quinzainen°83

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La 3F

e

Ulnzalne littéraire

• LaS ISO

EDueûen:

e

Numéro 83

Du 16 au 30 novembre 1969

du

,Pierre

c ae er et le pot de miel


SOMMAIRE

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LE LIVRE DE LA QUINZAINE

Flannery O'Connor

Mon mal vient de plus loin

par Geneviève Serreau

5

ROMAN ÉTRANGER

Martin Walser

La licorne

par Rémi Laureillard

8 8 9

ROMANS PRANÇAIS

Georges.Emmanuel Clancier Monique Wittig Jean Sulivan Jeanne Champion Claire Gallois

Un thème privilégié: l'enfance L'éternité plus un jour Les guérillères Miroir brisé X Une fille cousue de fil blanc

par par par par par par

Figurations Poèmes - propositions - études

par Pierre Chappuis

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Michel Deguy

Claude Bonnefoy Maurice Chavardès André Dalmas Gilles Lapouge Alain Clerval Anne Fabre-Luce

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POÉSIE

14

ENTRETIEN

Pierre Schaeffer et le pot de miel

propos recueillis par Marc Pierret

18

ARTS

La Revue de l'Art

par Françoise Choay

17

EXPOSITION

Giacometti

par Jean Selz

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PHILOSOPHIE

Leszek Kolakowski

Chrétiens sans église

par Constantin Jelenski

21

ESSAI

Michel Zeraffa

Personne et personnage

par Catherine Backès

22

POLITIQUE

Brian Crozier

Franco

par Herbert Southworth

24

LETTRE D'ITALIE

Un scandale littéraire

par Guido Davico Bonino

28

THÉATRE

Grotowski à Londres et à New York Tambours et trompettes

par Raymonde Temkine par Gilles Sandier

w

par Georges Perec

Bertolt Brecht

27 28

FEUILLETON

François Erval, Maurice Nadeau.

Publicité littéraire : 22, rue de Grenelle, Paris-7·. Téléphone : 222·94-03.

Conseiller : Joseph Breithach. Publicité générale : au journal.

La Quinzaine

Comité de rédaction : Georges Balandier, Bemard Cazes, François Châtelet, Françoise Choay, Dominique Fernandez, Marc Ferro. Gilles ~, Bernard Pingaud. Gilbert Walusinski.

U~

Secrétariat de la rédaction : Anne Sarraute. Courrier littéraire : Adelaïde Blasquez. Rédaction, administration : 43, rue duTemple, Paris-4·. Téléphone: 887·48·58. 2

Prix du n· au Canada: 75

cenl~.

Abonnements : Un an : 58 F, vingt-trois numéros. Six mois : 34 F,. douze numéros. Etranger: Un an : 70 F. Six mois : 40 F. Pour tout changement d'adresse : envoyer 3 timbres à 0,30 F. Règlement par mandat, chèque bancaire, chèque postal : C.C.P. Paris 15.551.53. Directeur de la publication François Emanuel. Imprimerie: Graphiques Gambon Printed in France

Crédits photographiques Gallimard éd. Gallimard éd. p. 6 Vasco Vasco p. 7 Vasco Vasco p. 8 Laffont éd. p. 9 Magnum p. 10 Gallimard éd. p. I l Buchet·Chastel p. 12 D.R. p. 14 Fititjian-Belfond p. 16 Flammarion p. 17 Galerie Mae~ht p. 18 Galerie Maeght p. 19 Copyright New York Review et Opera Mundi p.23 Copyright New York Review et Opera Mundi P·25 Le Seuil p.26 D.R. p.27 Bemand p. p.

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LB LIV.B DB

Des soleils-poignards LA QUINZAIIJB discerné la mort sur son vuage. Ainsi, à soixante ans, eUe allait prendre contact avec le réel. L'une est atterrée, l'autre ravi, ces deux-là ne s'entendront jamais La cassure est nette, tracée au diamant. Elle ne fera plus que s'approfondir. Plus le fils est odieux - et il sait l'être - plus la mère multiplie soins et attenlions et mobilise l'optimisme des amis autour du moribond, et plus s'aggrave entre eux l'abîme, car jusqu'au bout la mère refuse la vérité de la mort, et on a presque le sentiment que le fils meurt de ne pouvoir la transmettre, meurt non tant pour lui que contre sa mère, contre son imbécile aveuglement. Il sera obligé d'entrer seul en agonie, d'affronter seul cette terreur de la mort qu'il n'avait pas prévue et qui l'assaille au dernier instant. Qui a tort? Qui raison? Qui est bon? Qui méchant? Ce n'est pas entre ces termes-là que passe la coupure : simplement il y a d'un côté ceux qui savent (ce qui ne les rend ni meilleurs ni plus pitoyables ni plus perspicaces) et de l'autre, les sourds. Pour se faire entendre, les premiers utiliseront n'importe quel moyen violent, et le plus fou en apparence sera aussi le plus efficace. "'lannery O'Connor

Flannery O'Connor Mon mal vient de plus loin Nouvelles trad. de l'anglais par Henri Morisset Gallimard éd., 280 p.

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Nous voici projetés en plein royaume des ténèbres. L'enfer c'est ici-bas, et la grâce de Dieu, qui tombe çà et là sur les plus déshérités, ressemble à l'éclair de l'épée qui tue. Dans les nouvelles de ce dernier recueil de Flannery O'Connor (1) toujours quelLa tragédie est ainsi posée dès le départ, et qui dit tragédie dit l'impossibilité de toute solution autre que la mort. Cela vient doucement, par touches irrémédiables mais légères. On admire l'étonnante sécurité, la maîtrise, l'allégresse qu'une telle certitude de la tragédie en cours donne à l'auteur. Rien de plus propice à l'humour - qui n'est jamais si

que faille profonde apparaît entre les personnages mis en présence. En dehors même des différences immédiatement visibles, sur le plan racial (les Noirs et les Blancs), ou social (les maîtres et les domestiques), ou sur le plan des générations (les mères et les fils). Cette faille est bien pire, qui n'est pas incompréhension momentanée, malentendu ou erreur réparables, mais bien l'absolu de la surdité, l'enfer de la non-communication. bien portant que dans la noire machinerie de la fatalité. Ecoutons l'attaque de la pre· mière nouvelle (celle qui donne son titre au recueil) : c'est la rencontre de la mère et du fils, l'étudiant Asbury qui relourne pour y mourir dans la maison maternelle : Elle avait poussé un petit cri et semblait atterrée. Il était ravi qu'elle eût, du premier coup

La Quinzaine littéraire, du 16 au 30 novembre 1969

Même cassure, fondamentale. irréparable, entre les personnages de «les Boiteux entreront les premiers », l'une des plus belles de ces neuf nouvelles et sans doute des plus insupportahles. Shep. pard, tout comme la mère d'Asbury, est animé des sentiments les plus altruistes et totalement imperméable à la véritable connaissance des êtres : il ne voit ni son propre fils (qu'a traumatisé la mort de sa mère) ni le petit boiteux abandonné qu'il recueille et comble de ses bienfaits. L'orphelin, après avoir fait subir à son protecteur les pires avanies, lui déclare en pleine face, qu'il n'est qu'un « gros lard, un JésusChrist en peau de toutou, qui se prend pour le bon Dieu ». « J'ai· me cent fois mieux, ajoute-t-il, la maison de redressement que la sienne... Le démon le tient en son pouvoir ~. Par la bouche infâme de l'horrible Rufus, nourri du langage primitif des prêcheurs du Sud, c'est tout de même la vérité qui passe, une certaine connaissance terrible à laquelle l'honnête Sheppard est étranger. Ah,

on n'est guère sauvé par ses œuvres ou ses mérites dans l'univers de la catholique O'Connor ! Mais l'est-on davantage par la foi ? Et faut-il appeler « grâce ~ ce don étrange de connaissance qui tombe sur le premier venu (et de préférence sur le pire) et fait de lui un ricanant messager de l'audelà? Tous ces illuminés ressemblent peu ou prou au monstreux évangéliste de la ~agesse dans le sang dont le grand-père portait Jésus dans la cervelle comme un aiguillon et qui finit par se brûler les yeux avec de la chaux vive afin d'y voir plus clair dans ses propres ténèbres. Lorsque Sheppard. lentement, faisant un prodigieux et méritoire retour sur lui-même, comprend enfin l'énormité de son erreur (la ruée de l'angoisse et de l'amour déferla sur lui comme une transfusion de vie), rien ne vient l'en récompenser sinon le petit cadavre de son fils pendu à une poutre suicidé par sa faute. Dans la nouvelle suivante - elle s'intitule «la Révélation ~ mais presque toutes pourraient porter le mot en sous-titre - la grosse et pieuse Mrs Turpin, consciente de sa valeur et de ses mérites (ordre, bon-sens et respect de soi) et en remerciant Jésus à toute heure, sera brutalement arrachée à son confort spirituel dans le salon d'attente d'un médecin par une fille inconnue, « une grosse laidasse >~ qui n'a cessé de la fixer avec hargne, et finit par se jeter sur elle toutes griffes dehors dans un accèft de rage qui ressemble à de la folie pure. Et quelque chose alon franchit obscurément l'épaisse bonne conscience de Mrs Turpin : elle était sûre, maintenant que la fille la connaissait, personnellement, profondément, par-delà le temps, les lieux et les circonstances. Elle ne se trompait pas et le message est clair : « Retourne en enfer d'où tu viens, vieux pourceau à verrues », articule la fille, et dès lors c'est en vain que Mrs Turpin tordra son esprit en tous sens pour échapper à la justesse fulgurante de ce jugement: oui, elle n'est qu'un « pourceau ~ et ses vertus seront «la proie du feu ». C'est avec la même furie meurtrière que Mary (dans « Vue sur les hois »), l'étrange et rébarbative petite fille du vieux Fortune se jettera sur son grand-père qui

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INFORMATIONS

l'adore, parce qu'il est demeuré fermé à ce qui e8t pour elle l'axe même de la vie. Il mourra de ne pu l'avoir saisi à temps, non sans avoir tué auparavant l'incompréhensible messagère d'une vérité qui le dépasBe. De la même façon, un coup de poing en apparence absurde fait chavirer dans la nuit toutes les certitudes de la mère de Julien (dans Tout ce qui monte converge), cette grosse dame touchante et ridicule, innénarable mélange de racisme, de gentillesse et de vanité désarmante. Julien lui, comme bien d'autres dans ce recueil et comme Flannery O'Connor elle-même - a fait des études à l'Université, s'est frotté à des gens, à des idées, inconnus aux campagnes arriérées du Sud. Il est revenu vivre - comme l'auteur, là encore - auprès de sa mère et il la voit telle qu'elle est, et il la hait et la raille ouvertement, détestant sa propre com· plicité de fait avec la vieille femme mais incapable d'une révolte efficace, voué d'avance à la médiocrité et le sachant. Tels sont la plupart des intellectuels chez O'Connor : des monstres de lucidité et d'impuissance. Une énorme négresse, qu'exaspèrent à la folie les bontés de la dame blanche, sera cette fois l'instrument, à la fois purificateur et destructeur, de la c révélation ~. Simone Weil écrivait : Seuls

des êtres tombés au dernier degré de fhumiliation, bien au-deuow de la mendicité... ont en fait la pOlJlJibilité de dire la vérité. Et aussi : Peut-être que Dieu se plait il utilUer les déchets, les pièces loupées, les objets de re· but. Et ailleurs : L'acte méchant est un tramfert sur autrui de la dégradation qu'on contient en soi. e est pourquoi on y incline comme ven une délivrance. On pourrait multiplier les citations de ce genre. A regarder simplement leurs deux photos, celle de Weil et celle d'O'Connor, la ressemblance frappe : même visage sans grâce, la bouche généreuse, et ces yeux cerclés des mêmes lunettes à monture de fer, large ouverts sur le monde avec quelque chose d'impérieux qui semble vouloir forcer les apparences. Catholiques toutes deux (et la chose paraît aussi incongrue chez l'une que chez l'autre), mortes toutes deux avant quarante ans, possédées toutes deux par

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une sorte de violence radicale et tourmentée, avec la même horreur organique du mensonge et de l'hypocrisie. Mais peut-être est-il vain de souligner ces ressemblances: pour notre délectation. Flannery O'Connor laisse quatre admirables recueils où chacun puisera ce qu'il lui plaira de trouver dans cet univers étroit de la surdité, de la violence, de la révélation. La mort - si proche alors - en accentue encore, dans ce dernier recueil, l'ombre et la lumière, rend plus aigu le regard, plus percutant l'humour, plus forcenée la violence. C'est toujours le Sud, paysage ingrat, jamais décrit pour lui-même d'ailleurs, qui est comme la forme visible des âmes en présence : pauvre et foudroyé par des soleils obsessionnels. Petite bourgeoisie sudiste repue de bonnes œuvres, intellectuels aux principes généreux, aux actions piteuses, Noirs hâbleurs, fainéants, rusés, tels que leurs maî· tres les ont faits, petits Blancs abrutis, à la Caldwell, méprisés par les possédants et qui se vengent en haïssant le Nègre... Flannery O'Connor les saisit où ils sont, les cloue devant nous pour toujours grâce à un art incomparable, et cruel, du détail concret : geste, regard, pauvres mots échangés - même les silhouettes de passage sont travaillées, comme le sont les personnages de second plan chez Bosch. Qui oubliera jamais, après les avoir rencontrés une fois dans ces pages, l'affreux Rufus, la laidasBe au visage bleui par l'acné, Parker le tatoué qui se fait graver dans le dos l'image de Dieu, la mère de Thomas et BeS bigoudis en caoutchouc rOBe... Et l'on re8te obsédé par ces yeux, bleu pâle, délavés, transparents - et comme ouverts par derrière sur un autre monde - des fous et des illuminés au moment de la c révélation ~, par ces soleilspoignards, ces soleils-coups de poing qui brusquement ensan· glantent le ciel et la mémoire signes vraiment ébloui88ants de la mort. ~neviève

Serreau.

(1) Morte à 3S ans en 1964, Flannery O'Connor a publié deux romans: la Sageue dan.s le IIQIIg et Ce .ont ka t1Îoo lent. qui femport4!1II, et deux reeuew de nouvelles: la Braves geJl$ lie courent pœ les rues et Mon mal VÙlnt de phu loin.. Tous quatre ont paru en français aux éditioDs Gallimard.

Adieu à

Lop Masson Poète, dramaturge, romancier, journaliste (il fut rédacteur en chef des • Lettres françaises - au lendemain de la seconde guerre mondiale), Loys Masson est mort le 24 octobre 1969 à l'âge de clnquante-quatre ans. Il avait débuté dans les lettres, en 1942. avec un recueil de poèmes intitulé Déllvrez.nous du mal (Seghers) et nous avait donné depuis, outre des pièces de théâtre et de nombreux recueils de poèmes, neuf romans (Laffont). En 1962, il avait obtenu le Prix des Deux-Magots pour son roman intitulé le Notaire des noirs et le Prix de la Fondation Del Duca pour l'ensemble de son œuvre. Charles Moulin lui a consacré une étude publiée dans la collection • Poètes d'aujourd'hui -. En mars 1970 paraîtra, chez

A paraître Chez Julliard, on annonce un nouveau roman de Michel Boulgakov : Un cœur de chien. L'auteur du Roman théâtral et du Maitre et Marguerite, publiés récemment chez Laffont (voir le numéro 54 de la Quinzaine) nous donne Ici un récit burlesque, absurde, grinçant qui a pour cadre la Russie des années 20, c'est·à-dlre une Russie où, entre la mort de Léhlne 'et l'avènement de Staline, la terreur reste encore sous-jacente et où la liberté des mœurs n'a pas encore fait place au puritanisme d'un retour à l'ordre établi. Chez le même éditeur, signalons également trois ouvrages sur l'Allemagne qui ne manqueront pas de retenir l'attention : un document sur le N.P.D. par R. Kuhn et dont le titre n'a pas encore été fixé; une étude historique sur la Gauche allemMde depuis sa naissance jusqu'au nazisme, par Gérard Sandoz; les MémoIres d'un Allemand. par Ernst Erich Noth. Auteur trilingue, E.E. Noth, qui a publié plusieurs ouvrages en français et, notamment la Tragédie de la jeunesse allemande (Grasset), réside aux Etats-Unis où Il s'est exilé en 1933. Les Mémoires de ce résistant de la première heure, dont les livres furent mis au pilon par les nazis, comprendront plusieurs volumes. Les deux premiers à paraître auront pour sous-titre les Années de guerre et les Années américaines.

Linguistique L'association Jean Favard, qui a pour but le développement des recherches dans les domaines de la linguistique formelle, quantitative. mathématique, etc., annonce parmi ses prochaines publications : Traduction humaine et m6canlque, par A. Ljudskanov; Leçons de linguistique mathématique, par A. Gladkli; lexis et metalexls : application IIU problème des

Robert Laffont, un recueil de nouvelles de l'écrivain disparu : des Bouteilles d8ns les yeux.

Ezposition Du 1'" au 15 décembre aura lieu

à la Librairie Saint-Germain-des-Prés, 184, Boulevard Saint-Germain à Paris,

une· exposition des livres - presque tous des recueils de poèmes - pu bilés par les éditions • Les Ecrivains Réunis -, (Armand Henneuse). On y verra, entre autres, des éditions originales de Louis Aragon, Henri Barbusse, Blaise Cendrars, André Salmon, Eluard, Francis Ponge etc., dont certaines sont devenues très rares, et même un petit volume de poèmes de Seghers... A cette occasion Armand Henneuse présentera ses livres les plus récents.

déterminants, par A. Culioli, C. Fuchs et M. Pecheux. La diffusion de tous ces ouvrages est assurée par les édi· tlons Dunod. Le Centre de Linguistique Ouanti· tatlve de la Faculté des Sciences de Paris s'efforce, depuis dix ans, de dispenser un enseignement Interdisciplinaire, au carrefour de la mathématique et de la linguistique. L'assi· mllatlon de cet enseignement, préci· sons-le, ne présuppose chez les auditeurll aUCI,JOe connaissance préalable. (Pour tous renseignements, s'adresser au secrétariat du Centre : Centre de Linguistique Ouantltatlve, SaintSulpice de Favières-91).

Larousse La Librairie Larousse met en sous· crlptlon au prix de 89 F un ouvrage encyclopédique consacré à l'archéo· logle. Sous la direction de Gilbert Charles-Picard, l'Arch60logle. cNcouverte des civilisations dl....... se propose de mieux faire comprendre et connaître les buts, les méthodes et les résultats de cette science mal Interprétée par le grand public. L'ouvrage comprendra 500 illustrations et cartes en noir et seize hors-texte en couleurs.

Editions uDÏversitaires Aux Editions Universitaires paraît un livre où, sous le titre de Blbllothique Idéale de poche, se trouvent répertoriés et commentés par Jean Huguet et Georges Belle les prlncl. paux romans et les principales pièces de théâtre publiés ou annoncés dans les différentes collections de poche.

Pierre Belfond Aux éditions Pierre Belfond. Marcel Béalu publie son premier roman, où le fantastique cède quelque peu le pas à l'érotisme : le Puage de la Bite.


Le rom.an allelDand se porte bien Martin Walser La licorne traduit de l'allemand par Magda Michel Gallimard éd., 389 p.

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En Allemagne, plus nettement qu'ailleurs, le roman suit aujourd'hui deux voies différentes, mais non divergentes: la voie sociale et la voie sub· jective ou expérimentale Il parvient souvent à faire la et c'est sa synthèse, grande réussite et son inté· rêt. Martin Walser témoigne de cette réussite. Déjà introduit en France par deux traductions, Quadrille à Philippeville (Plon) et Le cygne noir (Gallimard) , et surtout par sa pièce Chêne et lapins ango· ras (jouée au T.N.P.), il mérite d'être largement connu du public francais. Le roman « social» est fermement appuyé, outre-Rhin, sur la tradition. Depuis Wilhelm Meister, c'est à la fois une enquête et un constat sur l'état de la société. Le héros est un individu, très neuf et très solitaire, qui gagne son diplôme d'homme en explorant toutes les couches de cette société, en subissant ses rebuffades et en conquérant une solidité intérieure. Il doit refouler et anéantir ses « labyrinthes de poitrine » (le mot est de Gœthe et non de Joyce) pour atteindre une salutaire sérénité. La société était.elle, au temps de Weimar, une meilleure école de sagesse que la nôtre ? Il est sûr que les héros de Fontane, de Thomas Mann, de Rilke, de Musil ont à affronter un monde plus redoutable fêlé, émietté, où nulle « société de la Tour» ne vient sauver l'individu du désenchantement. Avec Günter Grass, Uwe Johnson et d'autres, la société a été une bonne fois jetée bas, et ce qui en subsiste, habité de revenants et de transfuges, n'offre plus de prise qu""a la démesure. Cependant l'allure du roman n'a guère subi de modification fondamentale. Le héros reste une sorte de picaro allemand qui appelle sans cesse par son action de nouvelles aventures sans lien évident. L'artifice de cet « apprentissage» a été assez sensible à nombre de jeunes écrivains, nourris de Joyce, de Faul. kner et de Freud, pour qu'ils tentent une autre approche de la réalité. C'est le roman expérimental où

l'attention se déplace vers le « je » du récit. L'homme-individu n'est plus un tout indivisible face aux autres, un atome insécable, mais bien un « holon », pour reprendre le terme de Koestler, à la fois tout et partie. C'est un maillon qui lui-même se décompose en chaînes nombreuses. L'individu devient dividu, et le roman explore toutes ses possibilités, ses potentialités, ses diverses motivations et impulsions. Le « moi » multiplié autorise les singulières interférences, les jeux de la mémoire et de la fantaisie, et nous en arrivons, non sans une heureuse confusion des valeurs, à un art baroque, présent chez Grass, Hildesheimer, Arno Schmidt, Martin Walser, pour ne citer que ceux-là. S'il y a divorce apparent entre le roman « social» traditionnel et le roman expérimental, et même au sein de chaque romancier, cela ne doit pas nous étonner. Plus qu'un autre, l'écrivain allemand est déchiré entre un passé littéralement inassimilable et un présent peu convaincant. Devenu imperméable aux idées reçues, aux idéologies, démocratiques ou socialistes, incrédule devant le bulletin de vote (pour un Walser ou un Enzensberger CDU et SPD sont blanc bonnet et bonnet blanc (1) ) il est sensible au dérèglements du monde, aux phénomènes hippies ou contestataires. C'est en fin de compte, dans le scepticisme que s'unissent sa Weltanschauung et son moi subjectif. Mais comme le tempérament allemand s'accommode mal du désenchantement et de la retenue, roman social et expérimentation subjective se retrouvent dans une même ironie débordante, rebelle à la discipline. Le fait est assez neuf pour mériter d'être souligné. Il permet un recul salubre, un « désengagement » à la manière d'un Joyce chez qui, d'ailleurs, l'humour est un élément constitutif. L'ironie autorise aussi une satire très efficace, de soi-même et des autres. L'écrivain allemand ne prétend plus nous apporter un message achevé, les règles d'un bon apprentissage de la vie, il nous communique les rires ou les hennissements des faunes et des licornes qui s'ébrouent. Si elle évite tout schéma didactique, cette méthode ne nous met pas moins à l'épreuve. Parmi ces maîtres d'un nouvel humour, Martin WaIser est, aux dires d'Enzensberger, « le plus bavard ». Prélude à La licorne, son précédent roman Halbzeit (non traduit) n'était pas moins épais. Cette proli-

