un film français. Il renvoie tout entier au style, aux lieux et aux héros de ce cinéma. Les postes. de police, les chambres, les bistrots, de même que les policiers, les putains et les petits chapardeurs, appartiennent à la familiarité de sa mémoire. Sautet, en allant cher· cher ses héros dans le lumpenproletariat et en négligeant la mode plus récente où fleurissent les truands évolués chers à Melville et autres, renoue avec le passé de la pôésie banlieusarde et du voyou anarchisant. Il revient à ce cinéma dont Bertrand Tavernier ,écrivait : "cet art bourgeois d'avant-guerre se définit beaucoup plus nettement par rapport à son public (qui le voit ou qui inspire l'auteur) que la plupart des œuvres modernes -. (Positif, n° 117, p. 52).

Le monde de ((Max et les ferrailleurs» Le monde de Max et les ferrall· leurs est, selon le prédicat balzacien, « probable - (<< il est utile de faire observer ici que, d'abord, l'historien des mœurs obéit à des lois plus dures que celles qui régissent l'historien des faits; il doit rendre tout probable, même le vrai -. Les Paysans). Il est conduit par des décrets stricts, traditionnels, de cohérence et de bol"! fonctionnement qui seuls peuvent en assurer la vraisemblance. Sa perfection ne peut être que classique. L'émotion même que provoque les amours impossibles et déchirées de Max et de Lily, aussi bien que le' meurtre final, absurde, par lequel le policier veut se perdre dans le mal qu'il a enfanté, cette sensibilité et cette' morale concourent à la solidité de l'édifice. La perfection de Max est aussi un achèvement. La cohérence est la condition nécessaire imposée par la suffisance de son propos critique. Elle en est à la fols le ressort et le frein. L'intrigue est établie sur une machination. Elle s'articule autour de la connaissance ou de l'ignorance des personnages (Max connaît Abel, Abeli connaît Lily, Max connaît Lily, mals-Abel ne salt pas que Max connaît~ Lily et " Lily ne sait pas que Max connaît Abel). Elle est encore, sur le ton

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Le théâtre à Paris

Cinéma

du tragique, le rappel d'une méca· nique éprouvée, les engrenages du vaudeville. Et c'est assemblée selon les lois de cette architecture r~slduelle qu'apparaît, avec une évidence qui refuse les pièges et les facilités d'une thèse qui serait simplement surajoutée ou, à l'inverse, illustrée, la dénonciation. Le récit de Max souligne une double obsession policière, la hantise du flagrant délit et, corrélative, le recours à la provocation. L'un et l'autre se dessinent d'autant plus nettement qu'ils sont comme éclairés par la fiction qu'Ils accompagnent. Ils sont des principes complémentaires, indispensables, tolérés voire favorisés par la hiérarchie et dont une affaire récente, par une coïncidence- remarquable, a "montré le pouvoir. La mise en cause, et c'est une conséquence directe de l'affabulation, reste néanmoins inachevée. Elle demeure plus individuelle que col· lectlve, plus morale que politique (1). La fiction la déplace sur le terrain de l'intelligibilité pure, sinon du débat académique, où la netteté du dessin ne garantit pas toujours sa précision, mals ne l'af· faiblit pas tout à fait. Max est l'arrière petit-fils dégénéré de Ja· vert, le produit d'une police assu· rée de sa réalité et de son Indépendance, donc de son droit sinon de sa justice. SI le film la montre distincte de l'Etat, Il faut aussi savoir qu'elle se veut telle et que la critique Inscrite dans la peinture rejoint la critique de ce projet. L'ambition, chez Sautet, est plus dissimulée que chez Bertolucci mals sans doute plus ample. La sortie quasi simultanée des deux films permet de les opposer comme un art de l'homogénéité à une exploitation décorative du discontinu. Mais l'un et l'autre doivent aussi être retenus comme des tentatives non négligeables, inégalement heureuses, résolues et explicites, dans l'usage d'une forme et de moyens qui sont trop souvent considérés comme des contraintes ou des motifs de mépris. louis Seguin

(1) Lors de ses débuts, Claude Sautet. prit pour • héros ., dans Chisa. tous ris.... un truand ex-tortionnaire de la Gesta· po. Il Ignorait certainement cette particularité, mais cette ignorance montre assez les dangers Qu'il y a à prendre, sans vouloir trop réfléchir. le parti du • vécu. contre la • théorie •.

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Après le dur régime Imposé à la critique, conviée parfois à deux spectacles le même soir et mise dans l'impossibilité de couvrir correctement l'actualité théâtrale, c'est' le calme plat qui s'annonce avant la traditionnelle morte-saison de plus en piuS' étalée et que ne viendra probablement pas meubler cette année un véritable Théâtre des Nations toujours moribond et dont personne ne sait ..:..- ce qui est scandaleux- ce qu'II sera. Madame Jonas dans la Baleine, de Barjavel, qui passe de la science-

renvoyant dos à dos idéologie oppressive et bureaucratie répressive, la place de l'homme, prisonnier de lui-même, ne lui sembJe pas justement occupée. A coups de calem· bours, comme dans ses Fraises muselées, toujours à l'affiche au Kaléidoscope, de formules hâtives et parfois trop lapidaires, mais surtout grâce à une maîtrise dans l'orchestration de l'espace scénique éclaté qui n'affaiblit pas pour autant un humour propre au cabaret, il parvient avec Il faut que le Sycomore coule à dessiner sa para-

son plaisir. Tout cela est un peu débridé, truffé de gags heureux, de tendresse et de vulgarité assu· mée. \1 arrive même que la poésie, au-delà de l'Inévitable • tableau nu vivant -, entre par effraction. Et l'ennui et la bonne humeur s'entre· mêlent. Mais faute d'auteur, et parce que Savary ne veut pas se prendre au sérieux, l'Impression d'un talent gâché et fourvoyé demeure quand les lampions du bal populaire, soutenu par la fanfare du treizième arrondissement, s'étel· gnent. L'homme-orchestre qu'est Savary est un auteur manqué mals un grand animateur. Ne pourrait-II pas devenir un metteur en scène singulier?

L'Indien cherche le Bronx et Sucre d'orge

Une scène de

c

Sucre d'orge-.

fiction à l'affliction, Pauvre France, de l'ancien secrétaire de Sartre, Jean Cau, saisi par la débauche et sauvé par Jacques Fabbri, Du côté de l'autre, d'Alan Ayckbourn, qui a certainement mis à côté, et le Client, de Jean-Claude Carrière, qui est peut-être un auteur mais pas encore un metteur en scène, auront du mal à tenir le haut du p6vé au Boulevard. Quant aux rares tenta· tives des jeunes animateurs, elles sont apparues plutôt Inabouties et parfois même franchement manquées.

Il faut que le Sycomore coule. Néanmoins, Jean-Michel Ribes, auteur et metteur en scène, au Théâtre de Plaisance, d'un spectacle un peu fou, ambitieux et limité à la fois, est parvenu à ses fins premières: dire en deux heures ce qu'à vingt-quatre ans il porte de désenchantement et, malgré tout, d'espérance, dans un monde où,

bole même s'il lui arrive de s'y empêtrer. Son. Sycomore - flotte mals ne coule pas. Faut-il le regretter?

