Centralités #6 - mars 2015

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AU LOIN S'ENTEND VENIR... LE GRAND PARIS Sortie de l'hiver. Sentir la chaleur des beaux jours à venir. Centralités du Grand Paris #6 se revêt de la lumière d'Alger. Jean-Pierre Courtiau nous présente son pari, sa réussite éclatante et enivrante à l'aube du la métropole du Grand Paris.

C'est avant que Bertrand Lemoine, ancien directeur général de l'Atelier international du Grand Paris, attire notre attention sur le rapport entre territoire et action sur celui-ci même. Yves Schwarzbach porte à la une la question de la compétitivité, son maintien : il ne faudrait pas s'endormir sur ses lauriers.

Et c'est sans détours que Virgnie Picon-Lefèbvre interroge le Grand Paris quant aux logements indignes qui perdurent. S'en suivent des réflexions sur l'immobilier et ses nouvelles pratiques d'aménagement partagé, principe de créativité. Ainsi, Christine Desmoulins s'entretient avec Philippe Cayol, directeur général de Nacarat, promoteur spécialisé en immobilier résidentiel, d'entreprise et commercial

Les pages de ce numéro ne pouvaient faire l'économie d'un dossier sur la Philharmonie de Paris, Maryse Quinton nous présente ce projet hors normes, à la hauteur des ambitions de Grand Paris. Tant par l'architecture que par l'offre culturelle qu'elle renferme, elle irradie.

Vue sur la promenade des Anglais © ville de Nice

Enfin mise à l'honneur d'Asnière-sur-Seine et de Nice. De la lumière donc entre ses pages.

Marc Sautereau, directeur de publication


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SOMMAIRE

 

ACTUS

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 GRAND PARIS EN MOTS

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 TRIBUNE

LE GRAND PARIS DES TERRITOIRES De la nécessité d'une nouvelle organisation territoriale pour développer la métropole.

 À LA UNE

8 10

LIKE THE LEGEND OF THE PHOENIX

Les pôles de compétitivité du Grand Paris : comment maintenir l'influence dans le paysage mondial ?

 URBA

LE GRAND PARIS ET LE LOGEMENT DÉGRADÉ ET INDIGNÉ

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Quels sont les moyens mis en œuvre pour loger les plus pauvres dans le cadre de la métropole ?

 SOCIÉTÉ

IMMOBILITÉ ET MIXITÉ DES USAGES DANS L'ENTREPRISE Regards experts sur les nouveaux usages et partage qui façonnent la ville immobilière de demain

 PROMO IMMO

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PHILIPPE CAYOL

Directeur général de Nacarat.

 INTERNATIONAL

LE GRAND ALGER, UNE PROFONDE MUTATION LES AMBITIONS RÉALISÉE D'UNE NOUVELLE MÉTROPOLE.

 CULTURE

 LES TERRITOIRES CONSTITUTIFS DU GRAND PARIS

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ASNIÈRES-SUR-SEINE

 LES MÉTROPOLES FRANÇAISES NICE

Conception graphique : Chloé Gibert-Sander Mise en page : Léna Araguas Coordinatrice éditoriale et secrétaire de rédaction : Solveig Placier s.placier@bookstorming.com Charlotte Guy c.guy@bookstorming.com Partenariat et publicité : Sébastien Maschino s.maschino@bookstorming.com

Rédacteurs : Jean-Pierre Courtiau, Christine Desmoulins, Delphine Désveaux Charlotte Guy, Bertrand Lemoine, Carol Maillard Virginie Picon-Lefèbvre, Maryse Quinton, Yves Schwarzbach. Rédaction : Centralités du Grand Paris 49, boulevard de la Villette, 75010 Paris Tél : 00 33 (0)1 42 25 15 58 www.centralites.com Abonnement : Bulletin d’abonnement en page 96 Diffusion : MLP en kiosques et en librairies Trimestriel. Le numéro : 5, 90 €

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LA PHILHARMONIE DE PARIS ENTRE URBANITÉ ET INTIMITÉ

Directeur de publication, éditeur : Marc Sautereau m.sautereau@bookstorming.com

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Dépôt légal : à parution le 5 mars 2015

N°7– septembre 2015

CPPAP : 0615 T 92356

Le magazine décline toute responsabilité pour tous les manuscrits et photos qui lui sont envoyés. Les articles et photos publiés n’engagent que leurs auteurs. Tous droits de reproduction réservés.

Centralités du Grand Paris est édité par Bookstorming Erratum Dans le numéro #5 de Centralités du Grand Paris, une erreur s’est glissée dans le nom du gagnant MAISON&OBJET PROJETS AWARDS : FONT BARCELONA. La rédaction présente à l’entreprise toutes ses excuses.

Prochaine sortie : mars 2015

www.centralites.com En couverture: La fin du chantier en janvier 2015 © Borel photographe

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 ACTUS Charlotte Guy

ART PARIS ART FAIR Foire d’art européenne orientée vers la promotion des scènes de l’Est, « Art Paris Art Fair » invite à la découverte et dévoile une autre géographie de l’art qui passe par Riga, Moscou, Beijing, Shanghai, Bangkok, Sarajevo… L’édition 2015 met Singapour et l’Asie du Sud-Est à l’honneur. Confiée à la commissaire d’exposition Iola lenzi, une plateforme de galeries basées à Singapour montre la diversité des talents de la scène sud-asiatique en provenance de Birmanie, de Malaisie, d’Indonésie, de Singapour, de Thaïlande et du Vietnam. Un nouveau secteur solo-show viendra renforcer les secteurs thématiques comme Promesses dédié aux galeries émergentes, ArtDesign voué à l’exploration des liens entre art et design contemporain, et Art Books librairie, plateforme pour le livre d’art. Un programme dédié aux VIPs et collectionneurs « À Paris au printemps » mettra en lumière l’exceptionnelle actualité artistique à Paris en mars 2015. « Art Paris Art Fair » s’impose par sa diversité, sa singularité et définitivement comme l’événement artistique du printemps. Du 26 mars au 29 mars 2015 Grand Palais Avenue du Général Eisenhower, 75008 Paris

LA 13e SESSION DU CONCOURS EUROPAN EST OUVERTE !

OBSERVEUR DU DESIGN 2015 ÉQUATION(S) DESIGN 150 réalisations innovantes montrant le rôle déterminant du design dans le processus d’innovation. Au sein des équipes de création, le designer contribue à une approche globale du projet. Il veille à ce qu’il soit cohérent, beau, fonctionnel, innovant, ergonomique, agréable à utiliser, respectueux des modes de vie et de l’environnement… Il y apporte son talent créatif et sa capacité de représentation et de mise en forme. Il met en équation toutes les facettes de la création d’un produit. Exposition ouverte au public jusqu’au 1er novembre 2015 Cité des sciences et de l’industrie 30 avenue Corentin Cariou, 75019 Paris www.cite-sciences.fr Tous les jours sauf lundi, de 10 h à 18 h, jusqu’à 19 h le dimanche.

Réunies autour du thème de « la ville adaptable », plus de quarante collectivités de toute l’Europe, dont dix en France, présentent un site au concours. Les métropoles, les agglomérations, les villes de Bondy, Bordeaux, Goussainville, les trois villes corréziennes groupées d’Argentat-Turenne-Ussel, Marne-la-Vallée, Metz‑Métropole, Moulins, Montreuil, Saint-Brieuc et Vernon souhaitent ainsi faire appel à de jeunes équipes pluridisciplinaires pour leur apporter des réponses innovantes et expérimentales. Informations et inscriptions www.europan-europe.eu — www.europanfrance.org.


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UN BÂTIMENT, COMBIEN DE VIES ? L’EXPOSITION DU PALMARÈS GRAND PUBLIC ARCHICONTEMPORAINE 2014 24 projets nominés en juin au « Palmarès Archicontemporaine 2014 » exposés comme un panorama en images pour découvrir de nombreuses réalisations d'architectes en France. Une exposition qui permet d’explorer les images de l’architecture contemporaine du quotidien, ses pratiques, par des projets qui ont suscité l’adhésion du grand public et qui ont été primés par celui-ci. Jusqu'au 9 mars 2015 Cité de l’architecture & du patrimoine 1, place du Trocadéro, Paris 16e

L’exposition fait le point sur ce sujet indissociable de la question urbaine : la réutilisation pour ouvrir la voie à une renaissance, le recyclage pour stimuler de nouveaux usages. À travers huit thèmes – de l’évidence patrimoniale à la reconquête du banal en passant par le recyclage au profit de l’habitat et l’infrastructure, source d’architecture –, plus d’une centaine de projets et réalisations en France et en Europe sont présentés. Chaque thème est traité à travers trois projets, le plus souvent deux en France, un à l’étranger. Les projets présentés au fil des neuf mois d’exposition sont actualisés tous les trois mois. Jusqu’au 28 septembre 2015 Cité de l’architecture & du patrimoine 1, place du Trocadéro, Paris 16e La tête du Pont de Sèvres, Boulogne-Billancourt, Hauts-de-Seine, 2007-2015, Dominique Perrault Architecture © DPA / Adagp

© Yann Ott

TARYN SIMON « Vues arrière, nébuleuse stellaire et le bureau de la propagande extérieure » Une œuvre ambitieuse, résultat d’un processus de recherche et d’investigation aussi discret que rigoureux. Ses pièces mélangent photographie, texte et graphisme dans le cadre de projets conceptuels qui traitent de la production et de la circulation de la pensée comme des politiques de représentation. Taryn Simon examine la structure et le poids du secret ainsi que la précarité des mécanismes de survie du quotidien. Jusqu'au 17 mai 2015 Jeu de Paume 1, place de la Concorde, 75008 Paris

ÉLÉPHANT PANAME Le jeune centre d’art et de danse, Éléphant Paname, propose pour son premier événement de 2015 une exposition-expérience tout aussi sensorielle qu’émotionnelle, orchestrée par une agence de création britannique qui propose de casser les frontières entre art, design, architecture, technologie et industrie, avec pour maître mot : la lumière. Le visiteur est invité à devenir partie prenante d’un parcours découverte, en mettant à l’épreuve sa perception et en entrant en interaction avec des installations éblouissantes, captivantes ou contemplatives,… proposées, parfois pour la première fois à l’échelle mondiale, par une dizaine de créateurs internationaux. Jusqu'au 31 mai 2015 10, rue Volney, 75002 Paris

(UN MURAL, DES TABLEAUX) Le principe induit est un découpage très particulier des espaces du Plateau, pour une architecture déterminée par le nombre précis de peintures sélectionnées. Dans cette nécessité de structurer l’espace, l’exposition repose sur la présentation d’une peinture murale de Stéphane Dafflon, PM 062, en un sens, le principe protocolaire de « un mural, des tableaux », l’œuvre ayant été également conçue comme un véritable dispositif d’exposition permettant de présenter d’autres œuvres picturales et notamment d’autres artistes. Jusqu'au 12 avril 2015 Le plateau, paris Place Hannah Arendt, 75019 Paris www.fraciledefrance.com Artistes exposés : Jean-Luc Blanc, Denis Castellas, Nina Childress, Stéphane Dafflon, Kaye Donachie, Sylvie Fanchon, Johannes Kahrs, Elodie Lesourd, Bernhard Martin, Florian & Michael Quistrebert, Loïc Raguénès, Ida Tursic & Wilfried Mille Vue d'exposition © Martin Argyroglo


 LE GRAND PARIS EN MOTS GRAND PARIS : CONSTRUIRE UNE MÉTROPOLE ATTRACTIVE ET DURABLE Propos recueillis lors de la 2e conférence parlementaire sur le Grand Paris qui s'est déroulé le 20 novembre 2014 à la Maison de la Chimie (Paris) Les questions de transport et de logement cristallisent le débat autour de la future métropole dont la création est prévue au 1er janvier 2016. Le nouveau Grand Paris des transports relève le défi de l'attractivité et de la compétitivité. Le calendrier s'accélère. La modernisation du réseau de transport inclue la désenclavement de certains territoires de la métropole C'est en effet 200 km de nouvelles lignes ferroviaires qui sont prévus, avec notamment le prolongement de la ligne 14 du métro et la création des lignes 15, 16, 17 et 18. La ligne 15 sera la première mise en service, dès 2020. L'enjeu est double : il s'agit de lutter contre les inégalités et d'améliorer la qualité de vie des franciliens. Un nouveau modèle d'urbanisme s'engage avec le Grand Paris.

« Le moment est venu pour le Grand Paris et ses habitants d'engager une véritable transformation, de bâtir la métropole mondiale compétitive innovante et respectueuse de son environnement dont nous avons besoin. Les projets du Grand Paris sont essentiels pour la qualités de vie de millions de franciliens » « Le Grand Paris c'est plus que “l'addition de” c'est inventer, repenser, réaménager avec l'impératif du développement durable. On ne peut plus imaginer la ville de façon technocratique. »

« Le Grand Paris sans un maillage de la grand couronne se traduira par des inégalités : ce que personne en souhaite... Grand Paris c'est une tempête des esprits. L'ensemble de l'Île-deFrance a franchi une étape dans son organisation et a engagé le débat. » FRANCIS CHOUAT MAIRE D'ÉVRY, PRÉSIDENT DE LA COMMUNAUTÉ D'AGGLOMÉRATION CENTRE-ESSONNE

ALEXIS BACHELAY DÉPUTÉ DES HAUTS-DE-SEINE


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« Le Grand Paris c'est plus que “l'addition de” c'est inventer, repenser, réaménager avec l'impératif du développement durable. On ne peut plus imaginer la ville de façon technocratique. » ALEXIS BACHELAY DÉPUTÉ DES HAUTS-DE-SEINE

« Le Grand Paris, au bénéfice de l'exploitant, est une formidable opportunité pour innover, notamment au niveau de l'emploi. Et le Grand Paris Express, c'est l'occasion de se penser dans l'urbain et dans le périurbain. Au delà de la liaison il faut repenser le parvis des gares, dans une vision intermodale. Sans oublier le réseaux existants ; il faut se mettre à l'heure des exigences urbaines actuelles. » CHRISTIAN GALIVEL DIRECTEUR GÉNÉRAL ADJOINT EN CHARGE DE LA MISSION DU GRAND PARIS, GROUP RATP

« Les passionnés soulèvent le monde et les sceptiques le laissent retomber.  » ANDRÉ SANTINI DÉPUTÉ DES HAUTS-DE-SEINE, MAIRE D'ISSY-LES-MOULINEAUX, PRÉSIDENT DU CONSEIL DE SURVEILLANCE DE LA SOCIÉTÉ DU GRAND PARIS

« Grand Paris, il faut qu'il invente des centralités extérieures, il doit être multipolaire. Mais il y a un territoire qu'il faut déterminer, il faut définir la limite de la Métropole. » « Pour le maire du Grand Paris il faut un élu au suffrage universel. On a le droit de penser en dehors de sa famille politique, hors stratégie de boutique  : le Grand Paris doit devenir un objet public de débat. » ROLAND CASTRO MEMBRE DU CONSEIL SCIENTIFIQUE DE L'ATELIER INTERNATIONAL DU GRAND PARIS