La Quinzaine littéraire, du 16 au 30 novembre 1969

xité s'explique par le double aspect de ses romans : ce sont des œuvres à la fois construites et abandonnées à elles-mêmes. L'auteur fixe un cadre, puis laisse sa plume inventer des événements, noter des observa· tions microscopiques et appaJ;.emment sans rapport. Ces enchaînements flexibles et incongrus répondent aux sollicitations de la mémoire. Le narrateur est au lit, vacant et absent aux autres, non sans quelques difficultés familiales. Son étrange recollection le mène vers un passé récent, animé de plusieurs aventures amoureuses où Mnémosyne joue un rôle de création non négligeable. Dès lors le narrateur Anselm, double de l'auteur, s'interroge longuement sur la nature du temps et de la mémoire. Certains de ses sophismes sont saisissants : constatant que le journal parle un jour des derniers actes de Lumumba et le lendemain annonce qu'il est mort, Anselm conclut que Lumumba ne meurt pas, ne meurt jamais; le fait n'est pas mentionné dans le journal. Puis il met en doute la notion de simultanéité : est-il possible que les événements effroyables qui ont entouré la mort du héros africain aient eu lieu au moment où lui-même s'adonnait aux actes les plus futiles ? La mémoire joue aussi un rôle ambigu. Que conserve-t-elle? N'est-elle pas avant tout négation puisque l'instant mémoré n'est plus, donc n'est pas dans le temps présent ? Le récit né de la mémoire, n'est-il pas dénué de toute authenticité ? Que proclame·t-il sinon une absence, une inexistence ? Si je dis par exemple qu'Orli et Anselm se sont caressés, c'est donc qu'ils ne se caressent plus et que même, absolument, pour l'au-

jourd'hui de l'être, ils ne se caressent pas. Cette négation est encore trop, puisqu'elle laisse en place une potentialité affirmative, une sorte d'énoncé tentateur. Or, notre mémoire est faite de ces tentations. Dans notre crâne s'agitent des faits qui « entretiennent des relations à notre insu ». Il faut veiller à ces manifestations d'indépendance exhorbitantes. « Avec les faibles forces dont je dispose, je dois donc me jeter à l'assaut de ces revenants..., les poursuivre de corrélation en corrélation, les démasquer, rompre les contacts, détruire les connexions qui ont déjà eu le temps de s'établir, isoler les foyers d'agitation, les assécher, les pulvériser... Les mots se prêtent à cette œuvre d'hygiène mentale dans la mesure où, pareils aux fonctions mnémoniques, ils égalisent fourmis et gratteciel, réduisent les fourmis comme les gratte-ciel à une qualité dans laquelle grandeur et petitesse ne comptent plus, dans la mesure où elles ne sont toutes deux que des mots... /'admets « grosso modo » que de toute chose il reste des mots ». Voilà donc l'écrivain additionnant les mots par hygiène mentale, pour dompter tous les « moi » multiples et proliférants de son dividu, parmi lesquels la licorne. Quelle est

Edouard Mattei

l'amateur deeafé roman "une œuvre d'art... où les prestiges du langage concilient perfection et frémissement ". COMBAT "son livre... est l'un de ceux qui s'imposent d'emblée ". QUINZAINE LITTERAIRE

_ _ _ _ _ _ CALMANN-LÉVy

1IIIIIIIi


ROMANS

Un thème FRANÇAIS

cette licorne ? L'auteur Dote eD épigraphe cette incaDtatioD du Psaume 22 : « Arrache-moi à la gueule du lion Et à la corne de la licorne. » Quel piège DOUS teDd Walser eD déformant le texte biblique qui dit, seloD les versions, « à la corne du buffle » ou « du taureau » ? Symbole phallique et dyoDisiaque, cette licorne est saDS doute l'élémeDt le plus iDcoDtrôlé de SOD « moi» divers, le plus folâtre, le plus fou. Sa capture De va pas sans mal, d'autaDt que toute la société pousse à cette dispersioD du Darrateur, à cette aDarchie des sens, étant elle·même désordre, leurre et basse séductioD. Ici Walser se fait cinglant. La satire des mœurs est cruelle. L'écri· vain, « eDtreteDu », fait figure de marioDDette pour auditoire coDteDt de soi et de peu. C'est UD représeD' taDt, un placier eD idées reçues, en truismes bêtas, eD circonlocutions verbeuses. L'auteur eD vogue est un êtTeboursoufié d'orgueil, odieux, et devaDt certains portraits précis le lecteur se preDd à essayer quelques clefs pour deviDer quels cODtemporains Walser a aiDsi mis sur la sellette. La dérisioD de tout rejoint le dépassemeDt du réel, par la fantaisie, l'iroDie, l'onirisme. La boucle est bieD bouclée. Par UDe sorte de fuite circulaire l'auteur échappe sans cesse à ses haDtises. Le roman eDtier est une roDde où l'OD vire à bonDe allure. La licorne est UDe œuvre savoureuse, qui donDe à penser, où l'on D'a pas fini de puiser et de rêver. Minutieuse, inlassable, acharnée, elle met au jour des strates ignorées de la conscieDce humaiDe. Persifleuse, elle D'est pas directemeut aux prises avec le système politique allemaDd ou occideDtal. SoD projet est plus vaste: c'est une remise eD cause de la consommatioD culturelle dans UD pays replet, daDS UDe hémisphère gavée des produits et sous-produits d'uDe éthique sociale à boD marché et graDde diffusion. C'est aussi UDe quête au sein de l'homme, DuaDCée de chaleur et de tendresse. Car l'auteur De tranche pas dans le vif, il a même UDe prédilection amusée pour une certaine faiblesse humaine, à conditiOD qu'elle De veuille pas donDer le change. En vérité le romaD aIle· maDd se porte bien.

Rémi Laureitlard. 1. Le cas de G. Grass, thuriféraire de Willy Brandt, doit faire grincer bien des dents parmi ses pairs. La traduction de Magda d'une remarquable qualité.

Michel

est

Les romanciers, cette saison, retomberalent·lls en enfance? Voici qu'une dizaine d'entre eux, non point avec ensemble, mals dans ce beau désordre qui caractérl· se les cours de récréation, font des clins d'œil à J'enfant qu'ils furent ou se retour· nent carrément vers les para· dis aux verts tendres ou acides de leurs jeunes années.

Qu'elle soit le thème principal ou le lieu à partir duquel s'éclai· reDt, autour duquel s'ordonnent la démarche du récit, la structure du drame, les relatioDs des persoDDages, l'enfance est au cœur de leurs livres, en constitue le Doyau éclatant ou secret. Ressuscitée ou réinventée, au premier plan· ou eD coulisses, elle est pré. sente dans les romans d'HélèDe Cîxous, Jeanne' CressaDges, FraD' çoise de Gruson, Marie Nigay, Yolande Paris, Louis Calaferte, Serge Doubrovsky, Georges Gué· rin, Pierre Mertens, René·Victor Pilhes, Michel Polac, Robert Sa· batier... Coïncidence, sans doute, mais qui ne laisse pas d'être curieuse. Aucun de ces auteurs n'a l'âge auquel les écrivains fODt volontiers retour sur leur passé, écri· vent ou déguiseDt leurs souveDirs d'enfance. A part Saba· tier et Calaferte, qui, du reste, n'oDt pas ou à peine dépassé quarante-cinq ans, presque tous en SODt à leur premier ou à leur second romaD. Or, les débutants, d'ordinaire, s'iDspirent de leurs propres aventures, évoquent ou transposeDt des événemtmts récents. Le plus souveDt ils mettent en scène des héros jeunes ou adolescents tâtonnant sur les chemiDs de l'amour ou de la liberté, s'ef· forçant de quitter tout ce qui ressemble à l'enfance pour s'affirmer comme des hommes. On notera alors que la plupart des débutants de cette année, qui nous entretieDnent de l'eDfance, n'en SODt plus au stade des brouillons d'écolier ou de l'inspiration juvénile. Doubrovsky, Polac, Pilhes, Guérin, Françoise de Gru· son, Pierre Mertens, par exemple, ont déjà comme critique, journaliste, essayiste, nouvelliste, auteur radiOPhOnique, professeur, une expérience de l'écriture et de la \ réflexion. Mais ce ne peut être là

qu'une réponse insnffisante et provisoire. Aussi bien, il est évident ici que le thème ne commaDde pas l'écri· ture. Autant d'auteurs, autant de manières de parler de l'enfaDce. Le réalisme poétique de Sabatier n'est pas la quête quasi.proustienne visant à la récupératioD totale d'un monde perdu et à son intégration dans le présent de Georges Guérin. Le lyrisme cara· colant de Polac et celui, vengeur, de Pilhes sont aux aDtipodes des analyses sensibles et rigoureuses de Françoise de Gruson, comme

Serge Doubrovsky de la concision brûlante de Cala· ferte, de la reconstitution d'un langage enfantin, aussi n~ïf que roué, par-Yolande Paris, ou des recherches formelles de Serge Doubrovsky. De même, il est cere tain que tous les enfants, sauvages ou timides qui courent, paradent ou souffrent dans ces livres ne feraient pas partie d'une même bande, ne joueraient pas aux mê· mes jeux sous le préau d'une école, qu'il n'y a pas deux enfances pareilles et que parler de l'enfance n'est pas, loin de là, nager dans l'eau de rose des bons sentiments.

Certaines images L'enfance, toutefois, impose certaines images. A la lecture de ces livres, on pourrait imaginer qu'il y a deux enfances, ou, à' l'intérieur d'une même enfance, deux aspects, deux expériences qui seraient comme l'envers et l'endroit de l'apprentissage de la vie. Il y a une enfance relative· ment libre, heureuse, naturelle, généralement campagnarde où l'on s'enivre de longues courses, où l'on se barbouille de mûres,

R.-V. Pilhes où l'on comprend le langage des fleurs et des bêtes, et une autre, difficile, pénible, génératrice de souffrance ou de révolte, où l'on se heurte aux parents, aux conventions sociales, voire dans le cas de Doubrovsky, victime du r a c i s m e, à l'incompréhensible cruauté du monde. D'un côté Rousseau et Chateaubriand nous font sigue, de l'autre le petit Val· lès, et plus encore Poil de Ca· rotte.

Déeouverte de la nature La découverte de la nature, des champs, des villages et du monde, est présente chez Marie Nigay, chez Jeanne Cressanges, chez Georges Guérin, chez Cala· ferte, chez Yolande Paris, dans certaines pages de Mertens ou même de Polae (tandis que ehez Pilhes elle n'a de rôle que sym· bolique). Paradoxalement, on la rencontre aussi dans le! Allumettes suédoiSe! de Robert Sabatier dont «la Quinzaine ~ a déjà parlé, Olivier étant moins un petit Parisien qu'un enfant de ce village nommé Montmartre où se conjuguaient encore dans les an·


privilégié

• •

l'enfance

ROBERT LAFFONT présente

nées trente les nostalgies provinciales et les lumières de la ville. La vie provinciale, l'enfance s'écoulant entre les boutiques d'artisans, l'odem de la bourrellerie et les feux de la forge sont évo· qués avec une sensibilité pudique dans le récit tout classique de Marie Nigay, la Vie comme un cadeau. Mais ce sont surtout Georges Guérin et Yolande Paris qui, de manières fort différentes, ouvrent les portes des verts para·

dis. Dans Julienne et Lucie, Yo· lande Paris nous conte la vie de deux petites filles à la campagne, pendant la guerre, une guerre qui les frôle à peine et qui leur ap· paraît comme un grand jeu, mys· térieux et parfois meurtrier, de gendarmes et de voleurs ou de cache·cache, auquel se livrent les adultes. Bien plutôt, Yolande Paris laisse parler les deux gamines, les regarde agir, dialoguer avec les plantes, let' bêtes, les choses qui bougent ou qui font mal, réinventer à leur usage une sorte d'animisme primitif. Bien que lié au monde des adultes, celui des enfants apparaît comme indépendant, avec ses règles et son lan· gage, comme entretenant une se· crète complicité avec la nature.

l'annonce de sa passion des voya· ges qui l'entraînera professeur, en Inde, au Pérou. Tout l'équilibre d'une vie, toute la richesse d'une culture qui se glisse dans les in· terstices du récit trouvent leur source, leur raison d'être dans cet univers d'enfance. Et sans doute est-ce cet enracinement qui fait échapper Guérin au pessimisme de la plupart des romanciers actuels. Le sens de la famille, du rituel implicite et complexe qui préside aux relations de cousi· nage, tel que peut l'avoir Guérin,

la nostalgie de la mère-enfant, trop tôt perdue, de Robert Saba· tier, voilà qui est totalement étranger à Pilhes ou à Polac. Pour eux, comme pour d'autres, le mot de Gide: «Famille, je vous hais :t, ne serait cependant pas juste. La famille est peut.être ce qu'on n'a pas eu, ce qu'on aimerait avoir, et le theme de la bâtardise (que Françoise de Gruson traite avec pudeur et lucidité, Pilhes avec une fureur vengeresse) est surtout douloureux parce qu'il signifie l'absence d'une vraie famille. Ce qui fait problème, pour les romanciers actuels, c'est la rela· tion difficile, voire la communication impossible avec l'un des parents ou c'est essentielle· ment le cas pour Doubrovsky avec la société. Cette mauvaise re· lation est le venin qui empri. sonne l'existence, qui rend impos· sible une insertion normale, dénuée d'arrières.pensées ou de mé· fiance, dans la société. C'est elle qui est responsable de l'échec et de la déchéance du personnage dans le roman de Polac, elle qui pousse le narrateur du Loum, de R.V. Pilhes, à entreprendre l'ir·

ses auteurs de la rentrée Gilbert Cesbron je suis mal dans ta peau roman

l'éternité plus un jour roman

sauvagine

Hélène Cixous

De. racines

roman

brancula

Georges Guérin, lui, dans Virgo et Argo, roman large et foison· nant, l'un des plus singuliers de cette année, emprisonne dans de longues phrases aux images nettes et savoureuses, les paysages, les rêves, les élans de son enfance. Non seulement il restitue ce qu'il fut et ce qu'il sentit, son goût des .... jeux de construction, son émotion :' devant la mer relativement pro· che de son village, son émoi de sentir contre sa main, lors d'un bal de mariage, le sein rond d'une jolie dame, mais il cherche ses racines, il se replace dans l'arbre - généalogique, sentimental, culturel - qui est le sien. Du pré à Nadeau jusqu'à la ferme du p'tit Borde, il dresse le cadastre, la géographie des lieux ou se déroula l'histoire de sa famille, où parmi le réseau des tantes, des oncles, des cousins, des voisins, des camarades de classe se forma sa sensibilité. Son oncle marin, les maquettes de bateau, les livres qui le faisaient rêver sont comme

roman

la béatitude érotique roman

Syl kobor tigan't roman

Georges Guérin

La Quinzaine littéraire, du 16 au 30 novembre 1969 roman


Trois en un

~ L'emanGe

résistible ascension qui marquera l'écrasement de la mère. Mieux, les parents ne sont pas seulement coupables de ne pas comprendre leurs enfants, mais hien de les avoir faits. La faute de la mère remonte au moment de la naissance: c Maman, pourquoi m'as· tu laissé tomber de ton ventre ? ~ interroge le héros de Polac qui, toute sa vie, gardera la nostalgie de l'état foetal. Plus radicalement, c'est le moment de la conception, et le narrateur du Loum poursuit de sa haine la c dame charnue, noire et poudrée» qui, un jour, s'est allongée sur une table et a ouvert les cuisses pour le plaisir d'un mâle et son malheur à lui. En fait, ce dont souffrent ces en· fants, c'est de n'avoir pas de mo· dèle. personne ou aucune lumière pour les guider sur le chemin de la vie.

La relation à l'eztérieur Amour de la nature ou vio· lence des conflits familiaux ne ré· sument pas toutes les enfances. Il serait hâtif d'afficher dans les vitrines des librairies, au·dessus des romans de la saison, une pancarte conçue à la manière des enseignes d'autrefois: cAux enfants de Combourg et de Jules Renard réunis ». Nature et conflits parentaux supposent une relation à l'ex· térieur. Quand Calaferte écrit Portrait de fEn/ant, quand Mer· tens dans rInde ou f Amérique peint un petit garçon rêveur et secrètement dur, soucieux d'être différent des autres, quand Y 0lande Paris nous montre Julienne choisissant sa tombe au cimetière ou chevauchant un bras de fauteuil dans l'elpoir de «lui faire un enfant », ils cherchent à tra·· duire les imaginations, à retrou·· ver les secrets de l'enfance. Si l'enfance fascine les roman· ciers, c'est parce qu'elle est le temps de l'indistinction entre le réel et l'imaginaire, le visible et l'invisible. Le temp-s où la ten· dresse et ]a cruauté font bon mé· nage, où l'on peut tuer un chat ou un oiseau pour voir ce qu'est ]a mort et pleurer franchement parce qu'on les a tués. Le temps où le langage suffit pour créer l'insolite, pour métamorphoser réellement une planche en bateau et une brouette en voiture. Le temps enfin où l'on n'est pas en· core pris au moule des conven· 8

tions et de l'éducation, où les réactions spontanées sont encore les meilleures, où les seules règles qu'on respecte vraiment sont cel· les du jeu. Sans doute est·ce là une des rai· sons du retour des romanciers à l'enfance. Il est possible que la psychanalyse, ici, ait joué un rôle. Mais ce serait surtout un rôle sou· terrain, en rappelant l'importance de l'enfance dans la formation de l'individu. Car, à part R.·V. PiI· hes, et par instant Mertens, aucun de ces auteurs ne nous présente de situations appelant directe· ment l'interprétation psychanaly. tique. Plus sûrement, ce retour à l'en· fance, et, à travers elle, à la na· ture, est un recours contre le monde modeme, la civilisation technique, les contraintes de la société. Iuvel'llement, ceux qui maudissent leur enfance, et plus encore les parents qui la leur ont gâchée, sont aussi ceux qui ont connu le plus tôt cette civilisation et ces contraintes sans y être au· cunement préparés. Bref, si le monde va mal ou si l'on n'est pas bien au monde, l'enfance est un refuge. Ou au contraire elle est l'annonce de ces maux, l'origine de cette inadaptation. Et c'est par rapport au présent qu'elle prend son sens. Dans le goût des romanciers pour l'enfance, surtout s'ils ne croient plus aux vertus de l'intri· gue, il y a encore ceci : plus que d'autres thèmes, elle permet les cheminements sinueux, les ruptu· res brusques, la liberté de l'ima· ginaire, elle offre la possibilité de conter quelque chose, une et mille histoires ensemble, sans tomber dans les poncifs du romanesque.

Claude Bonne/oy Georges

Guérin:

Virgo

et

Argo

(Seuil).

Pierre Mertens: L'Inde ou l'Amérique (Seuil) .

Marie Nigay: La vie comme un ca· deau (Calmann·Lévy). y olande Paris: Julienne et LuciE (Mercure de France). Serge Doubrovsky: La Di5persioll (Mercure de France). Françoise de Gruson: La clôturE (Gallimard) . Hélène Cixous: Dedmu (Grasset). Louis Calaferte: Portrait de fEn· fant (DenoëI). René· Victor Pilhes: Le Lou"," (Seuil). Michel PoIac: Pourquoi m'QJJ' tu laiué tomber_. (Flammarion). Jeanne Cre88llllfles: La c1aambre interdite (Julliard) .

1

Georges-Emmanuel Clancier L'Eternité plus un jour Laffont éd., 704 p.

Dans le menu romanesque de la saison, f Eternité plus un jour fait figure de plat de résistance : avec ses sept cents pages, ce roman est certainement un des plus longs, le plus long sans doute, paru ce trimestre. Georges.Emma. nuel Clancier, qui nous avait habi· tué à des livres copieux - notam· ment ceux du cycle intitulé le Pain noir - bat aujourd'hui son propre record. Si l'on y regarde de près, cependant, l'ouvrage en question n'a cette épaisseur que parce qu'il groupe en un unique volume trois romans dont rien n'empêchait qu'ils fussent publiés séparément, sinon, peut-être, l'ample houle qui, du début à la fin, entrelace les thèmes, les enchevêtre de telle sorte qu'il y aurait baisse de tension à perturber ce courant en en suspendant les alter· nances... C'est dire que le livre est fait de «moments» ingénieusement structurés : la jeunesse s'y trouve concomitante avec la mort, la guerre avec l'amour, l'innocence avec la folie, la tendresse avec le crime et, par une sorte d'unanimisme poétique, le quotidien avec l'Histoire comme la terre natale avec l'univers. Autour du héros qui narre - Henri Verrier - de multiples personnages, les uns présents de bout en bout, les autres apparais. sant et s'évanouissant comme des marionnettes, peuplent un espace d'abord circonscrit à la petite ville de province où débute l'ac· tion, ensuite élargi à la France (celle des années de guerre jus· qu'à la Libération), puis au mon· de, que parcourra, en reporter, Verrier. En face du narrateur, Elisabeth. Elisabeth découverte, cherchée, emprisonnée, chérie, perdue et retrouvée. Comme au théâtre, ils se donnent l'un à l'autre la répli. que. On a le sentiment qu'effec. tivement, dans la première partie de l'ouvrage: «L'Observatoire », ils sont c en représentation ». Co· médiens amateurs, c'est au travers de dialogues de théâtre, par.delà les attitudes de la mise en scène qu'ils s'avouent un amour réci· proque. Se souvenant d'un de ses pre· miers livres - un récit bref et poétique intitulé le QUGdrille sur

G.E. Clancier

la tour - G.·E. Clancier inscrit dans le décor de son roman un donjon carré sur la plateforme duquel erre, la nuit, une jeune folle. Vision shakespearienne qui, tout de suite, incline l'ouvrage vers le drame et le sublime. Le drame s'y affirmera dans un con· texte d'émeutes (février 1934), de guerre (1939-40), de résistance (1940-45), cependant que le subli· me s'y perd peu à peu dans la dégradation d'une passion dont pourtant Henri Verrier souhaitait qu'elle durât - selon la formule d'Orlando dans Comme il vous plaira «l'éternité plus un jour ». Revenant sur son passé dont, suivant les conseils d'une psychia. tre juive, il a entrepris le récit, le narrateur avoue: «Ma vie, famour, notre vie n'aura été qu'un seul jour sans féternité, sans cette éternité de tendresse, de juste joie, qui nous était pro· mise et nous a été volée. » L'insa· tisfaction est Ïe commun d-énomi. nateur de personnages qui tous pourraient souscrire à ce que dit Elisabeth: «Le théâtre, ce qui m'attire dans le théâtre, c'est la possibilité d'avoir dix, vingt, cent vies, toutes les vies sauf la mien· ne, que je n'aime pas. ~ Echappant par là aux contin· gences d'une époque à l'évocation de laquelle l'auteur a peut·être donné trop de place, ce roman fervent et désabusé apparaît com· me la chronique d'un apprentis. sage de l'amour en même temps qu'un bilan des difficultés d'être dans le monde d'hier et d'aujour· d'hui. Maurice Chavardès


Un langage nouveau 1

Monique Wittig Les Guérillères Minuit, éd., 212 p.