Les Chroniques coloniales. Au théâtre de la Cité internationale, le nouveau spectacle de Jérôme Savary et de son Grand Magic Circus, toujours habité de • ses animaux tristes -, tient, quant à lui, du cabaret, du cirque et de la pochade de. normalien. Cette fois, c'est l'histoire de • Zartan, frère mal-aimé de Tarzan JO qui nous est contée à travers ces Chroniques coloniales. Je ne vous raconterai pas l'histoire que vous devez imaginer en vous remémorant les bandes dessinées de votre enfance. Du reste, un spectacle de Jérôme Savary ne se raconte pas tellement : il participe d'un état d'esprit et surtout de l'envie, pour lui et ses acteurs, de s'amuser et, tant mieux si le public y trouve

C'est probablement ce qui a man· qué le plus au théâtre de la GaîtéMontparnasse. Un auteur américain, inconnu en France, y faisait ses débuts avec deux courtes pièces (une troisième, Clair-obseur y étant présentée à 23 heures) : L'IndIen cherche le Bronx et Sucre d'orge. Michel Fagadau n'est jamais parvenu à faire prendre consistance à l'entreprise. Mais peut-être n'est· il pas seul responsable? Il n'est pas sûr qu'Israël Horo· witz, du reste bien traduit par Laurent Wesman, ait quelque chose de neuf à dire : 1\ y a quelques années, Edward Albee avait su. dans Zoo story, sa seule bonne pièce, cerner la cruauté d'un mon· de implacable, l'abêtissement des gens et, surtout, l'impuissance rentrée et l'angoisse tragique de ceux dont la peur de mourir est moins torte que leur horreur de vivre. Ici, deux voyous désœuvrés, dont la silhouette est mal dessinée, s'Ingénient à martyriser un Indien pero du, renc.ontré par hasard dans la rue, tandis que dans Sucre d'orge, deux étudiants jouent sérieusement à se rêver autres. Ce n'est pas très original comme thème, surtout dans le théâtre américain d'aujourd'hui : outre Albee, il y a eu également Shisgal, par exemple, que Laurent Terzieff, qui joue avec Colette Castel, Marcel Dalio et Philippe Ogouz ces deux pièces, avait révélé naguère. A part Dalio, dans le rôle muet de l'Indien, personne ne semble à l'aise dans ce spectacle. Peut-être parce que cela a déjà été mieux dit. lucien Attoun


MUSIQUE

G.R.M.71 rari apparemment soucieux d'éviter dans Presque Rien toute « récupération • du sonore par l'esthétisme, la direction qu'emprunte François Bayle dans deux œuvres importantes (Jeïta ; l'Expérience Acoustique) pourrait à la fois constituer un relais pour l'avenir et résoudre dès à présent le difficile problème de la communicatio~.

Après la grisaille d'un automne peu fertile en découvertes, ce mois de février restera, pour nos oreilles soudain assaillies de toutes parts, celui de la fonte des glaces de la routine. Transformée, autour d'un énorme appareillage électronique, en cabine spatiale, la petite salle d'écoute perdue dans les profondeurs du Musée d'Art Moderne aura en effet vu en ce mois s'accomplir par quatorze fois le monstrueux accouplement de Pierre Henry et de son • corticalart. : spectacle aux limites de l'insoutenable que cet humain grassouillet et d'apparence paisible branché par électrodes au corps informe d'une machine, le Corticalart, inventé par Roger Lafosse à des usages d'abord purement· scientifiques. Ainsi recueillies à même son cerveau et transformées par trois générateurs électroniques en émissions sonores, les ondes électriques émises par son activité mentale (ondes alpha du repos, beta de la concentration et artefact des phénomènes oculaires) se trouvèrent sur-le-champ réutilisées par Pierre Henry en une improvisation en plusieurs temps, crachements, éclatements, vibrations complexes, longues oscillations et chavirements brusques après d'assourdissants • cr~scendl ., le tout sur fond rythmique lancinant et mixé sur l'instant avec des bandes électro-) niques toutes préparées. D'une extrême densité sonore et rendus plus saisissants encore par leur origine encéphalique, ces effets (parfois beaux) ont parait-il mené Pierre Henry au bord de l'hyp-' nose et du dédoublement psychique, ce. qui ne l'a pas empêché de. prolonger l'expérience de deux séances supplémentaires : qu'il. en soit à la fois la caisse de résonance, l'archet. l'exécutant et le chef d'orchestre, la tête pensante et la victime consentante, symbolise sans doute une étape futuriste du mythe d'Orphée, mais d'un· Orphée aux Enfers de la machine et capable de succomber comme quiconque aux surenchères publicitaires. Moins spectaculaires, sans doute, mais généralement moins éprouvantes, les Joumées-Rencontre or· ganisées à cinq reprises par le Groupe de Recherches de l'O.R. T.F. permettaient de dresser, en une approche de jour en jour plus panoramique, le bilan riche et va-

différentes émissions vocales de rié des expériences, des recherchoristes chargés d'assurer, en diches théoriques ou des créations rect cette fois, le rôle d'une partiachevées auxquelles se sont attetion concrète. Un projet un peu lés, en trois ans de quasi-retraite analogue semble avoir dicté à Guy laborieuse, les émules de Pierre Reibel ·son Jeu d'Echanges pour Schaeffer. A la fols souhaitée et trois orchestres qui, loin de susci· redoutée par ces exp~rimentateurs soucieux cependant de • donner à ter comme prévu • l'i.rrationnel, l'imaginaire et peut-être la musientendre. en musiciens les richesses longtemps insoupçonnées du que., nous a paru tomber totale· monde sonore total, cette prise de ment à plat dans un espace aussi contact décisive avec le public né- exigu. Mals l'on s'amuse aux facéties qu'exécutent sur' scène, dans cessitait une organisation sans fall· les (à peine compromise par une . Musique en Liesse du même augrève de dernière heure), une grille teur, un guitariste et un pianiste, émerveillés comme des enfants de très aérée (quatre • tranches. faire éclore ici ou là mille objets d'une hèure séparées, de 18 h 30 à minuit, par de longs entractes) et sonores associés, dans un montage malheureusernent un peu lâche le choix difficile de cadres privilégiés, susceptibles de compenser et finalement languissant, à toutes sortes de musiques traditionnelles, l'absence de dramatisation d'une d'extraits de jazz et d'évocations écoute aveugle face aux seuls haut-parleurs. L'église Saint-Sévesonores. rin, l'Espace Cardin, le sous-sol du Mais c'est aux Halles qu'eurent Pavillon 10 des Halles : de ces lieu les grands moments de ces trois lieux finalement choisis, reteRencontres, dans l'espace à la fois nons les deux derniers pour n'avoir illimité et secret de cette grande pu assister, dans le premier, au crypte où les auditeurs, assis ou concert collectif composé et mon· allongés à même le sol, plongés té par François Bayle et Alain Saen eux-mêmes ou tendrement en· vouret. lacés, évoquaient par leur allure fantomatique quelque chose des L'ancien Théâtre des Ambassaalignements de Carnac par pleine deurs semblait, pour les œuvres lune. d'Ivo Malec et de Guy Reibel qui Treize heures de conférences et y furent principalement données, un cadre trop sage ou trop étroit. de musique étalées sur trois jours tentaient d'y établir une synthèse Le pre'mier poursuit au long de ses entre le passé (représenté par un • 3L» (Lumlnétu~es pour bande, Lumina et Lied) une expérience panorama complet de l'œuvre de Pierre Schaeffer) et le futur, peutd'élargissement Jiu matériel humain être annoncé par le • débraillé. des méthodes çoncrètes : de l'ensemble de cordes qui, dans Luml· esthétique d'une séquence d'im· provlsation, libre puis dirigée, intina, en vient à confondre ses sonotulée New Music. Située sans rités et ses attaques avec le contenu simultané d'une bande électrodoute à l'opposé de cette tenta· acoustique, il passe, dans Lied, à tive et guère plus proche des préla fusion du même ensemble avec occupations actuelles d'un Luc Fer·