« Il faut créer de la culture urbaine, pour qu'il y ait une compréhension de la ville et de son évolution. » « Le prix du foncier fait l'urbanisme dans ce pays : il faut le réguler, séparer le foncier de la valeur d'usage. » MARIE-NOËLLE LIENEMANN SÉNATRICE DE PARIS, SECRÉTAIRE DU SÉNAT


 TRIBUNE LE GRAND PARIS DES TERRITOIRES Bertrand Lemoine , ancien directeur général de l’Atelier international du Grand Paris

Il y avait la loi MAPTAM (Modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles) du 27 janvier 2014. Il y a désormais la loi NOTRe (Nouvelle organisation territoriale de la République), qui définit la répartition des compétences entre départements et régions et qui réécrit les dispositions d’une partie de la loi MAPTAM. Au-delà des sigles, c’est une profonde évolution du Grand Paris qui est en train de se mettre en place à travers un débat parlementaire qui en a considérablement redéfini les termes. La loi MAPTAM comportait dans son article 12 la mise en place d’une Métropole du Grand Paris, nouvel établissement public de coopération intercommunale, traçant son périmètre, réduit à la petite couronne augmenté éventuellement des communes adjacentes, précisant ses compétences et instituant une Mission de préfiguration qui devra achever ses travaux en juin 2016. LE GRAND PARIS DES MAIRES VS LE GRAND PARIS DU GOUVERNEMENT À l’architecture intégrée de la Métropole définie par la loi MAPTAM les élus franciliens concernés n’ont pas tardé à préférer une autre hiérarchie. Après les élections municipales et la perspective d’une future Métropole qui serait dès sa mise en place en 2016 politiquement dominée par la droite et le centre, et cela contrairement aux pronostics, un compromis s’est esquissé entre maires de tous bords, forts de leur légitimité fraîchement acquise dans les urnes. Le Conseil des élus de la Mission de préfiguration de la Métropole du Grand Paris a pris position le 8 octobre 2014 sur une métropole confédérée et non plus intégrée, avec

CE SONT BIEN LES CAPITAUX PRIVÉS QUI FERONT LE GRAND PARIS, PAS LES COMMUNES OU L’ÉTAT.

des territoires constitués en EPCI (Établissement public de coopération intercommunale) à fiscalité propre prélevant directement la Contribution foncière des entreprises (CFE) et en fixant les taux, chaque commune pouvant adhérer à deux EPCI (celui de son territoire et celui de la Métropole) ce qui est aujourd’hui interdit par la loi. De plus les PLU seraient définis au niveau des territoires, les permis de construire quant à eux restant attribués par les maires. Le fond de l’affaire est la réticence des élus locaux à abandonner leurs prérogatives en matière d’urbanisme, de fiscalité et de logement social à une entité jugée trop largement supracommunale, la Métropole du Grand Paris, censée réunir 124 communes sous la même houlette. La mutualisation à l’échelle de groupements réunissant quatre à dix communes voire davantage, péniblement obtenue au fil des ans, fait désormais l’objet d’un consensus, soit sur la base d’intercommunalités existantes soit sur celle des 21 territoires de Contrats de développement territorial. Trois semaines après la prise de position du Conseil des élus, le Premier ministre acte la création – jusqu’en 2020 seulement  – d’Établissements publics territoriaux (EPT) sur des ensembles urbains d’au moins 300 000 habitants aux côtés des communes, avec une personnalité juridique, une capacité fiscale et la gestion des PLU. Le Conseil des élus vote à nouveau une résolution le 14 novembre en faveur d’un statut juridique, de ressources et de compétences propres aux territoires, avec une montée progressive en puissance de celles-ci. UN GRAND PARIS DÉCENTRALISÉ C’est finalement vers une décentralisation accrue que l’on s’est orienté à travers le débat parlementaire, malgré une ultime proposition du gouvernement qui cherche à garder un certain poids à la Métropole. Les sénateurs adoptent ainsi le 21 janvier 2015 – à l’exception des élus communistes et écologistes – une série de sous-amendements allant vers un rôle renforcé des territoires, ce dont se félicite le nouveau président (UMP) du syndicat Paris Métropole, Patrick Devedjian, hostile par exemple à ce que le logement relève de la compétence de la Métropole.


9 Cette évolution récente met à jour bien des ambiguïtés, notamment sur les divergences entre maires bâtisseurs et maires freinant le développement de nouveaux logements sur leur commune, en se faisant l’écho de leurs administrés, sans parler de l’ambiguïté entre nouveaux logements

PARIS RESTE UN TROU NOIR AU CENTRE DE LA MÉTROPOLE AVEC SON STATUT D’EXCEPTION.

et nouveaux logements sociaux. Au-delà de ces questions, les objectifs fixés en matière de logement posent problème. Le doublement du nombre de logements neufs semble irréaliste en l’état. Les investisseurs se retirent du marché locatif, effrayés par le durcissement des conditions de fixation des loyers et la surprotection des locataires. L’augmentation des quotas de logements sociaux à 25 % du parc en 2025 pour la plupart des communes d’Île-deFrance impose à celles largement en-dessous de ce seuil de ne quasiment construire que des logements sociaux pendant 10 ans pour rattraper ce niveau. Se posent ainsi les questions de la nature même du logement social – alors que 70 % des français y sont éligibles mais que 58 % des ménages sont propriétaires de leur logement –, de l’effet inflationniste d’un secteur aidé ainsi que du frein à la construction de logements privés qu’il représente. Restent aussi des questions de fond. Le fait tenu pour acquis que l’échelle de l’intercommunalité de plus de 300 000 habitants est bien la bonne pour traiter des questions urbaines est un point positif. Mais le périmètre de la métropole, même élargi aux communes riveraines de la Petite Couronne qui ont choisi de la rejoindre – en réalité 5 villes seulement sur 45 l’ont décidé bien qu’il soit question d’un délai supplémentaire – ne représente que les deux tiers des habitants de l’unité urbaine. QUI VEUT EN FAIT DU GRAND PARIS ? Le gouvernement le défend mollement, sans donner l’impression d’en vouloir plus que ça. Les élus franciliens ne le soutiennent que si cela ne remet pas en cause leurs principales prérogatives. Les citoyens l’attendent mais plutôt chez le voisin et ne comprennent pas bien où on veut en venir. Le monde économique y croit mais reste dans l’expectative, tout en suivant les évolutions avec, pour les entreprises les plus importantes, des chargés de mission dédiés. Mais a-t-on prévu de les associer à la gouvernance, alors même que leur contribution dans la fiscalité des futurs territoires sera déterminante ? Ce sont bien les capitaux privés qui feront le Grand Paris, pas les communes ou l’État. Or le développement économique de la région Îlede-France, véritable locomotive de l’économie française

qui pèse 30 % de son PIB, est handicapé par des faiblesses récurrentes : les difficultés à se loger correctement et à bon marché, à se déplacer de façon rapide et efficace, à intégrer des quartiers progressivement devenus de véritables ghettos urbains et enfin à partager une identité commune. D’où peut donc venir une nécessaire relance de cette dynamique métropolitaine ? Paris reste un trou noir au centre de la métropole avec son statut d’exception. La ville de Paris avait une carte à jouer pour bousculer ses frontières mais elle ne l’a pas fait ou trop timidement et avec des résultats médiocres. Les départements de la Petite Couronne, éventuellement étendus à l’unité urbaine, auront peutêtre un nouveau rôle après les élections de mars 2015, en s’affirmant comme des véritables villes à part entière de plus d’un million et demi d’habitants. Il restera à négocier entre eux des rééquilibrages : meilleure redistribution des richesses contre plafonnement du nombre de logements sociaux. Le rôle de la Région Île-de-France, grosse pourvoyeuse de potentiel de construction de logements, n’est toujours pas clarifié. Mais confortée dans le nouveau découpage régional, bien que son territoire n’ait pas été élargi, elle pourrait affirmer son rôle de leader métropolitain, forte de ses 12 millions d’habitants, de sa large

LA CAPACITÉ DES MAIRES À AGIR SUR LEUR TERRITOIRE ET À FÉDÉRER LEURS POLITIQUES AVEC LEURS VOISINS SORTIRA RENFORCÉE DE CE PROCESSUS, MAIS TOUS LES MAIRES NE SONT PAS DANS UNE DYNAMIQUE DE DÉVELOPPEMENT DU GRAND PARIS. assise territoriale et de sa capacité à accueillir de nouveaux habitants, nonobstant la densité déjà très forte de la Petite Couronne. Les élections de la fin de l’année 2015 seront là aussi déterminantes. Nul doute que les choses bougeront en 2015 pour le Grand Paris. Ces débats complexes signifient-t-ils la mort du Grand Paris ? Certes non car le Grand Paris est à la fois une réalité, une façon nouvelle de considérer cette réalité qui s’est largement diffusée aujourd’hui et un faisceau d’initiatives et d’actions dont les modalités de gouvernance ne sont qu’un aspect. La capacité des maires à agir sur leur territoire et à fédérer leurs politiques avec leurs voisins sortira renforcée de ce processus, mais tous les maires ne sont pas dans une dynamique de développement du Grand Paris. Celui-ci ne se fera pas en un jour ni même partout de manière identique et égalitaire, mais sans doute à travers l’affirmation de polarités qui en structureront le développement.


 À LA UNE

LIKE THE LEGEND OF THE PHOENIX

Vue Aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle © D.R.


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Réussir le Grand Paris, c’est gagner le double pari du rayonnement international et de l’innovation. La France universelle aime ses fleurons. Visible de loin, c’est pour le commun des mortels le top du top de ce que l’orgueil national porte au pinâcle. Parmi les must, comme on dirait chez Cartier, aéroports, trésors touristiques, universités et pôles de compétitivité sont cruciaux pour l’avenir d’un Grand Paris qui fait encore bonne figure dans le paysage mondial mais devra se battre pour conserver son influence. Yves Schwarzbach


Aéroport de Paris à Roissy © Photothèque du CEEVO

Zaz a beau reprendre « Paris sera toujours Paris », la planète a changé depuis le début du millénaire. À l’ère de l’obsolescence programmée, les équipements structurants n’échappent pas à la règle. Avec son style 2001 Odyssée de l’espace, l’aéroport Paris-Charles de Gaulle a encore tout d’un grand. Son offre planétaire avec 315 destinations est une performance quand on sait que la moitié des vols long courriers du monde ne dessert qu’une quarantaine de grands aéroports. Toutes les heures, plus de cent avions se posent et décollent au grand dam des riverains. Deuxième plate-forme d’Europe après Londres, second pôle hôtelier francilien derrière Paris et devant Disneyland, Roissy n’est pourtant que le huitième aéroport mondial malgré ses 62 millions de passagers. Perdant une place entre 2006 et 2013, il est devancé par Beijin et Dubaï, avec son hub idéalement situé. Heathrow garde sa troisième place et Tokyo sa quatrième.

On se demande pourquoi. Les ratés de l’accueil à la française auraient-ils frappé ? Sur le forum d’Opodo, Roissy vient en tête des aéroports les plus détestés. En vrac : sanitaires sales, signalisation aléatoire, manque d’information à l’embarquement, maigre choix de restaurants, chers et médiocres. Il suffit de tirer sa valise sur les tapis roulants ou dans le RER pour se convaincre que le mot commodité manque au dictionnaire. Surtout, la nouvelle donne aérienne affecte lourdement la fréquentation. En 2013, les mouvements d’avions ont baissé de 4 % à Roissy. La croissance de nos aéroports repose sur les compagnies low cost qui atterrissent à Orly. Bref, les trois milliards d’euros qu’Aéroports de Paris projette d’investir d’ici 2020 ne seront pas de trop, surtout qu’il s’agit de remettre à niveau les pistes et la sécurité. Et de réduire les redevances trop élevées que paient les compagnies.

Aéroport de Paris à Roissy © Photothèque du CEEVO

LES TROIS MILLIARDS D’EUROS QU’AÉROPORTS DE PARIS PROJETTE D’INVESTIR D’ICI 2020 NE SERONT PAS DE TROP, SURTOUT QU’IL S’AGIT DE REMETTRE À NIVEAU LES PISTES ET LA SÉCURITÉ. ET DE RÉDUIRE LES REDEVANCES TROP ÉLEVÉES QUE PAIENT LES COMPAGNIES. Vue aérienne de l'aéroport de Paris à Roissy © Photothèque du CEEVO

Toute similitude entre les avanies de Transavia et les couacs de Kodak, dont les experts marketing ne croyaient pas au numérique, ou avec l’asthénie stratégique d’Alstom jouant les farouches devant Siemens, serait sans doute fortuite. Le « connecting people » des publicités de Nokia n’a pas empêché la marque, ex-leader mondial, de passer à côté du smartphone. Connecter certes, mais surtout rester dans la course. Pour la petite histoire, un ami me confiait que Jean-Cyril Spinetta, ancien patron d’Air France, lui avait avoué n’être jamais monté dans un avion de Ryanair. Au delà de l’anecdote, comment s’étonner de Airbus © Photothèque du CEEVO


13 la situation ? Sur son hub, la compagnie nationale dispose d’une centaine de longs courriers, dont la moyenne d’âge atteint huit ans. Sans parler du prix, « en dix ans, la seule compagnie qui a perdu ma valise, c’est Air France », me raconte une amie que son travail amène en Chine, en Inde, au Brésil, en Russie et aux États-Unis. Gênant, mais moins grave que quand elle a appris que ses enfants non accompagnés étaient en surréservation sur la compagnie. Tout est dit. Emirates aligne 190 appareils de six ans à peine, offre un service impeccable et des prix canons. Sans oublier Turkish Airlines, Air China, Quatar Airlines ou Jet Airways qui, depuis d’autres hubs, desservent les villes où bat le cœur de la croissance mondiale. L’an dernier, dans la piscine du Lake Resort de Kumarakom au Kérala, un industriel Indien, Rolex en or au poignet et bouée autour du ventre, me disait avec un grand sourire : « You know, Sir, I like Paris. Beautiful city, very good for fun. But not for business. London, Milano, Hamburg are much better ». Pourquoi diable aller à Paris pour exporter en Europe ?

S’IL EST ESSENTIEL D’AMÉNAGER LE SECTEUR DE ROISSY, LE PLATEAU DE SACLAY OU DE CRÉER DES SYNERGIES AVEC LA CITÉ DESCARTES, METTRE LES SECTEURS STRATÉGIQUES DE GRAND PARIS EN COMPÉTITION SERAIT DANGEREUX DANS UN CONTEXTE DE STAGNATION MAIS AUSSI DE FUITE DES CERVEAUX.