Nous n'avons pas souvent, nous n'avons même que rarement l'occa· sion de nous réjouir de l'accomplissement d'une œuvre littéraire en tant que telle, c'est-à·dire d'une œu· vre à l'intérieur de laquelle l'élaboration d'un langage neuf se fait dans un domaine précis, celui du récit, exactement limité par le pouvoir et la portée de ce langage. Si de telles œuvres sont rares, l'impression qu'elles font est tou· jours très forte. Ce fut le cas du premier livre de Monique Wittig, l'Opoponax. A première vue, on pouvait croire à une nouvelle évocation, cette fois, il est vrai, particulièrement réussie, de l'enfance, de ses jeux, de ses surprises. Ce qui expli. quait mal et surtout imparfaitement, l'attrait du livre, le sentiment que son lecteur avait de se trouver en présence d'une œuvre singulière. ment neuve jusque dans ses fonde· ments. On y sentait en même temps une effervescence inhabituelle, comme une jubilation profonde qui aurait accompagné l'écriture. l'Opoponax devenait ce lieu privilégié, où, dans la turbulence des sensibilités naissantes, « On », c'est-à-dire l'opoponax, l'écrivain et sans doute son lecteur, découvraient ensemble le besoin de voir et de sentir, et bientôt celui de dire cette nécessité. Un lan· gage nouveau se formait qui, dans le cercle de l'enfance, révélait la vie par l'abondance des signes, et la mort, par l'abandon des mots. Cet univers était si vigoureux qu'il te· nait loin de lui le monde des adul· tes, celui des usages, des règles et des lois du langage que ceux·ci utili· sent. Un instinct très sûr, plutôt qu'une volonté délibérée, ajoutait la séduction du détail à l'effet assez remarquable de l'élimination d'un langage par un autre. Publié cinq ans plus tard, les Guérnlères, second livre de Monique Wittig, vient à son heure pour souligner et fortifier notre conviction. Le talent de cet écrivain le porte, j'allais écrire, pour notre plaisir et notre profonde satisfaction, à faire du récit le lieu naturel de la contestation du langage, non pas contestation abrupte et maladroite, mais contestation habile par le biais d'une opération beaucoup plus subtile et tou jours séduisante. Il semble, en effet, que mots et phrases soient

La Quinzaine littéraire,

deux fois présents dans le texte : d'abord comme les mots et les phra. ses de l'usage traditionnel, ensuite comme éléments actifs de l'autodestruction. La métamorphose est très frappante dans ce nouveau livre. Convaincante aussi, tant est sensihle le renouveau des images, et leur force. Notons, pour commencer, que les Guérillères (ce curieux féminin de « guérilleros ») ne sont ni les cousines, ni les lointaines descendantes des Amazones auxquelles Hérodote prêta le nom scythe d'Oiorpata, ou tueuses d'hommes. La destruction de l'homme n'est pas l'enjeu du combat que les guérillères ont décidé de mener jusqu'à son terme. Ce qu'el. les combattent, c'est l'oppression, ou plutôt sa cause, le langage, celui qu'elles ont reçu des hommes, lesquels les ont, par ce moyen, d'abord nommées, puis soumises et réduites à la merci des mots. Ce qu'el. les veulent promouvoir, c'est un monde nouveau où elles retrouve· ront l'expression de l'indépendance originelle (rappelant en cela le vœu secret des enfants de l'Opoponax). Elles disent : « Malédiction, c'est par la ruse qu'il t'a chassée du paradis de la terre, en rampant il s'est insinué auprès de toi, il t'a dérobé la passion de connaître dont il est écrit qu'elle a les ailes de l'aigle les yeux de la chouette les pieds du dragon. Il t'a faite esclave par la ruse, toi qui a été grande, forte, vaillante.

du 16 au 30 novembre 1969

Il t'a dérobé ton savoir, il a fermé ta mémoire à ce que tu as été, il a fait de toi celle qui n'est pas celle qui ne parle pas celle qui ne possède pas celle qui n'écrit pas, il a fait de toi une créature vile et déchue, il t'a bâillonnée abusée trompée. Usant de stratagèmes, il a fermé ton enten· dement ». Leur première tâche sera de cultiver le désordre sous toutes ses formes. Confusion, incohérence, discorde, agitation, chaos, anarchie, deviennent alors les attributs quoti. diens de l'existence des combattan· tes. Elles se rassemblent, elles's'exaltent, elles vont parler, elles parlent. Car le récit est fait sous la forme indirecte. Le narrateur, à la façon d'un récitant, ne décrit ni l'histoire, ni les mœurs, ni les plaisirs et les distractions des guérillères. Il se contente de rapporter ce qu'elles en disent. L'arme de ces combattantes est unique, l'arme absolue, la parole, qui devient la trame de l'action, sai· sissant enchevêtrement du dire et du faire. Si bien que la vertu de ce lan· gage renouvelé devient la vérité des guérillères, et leur combat, le livre lui·même. Et quel livre! Tout à tour, le blasphème, la séduction, l'insulte, le rêve, la légende, interviennent pour détruire l'édifice du langage reçu: Elles disent que toutes ces formes désignent un langage suranné. Elles disent qu'il faut tout recommencer. Elles disent qu'un grand vent balaie

la terre. Elles disent que le soleil va se lever ». Assiégées par l'homme, elles ne se rendent pas : « Elles S8 tiennent au dessus des remparts, le visage couvert d'une poudre briUante. On les voit sur tout le tour de la ville, ensemble, chanûJnt une espèce de chant de deuil. Les assiégeants sont près des murs, indécis. Elles, alors, sur un signal, en poussant un cri terrible déchirent tout d'un coup le haut de leurs vêtements, découvrant leur seins nus, brillants. Les assaillants se mettent à délibérer sur ce qu'unanimement ils appellent un geste de soumission. Ils dépêchent des ambassadeurs pour traiter de l'ouverture des portes. Ceux-ci, au nombre de trois, s'écroulent frappés par des pierres dès qu'ils sont à por· tée de jet ». Mais il ne s'agira que d'une légende par quoi l'on vainc plus vite et plus sûrement que par l'emploi de l'arme vive. Poème et discours, l'univers des guérillères se construit mot par mot, phrase par phrase, jusqu'à la victoire finale quand de jeunes hommes, séduits mais non humiliés, troublés mais non pas confondus par la force du langage nouveau, s'approchent en bataillons serrés pour rejoindre le rang des guérillères : c( De jeunes hommes revêtus de combinaisons blanches collant à leur corps accourent en foule au devant d'elles. Ils sont porteurs de drapeaux rouges aux épaules et aux talons. Ils se déplacent avec rapidité un peu au-dessus du sol, jambes jointes. Elles, immobiles, les regardent venir. S'arrêtant à distance et saluant, ils disent, pour toi la victorieuse je me défais de mon épithète favorite qui a été comme une parure ». A la main, les femmes tiennent un livre, leur livre, qu'elles nomment féminaire. Quelques pages por· tent gravées, en lettres capitales, le prénom des combattantes, de Pompeia à Phèdre, de Radegonde à Mi· chèle, de Whilhelmine à Cosima. Entre ces feuillets, des pages blanches, à présent, pleines du livre qu'elles viennent d'écrire. Il ne faut pas dissimuler le très grand attrait de ce récit, son ambiguïté savante, et ce souci de don· ner au spectacle de la révolte la séduction d'un langage renouvelé. Et si l'on pense que l'entreprise des Guérillères ne pouvait être menée à son terme que par une femme, ré· jouissons.nous. Bien des auteurs masculins souhaiteraient connaître une réussite aussi complètement af· firmée. André Dalmas 9


Un

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eCrIVaIn

1

Jean Sulivan Miroir brisé Gallimard éd., 296 p.

Jean Sulivan est un écrivain acharné..En douze ans, il a édifié une sorte d'œuvre - des romans (Mais il y a la mer, Car je t'aime, 0, Eternité, Le5 mot5 dam la gorge), des méditations (Le retour à Delphes), des confidences (Devance tout adieu). Et cet écrivain est d'un modèle insolite. Si la mode ne s'est pas emparée de lui, il appartient pourtant à ceux qui nouent avec leurs lecteurs un dia· logue singulier. Sulivan a des amis fanatiques, un cortège d'inconnus qui guettent chacun de ses ouvrages. Que cette voix' touche de la sorte, et dans la nuit, commande déjà qu'on lui prête attention. Cette confrérie de lecteurs pèse sur son œuvre. Elle ordonne son travail. C'est probablement pour ces inconnus que Sulivan publie aujourd'hui Miroir bri5é. Les brisures de ce miroir sont de toutes tailles et de toutes couleurs - fragments de romans, nouvelles éclatées, insolences et colères,

Jean Sulivan

portraits d'amis, réfleXions sur l'Eglise, rencontres. Ce fourretout n'est pourtant pas organisé par le hasard. Sulivan est un écrivain jusqu'au bout des ongles et ce désordre est gouverné. Sulivan est un écrivain chrétien et pas une de ses phrases, pas une impertinence ne l'ignore. Il est vrai que ce chrétien ne goûte pas le confort. Son idée est de dynamiter sans cesse les for-

acharné

mes où se pétrifient ce qui fut jadis vivant - église et littérature, belles âmes et âmes nanties, hypocrites et puissants, institutions. Sa tendresse l'appelle vers les marges, les zones d'ombre où passent les parias, les a~archistes, les humbles ou les filles. Chré· tien, il n'en a jamais fini de détester les ors de Rome, les «malabar5 et œ5 techniciem du 5alut~. Ce qui ne le rejette pas du côté des chrétiens contestatai· res. Il sent bien qu'un groupe n'est que l'envers de l'autre: ils tirent ensemble le même attelage et Dieu, s'il doit dévaster, che· mine par d'autres solitudes. Sulivan parle beaucoup de Dieu - il balbutie plutôt à son sujet, dans le sillage de ces mystiques qui Le cherchent moins dans sa présence qu'à travers l'expérience du néant, du rien, de l'absence Dieu, le 5ur-étant-non-être, dit Maître Eckart. La même foi traverse les brefs romans qui jalonnent le livre. Il faut l'y chercher à la trace. un peu comme le sang, dans les forêts, dit qu'une bête a été blessée. Elle n'apparaît jamais où on

l'attend mais illumine par sur· prise ce qui en est le plus loin· tain. On devine le bel usage lit· téraire que ces détours de la grâce, sa malice et ses bizarreries, peuvent favoriser. Sulivan avoue lui·même et redoute que certains de ces récits procèdent de Bernanos. Bernanos ne fut jamais un homme de lettres. Sulivan se défend de l'être, mais allez faire un fleuve remonter vers sa source. Tout son livre est encombré de ce combat entre celui qui vou· drait nier tout apprêt et l'œil impérieux d'un écrivain qui observe, vérifie et ordonne jus. qu'à ses désordres. Ce combat, Sulivan est loin de le gagner. Il peut faire le rude ou le familier, le vulgaire ou le béotien, il ne se délivre guère des rets de l'esthétisme. Il peut bien écorcher les « scribes », les académiciens et les fonctionnaires de la littérature, il fait partie de la corporation. Mais la bataille elle-même est pathétique parce qu'elle est livrée sans tricherie. La préciosité elle-même peut avoir du sens. Gilles Lapouge

Miroir pulvérisé

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tanne Champion

Bourgois éd., 336 p,

Dans sa préface à Sanctuaire, An· dré Malraux donnait une définition lapidaire de l'œuvre de Faulkner : l'intrusion de la tragédie grecque dans le roman policier. On pourrait, paraphrasant la formule, dire du livre de Jeanne Champion: c'est l'in· trusion du surrealisme dans le roman bourgeois. L'introduction de Maurice.Edgar Coindreau confirme la filiation faulknérienne du roman de Jeanne Champion. Il est, en effet, impossible de ne pas faire le rappro· chement entre le ressassement haché de l'idiot dans le Bruit et la Fureur et la voix délirante du gitan dans X. En forme de miroir pulvérisé emblême important dans le cours du livre - dont la lecture doit faire l'effort de rassembler les éclats dispersés, X s'élabore comme une rosace dont les pétales s'ouvrent peu à peu devant le symbole qui les féconde. D'où l'importance des tarots et des signes dans un univers qui cherche une compensation ludique à la fuite 10

du surnaturel. Parallèlement à la au tahleau de mœurs ou à l'anticipa- la manifestation sauvage de la faim confession d'un patient chez un ana- tion, la gerbe torrentielle des symbo- ou les prophéties de la bouche d'omlyste, se défait l'écheveau de la vie les à l'ironie qui décape. Les séquen- bre. Le gitan introduit la médiation du médecin et de son entourage fa- ces alternent qui nous font passer tragique du sens de la :vie, de l'amilial. Psychiatre réputé, Pierre du monologue décousu, parfois su- mour fou et de la mort dans un monBerthier tient de sa formation didac- perbe de X, charriant les images à de sophistiqué baignant dans l'acide tique la vertu de tenir le monde à la peinture du milieu parisien de de l'intelligence et de l'érc;.tisme. la distance respectueuse de l'autori· Berthier. Depuis sa naissance, X est Une enfance malheureuse oppose té et de l'indifférence. Mais il voit un homme errant, pélerin qui re- le prolongement nocturne de la présa vie d'équilibre morose et de docte monte le cours de ses rêves, explore histoire à la connaissance diurne et pesanteur remise en question par le souterrain à la recherche d'une desséchante du médecin. Très signil'irruption dans son cabinet d'un in· vérité perdue, victime qui veut dé- ficatives sont les images de la mère connu, X, qui lui impose le récit de sormais persécuter son bourreau. immergée par les vagues de l'agonie ses fantasmes, et la tentation du sou- C'est pourquoi le phénomène du ou les belles scènes à la frontière terrain. Il s'agit d'un gitan qui vé- transfert, au lieu de s'accomplir se· d'une Espagne encore fumante des cut une enfance terrible entre sa Ion la dialectique freudienne, du gi- ruines de la guerre civile. mère, Violette, rongée par le cancer, sant au médecin, se renverse, et L'épigraphe et les textes de Lau· cet œillet de chair protubérant, et Pierre Berthier subit l'envoûtement tréamont, que Jeanne Champion a ses deux tantes aux noms de fleur, de son malade. Des remous violents choisis, nous donnent l'une des clés Iris et Anémone. Orphelin inconso- se produisent au cœur de la famille de cette œuvre singulière, où les cor· lable, il parcourt le monde, avec du médecin, soudain inquiète de le respondances oniriques s'amplifient dans une main l'urne qui contient voir répondre aux échos du démon jusqu'à l'apocalypse finale. L'entreles cendres de sa femme et, dans tentateur et plonger de l'autre côté mêlement de la satire, de la révolte l'autre, la Bête de la Jungle, de du miroir. Cette petite société pari- et d'un imaginaire flamboyant, qui sienne, microcosme de notre univers James. n'est pas exempt de complaisance, Comment ne pas être surpris par de consommation, séparée des raci- fait l'originalité, souvent savoureuse, la violence et le lyrisme échevelé de nes de la vie et des valeurs primiti- de ce livre. cet épanchement où la démence est ves de la terre, du sang et du sexe, visionnaire et la dérision emphati- accueille X avec le trouble d'une Alain Clerval que? L'allégorie poétique se mêle femme qui se voile le visage devant


Chagrin d'enfant

1

Claire Gallois Une fille cousue de fil blanc Buchet-Chastel éd. 199 p.

Comment vivre et survivre dans le scandale que constitue la mort d'une sœur aimée? Cette question - celle que Caligula se posait à propos de la perte de Drusilla - la jeune narratrice de une Fille COlUue de fil blanc la résout, elle aussi, mais dans le sens de sa propre libération et non dans celui de son auto-destruction. Dans la vision de l'enfance brutalement confrontée au néant qu'a voulu représenter Claire Gallois,

Claire Gallois

la peur de la mort, le mystère « joué ~ dont elle fait l'objet de la part des proches, suscite- un double scandale dans la conscience de la narratrice: celui de la disparition absurde d'un être qui était le modèle du bonheur à conquérir, et celui de la tricherie ambiguë et généralisée qui caractérise les conduites des adultes. Ce récit n'est pas seulement celui d'un chagrin d'enfant et du coup fatal porté à son univers intérieur, c'est également l'histoire des réactions cruelles, candides et ironiques d'une adolescente devant la découverte d'un monde devenu absurde. Avec une grande justesse psychologique, l'auteur nous montre une conscience déchirée entre deux univers: celui de la candeur et de l'amour blessé qui refusent la mort par le fantasme, le retour à l'enfance, et celui du cynisme, de la colère destinés à déjouer les mythes du monde adulte. Pour faire exister Claire et

nier sa mort, la narratrice entreprend de se l'approprier mentalement et même de se substituer à elle dans une aventure qu'elle imagine en partie et qu'elle vit contre les autres; tout le reste devient nécessairement caricature comparé à ce rêve merveilleux, protégé du réel et qui n'est autre que l'accomplissement et l'assouvissement secrets du deuil. La découverte d'une Claire fiancée et morte après un. rendezvous secret avec un amant cristallise chez l'enfant l'appétit de liberté et la volonté de s'affranchir, comme elle, par la transgression de la morale conventionnelle. La trahison de Claire par rapport au monde des adultes sera l'encouragement décisif et la confirmation de la valeur du modèle choisi pour se libérer: « C'était cela la vie que je voulais, hors des limites du métronome, écrit la narratrice, bondissant dans fins tant du Pérou à la maison trop bien rangée en Bretagne, sans peur de la terre qui enfouit puisque la terre est si grande~. Ce qui est « cousu de fil blanc» dans cette histoire peut être le drap dont on enveloppe la jeune morte, mais c'est surtout la vision faussée de la réalité que les adultes tentent d'imposer à la conscience des adolescents. Le récit, ironique, acéré, a parfois un peu de la belle cruauté des romans de Marie-Claire Blais ; il demeure pourtant, nous semble-t-il, une sorte de revendication violente et tendre à la fois du droit au rêve et au romantisme. On y découvre un côté «Sagan» dans les aventures du père avec Lulu Diamant ou celle de Claire avec son bel amant, à la fois Péruvien et «impossible» L'auteur y dépeint aussi avec un cynisme parfois trop complaisant des scènes macabres que viennent ponctuer les «énormités» commises par les adultes. Mais il n'en reste pas moins que l'auteur a rendu très sensible l'aspect d'attente qui enveloppe de toutes parts le monde de l'enfance; elle a 8U également faire un tableau saisissant et réaliste du choc de la mort dans une âme enfantine et des conséquences ambiguës et désordonnées de celle-ci sur un être indigné, meurtri dans ses rapports avec lui-même et avec le monde qui l'attend.

La Quinzaine littéraire, du 16 au 30 novempre 1969

Anne Fabre-Lucs

peter laslett

UN MONDE

QUE NOUS AVONS PERDU

Les structures sociales de l'Angleterre pré-industrielle "De Lucien Fèbvre à Braudel, puis à Goubert, trois générations d'historiens ont entrepris l'inventaire de la France perdue. C'est une semblable exploration que Laslett inaugure pour l'Angleterre ". GILLES LAPOUGE - Le Monde

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EP flammarion Pierre Frédérix

HISTOIRE DE LA VILLE ÉTERNELLE Une fresque vivante, imagée, captivante de Rome à travers 30 siécles d'Histoire.

ALBIN MICHEL 11


POÉSIB

e

Notre vraie Michel Deguy Figuratiom

1

poèm~-propo5itiom-études

Gallimard éd. 272 p.

Moins que jamais, s'agissant d'un livre où la pensée, prête à tout embrasser, se traque sans cesse elie-même, change sa visée, reconsidère nouvellement son objet, se projette au-devant d'elle-même, de sorte qu'elle est toujours à suivre, moins que jamais Il ne saurait être question de vouloir faire le tour du propriétaire; tout au plus de fixer quelques repères, de quoi seulement mettre le lecteur en état d'alerte.

Commençon8 donc par ce qui d'abord 8'empare de nOU8,' par l'extraordinaire pou88ée de la phra8e (par poésie, j'y perue. il faut entendre cette liberté de ,ui· vre les fab~ où s'esquive fhi5toire, 14 ventriloquie du rythme. p. 48), éruption de vocable8, bou8' culade, vertige, ivre88e et cri, ga· lop, chevauchée et le8 mots volent comme de8 motte8 de ter· re - gésine de fwiom, le sens toujours tiré au-delà par une for· ce qui lui e8t comme étrangère (proprement, la vis poetica). Sur ce point, pas de distinction à faire entre le8 poèmes, le8 proposition8, le8 étude8 si ce n~e8t que, dan8 les dernières (8ur Baudelaire, Lautréamont), la pen8ée se fait- plus serrée et qu'il est bon, après les avoir lues, de revenir aux poèmes, de s'immerger une nouvelle fois, de se laisser repren· dre, hanter. Par le renouvellement de la syntaxe - et tout autant du lexie que (1) - apparaît le souci de se délivrer du langage usuel. par· tant des réalités qu'il recouvre. Non par un grand refus, celui, en particulier qui ferait rejeter en bloc la culture, abusivement appelée bourgeoise: c'est l'ordre bourgeois, ce sont les habitudes de pensée de la bourgeoisie sco· larisée qu'il faut combattre pied à pied, par exemple en réinter· rogeant sans relâche les œuvres, les auteurs qui demeurent nos sources ou, non moins profondé. ment, en hâtant la fin de l'Auteur, au profit, entendons-nous, d'une mise en commun de la poésie (2) de manière à nier l'éthique attachée à notre société in-

12

dustrielle qui (j'abrège trop) a besoin de la c per50nne:t comme terme - au moins au niveou de la c vente:t (p. 125). p'une manière plus générale, Figuration5 entreprend de défendre la poésie contre tout ce qui la menace, la science aussi bien que la vie bourgeoise, la philosophie, le progrès de l'industrie, l'éthique, l'idéologie politique, les moyens de diffusion ou d'in· formation, les malentendm de notre temps qui est celui de la mauvaÎ5e identité des contraires ;

ment le recouvrent, le fondenL Les métaphores de la profon. deur, de l'abîme (plongée et re· montée verticale) - rejoignent celles de l'aveuglement (tâches aveugles, colin-maillard, etc.), de l'enciellement ou dè l'enli8ement, de l'homme muet devant la source, du voyage, de la traversée vers le lieu possible et impossible de la r e n con t r e, rond-point. -table ~ échange et de correspondance. Ici, entre. le noir et le blanc, l'Un et l'Autre, ou n'importe quels termes opposés, le mot et

Michel Depy qu'on s'en tienne à l'exemple du racisme opposant le blanc et .le noir, refus exacerbé de la différence par quoi est rendu impOSe sible le rapprochement des semblables (cf. p. 103, 188). A ce propos, je constaterai seulement, cela est essentiel, que Michel De· guy ne refuse pas son intérêt aux mathématiques, ou à la linguistique, ou à la conquête de l'espace, etc., la poésie, par sa lutte avec ces adversaires, s'enrichissant de l'échange; mais elle les comprend en les dépassant, elle est d'un autre ordre, elle n'apporte pas de preuves, elle n'est rien si elle ne se place pas à côté, si elle ne submerge pas par en dessous, comme les éléments p-aralogiques du langage, nous l'avons vu, submergent le sens et véritable-

la chose, le sens et le son, etc., la distance n'est plus ignorée mais en quelque sorte mesurée (et la violence le cède aux égards, la poésie elle-même n'étant que vio· lence contenue), elle est rendue habitahle, franchie ou en tous cas résolue - et par poésie, j'y pense, il faut entendre la dame, la symétrie, deux et fintervalle, (p. 48). Toute rencontre, snr le modèle de la métaphore, implique donc un écart, disons cet exil, cet espace neutre, cette absence, centre vacant et marge blanche du vivre qui domine, surtout de· puil> Mallarmé et Reverdy, la poésie. Anéantissement qui n a n t i t, (p. 183), puisqu'il est la condi· tion d'un retour, d'une ressemblance, d'une réunion. Mais aussi

plaie à jamai8 béante, échancrure de l'Etre (en elle toute profondeur) parce que l'immédiateté est perdue, parce que tout notre malheur est d'avoir perdu le Souf· fle, parce que, pour nous qui vivons sur la terre, non dans le monde (dans une totalité, cf. p. 155), condamnês à la diversité, l'abolition de la dista~ce, le re· couvrement de l'unité, de la plé. nitude sont de l'ordre du rêve (c rousseatriste ., p. 155). Seul nous échoit de jeter un pont celui de la parole - pour répon. dre à un appel, à une aspiration par le Vide. On comprend, vu le non·lieu de toute explication, que Michel . Deguy songe aux mystiques (p. 35, p. 266) pour rendre compte d'une pareille expérience de c l'altérité. (3) où ne doit rien attendre celui qui n'accepterait pas d'être égaré, tributaire, absolument, d'une heureu8e découverte, mais où, sans recourir c fi fins tance ~un pouvoir 5urnaturel, c'est la révélation de lui-même que f homme se fait à luimême •. C'est par la négative seulement que les choses (comme être, non comme étant) peuvent être res· saisies. Du même coup, elles de· meurent à l'écart d'elles-mêmes, le langage étant passage du même au même par le nom (p. 146). En d'autres termes, la terre est ce qui s'atteint seulement dans cette lé"gère et implacable dÎ5tance que m~ure le comme, à dis· tance de 50i ~une «figure », (p. 157) . Ou encore( je paraphrase une autre page, qu'on ne m'en veuille pas d'un tel entasse· ment sur un point si grave). l'Etre ne peut être rejoint que s'il est di(, et dit symboliquement. Le lieu de la rencontre, la table de change et de correspondance devient clairière figurative, 5cène de fécriture. L'Etre, donné com· me vrai, s'efface derrière son re· flet, l'originel, derrière le figuré, tout n'est que représentation. Dira-t-on artifice, et qu'à été lâchée la proie pour l'ombre? Imp088ible de nous défaire d'un tel soupçon (4): miroir introduit dans le monde, au cœur de chaque être, (le langage) introduit le problème supplémentaire de sa facticité, de son propre reflet en lui-même (5). _ S'il est tout ce dont je dispo!le, le figuré lui·même est origine, mais comtitutif, la vraie nature étant perdue. Premier, le langage,