La QuInza1ne Littéraire, du 15 au 31 mars 1971

Evoquant à ce propos la résistance de certains de ses auditeurs, Pierre Schaeffer (dans l'un de ses entretiens avec Marc Pierret) l'assimilait implicitement à la double nature des premières œuvres concrètes dans lesquelles « une espèce d'agression est commise sur les éléments vocaux - ou musicaux au sens traditionnel - dans la mesure où ils restent reconnaissables, même à l'état de fragments diversements répétés et malmenés. Mais d'autre part, si on oublie leurs origines, qu'on les écoute pour eux-mêmes, on commence à découvrir entre eux des relations qu'il faut bien appeler musicales •. Muettes le plus souvent, aujourd'hui, sur leurs origines concrètes grâce aux progrès des manipulations techniques, les musiques électro-acoustiques n'en continuent pas moins à exercer, par l'importance qu'elles nous forcent à accorder à leur matériau, une force • vers le bas. souvent contraire au dialogue esthétique. Des œuvres entendues à ces JournéesRencontre, celles de François Bayle nous ont paru les seules à pouvoir faire naître à l'Imagination collective une rêverie intérieure souvent issue, comme l'image surréaliste, du choc des opposés. Cette naissance d'une syntaxe aussi sensible qu'irrationnelle, c~ pable d'articuler poétiquement les objets sonores pour qu'ils ne • jouent. plus mals • fassent l'amour. constitue l'un des événements de ces Rencontres. L'autre serait peut-être l'amorce d'un grand remous de libération par l'improvisation même si elle donne lieu pour l'instant non pas au maniement délibéré d'un matériau élaboré mais à l'exploitation • à la chance. de certains tics sécrétés par ce matériau même. Mals que l'on eh soit à s'interroger impatiemment sur l'avenir du G.R.M. prouverait, s'il en était besoin, combien l'écoute de la • musique des machines. est désormais entrée dans nos mœurs. Anne Rey

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Dans les galeries CALDER L'Introduction du fer dans le paysage artistique contemporain s'accompagne d'une multiplicité significative d'optlons, de styles, de genres, qui tra· duit bien la souplesse Inattendue de ce matériau. Calder en use abondam· ment en jouant sur deux fonctions antagonistes mals qu'il traite encoJ1lplémentarité, la légèreté et le mouvement, le poids et la monumentalité. Aux mobiles répondent, en effet, les stablles. ces derniers occupent les locaux de la galerie Maeght. Leurs mas· se's n'effraient pas, bien qu'elles aient cette puissance ramassée que l'on attribue aux animaux prêts à bondir, muscles bandés, parce qu'elles se dénouent à l'Instant même où elles s'étalent concentrées au plus fort, au plus profond d'elles·mêmes. Rien n'est statique chez Calder, même cette mas· se dans toute sa formidable puis· sance.

IPOUSTEGUY Occupation de 'la galerie Claude Bernard par un personnage légèrement plus volumineux que la normale et qui, selon les dires mêmes du sculpteur, Ipousteguy, est un prisonnier mangeant avec appétit ses gardiens. Cela pour~ rait être une proposition de dessin pour «Hara Klrl -, cela d'ailleurs, même en sculpture, reste très anecdoti· que. Ipousteguy ne montre là que' son savo~r-falre. En céramique Il a

GALERIE LAMBERT STELIO

SOLE

peintre canadien 14, rue Saint-Louis·en-I'lIe - (IVe) B.BASSANO

~,r.Grégoire·de·Tours- 326-41-43

PIERRE

DEJEAN

peintures· dessins LE SOLEIL DANS LA TETE 10, rue de Vaugirard - 033-80-91 NICOLAU8 Jusqu'au 30 mars

refait la table d'un repas dément :, crânes, tibias et boyaux, en petits pâtés et saucissons. De quoi vous lever le cœur. Ceux qui ont la nostal· gie du « Grand Guignol '. peuvent tou· jours venir quêter le petit fr~sson dans les coulisses de cette Indigestion soli· taire. '

LAGRANGE Longtemps éloigné de la peinture de « chevalet. par de multiples travaux d'intégration comme la tapisserie, ou le décor mural, Lagrange aborde une nouvelle série de tableaux à «sujet-, comme Il aime à le faire : les déménageurs et surtout les équilibristes. On reconnaîtra, au passage, ne fOt-ce qu'à titre de référence, cette manière sophistiquée de silhouetter un personnage, un peu dans l'esprit de Schlemmer qui était, au Bauhaus, professeur de chorégraphie, ce qui est logique. Mais les équilibr,istes de Lagrange dessinentdans l'espace des roues, des croix, des proUesses, qui forcent le peintre à trouver', à la fols, une écriture de la rapidité, et de l'équilibre. Cela se traduit par une touche prompte quoique affirmée" un dessin enveloppant, quoique nerveux, une mise en page claire, efficace, qui est celle du photographe qui saisit au 1/1000 de seconde un Instant de vie. (Gale...le VIIlaud-Galanls) .

Morandi: Nature morte, 1961.

BIGNOLAIS SONDERBORG Le problème de la promptitude est également celui de Sonderborg. C'est dire qu'II a été longtemps "artiste d'une gestuaUté qui se préoccupait moins de montrer, que de 'Il signifier les élans brutaux qui habitent l'homme. Il prenait alors soin de minuter l'action picturale : quelques minutes souvent. ,Curieusement, ou peut-être tout simplement parce qu'U y avait une logique profonde entre les gestes du peintre et la perception • moder· nlste - qu'II avait, visuellement, du monde, ces dessins à grandes balafres sombre~, qui Jouaient sur le fond blanc, suggéraient des pans entiers de notre environnement: courses d'automobiles, zlg-zag furieux des néons, fracas du choc de l'accident, perspectives heurtées des villes américaines. Le passage du geste, dans sa virginité, à une reconstruction vi· suelle repérable du monde amblant, pouvait être franchi très vite. Il l'est, puisque ,l'artiste nous propose cette • Cité à part -, qui reste celle de Sonderborg, mais dans laquelle on se reconnaît. Une sorte de Piranèse des gratte-cIel, des échafaudages tubu· lalres, des folles de l'électricité 1 (Galerie Daniel Gervis).

GALERIE RIVE DROITE 3, rue Duras· Paris 8" • 265-33-45

MATHIEU 19 mars - 11 avril

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A la lumière

Le cuivre martelé a connu de mul· tlples avatars dans les exercices décoratifs propres à entretenir dans les foyers la nostalgie d'horizons lointains, à 1a manière de Pierre LotI. Aussi n'est.:ce point un mince courage que de tenter aujourd'hui de l'utl· liser comme un Wosatn ou un Bignolais. Ce dernier y profile des corps ou plutôt des enveloppes de vie où l'organisation rationnelle du corps ne s'est pas encore décidée : fœtus en somme comme on en trouve parfois dans les récits de Michaux, expression apparemment consciente et assez pa· thétfque de la solitude. C'est traité sobrement, avec un sens évident de la ligne sculpturale qui sauve f'œuvre de l'anecdote et du pittoresque. (Galerie françolse Besnard).

Frédéric BOOTZ Aux termes d'un certain raffine· ment de la vision qui, paradoxalement, entend donner à voir à la fois les loin· tains mouvants de l'espace, et le détail microscopique du plus proche, Bootz (Galerie Ariel) se voit dans l'obligation de travailler sur deux re· glstres complémentaires : l'espace pictural, où le tableau s'ouvre magistralement sur les profondeurs océanes (avec quelque chose de sombre qui palpite au-delà des images) et l'espace réel·, où l'objet organise ses mises en scène, qui peuvent, au be· soin, devenir symboliques. Mais, contrairement à tous les artistes qui confectionnent des objets, Bootz le

fait sans sortir des critères picturaux, c'est-à-dIre qu'II dessine dans l'espace avec des objets. Poussant le raffinement jusqu'à la miniaturIsation.