Vous me demanderez quel est le rapport avec le développement des banlieues que traversent les business men en sortant de l’aéroport. Facile à comprendre. « Plate-forme de projection de la France dans le monde », selon Augustin de Romanet, président d’ADP, Roissy a été longtemps synonyme de prospérité dans l’est du Val-d’Oise. Moins d’avions signifie moins de travail, moins de marchandises et finalement moins de bureaux, d’entrepôts ou de commerces sur la zone aéroportuaire. En Plaine de France, l’emploi est directement corellé au trafic aérien. Dans les années 1990, chaque nouveau million de passagers générait mille embauches. C’est fini. Après vingt ans de progression à deux chiffres, il est après tout normal que le rythme s’essouffle, « histoire de dérivée seconde » comme diraient les économistes. what else ? Le groupe Air France

Un terminal de l'aéroport Paris-Charles-de-Gaulle © Gary Bembridge

Vue aérienne de l'aéroport de Paris à Roissy © Photothèque du CEEVO

Aéroport Paris-Charles-de-Gaulle © D.R.

La Défense, CNIT © David Monniaux


sur le gâteau, on imagine un équipement sportif et culturel de 20 000 places. Excusez du peu. Au sud, Villepinte veut porter sa capacité à 350 000 mètres carrés. Dans le même périmètre, Paris Nord 2 aimerait doubler la sienne, soit un million de mètres carrés. Des chiffres vertigineux. « L’objectif est de réaménager le parc pour répondre à la demande », indique Hervé Chastagnol, directeur général de la zone. Répondre à la demande ? Bien sûr, 2014 fut un

Conseil général du Val-d'Oise © Photothèque du CEEVO

pourrait compter moins de 66 000 salariés à la fin de l’année. Quelle incidence sur l’économie du bassin, deux ans après la fermeture du site PSA d’Aulnay-sous-Bois ? Cette situation inquiète désormais en Val-d’Oise, au point que Jean-François Benon, directeur général du CEEVO, évoque une « souffrance de la plate-forme aéroportuaire ». La preuve en chiffres : le taux de chômage, inférieur à 10 % en 2009, atteint 12 % à Gonesse. Même constat à Tremblay et ailleurs en Seine-Saint-Denis. Pire : dans les ZUS1, où naît un bébé français sur quatre, le sous-emploi frappe le quart des jeunes. Une véritable bulle sociale, prête à exploser. Quel avenir Grand Paris leur offre-t-il ?

COMBIEN DE TEMPS POURRONS-NOUS FAIRE PAYER DE PLUS EN PLUS CHER À DE MOINS EN MOINS D’ÉTRANGERS, ALORS QUE LA NOTION DE LUXE ÉVOLUE DANS L’ESPRIT DE LA FAMEUSE GÉNÉRATION Y ET PLUS ENCORE CHEZ LES MILLENNIALS, LES ENFANTS DU NOUVEAU SIÈCLE ?

On imagine aussi l’impact sur la construction. Investisseur et aménageur autant qu’exploitant aéroportuaire, ADP envisage de réaliser 52 000 nouveaux mètres carrés, qui s’ajouteront aux 158 000 livrés depuis 2011. À l’ouest et au sud de l’aéroport sont programmées plusieurs zones d’activités, dont 26 hectares dédiés à l’accueil d’entreprises chinoises et un centre d’affaires et un congrès pour 5 000 personnes, offrant à lui seul 1 700 chambres. Cerise 1 Zones urbaines sensibles.

Vue sur le parc Disneyland Paris © D.R.

bon millésime pour le tertiaire en Île-de-France, avec un demi million de mètres carrés placés au premier trimestre. Inférieurs à la moyenne décennale, ces résultats ne rassurent pas vraiment. Toujours en berne, l’emploi ne tire plus la demande des grands comptes, qui rationalisent leurs surfaces. Corollaire : si le marché neuf fonctionne assez bien, celui de l’ancien risque de plonger. De quoi s’interroger, face à un quartier de la Défense en relative perte de vitesse2. S’il est essentiel d’aménager le secteur de Roissy, le plateau de Saclay ou de créer des synergies avec la Cité Descartes, mettre les secteurs stratégiques de Grand Paris en compétition serait dangereux dans un contexte de stagnation mais aussi de fuite des cerveaux. « Un danger immédiat ! », alerte une étude de la Chambre de commerce de Paris3, qui s’inquiète de l’accélération du transfert de sièges sociaux vers d’autres pays européens. Moins de vols directs, c’est aussi une grande claque sur l’économie touristique, celle du fun dont parlait mon patron Indien. En apparence, la France reste la première destination planétaire avec 85 millions de visiteurs. « Champagne ! », chanterait Higelin. « Champions du monde, avec une dépense touristique étrangère inférieure de moitié à celle constatée aux États-Unis ? », s’interroge cependant Patrick Mathieu, expert en tourisme et initiateur du rebranding de Disneyland Paris. Sur 120 pays, la France se situe à la 83e place pour la dépense par visiteur. Pour faire simple, nous recevons beaucoup de monde mais encaissons assez peu d’euros. Cherchez l’erreur. Méfionsnous donc de l’effet optique des chiffres. Et plus encore des excuses conjoncturelles. On nous a raconté l’an der2 cf « La Défense, une marque à valoriser » in Centralités #2, décembre 2013. NDLR. 3 « Fuite des centres de décision, quelles réalités ? », Anne Outin-Adam, Jean-Yves Durance, Simon Robert, CCIP, octobre 2014.


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Clusters du Grand Paris © D.R.

Accueil d'un groupe d'investissement de Beijing dans le Val-d'Oise © Photothèque du CEEVO

AU MOMENT OÙ DES MOYENS IMPORTANTS SONT MOBILISÉS POUR PROMOUVOIR L’ACCÈS AUX RESSOURCES EN LIGNE, LES UNIVERSITÉS FRANCILIENNES SOUFFRENT DE LOCAUX INADAPTÉS AUX NOUVELLES HABITUDES DE TRAVAIL DES ÉTUDIANTS.

nier que les Chinois hésitaient à venir par peur de se faire détrousser dans le métro. Dans quelques mois, on pourrait bien justifier la dégradation de la fréquentation touristique par le risque terroriste. Or le problème est bel et bien structurel. Depuis plusieurs années, le taux d’occupation dépasse 70 %. Ce niveau suffit à expliquer le ralentissement de sa croissance. Du coup, certains analystes commencent à parler de surcapacité hôtelière et s’inquiètent d’une offre pléthorique ici et là. Parallèlement, la hausse du prix des chambres a compensé la baisse des nuitées. Ah bon, la France est devenue chère ? Un petit miracle quand l’Insee continue à nous dire qu’il n’y a pas d’inflation. Soit. Les fondamentaux de l’économie de marché ont la vie dure : plus le prix grimpe, plus la demande baisse. Sauf sur les segments de luxe : les palaces se portent bien,

merci, mais ne font pas tout Paris, surtout s’ils sont fermés pour travaux. Combien de temps pourrons-nous faire payer de plus en plus cher à de moins en moins d’étrangers, alors que la notion de luxe évolue dans l’esprit de la fameuse génération Y et plus encore chez les Millennials, les enfants du nouveau siècle ? Ne parlons pas des campagnes anticorruption en Chine qui suffisent à faire plonger les ventes de LVMH. Ni du Club Med, dont la montée en gamme ne tarit pas l’hémorragie financière. Surtout, même s’il se taille la part du lion sur les marchés internationaux, le luxe français ne crée guère d’emplois là où ils seraient les plus utiles. En banlieue par exemple, histoire d’en finir avec la société à trois vitesses dont parle Bernard Cathelat4. Ne laissons pas Grand Paris devenir une victime du syndrome du Comité Colbert. Après tout, la recherchedéveloppement pèse plus lourd dans le PIB que l’industrie du luxe. Moins bling bling, le rayonnement d’un territoire se fait aussi par l’intelligence et l’innovation. On a beau dire que l’Europe n’a plus le monopole de la pensée, elle reste l’un des foyers intellectuels de la planète. Comme me le disait un ancien responsable de l’UNESCO, Buenos Aires se rêve encore en petit Paris. Bien placé au plan mondial, notre pays consacre 2,3 % de son PIB à la recherche. À elle seule, l’Île-de-France concentre 40 % du potentiel national avec 135 000 chercheurs et une soixantaine de laboratoires. Excellent ! Avec 635 000 inscrits, ses dix-sept universités fournissent le quart des diplômés du pays. Bieeen ! En revanche, elles ne forment que 0,5 % des étudiants du globe et le nombre d’étudiants étrangers baisse depuis 2012. Entre nous, c’est un flop. Question de législation sur l’immigration, sans doute ; de complexité déroutante de l’offre universitaire qui offre quelques 5 800 spécialités ; mais aussi moindre attractivité. Selon le dernier classement de Shanghai5, la première université française, Pierre-etMarie-Curie, gagne deux places. Mais notre usine à prix Nobel n’arrive qu’au 35e rang mondial. Mieux toutefois que sa rivale, Orsay-Paris Sud, à la 42e place et que l’École normale supérieure, machine à médaillés Fields, modeste 67e. On peut discuter les critères d’évaluation mais il faut bien constater le déficit d’image et de qualité de vie. Un élément qui compte pour les cadors qui peuvent choisir entre les plus belles universités du monde. « Au moment où des moyens importants sont mobilisés pour promouvoir l’accès aux ressources en ligne, les universités franciliennes souffrent de locaux inadaptés aux nouvelles habitudes de travail des étudiants. Elles ont du mal à offrir un cadre hospitalier à une vie étudiante riche et en pointe : pas de campus central avec les résidences étudiantes attenantes, du Wi-Fi pas encore généralisé, avec un débit insuffisant », constate Thierry Koscielniak, directeur des TICE à ParisDescartes. Il ajoute : « des exemples d’universités comme McGill au Canada nous montrent la voie vers une vraie 4 « Penser l’habitat dans la société de demain », colloque de l’Observatoire des changements. étude CCA pour l’Union sociale de l’habitat, juin 2010. 5 Le classement ARWU cote 1200 universités mondiale selon 6 critères : nombre d’anciens et lauréats du prix Nobel et de la médaille Fields, nombre de chercheurs mentionnés par Thomson Reuters, nombre d’articles publiés dans les revues Nature et Science, nombre d’articles répertoriés par les index de Sciences et Expanded and Social Sciences Citation. Il s’agit d’un indice de notoriété plutôt que de qualité.


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Vue de l’école Polytech © Collections École Polytechnique / Jérémy Barande, www.polytechnique.edu

École Polytechnique de France © David Monniaux


Institut Curie, centre de recherche © LPLT

stratégie de rénovation ou de construction de bâtiments connectés, pensés avec des espaces de travail collaboratif, équipés de prises électriques et de services multimédias. » Bref, face aux campus internationaux, nos facs font piètre figure. Les établissements parisiens accueillent plus de la moitié des étudiants de la région. Qui s’entassent dans des amphis surpeuplés au cœur d’immeubles prestigieux mais vétustes. Heureusement, au delà d’un désamiantage qui a

ON ESTIME À PLUS D’UN MILLION DE MÈTRES CARRÉS LA SURFACE NÉCESSAIRE AUX LABORATOIRES ET AUX CRÉATIONS D’ENTREPRISES. DANS TOUS CES PÔLES D’INNOVATION INCUBENT EN EFFET DES MILLIERS DE PROJETS DANS LE NUMÉRIQUE, LES FINANCES, LE DÉVELOPPEMENT DURABLE, LA MOBILITÉ MAIS AUSSI LA COSMÉTIQUE. fait couler autant d’encre que d’euros, la renaissance de Jussieu illustre une formidable prise de conscience. Plus ouvert sur son quartier, plus sobre en énergie, doté d’un centre de colloques et d’un espace culturel, le campus s’ouvre au travail collaboratif. « La proximité se fait en

anglais, avec des gens du bout du monde. Ils ont besoin de lieux de rencontre », résume Thierry Duclaux, directeur général de l’EPAURIF, pour qui le campus de Saclay est le prochain défi. Depuis 2004, cet établissement public accompagne les universités dans leurs projets immobiliers. Mais leur stratégie patrimoniale reste pointilliste en Île-de-France, malgré l’esquisse de collaborations avec l’APUR et l’IAU6 autour de la mobilité et surtout du logement étudiant. Un logement rare et cher, qui absorbe plus de la moitié du budget d’un étudiant parisien. Alors que le CROUS ne gère que 50 000 chambres en cité U, la demande est presque dix fois supérieure à l’offre. Essor des MOOCs ou pas, la Région devra soutenir son effort financier pendant six ans encore pour atteindre son objectif de quatre mille logements étudiants neufs par an. Reste le développement des relations avec les entreprises et pas seulement en termes de marque employeur. Contrairement aux idées reçues, qui cantonnent les universitaires dans leurs tours d’ivoire ou laissent croire que les industriels ont oublié de penser, l’appétence est forte. En 2012, les trois quarts des entreprises sondées par IMSEntreprendre pour la Cité avaient tissé des liens avec l’enseignement supérieur, même si quatre sur dix seulement orientaient leurs partenariats vers la R&D. C’est la mission même des pôles de compétitivité. Facteurs de valeur ajoutée, ces clusters ont vocation à mettre en réseau les centres de recherche et les entreprises. Depuis 2005, la région capitale en compte sept, dont six performants et très performants selon l’évaluation de 2012. Une force 6 Respectivement agences d’urbanisme de la région Île-de-France et de la ville de Paris.