INFORMATIONS

nature parlant des choses, renvoyant aux choses, 'ramène en réalité à luimême, ,tautor~goriquement (page 169) plutôt qu'allégoriquement. Voilà 'pourquoi te poème c mythi. que ~ dit la figure de sa naissance comme naissance de la figure, anamnèse du secret, c discour,~ du secret» (p. 181). Le titre du livre s'éclaire ainsi suffisamment. En confondant figure et ori· gine. Michel Deguy ne s'esquive pas par une pirouette: «Dieu ne nous parle plus, il s'est interrompu: il faut prendre les mots sur soi (6) ». C'est comme principe qu'il nous faut accueillir le poème, comme le lieu, et le seul, d'une naissance, comme, véritablement, notre seule res· source, notre source de vie, de recommencement (d'où le retour de termes comme inaugural, an· nonce, épiphanie), de repossession par la justice rendue «aux relations simples où DOUS avons été mis (7) ~. J'en demande pardon à ceux qui crieront à de délirantes élucubrations à propos de ce livre et des graves questions qu'il soulève en effet, mais, je les presse de répondre, y a·t-il pages plus bel· les, plus émouvantes, plus dépouillées en somme pour dire, mieux qu'ici, non les transports de la pa8sion, mais l'accord du merveilleux et du quotidien, la patience de vivre, le doux effort de paix, de sympathie, d'amour (voyez notamment p, 79, la conclusion de la pièce intitulée Le principe)? Aveugle, volontairement, celui qui ne vei'rait pas, même, que dans l'évocation des signes de reconnaissance, des ges· tes les plus élémentaires (8), pel" ce la nostalgie, rousseauiste encore, d'une communication immediate au·delà ou plus exactement en deçà des mots, avant eux et les rendant inutiles. Mais ce n'est dans le livre qu'un point de fuite par lequel juger mieux de notre misère et de notre chance : par et dans la poésie (figure primor. diale de l'amitié, de l'amour?). tout est possible, tout est vain, tout est accueil, différence, tout se rejoint, tout est vérité, illusion, manque, pari, évidence ob!;· cure. Aussi, n'avais-je pas tort de me référer à Pascâl ? Notre vraie nature n'est pas tant perdue qu'elle est à inventer et ce n'est pas hors de ce monde, mais dans

l'immanence, que notre reconnaissance est à effectuer, ce n'est pas au-delà du fini, mais en lui, que l'infini est à chercher : Aucun désir n'est exaucé Les choses d'ici font figure pour [ici

Pierre Ch.appuis,

1. Mais comment sans arbitraire dé· tacher ces deux aspects d'une forme elle.même indissociable du fond? «Ce dont le poème est l'expérience, et que nous pouvooa appeler le poé. tique, et le langage de œtle expé· rience (la poétique), ne 80~ pas deu. Telle est la difficulté;) (p. 145). 2. L'expérience, on le sait, s'en poursuit autour de 1. Rcwue de poésie; cf. le fra@:ment intitulé F/lÙcequ (p. 169) et la conclusion du livre, comme, antérieurement, 1. dernière page de Actes (1966), 3. L'expression et l'explication qui la suit sont d'Octavio paz (L'Are el ,. lyre, Gall. 1965, p, 180, et, plus géné. ralement, toute 1. aection de Le révé. lation poétique), 4. Et Michel Deguy s'anaclle à Lau· tréamont comme acharné, plI.r la pa. rodie, à rendre indiff~renclable Je vrai du faux. 5. Grille, dans Poèmes deltJ pres· qu'île (1961, p. 13&). 6. Jàcqûes Derrida: L'écriture et la différence (Seuil, 1967, p, 104), et un peu plus loin: c: Laisser l'écriture. c'est n'être là que pOUl' lui laisser le passage, pour être l'élément diaphane de sa procession: tout et rien (,..) seul l'écrit me fait exister en me nom· mant ». 7. Actes, p. 172. 8. Gestes, par exemple, du repas pris ensemble, de la jeune fille promenant les enfimts à bout de bras, du collier que l'on passe, ou, parmi les signes, «ce simple tas de neuf pierres érigé au début du voyage, sur un bas·côté de piste neigeuse... (p. 194) ».

La Quinzaine littéraire, du 16 au 30 novembre 1969

DEFENSE DES l'IDAYINB Jacques Vergès, l'avocat bien connu pour ses prises de position en faveur du F.L.N. et de Djamila Bouhlred durant la guerre d'Algérie, publie, aux Editions de Minuit, Pour les , idayine. C'est la plaidoirie qu'il aurait prononcée en faveur des commandos palestiniens qui attaquèrent fin 68 et début 69 deux avions de la compagnie israélienne El AI à Athènes et à Zurich, si les autorités ne lui avalent contesté le droit de plaider. Cet ouvrage est précédé d'une préface de Jérôme Lindon qui prend vigoureusement parti pour les Palestiniens, • ces hommes aux mains nues (qui) n'ont pour armes que celles qu'ils nous ont dérobées, et d'abord les Instruments de rupture d'où sont nées nos libertés démocratiques.. Il les volt • acculés à l'espoir '.

LB GBNlAL 8TRAT*GE Plotr Grigorenko, le général sovié· tique mis à la retraite et récemment placé dans un asile psychiatrique pour avoir pris la défense des Tatars de Crimée, avait mis en doute, on le salt, la • génialité • de Staline en ce qui concerne les débuts de la guerre germano-russe. Sous le titre Staline et ,. deuxième guerre mondiale, les édItions de l'Herne publient l'étude retelltlssante de Piotr Grigorenko.

DISTINCTIONS Notre ami et • conseiller", Joseph Breitbach, dont le dernier ouvrage, Rapport sur Bruno (GalilmaFd), est présent à toutes les mémoires, vient de recevoir l'une des plus hautes distinctions allemandes : la Grand-Croix de l'Ordre du Mérite. Nous nous réjouissons qu'elle vienne récompenser, en même temps que l'écrivain, un des meilleurs artisans du rapprochement intellectuel entre la France et l'Allemagne. Maurice Nadeau vient de recevoir le Grand Prix de la Critique, décerné par le Syndicat des Critiques littéraires. pour son Gustave Flaubert, écrivain.

THOMAS MORE et la crise de la pensée européenne

André Prévost Docleur es Lellres

MAME

ESPRIT LA CONTESTATION EN U.R.S.S. L'interrogatoire de P.-M. Litvinov V. Boukovski devant ses juges Le général Grigorenko Les écrivains clandestins

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La Quinzaine

Novembre 1969, 7 F

littéraire

43 rue du Temple, Paru 4. C.C.P. 15.:;~1.53 Paris

ESPRIT

19, rue Jacob, Paris 68 C.C.P. Paris 1154-51

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ENTRETIEN

P. Schaeffer et le ID

Pierre Schaeffer, qui dirige le Service de la Recherche à l'O.R.T.F. et qui est plus généralement connu comme compositeor et théoricien de la musique concrète (on se souvient de son Traité des objets musicaux, publié en 1966), est également l'auteur d'un récit comme Clotaire Nicole, d'un essai comme Amérique, nous t'ignorons (1945), du roman les Enfants de cœur (où il relatait son expérience des mouvements de jeunesse catholique). JI vient de publier, aux Editions du Seuil, un second roman. le Gardien de !mi

ttr_

Marc Pierret. Lorsque Gurdjieff répondait aux questions, comment le faisait-il? Pierre Schaeffer. Il Y avait beaucoup de monde : des gens serrés, assis autour de lui, qui le regardaient fumer tranquillement des cigarettes. Sa seule présence faisait que le moindre geste, la moindre question, la plus imperceptible réaction du groupe prenaient un sens inattendu, se déployaient au travers de conscience extrêmement ductiles, ouvertes à d'autres dimensions, à de multiples significations... Gurdjieff prévenait : cc Je répondrai aux questions qu'on me posera ». Et le processus de désintégration commençait : coup de balai sur les habitudes mentales, sur le cloisonnement du moi... C'était cruel, exaspérant, ça n'en finissait pas. Au début, lorsque le silence devenait trop gênant, des questions fusaient, idiotes vraiment : la veuve inconsolable, la concierge qui avait ses phobies, les amoureux en mal d'amour, les scrupuleux qui s'appliquaient. Les questions tombaient dans le silence. Alors, Gurdjieff répondait, c'était selon, avec humour ou gentillesse, parfois durement. Tout le monde écoutait. M. P. Quelle était votre attitude personnelle? P. S. Je jubilais; je me gorgeais de cette noce de campagne... Je sentais chez Gurdjieff, contrairement à ce qu'on a souvent dit, une grande délicatesse. Mais il ne s'arrêtait pas à la bonté:.. Puis, après le temps des 14

volcan, qui se réfère à une conférence internationale tenue à Mexico en 1948 • sur le partage des longueurs d'onde entre les 90 pays de la planète" et d'où ne sont point absentes maintes allusions à l'un des • éveilleurs " de Pierre Schaeffer : l'énigmatique Gurdjieff. Dans le recueil des Entretiens avec Pierre Schaeffer que Marc Pierret publie chez Pierre Belfond dans quelques jours nous avons choisi un extrait du dialqgue sur le Gardien de volcan, JI y est précisément question de Gurdjieff. jE"

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questions personnelles, peu a peu les gens prenaient de la distance : plutôt que d'eux-mêmes, ils commençaient à parler de ce dont il est inutile qu'on parle Ici, du « travail. justement. M. P. Comment entrait-on chez Gurdjieff ? P. S. Les gens étaient d'abord préparés par des groupes comme ceux de Madame de Salzmann, qui avait reçu l'enseignement de Gurdjieff et l'avait accompagné dans ses voyages. Personnellement, ce groupe me suffisait. Je n'avais pas très envie de voir Gurdjieff. Mais un jour, Madame de Salzmann me fit rejoindre une quarantaine de ces cc idiots D, entassés dans le fameux appartement de la rue des Colonels Renard. M. P. Comment prenait-on la parole dans ces réunions? P. S. Je me rappelle ce silence, terriblement pesant!... Une fois passés les balbutiements du début, lorsque quelqu'un osait prendre la parole, c'était avec crainte... Mais lorsque Gurdjieff maltraitait l'un de nous: « Vous, stupide merdité ! » ce n'était pas une insulte adressée spécialement à tel ou à tel, mais un rappel à l'ordre général. Chacun mesurait alors sa propre inattention, sa propre légèreté. M. P. N'est-ce pas le désespoir qui vous a mené là ? P. S. JI disait qu'il ne pouvait quelque chose que pour les désespérés. M. P. Finalement, que vous a-t-il apporté, votre Gurdjieff? P. S. JI m'a presque délivré de mon anxiété, sauvé de ma

propre destruction. Je m'interrogeais, chaque jour davantage, sur le questionnement même, mais je ne m'intéressais plus tellement aux banales questions que j'étais venu poser, dont la sottise, la vanité ou la naïveté s'étaient d'eUes-mêmes révélées... Ainsi je suis resté longtemps muet, assidu et comblé. Gurdjieff m'a toujours rendu mon respect, sans paroles. M. P. Lorsque nous avons parlé de Clotaire Nicole, vous avez évoqué l'exercice du langage, ses trahisons, mais en même temps ce noyau irréductible de vérité qu'il y a dans le langage; à présent, vous ditesqu'avec Gurdjieff vous avez abouti au silence. Qu'est-ce que vous mettez dans ce silence? Est-ce encore du langage ou bien autre chose? Quelque chose dont on ne peut parler? Quelque chose comme ce silence vers quoi tend toute musique, selon une interprétation célèbre? P. S. L'histoire du pot de miel, que raconte Luc Dietrich, répond à votre question. Comme tous Jes écrivains, je m'offre et je me mange. Aussi, lorsque je me suis approché de Gurdjieff, je compris que parler, voire se confier sous la houppelande de l'amitié, c'était donner à manger son miel aux mouches. Au contraire, chaque fois qu'un homme

s'efforce de rentrer en lui-même et de faire silence, il produit son miel... A un certain moment, il faut s'arrêter de parler si l'on veut se rassembler soi-même. Il faut apprendre à taire tout ce qui est de l'ordre de l'indicible. L'indicible, ce n'est pas « plus. ou « mieux. que le dicible : c'est son envers. Certains états de ferveur, de densité ou de souffrance réclament expressément le silence... Bien entendu, parIer n'est pas écrire. Ecrire, au moins d'une certaine façon, est aussi faire son miel. Plus exactement, la cire. M. P. Mais on peut aussi se mentir à sol-même. P. S. A quoi bon? M. P. Le mensonge consolateur, n'est-ce pas un thème fondamental de l'enseignement de Gurdjieff ? P. S. Gurdjieff disait que 1'homme est une créature si désespérante, dont le destin est si funeste, qu'on se demande comment il a le courage de vivre... Gurdjieff disait avoir hérité des enseignements thibétains ou autres de très anciens et trè.s importants témoignages sur ce point. Mais c'est une histoire trop longue et trop compliquée pour que je l'entreprenne. M. P. Sur votre dernier roman, le Gardien de volcan, plane


pot de miel

AUBIER-MONTAIGNE 2 ouvrages de collection RES

l'ombre de Gurdjieff... tite Mexicaine exquise et brune, P. S. Gurdjieff est mort, mais une Lady Butterfly, berlinoise et je me souviens. baroque, aux week-ends capitaM. P. Il Y est présent mais listes et adultérins, la sérieuse Thérèse... insaisissable... M. P. Si nous parlions de . P. S. Justement. Le Gardien Thérèse ... de volcan n'est pas un témoignaP. S. Thérèse, l'éternel f~mi­ ge, c'est un roman! Pour une nin qui me surveille, l'ange garfois, j'ai consciemment, volontaidien qui me houspille tout au rement, décidé d'écrire ul'!e œuThérèse est long de mon œuvre... vre qui possédait ses nécessités véridique, rigoureuse, sérieuse, propres. Mais comme je suis un elle... La Thérèse du Gardien de peu compliqué, j'ai écrit un rocette volcan est semblable à man à plusieurs entrées, portant jeune femme qui, un jour, me le défi d'une triple expérience. mena chez Gurdjieff... M. p'. Pourquoi, en quoi, « triM. P. Vous m'aviez annoncé ple lt? trois entrées dans ce roman. P. S. En langage musical, trois thèmes. Quel est le troicela s'appellerait une fugue à sième ? S'agit-il des femmes? trois voix : tout le monde se fuit P. S. Attendez... quand je dis et parfois se rattrape... cc les autres n, j'y comprends les . M. P. Tout le monde. c'est-àfemmes... (je les comprends dire qui? même assez bien, si vous me P. S. Il y a d'abord l'auteur permettez!) ... Non, le troisième qui écrit, comme vous savez, thème est tout 'bonnement ésopour s'élucider. lui-même. Nous térique. n'en parlerons pas. Cette voix-là M. P. Comment l'entendezest celle qui m'agace le plus, vous? mais elle persiste et je n'y peux P. S. Il faut lire entre les lirien. gnes : l'auteur, selon une tradiM. P. Ensuite? tion millénaire, dépose ici et là P: S. Ensuite, il yale thème, d'imperceptibles signes d'intelliet le thème c'est les autres. Et gence ; il en dit le moins possiles autres, ce sont les délégués ble ; au lecteur de se débrouiller de tous les pays du monde, réu- avec ces marques... Que celui nis au Mexique pour cette gran- qui a des yeux... de conférence internationale de M. P. Aidez-moL .. volcano-séismologie. Ces autres P. S. J'aurai la bonté de vous qui actionnent de façon si déri- dire qu'il y a, dans le premier soire, si rasoir, le mécanisme chapitre, puis dans le dernier, aride, stérile, de ces grandes deux petites phrases, phrases conférences internationales. Le qui chatouillent le bon goût d'une milieu est gourmé, les péripéties autre de mes Thérèse, nommée pratiquement nûlles, la procédu- Lia Lacombe... La première, c'est re Irritante de bêtise et d'ineffi- Tli causes donc je suis (sans vircacité... J'ai vécu cette expé- gule, à la ligne) ; même chose rience vipère au poing, et je pour la deuxième, qui en est la crois bien avoir rendu, dans son réplique : Tu causes donc je filigrane le plus perfide et le dors ... Vous ai-je suffisamment plus vrai, ra sottise de l'homme aidé? collectif surtout quand cet M. P. homme-là est délégué par son P. S. Non? gouvernement. M. P. C'est cela l'ésotérisme? M. P. Intéressant, mais la façon dont vous en parlez présente P. S. Le contraire de l'ensei,ces choses de façon bien aus- gnement habituel. Le Maître n'a tère! ·rien à dire, mais il promet de P. S. Austère? Oui et non. Je répondre à la question quand vous recommande l'histoire des elle est bonne. Barnk Houllouj, des trois petits M. P. A Gurdjieff, vous lui Mongols extérieurs... Et l'énig- avez posé. la bonne question? matique Seminovitch, délégué de P. S. Il est mort avant. Mais l'U.R.S.S., disparu de manière de toutes façons, je n'en aurais bien étrange chez les Indiens pas été capable... Otomis insoumis... M. P. Pas de femmes? P. S. Quelques-unes. Une peC by Pierre Belfond, 1969~ La Quinzaine littéraire, du 16 au 30 novembre 1969

n

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François PERROUX

Professeur au Collège de France Directeur de l ' , S E,A

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PARTISANS N° 49

FRANÇOIS Le mouvement des Lycées MASPERO Les auteurs de ce numéro ont été parmi les artisans de la 1, Place Paul-Painlevé Paris VC

préhistoire, de l'histoire et le seront, ils l'espérent, de l'avenir du mouvement lycéen. C'est à ce titre que Partisans leur a donné la parole. 8,70 F

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ARTS

La Revue de l'Art Jusqu'au début de l'année 1969, les revues d'art en France pouvaient être classées en deux catégories : celles consacrées à l'actualité, à tendance souvent polémique et tonalité fréquemment littéraire - et les autres, qui, accordant une part plus ou moins large au passé, dans des articles généralement de seconde main, d'humeur ou d'opportunité, participent de cette

consacrés soit à la publication de documents inédits ou de découvertes, soit à des mises au point de problèmes généraux. D'autre part, une sorte d'appareil critique composé par une bibliographie internationale (savante, mais encore trop mince), une revue des expositions internationales (encore trop limitée et décalée dans le temps) et un bilan de l'activité des musées fran·

Jean Mignon: Combat d'hommes nus. Vienne

littérature du délassement que les Anglo-saxons nom, men t coHee table books. De revue d'art scientifique, et qui fît sa part à l'érudition, sans pour autant se muer en bulletin confidentiel - point, C'est cette lacune que vint combler en janvier dernier la Revue de l'Art. Publication trimestrielle consacrée aux arts du Moyen Age et des temps modernes (mettant donc délibérément de côté préhistoire et antiquité), elle s'est assignée le champ total de la production plastique, avec la volonté explicite d'accorder son importance légitime à l'architecture. Elle comporte deux parties. D'une part, des articles de fond écrits par des spécialistes et 16

çais. Enfin, fait digne de remar· que dans notre tradition chau· vine, la Revue compte parmi ses collaborateurs d'illustres histo· riens étrangers, tels Mayer Sha· piro et Anthony Blunt. Les cinq premiers numéros parus ont concrétisé ce programme par des textes à la hauteur de son ambition. Quelques exemples. Jean Taralon, dans le numéro 4, consacre un long article aux peintures romanes du XII· siècle récemment découvertes au cours de travaux, dans l'église de La Varenne-Bourreau (Mayenne) : une description minutieuse permet à l'auteur de poser des problèmes d'interpréta· tion tel le mystère de la vierge, unique en son genre au

XII· siècle, assise en majesté dans une déposition de croix et d'évoquer à partir de ces difficultés herméneutiques, l'en· semble de la problématique de l'art roman. Bella Bessard et Sylvie Bégin (n° 1) reconstituent, grâce à des documents d'archives, l'étonnant hôtel de Tarpanne, sis rue des Bernardins, dé· moli en 1830 et dont seul subsiste aujourd'hui un portique à l'Ecole des Beaux-Arts. C'est au contraire comme le bilan des re· cherches et découvertes de l'érudition depuis 1945 que se situe l'article de Carol Heitz sur l'art carolingien, tandis que Mayer Shapiro élucide avec subtilité le rôle de la nature morte dans l'œuvre de Cézanne (n° 1). Après un tel sommaire, le lecteur ne sera pas peu surpris de sa présentation matérielle. L'illustration est abondante, certes, pertinente et qui accompagne la progression des textes. Mais la typographie est banale, les caractères trop petits, la mise en page monotone, sans surprise et sans âge. Pourquoi cette routine de l'expression, ce mépris de la lettre? Le problème mérite d'autant plus d'être posé qu'il n'est pas, en France, propre à la Revue de l'Art. Il vaudrait qu'un de nos sémiologues se penchât une fois sur la signification de la mise en page, sur les rapports qui lient le contenu des articles et leur disposition dans l'espace : rapport ambigu et complexe, de renforcement mutuel, de subordination ou encore d'antagonisme, opposant alors contenu manifeste et contenu latent. Pareille étude nécessiterait une confron· tation et une comparaison de la mise en page dans les différents pays. On s'apercevrait par exemple que l'Italie et la France représentent des attitudes antithétiques. Dans les revues italiennes la charge sémantique de la mise en page est si forte qu'elle en arrive parfois à prendre le pas sur celle des articles. Les publications françaises, au contraire, tendent à réduire l'apport signifiant de l'organisation graphique. (Comparez Metro à Connaissance des Arts ou Ediliz· zia Maderna à l'Architecture d'aujourd'hui.) En fait, et pour les mêmes raisons qu'il faudrait développer. le graphisme (contemporain) n'in-

téresse pas plus le Français que l'architecture (contemporaine) et ne suscite pas davantage le mécénat. Mais outre cette motivation générale. le parti neutre adopté par la Revue de l'Art correspond sans doute au désir. naïf, de combattre une certaine image clinquante de la France par l'understatement graphique, en même temps qu'à une éthique de l'ascèse intellectuelle : ne livrer le savoir qu'à ceux qui l'ont mérité et ne se sont laissé arrêter ni par l'aridité ni par l'ennui. Plus profondément, la neutralité de la mise en page adoptée par la Revue de l'Art semble cor· respondre à une volonté de se cantonner dans l' • objectivité -. Le refus d'une organisation contemporaine de l'espace graphique exprime bien le refus ou la défiance d'une certaine approche et de certaines méthodes : la Revue a pris le parti de l'érudi· tion contre celui de la structuration. L'analyse des sommaires en apporte la preuve. Au dernier numéro: Serlio est·i1I'archltecte d'Ancy·le·Franc? A propos d'un dessin inédit de la Bibliothèque nationale, par Jean Guillaume. Quelques œuvres oubliées ou inédites des peintres de la fa· mille de Beaubrun, par Jacques Wilhem, Antoine Coypel: la ga· lerie d'Enée au Palais Royal, représentent les Etudes, tandis que les Notes et documents sont consacrés à une tête de satyre de Cellini, un album de croquis inédits de Jacques-Louis David, etc. De même, l'art actuel - architecture ou peinture, exigeant par leur nature même une problématique et une approche nouvelles - est pratiquement absent. (Le dernier numéro s'arrête à une interview de 1921 de Kandinsky.) La naissance de la Revue de l'Art doit donc être saluée avec respect. Mais si cette publication veut conquérir le public qu'elle mérite et pas seulement celui des spécialistes, il faut qu'elle opte pour une écriture actuelle et que, par le texte et la mise en page conjugués, elle satisfasse non plus seulement la curiosité - héritage du XIX· siècle - mais aussi le besoin contemporain d'organiser et de problématiser le savoir. Françoise Choay


.XPOSITION

Giacometti Peu d'expositions ont été aussi éclairantes pour l'œuvre d'un artiste que la rétrospective Alberto Giacometti. Ceux qui suivaient depuis longtemps ses travaux, les expositions que lui a consacré depuis dixhuit ans la Galerie Maeght, et, plus encore, ceux qui se souviennent de ses envois aux anciennes expositions surréalistes, pouvaient croire qu'ils connaissaient bien l'œuvre de Giacometti. Pourtant, de nombreuses pièces demeurées dans l'ombre de son atelier apparaissent aujourd'hui à beaucoup comme une révélation, en particulier celles des années 1925 à 1935, d'un intérêt fondamental pour la compréhension du parcours singulier suivi par le sculpteur pendant plus de cinquante années avec une énergie constamment en lutte contre "insatisfaction et l'inquiétude.

marque l'apparition d'une technique au doigté nerveux de laquelle il ne s'écartera que furtivement pour y revenir et y rester fidèle jusqu'à sa mort. L'intelligence, le pouvoir expressif d'un tel modelé, s'affirment dans un premier bronze, la Tête d'enfant, de 1917. Mais cet enfant qu'il était encore lui-même au début de son apprentissage se désoriente bientôt devant les difficultés que lui apporte l'étude même de son art. Lorsqu'il aura surmonté ses premières incertitudes, voyagé en Italie, vu à Rome "art égyptien, et découvert à Paris le Cubisme, c'est dans une nouvelle direction, très éloignée de ses premiers travaux, que se déroulera d'abord son évolution.