Kimura On l'avait volontiers comparé à Bon· nard. KilT1\Jra (galerie Kriegel) s'est dégagé des suavités colorées pour donner plus de force à son graphisme, une sorte de véhémence 'à la respiration de la toile qui épouse les rythmes élémentaires : l'expression végétale, la joie solaire, les poussées de l'arbre, les enlacements de la nature. Graphisme épais souvent, quoique agile, et couleurs qui chantent avec aisance, concourent à faire palpiter l'espace, à lui donner cette élasticité par quoi, justement, Il devient présent. Jean-Jacques Lévèque

LITTERATURE POPULAIRE Les jeunes Editions de L'IMPOSSIBLE publieront prochainement les meilleurs récits d'aventures, de suspense, fantastiques ou autres... que les auteurs intéressés par la littérature "d'évasion" voudront bien leur soumettre (textes inédits: histoires brèves, contes, nouvelles...). Un fichier "illustrateurs" étant également en cours de constitution, les artistes désireux d'y figurer sont invités à communiquer à l'éditeur la reproduction photographique d'un dessin caractéristipue. Correspondance: Editions de L'IMPOSSIBLE, 151 rue du Chevalerel. 75-Paris 13·'


de Morandi Peinture. italienne - raffinée, assemblage de bouteilles dans le climat, sinon l'ombre métaphysique de Chirico, voilà un jugement sommaire, fréquemment porté sur Morandi, que la rétrospective tardive du Musée d'Art Moderne permet enfin de réviser. Les premières toiles, autour desquelles s'est sans doute fixée cette opinion, montrent en fait comment Morandi s'est débarrassé, de 1911 à 1920, souvent avec bonheur, des influences du temps, qu'elles soient cubistes, futuristes ou métaphysiques. Dès cette époque, quelques toiles révèlent et contiennent sa personnalité secrète, telle cette Nature morte de 1916 (n° 6) qu'il reprendra douze ans plus tard dans son œuvre gravé. En 1920, la Biennale de Venise lui apporte la révélation de Cé· zanne. S'ensuit une période d'interrogation où, sous les apparences trompeuses d'une facture plus indécise, Morandi opère en fait un dépouillement - aidé en cela par un retour à la gravure - qui le conduit à découvrir sa ·nature profonde que masquait la maîtrise des œuvres marquées par le mouvement • Pittore Metafisica-. Sans. rupture apparente, nous reprenons pied, devant Morandi, avec une certaine peinture dont nous risquions de perdre la notion : celle de Chardin, Corot. Cézanne, qui la tenaient eux-mêmes de Piero et Véronèse, dont l'Art restait avant tout plastique, préoccupé de formes et de couleurs dans la lumière; de quoi dérouter qui ne sait plus voir à force de comprendre. On se croit souvent quitte avec Morandi, quand on s'en tient à des impressions de raffinements vite monotones. C'est faute de s'y arrêter, car la révélation ne peut naître ici que du même regard attentif posé par Morandi sur les choses. Il est en effet le type même du· peintre qui, restituant sur son tableau l'évidence qui lui est révélée, permet à l'amateur de connaître, à son tour, ce moment délicieux où regarder devient VOIR. Quelques pas de recul suffisent pour voir tout d'un coup se dégager les lumières et les ombres d'un paysage qui, de près, restait uniforme, comme voilé. Pourquoi les valeurs claires et foncées sontelles si peu contrastées? Parce qu'elles peuvent ainsi être vues simultanément; leur rapport reste

Lam

alors perceptible et leur opposition compose le tableau sans en détruire l'unité. Ces masses d'ombres allégées par l'épaisseur de l'air et par les reflets des lumières qui les entourent ne sont pas nées de spéculations mystiques, mais d'une observation de la nature, d'une contemplation, d'une méditation. Ne pas se laisser distraire du problème fondamental de la lumière explique le choix de ces paysages faits d'un chemin, d'un talus, de simples masses d'arbres, de reliefs légers où se posent les cubes élémentaires des maisons sans fenêtres, apprises chez Cézanne. Même choix dans les objets. dont la simplicité ne vient jamais d'une Intention morale d'esthète épris de pauvreté ou d'austérité, mais d'un regard cherchant la vérité dans ses nuances.

La pauvreté pour le peintre qu'est Morandi, c'est la ligne droite, l'angle aigu, la couleur aplat. La richesse, c'est l'arête usée, l'angle arrondi, où hésitent ombre et lumière et qui permettent la modulation d'un contour, qui n'est pas dessiné, mais peint dans l'espace. La richesse, c'est la couleur incertaine dont on ne sait jamais s'il s'agit de celle du dessus ou du dessous, celle de la surface ou de la matière, celle des reflets des couleurs. voisines ou du ton local de l'objet lui-même. La douceur surprenante des couleurs répond à la même préoccupation que celle évoquée à propos des valeurs. Les couleurs violentes ne peuvent être vues ensemble; elles détruisent le tableau comme trop d'épices le goût. Morandi ne les raffine pas, mais en affine le rapport jusqu'à la limite de la perception, afin d'en exalter la vibration, On comprend l'utilité de la • célèbre - poussière qui recouvrait les objets de son atelier et à laquelle il tenait tant. Ces formes multiples, de couleurs changeantes, disposées différemment, sous des perspectives diverses, dans une lumière variable, composent une œuvre continue dont Morandi souhaitait que chacun des éléments soit regardé isolément : ce que l'accrochage londonien permettait et qui, malheureusement, n'a pu être repris au Musée d'Art Moderne.

La QulnzaIne Uttéraire, du 15 au 31 mars 1971

Jean-Ple~re

Préface d'Yvon Taillandier 85 pl. dont 11 en couleurs Denoël, 120 p., 140 F.

1

Mythologie ou zoologie, ou zoologie mythologique, l'univers de Lam, ce • Lamland - comme l'appelle Yvon Taillandier, nous semble redoutable dans la mesure où une infra-humanité y apparaît dans un rapport biologique avec le monde animal. Monde inquiet comme tout monde inquiétant, armé pour la menace et l'agression, l'arme inventée par l'homme se confondant avec l'arme naturelle, là où la dague re· joint le bec, -la flèche le dard, l'épieu l'ergot, le pic le croc, le harpon les cornes. Les chevaux' et les insectes, les oiseaux et les cerls-volants (les cerls qui volent), et ces idoles hésitant entre deux modes de représentation la Dame à la licorne devenue tout à la fois dame et licorne - avec leurs faux, leurs fouets, leurs aiguillons, leurs ailes et leurs sexes,' surgissent comme ces dieux que les légendes font descendre, déguisés, sur la terre, pour y commettre quel· que auguste forlait, s'y fiancer avec d'innocentes victimes ou s'assurer de l'adoration de leurs adorateurs. La fiancée d'un dieu, Lam en a fait le portrait. Hérissée d'épines et se consumant sous la cendre rouge, elle est déjà elle-même déesse pero sécutée de la persécution. Et les dieux dont ·parle le préfacier de ce livre où chaque page, chaque image, agite notre imagination, sont précisément des dieux déguisés, tnmsfuges en terre cubaine de l'Afrique

Wifredo Lam : Dans le milieu familial,

1969.

ancestrale. • Persécutés par les Espagnols catholiques, traqués par la police, ils ont pourtant subsisté, mais à la faveur d'un déguisement •. Ainsi Shango, le dieu noi[ de la foudre, secrètement adoré sous les traits d'une sainte, Barabara. Cette transfusion, cette confusion des cultes, entraîne le mythe dans le pur domaine de l'inabsolu. Et l'inabsolu trouve sa parfaite incarnation dans le monstre. C'est pourquoi Yvon Taillandier a étudié particulièrement le caractère tératologique des créations de Lam, s'inter· rogeant sur leur hybridité, analy· sant chaque cas avec une curiosité d'anatomiste. Pour Wifredo Lam, pour ses des· sins à l'encre de Chine ou au fusain, tracés avec une énergie qui ajoute à la puissance des idées le langage de la certitude, pour ses lithographies et ses eaux-fortes destinées à l'illustration de l'Antichambre de la Nature, d'Alain Jouffroy, de Lessive du loup, de Dominique Fourcade, d'Apostroph' Apocalypse, de Gliérasim Luca, un même esprit graphique domine, celui que nous connaissions déjà par ses peintures, et qui trouve ici, dans un extraordinaire mouvement dramatique, son expression la plus précise, la plus concise et la plus acérée. Jean Selz

FRANCIS PONGE La fabrique du pré

Rosier

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Livres publiés du 20 fév. au 5 mars ROMANS FRANÇAIS Albert et Noémi Les senteurs végétales b Jeune Parque, 120 p., 25,50 F Roman érotique Yvonne Caroutch Le gouvernement cles eaux Ch. Bourgois, 224 p., 18,40 F Un recueil de nouvelles poétiques et ambiguës, ou la vie et la mort s'affrontent et s~ nourrissent l'une de l'autre S.G. Glo'zen Beacul L'Or du Temps, 160 p., 28 F Un roman • sado-masochiste It qui décrit le dressage d'une jeune femme • transformée en animai domestique ..