19 de frappe impressionnante, qui regroupe plus de 2 000 acteurs, universités et grandes écoles, entreprises leaders et institutions, et surtout des centaines de jeunes pousses. Une formule gagnante : en dix ans, la moitié de ces PME innovantes a augmenté ses investissements et ses embauches. Témoin de cette mobilisation, le plateau de Saclay regroupe 48 000 étudiants, concentre 10 % de la recherche française et ambitionne d’investir vingt milliards d’ici 2020. On estime à plus d’un million de mètres carrés la surface nécessaire aux laboratoires et aux créations d’entreprises. Dans tous ces pôles d’innovation incubent en effet des milliers de projets dans le numérique, les finances, le développement durable, la mobilité mais aussi la cosmétique. Salon du « Made in France » à la porte

GRAND PARIS QUI GAGNE, MAIS AUSSI GRAND PARIS SOLIDAIRE, NE DOIT NI DORMIR SUR SES LAURIERS NI VÉGÉTER DANS L’OMBRE DE SA GRANDEUR. IL A BESOIN DE TOUTE NOTRE CRÉATIVITÉ.

et l’économie mondiale va régresser ». Pas réjouissant. Alors, retour express au fameux scénario de l’inacceptable ? On frémit en relisant ce qu’anticipait la DATAR en 1971 : « l’avènement de la société urbaine ne se fait pas sans heurts. Insatisfaction sociale grandissante, division du pays, inégalité, poids grandissant des multinationales, c’est l’État en tant que garant de l’unité nationale qui est directement mis en cause. Le nationalisme s’oppose au système de valeurs inhérent à la société urbaine nouvelle, au libéralisme dominant, aux contraintes économiques du cadre européen. Faute de répondre aux attentes, cette dérive ne fait qu’aggraver la situation nationale. Au seuil du xxie siècle, le libre jeu des tendances actuelles aura conduit à une situation dramatique. Certes, tous les avenirs sont possibles, mais au prix de conflits graves, quelle que soit la voie choisie. » En cette année 5775 du calendrier hébreu, 5117 du calendrier hindou, an 4713 et de la Chèvre de bois selon le calendrier chinois, 2015 du calendrier grégorien et 1436 de l’Hégire, quel avenir construisons-nous ? Croyons-nous encore au progrès, scientifique, technique et social ? À l’échelle de Grand Paris, les investissements publics suffiront-ils à nous tirer d’affaire ? On voit aussi que les priorités territoriales sont loin d’être arbitrées dans un Grand Paris dont la gouvernance risque de s’enliser dans une longue impuissance, pudiquement qualifiée de « transitoire ». Or il faut aller vite pour rendre à Grand Paris son statut de phare de l’Europe, connecté au mainstream mondial. « Nous sommes tous Charlie », avons-nous crié le 11 janvier dans les rues, unis par une poignante tristesse, un puissant sentiment de révolte et un rare élan de solidarité. Grand Paris qui gagne, mais aussi Grand Paris solidaire, ne doit ni dormir sur ses lauriers ni végéter dans l’ombre de sa grandeur. Il a besoin de toute notre créativité.

de Versailles ou pas, font encore défaut des événements fédérateurs, largement identifiés au plan mondial, comme le CES de Las Vegas. Où d’ailleurs les frenchies ont fait sensation en janvier. « Certains diront que le vainqueur du salon des technologies est cette année le téléviseur 4K. D’autres diront qu’il s’agit des voitures connectées. Ils ont tort. Le champion de CES est la France », écrit Jason Gilbert du Huffington Post. Bilan donc en demi teinte, où la brillance de nos fleurons se nuance de sépia comme sur les vieilles photos. « Le moment est venu de concrétiser le Grand Paris ; de bâtir une métropole mondiale compétitive et innovante », assurait Manuel Vals qui, le 13 octobre dernier, appelait de ses vœux un Grand Paris solidaire. Affichage volontariste, prédiction autoréalisatrice ou tentation d’une forme d’hypnose collective ? Bien sûr, il y a la crise et la dette publique, la santé du franc suisse et les maladies de l’euro, Ebola et le terrorisme. Raréfaction des ressources, attentats, cybercriminalité, spectre d’une croissance durablement molle sont autant de menaces sérieuses. Depuis le début du millénaire, avec une Chine devenue (ou pas, selon les indicateurs) la deuxième puissance mondiale, face au risque de déflation en France, il est vital de gagner la course contre la montre. McKinsey nous prépare d’ailleurs à des lendemains maussades : « l’expansion des cinq dernières décades fera figure d’aberration historique

© Institut national du cancer - Rhoda Baer


Le bidonville sous la neige Š Jurg Kreienbßlh


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LE GRAND PARIS ET LE LOGEMENT DEGRADE ET INDIGNE À l’heure du Grand Paris, des milliers de personnes habitent encore dans des logements dégradés, insalubres, dans des hôtels ou des immeubles indignes ou parfois dans des bidonvilles que l’on détruit par décision de justice et qui sont reconstruits presque immédiatement un peu plus loin, faute de solution pour reloger des populations séden­taires qui ne veulent pas partir. Aujourd'hui quels sont les moyens mis en œuvre pour loger les plus pauvres dans le cadre de la métropole ? Virginie Picon-Lefèbvre


Paradoxalement, on n’a cessé depuis 20 ans de détruire des barres HLM dans les Grands Ensembles, quitte à détricoter encore plus leurs organisations spatiales sous prétexte d’améliorer la situation de leurs habitants, en contribuant sans doute ce faisant à renforcer leur sentiment d’indignité puisque les immeubles dans lesquels ils vivent sont les mêmes que ceux qui sont détruits à quelques opérations cosmétiques près.

Bidonville, au loin le CNIT, La Défense Paris © D.R.

En 1972, le grand bidonville de Nanterre est finalement entièrement détruit. Sur les terrains gigantesques qu’il occupait, on a construit l’Université de Nanterre, le parc André-Malraux et une grande quantité d’infrastructures, de logements et de bureaux. Situé juste derrière la Grande Arche de La Défense, il a bien souvent servi à loger ceux là mêmes qui construisaient le quartier d’affaires. Son souvenir a été presque complétement effacé, sauf peut-être dans les mémoires de ses anciens habitants. Moins peuplé que celui de Champigny-sur-Marne, il était le plus étendu d’Île-de-France et habité par plus de huit milles personnes en 1964. Sa population, composée d’ouvriers, principalement d’origine nord-africaine et plus marginalement de nationalité portugaise, n’avait rien trouvé d’autre pour se loger pendant une dizaine d’années que des baraques faites de cartons et de tôles ondulées. Sa destruction progressive, menée en plusieurs vagues violentes, a été faite en parallèle avec la construction de foyers et de cités de transit. Construites en matériaux préfabriqués1, elles seront remplacées par des cités de transit en dur, avec des normes réduites par rapport au logement HLM. Aujourd’hui à l’heure du Grand Paris, des milliers de personnes habitent encore dans des logements dégradés, insalubres, dans des hôtels ou des immeubles indignes ou parfois dans des bidonvilles que l’on détruit par décision de justice et qui sont reconstruits presque immédiatement un peu plus loin, faute de solution pour reloger des populations sédentaires qui ne veulent pas partir. On peut s’interroger sur les moyens mis en œuvre pour loger les plus pauvres dans le cadre de la métropole.

Bidonville au Portugal, 1964 © Gérald Bloncourt

Si la question a des dimensions économiques et sociales, nous nous contenterons ici d’évoquer les réponses qui ont été faites par les architectes et les associations. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, la question de l’urgence est celle de la reconstruction des immeubles détruits par les bombardements. L’habitat d’urgence destiné à disparaître va parfois devenir le logement permanent d’une partie de la population pauvre qui ne trouve pas sa place dans les logements HLM. C’est la crise du

1 Tricia Meehan, « Bidonvilles », in P Chabard, V Picon-Lefebvre, La Défense, un dictionnaire, Parenthèses 2013.

Bidonville en 1965 © D.R.

Maison démontable de Jean Prouvé © D.R.


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Vue aérienne de Pantin © D.R.

Pantin aujourd'hui © D.R.


Tour Bois-le-Prêtre 2006 © D.R.

Tour Bois-le-Prêtre après rénovation, vue intérieure © D.R.


25 logement, nombreux sont ceux qui trouvent refuge dans l’habitat insalubre ou les hôtels tenus par les marchands de sommeil quand ils ne sont pas à la rue et dans les bidonvilles. Si en 1954, à la suite de l’appel de l’abbé Pierre, Jean Prouvé crée une maison démontable, industrialisée, la question du foncier pour les installer restera pendante. La Fondation Abbé Pierre après des expérimentations architecturales plus ou moins réussies se recentrera sur une démarche plus discrète de réhabilitation d’appartements ou d’immeubles existants où les petites surfaces non conformes aux normes permettent de réaliser des logements moins chers que dans le cadre du logement neuf très réglementé. La réhabilitation constitue encore aujourd’hui le mode d’intervention le plus utilisé pour produire du logement pour les personnes en situation de grande précarité. Une grande part des réalisations des associations consiste en des opérations d’acquisition-amélioration de pavillons, d’appartements ou encore d’hôtels et ce depuis la fin des années 80.

LA RÉHABILITATION CONSTITUE ENCORE AUJOURD’HUI LE MODE D’INTERVENTION LE PLUS UTILISÉ POUR PRODUIRE DU LOGEMENT POUR LES PERSONNES EN SITUATION DE GRANDE PRÉCARITÉ.

Si on peut considérer que le nombre de mal-logés a diminué depuis les années 60, à la lecture des rapports consacrés à ces questions, il semble que le problème reste entier. Pourtant ces sujets on fait l’objet de propositions de la part des pouvoirs publics notamment à Paris, sur le logement indigne ou encore en ce qui concerne les copropriétés dégradées. Depuis 10 ans, on a remis en cause les opérations trop systématiques de destruction des immeubles dans le parc social pour prendre en compte les qualités d’organisation spatiale et l’architecture, comme aux Courtillières à Pantin de l’architecte René Aillaud où sous la pression des associations d’habitants, une rénovation sans destruction a été finalement retenue. L’absence de concertation avec les habitants auxquels on impose des rénovations/transformations radicales de leur lieux de vie a été remises en cause par des architectes comme Anne Lacaton et JeanPhilippe Vassal qui avec Frédéric Druot, ont réussi à remporter l’Équerre d’Argent pour la rénovation d’une tour à la porte de Saint-Ouen, dont le projet a été conçu pas à pas avec ses habitants. Les associations comme Emmaüs distinguent d’ailleurs la question du logement indigne (notamment insalubre), de celle des squats ou encore de l’habitat de fortune et des bidonvilles qui sont l’objet de politiques « urbaines » différentes. Malgré le lourd appareil réglementaire existant, la situation n’évolue pas vraiment, de nombreux immeubles insalubres, en péril, ou très dégradés sont encore habités faute de solution alternative, sans parler de l’habitat précaire. En 2015, un grand nombre d’habitants du Grand Paris vivent encore dans des logements indignes : on en comptait selon l’IAU plus de 170 000 en 2010 soit environ 4,7 % du parc.

Tour Bois-le-Prêtre avant rénovation © D.R.

Tour Bois-le-Prêtre, 1959 puis 1990 © D.R.



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ENTRETIEN AVEC ANNE GODARD DIRECTRICE DU DÉVELOPPEMENT DE L’ASSOCIATION AURORE

Propos recueillis par Virginie Picon-Lefèbvre

Quelle est la mission de l’association Aurore ? Anne Godard : Cette association a été créée en 1870 pour venir en aide aux personnes qui avaient été déportées et qui revenaient sans aucun moyen en France. Elle a continué à agir pour les plus défavorisés depuis cette époque. Son action a un peu changé dans les années 1980 avec l’apparition du sida, il s’agissait alors non seulement de trouver des solutions d’urgence pour loger les personnes mais également de mettre en œuvre des protocoles de soins dans des hôpitaux de jour. Aujourd’hui l’association emploie environ mille personnes pour l’accueil et le logement mais aussi pour des missions d’assistance sociale et de soins.

AUJOURD’HUI L’ASSOCIATION EMPLOIE ENVIRON MILLE PERSONNES POUR L’ACCUEIL ET LE LOGEMENT MAIS AUSSI POUR DES MISSIONS D’ASSISTANCE SOCIALE ET DE SOINS. Quelles structures permettent d’assurer ces missions ? Il en existe plusieurs : on peut distinguer les hôtels sociaux qui permettent d’accueillir des personnes sans domicile, des pensions de famille pour des personnes isolées, des couples sans enfants. Ces hébergements sont pensés pour des séjours temporaires. Nous voulons pouvoir soigner, héberger mais aussi insérer et nous avons besoin de différentes formes de structures pour ce faire. En ce qui concerne l’insertion nous agissons auprès de plus de 4 000 jeunes et adultes en région parisienne sur 20 sites différents. Par exemple le CHRS, Centre d’hébergement et de réinsertion sociale qui accueille des hommes et des femmes de 18 à 30 ans en grande difficulté. Notre action repose sur le principe de l’insertion par l’activité économique.

NOUS AGISSONS AUPRÈS DE PLUS DE 4 000 JEUNES ET ADULTES EN RÉGION PARISIENNE SUR 20 SITES DIFFÉRENTS.

© D.R.

Construisez vous des logements sociaux ? Nous avons une activité de maître d’ouvrage pour construire des logements qui s’adressent à des personnes isolées ou des familles monoparentales. Dans les résidences sociales les bénéficiaires restent entre 18 mois et 3 ans. Le principe consiste à accompagner ces personnes pour leur permettre de reprendre leur place dans la société et de déménager dans un logement « normal ». Une partie importante de notre travail repose si nécessaire sur un accompagnement social mais aussi médical et psychologique.

LE PRINCIPE CONSISTE À ACCOMPAGNER CES PERSONNES POUR LEUR PERMETTRE DE REPRENDRE LEUR PLACE DANS LA SOCIÉTÉ ET DE DÉMÉNAGER DANS UN LOGEMENT « NORMAL ».

Comment trouvez-vous des terrains dans un contexte de foncier rare et cher ? Nous intervenons en neuf et en rénovation. Souvent ce sont des bailleurs sociaux qui font appel à notre expertise. Ils ont des terrains sur lesquels se trouvent des logements très dégradés, habités par des populations fragiles. Nous pouvons intervenir pour reloger, puis rénover ou encore reconstruire. Parfois on nous propose des terrains, sans aucune desserte, loin de tout, nous ne pouvons les prendre en compte car l’isolement ne contribuerait pas à notre objectif qui, encore une fois, est celui de la réinsertion.


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ENTRETIEN AVEC CYRILLE HANNAPE INGÉNIEUR ET ARCHITECTE, ENSEIGNANT À L’ENSAPB Propos recueillis par Virginie Picon-Lefèbvre

Pourquoi avoir monté un studio de projet dont l’objet était de construire un petit équipement dans un bidonville à Montreuil, projet qui a été exposé à l’Arsenal dans le cadre de l’exposition Matières Grises ? Cyrille Hannape : Parce que je m’intéresse à l’habitat spontané, à la capacité des gens à s’organiser et à aménager un lieu pour vivre alors qu’ils n’ont rien. Je suis responsable du DSA (diplôme spécialisé en architecture) « architecture et risques majeurs » à Belleville avec Pascal Chombart de Lauwe. Il s’agit de former les architectes à la question de l’intervention dans les territoires sujets aux risques majeurs mais aussi de réfléchir aux modes d’intervention dans les situations d’urgences liées aux dérèglements climatiques , aux tremblements de terre. Dans les bidonvilles, l’urgence est d’aider des populations qui vivent dans des situations très précaires, dommageables pour leur santé, sans parler de celle de leurs enfants.

DANS LES BIDONVILLES, L’URGENCE EST D’AIDER DES POPULATIONS QUI VIVENT DANS DES SITUATIONS TRÈS PRÉCAIRES, DOMMAGEABLES POUR LEUR SANTÉ, SANS PARLER DE CELLE DE LEURS ENFANTS.

1 Cyrille Hannape, est membre de l’association PEROU, présidée par Gilles Clément. Le PEROU est un pôle d’exploration des ressources urbaines.

© D.R.

ON CONSIDÈRE QUE LA POPULATION MONDIALE URBAINE VA CROÎTRE ET ON ESTIME QU’UN TIERS DE CES NOUVEAUX URBAINS VONT ÊTRE LOGÉS DANS DES BIDONVILLES.