L'étendue de l'œuvre sculpté, et l'importance parallèle des peintures et des dessins, cette triple activité dont chaque étape est ici représentée, faisant surgir le sens profond d'un travail qu'il nous est donné de contempler pour la première fois dans son ensemble, c'est cela d'abord qui frappe dans une exposition où le choix des œuvres et leur présentation (groupement, séries, juxtapositions) sont l'effet d'une réflexion judicieuse. Le grand mérite en revient à Jean Leymarie et à Hélène Adhémar, ses organisateurs. Ce que nous savions déjà, et ce qui nous est confirmé par les trois cents œuvres rassemblées à l'Orangerie des Tuileries, c'est que la figure humaine - le corps humain et surtout le visage, le corps n'étant pour ainsi dire qu'une torche au bout de laquelle brûle la flamme d'un visage - a toujours été, du début jusqu'à la fin, l'unique thème et le grand tourment de Giacometti, l'insondable miroir où s'est heurtée continuellement la lancée de ses interrogations. Il est ainsi émouvant et significatif que son premier buste, un portrait en plâtre de son frère Diego, modelé en 1914, à l'âge de treize ans, soit une Image si manifestement Interrogatrice. En outre, son exécution, encore timide, La Quinzaine littéraire, du 16 au 30 novembre 1969

Giacometti: L'Obier illVi$ible

L'influence cubiste, nous la trouvons dans un Torse de 1925 et dans le Petit homme accroupi dont la géométrisation rappelle le Brancusi du Baiser. La synthèse est encore plus poussée dans la Femme-cuI/1ère. de 1926, où le sculpteur a trouvé dans une esthétique d'origine africaine (un tel objet est l'attribut de l'épouse d'un chef en Côte-d'Ivoire) la forme exactement mitoyenne entre celle d'une femme et celle d'une cuillère. La réduction des figures à une géométrie schématique s'accentue au coUrs de la même année au point d'approcher de très près l'abstraction avec le Couple, et même, semble-t-il, d'y parvenir avec les Personnages dont, seul, le titre exprime encore une intention figurative. (Plus tard, en 1934, une œuvre purement abstraite comme le Cube - qui n'est pas un cube - annoncera l'art d'un Gilioli mais demeurera exceptionnelle dans le travail du sculpteur.) Il est enfin remarquable que Giacometti, qui ne s'attarda guère au Cubisme (il n'y vint, il est vrai, que tardivement), ait réalisé l'œuvre la plus typique de cette école, sa Composition cubiste, plus complètement représentative de ce mode d'expression qu'aucune œuvre de Zadkine ou de Laurens qui en furent les premiers maîtres. Et voici que, soudain, en 1927, Giacometti revient au portrait et à ce modelé où l'on

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~

Giacometti

sent le mouvement des doigts sur la pâte, modelé qu'il avait appris dans ses années de travail auprès de Bourdelle et qu'il avait abandonné au profit de surfaces plus lisses. le portrait de son père et celui de sa mère semblent cepend"ant iiaierter sur ie problème du visage auquel, provisoirement, il apporte une solution avec un nouveau bronze où, cette fois, le visage du père, inscrit dans un triangle, est devenu tout à fait plat: les lèvres, le nez, les yeux, n'y apparaissent que gravés d'un trait sans aucun relief. Il ~st probable que c'est là le point de départ des recherches futures qui lui feront bouleverser la frontalité de la sculpture et donner souvent à ses portraits (notamment aux Bustes de Diego de 1953-54) un visage en lame de couteau. En attendant, les idées de synthèse réapparaissent. les visages deviennent mystérieux, les traits presque indéchiffrables; le modelé est simplifié à l'extrême sur des surfaces d'une géométrie épurée (Tête qui regarde, Femme). Enfin, les corps se métamorphosent en objets à peine anthropomorphes, selon une technique proche du fer forgé (Homme, Femme couchée qui rêve, etc.). Puis, tout change de nouveau, et c'est la grande période surréaliste entre 1930 et 1935. Et, là encore, le Surréalisme trouve en Giacometti son sculpteur le plus insigne. la Boule suspendue, parfaite mécanique érotique, l'Objet désagréable à jeter, la Cage, dont le thème sera repris d'une autre façon en 1950, la Table, et l'Objet invisible, statue qu'André Breton désignait dans l'Amour fou comme· l'émanation même du désir d'aimer et d'être aimé-, sont des œuvres dont le contenu poétique semble Inépuisable. Tant de travaux, tant d'idées, tant de recherches, toutes ces années d'invention et de con· tinuel renouvellement, n'étaient cependant que le prélude à l'œuvre capitale que Giacometti allait accomplir et que se partageront trois thèmes principaux: les Nus debout, les 18

80n tourment créateur, sinon son apaisement, et ce que, dans un beau texte (publié dans le n° 1 de l'Ephémèrel. Yves Bonnefoy a appelé • l'expression tragique par excellence -. Obstiné à recommencer sans fin, et avec une puissance chaque Jour accrue, les mêmes figures, Giacometti obéissait à l'irrésistible tentation de mener toujours plus loin le peuplement de ce pays désolé où la Femme debout est là spectatrice muette et angoissée de l'Homme qui marche. Etrange couple que le destin sépare, elle, enracinée dans le sol par cet énorme et unique pied qui la condamne à une immobilité rassurante, lui, toujours en marche, en fuite, occupé, préoccupé, traversant des places vides, • sous la pluie -, dit un titre, ou • par un matin ensoleillé -, dit un autre, toujours ailleurs, quels que soi e nt l'heure et le temps. la femme de la terre devant l'homme du vent.

Giacometti : Annette IV

Hommes qui marchent, et les Bustes. C'est dans ces minces figures et figurines apparues en 1945, d'abord minuscules, de la taille d'un insecte (35 mHlimètres avec le socle), et qui deviendront quinze ans plus tard ces grandes statues, hautes de plus de

3 mètres, qu'on a pu voir dressées sur le ciel de Provence, à a Fondation Maeght, à SaintPaul, c'est dans ces personnages dont l'élongation et l'immobile. garde à vous - font songer aux divinités hellénistiques figées dans leur secret, que le sculpteur a trouvé le sens de

l'exposition, pour la sculpture, s'achève par la série magistrale des bustes. Bustes d'Annette qu'un léger mouvement des épaules en avant situe dans l'instant précédant la parole; bustes de Diego, au bronze parfois peint en tons ocrés qui les rapprochent des portraits à l'huile d'Aicha Sapane ou de Caroline, portraits où le modèle est toujours représenté de face, l'artiste ayant besoin de comprendre ce qui se passe au fond des yeux; bustes d'Elle Lotar, dont le dernier, sculpté quelques mois avant sa mort, offre aux regards un visage à la fols scrutateur et secret, avec des yeux que la curiosité dévore et une bouche qui se tait dans une contraction des lèvres apparemment douloureuse. Ultime et tragique réplique du Buste de Diego modelé à treize ans. Image utile à orienter toute réflexion sur la sculpture de Giacometti. Dernière image que nous emportons de son fascinant univers sur lequel plane, dans notre souvenir, avec nostalgie, le sourire de son visage aux gros traits boursouflés, sourire qui semblait toujours vouloir atténuer, modestement, l'intelligence de ses paroles. Jean Selz


PHILOSOPHIE

La grâce et la loi Leszek Kolakowski Chrétie1l$ sans Eglise Trad. du polonais par Anna Posner c BibL de Philosophie » Gallimard éd. 823 p.

Le grand livre de Kolakowski pose implicitement deux questions qui hantent l'histoire contemporaine le marxisme Institutionalisé esti! toujours condamné au sort d • une Eglise établie, les révisionnistes au sort des hérétiques? Si la réponse est exemplaire, c'est que le destin personnel de l'auteur a confirmé son analyse intellectuelle. Le8zek Kolakowski a en effet joué un rôle de pre· mier plan dans le mouvement révisionniste polonais des années 50. Or, contrairement à la plupart de ses amis, il n'a jamais vou1u quitter le parti et il renonça aux polémiques politiques lonque Gomulka condamna le mouvement révisionniste qui l'avait pourtant porté au pouvoir en 1956. Intéressé par la philosophie médiévale et la pensée catholique contemporaine dès &es premiers travaux, Kolakowski se retrancha dans une recherche apparemment plus abstraite, sur les mouvements hérétiques du XVII" siècle. Pourtant, s'il se plia ainsi à la discipline du parti, sa conception même du travail de l'histoire re· pose sur la conviction que « des phénomènes observés actuelle· ment permettent de découvrir da1l$ le passé certaines qualités du monde humain qui, sans cela, demeureraient inaperçues ». L'idéal, nous dit.il, est « une situation dans laquelle la description générolisante et la raison du choix se rapportant au domaine étudié sont un seul et même instrument ». La raison de ce choix, il nous la dit clairement dans sa préface : « Ce qui m'intéresse essentiellement, ce n'est pas que (ces hérétiques) soient effectivement des hérétiques mais plutôt qu'ils doivent l'être. En d'autres termes, je ne co1l$idère pas ceux des éléments de leur pensée qui les ont placés occasionnellement en dehors de f Eglise, mais plu. tôt ceux qui les y situent obligatoirement (puisqu'ils comportent la négation fondamentale de fidée même d'Eglise) ».

Quelque deux ans après avoir écrit cette phrase, le 21 octobre 1966 - dixième anniversaire de l' c Octobre » polonais - au cours d'une manifestation organisée par les étudiants à la Faculté d'Histoire de l'Université de Varsovie, Leszek Kolakowski prononça un discours. fi établissait un bilan des conquêtes d' c Octobre » où il opposait les espoirs suscités alors à l'involution qui suivit. fi dénonça les restrictions à la liberté de la parole, l'étau de la censure, l'ingérence politique condamnant toute recherche originale dans lei! sciences humaines et sociales, l'abîme croissant entre le Parti et l'opinion, l'applica. tion arbitraire de la loi. Le lendemain, il était expulsé du Parti Ouvrier Unifié Polonais. Moins de deux ans plus tard, le 25 mars 1968, à la suite des manifestations des étudiants qui suivirent l'interdiction des représentations du drame les Aïeux du poète national polonais Adam Mickiewicz, il était, avec cinq autres professeurs, suspendu de sa chaire à l'Université de Varsovie. Le communiqué officiel annonçant 4lette mesure affirmait que c les plus hauts intérêts de f Etat et de la nation demandent qu'il soit mis dans fimpossibilité d'influencer la jeunesse ». La raison pour laquelle. son expulsion était en effet c inélucta· ble », on la trouve dans un texte datant de 1957, « Responsabilité et Histoire ». Dans une conversation imaginaire entre un Clerc et un anti-Clerc, Kolakowski y prafessait une foi dont il ne devait plus jamais se départir : « - Je ne croirai jamais que la vie morale et intellectuelle de fhumanité suit les lois des inves· tissements économiques, c'est-àdire fattente d'un lendemain meilleur à travers f épargne d'aujourd'hui, qu'il faille mentir afin que la vérité puisse triompher, acquiescer au crime afin de SQ,lV vegarder le bien... En dernière i1l$tance, je resterai fidèle à cette opinion. - Quoi qu'il arrive? - Quoi qu'il arrive. » Bien entendu, Chrétiens sa1l$ Eglise n'est pas, sous l'apparence d'une œuvre d'histoire, un apo· logue où les hérétiques corres· pondraient aux révisionnistes, et les Eglises établies au marxisme institutionalisé. Beaucoup plus

La Qu1nzaine littéraire, du 16 au 30 novembre 1969

profondément, Kolakowski y éclaircit des structures correspondant au dialogue entre une pensée vivante et sa forme réifiée. A travers le foisonnement de l'histoire religieuse du XVII" siècle, où paraissent tour à tour anabaptistes révolutionnaires allemands, antitrinitariens polonais, mennonites hollandais, quakers, Jacob Boehme et Angelus Silesius, Bérulle et Surin, Antoinette Bourignon et Labadie, Kolakowski propose un c modèle idéal » pour comprendre le mouvement ~e cette deuxième Réforme qui· im-

et ensuite le principe de prédestination et de grâce irréductible. Le fidèle devenaii assuré du salut à condition (suffisante) qu'il soit un membre orthodoxe de sa communauté confessionnelle. Or,. Kalakowski caractérise la ~ deuxième vague ~ des réformateurs du XVII" siècle par son opposition si· multanée aux deux théories catholique et protestante. Vis-àvis de l'Eglise catholique, ce sera la négation de la nécessité du culte extérieur en vue du salut. A l'égard des Eglises réformées la négation de la nécessité de

Leszek Kolakowski, par David Levine

pllquait un antagonisme irréductible entre les valeurs fondamentales du christianisme et les Egli. ses établies, et qui s'opposait aussi bien à l'Eglise catholique qu'aux Eglises réformées issues de Luther ou de Calvin. L'Eglise romaine avait élaboré la théorie ex opere operato. selon laquelle les actes liturgiques sont valables et accordent les grâces nécessaires indépendamment des qualités morales du prêtre (et même, jusqu'à un certain point, du fidèle) , s?ils sont accomplis selon les prescriptions du· droit canonique. Cette théorie place à l'abri de toute critique la callte sacerdotale, celle·ci étant fondée sur des critères. juridiques et non pas moraux, tout en garantissant aux fidèles d'accéder aux grâces à travers des opérations purement extérieures, à seule condition d'obéissance. La Réforme a substitué à la théorie ex opere operato le prin· cipe de justification par la foi,

l'orthodoxie. «Cette double oppo. sition, é cri t Kolakowski, est f équivalent, dans la pratique, de rexigence de la suppression des Eglises en tant qu'i1l$titutions vi· sibles, si f on remarque que fEglise en tant qu'i1l$titution sociale est définie par f existence de la caste sacerdotale qui, dans les deux cas, est ai1l$i privée de sa raison d'être ». Bien entendu, il s'agit là d'un modèle idéal, abstrait. En fait, Kolakowski étudie dans son livre toutes les formes du christia· nisme du xVIr' siècle, des plus radicales jusqu'aux plus portées à des solutions de compromis, ainsi que la façon dont elles ont pénétré les Eglises elles·mêmes, et les tentatives de leur assimila· tion institutionnelle. Du point de vue historique, il fait apparaître les tentatives du christianisme non confessionnel sous l'aspect de phénomènes purement négatifs, leur existence ne pouvant être saisie que par référence à la reli· giosité organisée contre laquelle 19


elles se constituent. « Par princi. pe - écrit·il - elle, ne peuvent pas trtJIUformer les forme. collective. et hiérarchique. de vie relie giewe à leur fQt;on, puilque cela .isnifierait oblisatoirement (et sisnifie effectivement daru de. Cal particulien) qu'elle• • e .ont appropriée. jUitement une .trueture matérielle rationnelle, en contradiction avec le. principel de leur prote.tation; le. chrétieRl non conjeuionneù .ont tout au plu,. capable. de créer, à fintérieur ou à côté de. collee. tivité,' ecclé.ialtique, de, « Broupel de prel.ion • qui contraignent f adver.aire li une aI.imilation nerttrali.ante de lertn idéel et à modifier dan. une certaine mesure la relisio.ité orsani.ée :t. On voit les analogie8 avec les 'conflits de la con8cience et de l'organi8ation dan8 le8 société poli-

tique8 contemporaines. Mais l'ana· lyse 8tructurelle de Kolakow8ki dépa88e ce8 analogie8. Le côté le plu8 pa88ionnant de son étude concerne le conflit entre la c religion de la grâce • et la « religion de la loi >. Il voit dans ce co~flit un c fond > anthropologique permanent. Le8 fidèle8 de la religion de la grâce c proposent un modèle de vie dan8 lequel la communication revêt un caractère « exi8tentiel .; ceci aignifie qu'elle est une ouverture b i 1 a t é raI e non médiati8ée, exempte de calcul, et par là même débarra88ée de la crainte, du jugement, de l'envie, de l'attente, de8 8crupule8, de la contrainte, de8 commandements et de8 ordre8. Cette ver.îon du chriltiani.me, celle de Paul et du jeune Luther - et plus tard celle de Kierkesaard - e.t f articulation reli-

giewe de futopie exiltentielle qui .e renouvelle à mainte. reprÎ!Je' au cour. de f hiltoire, en tant que. tentative, toujoun auui dé.e.pérée pour extirper de la vie les lieRl réifié! et le. remplacer par le. lieRI penonneù •. Marxi8te8, Le8zek Kolakow8ki tient pourtant le8 phénomène8 religieux pour irréductible8. Il 8e refuse de trancher 8'il faut le8 expliquer par une genè8e ou le8 rattacher à l'hi8toire, c s'il convient de traiter les thème, de la phénoménolosie exiltentielle contemporaine comme un effort en vue de laïciler en quelque .orte fhéritase théolosique; ou .'il ne vaut pal mieux chercher dans Cel contrOtJer!Je!J lointaine. la mo~ dification historique apportée pu le chriltîani!Jme -à dei que.tioRl qui, dan. leur. contenUi le. plUl authentiquel, sont indépendantel

de la théolosie et du christian;"· me.. Cette attitude c anti-réductionni8te ., Kolakowski y e8t arri. vé aprè8 la longné nuit 8talinienne, lor8qu'i1 écrivait, en 1957: « Les valeur. morale. permanente., en évolution continuelle, sont notre .upport le plUl .ûr lorsque la réalité noUl demande de faire un choix, lequel elt, après tout, aU!J.i de nature morale >. Dan8 8a conclu8ion à son der· nier livre, Kolakow8ki affirme que «noUl avoRl be'soin d'unè acti. vité qui noUi permette non seu· lement d'établir les lieRl existant entre les moyeRl et la fin, ~. auui d'établir de fQt;on intelliSible la fin de notre comportement elle-même •.. De cette activi· té, ChrétieRl .aRl -ESIÎ!Je e8t un beau témoignage.

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Une théorie du romanesque

Le prod.ueteur d.e romans me .oit une culture. soit une naHté

Michel Zeraft'a Personne et personnage Le romanesque des années 1920 aux années 1950. Klincksieck. éd. 496 p. L'objet de Zeraft'a, c'est de déli· miter le champ précis du roman. Le découpage chronologique et l'aspect historique de l'étude ne restreignent nullement la portée de l'entreprise : car en fait, dans le cadre exhaustif et massif d'une thèse de doctorat, c'est de l'essence du romanesque en soi qu'il ne cesse d'être question. Les butées historiques de l'étude définissent peut-être ce qu'on peut appeler l'agonie du roman. En 1920, on passe de la description de l'in· sertion individuelle dans un ordre social extérieur, à la restitution de l'intériorité aux « mille humeurs diverses » (Mauriac); en 1950 apparaissent les premières formes du Nouveau Roman, et le champ romanesque qui se rétrécit jusqu'à s'évanouir. Du même coup se trouve situé l'effort du romancier: proje. ter sur le monde et dans des formes verbales sa vision de la personne; et se trouve aussi défini le projet de Zeraft'a : décrire ces formes ver· bales, les classer, en déduire une évolution du genre littéraire en dé· générescence. C'est donc le contenu même du roman qu'il s'agit de mettre en ordre. S'il faut lui trouver une place dans une taxinomie des genres critiques, celle de critique thématique doit lui être assignée. Zeraffa se livre à un travail descriptif des signifiés, et, même s'il se sert des formes littéraires pour les diversifier, et pour procéder à l'ordonnancement de cette multi· tude, il cherche le projet, le sens, l'unité de la création. « Comme tous les autres arts, le roman rend compte des changements, des va· riations de la personne humaine. » La personne humaine, contenu référentiel intermédiaire entre le modèle littéraire et le concept phi. losophique, permet d'engendrer, par oppositions et distorsions, la notion de personnage. Objet de littérature par excellence, être verbal, sujet de roman, le personnage, à la diffé· rence de la personne qui, presque

directement, dérive du réel, représente l'élément médiateur entre le style et les contraintes du monde extérieur : produit de la création, et en aucun cas modèle. Aussi bien, les différences réglées entre la pero sonne, - traduction de la Weltanschauung de l'écrivain et rapport à l'intériorité - , et les personnages - produits en signes et rapports à l'extériorité - sont-elles la règle de toute la recherche de Zeraft'a. Rien n'est plus éclairant à cet égard que le schéma en couple d'oppositions, régi par les titres de Culture et de Réalité. Le producteur de romans crée soit une culture, soit une réalité selon deux ordres distincts. C'est sur eette distinction, symptomatique d'une évolution historique, que repose l'hypothèse de la création dans le roman. Dans l'ordre de la culture, la conscience détermine ses catégories spécifiques selon plusieurs axes : l'axe du « stream », courant de oonscience, engendre l'authenti. cité, la diversité des désirs et des impressions; le temps, axe de la subjectivité, supporte la mémoire et la durée; et, à la croisée des che· mins, la personne, faite de diversité et de temps, s'effectue et se produit d'une façon, pourrait-on dire, « biographique ». Le personnage, tel qu'il existe par exemple chez Balzac, qui joue le rôle de parangon et de butée critique, relève, à l'inverse, de la réalité définie par la société, le récit, l'histoire, en bref par l'orga. nisation extérieure au sujet et contraignante pour lui. Ce type littéraiie se retrouve dans le nou· veau: type de récit qui s'inaugure après 1950, et invalide la personne dans sa « profondeur ». Ainsi Ze· raft'a peut, avec justesse, mettre en évidence la situation historique de la notion de personne, qui relève d'une mythologie humaniste inquiè. te de sa propre disparition : « Le romanesque dont nous schématisons les traits dans ce tableau (p. 185), témoigne d'une situation historique. ment réeUe de l'individu. La disso· lution de la personne, qui paraît à première vue caractériser le roman moderne (après James, et jusqu'à nos jours) est un phénomène socio· logique et politique interprété du « Temps perdu» à l' « Homme sans qualités» par un groupe d'écrivains cultivés, comme l'anéantisse·