Marle-Claire Blais L'Insoumise Grasset, 224 p., 20 F Réunis en un volume, deux nouveaux romans de l'auteur d' «Une saison dans la vie d'Emmanuel It (voir le n° 4 de la Oulnzalne) Simone Conduché Fossiles et Fossettes Denoël, 176 p., 15 F La chronique humoristique d'une famille au sein de laquelle se joue un conflit des générations à la petite échelle Xavier Emmanueli Moriturus Denoël, 152 p., 15 F Le dialogue d'un homme avec la maladie, la mort et les médecins Solange Fasquelle Les amants de Kalyros . Grasset, 256 p" 18 .F

Par l'auteur du « Congrès d'Aix .. et de « L'Air de Venise .. (Prix Cazes et Prix des Deux Magots)

la connaissance de la pensée de ce surréaliste belge, mort en 1970

Rémy Garroux Le temps d'un week-end L'Or du Temps, 290 p., 24 F Résidences secondaires et amours collectives

la Ludvine Cher, cher Gouratzlne Ch. Bourgols, 320 p., 30,60 F Un premier roman qui décrit l'univers des exilés russes à jamais enfermés dans leurs mythes

Pierre Gascar l'Arche Gallimard, 240 p., 19 F Un roman philosophique et poétique où les grands problèmes de notre temps sont abordés à la manière de ces explorations souterraines dont l'auteur a la passion

Yves et Ada Rémy Le grand midi Coll. « Dans le Fantastique .. Ch. Bourgois, 352 p., 27,50 F Un roman qui mêle à "angoisse métaphysique une logique rigoureuse et beaucoup d'humour

Marcel Lecomte Le suspens Mercure de France, 160 p., 18 F Un texte essentiel pour

Quentin Ritzen Un final vénitien Fayard, 160 p., 15 F A Venise, la dernière aventure d'un homme qui se salt condamné

par une maladie mortelle Dominique Rolln Les éclairs Denoël, 320 p., 22 F Voir ce numéro

ROMANS

ETRANGERS Nagulb Mahfouz Passage des miracles Coll. « La Bibliothèque arabe .. Martineau, 320 p., 33 F Par un grand romancier arabe d'aujourd'hui, un livre qui met en scène le petit peuple du Caire à l'heure de la deuxième guerre mondiale Jack Kerouac Satori à Paris Trad. de l'anglais par Jean Autret Gallimard, 160 p., 13 F

Les aventures fort drôles du pape de la « génération beat .. , venu à Paris et en Bretagne faire des recherches sur l'origine de son nom et sur les sources de sa vitalité «beat It George Moore Albert Nobbs et autres • Vies sans hymen. Avec un portrait de l'auteur par Manet Trad. de l'anglais par Pierre Leyris Mercure de France, 240 p., 24 F Un recueil de nouvelles dO è un des écrivains les plus représentatifs de l'âge d'or du roman britannique Guido Plovene Les étoiles froides Trad. de l'italien par J.-N. Schlfano Grasset, 200 p., 20 F Roman couronné par le Prix Stregga

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Livres publiés du 20 fév. au 5 mars loren· Singer

La cible Trad. de l'américain par Michel Deutsch Denoël, 240 p., 15 F Un roman de politiquefiction basé sur une enquête policière Jean Rhys La prisonnière des Sargasses • Lettres Nouvelles. Denoël, 224 p., 19 F (Voir le n° 85 de la Quinzaine)

POESIE Anne-Marie Alblach Etat Mercure de France, 128 p., 21 F Edith Boissonnas Initiales Gallimard 96 p., 13 F Géraro Cléry Roman de l'Ue suivi de Folle à bonheur 8 lithographies de Marco Richterich Pierre Jean Oswald, 88 p., 12 F Jèan-Pierre Duprey La forêt sacrifiée et autres textes 7 III. de Troyen Le Soleil Noir, 160 P.. 23,50 F Un recueil qui regroupe plusieurs textes, épars jusqu'alors, de ce grand poète surréaliste Denise Le Dantec Métropole Pierre Jean Oswald, 176 p., 9,90 F Henri Michaux Poteaux d'angle Colt. :L'envers. l'Herne, 40 p., 14 F

REEDITIONS CLASSIQUES Gabriele d'Annunzio L'enfant de volupté Trad. de l'Italien par Georges Hérelle Calmann-Lévy, 344 p., 24 F ~éodore de Bèze

droit des magistrats Introduction, édition et notes par R. M. Kingdon .'Les Classtques de la pensée politique. Droz, 104 p., 35 F Philippe Hériat Lés noces de bronze (Les Boussardel Il) 32 ill. in texte G!lllima~d,. 3~2 p., ~9 F

Pierre louys Trois filles de leur mère Préface d'A. Pieyre de Mandiargues l'Or du Temps, 301 p., 34 F Marguerite de Navarre Chansons spirituelles Edition critique par Georges Dottln • Textes Littéraires français, Droz, 198 p., 28 F Marguerite de Navarre La coche Edition critique avec introduction et commentaires par R. Marichal • Textes littéraires français. Droz, 264 p., 48 F Plaute et Térence Œuvres complètes Texte traduit, présenté et annoté par P. Grimal • Bibliothèque de La Pléiade. Gallimard, 1 512 p., 65 F PrinCe de Faucigny·Luclnge Souvenirs librairie Académique Perrin, 288 p., 27,50 F Madame Royale, le comte de Chambord, l'impératrice Marie-Louise et la duchesse de Berry, évoqués par le petit-fils du duc de Berry "'Phi'lippe Juillan D'Annunzio Nombr. illustrations Fayard, 384 p., 45 F Une étude biographique .étayée sur des témoignages et des documents inédits J. et B. Massin Wolfgang Amadeus Mozart 34 i'IIustrations Fayard, 1 250 p., 65 F A la fois une biographie, une histoire de l'œuvre et une synthèse des rapports entre la vie du compositeur et sa création musicale

CRITIQUE HISTOIRE LITI'ERAIRE A. Bonzon La nouvelle critique de Racine A.G. Nlzet, 220 p., 19,35 F D'après un cours • d'extension . universitaire •.