Pourquoi un diplôme spécialisé en architecture et risques majeurs ? Le DSA a été monté au départ en 2005 avec Patrick Coulombel des Architectes de l’urgence et Dominique Druenne que ce sujet intéressait. La notion de risque s’est élargie à celle de risques anthropiques avec les bidonvilles. Dans l’acception du développement durable, on doit prendre en compte les aspects sociaux à côté des questions énergétiques et économiques, il est clair que l’apparition des bidonvilles depuis une dizaine d’année en région parisienne, pose problème et coûte très cher à la collectivité sans qu’une solution satisfaisante soit apportée au problème. Par ailleurs on considère que la population mondiale urbaine va croître et on estime qu’un tiers de ces nouveaux urbains vont être logés dans des bidonvilles. Pourtant la question des bidonvilles n’est pas très explorée par les architectes. Avec les tensions


« LA VILLE ADAPTABLE 2 » LANCEMENT DE LA 13e SESSION DU CONCOURS EUROPAN RÉSERVÉ AUX JEUNES PROFESSIONNELS DE MOINS DE 40 ANS, LE CONCOURS EUROPAN OUVRE LE 2 MARS LES INSCRIPTIONS DE SA 13e SESSION SUR SON SITE INTERNET EUROPÉEN. SA PARTICULARITÉ EST DE SE DÉROULER TOUS LES DEUX ANS SIMULTANÉMENT DANS UNE VINGTAINE DE PAYS EUROPÉENS SUR UN THÈME, DES OBJECTIFS ET UN RÈGLEMENT COMMUN. RENOUVELER LE REGARD, DYNAMISER LA PENSÉE, ENCOURAGER ET PROJETER LA CRÉATIVITÉ ET L’INNOVATION URBAINE ET ARCHITECTURALE SONT LES LEITMOTIVE D’EUROPAN POUR EXPLORER LA THÉMATIQUE DE « LA VILLE ADAPTABLE ». Propos recueillis par Christine Blanchet

VISIONNER LA VILLE DE DEMAIN Confrontés aux mutations de la société (économiques, sociales, architecturales et environnementales), de plus en plus d’élus politiques prennent conscience des enjeux qui touchent l’évolution de leurs villes à la fois dans leur mode de fonctionnement et dans leur appropriation chez les générations en devenir. À partir de ce constat, la ville adaptable reste donc « un thème juste et porteur » selon Alain Maugard, président d’Europan France. Depuis Europan 111, en 2010, on note avec justesse le glissement des thématiques de l’architecture urbaine et de la typo-morphologie urbaine vers celui de « La » ville dans une appréhension et une échelle plus globales, dans lesquelles se trouve un nouveau processus de l’économie territoriale. D’ailleurs, Isabelle Moulin rappelle avec pertinence qu’aujourd’hui : « Nous sommes structurellement et territorialement recomposés selon une logique urbaine : mêmes les fermes deviennent urbaines ! L’agriculture est urbaine ! Les territoires ruraux doivent aussi inventer des modes de vie en synergie avec ceux des urbains pour se régénérer. » Après avoir débattu et travaillé sur « les rythmes urbains » en 2012, et fort des propositions retenues à l’issu du concours, Europan 13 poursuit les réflexions et les discussions sur cette notion d’adaptabilité afin d’encourager, partager et développer les visions des villes de demain, des villes productives, portées par de jeunes concepteurs qui la vivent, l’imaginent et la conçoivent autrement, avec anticipation. 1 En 2010, Europan 11 avait pour thème « Territoires et modes de vies en résonances ».

EXPÉRIMENTER LE TERRAIN Dans la complexité de son organisation européenne, Europan offre aux participants une opportunité extraordinaire de projeter leurs études à partir de sites réels proposés par des municipalités et/ou des collectivités territoriales. Les échanges entre les multiples partenaires (élus, maître d’œuvre, maître d’ouvrage, entreprises, financiers) ont ainsi l’objectif de susciter de véritables forces de propositions sur le terrain et de poursuivre ainsi in situ les expérimentations des équipes sélectionnées. Tout un


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Mesures ligériennes (phase de marché de maîtrise d’oeuvre urbaine), projet lauréat Europan 11 sur le site de Savenay. L. Lafont, architecte et Atelier Georges, architectes, urbanistes et paysagistes ; associé au Bet Céramide. Maitrise d’ouvrage : Pôle Métropolitain Nantes Saint Nazaire, Communauté de Communes Loire et Sillon, Ville de Savenay et Commune de la Chapelle Launay, assisté par la Samoa

travail en amont est ainsi préalablement établi sur le choix des lieux et les attentes des collectivités territoriales afin d’inciter des projets opérationnels et en phase avec la réalité de son contexte pour convaincre et attirer les partenaires investisseurs. INSCRIRE LES SIGNES D’UNE CULTURE EUROPÉENNE Du Kosovo à la Norvège, l’originalité d’Europan est d’être un espace culturel composé de plus de dix-sept pays européens où intrinsèquement se croisent et s’entremêlent les expériences et les richesses de chacun. Le concours s’adresse à de jeunes professionnels d’horizons divers : architectes, urbanistes, paysagistes, artistes, géographes, écologues… et toute discipline en lien avec la conception des territoires, de toute l’Europe géographique. Les équipes pluridisciplinaires et multiculturelles sont souvent encouragées pour répondre aux problématiques transversales et initier des expérimentations au caractère exemplaire à l’instar de l’équipe de Rouen on the Move, mentionnée à Rouen pour Europan 122. LES CONCEPTS DU CONCOURS

Site de Saint-Herblain, mis au concours Europan 12 par la Ville de SaintHerblain et Nantes Métropole

« DE LA VILLE ADAPTABLE 2 » Les quarante-deux contributions d’experts des pays européens, soutenues par le comité scientifique, ont déterminé trois concepts concentrés sur les conditions de productions des villes posant ainsi la question des évolutions de la commande urbaine et architecturale dans les logiques 2 Si des équipes européennes ont su gagner en France parmi les vingtet-un projets sélectionnés, l’on note que dix-huit équipes françaises, également mixtes parfois, ont été retenues en Europe.

d’acteurs (État providence versus auto-organisation), dans les contenus (ségrégation versus partage), mais aussi dans les processus de conception (objet versus projet (processus). 1/ La résilience comme enjeu : être capable de prolonger ou de retrouver une identité des éléments structurants de la ville (bâtis ou paysagers) dans un contexte d’importants bouleversements. 2/ L’adaptabilité sociale comme objectif : concilier la cohérence de ces structures avec l’évolutivité des usages et des pratiques. 3/ L’économie comme modalité : gérer des transformations urbaines dans des contextes différents d’acteurs et de ressources, mais avec des moyens limités, en période de crise économique et à l’ère de la ville de l’après pétrole. LES SITES FRANÇAIS Europan France a sélectionné dix sites sur l’ensemble du territoire, classés et répartis selon les quatre thématiques fixées par le conseil scientifique d’Europan Europe. Les descriptions complètes de chaque ville/site sont disponibles sur le site Interne d’Europan. 1/ Comment intégrer des sites vacants dans le développement urbain ? Bordeaux : chambre avec vue Le programme consiste à intégrer dans le développement urbain, le site vacant de l’ancienne caserne de pompiers du quartier de la Bastide qui s’étend sur 1,3 ha. La ville de Bordeaux, Bordeaux Métropole et l’Établissement public d’aménagement Bordeaux-Euratlantique attendent des propositions innovantes sur la mutation de ce site : les enjeux sont la programmation, la méthode participative, l’économie globale du projet dans nouvel équilibre public/privé. Metz-Métropole : une base aérienne à réintégrer dans la vie urbaine Programme ambitieux de reconversion de cette ex-base aérienne sur un territoire de 370 ha située en bordure des espaces urbanisés du centre ville. Les équipes pluridisciplinaires (urbanistes, architectes, paysagistes, économistes et sociologues) devront imaginer un site aux multiples usages de vie, créer des synergies tout en valorisant les espaces naturels et les éléments de la mémoire du lieu.


ciper et engager un processus de projet afin d’aboutir à la création d’un quartier vivant et actif autour des dessertes de transport. Cela implique de concilier habitat et activités économiques de façon durable, de questionner la compatibilité des usages, d’innover sur les modes d’occupation (flexibilité, modularité) et de gérer l’articulation publicprivé. Vernon/axe Seine : revivifier un tissu urbain Au cœur de la ville, le projet aura pour vocation à intégrer et renforcer la politique de valorisation de « l’axe Seine » lancée par la municipalité et la communauté d’agglomération. Redonner un nouvel équilibre entre l’espace urbain et l’environnement paysager afin d’y développer un tourisme de séjour sur la route de Giverny tout en régénérant la ville centre du territoire. 3/ Comment créer une dynamique positive à partir d’une situation difficile ? Goussainville/Grand Paris - Grand Roissy : embarquement immédiat Membre d’Europan 12, la Communauté d’Agglomération Roissy Porte de France réitère sa participation au concours de la ville adaptable, avec un sujet jusque là peu exploré : un vieux village, entre zones d’influences aéroportuaire, métropolitaine et agricole. Le concours Europan offre donc une opportunité pour développer des projets prospectifs sur un territoire à la croisée des temps, des espaces et des modes de vie. Symbole de la ville adaptable, soumis aux contraintes parmi les plus dures des abords d’une grande métropole, le vieux village, quartier de Goussainville, souhaite se régénérer en transformant les contraintes en atouts.

Villas Sarrail, réalisaient faisant suite au concours Europan 06 à Roubaix Bathilde Millet Architectes. Maitrise d’ouvrage : Pierres & Territoires de France. © photo : Luc Boegly

2/ Comment utiliser de nouveaux apports pour changer l’espace urbain ? Bondy/Grand Paris : learning from Bondy Impulser une nouvelle vision de ce site urbain qui se déploie le long de deux infrastructures de transport : le Canal de l’Ourcq et l’ex-Route Nationale 3 (aujourd’hui avenue Gallieni) qui relient Paris à Meaux et au « Grand Est ». La ville souhaite développer plusieurs stratégies autour de cette zone pour la dynamiser dans ses liaisons et l’adapter aux enjeux métropolitains.

La Corrèze : réinventer la ruralité Trois communes, Ussel - Argentat – Turenne, réunies et soutenues par la Direction Départementale des Territoires, souhaitent repenser leurs modes de développement tout en les inscrivant dans une innovation urbaine et architecturale et de valorisation du patrimoine. La proposition de trois sites vise à expérimenter des démarches et des processus de projet novateurs, déclinables sur chaque site, débouchant sur des propositions opérationnelles en

Montreuil/Grand Paris : habiter/travailler demain sur le plateau L’arrivée de la ligne 11 du métro et celle du tramway T1 à horizon 2020 va engendrer une transformation du territoire, de sa fréquentation, de ses activités économiques ainsi qu’une pression foncière forte. La ville souhaite antiSite de Bordeaux, mis au concours Europan 13 par l’EPA Euratlantique, Bordeaux Métropole et la Ville de Bordeaux. Vue de la Caserne de la Benauge


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Site de Marne-La-Vallée, mis au concours Europan 13 par l’Établissement Public d’Aménagement Marne-la-Vallée, et la CA Val Maubuée

matière d’habitat et de services à la population. Ces projets auront vocation à être partagés avec d’autres collectivités du département. 4/ Comment transformer des obstacles physiques en nouvelles connexions ? Marne-la-Vallée – Val Maubuée/Grand Paris : renouveler la ville nouvelle Après les quarante ans de la création de Marne-la-Vallée, le territoire du Val Maubuée fait face à des enjeux sociétaux de type nouveau et poursuit de manière active les évolutions et les transformations urbaines nécessaires à son attractivité métropolitaine : réinterroger les espaces libres publics et privés ; agir de manière adaptée pour favoriser de nouveaux usages et les équilibres socio-économiques de la ville ; rendre plus lisibles les liens inter-quartiers et les relations habitat et emploi, faciliter les parcours résidentiels, valoriser les espaces au sein des lotissements, audelà des coupures générées par les infrastructures.

Moulins : réenchanter les rives de l’Allier Le projet d’un second pont sur l’Allier est l’élément déclencheur d’une nécessaire redéfinition de la ville et de son territoire dans sa totalité. Le site se déploie de part et d’autre de la rivière sauvage qui traverse la ville et constitue pour l’ensemble du territoire intercommunal un lien patrimonial et paysagé chargé d’histoire. La ville souhaite des propositions innovantes pour dynamiser le développement global de la rive gauche par un équilibrage urbain et environnemental qui profitera à l’ensemble de l’agglomération. Saint-Brieuc : de la terre à la mer La ville souhaite engager une réflexion stratégique sur l’organisation et le devenir de son territoire, confrontant ainsi plusieurs dualités géographiques et culturelles : ville terre / ville mer, ville minérale / ville nature, ville plateau / ville vallées. De manière à organiser son développement urbain, économique et touristique, la municipalité attend d’Europan une vision d’ensemble en explorant notamment la continuité de ses espaces publics urbains ou naturels et la qualité des parcours de la ville à la mer. Informations pratiques : www.europan-europe.eu

ReversingTheGrid-Projet.jpg Reversing the grid (phase concours),projet lauréat Europan 12 sur le site de Paris-Saclay TU-DU, Maia Tüür et Yoann Dupouy


 SOCIÉTÉ

IMMOBILITE ET MIXITE DES USAGES DANS L'ENTREPRISE

Vue sur un ensemble de bureaux © DR


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L'IMMOBILIER DANS LA VILLE DE DEMAIN : VERS DE NOUVEAUX USAGES ET PARTAGES Dossier conçu à partir du numéro 2 des Cahiers de la Chaire de l'ESSEC

COMMENT L’IMMOBILIER PEUT-IL ÊTRE À LA FOIS L’INSTRUMENT ET LE BÉNÉFICIAIRE D’UNE VILLE MIEUX PARTAGÉE À TOUTES LES ÉCHELLES ? La densité de la ville et la mixité de ses fonctions n’ont pas toujours été des principes acquis de l’aménagement urbain, en tout cas en France. Le mouvement moderne avait fait de la densité un synonyme de qualité de vie dégradée et de salubrité déficiente, de la mixité fonctionnelle un facteur de désorganisation des territoires bâtis. À rebours des fondements de ce mouvement désormais dépassé, ces deux principes d’aménagement sont aujourd’hui devenus incontournables pour une majorité d’acteurs publics et de penseurs de l’urbain. Conditions de la vitalité de la ville, ils la restituent dans son rôle de lieu par excellence des interactions, des échanges et du partage. De là, comment l’immobilier peut-il être à la fois l’instrument et le bénéficiaire d’une ville mieux partagée à toutes les échelles ? Dans quelle mesure peut-il être moteur d’innovation en développant de nouveaux usages sur un mode partagé au sein des espaces bâtis ?