La Quinzaine littéraire, du 16 au 30 novembre 1969

ment d'une espérance humaniste qu'ü faut précisément restaurer. » (p. 186). Cependant, même s'il est menacé, sur ce concept de personne s'accro· chent les questions théoriques que Zeraffa ne peut éluder, et dans les· quelles il nous paraît pris, comme enserré dans le foisonnement extra· ordinaire des exemples qu'il donne, -comme ahsorbé dans le roman, com· me « enromancé ». La dernière phrase de son essai... « le héros de roman est une personne dans la me· sure même où ü est le signe d'une certaine vision de la personne » pour simple qu'elle paraisse, fait problè. me : cette Cl: vision de la personne », quelle en est la causalité, quel en est le fonctionnement ? La personne se définit comme la projection de la Weltanschauung de l'auteur et ce mécanisme détermine les formes lit· téraires dont Zeraffa fait ailleurs l'analyse: on voudrait sur ce point poursuivre à la fois les réflexions de Freud, critique littéraire dans les Essais de Psychanalyse Appliquée et les constructions de Macherey sur la production littéraire, de façon moins négative toutefois que ne le fait ce dernier. Car, dans la projection de la personne, si l'auteur s'identüie, d'où lui viennent ses modèles d'identification? Quelles sont les figures pour cette mise en images? Il peut s'agir d'un rapport entre l'objet littéraire et le sujet individuel, ou bien du reflet de structures sociales dont l'auteur est le support, représentatif de l'instance collective ? Qui projette, qui sert d'écran? Le mécanisme de production de l'idéologie de la personne reste à définir dans ces questionne. ments. Or les lignes en -sont tracées dans le livre de Zeraffa. Lorsqu'il évoque Balzac, il met en lumière les phénomènes de groupement, de mise en ordre, de construction d'une totalité à partir d'un détail, qui construisent le personnage, alors que la production de la personne se fait par recomposition d'une unité, souvent à travers la plus grande fragmentation, le plus entier mor· cellement : Proust et son isomorphe anglo-saxon, Dorothy Richardson, en sont le meilleur exemple. La dissociation exprime la personner la .com· position produit le personnage. Cependant les causes de ces différen· ces ne sont pas données et l'analyse historique, en liaison avec une théorie des idéologies dont la littérature fait partie, demeure en filigrane.

embarras théorique. C'est pourquoi on peut être tenté de confronter le livre de Zeraft'a avec la méthode de Mikael Riffaterre, chacune des deux recherches étant exemplaire dans la radicalité de ses options. Riffaterre définit (1) le -phénom~ -littéraire comme l'ensemble du livre et de ses lecteurs, la totalité des lecteurs étant représentée par le « lecteur moyen » ou « surlecteur ». Ce lecteur topique est déterminé d'après dès _lecteurs réels qui, réagi,ssant à la lecture de l'œuvre dans un processus expérimental, l' « exécutent » com· me un musicien fait d'une partition. La réalité, l'auteur, a pu dire Rifla· terre à la décade de Cerisy.La Salle sur l'enseignement de la littérature, ne sont que des succédanés du texte. Ce qui compte dans la réaction du lecteur n'est pas ce qu!il pense ou ce qu'il ressent, mais le point du texte où il réagit : non le contenu mais sa place dans la chaîne signifiante. Pour Riffaterre, la probléma. tique critique exclut l'auteur; pour Zeraft'a au contraire l'impact sur le lecteur dépend de la façon dont l'au· teur conçoit la personne, et cette vision délimite il son tour les pero sonnages. Deux façons de lire, un choix à f~: dans la théorie de la littérature. Nul doute, cepe~dant, que ce choix ne soit provisoire et que plus tard il apparaisse comme périmé, aussi vain que peut nous paraître maintenant la querelle Bàr· thes-Picard, et comme le seront bien· tôt d'autres querelles; les polémi. ques ne sont jamais vaines. Pour l'heure, tel semble être un choix pos· sihle : la théorie de la littérature passe par une théQrie de la création ou une théorie de la lecture des œuvres. En .fait, _c'est ce qu'indique Ze· raffa. Car son livre, par la richesse et la multiplicité des exemples, par I~ justesse de ses analyses, témoigne d une parfaite lecture et surtout donnè à lire. Sans doute en cela atteint·il parfaitement son objectif nI S'agit, comme Je Tâi senti, <le faire relire les _romans qu'il décrit. Si l'on avait pu oubliet la fascination du romanesque, Zeraffa la rend sensihle et prégnante, et permet par là·même de lire mieux ceux qUi n'écrivent plus de romans. L'impli. cation romanesque, quant à elle, concerne et le lecteur et l'auteUl' sous la forme de cette seule question commune à Zeraft'a et à Riffa· terre : comment ~voir être affect~- ? Catherine Backès.

Mais la problématique des auteurs et de la création rend inévitahle cet

Critique, n° 266 : Pour un non-lieu :- ctitique 8cleptlflque ou évaluation littéraire:

(1) Cf. l'article d'Eliane Jacques- daris-,

21


POLITIQUE

Une défense Brian Crozier Franco Trad. de l'anglais par Jean-René Major Mercure de France éd. 612 p.

1

A cause de quelque raison psychologique non divulguée, Crozier a senti la nécessité de débuter par une mise. en garde politique. Il était, nous affirme-t-il, « un ardent supporter de la République durant la guerre civile:t, et ce ne fut que plus tard qu'il commença à «remettre en question:t ses convictions pro-républicaines. Si Crozier avait jamailil été un partisan bien informé de la République espagnole (ce que le lecteur peut réellement mettre en doute) avant de vivre à Madrid pour écrire son livre, son cerveau fut effectivement lavé dans la capitale de Franco et aujourd'hui il pourrait posséder l'une des cervelles les plus propres de Londres. Il admet que ses conclusions sont «dans l'ensemble favorables à Franco », mais il affirme que ces conclusions favorables sont fondées sur des faits et des recherches, et non sur quelque sympa· thie pour le Caudillo, avec qui il n'a que deux points communs: « de haïr le communisme et lfoccuper nos loisirs li peindre :t. Mais haine idéologique et art du Dimanche ne sont pas suffisants pour des recherches historiques. Pour juger de la véracité des faits et de la qualité des recherches de Crozier, étudions l'attention qu'il accorde à deux événe· ments de la carrière de Franco : 1) la destruction de la ville basque de Guernica le 26 avril 1937, et 2) les pourparlers diplomatiques de Franco avec Hitler en juin 1940, à l'époque de la chute de la France.

Guerniea J'ai choisi l'événement de Guer. nica parce que Crozier lui-même laisse à penser à plusieurs repri22

l'auteur de cette bIographie de Franco écrit, dans sa préface: «J'al une formation de journaliste, non d'historien, mals pour ce livre, j'ai usé de méthodes d'historien et de journaliste.. Il ajoute qu'il a étudié «en profondeur, la question espagnole. et que son livre n'avait pu être entrepris qu'« à condi-

tian que j'obtienne la collaboration des autorités espagnoles et l'accès à leurs archives sur les points litigieux •. le lecteur peut penser en conséquence que cet ouvrage est le résultat de rigoureuses investigations et que l'auteur a eu libre accès aux archives du Gouvernement espagnol. Cela, simple-

ment, n'est pas vrai. Crozler a vu quelques documents espagnols, mais s'il a consulté des documents touchant « les points litigieux »', Il a bien gardé secret leur contenu. Sa recherche est celle d'un amateur, l'interprétation de cette recherche Incomplète est superficielle, et le résultat est décevant.

ses que c'était là la pierre de touche de ses recherches concernant la guerre civile d'Espagne. Il assure ses lecteurs c: qu'il n'est nullement certain que les Allemands:t aient bombardé Guernica. « On pourrait presque, lfailleurs, écrit-il, dans son ouvrage, en arriver li cette conclusion en lisant les télégrammes conservés dans les archives alle· mandes. »

de Londres, Berlin reçut des interpellations urgentes des ambassades allemandes de Londres et d'ailleurs, et que Berlin, en retour, télégraphia des messages à Salamanque et à la Légion Condor en Espagne; il est évident que ces télégrammes ont reçu des réponses à leur tour. Si nous les possédions - Crozier n'a même pas remarqué leur absencenous pourrions commencer à tirer quelques conclusions des archives allemandes. Malheureusement ces dépêches n'ont jamais été trou· vées. Elles ne sont pas à Bonn, et toute la documentation de l'Ambassade allemande en Espagne nationaliste fut brûlée par l'Ambasl3ade à la fin de la guerre civile. Il n'y a rien non plus dans les documents de la Légion Condor en ce qui concerne Guernica et le 26 avril 1937.

de demander à ses amis espagnols de consulter leurs archives. Mais il existe des preuves suffisantes pour établir que Guernica fut détruite par des bombes incendiaires jetées par avions, et les seuls avions disponibles étaient ceux de la Légion Condor. Les récits de cette période de nombreux témoins oculaires et de nombreux journalistes sont, à eux seuls, convaincants. Assez curieusement, la preuve de la destruction de Guernica par bombes incendiaires se peut trouver dans un document nationaliste intitulé Guernica: The Official Report, publié à Londres en 1938 par les éditeurs anglais de Crozier qui étaient, durant la guerre civile, les édi· teurs les plus prolifiques de propagande pro-Franco en Angleterre.

Les arohives espagnoles Peu de temps après l'édition de son livre, il y a deux ans en Angleterre, il déclara publiquement qu'il possédait une «nouvelle évidence importante:t qui démontrait que les Allemands n'étaient pas responsables de la destruction de la ville. Il n'a jamais publié cette évidence, mais il y a deux mois, dans une lettre au Times, il déclara que l'accusation contre les Allemands était «un mythe:t, et «incompatible avec r évidence des archives du Ministère des Affaires Etrangères allemand et avec quelque autre évidence aujourlfhui accessible. :t Il est difficile de prouver soit la responsabilité allemande, soit l'innocence allemande en partant «d'évidence des archives du Ministère des Affaires Etrangères allemand ». Guernica fut détruite le 26 avril 1937. Le premier télégramme concernant Gue r n i c a trouvé dans les archives allemandes actuellement, est daté du 4 mai, c'est-à·dire huit jours après l'événement. Il est clair pour quiconque étudiant ce problème, que, .aux environs de midi, le 27 avril, quand les premières nouvelles sur Guernica commencèrent à paraître dans toute la presse

Un massaore qui n'a pas eu lieu Il reste un endroit où la preuve de la destruction de Guernica existe encore sans aucun doute, aujourd'hui. C'est dans les archives espagnoles. Mais en dépit de la vantardise de Crozier qui affirme que ces archives lui ont été ouvertes, il n'y a pas d'indication qu'il ait même demandé quoi que ce soit concernant Guernica. Il est en vérité étrange que, sur ce point tellement controversé, les Allemands n'aient pas gardé les documents qui auraient prouvé leur innocence, soit dans les archives de la Wilhelmstrasse, soit dans celles de la Luftwaffe ou encore dans celles de l'Ambassade à Madrid; il est également étrange que Crozier ait préféré spéculer sur des fragments de documents allemands plutôt que concr~te

Il est impossible de ne pas suspecter Crozier de rechercher la documentation la plus favora· ble à son protagoniste, comme il l'a fait dans ses pages sur Guernica, et la plus défavorable aux opposants de son protagoniste, comme il l'a fait pour un autre événement qui avait lieu la même semaine que l'incendie de Guernica. Crozier écrit à propos de la reddition du couvent de Santa Maria de la Cabeza, occupé par un groupe de gardes civils pro-nationalistes - avec quelques femmes et quelques enfants - sous le commandement du capitaine Cortès: c: Le siège fut levé le 1er mai 1937, sur la blessure mor· telle de Cortès, rinvestissement par les Républicains de la forteresse improvisée et le massacre de ses défenseurs.:t Ce massacre n'eut, en fait, pas lieu, ainsi qu'en


Je

de Franco témoigne le compte rendu officiel nationali8te. De telle8 fau88C8 affirmation8 80nt, malheureu8Cment, nombreu8C8 dan8 ce livre. Le récit de Crozier racontant le8 pourparler8 de Franco avec

Hitler en été 1940, illu8tre une foi8 de plu8 les méthodes peu sérieuses de recherche adoptées par l'auteur. Pour la défense de Franco, il écrit, se référant à la tlituation

"~-=======-=----.:.:.ij~~ ....,.w.' Fr.neu,

]IlIT

Da.virl Levirœ.

Franco est-U vraiment persuad' que les Allem.ands n'ont pas bombardé Guernica? La Quinzaine littéraire, du 16 au 30 novembre 1969

• SUIS des environs du 10 juin 1940, quand MU880lini entra en guerre, que «Franco ne chercha pas au dernier moment la gloire d'une victoire acquise par un autre. ~ La première allu8ion faite par l'écrivain à une offre de Franco à Hitler pour prendre part à la guerre, concerne celle du 15 août. Crozier cache délibérément à 8e8 lecteur8 le fait que Franco écrivit à Hitler le 3 juin; le 10 juin le Caudillo dépêcha cette lettre à Hitler par un me88ager 8péci al: le général Vigon. Vigon rencontra Hitler et Von Ribbentrop .le 16 juin; troi8 jour8 plu8 tard l'Ambas8adeur d'E~pagne à Berlin présenta le8 revendication8 de Franco 8ur une part du butin de la victoire d'Hitler 8ur la France. Franco n'a pa8 déclaré la guerre, contrairement à ce que fit MU880lini: il formula 8e8 réclamation8, prétextant qu'il avait déjà combattu contre la France durant la guerre civile, quand lui et Hitler avaient combattu ensemble contre le8 même8 ennemi8, l'Angleterre 'et la France. En conséquence, lui Franco, méritait une part de8 pri8e8 de guerre 8ur la France. Il informa le8 Allemand8, le 19 juin, qu'il entrerait en guerre, à condition de recevoir, aprè8 la victoire, le Maroc, l'Oranie et de8 territoire8 pour agrandir le Rio deI Oro et la Guinée e8pagnole. Il fit aU88i un autre ge8te héroïque. Quoique n'ayant pa8 participé à la lutte contre la France en 1940, il 8uggéra néanmoin8 que, pour 8e préparer à la lutte, au ca8 où l'Angleterre ne 8e rendrait pa8, il lui 80it donné «du ravitaillement, des munitions, du carburant et des équipements qui se trouveraient certainement dans les stocks de guerre français. » Crozier félicite Franco pour 80n habileté dan8 8es marchandages avec Hitler. Mai8 pui8qu'il n'apporte au lecteur que le8 faits favorable8 à 8e8 thè8e8, le lecteur e8t amené à douter de la valeur de se8 conclu8ion8. Elle8 80nt fondée8 sur la moitié de8 fait8 qui llont en faveur de 80n protagoniste.

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ta peau ~œ

nouvelU ~rnffiID~~

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cesbron

Herbert Southworth Un mot Bur la traduction: par moment elle Bouffre d'un mauque de connaiB88nce de la 8cène eBpagnole; et l'auteur qui, danB le texte anglais eBt né en AuBtralie, devient natif de l'Au· triche dans la venion française.

ROBERT"'LAFFONT 23


Un scandale littéraire Dans une récente Interview, Strada s'est déclaré • communiste de gauche mals non .chlnols •. Sion ajoute que Strada constl· tue un cas unique d'Intellectuel communiste qui, dans la presse de son propre parti, critique en connaissance de cause la vie culturelle et politique soviétiques, se jetant au cœur de ·saproblématique de développement et prenant parti pour les tendances novatrices, on comprendra pourquoi il représente un os, et dur, pour les bureaucrates soviétiques, et on comprendra aussi la raison des attaques furieuses de Kochetov.

Dans ces premières semaines d'octobre la presse Italienne a fait une large place à une nouvelle affaIre politique qui a éclaté dans la vie littéraire soviétique à propos de la parution du roman-pamphlet de Vsevolod Kochetov 0 u e voulez· vous? dans la revue moscovite Oktlabr (Octobre) dont Kochetov est précisément directeur. Ce nouveau. scandale. Intéresse directement l'Italie car. dans son roman, Kochetov lance une violente attaque contre la politique du parti communiste italien et en particulier contre un intellectuel communiste, Vittorio Strada, tenu pour un des meilleurs connaisseurs de la littérature russe d'hier et d'aujourd'hui. Dans le roman, Vittorio Strada figure sous la forme d'un personnage caricatural nommé, pe. sante allusion, Benito Spada. Kochetov fait exposer par ce Spada les thèses soutenues par le P.C.!. sur l'autonomie des partis communistes, sur le sens de la participation è la lutte parlementaire, sur la néçesslté d'une atti· tude cri t 1que vis-à-vis de l'U.R.S.S., sur l'indépendance de l'art et de la culture par rapport aux comités centraux et aux organismes bureaucratiques. En même temps, pour discréditer ces idées aux yeux des lecteurs soviétiques~ il fait prononcer à son personnage des tirades pleines de sympathie pour Trotsky et pour Mussolini. A un moment donné un ouvrier déclare : • Qui aujourd'hui critique l'Union soviétique n'est pas un vrai communiste. et Kochetov, à plusieurs reprises, affirme que les communistes comme Spada ne sont communistes que pour la forme. Ce sont des. po.rcs • qui piétinent et m 0 rd e n t leur • mère ., c'est·à·dire l'U.R.S.S. Avant de regarder de plus près Je roman, son auteur et les réactions suscitées par lui en Italie, il convient de présenter la victime, c'est-à-dire Strada. Strada, qui a quarante ans, est inscrit au P.C.!. depuis une vingtaine d'années. Il a fait des études de philosophie et a passé son doctorat à Milan avec Antonio Banfl, le patron des' jeunes philosophes italiens de tendance marxiste. En 1957, il partit pour Moscou où il demeurera jusqu'en 1961, fréquentant l'Université Lomonosov

Piazza dei Popoto, à Rome

et se consacrant à une étude sur la littérature et la culture russes modernes. Son étude ne plut pas aux autorités sovié· tiques qui l'accusèrent de • révisionnisme •. Togliatti lui-même intervint en faveur de Strada. Strada refusa de faire son. autocritique • et retourna avec sa femme, russe, en Italie où Il eut une activité de critique littéraire dans la presse communiste et ies r e vue s culturelles. Ces essais datant de cette première période sont recueillis dans un volume Littérature soviétique 53-63 publié en 1964 par les Editeurs Réunis. Dans ce livre l'essai le plus important (et le meilleur) est consacré à Pasternak dont le Docteur Jivago est qualifié d' • œuvre profondément soviétique • et qualifié, ainsi que les livres de Soljenitsyne, comme l'expression la plus vraie des dificultés de développement de la société soviétique. Le roman de Doudintsev, On ne vit pas seulement de pain, est analysé avec une vive sympathie comme la dénonciation de • l'aliénation bureaucratique • soviétique, dénonciation qui, selon Strada, est encore trop douce. Quant à Kochetov, dont il examine un roman, Strada y voit un dogmatisme excessif, réactionnaire et antisocialiste, sans compter une

extrême suffisance littéraire de décadent. Cette année, Strada, qui entretemps a fait traduire et publier des écrivains comme Boulgakov et Platonov et des théoriciens comme Propp et Bakhtin, a rassemblé en un volume d'autres essais. Ce livre, publié chez Einaudi, s'intitule Tradition et révolution dans la littérature russe. La gamme des sujets est large et variée, allant de Tourgueniev, Dostoïevski et Tchekov, au premier Congrès des écrivains soviétiques (1934) et au débat qui s'ouvrit dans le parti bolchevik durant les tractations de paix de Brest-Litowsk. Dans sa préface, l'auteur précise ses propres positions politiques et esthétiques. S'appuyant sur les. formalistes • russes il respecte l'œuvre d'art dans son autonomie et ce, comme condition préliminaire d'une lecture marxiste du texte. Sur le plan politique, Strada déclare rejeter « l'hérédité stali· nienne partagée à égalité entre soviétiques et chinois - et se prononce pour un socialisme compris comme « libération concrète de l'homme dans la tension formatrice de l'individuel et du social, dans la dialectique 0bjective du singulier et du collec· tif -.

Déjà, il y a deux ans, un personnage du groupe Kochetov, le professeur Alexis Metchenko, un des gardiens de l'orthodoxie lit· téralre soviétique, avait eu avec Strada une violente polémique à propos de Gorki, de Maïakovski et du • réalisme socialiste. : Strada soutenait la ligne d'avant· garde maïakovsklenne contre la ligne du • réalisme socialiste. de marque gorklenne. Aujourd'hui entre en lice le nommé Kochetov, le leader ultra des écrivains conservateurs soviétiques, ennemi acharné de Soljénitsyne et de • Novy Mir ., la revue de Tvardovsky. Kochetov qui, même en URSS, n'est guère considéré comme un écrivain, a écrit une série de pamphlets romancés où il dénonce au Pouvoir et à l'opinion publique les dangers que feraient courir au pays les intellectuels·anticonformistes. Et, naturellement, dans ses romans-délations. les individus réels sont caricaturés et dénigrés. Ce personnage n'a pas d'équivalent en Occident. Il n'en a que dans le passé le plus sombre de la Russie, dans un Fadeev Bouigarine par exemple, qui, sous le règne du tsar Nicolas 1", se rendit tristement célèbre par sa collaboration littéraire avec la Troisième section, c'est-à-dire la police politique. Les écrivains soviétiques progressistes nomment d'ailleurs Kochetov le • Boulgarine soviétique •. Dans Oue voulez·vous ? Kochetov se livre à un véritable strip-tease idéologique. Il attaque non seulement les communistes italiens coupables d'avoir condamné l'occupation militaire en Tchécoslovaquie, mals aussi des personnalités soviétiques


à BOille comme Roumiantsev, vice-président de l'Académie des Sciences, reconnaissable sous la figure falote d'un caricatural « marxiste antidogmatique •. Mais le clou de l'œuvre de Kochetov est un angélique « personnage positif. qui réhabilite les tragiques massacres de Staline et qualifie de «calomnie délibérée. la thèse répandue en URSS par le vingtième Congrès du PCUS selon laquelle Staline fut frappé de stupeur par l'attaque allemande. Parmi les arguments pour prouver le contraire Kochetov déclare qu'en URSS: « il n'y avait pas de cinquième colonne parce qu'avaient été liquidés les Koulaks et détruites toutes les forces d'opposition dans le parti ». Encore. plus que contre les intellectuels, Kochetov se déchaîne contre le PCI et, en général, contre les PC occidentaux qui ne sont pas de stricte obédience. Dans « "Unita • du 2-10 Giancarlo Pajetta un des actuels diri-

geants du PCI, l'a démontré. Naturellement Kochetov (qui, soit dit en passant est l'écrivain soviétique le plus populaire en Chine) exprime des positions qui ne sont pas seulement les siennes. Il porte à l'extrême, disons-le, grosso modo, des thèses partagées par une partie du groupe dirigeant soviétique et agit pour le compte d'un «groupe de pression. outrancier auquel l'actuelle politique soviétique, surtout à l'intérieur, semble trop libérale. Les allusions à la « S" colonne • et à 1937 ont une trop évidente signification. Le roman de Kochetov révèle également le caractère de son auteur. Dans l'été 1966, Kochetov vint en Italie et, par l'intermédiaire d'un fonctionnaire de l'Union des écrivains, fit pression sur Strada pour être reçu chez lui. Strada, comme il l'a dit dans une interview, céda et reçut Kochetov avec la courtoisie que l'on a pour un hôte (même s'il

n'a pas été sollicité) et surtout s'il s'agit d'un ennemi ouvertement déclaré ». Avec une impudence quasi professionnelle Kochetov entendait simplement « recueillir des matériaux. pour son roman. Et c'est ainsi que Kochetov a pu dans Que voulez-vous? transformer la femme de Strada en une néo-stalinienne qui, indignée par le • révisionnisme· de son mari, l'abandonne finalement pour retourner en Russie (un autre leit-motiv kochetovien, c'est le chauvinisme grand-russien auquel il confère des formes aberrantes : dans son roman un exSS d'origine russe entend l'appel de la terre natale et, uniquement de ce fait, se sent régénéré) . Mme Strada, qui est d'origine sibérienne, a dû faire des déclarations à la presse et l'assùrer de son « parfait accord • avec son mari. Les conclusions qu'on peut tirer du cas Kochetov sont plutôt

amères. Pendant qu'un authentique écrivain comme Soljenitsyne est persécuté et réduit au silence dans sa patrie, pendant que Daniel et Siniav:ski sont jetés dans les nouveaux camps de concentration, pendant que l'atmosphère de la vie littéraire et politique soviétiques se fait toujours plus lourde, un Kochetov peut se permettre n'importe quelle attaque sous la bienveillante protection des autorités. A la fin d'un récent article dans « Rinascita., Strada écrit que, en URSS comme dans les autres pays de structure identique, les intérêts des intellectuels coïncident avec ceux de la classe ou· vrière et des masses du pays. Qui attaque les intellectuels au nom des ouvriers ne sert pas le peuple, mais l'asservit. » Le malheur, ajouterai-je, est que les Kachetov ne sont ni des ouvriers ni des intellectuels : ce sont des bureaucrates, et ils sont encore très puissants. Guido Davico Bonino.