La QuIDzalne Uttâ'aJre, du 15 au 31 mars 1971

professé à l'Université de Sao-f'aulo Françoise Collin Maurice Blanchot et la question de l'écriture Gallimard, 256 p., 23 F Une étude d'ensemble de la pensée de Blanchot, fondée sur une connaissance approfondie de son œuvre de critique et de fiction Gombrowicz Sous la direction de C. Jelenski et D. de Roux L'Herne, 490 p., 59 F Un ensemble de textes qui groupe la correspondance de Gombrowicz, des Inédits, des entretiens et sa dernière interview Léon Gorny Diderot, un grand européen Grasset, 424 p., 35 F Un livre qui, à travers l'analyse des multiples perspectives de l'œuvre de Diderot, s'efforce de dégager la figure d' • un des plus grands agitateurs de tous les temps. Paul Nizan Pour une nouvelle culture Textes réunis et présentés par S. Suleiman Grasset, 328 p., 25 F Un recueil des chroniques de Nizan dans. l'Humanité ., • Le Soir. et la revue • Commune ~ Pascal Pia Romanciers, poètes et essayistes du XIX" siècle • Dossiers des Lettres Nouvelles. Denoël, 576 p., relié toile, 45 F Choix de chroniques dues au récent lauréat de l'édition critique Francis Ponge La fabrique du pré Nombr. illustrations Coll. • Les sentiers de la création· Sklra, 160 p., 48 F (Voir les nO' 24 et 46 de la Quinzaine) Positions et oppositions sur le roman contemporain Klincksieck, 254 p., 28 F Actes du Colloque de Strasbourg (avril 1970) Robert Poulet Mon ~i. Bardamu

Plon, 192 p., 20,40 F Portrait du célèbre héros de Céline

SOCIOLOGIE PSYCHOLOGIE Michael Balint Le défaut fondamental aspect thérapeutique de la régression Trad. de l'anglais par J. Dupont et M. Viliker Payot, 272 p., 30,70 F Dernier livre publié par le grand psychanalyste anglais Edith Falque Voyage et tradition Approche sociologique d'un sous-groupe Tsigane: Les Manouches Payot, 264 p., 25,70 F ·L'avenir des 100 000 tsiganes qLII vivent en France, au sein d'une société technocratique J. Leplat, G. Mialaret, R. Pagès et M. Reuchlin Traité de psychologie appliquée • tome 1 : Les applications de la psychologie Sous la direction de Maurice Reuchlin P.U.F:, 240 p., 24 F Margaret Mead Le fossé des ' générations Trad. de l'américain par J. Clairvoye Coll.• Médiations. Gonthier-Denoël, 160 p., 12 F Une analyse de la mutation sociale qui, en bouleversant les normes du processus de la transmission culturelle, suscite un fossé entre ·Ia nouvelle génération et la précédente

ENSEIGNEMENT PEDAGOGIE Charles Debbasch L'Université désorientée Autopsie d'une mutation P.U.F., 176 p., 15 F La réflexion d'un spécialiste sur l'actif et le passif de la réforme universitaire O. Giscard d'Estaing Education et civilisation Fayard, 256 p., 25 F Par ·Ie frère de l'actuel ministre de l'Economie et des Finances, une étude qui préconise une conception nouvelle du rôle de l'Etat et une régionalisation de l'enseignement

PHILOSOPHIE Dominique Aubier Le principe du langage Plaidoirie pour une cause gagnée, tome III Ed. du Mont-Blanc, 320 p., 30,7~ F Une exploration. du fonctionnement de l'esprit, à travers l'étude des 22 lettres de l'hébreu carré Hommage à Jean Hypollte Ouvrage collectif P.U.f., 240 p., 24 F Un ensemble de textes dus à quelques-uns des amis et des plus proches élèves de J. Hyp olite Jean Piaget Les théories de la cauSalité Avec la collaboration de M. Bunge, F. Halbwalchs, Th. S. Kuhn et L Rosenfeld P.U.F., 212 p., 27 F Comptes rendus des travaux sur la causalité . menés au Centre International d'Epistémologie génétique

A. Moles et J.-M. Mouchot les méthodes des sciences humaines . dans l'entreprise Fayard, 240 p., 25 F Un inventaire des méthodes intellectuelles '. ESSAIS de création et d'action appliquées dans le cadre de l'entreprise Pierre AIe'Chinsky Roue libre Gaston Varenne Nombr. illustrations l'abus des drogues Coll. • tes sentiers • Psychologie et . de ·Ia création. Sciences I;fumaines • Ch. Dessart, 418 p.".32 F. ,; S~ira, 160 p., 48 F La toxicomanie moderne et ses conséquences Miguel Angel Asturias physiques, morales et Trois de quatre' soleils biOlogiques Nombr. illustrations

Coll.• les sentiers de la création. Skira.. 160 p., 48 F (Voir les nO' 4, 9, 43 et 112 de la Quinzaine) Rachid Boudjedra

La vie quotidienne en Algérie Hachette, 256 p., 22 F Par l'auteur de • la Répudiation " un ouvrage qui inaugure cette nouvelle série consacrée aux • Vies quotidiennes contemporaines. A. Pieyre de Mandiargues Bona l'amour et la peinture Nombr. illustrations Coll.• Les sentiers de la création. Sklra, 160 p., 48 F Pieyre de Mandiargues et la peinture Marc Paillet Marx contre Marx La société

tech~reeucratlque

Denoël, 336 p., 25 F Une étude de l'évolution du monde actuel à partir d'une analyse structurelle des sociétés communistes Tentations et actions de la conscience Juive Textes introduits, présentés et revus par E. Amado Lévy-Valensi et J. Halpérln Préface de J. Halpérin P.U.F., 408 p., 40 F VI" et VIII" Colloques d'intellectuels juifs de langue française Alvin Toffler Le choc du futur Trad. de ·l'américain par S. Laroche et S. Metzger Denoël, 544 p., 25 F Essai sur les problèmes de la vie moderne et future Theo Lobsack La manipulation de l'esprit Trad. de l'allemand par R. Albeck F~yard, 280 p., 25 F les conséquences du développement de la bio-chimie et de ses applications sur l'avenir de l'humanité Menahem Mayer Le management en Israël Coll. • Management. Fayard/Marne, 256 p., 22 F Les applications du management en Israël, à travers .J'historique Au....

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développement économique, industriel, bancaire et commercial de cet Etat Christian Valin Michèle Peres-Rain L'ordinateur, le service Informatlq...e et l'entreprise Coll .• Management. Fayard, 256 p., 22 F Deux spécialistes font le point sur les multiples applications de l'Informatique à l'entreprise

HISTOIRE Jean Anglade La vie quotidienne clans le Massif Central al XIX· siècle Hachette, 288 p., 22 F Un panorama des hommes, des modes de vie, des Idées, d'où se dégage une Individualité régionale à l'Image d'une période changeante et multiforme Jacques Castelnau Histoire de fa Terreur Librairie Académique Perrin, 352 p., 30,60 F Reconstitution détaillée et portraits des principaux protagonistes de cette époque troublée Jean Delumeau Le cathoUclsme entre Luther et Voltaire P.U.F., 360 p., 30 F Une mise au point méthodique, à la lumière de la sociologie rétrospective et de la psychologie collective Sergio 1. Mlnerbi L'Italie et la Palestine (1914-1920) P.U.F., 300 p., 50 F Le rôle joué par. l'Italie en Palestine pendant la première guerre mondiale Sabatlno Moscatl L'épopée des Phéniciens Fayard, 376 p., 50 F L'aventure mal connue de ces • peuples de la mer - qui, de 1200 av. J.-C. jusqu'là la chute de Carthage ont marqué la civilisation méditerranéenne Marcel Roubault Peut-on prévoir les catastrophes natureUes? P.U.F., 176 p., 19 F Le réquisitoire d'un expert contre l'impéritie des Pouvoirs publics

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Albert Speer Au cœur du III· Reich Fayard, 800 p., 49 F (voir le n° 113 de la .Qulnzalne)