Exemple d'open space à Parisoma vue du rez-de-chaussée © Msingularian

Le partage immobilier est à la croisée de nouveaux paramètres dont l’entreprise doit tenir compte : une génération Y nomade et soucieuse de sa qualité de vie, une injonction à l’économie du foncier et la nécessité accrue de maîtriser les coûts immobiliers. S’ils constituent une réponse adaptée à ces enjeux pour l’immobilier tertiaire, les espaces et les usages partagés conservent nombre de leurs atouts appliqués aux secteurs logistique et commercial. Ces entretiens mettent ainsi en lumière l’étendue des champs d’application possibles de l’immobilier partagé.

Exemple d'open space à Parisoma © Msingularian


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ENTRETIEN AVEC CATHERINE GALL DIRECTRICE DE LA PROSPECTIVE ET DE LA RECHERCHE CHEZ STEELCASE EUROPE, PARIS

L’AMÉNAGEMENT DES ESPACES DE TRAVAIL EST DÉSORMAIS AUX CONFINS DE TROIS UNIVERS : TECHNIQUE, ÉMOTIONNEL ET STRATÉGIQUE. © D.R.

En quoi l’immobilier d’entreprise peut-il par son aménagement, être vecteur de performances accrues ? Catherine Gall : L’impact essentiel de l’aménagement intérieur porte sur le bien-être des salariés, et partant, sur leur engagement et leur performance. Il est vecteur d’émotion positives, de stimulations, d’inspirations qui peuvent encourager la créativité, la concertation et la curiosité. Si de nombreuses recherches ont montré que la non-productivité pouvait être liée à l’aménagement, il est beaucoup plus difficile de montrer l’existence positive de cette corrélation. Mais un pan de recherche s’intéresse bel et bien, désormais, aux liens entre performance et aménagement, à travers notamment l’analyse des interrelations entre confort fonctionnel (posture, éclairage, acoustique, air température, etc.), émotionnel (couleurs, matériaux, vue, etc.) et usage (taux d’occupation, etc.). La dimension spatiale proprement dite favorise certains comportements. Les environnements cloisonnés et spacieux améliorent l’intimité, la concertation et la lisibilité de l’espace. Un dispositif spatial ouvert et animé encourage la communication informelle, la sérendipité, es relations sociales et incite les salariés au partage d’idées. On constate donc une réelle corrélation entre la logique spatiale, al qualité des facteurs environnementaux et le bien-être ressenti. L’aménagement des espaces de travail est désormais aux confins de trois univers : technique, émotionnel et stratégique. Comment les processus de réorganisation prennent-ils en compte la question des attentes et des besoins différenciés selon les générations ? La thématique démographique et intergénérationnelle s’est retrouvée sur le devant de la scène il y a une dizaine d’années lorsque l’allongement du parcours professionnel a soulevé une interrogation sur la manière de faire cohabiter dans l’entreprise pas moins de quatre générations, depuis les très jeunes collaborateurs (parfois des apprentis âgés de 16 ans) jusqu’aux seniors dont le départ en retraite tend à être de plus en plus tardif. Leurs façons respectives de vivre, de consommer, de travailler et de ressentir l’espace sont en effet différentes et peuvent

donner lieu, sinon à des conflits, du moins à des contrastes forts. Il est par exemple plus difficile pour les seniors de réfléchir et de se concentrer en espaces ouverts, en raison des interférences sonores et visuelles qui émaillent la journée de travail. De son côté, al génération Y est sensible à l’originalité, à la qualité de vie et à la modernité de son environnement de travail. Leur approche de la carrière, leur rapport à la hiérarchie est à la technologie sont également très différents, de même, tout simplement, que leurs horaires et leurs habitudes de travail. Il est donc nécessaire de proposer une palette d’espaces de rencontres informelles et d’échanges spontanés afin de stimuler la coopération intergénérationnelle. Dans quelle mesure, justement, les espaces informels et partagés se généralisent-ils au sein des entreprises ? Ils se développent en effet à grande vitesse, en raison notamment de la miniaturisation et de la portabilité des outils, qui ont affranchi le collaborateur de son bureau. Il y a encore dix ans, le poste de travail individuel était la base d’amarrage de l’utilisateur, qui y passait le plus clair de son temps, de manière relativement sédentaire. Désormais, on répartit son temps au sein d’un véritable écosystème d’endroits choisis  : son poste, les espaces collaboratifs, les lieux informels, sans oublier les lieux extérieurs à l’entreprise (rendez-vous chez des clients, tiers-lieux, domicile). De nombreuses recherches montrent par ailleurs que le principe de construction horizontal d’un bâtiment est beaucoup plus intuitif pour les déplacements et la représentation mentale que l’on se fait des différents départements, services et lieux-ressources. Une tour, à l’inverse, représente une unité fermée, dans laquelle on va attendre d’avoir plusieurs raisons de se rendre à un autre étage avant de le faire. Le déplacement horizontal reste beaucoup plus facile et spontané. Le développement de ces espaces partagés et du nomadisme n’invite-t-il pas les entreprises à reconsidérer leurs besoins réels en mètres carrés ? Le pari est bien là, dans le space on demand, c’est-à-dire dans la bonne compréhension des besoins à un instant t et dans la simulation des scénarios d’évolution à t+1, que ce soit à


al baisse ou à la hausse. Tel est donc le défi stratégique et opérationnel auquel est confronté le directeur immobilier, en se demandant sur quoi faire porter les transformations et sur quels plans favoriser la modularité : fluctuation éventuelle du nombre de collaborateurs, usage des mètres carrés et répartition de ces derniers entre espaces individuels et collectifs, degrés d’intégration dans l’entreprise des prestataires extérieurs. Cette compréhension fine des usages, des comportements et des besoins permet ensuite des déclinaisons dans le programme et la prise en compte d’une possible densification à venir de l’espace. La nécessité de rationaliser et de maîtriser ses coûts immobiliers est une évidence aujourd’hui. De tels modèles peuvent-ils conduire à moyen terme à la fin du bureau fixe ? On ne peut pas tout faire à distance, ni avancer à l’échelle collective à travers le formalisme du seul téléphone. La fin du bureau fixe paraît donc très hypothétique. En revanche le bureau aura un autre sens : ce sera un lieu de rencontres pourvu d’équipements très spécialisés, où l’on travaillera beaucoup en équipe et qui sera donc détourné de ses usages traditionnels.

Exemple d'open space © Veronica Thérése

IL EST DONC NÉCESSAIRE DE PROPOSER UNE PALETTE D’ESPACES DE RENCONTRES INFORMELLES ET D’ÉCHANGES SPONTANÉS AFIN DE STIMULER LA COOPÉRATION INTERGÉNÉRATIONNELLE.


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ENTRETIEN AVEC CLEMENT ALTERESCO FONDATEUR DE BUREAUX À PARTAGER, PARIS

Quel est le concept de Bureaux à Partager ? Clément Alteresco : Il s’agit d’une place de marché qui met en relation des offreurs et des demandeurs de surfaces de bureaux. Une fois l’affaire conclue, nous demandons aux hébergeurs de donner leur avis sur les hébergés, et inversement : c’est une manière de créer une communauté, un historique mais aussi un climat de confiance. En quoi le contexte actuel se prête-t-il à la création de ce type de services ? Au-delà de l’aspect purement immobilier, la valeur ajoutée de notre plate-forme repose justement sur sa dimension colocative. En 2012 nous avons mené une étude qui a révélé que 50 % des personnes qui partagent leurs bureaux ont travaillé au moins une fois avec un de leurs colocataires. Il y a donc des synergies qui s’opèrent. À quel stade en est la sensibilisation des grandes entreprises à de telles pratiques ? Une autre étude que nous avons menée récemment a montré qu’environ 13 % des espaces loués sont en réalité disponibles. Par exemple, une entreprise qui loue 10 000 m2 en compte en moyenne 1 300 m2 dont elle n’a pas l’usage. Cela signifie qu’en Île-de-France, plus de 5 millions de mètres carrés sont libre, soit autour de 500 000 postes. Il y a donc un énorme potentiel.

© D.R.

UNE ENTREPRISE QUI LOUE 10 000 M2 EN COMPTE EN MOYENNE 1 300 M2 DONT ELLE N’A PAS L’USAGE. CELA SIGNIFIE QU’EN ÎLE-DE-FRANCE, PLUS DE 5 MILLIONS DE MÈTRES CARRÉS SONT LIBRE.

Quels sont les leviers pour étendre encore la pratique du partage de bureaux ? Le premier passe par un travail avec les municipalités qui souhaitent attirer des start-up sur leur territoire. Il s’agit de faire connaître cette démarche au niveau des collectivités locales pour obtenir une forme d’accréditation publique qui constituent un atout supplémentaire pour qui veut toucher les grandes entreprises. Le deuxième levier consiste à développer de nouveaux créneaux pour satisfaire les besoins les plus variés possibles, par exemple celui des salles de réunion qui pourraient être louées quelque heure. Le dernier levier passe par le développement d’une offre des services autour de la location de surfaces pures et simples.

Espace de coworking à Berlin © Deskmag


ENTRETIEN AVEC JEAN-YVES HUWART FONDATEUR D’ENTREPRISE GLOBALE, BRUXELLES

Quels sont les éléments qui ont favorisé l’émergence du coworking au cours de ces dix dernières années ? Jean-Yves Huwart : Le coworking est d’abord le fuit des évolutions technologiques. L’allègement des outils de travail et l’apparition des connexions sans fil nous a rendus tout à fait nomades : pratiquement où que vous vous installiez, vous avez directement accès à internet. Il faut cependant admettre que la réceptivité au coworking est très variable selon les entreprises considérées. Pour l’individu, l’attrait exercé par le coworking se mesure à l’aune de trois critères : la forme et le statut de la structure dans laquelle il évolue son secteur d’activité, sans oublier le type de ville et l’environnement urbain dans lesquels il travaille. Quels sont, plus précisément les atouts du coworking pour le travailleur comme pour l’entreprise ? La première dimension est bien sûr le coût. On ne s’engage plus sur un bail de trois ans pour des locaux dans lesquels on passe à peine la moitié de son temps. Un changement sociétal fondamental est la préférence désormais donnée à l’usage des objets, des produits et des lieux par rapport à leur propriété.

© D.R.

UN CHANGEMENT SOCIÉTAL FONDAMENTAL EST LA PRÉFÉRENCE DÉSORMAIS DONNÉE À L’USAGE DES OBJETS, DES PRODUITS ET DES LIEUX PAR RAPPORT À LEUR PROPRIÉTÉ.

Voit-on désormais les grands groupes développer leurs recours au coworking ? Cela semble l’évolution naturelle et les grands groupes y viendront probablement. Encore une fois, tout dépend du secteur et de la culture de l’entreprise. L’évolution générale des entreprises favorise en elle-même l’expansion du coworking qui fait sens sur le plan de l’efficacité, de la gestion des ressources humaines et bien sûr sur le plan économique. Il faut cependant veiller à poser des limites : si la dynamique de groupe s’affaiblit parce que personne n’échange plus de visu, on aboutit à ce qui s’est passé récemment chez Yahoo qui a été contraint d’abolir le télétravail. Le coworking est donc le compris idéal : les collaborateurs ne perdront pas leur temps et leur énergie dans les transports pour se rendre au siège tout en gardant une cohésion et un sentiment d’appartenance.

Exemple d'open space © Yutaka Fujiki


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PARIS / 4-8 SEPTEMBRE 2015 PARIS NORD VILLEPINTE / HALL 8

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ENTRETIEN AVEC CLAIRE COCKERTON DIRECTRICE ADJOINTE DE LEVEL39, LONDRES

Comment est né le projet du Level39 et quel en est le concept ? Claire Cockerton : Il s’agit d’un lieu où nous aidons les entreprises spécialisées dans les secteurs technologiques des services financiers, du commerce et des smart cities à réaliser leur potentiel de croissance. Nous aidons les start ups spécialisées dans les technologies en leur fournissant un lieu de travail, du « mentorat », un accès aux investisseurs et à des événements-clés dans ce domaine ainsi que des programme d’accélération hébergés sur notre site.

© D.R.

Sur quels critères les start-ups sont-elles sélectionnées ? Tous les adhérents potentiels du Level39 font acte de candidature, celle-ci devant d’abord être approuvée par deux membres de notre comité interne, après quoi la start-up candidate est invitée au Level39 pour un entretien. Naturellement, nous exigeons que nos adhérents soient spécialisés dans les technologies financières, commerciales ou liées aux villes intelligentes, et qu’ils soient dans une phase de croissance. Comment est conçu le Level39 en termes d’aménagement de l’espace ? Pour l’aménagement de l’espace physique, nous avons fait appel à Gensler, une agence d’architecture et de design qui a conçu des bureaux pour Facebook et Google, ainsi que les sièges de nombreuses banques et organisations de services financiers. Le Level39 est un espace dynamique et diversifié qui propose de nombreux types d’espaces de détente et de travail, chacun étant conçu pour favoriser certaines formes de réflexions et d’interactions. Les espaces de travail ne représentent que 25 % de la superficie de Level39.

LE LEVEL39 EST UN ESPACE DYNAMIQUE ET DIVERSIFIÉ QUI PROPOSE DE NOMBREUX TYPES D’ESPACES DE DÉTENTE ET DE TRAVAIL, CHACUN ÉTANT CONÇU POUR FAVORISER CERTAINES FORMES DE RÉFLEXIONS ET D’INTERACTIONS.

Espace de coworking © germanoparra

Espace de coworking © D.R.


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ENTRETIEN AVEC CHRISTOPHE RIPERT DIRECTEUR IMMOBILIER DE SOGARIS, RUNGIS, FRANCE

Quels sont les principaux enjeux de l’immobilier logistique dans la ville de demain ? Christophe Ripert : Jusqu’à récemment et de manière générale, l’activité logistique était occultée à la fois du secteur de l’économie des transports et de la gestion des territoires urbains. Le principal enjeu est de redonner aujourd’hui à la logistique une place dans la ville à tous les niveaux : en cœur d’agglomération, en périphérie dense et en périphérie plus lointaine, permettant à ces territoires urbains d’être attractifs d’un point de vue économique et social tout en offrant un bilan environnement satisfaisant, sachant que 33 % des émissions de carbone sont dues aux échanges de marchandises dans le bilan carbone actuel de la ville de Paris. En réalité, cet enjeu est double : il s’agit de préserver le foncier logistique existant en améliorant sont intégration urbaine sur le plan architectural et fonctionnel tout en en recréant de manière inventive et volontariste. Quels projets innovants Sogaris mène-t-elle pour répondre à ces enjeux ? Nous suivons un schéma conçu à l’échelle du bassin logistique de l’agglomération parisienne, c’est-à-dire l’ensemble du territoire sur lequel s’opèrent les flux dits « urbain » liés au fonctionnement logistique de la ville. Nous avons défini trois zones. Au sein de chacune d’elles, nous portons un concept d’immobilier logistique dis « urbain ». Le premier concept, le plus périphérique, est celui de plateforme logistique urbaine avec des terrains de grande dimension sur lesquels nous positionnons plusieurs types de bâtiments. C’est là que les flux de très longues distances se connectent aux flux urbain, ce qui en fait la porte d’entrée logistique de l’agglomération. Le deuxième concept s’établit dans une zone plus dense comprise entre l’autoroute A86 et le périphérique. Notre concept immobilier est ici celui d’hôtel logistique, un bâtiment unique aux connections multimodales intégrant en sus de la logistique d’autres activités : locaux tertiaires, artisanat, commerce, imprimeries, data centers, activités liées à des grossistes. Faire cohabiter ces activités dans un même bâtiment permet d’opérer une péréquation financière, condition sine qua non au vu du coût du foncier pour repositionner en milieu dense la logistique, activité peu lucrative. Le troisième concept permet un positionnement dans Paris intra muros, zone la plus densément peuplée et où l’activité de commerce est la plus développée. C’est là que nous implantons notre dernier concept d’immobilier logistique : l’Espace urbain de distribution (EUD). Ce n’est ni une plateforme, ni même un bâtiment : il s’insère dans des structures existantes que l’on aménage en conséquence.