La revue "Annales" Depuis sa création, en 1929, la revue Annales occupe une place privilégiée dans la recherche historique. Elle est demeurée fidèle aux enseignements de ses fondateurs, et Marc Bloch, Lucien Febvre qui ont renouvelé l'histoire en p 0 r tan t attention aux phénomènes sociaux, aux mentalités, aux techniques, aux sensibilités, à la vie quotidienne - bref, à toutes ces forces humbles, lentes et souterraines qui modèlent les sociétés plus impé· rieusementque ne le font les grands événements. Pourtant, demeurer fidèle à Lucien FeQvre, . c'ast aussi ne jamais s'ensÇlmmeiller. La recherche, depuis quara'Qte aris a donc obéi à Febvre en le dépassant. Elle a étendu à la démographie, plus récemment à la psychanalyse ou à l'ethnologie, le souci initiai d'ouvrir le champ historique aux conquêtes des autres sciences. Aujourd'huI, c'est au tour de la revue Annales de rajeunir. Elle le fait moins en modifiant son contenu qu'en dé· coupant selon de nouvelles catégories ce contenu. Le seul Inventaire des rubriques qui ordonnent la nouvelle formule indique ainsi le sens dans lequel entendent travailler avec Fernand Braudel, Charles Morazé et Georges Friedmann ses nouveaux directeurs, Le Goff, Le Roy ladurie et Marc Ferro. Depuis quelques années, les tech· niques scientifiques envahissent le champ de "histoire. Celle-cI a même pu parattre à certains, encombrée par les chiffres et les statistiques, par les

• recherches quantitatives". On eût dit que les historiens, longtemps dé· solés de manier un discours non scientifique, étaient éberlués que l'ordinateur, soudain, se soumît à leur discipline. Il semble aujourd'hUI qu'un nouveau palier soit atteint. Il ne s'agit pas, certes, de démanteler cet appareil scientifique mais plutôt de l'asservir mieux à la recherche historique. Annales crée une rubrique, • Outllla.ge", avec le propos de dire je dernier état des méthodas et tech· niques modernes. L'avantage est double: un riche travail méthodologique et épistémologique est engagé en même temps que les autres articles peuvent être délestés d'une partie de leur armature chiffrée. l:Ine autre rubrique, • Frontière nouvelle", annonce que la revue n'est pas disposée à camper sur les territoires déjà conquis. On y cherche à patrouiller sur les frontières du sa· voir, quitte à affronter quelques périls. Que de tels articles soient groupés dans une même rubrique opère à la fols comme signe et comme garde-fou. Autre novation: une rubrique au titre un peu provocant, • L'histoire moins l'Europe". Son propos est de • mondialiser" l'histoire. Comme il fallut naguère briser le cadre des histoires nationalistes ou nationales, Annales voudrait aujourd'hui lutter contre • l'européo-centrisme ". Enfin, Annales respecte une de s·es vocations - l'information sur les autres ·sclences sociales.

La Quinzaine Uttéraire, du 16 au 30 novembre 1969

G.L

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THEATRE

Grotowski à Londres et à New York

C'est Londres qui aura eu la primeur, à l'étranger, de l'Apocalypsls cum flgurls de Jerzy Grotowski (1). Jouée régulièrement à Wroclaw depuis le début de l'année, l'œuvre sera présentée en novembre et dé· cembre (à New-York, puis à San Francisco et Los Angeles) ainsi qu'Akropolis et le Prince Constant, ce dernier faisant auparavant l'objet de quelques représentations à Manchester, Liverpool et Lancaster. Apocalypsis cum flguris n'est certes pas une œuvre facile. Elle ne se livre pas à la première, ni même aux premières représentations. Tout y surprend et tout y retient. Et déjà de trouver allongés sur le parquet ces hommes, cette femme, vêtus de costumes sans âge d'un blanc crémeux, quand on pénètre dans la salle nue dont l'éclairage est réduit à deux projecteurs aux faisceaux parallèles posés au sol. Les spec0

tateurs (ils ne sont que quarante) prennent place sur un banc de plain pied, le long des murs. Ils ont été introduits furtivement dans une «party., au moment où l'excitation de l'alcool et du sexe - mettant le feu aux joues, l'un des participants, le maître de maison, peut entraîner ses compagnons dans un psychodrame sacrilège. Ceux-ci acceptent allègrement d'être qui Lazare, qui Judas. La femme est Marie-Madeleine, et cet autre, Jean. Le meneur de jeu qui a allure de berger - bottes noires et longue cape de tissu bourru - se désigne comme Simon-Pierre. Il ne leur manque qu'un Christ. Dans les rires et les sarcasmes, SimonPierre attribue le rôle à Ciemny, malingre, dérisoire, lui seul vêtu de noir - une blouse mal ajustée tombant sur ses jambes nues - et qui tient en ses mains une ca n n e blanche d'aveugle.

Ciemny, en polonais, a des sens multiples : le sombre, l'aveugle, l'innocent, le demeuré, l'idiot au sens dostoïevskien. Ici tête de Turc et souf· fre-douleur. Ciemny ne comprend pas le jeu, reste en dehors, ou échoue quand il tente maladroitem.ent de participer. C'est pourtant en fonction de lui que le rituel s'organise. On le provoque, on le bafoue. Il est le ciment de la connivence entre ses persécuteurs qui font de lui un Christ aux outrages. Est-ce encore, est-ce bien un jeu? Ils sont et ne sont pas leurs personnages, et Ciemny Et r a n g e r particulièrement. d'abord à ce qui se passe, il assume son rôle douloureux dans la deuxième partie, quand aux projecteurs se substituent des bougies plantées en faisceau ou brandies au poing. Richard Cieslak (le prince constant) s'est dépassé dans ce spectacle, intériorisant, approfondissant son personnage.

pathétiquement opaque et refermé d'abord sur la lumière qui l'habite sans qu'il en soit conscient, et puis s'ouvrant comme un fruit éclaté sous une pression irrésistible, et irradiant alors. Un très grand acteur. Acteur-créateur comme ses camarades (en particulier An~. toni Jaholkowski, Grand Inquisiteur, l'autre pôle), car c'est ensemble qu'ils ont, par des esquisses, des propositions de jeu, élaboré sous la direction de Grotowski un spectacle qui, pour la première fois au Théâtre - Laboratoire, n'est pas « d'après. une œuvre dramatique. On dirait qu'il s'agit d'un montage et d'une improvisation collective, si ces termes - qui rendent compte des tentations du jeune théâtre de par le monde - ne risquaient de prêter à malentendus. Sans doute, le texte est emprunté à la Bible, Dostoïevski, T.S. Eliot et, plus accessoirement, à Simone Weil, mais il n'a rien d'une mosaïque; il est toujours utilisé en contrepQint et avec une valeur métaphorique. On n'a recouru aux mots de la tribu que toutes les scènes retenues et mises en place : à la fin était le Verbe. Enfin, si "on a procédé, au long d'un travail étendu sur plus de 500 répétitions, à des improvisations de toute nature (corps, voix, paroles), le spectacle est définitivement arrêté' maintement qu'il est produit; les écrous sont serrés, bien serrés. Il ne peut plus « bouger. que sous la poussée intérieure d'un mûrissement lent et secret se situant au niveau du jeu. Aucune œuvre de Grotowski ne se fonde sur de tels contrastes : elle est d'ombres et de lumières, de noirs et de blancs, de cris d'angoisse et d'éclats de joie. Les silences y prennent un relief étonnant, et ce qui a lieu pendant les noirs est ce qui va le plus au cœur : un martellement de pas, une la· mentation qui se prolonge quand la lueur de la dernière bougie a été écrasée au sol. Le " théâtre pauvre. atteint ici un seuil qu'il semble difficile d'outrepasser. Raymonde Temkine.

Grotowski, ApocnLypsis cum figuris

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1. Quelques r.epr.ésentations dans la crypte de l'église anglicane de St George-in-the-East.


Brecht l

au Théâtre de la Ville

B. Brecht Tambours et trompettes Théâtre de la Ville

Nos compatriotes raffolent du comique troupier; même lors· quil est un peu élaboré: Fabbri avec Les Hussards avait trouvé le pactole; on aime s'amuser de ce qu'on aime, et la chose mili· taire entre dans la catégorie des amours. Ils ont même accepté, la mode aidant, et sur fond d'hu· manisme chrétien, des pièces « contre la guerre - : nos « hon· nêtes gens - se veulent belles âmes. Mais voilà que devant une pièce comme Tambours et Trompettes, - un spectacle pourtant qui, depuis que le Théâtre de la Ville est ouvert, est le premier à faire réellement honneur à ce théâtre - , voilà que là-devant on ne joue plus, et que les grenouilles de la critique bourgeoise, tout fiel caché, toute hargne dehors, perdent toute mesure: leur rage devant Brecht, comme chaque fols, fait plaisir à voir : on dirait qu'on les déshabille, et les voilà qui détalent en retenant leurs bretelles et leurs jarretières. Et c'est précisément cela: en montrant le dessous des car· tes, Brecht dévoile, il casse le jeu, Il met à nu, il «les - met nus : forcément, on rit. Quand Voltaire nous décrit Candide tombé entre les griffes des sergents recruteurs, il se contente de railler, dans un esprit vaguement antimilitariste, les pratiques dont usaient les rois pour se procurer le matériau de leurs « boucheries héroïques -. Quand George Farquhar, en 1706, écrit, avec L'officier r. cruteur une pièce anglaise dans le goat de la Restauration, il n'écrit rien d'autre (quoique orfèvre en la matière, puisqu'il fut un moment officier de recrutement) qu'une comédie villageoise avec Intrigue romanesque, où l'on volt les gens d'un bourg accepter finalement avec bonhomie .Ies ruses et les fourberies qu'on mettait en usage po... r forcer les paysans anglais il devenir les dé-

les 6dltlons le Seuil ont publié La Tempête d'Almé Césaire peu aprils la pr6sentatlon de la pièce dont noua avons parlé dans notre cfernler numéro.

comme des bêtes de battue, et qui commencent à comprendre que la Couronne -d'Angleterre a ses raisons que la raison du peuple ne connaît pas : cette pègre de toujours dont les Ministres de la Guerre débarrassent régulièrement les Ministres de l'Inté· rieur en l'envoyant vers les chantiers. Cette dernière image est saisissante.

Tambours et trompettes au Théâtre de la Ville

fenseurs de leur pays », comme le dit un adaptateur français du XIX· siècle, qui ne devait pas être marxiste. Quand Brecht s'empare de cette même pièce, le traitement qu'il lui fait subir la rend, en effet, Insupportable aux gens de bien (s). Il l'adapte en 1955, un an avant sa mort, et elle fut jouée au Berliner Ensemble dans une mise en scène de Benno Besson, qui collabore à l'adaptation. Dans un texte français de Geneviève Serreau, percutant et d'une grande liberté d'allure, J.-P. Vincent et son «dramaturgeJean Jourdheuil nous la présentent aujourd'hui, et sur un mode juste : intelligent, sec, et agressif - celui précisément qu'on ne supporte pas. Comme l'écrivent avec pertinence les responsables de ce spectacle, .Ie comique de Tarn· bours et Trompettes est tout entier dans la représentation des tergiversations dfune classe dominante qui éprouve des difficultés il assouvir ses intérêts _. On est en pleine révolte des colonies d'Amérique; J'armée du roi George se fait étriller; catastrophe nationale : Boston est tombée, comme Dien·Bien-Phu (Brecht 8 choisi avec sagacité de situer en 1716 une action qui chez Farquhar se situait en 1705, pendant la guerre des Flandres). Il faut trouver des troupes fraîches pour mater ces rebelles qui se mêlent de vouloir être indépendants au mépris des Intérêts

La Quinzaine littéraire, du 16 au 30 novembre 1969

des négociants et des banquiers de l'Angleterre éternelle. L'arrivée des officiers recruteurs dans une petite ville anglaise bien tranquille, jouant le rôle de révé· lateur, va faire apparaître soudain les contradictions sociales, les conflits d'Intérêts, habituellement masqués par la routine et la respectabilité. Tous masques tombés, les fantoches de la bourgeoisie se houspillent et criail· lent : le fabricant de chaussures (qui dit recrues, dit godillots), le banquier Smuggler, saisi par la débauche et la crainte de voir, après Boston, les actions tomber elles aussi, Madame Prude, gorgone et pasionaria de l'Ordre Moral, qui indique aux flics les fornicateurs qu'assagira le recrutement forcé, et, au milieu de cette enfance, le juge Balance (admirablement joué par Jacques Debary), hobereau patriote qui adore les officiers comme dé· fenseurs de l'ordre et de la patrie, mais qui n'en veut pas pour époux de sa fille, propriétaire terrien coincé entre tes Intérêts de classe et les intérêts privés. Tout ce beau monde, réconcilié par le recrutement forcé (le juge Balance a déniché l'article de 101 J'autorisant), va sabler le cham· pagne pendant qu'un matamore empanaché (abominablement joué par Maurice Teynac), em· mène, au pas, vers l'Amérique, et en chantant l'Angleterre et son roi, tous ces bons Il rien : mineur, forgeron, chômeur, garçon d'auberge, qu'on a raflés

Certes, Farquhar n'est pas Shakespeare, ni Sophocle, et quand Brecht « refait - L'Officier recruteur, c'est moins fort que lorsqu'il refait Antigone ou Coriolan. La pièce a des longueurs, des temps morts, l'intrigue sentimentale, avec travestissements selon Molière et Beaumarchais, traîne souvent. Aussi bien le travail de Vincent et Jourdheuil n'a pas la précision, la densité qu'il avait dans une pièce plus ramassée, plus forte, la Noce chez les petits-bourgeois, dont ils avaient donné une présentation magistrale. Certains des acteurs de la troupe réguliète du Théâtre de la Ville, sont visiblement assez étrangers au jeu brechtien et, à la ruse qu'il exige. Les architectures miniature de Christine Laurent ont un peu la banalité des stéréotypes. Reste que cette mise en scène a fort intelligemment compris qu'il ne fallait pas sacrifier l'analyse au soi-disant mouvement comique : elle équilibre justement les deux. Tous les fantoches sont cernés d'un trait prétis, incisif, agressif; les principaux acteurs ont trouvé le jeu qui convient à Brecht, un jeu où chaque geste a la fois signifie, commente, critique, et se -critique : notamment Jean Vernier, qui joue le capitaine Plume, Jacques Debary et surtout Hélène Vincent qui découvre un talent assez éblouissant dans l'aigre, l'acide, et le grinçant. Bref, il Y a dans ce spectacle une Insolence dans l'humour, un pouvoir d'analyse dans l'ironie, une pratique de la ruse sournoise qui jamais ne trahissent l'essentiel de Brecht. et qui rendent, en effet, ce spectacle Insupportable à ceux qui se gobergent d'Anouilh et d'Offenbach, et qui couinent fort, Ici, parce qu'on les dépiaute. Gilles Sandler 1:1


Livres de poche poi.l.

Emmanuel Berl Europe et A.1e Gallimard/Idées

Jean Follàln ExIster, suivi de Territoires Préface de H. Thomas Gallimard/Poésie

Sigmund Freud Le mot d'esprit et se. rapporta avec l'Inconscient Trad. de l'allemand par M. Bonaparte et M. Nathan Gallimard/Idées.

Les po6.lea. suivi de Portrait de Jule. et de R6clt de l'an z6ro Préface de Gaêtan Plcon Gallimard/Poésie

••8AI8 Karl Abraham Psychanalyse et culture Petite Bibliothèque Payot

Hegel Morceaux choI.l. Tome. 1 et Il Trad. de l'allemand par H. Lefebvre et N. Guterman Gallimard/Idées. Adolph~

Jacques Rueff De. science. phy.lques aux sciences morale. Petite Bibliothèque Payot. Pierre-Henri Simon L'e.prlt et l'hl.tolre Petite Bibliothèque Payot. Alan W. Watts Le bouddhl.me Zen Petlte Bibliothèque Payot.

TB.AT••

Lods

I.rail A. Michel/Evolution de l'Humanité

Almé Césaire Une templte Seuil/ThéAtre

FEUILLETON

par Georges Perec

Résumé des chapitres précédents : Le narrateur se prépare à aller à un rendez-vous que lui a fixé un certain Otto Apfelstahl, non sans se demander' ce qu'il peut bien lui vouloir.

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(Voir le n° 82 de la Quinzaine) . Christian Liger Chronique cie la vie et de la mort d'Hitler Seuil/Théâtre Eduardo Manet Les nonnu Gallimard/Le manteau d'Arlequin Le texte de la pièce créée en mal dernier au théAtre de Poche-Montparnasse Boris Pasternak La belle aveugle Trad. du russe par Hélène ChAtelain GalIImard/ThéAtre du monde entier Le dernier texte de Pasternak

INEDITS Jacques Chaurand Histoire de la langue française Que sais-je? François Clouzot L'exploration sou......,lne Que sais-je? Gandhi Tou. le. homme. sont fritre. Vie et pensée du Mahatma Gandhi d'après ses œuvres. Trad. de l'anglais par G. Vogelweith Préface d'O. Lacombe Gallimard/Idées

J. Kahn Pour COIIlpIelldre 1.. crIHa monétaire. Editions sociales Pierre Lefort

Le. turbomechlnu

Que sais-je?

André Ricci La .tatlque Que sais-je? V. Romanovaky

Le.ocUns

Que sais-je? Michel Stewart Keynu Trad. de l'anglais par Annie Vallée Seuil/Société

Il était six heures juste lorsque je passai la porte-tambour de J'Hôtel Berghof. Le grand hall était à peu près désert; négll~em­ ment appuyés contre un pilier, trois jeunes grooms vêtus de gilets rouges' à boutons dorés bavardaient à volx basse, les bras crol~és. Le portier, reconnaissable à sa vaste 'houppelande vert bouteille et à son chapeau de cocher à plumet, traversait le hall en diagonale, portant peux grosses, valises et précédant une cliente qui tenait un petit chl'en entre ses bras. Le bar était au fond du hall, à peine séparé de lui par une cloison à claire-voie garnie de hautes plantes vertes. A ma grande surprise il n'y avait aucun consommateur; la fumée des cigares ne flottait pas en l'air, rendant l'atmosphère presque opaque, un peu étouffante ; là où j'attendais un désordre feutré, le bruit de vingt conversations sur· un fond de musique fade, il n'y avait que des tables nettes, des napperons bien el) place, des cendriers de cuivre étincelants. L'air conditionné rendait l'endroit presque frais. Assis derrière un comptoir de bois sombre et d'acier, un barman à la veste un peu fripée lisait la Frankfurter Zeitung. J'allaiS m'asseoir dans le fond de la salle. Levant un instant les yeux de son journal, le barman me regarda d'un air interrogateur; je .Iui commandai une bière. Il me l'apporta, traînant les pieds: je m'aperçus que c'était un très vieil homme, sa main considérablement ridée tremblàit un peu. - Il n'y a pas grand monde, dis-je, moitié pour dire quelque chose, moitié parce que cela me semblait tout de même étonnant. Il hocha la tête, sans répondre, puis soudain il me demanda: - Voulez-vous des bretzels? - Pardon? fis-je sans comprendre. - Des bretzels. Des bretzels pour boire avec votre bière. - Non merci. Je ne mange jamais de bretzels; donnez-moi plutôt un journal. . Il tourna les talons, mais sans doute m'étais-je mal exprimé ou n'avait-il pas fait attention à ce que je lui avais demandé, car, au lieu de se diriger vers les porte-journaux accrochés au mur, il retourna à son comptoir, posa son plateau et sortit par une petite porte qui devait donner sur les offices. Je regardai ma montre. Elle ne marquait que six heures cinq. Je me levai, j'allai chercher un journal. C'était un supplément économique hebdomadaire d'un quotidien luxembourgeois, le • Luxem· burger Wort -, qui datait de plus de deux mois. Je le parcourus


COLLECTIONS

" EntretleD8 " La collection • Entretiens -, qui a su Intéresser les principaux éditeurs étrangers et dont la plupart des titres ont été traduits dans une dizaine de langues, ne semble pas encore avoir atteint en France, l'audience qu'elle pourrait légitimement escompter. Ce sont là des paradoxes courants dans le monde de l'édition. Voici une collection aussi éloignée qu'il se peut d'une entreprise de vulgarisation et qui ne bénéficie d'aucune publicité tapageuse. Serait-elle boudée parce que mal connue par le public dit • cultivé - auquel elle semblerait de prime abord destinée? En revanche, l'exigence qui préside à sa politique ou, pour reprendre l'expression de son éditeur et fondateur, Pierre Belfond, qui n'en est pas à une boutade près, les • partis prissur lesquels elle se fonde éloigneraient-lis ce qu'II est convenu d'appeler le grand public? ' De fait, si l'on en juge p,ilr les treize titres publiés et les q\Jelaue

'vingt volumes qui sont actu~"ement en chantier, une première remarque s'Impose: • Entretiens - est une collection ouverte à toutes les manifestations de l'esprit créateur, de la littérature au cinéma, en passant par la peinture, la musique, la sculpture, l'architecture, le théâtre, voire la politique. En contrepartie, elle s'adjuge le droit de n'accorder la parole qu'à ceux-là seuls qu'elle croit pouvoir tenir pour des créateurs véritables, ce qui exclut, à priori, bon nombre de célébrités de la mode ou de l'événement dont le nom suffirait, cependant, à attirer l'attention du public sur tout ouvrage qui leur serait consacré. SI, parmi les personnalités Interrogées, certains, tels Ionesco ou Jouhandeau dans le domaine de la littérature, Dall dans celui de la peinture ou Emmanuel d'Astier dans celUI de l'Idéologie, jouissent d'une notoriété indiscutable (ce qui n'a pas manqué d'avoir une Incidence heureuse sur le tirage des titres qui les concernent: entre 4.000 et 8.000 exemplaires), nombreux sont

pendant une bonne aizaine de minutes, buvant ma bière, absolument seul dans le bar. On ne pouvait pas dire qu'Otto Apfelstahl était en retard; on ne pouvait pas non plus' dire qu'il était à l'heure. Tout ce que l'on pouvait dire (tout ce que l'on pouvait se dire, tout ce que je pouvais me dire) c'est que, dans n'importe quel rendez-vous, 'il faut toujours prévoir un quart d'heure de 'battement. Je n'aurais pas dû avoir besoin de me rassurer, je n'avais aucune raison d'être inquiet, mals néanmoins l'absence d'Otto Apfelstahl me mettait mal à l'aise. Il était plus de six heures, j'étais au bar, je l'attendais, alors qu'il aurait dû être lui au bar, en train de m'attendre moi. Vers six heures vingt - j'avais abandonné le journal et depuis longtemps fini ma bière - je me décidais à partir. Peut-être yavait/1 un message d'Otto Apfelstahl pour moi au bureau de l'hôtel, peutêtre m'attendait-il dans l'un des salons de lecture, ou dans le hall, ou dans sa chambre, peut-être s'excusait-il et nie proposait-il de remettre cet entretien à plus tard? Tout à coup, il se fit comme un grand remue-ménage dans le hall : cinq à six personnes firent irruption dans le bar, s'attablèrent bruyamment. Presque au même Instant, deux barmen surgirent de derrière le comptoir. Ils étaient Jeunes et je ne pus m'empêcher de remarquer qu'à eux deux, ils devaient tout juste atteindre l'âge de celui qui m'avait servi. C'est au moment où j'appelai l'un des garçons pour lui régler ma consommation - mais il semblait trop occupé à prendre les commandes des clients récemment attablés pour faire attention à moi - qu'apparut Otto Apfelstahl : un homme qui, à peine entré dans un endroit public, s'arrête et regarde taü't autour de lui avec un soin particulier, avec un sentiment d'attention curieuse, et reprend sa marche dès que son regard a rencontré le vôtre, ne peut être que votre interlocuteur. C'était un homme d'une quarantaine d'années, plutôt petit, très maigre, avec un visage en lame de couteau, des cheveux très courts, déjà grisonnants, taillés en brosse. Il portait un costume croisé, gris sombre. Si tant est qu'un homme puisse porter sa profession sur sa figure, il ne donnait pas l'impression d'être médecin, mais plutôt homme d'affaires, fondé de pouvoir d'une grande banque, ou avocat. Il s'arrêta à quelques centimètres de moi. - Vous êtes Gaspard Winckler? me demanda-t-il, mais en fait la phrase était à peine interrogative, c'était plutôt une constatation.