POLITIQUE ECONOI\tlQUE Julio Barreiro Violence et politique en Amérl~ue Latine Trad. de 1espagnol par G. Bessière Une analyse des diverses formes que prend la vjolence sud-américaine, par un militant politique uruguayen Raymond Barrillon Servan-Schrelber, pour quoi faire ? Grasset, 192 p., 12 F Par le chef du service politique du • Monde -, une radioscopie de J..J. S.-S. et une analyse de la modification des mœurs politiques en France Roger Beaunez Max Dejour La commune, le conseil municipal... et les citoyens Editions UniversItaIres, 184 p., 8,70 F Appuyée sur des exemples concrets, une analyse des POllslblHtés et des limites du pouvoir munl'clpal Zblgnlew Brzezlnskl La révolution technocratique Trad. de l'américain par Jean Vlennet Calmann-Lévy• 392 p., 29 F Les conséquences sociologiques et politiques d'une révo!utlon qui, des Etats-Unis, se répand peu à peu dans le monde entier et déterminera la vie de l'homme de demain Josué de Castro Géopolitique de la faim Editions Ouvrières, 484 p., 45 F Edition revue et augmentée de ce livre qui rend compte de la réalité du problème de la faim à notre époque ·François de Combret Les trois Brésil Planète, 288 p., 22 F Un témoignage de première main sur ce

pays à la fols • développé, sousdéveloppé et non développé. Roger Garaudy Reconquête de l'espoir Grasset, 160 p., 12 F Roger Garaudy poursuit ici son dialogue avec les chrétiens et son examen critique du socialisme • à la soviétique. Jules Humbert-Droz De Lénine à Staline Dix ans au service de l'Internationale communiste (1921·1931) 30 illustrations Ed. de La Baconnière, 512 p., 52 F La suite des Mémoires politiques de ce témoin privilégié du mouvement communiste C. P. Kindleberger Les investissements dei Etats-Unis dans le monde Trad. de l'américain par Annie Nicolas Calmann-Lévy, 272 p., 23 F Par un professeur à l'institut de technologie de Cambridge, un ouvrage qui jette un éclairage nouveau sur une question controversée Khrouchtchev Souvenirs Introductipn, notes et commentaires de Edward Crankshaw Trad. du russe par P Girard, R. Olclna, R.Schwat, sous la direction de Jacques Michel 56 p. de hors-texte Laffont, 592 p., 30 F (voir ce numéro de la Quinzaine) Le communisme réalité et utopie Sous ,la direction de Maximilien Rubel • Economies et sociétés Droz, 229 p., 23 F • Cahier de l'I.S.E.A.n° 11 Michel Lesage Les régimes politiques de l'U.R.S.S. et de l'Europe de l'Est P.U.f., 368 p., 28 F Une étude comparative des Institutions politiques de l'U.R.S.S. et de l'furope de l'Est ainsi que du fonctionnement des différents régimes politiques Michelle de Mourgues

Le marché monétaire dans fe système financier français Préface de J. Duhamei P.U.F., 304 p., 40 F Une étude systématique à travers laquel·le se dégage une analyse des problèmes monétaires de notre temps Philippe Richer La Chine et le tiers monde Payot, 448 p., 44,60 F Un panorama Informé Pierre Rossi Les clefs de la guerre Coli .• La Bibliothèque arabe. Martineau, 160 p., 18 F Les origines, le déroulement et les perspectives de la guerre du Proche..()rient analysés par un spécialiste des qùestions arabes

A. Rousseau R. Beaunez L'expérience de Grenoble Editions Ouvrières, 192 p., 15 F Les posslbll.ltés et les limites de l'action municipale à travers un exemple précis Jacques Rueff Le péché monétaire de l'Occident Plon, 288 p., 22,50 f Analyse sévère d'une politique monétaire basée sur. l'étalon de change-or -, • les droits de tirage spéciaux - et • le recyclage des capitaux exportés Daniel Verres Le discours du capitalisme L'Herne, 159 p., 22 F Coll. • Thêorle et stratégie De la pensée de Pompidou à ·Ia lecture d'Althusser, en passant par J..J. S.-S., le management, etc., ou la • métaphysique. d'un système qui se caractérise par son absence de sens

DOCUMENTS Rosemary Brown En communication avec l'alHlelà -P. Belfond et Les Productions de Paris N.O.E., 224 p., 18 F Le témoignage de ce curieux médium, spécialisé dans la communication avec les

grands compositeurs disparus et qui a fait l'objet d'Innombrables enquêtes Claude-Henri Chouard La grande peur du cancer Coll. • En direct. Mercure de France, 184 p., 17 F Par un professeur agrégé à la Faculté de Médecine, un document qui fait justice des mythes dont se nourrit le profane et l'initie aux réalités médicales du cancer Menle Grégoire Les cris de la vie Tchou, 276 p., 25 F Par la célèbre courriériste, un document sur les rapports humains tels qu'on les vit aujourd'hui Nlkos Kazantzakl Voyages Chlne-Japon ·Plon, 384 p., 27,50 F Une vision angoissée de la décadence de notre civilisation, par l'auteur du • Christ recruclfié Pierre et Marthe Massenet Journal d'une longue nuit Fayard, 304 p., 28 f Un témoignage à deux volx sur la Résistance et la "Ile d'un couple dans une période troublée (P. Massenet fut le premier superpréfet Igame nommé par le gouvernemènt en 1947) F. Gary Powers J'étals pilote espion avec ~a collaboration de Curt Gentry Traduit de l'américain par Claude Yelnlck 16 p. d'illustrations Calmann-Lévy, 384 p., 28 F Le témoignage de ce lieutenant américain abattu par les Russes le 1er mal 1960, puis jugé et condamné à Moscou Albert Stlhlé Le prêtre et le commissaire Grasset, 264 p., 21 F Le témoignage d'un prêtre français capturé par les Vietnamiens en 1952 et interné pendant deux années au camp n° 1

Présence Africaine, 147 p., 15 F Un symbole de la lutte pour la liberté et des souffrances des peuples africains Guillaume Hanoteau Ces nuits qui ont fait Paris Fayard, 680 p., 35 F D'. Ubu roi. à • Huis-clos ., un demi-siècle de théâtre revécu à travers les grandes • générales. qui firent le Tout-Paris

ARTS URBANISME Art et société 15 illustrations • Revue d'Esthétique. (numéro spécial 3-4) Klincksieck, 225 p., 22 F La fonction cr·itique de l'œuvre d'art et la place de l'artiste dans la société Fleurs du Népal 122 reproductions L'Or du Temps, 120 p., 70 F Photographies de sculptures érotiques du Népal

La Bible de Saint-Savin Textes patristiques traduits par la R.M.E. . de Sol ms Introduction et étude archéologique de R.Oursel 80 pl. et 4 h.-t. couleurs Zodiaque, 200 p., 45 F Une étude qui éclaire d'un jour nouveau cet admirable ensemble de fresques L'art cistercien hors de Franca Texte de Marle-Anselme Dimier Photographies Inédites du Zodiaque 128 pl. et 8 h.-t. couleurs Zodiaque, 326 p., 48 F Les témoins du rayonnement de l'Ordre des Citeaux aux XII" et Xiii· siècles en Irlande, Scandinavie, Yougoslavie, Pologne, U.R.S.S., Liban, etc.

THEATRE

Waldemar George G. Nouaille-Rouault L'univers de Rouault 46 aquarelles H. Screpel éd., 96 p., 39,50 F Collection • Les carnets de dessins-

Bernard B. Dadlé Béatrice du Congo

Hans Hœtlnk L'univers de Dürer


48 reproductions en couleurs H. Screpel éd., 96 p., 39,50 F Collection • Les carnets de dessins·

J. Capellades J. Lercaro Espace sacré et architecture moderne Cerf, 144 p., 15 F Pour une architecture religieuse appropriée à la mission de 1'>Eglise

Jean Prouvé Une architecture par l'Industrie 317 photos et 157 pl. et esquisses Artémis-Zurich, 212 p., 115 F Les réalisations et les propositions d'un des grands promoteurs de l'industrialisation du bâtiment de 1923 à 1968

Alfred ·Fabre-Luce L'été de la résurrection Grasset, 224 p., 20 f Un ouvrage qui s'inscrit dans le cadre d' • une vaste entreprise de reconstruction du christianisme....