© D.R.

Dans quelle mesure les collectivités locales considèrentelle la logistique comme partie prenante d’une mixité fonctionnelle aboutie ? Je crois que la France souffre aujourd’hui de schémas de développement urbain très déséquilibrés. Les projets se contentent de mêler des bureaux, des logements et des commerces, alors que ce triptyque ne couvre pas l’intégralité des activités urbaines. Il faut penser des opérations d’aménagement urbain un peu plus originales et volontaires. Le cas de la réhabilitation de l’entrepôt Macdonald est à ce titre emblématique : après rénovation, ce bâtiment anciennement dévolu à la logistique réunira du logement, du commerce et du bureau. Or nous savons tous que la vacance tertiaire augmente en région parisienne. Face à ce contexte préoccupant, la logistique n’est pas une fin en soi mais bien un outil qui permet à la ville de fonctionner tout en étant porteur d’emplois.

FAIRE COHABITER CES ACTIVITÉS DANS UN MÊME BÂTIMENT PERMET D’OPÉRER UNE PÉRÉQUATION FINANCIÈRE, CONDITION SINE QUA NON AU VU DU COÛT DU FONCIER POUR REPOSITIONNER EN MILIEU DENSE LA LOGISTIQUE, ACTIVITÉ PEU LUCRATIVE.


ENTRETIEN AVEC PHILIPPE GALLOIS ARCHITECTE, COFONDATEUR DE SAGL, PARIS

Comment la conception architecturale des bâtiments logistiques peut-elle faciliter leur retour en cœur d’agglomération ? Philippe Gallois : C’est bien dans les zones denses des grandes agglomérations que l’architecture, en effet, sera la mieux à même de soutenir la cause logistique. Le principal levier d’action est sans doute la réduction du bruit. Les bâtiments logistiques en hauteur ont-ils un avenir ? Il y a une réticence très française vis-à-vis des constructions en hauteur quelle que soit leur nature, alors que c’est une solution rationnelle sur le plan technique, économique et environnemental. Il ne faut pas perdre de vue que la poursuite de l’étalement va obliger à aller toujours plus loin des ville, ce qui générera des surcoûts ainsi que des nuisances et des difficultés de circulation supplémentaires. Il serait donc irresponsable de continuer à construire des millions de mètres carrés à plat. Un cap sera franchi lorsque les collectivités locales se résoudront à réserver des terrains bien situés à la logistique, car il faut absolument monter en hauteur. Comment les collectivités locales peuvent-elles soutenir le retour de la logistique vers les centres-villes ? Le seul moyen d’aller contre le jeu naturel du marché est que la réglementation réserve des terrains à cette activité. À l’heure actuelle, les livres blancs et les conférences autour de cet enjeu ne manquent pas mais dans les faits, rares sont les opérateurs qui esquissent des projets concrets de logistique urbaine. Sans doute le prix très élevé du foncier parisien expliquet-il que la capitale parisien explique-t-il que la capitale ne soit pas en pointe sur cette problématique. Le meilleur gisement reste à mon sens les marges des emprises de la SNCF : c’est encore là que subsistent les réserves foncières les plus notables et une localisation au bord des voies est pertinente pour qui recherche la multi modalité.

© D.R.

IL SERAIT DONC IRRESPONSABLE DE CONTINUER À CONSTRUIRE DES MILLIONS DE MÈTRES CARRÉS À PLAT. UN CAP SERA FRANCHI LORSQUE LES COLLECTIVITÉS LOCALES SE RÉSOUDRONT À RÉSERVER DES TERRAINS BIEN SITUÉS À LA LOGISTIQUE, CAR IL FAUT ABSOLUMENT MONTER EN HAUTEUR.

Espace de coworking à Toulouse © espacecwt

À LIRE

Avant-propos de Ingrid Nappi-Choulet Les cahiers de la Chair Immobilier et Développememt Durable, ESSEC business school


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nouveau

Réinventer

le concept de la verrière

© 2013 Groupe VELUX∏ VF 6375-1113 VELUX et le logo VELUX sont des marques déposées et utilisées sous licence par le groupe VELUX∏. Ce document n’est pas contractuel. R.C.S EVRY 970 200 044.

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City Zen, Lille : © D. R. / Architecte : Agence Beal et Blanckaert


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 PROMO IMMO Actrice essentielle de la requalification du Grand Paris, la promotion immobilière passe ici à la question sur des thématiques variées : tissu urbain, acte architectural, développement des entreprises et de la vie économique de la métropole, mais aussi de sa vie sociale.

© D.R.

PHILIPPE CAYOL DIRECTEUR GENERAL DE NACARAT


Détenue à 70 % par Rabot Dutilleul Investissement et à 30 % par le Crédit Agricole Nord de France, Nacarat, originaire du Nord de la France, est désormais implantée sur l’ensemble du territoire français, ainsi qu’en Belgique et en Pologne. La société intervient comme promoteur « généraliste » en immobilier résidentiel (collectif, individuel groupé et géré), d’entreprise (bureaux et parcs d’activités) et commercial. En amont de son métier de promoteur, elle intervient aussi aux côtés des collectivités, sur des problématiques d’aménagement. Avec un chiffre d’affaires de 281 M€ en 2013, Nacarat compte actuellement en France 13 agences régionales et plus de 200 collaborateurs. Propos recueillis par Christine Desmoulins

Comment définissez-vous la philosophie de Nacarat en matière de promotion ? Philippe Cayol : Nacarat développe une expertise sur tous les produits immobiliers résidentiels et d’entreprise et notre travail avec des élus locaux et des associations nous aide à définir notre projet d’entreprise. Forte d’un positionnement précurseur en éco-conception, Nacarat est engagée dans une démarche de responsabilité sociétale qui s’appuie sur le référentiel ISO 26000. Cela nous pousse à réaliser des opérations à forte valeur ajoutée environnementale et sociétale avec l’obligation de ne pas déroger aux contraintes de coûts et de qualité du marché. Nous avons par ailleurs développé un outil baptisé « ASAP » (as sustainable as possible) sur la base des travaux internationaux sur la ville durable (Living Business Challenge, économie positive…). Il nous permet de définir et évaluer au fil de la vie de l’ensemble de nos projets le respect des critères sur lesquels nous nous sommes engagés. Et pour être performants, nous avons noué des partenariats avec des experts spécialisés qui nous entraînent vers une obligation de résultat. Nous avons ainsi des habitudes de travail avec des acteurs tels qu’Emmaüs, « ma-residence.fr » ou encore la Ligue pour la protection des oiseaux et développons avec eux des solutions concrètes, souvent inattendues.

Coeur de ville à Mouvaux, chantier : © D. R.

Coeur de ville à Mouvaux : © D. R.

Coeur de ville à Mouvaux : © D. R.


49 Quelles sont les conséquences de la crise sur les produits que vous développez ? L’influence de la crise est complexe. Dans un contexte où renoncer à ses engagements environnementaux serait facile, nous étudions de nouvelles façons d’habiter et de rentabiliser le foncier. L’Arboretum livré en 2013 à Euralille 2 et son voisin City’Zen sont représentatifs d’une mixité multifonctionnelle et sociale où Nacarat agit en pionnière. Commerces, bureaux et logements cohabitent. Les étages élevés sont offerts aux logements et nous mutualisons les circulations et le chauffage. Avec ses « îlots-jardins » et ses espaces publics partagés, City’Zen propose 70 appartements dont 26 en accession sociale, 4 en prix maîtrisés, 52 en accession libre et 10 « maisons sur le toit » dominant un immeuble de bureaux. En matière de mixité générationnelle, nous collaborons avec Vivalib avec qui nous créons au rez-dechaussée de certains de nos programmes des logements évolutifs. Ceux-ci permettent de disposer, pour un coût accessible, d’appartements voués à prolonger l’autonomie des personnes âgées. J’ai aussi la conviction qu’au gré de l’évolution de la ville et des usages, les parkings sont plus pertinents en étage qu’en sous-sol. Dans une opération lilloise, les rez-dechaussée commerciaux sont surmontés de deux premiers étages de parkings transformables en bureaux quand les besoins en automobiles seront moins prégnants.

City Zen, Lille : © D. R. / Architecte : Agence Beal et Blanckaert

City Zen, Lille : © D. R. / Architecte : Agence Beal et Blanckaert

City Zen, Lille : © D. R. / Architecte : Agence Beal et Blanckaert

Travailler en Belgique et en Pologne vous influence-t-il ? En Belgique, les logements sont plus grands et les contraintes environnementales, jusqu’alors moins prégnantes qu’en France, commencent à émerger. Les Polonais ont de l’avance en matière bioclimatique. Chez eux, les journées sont courtes et la lumière très recherchée, d’où l’importance des baies vitrées et des hauteurs sous plafond que nos critères BBC excluent. En France, la hauteur standard de 2,50 m est dictée par celle des plaques de placoplâtre et par les hauteurs admises dans les PLU alors que nous pourrions réfléchir en nombre d’étages autorisés. Les Polonais appliquent aussi au logement des règles d’ensoleillement. Chez eux, le rez-de-chaussée n’abrite pas l’appartement le plus sombre, car on y trouve des appartements de trois mètres de hauteur ou des duplex. Nous nous inspirons de ces typologies dans des opérations en France. En Pologne, l’ombre portée d’un immeuble ne saurait pénaliser le voisin. Pour respecter les rendements BBC, cette notion devrait être retenue chaque fois que l’on met en œuvre des panneaux photovoltaïques.

Nacarat en chifres 281 M€ de CA 226 collaborateurs 1 340 logements réservés 17 785 m2 de bureaux réservés 100 % de programmes éco-conçus 6 distinctions obtenues aux Pyramides d’Argent FPI


L’HABITAT PARTICIPATIF EST UNE DEMANDE À LAQUELLE NOUS POUVONS RÉPONDRE AVEC UN ARCHITECTE EN JOUANT UN RÔLE DE MÉDIATEUR POUR ORCHESTRER LE PROJET ET PERMETTRE À CHACUN DE TROUVER SA PLACE.

Des prix couronnent souvent vos programmes et notamment le K à Lyon Confluence. Dans ce quartier où un effet « d’Architectureland » l’emporte, quels sont les enjeux de pérennité ? Il est vrai que dans ces quartiers, on pourrait penser que c’est le geste qui est privilégié, mais le K, couronné par le Prix national de l’innovation des Pyramides d’Or 2013, ne se résume pas à cela. Cet ensemble multifonctionnel illustre un concept de mixité verticale formé d’une mixité de « strates ». Commerces, activités, bureaux, logements, jardins suspendus et parkings se superposent pour optimiser les économies d’énergie et produire un bâtiment moins coûteux et très performant dans sa qualité d’usage. Le CSTB a évalué nos choix et aujourd’hui, nous pouvons nous brancher sur le smart grid de Lyon. Côté Docks, Le Havre : © D. R. / Architecte : P. Dubus

Côté Docks, Le Havre : © D. R. / Architecte : P. Dubus


51 Les travaux sur la mobilité de l’AIGP ont contribué de manière déterminante à aboutir début 2011, à la surprise générale, à une synthèse sur les transports publics dans le Grand Paris. Il a poursuivi ses réflexions par des études sur la mobilité, sur des thèmes comme Habiter le Grand Paris ou les Systèmes métropolitains, qui ont fait tous deux l’objet d’une publication. Son Conseil scientifique s’est réuni en moyenne une fois par mois depuis 2010. L’Atelier est aujourd’hui une instance écoutée, entendue, suivie avec beaucoup d’attention, notamment par les maires, et un certain nombre de ses messages, de ses idées et de ses propositions commencent à se concrétiser dans la réalité des territoires – même si les pouvoirs publics peinent à estimer à leur juste prix la valeur de ces réflexions. Il reste enfin à intégrer utilement cet outil dans les processus de réflexion et d’action pour construire une vision métropolitaine cohérente, mais en préservant la part de liberté et l’indépendance de ce groupe d’experts, car c’est justement ce qui en fait tout l’intérêt. BEAUTÉ La beauté de Paris et de son centre historique est largement célébrée par les écrivains, peintres, photographes, cinéastes… Il s’agit bien d’une beauté partagée puisqu’elle attire 44 millions de touristes chaque année. C’est également une beauté aux composantes multiples : monuments, immeubles, espaces publics, mobilier urbain, Seine et ses berges, jusqu’aux détails de ses architectures et aux charmes de ses espaces naturels... La dimension patrimoniale est une évidence pour appréhender l’idée de beauté. Préserver le patrimoine est donc d’autant plus important que ce capital précieux n’est que lentement renouvelable à l’échelle du temps humain et que créer du

Cinéma Gaumont Opéra, anciennement Théâtre du Vaudeville © D. R.

beau est difficile. Comment préserver et mettre en valeur ce qui existe (et que l’on peut recycler) tout en étant attentif à créer de la beauté à travers des bâtiments et des lieux nouveaux ? CULTURE Évoquer la culture dans le Grand Paris, c’est renvoyer à de nombreuses approches possibles du sujet : ses repères identitaires, leur représentation et leur inscription dans des lieux emblématiques existants ou à créer ; la culture comme facteur de « mieux vivre ensemble » ; l’offre culturelle actuelle dans le Grand Paris, sa géographie, ses réseaux existants et potentiels, ses lieux, les événements métropolitains majeurs, les spécificités ou non de la demande culturelle des Grands Parisiens, l’économie de la connaissance dans la métropole ; son patrimoine enfin, de quartiers, de monuments, de musées, de paysages, etc. La culture relève à la fois du regard porté sur la métropole,

Credac à Ivry : Mathieu Mercier / Vue de l’exposition Sublimations, Centre d’art contemporain d’Ivry – le Crédac, du 20 janvier au 25 mars 2012 / Au premier plan : / Sans titre (vase/disque chromatique), 2011-2012 / Vase, plexiglas, eau, sublimation sur socle en Corian / 120 x 60 x 60 cm / Courtesy de l’artiste / Photo : © André Morin / le Crédac


Résidence Edison, Créteil : © Y. Soulabaille / Architecte : Agence A19

Sur les projets 20 Boétie à Paris, la résidence Edison à Créteil ou sur le site Stein Industrie, à Lys-lez-Lannoy, quels types de reconversions répondent aux attentes ? Au 20, rue La Boétie, à Paris, dans le quartier central des affaires, Nacarat a créé des bureaux certifiés BBC Effinergie Rénovation/HQE Rénovation, tout en conservant le caractère haussmannien d’un hôtel particulier. À Créteil, la résidence Edison est née de la reconversion d’un bâtiment de bureaux obsolète des années 1970 au profit d’une résidence pour chercheurs et jeunes actifs face à l’hôpital Henri-Mondor. La structure et la trame du bâtiment se prêtaient bien au développement d’un produit hôtelier. Pour transformer le site Stein Industrie en écoquartier, l’ancrage régional sert notre connaissance d’un territoire et le premier acte de cette reconversion est la construction d’un dojo à ossature bois répondant au label Passivhaus.