La Quinzaine littéraire, du 16 au 3D novembre 1969

ceux qui, tels Raymond Abellio, ne sont connus que par un petit cercle de fidèles, ou dont la réputation, comme c'est le cas pour le sculpteur Kowalsky, ne dépasse guère le cadre de leur milieu professionnel, ou encore dont l'œuvre, célèbre dans le moride entier, est méconnue fin France, telle celle du peintre Kokoschka. Ces • Entretiens -, d'autre part, se situent à l'opposé de ce que la presse quotidienne 'ou périodique nous propose ordinairement sous cette dénomination. • Notre ambition, dit encore Pierre Belfond, est de constituer avec ces ouvrages non pas des documents d'actualité, mals des témoignages susceptibles de défier le temps; des livres qui, par leur qualité, puissent venir tout naturèllement s'intégrer à l'œuvre de l'artiste concerné et que l'artiste lui-même soit amené après coup, à considérer comme partie Intégrante de son œuvre -. Bien entendu. la réussite de ces • Entre-

tiens - dépend en grande partie de la manière dont Ils sont envisagés au départ et, notamment, des affinités qui peuvent exister entre le personnage interrogé et celui qui recueille ses propos, non moins que du minutieux travail de montage et de révision auquel tous deux procèdent en étroite collaboration à partir de la version dactylographiée qui leur est fournie de leurs conservations, enregistrées plusieurs jours durant au magnétophone. • Entretiens - comprend d'ores et déjà dans son catalogue, des documents d'autant plus émouvants qu'Ils constituent le dernier message direct que nous aient laissé Gombrowicz, Wieland Wagner et Emmanuel d'Astier. Ouvrages à peraitre: Pasolini, par Jean Duflot. Foucault, par Claude Bonnefoy. Stockheussen, par Maurice Fleuret. Boulez, par Sylvie de Nussac et Michel Fano.

- Euh... Oui... répondis-je, stupidement et en même temps je me levai, mais il me retint d'un geste: - Non, non" restez assis, asseyons-nous, nous serons beaucoup mieux pour bavarder. Il s'assit. Il considéra un instant mon verre vide. - Vous aimez la bière, à ce que je vols. - Cela m'arrive, dis-je sans trop savoir que répondre. - Je préfère le thé. Il se tourna légèrement vers le comptoir, levant à demi deux ,doigts. Le garçon survint aussitôt. - Un thé pour moi. Voulez-vous une autre bière, me demandat-il ? J'acquiesçai. - Et une bière pour Monsieur. ,J'étais de plus en plus mal à l'aise. Dev~is-je lui demander s'il s'appelait Otto Apfelstahl ? Devais-je lui demander, tout à trac, à brûle-pourpoint, ce qu'il me voulait? Je sortis mon paquet de ciga· rettes et lui en offrit une, mais il la refusa. - Je ne fume que le cigare, et encore, seulement après mon repas du soir. - Etes-vous médecin? Ma question (contrairement à ce que j'avais, naïvement, pensé) ne parut pas le surprendre. C'est à peine s'il sourit. - En 'quoi le fait que je ne fume mon cigare qu'après lei dîner ' vous conduit-il à penser que je puisse être médecin? - Parce que c'est ,une des questions que je me pose à votre sujet depuis que j'ai reçu votre lettre. - Vous en posez-vous beaucoup d'autres? - Quelques autres, oui. - Lesquelles? - ' Eh bien, par exemple, que me voulez-vous? - Voilà, en effet,une question' qui s'impose. Désirez-vous que j'y réponde tout de suite? - Je vous en serais très reconnaissant. - Puis-je, auparavant, vous poser une question? - Je vous en prie. - Vous êtes-vous déjà demandé ce qu'il était advenu de l'individu qui vous a donné votre nom ? Pardon? dis-je, sans comprendre. (à suivre)

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TOUS

LES

LIVRES

Livres publiés dans la lignée de Kafka, de Borges et de Michaux.

.OMANS . . .ANÇAI. • Michel Bernard La nue L'Or du Temps éd., 224 p., 24 F. Par l'auteur de • La négresse muette ~ et des • Courtisanes Prix d'Honneur 1968 (voir le n° 35 de la Quinzaine).

David B(,)'er

il y a vingt-cinq ans par les nazis. .Anaïs Nin Journal 1 1931·1934 Trad. de l'anglais par M.oC. van der Elst Stock, 384 p., 34 F. Un document passionnant sur le Montparnasse des années 30, par celle qui fut l'amie de Miller, d'Artaud et de Otto Rank.

Regarda en coulisse d'un tueur de pigeons Trad. de l'amércain par Pierre Alien • Luis Cernuda Cal mann-Lévy, La l'MIlté et le d6s1r 232 p., 18,70 F. Poèmes choisis Un premier roman et présentés plein de verve par J. Goytisolo et d'humour noir. Traduits de l'espagnol par R. Marrast • Carlo Cassola et A. Schulman Morelia, suivi de Michel Bernard Gallimard, 184 p., 25 F. Jours mémorables Le chevalier blanc Trad. de l'Italien Ch. Bourgols, • r.S. Elliot par Ph. Jacottet 352 p., 25 F. P06sles Seuil, 192 p., 18 F. le portrait féroce Trad. de l'anglais Deux brefs romans d'un • héros par P. Leyrls D.S. Mirsky de Cassola de la société Seuil, 240 p., 29 F. Histoire où se trouvent de consommation. Edition bilingue de la littérature rune opposées Fayard, 615 p., 50 F. deux Toscanes : René LacOte Jacques Besse Le texte des cours celle, riche et délicate Anne H6bert La grande Pique, et séminaires de la côte, celle, Seghers. 192 p., 9,50 F. suivi de que l'auteur, pauvre et rude Une grande Légendes folles né en Russie en 1890, de la montagne poétesse P. Belfond, 220 p., 14 F a faits à l'Université canadienne Dans la collection J. Kenneth Galbraith de Londres. d'aujourd'huI. • Délire., La triomphe .. Pierre Pascal un recueil de nouvelles Trad. de l'anglais L. Sédar Senghor Dostoievsld par J. Collln-Lemercier et de poèmes Anthologie Desclée de Brouwer oniriques, Gallimard, 288 p., 20 F. de la nouvelle pœsle 144 p., 6,90 F. hallucinants, Le premier roman, n6gre et malgache Coll. • Ecrivains déchirants. très attendu, de langue françal.. devant Dieu -. du célèbre économiste pr6c6d6e d'OrphH Nicolas Meilcour américain. Bernard Poli noir Ro.. et Carma André Le Vot par Jean-Paul Sartre • Henry James Ch. Bourgols, G. et M. Fabre P.U.f., 272 p., 25 F. Un portrait de femme 304 p., 25 F. Francis Scott Trad. de l'anglais Marguerite Yourcenar Deux longues Fitzgerald par Ph. Neel Présentation nouvelles qui tentent Coll. • U 2Stock, 704 p., 23 F. critique de décrire le lent 4 Illustrations Un des classiques d'Horten.. Flexner processus A. Colin, 368 p., 12,30 F de la littérature Trad. de l'américain de destruction L'univers de Fitzgerald américaine, par qu'engendre à travers l'étudequi n'avait pas été • Marguerite Yourcenar une fascination de deux de réédité depuis 1933. Edition bilingue d'ordre ses œuvres: Gallimard, 124 p., 20 F. Ercole Patti purement érotique. • Gatsby Ce merveilleux Un grand poète le magnifiqueautomne suivi de américain • Jean-Claude Montel et • Tendre est Le carnaval d'aujourd'hui La cousine la nuit-. Coll. • Change. Trad. de l'Italien présenté à travers Seuil, 128 p., 15 F. Zola 36 de ses poèmes. par M. Causse Ouvrage collectif Une amère et violente et H. Pasquier Coll. • Génies et mise à nu Stock, 224 p., 22 F. réalités. de la société Deux récits qui ont 200 ili. en noir et tout entière pour cadre la Sicile BIOG.APHIES à travers la description en couleurs et pour thème l'amour MI:MOIRI:S Hachette, 298 p., 45 F d'une ville dans son sens Zola, écrivain engagé et d'une femme. le plus païen. Daniel Anet avant la lettre vu James Purdy Pierre Cérésole par A. Lanoux, • Pierre Schaeffer Les œuvres d'Eustace La passion de la paix Le gardien du volcan M. Thomas, C. Roy, Trad. de l'anglais Ed. de La Baconnière, Seuil, 256 p., 19,50 F. A. Wurmser, etc. par S. Mayoux 360 p., 28,85 F. Un premier roman Gallimard, 256 p., 19 F. L'œuvre et la pensée où souvenirs Par l'auteur de cet objecteur personnels et allégories SOCIOLOGII: de • Satyre. de conscience, sont étroitement mêlés, PSYCHOLOGIB (voir le n° 29 fondateur par le célèbre ETHNOGRAPHIE de la Quinzaine). du Service Civil msicologue, Un roman qui a pour International Directeur cadre le Chicago de la Recherche E. Bethge Michel Ambacher des années 30. à l'O.R.T.F. Dietrich BonhoeHer Marcuse et la critique Romulus Vulpescu Vie - pensée de la clvlll..tion Récitai extraordinaire • Elie Wiesel témoignage américaine La nuit, l'aube, le jour adapté du roumain par Traduction Aubier-Montaigne. Seuil, 304 p., 29 F. lIeana Vulpescu de E. de Peyer 136 p., 12,90 F Réédition en un seul Illustrations Centurion, 900 p., Une étude critique volume relié des trois de Benedict Ganesco 22,50 F. de la pensée célèbres récits Seghers, 112 p., 13,50 F. L'itinéraire de l'un marcusienne et d'E. Wiesel Un grand écrivain des grands témoins de son Interprétation (voir les n° 9, 50 et 62 roumain de notre temps, par les champions de la Quinzaine). contemporain exécuté de la • contestation -.

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Louls-Paul AuJoulat Action HeIaIe et développement A. Colin, 400 p,. 22 F Les divers aspects et les problèmes du développement social dans les pays du tiers monde. Maurice Capul Les groupes Néducatlfs P.U.F., 248 p., 14 F Problèmes et réalisations en matière de psychopédagogie dans la France d'aujourd'huI. • Jean Duvlgnaud

Georges Gurvitch

Seghers. 192 p., 9,50 F L'œuvre et la pensée d'un des grands théoriciens de la sociologie moderne. André Halm Las suicides d'adolescents • Bibliothèque scientifique. Payot, 304 p., 28,85 F Une étude à la fols statistique, sociologique et psychanalytique par un spécialiste des problèmes de l'adolescence.

le Symbolique Coll. • Connaissance de -rlnconsclentGallimard, 368 p., 33 F Les trois aspects majeurs du symbolique : la relation entre la loi, l'interdit et le désir; le symbolique dans l'œuvre d'art; le concept de mort et la -fonction du fantasme. H. Saivat L'Intelligence, mythes et réalités Editions sociales, 372 p., 19 F La notion d'Intelligence étudiée à travers une approcha marxiste des faits de psychologie.

PHILOSOPBI. LINGUISTIQUI: • Emile Benveniste La vocabulaire des Institutiona Indo-européennes

Tome Il : Pouvoir, droit, religion Editions de Minuit, 336 p., 27 F Par "auteur de • Problèmes de linguistique g'nérale (voir le numéro 5 de La Quinzaine). Jean-Paul Dumont Les sophistes fragmenta et témoignages P.U.F., 256 p., 15 F Les thèmes et les concepts principaux de la pensée sophistique à travers un ensemble de textes traduits pour la première fols en français.

• Georges Heuyar La d6l1nquance juvénile P.U.F., 312 p., 15 F Une étude psychiatrique globale qui fait le point sur la question et s'efforce de proposer des remèdes propres il assurer la réadaptation du délinquant à une vie normale. Abel Jeannlère Anthropoolgle sexuelle Aubier-Montaigne 224 p., 18 F Réédition, revue et augmentée, d'un ouvrage des plus • Roman Jakobson actuels. Langage enfantin Ronald D. Laing et aphasie La politique Traduit par de l'expérience J.-P. Baons Trad. de l'anglais et R. Zygouris par C. Eisen Coll. • Arguments. Stock, 128 p., 18 F Ed. de Minuit, Une mise en question 184 p., 16,50 F du monde moderne Réunis pour et des données la première fols, cinq admises de écrits qui ont pour la psychologie, de sujet commun l'étude la sociologie et de de l'acquisition la psychiatrie. du langage chez l'enfant et celle • François Perroux des syndromes Herbert Marcuse aphasiques. François Perroux interroge Herbert • M. Merleau-Ponty Marcu..... qui répond La pro.. du monde Aubier-Montaigne Texte établi et 208 p., 9,90 F présenté par Marcuse par lui-même C. Lefort (voir les n 52 et 67 Gallimard, 232 p., 18 F -:le La Quinzaine). Un texte dont la moitié avait été écrite • Guy Rosolato avant 1952 et qui se Essais sur Of


du 20 octobre au 5 noveDlbre 1969 présente comme l'esquisse d'une théorie de l'expression et de l'histoire. Alain Michel La philosophie politique à Rome d'Auguste à Marc-Aurèle A. Colin, 384 p., 15 F Présentation suivie d'une anthologie de textes traduits du latin et du grec. • G. Politzer Ecrits 1 Présentés par Jacques Debouzy Editions Sociales, 392 p., 15 F La contribution de Georges Politzer à la pensée marxiste.

M. Marnat Ch. Bourgols 304 p., 22 F Un recueil d'essais sur la création artistique et ses soubassements profonds, par l'auteur de • L'amant de Lady Chatterley •.

BCIENCE8 Jean Coulomb L'expansion des fonds océaniques et la dérive des continents P.U.F., 224 p., 32 F Une étude qui fait le point des connaissances actuelles en la matière.

de textes et de rapports diplomatiques., Pierre Chaunu Conquête 'et exploitation des nouveaux mondes (XVI· siècle) P.U.F., 448 p., 30 F Une analyse des conditions géographiques lointaines qui furent à l'origine de l'essor économique de l'Europe.

~~~I!I~~• • • • François Quesnay BCONOMIB Tableau économique POLITIQUE des physiocrates Jean Bassan Les nouveaux patrons (Comment l'Imagination et l'audace supplantent le capital) Fayard, 265 p., 18 F Le portrait de dix grands industriels peu connus du grand public et la leçon de leur réussite. René-Jean Dupuy Mario Bettati Le Pacte de Varsovie 37 documents Coll . • U 2. A. Colin, 96 p., 6 F Les objectifs, la structure et le fonctionnement du Pacte de Varsovie.

Préface de Michel Lutfalla Coll. • Perspectives économiques. Calmann·Lévy 272 p., 12 F Le premier • modèle. de raisonnement économique. J.F.H. Roper L'enseignement économique au niveau universitaire A. Colin, 288 p., 30 F Rapport dans le cadre de l'enquête organisée sur les programmes d'études universitaires par le Conseil de la Coopération Culturelle du Conseil de l'Europe. R.-G. Schwartzenberg La guerre de succession P.U.F., 292 p., 18 F Les élections présidentielles de 1969 ou du régicide référendaire à l'avènement du dauphin.

Histoire générale de la presse française Tome Il : de 1815 à 1871 publiée sous la direction de C. Bellanger, J. Godechot, P. Guiral et F. Terrou 24 pl. hors-texte • Jean-Claude Pecker P.U.F., 472 p., 55 F Les observatoires Jean Pucelle Le deuxième tome spatiaux David Hume • Jacques Ellul d'une étude fort P.U.F., 180 p., 25 F Seghers, 192p., 9,50F Autopsie de Les perspectives ambitieuse mais Une étude, complétée la révolution de l'astronomie qui paraît par un choix Important Cal mann-Lévy, spatiale. remarquablement de textes, sur l'un 360 p., 22,50 F réussie. des philosophes les Andrew Tomas Par l'auteur plus controversés du La barrière du temps Jean Imbert de • Exégèse des • siècle des Trad. de l'anglais Henri Morel nouveaux lieux lumières •. communs. et par Gauthier Laurent René-Jean Dupuy de • La métamorphose Julliard, 326 p., 22 F La pensée politique Si la gauche voulait • Paul Ricœur La notion du Temps du bourgeois. des origines Ouvrage collectif Le conflit à la lumière de la (voir le numéro 5 à nos jours Editions et des interprétations de La Quinzaine). théorie de P.U.F., 608 p., 30 F Publications Essai d'herméneutique la relativité. L'évolution des idées Premières, 284 p., Gaston Fessard Seuil, 512 p., 36 F politiques, à travers Autorité et 19,80 F Une méditation qui se ies grandes synthèses bien commun situe au carrefour de Ce, livre est le fruit doctrinales, de HI8TOIRB Aubier-Montaigne la structure et du sens, du travail accompli l'Antiquité grecque 160 p., 12,90 F de la psychanalyse par six cents Réédition d'un et du sujet, de la Robert Aron à nos jours. spécialistes du classique de science et de mouvement L'histoire de l'épuration • A. Pelletier la philosophie la réflexion, de • Technique J.-J. Goblot Tome Il : Des prisons politique. la religion (ou de et démocratie. et clandestines aux Matérialisme l'athéisme) et de propose un programme tribunaux d'exception historique et histoire François Garelli la foi. précis d'action des civilisations septembre 1944 Pour une monnaie gouvernemontale juin 1949 Editions Sociales européenne pour la gauche dans Fayard, 648 p., 32 F 200 p., 10 F Seuil, 160 p., 15 F tous les domaines. La fécondité de Une étude appuyée Un banquier E88AI8 sur des documents la conception marxiste nous explique Louis Vallon de première main de l'histoire une fois pourquoi l'établissement L'anti de Gaulle Michel Barba et qui éclaire en décapée de ses d'une monnaie Coll . • Histoire Les buffles particulier l'attitude dégénérescences européenne Immédiate. Julliard, 224 p., 15 F du général de Gaulle dogmatiques. ne doit pas être Seuil. 1286 p.. 10 F Une satire lors des grands procès . considérée Où l'auteur du célèbre goguenarde des mœurs de l'après-guerre. Jean. Ro~ge. comme une utopie. amendement l,ur Les institutions du • cadre. de l'intéressement Robert Lattes romaines de la Rome Maurice Baumont l'industrie moderne. des travailleurs, Mille milliards royale à la Rome Les origines de dénonce sans ambages de dollars chrétienne • Emmanuel Berl la Deuxième Guerre la politique A contretemps • Edition Spéciale. Coll .• U 2. mondiale de Pompidou. Gallimard, 224 p., 15 F Publications A. Colin, 320 p., 12,30 F Payot, 368 p., 24,70 F L'itinéraire spirituel Premières, L'évolution de Une analyse complète • Jacques Vergès d'un écrivain qui, tout 222 p., 22,90 F ces institutions à des événements Pour les flttayltlé au long de sa vie, L'Europe face à la lumière de quelques politiques, Ed. de Minuit, a refusé avec la concentration moments remarquables diplomatiques et 192 p., 9 F acharnement les du pouvoir économique de leur histoire et de économiques qui Le conflit palestinoponcifs de notre temps. et à l'hégémonie 78 textes traduits entraînèrent sioniste analysé à américaine. l'Europe dans la guerre. du latin. travers une affaire • Ernst Jünger qui a récemment Chasses subtiles François Perroux François Toussaint Eiiahu Ben Elissar défrayé la chronique: Ch. Bourgois, cc Indépendance" Histoire du Japon La diplomatie le double attentat 464 p., 27 F de la nation Fayard, 411 p., 30 F du III' Reich et les Juifs contre deux avions de Les • anti-mémoires • Aubier-Montaigne Géographie, politique, Julliard, 512 p., 27 F la compagnie El AI. d'un des plus grands 304 p., 18 F arts, vie sociale, Thèse pour l'Institut écrivains allemands Une étude approfondie Peter Weiss religieuse, pensée des Hautes Etudes d'aujourd'hui. et appuyée sur Notes sur la vie philosophique: une Internationales de des données culturelle en étude très complète et Genève, un ouvrage .D.H. Lawrence statistiques précises, augmentée d'une République qui se présente avant Eros et les chiens de la crise Démocratique importante tout comme une Textes choisis et économique française. du Vietnam bibliographie. analyse politique présentés par La Quinzaine littéraire, du 16 au 30 novembre 1969

Trad. de l'allemand par Michel Bataillon Coll. • Combats. Seuil, 1786 p., 15 F Pour comprendre le • miracle. de la résistance vietnamienne. Sylvain Wickham L'espace industriel européen Coll. • Perspectives économiques. Cal mann-Lévy 288 p., 24,70 F La réalité et les perspectives, les obstacles et les possibilités en matière de communauté Industrielle européenne.

• Athènes-Presse libre. Le livre noir de la dictature en Grèce Coll. • Combats. Constitué par l'équipe du bulletin d'information • Athènes-Presse libre. un dossier précis sur la répression et la torture depuis le putsch d'avril 1967. Rosa Bailly Victoire sur le cancer Préface de M. Choisy Ed. du Mont-Blanc, 160 p., 16,50 F Un livre qui ne se donne pas pour un document appuyé sur une expérience très large et très précise. Edouard Galie Hitler sans ma~ue Trad. de l'allemand par M. Goro\litch Stock, 208 p., 19 F Hitler révélé 'à travers les entretiens, inédits jusqu'à ce jour, qu'il eut en 1931. Alain Guérin Les commandos de la guerre froide Julliard, 4~6 p., 25 F Les coulisses de la guerre secrète entre l'Est et l'Ouest. Jean-Pierre Hoss Communes en banlieue Argenteuil et Bezons 12 photos hors-texte A. Colin, 136 p., 25 F Les aspects humains. politiques, sociaux et administratifs. Journal de l'année Tome III: du 1- jullleL 1968 au 30 juin 1969 Nombr. illustrations 'Larousse, 416 p., 58 F

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AUX ÉDITIONS RENCONTRE

ANTHOLOGIE DELA CORRESPONDANCE FRANÇAISE Chaque volume renferme • des notices biographiques sur chacun des auteurs • des informations sur la genèse de la correspondance la présentation suit l'ordre chronologique de la date de naissance des auteurs. 7 volumes de près de 500 pages en moyenne, au format de 12,5 x 18,5 cm, reliés plein Skivertex vert foncé ombré, do~ et plat supérieur gaufrés or, faux nerfs, coins arrondis, signet de soie or. Dans les bonnes librairies

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