Fulvio Rolter Freya Stark Turquie 131 reprod. en noir, 21 reprod. en couleurs Atlantls éd., 276 p., 112 F

Présentation d'A. Benoit et P. Prlgent P.U.F., 280 p., 50 F Travaux du colloque organisé en 1969 par le Centre d'Analyse et de Documentation patristiques de Strasbourg

Andréas Volwahsen Inde islamique 84 pl., 16 p. de plans originaux, 40 dessins in t. Office du Livre, 200 p., 58,50 F t'architecture du souscontinent Indien sous le règne des grands souverains musulmans

RELIGIONS Juan Arias Le Dieu en qui je ne crois pas Trad. de l'espagnol par J. Mignon Cerf, 184 p., 15 F Un commentaire original et audacieux de l'Evangile Edmond Barbotin L'humanité de l'homme Aubier-Montaigne, 324 p., 27 F Une méditation autour de l'avenir de l'humanisme dans une société vouée à • la maladie du progrès. Edmond Barbotin Humanité de Dieu Aubier-Montaigne, 352 p., 30 F Une approche anthropologique du mystère chrétien Michel Brion Les ressources du clergé et de l'Eglise en France Cerf, 144 p., 16,50 F Un réquisitoire rigoureusement documenté contre les privilèges et les bénéfices de l'Eglise

La Bible et les Pères

Marcel Legaut L'homme à la rechercbe de son humanité· Aubier-Montaigne, 288 p., 24 F Deuxième tome de l' • Introduction à l'Intelligence du passé et de l'avenir du christll!nisme • Peter Lengsfeld Adam et le Christ Aubier-Montaigne, 292 p., 27 F Renée Masslp A la santé de Dieu Grasset, 208 p., 16 F Paul Tillich Aux confins Trad. de l'anglais par Jean-Marc Saint Planète, 160 p., 25 F L'autobiographie intellectuelle du grand théologien protestant

HUMOUR SPORTS DIVERS Raymond Chanon L'entraînement à la course Nombr. illustrations Editions Universitaires, 316 p., 29,95 F Georges Coulonges Clude ou le pays des tomates plates Calmann-Lévy, 248 p., 15 F Une satire truculente et licencieuse de la technocratie et du management

La QuInzaIne littéraire, .du 15 au 31 mars 1971

Alain Saint-Hilaire Fabuleux royaumes d'Arable 32 p. de photographies 176 p., 18 F Le Kuwalt, le Quatar, Bahraln, sociétés médiévales où l'on prépare l'ère post-pétrolifère Geoffrey WilJ.lams Sir Thomas Llpton joue et gagne ou le triomphe de la technique 28 il 1., 23 dessins et cartes Arthaud, 220 p., 24 F L'aventure d'un recordman mondial de la Course Transatlantique

POCHE LITrERATIJRE Andersen Contes • Tome 3 Livre de Poche William Burroughs La machine molle 10/18 Balzac L'lIJustre Gaudlssart suivi de 5 études Livre de Poche Gilbert Cesbron

La marquise de Gange

10/18 Georges Simenon La guinguette è

deux sous Livre de Poche Jacques Sternberg La sortie est au fond de l'espace Denoël/Présence du Futur Zola Au bonheur des dames Garnier-Flammarion

THEATRE Yvon Birster Place Thiers Pierre Jean Oswald/ Théâtre ne France Une 'Chronique des temps de la Commune de Paris vus de province Eric Eychenne

Drugstore

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Pierre Jean Oswald/ Théâtre en FrlHlce Une créàtlon du Théâtre d'essai d'Alx-eo-Provence labiche

Théitre .' Tome 3 Livre de Poche

Il suffit d'aimer Livre de Poche Adolphe de Custine Aloys Bibliothèque 10/18

ESSAIS François Blncluer Les Français devant

Alexandre Koyré Mystiques, spirituels, alchimistes du XVI" siècle allemand Gallimard/Idées H. Leisegang La gnose Petite Bibliothèque Payot Jean Paulhan La peinture cubiste 8 p. d'III. dont 4 en couleurs Denoël-Gonthler/ Médiations Georges PIroué Comment lire Proust? Petite Bibliothèque Payot Jean Rostand Carnet d'un biologiste Livre de Poche Alfred Tajan René Volard Pourquoi des dyslexiques ? Dyslexie et rééducation Petite Bibliothèque Payot

INEDITS. Raymond Bali Pédagogie de la communication .P.U.F./Initiatlon philosophique La crise du langage et respectives de la société, du milieu familial et de l'école

Diderot Le neveu de Rameau Garnler-Flammarlon

Flammarion/Questions d'histoire

John Dos Passos La grosse galette Livre de Poche

R.L. Bruckberger L'histoire de Jésus-Christ Livre de Poche

Maurice Barléty Histoire de la médecine Que sais-je?

Georges Friedmann Sept études sur l'homme et la technique Gonthier-Denoël/ Médiations

Philippe Bébon Salacrou Editions Universitaires/ Classiques du XX· siècle

Maurice Druon : Les rois maudits : Le roi de fer La reine étranglée Les poisons de la couronne La loi des miles La louve de France Le Ils et le lion Livre de Poche . Paul Guimard Les choses de la vie Livre de Poche ·Eugène Le Roy Jacquou le Croquant Livre de Poche Rabelais Le Quart Livre Garnier-Flammarion Marquis de Sade

Dans le n° 112 de la Q.l., une erreur s'est glissée dans l'article sur Van Het Reve de Anne Fabre Luce. En effet, l'auteur des Soirs a publié son roman en 1947, non pas deux ans avant les Tropismes de Nathalie Sarraute (qui parurent en 1939), ma.ls huit ans après.

En ce moment et jusqu'au 4 avr·il se tient à la Bibliothèque municipale d'Orléans une exposition Georges Bataille.

Hélène Charnasse France Vernillat Les instruments à cordes pincées Que sals-je? Jacques Chaum1er Les techniques

documentaires Que sais-je? Christian David L'état amoureux Petite Bibliothèque Payot Un ensemble d'essais les responsabilités psychanalytiques sur le sentiment amoureux Massa M. Dlabaté

Janjon

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Présence Africaine Traduction des chants . épiques et d'amour des pays de la savane africaine Extraits de la presse a11em8n!1e Bilingue Aubier-Flammarlon

Guy Barbey L'enseignement assisté par ordinateur Casterman/Enfance Education Enseignement

l'Imp6t sous l'ancien régime

Georges Cerbet Piaget Editions Universitalres/ Psychothèque

Sidney Flnkelsteln Mcluhan pI'QPhète ou Imposteur? Adaptation de Ph. Burdlgal Mame/Medium Un débat autour du thème dudétennlnisme technologique Jean Gattégno La science-fiction Que sals-je? Pierre Gascar Rimbaud et la Commune Gallimardlldées Une étude sur l'évolution de Rimbaud et, notamment, sur la marque qu'a ·'aissée la Commune sur l'ensemble de son œuvre.

On sait que l'auteur de l'Expérience intérieure fut conservateur de ladite bibliothèque où son souvenir reste vivant. Une série d'entretiens ont été et seront tenus avec ~a participation de Jean Plel, François Perroux, Jean Duvlgnaud, Philippe Sollers, Claude Gallimard, J.-J. Pauvert, Lo Duca, Dionys Mascolo, Jean Schuster, Kostas Axelos, etc., sur les divers thèmes qui ont préoccupé Georges Bataille : "érotisme, la littérature, l'économie p0litique, l'exigence révolutionnaire.

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· OIJVRilGES S,IJR

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EXTRAIT DU CATALOGUE

•• JEAN CASSOU

LES MASSACRES DE PARIS ' JEAN-PIERRE CHABROL

LE CANON FRATERNITÉ PIERRE GASCAR collection "Idées")

RIMBAUD ET LA COMMUNE HENRI GUILLEMIN

.LES ORIGINES DE LA COMMUNE DE PARIS 1. L'Héroïque défense de Paris

HENRI GUILLEMIN

L'AVÉNEMENT DE MONSIEUR THIERS

Cà paraitre)

HENRI LEFEBVRE

LA PROCLAMATION DE LA COMMUNE ALBERT OLLIVIER

LA COMMUNE (collection "Idées") EDITH THOMAS

LES PÉTROLEUSES ROSSEL

2. Cette curieuse guerre de 70 3. La Capitulation de 1871

LOUISE MICHEL ou La Velléda de l'Anarchie

'Qi <Il C

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ci. ci. ci.

GALLIMARD


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