Via Domitia, Nantes : © D. R.

Via Domitia, Nantes : © D. R.

Arboretum, Lille : © J. Lanoo / Architecte : CAAU

Arboretum, Lille : © J. Lanoo / Architecte : CAAU

Le projet de loi ALUR offre un cadre légal pour l’habitat participatif. Quel rôle un promoteur peut-il jouer dans cette 3e voie du logement ? La mission d’un promoteur étant de répondre aux besoins actuels et futurs des particuliers, l’habitat participatif est une demande à laquelle nous pouvons répondre avec un architecte en jouant un rôle de médiateur pour orchestrer le projet et permettre à chacun de trouver sa place. Faire du « sur-mesure en prêt-à-porter » peut permettre de satisfaire la demande tout en anticipant la revente et les besoins à plus long terme adaptables de futurs occupants. « Accoucheurs de besoins », nous apportons aussi une expertise en sécurité, une garantie financière et nous contrôlons les prix et les entreprises.


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MIEUX CONCEVOIR L’IMMOBILIER PAR JEAN-FRANÇOIS BUET PRÉSIDENT DE LA FNAIM

L’ABONDANCE DES TEXTES DE LOI ET LEUR COMPLEXITÉ DANS LE DOMAINE DE L’IMMOBILIER, MÈNE A UN CONSTAT : IL FAUT DÉFINIR CES NOMS, CES ACRONYMES ET CES ANGLICISMES, POUR MIEUX CONCEVOIR L’IMMOBILIER DANS SA TECHNICITÉ ET DANS SA GLOBALITÉ. « CE QUI SE CONÇOIT BIEN S’ÉNONCE CLAIREMENT ET LES MOTS POUR LE DIRE ARRIVE AISÉMENT » L’ART POÉTIQUE, BOILEAU ALUR (LOI) Je ne vais pas détailler ici tous les défauts et les quelques qualités que je trouve à ce texte fleuve et complexe. Il a été voté, il sera mis en œuvre, peut-être pas avec l’enthousiasme que ses auteurs auraient souhaité. Mais je regrette que les mois qui ont précédé son adoption aient tant ressemblé à une guerre de tranchées. Avant même qu’il soit écrit et donc lu, il a réussi, par les effets et les contre-effets d’annonces des uns et des autres, à opposer locataires et propriétaires. J’ai peur qu’il ne laisse la trace d’une loi sur la consommation plus que sur le logement et la ville, alors que son volet urbanisme, celui dont on parle le moins, est sans doute celui qui aura le plus d’effets. Aujourd’hui, quelques décrets sont parus, le grand public est persuadé que cette loi a été « détricotée », quelquesuns parlent même de « l’ex-loi Alur »… Le consommateur, justement, n’y comprend plus rien. Il faut avouer que le texte n’a pas été très défendu une fois sa principale zélote disparue des radars gouvernementaux. Je me demande franchement ce qu’il en restera. Le suivi sera très intéressant et nous verrons d’ici à deux ans ce que la loi aura vraiment changé. À moins qu’un autre texte ne vienne attirer notre attention.

À LIRE

Jean-François Buet, Les 101 mots de l’immobilier à l’usage de tous, Archibooks + Sautereau éditeur, Paris, 2015, 80 p. ISBN 978-2-35733-292-8. 12,90 euros

CARRÉ La FNAIM a eu comme slogan « avec le cube, c’est carré ». Ce à quoi les petits malins rétorquaient : « Mais quand c’est carré, ça ne tourne pas rond… » Digne des brèves de comptoir, non ? Tout ça pour parler du mètre carré, l’étalon absolu des affaires immobilières. L’est-il vraiment ? Les mètres carrés ne sont jamais identiques, s’ils sont orientés au sud ou au nord, éclairés ou sombres, au rez-de-chaussée ou au dernier étage, avec ascenseur ou sans… Les professionnels parlent de mètres carrés pondérés, dont le prix est adapté à la « qualité » de la surface. Certaines surfaces annexes sont vendues sans être mesurées, comme les caves ou les garages. Le mètre carré non bâti a une tout autre signification. Tout dépend de là où il se trouve et surtout de ce qu’on peut construire dessus. Même si la loi Alur a supprimé le cœfficient d’occupation des sols, qui permettait de calculer précisément la densité autorisée, les règles des plans locaux d’urbanisme s’appliquent pour déterminer l’alignement ou le recul, les espaces verts obligatoires, la desserte, le nombre d’étages… Le vendeur d’un terrain ne vend pas une surface, mais des droits à construire. Le mètre carré sur lequel on peut bâtir une tour se vendra ainsi beaucoup plus cher que s’il ne peut accueillir, en accord avec le PLU, qu’une maisonnette.

TOUT ÇA POUR PARLER DU MÈTRE CARRÉ, L’ÉTALON ABSOLU DES AFFAIRES IMMOBILIÈRES. L’EST-IL VRAIMENT ?


GUL Verra-t-elle le jour, sous quelle forme et sous quel nom ? En tout cas, cet acronyme n’a pas été épargné par les sarcasmes : GUL cassée, qu’est-ce qu’elle a ma GUL ? Et j’en passe… La Garantie universelle des loyers, pour l’appeler par son nom entier, partait du principe que les bailleurs craignant les impayés de loyer, la loi leur apporterait une sécurité. Mais la solution retenue a finalement créé la confusion et, sans doute, l’effet inverse du but poursuivi. En annonçant que l’État prendrait le relais des assureurs, mais sans proposer de dispositif de financement, le législateur s’est décrédibilisé. Depuis le vote de la loi, qui laissait cette question à la discrétion d’un décret, les choses ont changé. On sait maintenant que la GUL n’est ni universelle, ni obligatoire, qu’elle sera réservée sans doute aux étudiants et on ignore toujours comment elle sera(it) financée. Une coquille vide, en quelque sorte. Si, dans le texte, elle est prévue pour s’appliquer à partir de 2016, il est possible qu’elle finisse aux oubliettes avant. Bonne ou mauvaise chose ? Franchement, personne ne la regrettera. Il existe déjà des systèmes d’assurance comme la GRL (Garantie des risques locatifs) permettant à des bailleurs de louer sans trop de réticences à des ménages aux revenus modestes ou irréguliers. PLUS-VALUE L’espoir de plus-value a certainement été le principal moteur des acquisitions immobilières entre 2002 et 2007. Les prix montaient, les gens achetaient pour revendre plus cher et pour ne pas risquer de « rater le train ». Ce mouvement a fait boule de neige, en confortant ceux qui revendaient vite et en pressant encore plus ceux qui avaient l’impression de ne pas avoir acheté assez tôt. Cet espoir qui nourrissait le marché a vécu. Les prix sont si élevés, aujourd’hui, qu’aucune plus-value n’est plus garantie. Mais ceux qui ont acheté il y a vingt ans sont encore largement gagnants. Quelle leçon en tirer ? Que le bon moment pour acheter n’est pas le même pour tout le monde, quelles que soient les promesses du marché. Une lapalissade ? Peut-être, mais alors comment expliquer les mouvements à la hausse ou à la baisse alimentés par les seules rumeurs de marché, elles-mêmes constitutives de mouvements réels ? Si chacun réfléchissait à ses besoins réels, à sa situation patrimoniale, à ses moyens, sans doute le flux et le reflux du marché seraient-ils moins réguliers. La plus-value appelle un autre terme : l’impôt sur la plusvalue, un outil plus ou moins efficace de la politique du logement. À condition qu’elle ne soit pas modifiée tous les six mois… Justement, cette taxe n’a cessé d’être amendée depuis deux ans, si bien que sans les conseils d’un notaire ou d’un spécialiste, je défie quiconque de réussir à la calculer. Les propriétaires qui pourraient être vendeurs n’y comprennent plus grand-chose et attendent la prochaine loi de finances en espérant y voir plus clair.

L’ESPOIR DE PLUS-VALUE A CERTAINEMENT ÉTÉ LE PRINCIPAL MOTEUR DES ACQUISITIONS IMMOBILIÈRES ENTRE 2002 ET 2007. LES PRIX MONTAIENT, LES GENS ACHETAIENT POUR REVENDRE PLUS CHER ET POUR NE PAS RISQUER DE « RATER LE TRAIN ».

PIERRE PAPIER Cette expression bizarre désigne des fonds immobiliers dont les plus connus sont les Sociétés civiles de placement immobilier (SCPI). Elle me fait penser à des châteaux de cartes plus qu’à des investissements immobiliers. Le système est pourtant plutôt rassurant pour les propriétaires : plus souple que l’achat d’un appartement et moins risqué que la possession d’actions. L’avantage des SCPI réside dans leur absence de soucis de gestion (qui se paie d’ailleurs en frais) et dans leur souplesse d’achat et de revente. C’est aussi la possibilité d’investir dans l’immobilier d’entreprise, un secteur difficilement accessible en direct aux particuliers. J’y vois un autre avantage, la possibilité de financer par l’emprunt, y compris par un crédit in fine. Je m’étonne qu’il n’y ait pas de SCPI Viager. Cela éviterait le lien direct entre le vendeur et l’acquéreur et mutualiserait les risques de sur-longévité de certains crédirentiers. Des fonds viagers commencent, timidement, à faire leur apparition, mais ils ne sont pas encore accessibles au grand public. Cela viendra peut-être. STOP AND GO Un bel exercice théorique universitaire. Une mesure simple, claire, limitée dans le temps comme la « baladurette » ou la « jupette » et qui donne apparemment de bons résultats sur la relance de la production de voitures. Plusieurs gouvernements ont tenté une analogie en jouant notamment sur l’impôt de plus-value. En l’allégeant pour créer une « fenêtre » temporaire durant laquelle les propriétaires seraient incités à mettre leurs biens et surtout leurs terrains sur le marché pour créer « un choc d’offre ». La stratégie de court terme ne fonctionne pas dans le secteur de l’immobilier. Au contraire, ces politiques qui n’ont pas le temps d’être suivies d’effet ont plutôt l’effet inverse : celle de casser la confiance en changeant à chaque loi de finances.


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L’ABC DU GRAND PARIS PAR BERTRAND LEMOINE

« IL EN EST DES VILLES COMME DES RÊVES : TOUT CE QUI EST IMAGINABLE PEUT ÊTRE RÊVÉ MAIS LE RÊVE LE PLUS SURPRENANT EST UN RÉBUS QUI DISSIMULE UN DÉSIR, OU UNE PEUR, SON CONTRAIRE. LES VILLES COMME LES RÊVES SONT FAITES DE DÉSIRS ET DE PEURS, MÊME SI LE FIL DE LEUR DISCOURS EST SECRET, LEURS RÈGLES ABSURDES, LEURS PERSPECTIVES TROMPEUSES ; ET TOUTE CHOSE EN CACHE UNE AUTRE. » ITALO CALVINO, LES VILLES INVISIBLES

Carte de Paris en 1841 © Bibliothèque Nationale de France, illustration dans le domaine public, disponible sur wikipédia.org)

Dans la Comédie humaine du Paris du xixe siècle, Honoré de Balzac a créé et mis en scène quelque six mille personnages, plus vrais que nature, qui ont en particulier pétri la pâte parisienne à travers leur interaction avec un Paris en pleine mutation physiologique et sociale. Plus tard, Walter Benjamin a rassemblé dans son livre sur les passages une mosaïque de citations qui témoignent de l’épaisseur littéraire et documentaire de Paris, celles des plumes qui se sont attachées à construire le mythe de la capitale. Dans le Grand Paris d’aujourd’hui, nombre de personnalités se croisent, agissent, s’expriment, réfléchissent, s’agitent, sont à la manœuvre, décident ou croient décider, s’investissent, ambitionnent de porter Paris encore plus loin et d’inventer le Grand Paris du xxie siècle.

À LIRE

Bertrand Lemoine, Les 101 mots du Grand Paris à l’usage de tous, Archibooks + Sautereau éditeur, Paris, 2015, 160 p. ISBN 978-2-35733-307-9. 13,90 euros

ATELIER INTERNATIONAL DU GRAND PARIS (AIGP) L’AIGP n’est pas un club, ni une académie. Il ne faut pas non plus le confondre avec la Société du Grand Paris, maître d’ouvrage du nouveau réseau de métro automatique du Grand Paris Express. L’AIGP est, comme son nom l’indique, un atelier, créé en février 2010 et placé jusqu’en octobre 2013 sous la direction générale de Bertrand Lemoine, pour donner suite à la consultation internationale lancée en 2008 sur « le Grand Pari(s) de l’agglomération parisienne » auprès de dix équipes pluridisciplinaires d’architectes et urbanistes. Ce groupement d’intérêt public s’appuie sur un Conseil scientifique renouvelé en 2012 suite à l’organisation d’une nouvelle consultation internationale pour compter désormais quinze équipes pluridisciplinaires dont les mandataires sont, comme initialement, des architectes-urbanistes. L’AIGP est installé sur le site du Palais de Tokyo à Paris. Il s’occupe également du programme Europan, destiné aux jeunes architectes européens, avec l’association Europan-France présidée par Alain Maugard, et du programme de recherche sur les villes intitulé Popsu. L’AIGP a été institué par l’État. La consultation en ellemême a été lancée par le ministère de la Culture et de la Communication avec la participation de la ville de Paris et de la région Île-de-France. Son conseil d’administration rassemblait initialement des représentants de l’État, sous la présidence d’Emmanuel Raoul. Il associe depuis juin 2011 à parité l’État (ministère de la Culture et de la Communication, ministère de l’Égalité des territoires et du Logement, préfecture de Paris et d’Île-de-France) et des collectivités territoriales (ville de Paris, région Île-deFrance, syndicat Paris Métropole, Association des maires de l’Île-de-France), ainsi que des personnalités qualifiées. Il a été présidé depuis cette date et jusqu’en avril 2014 par Pierre Mansat en tant qu’adjoint au maire de Paris. L’AIGP est un lieu extrêmement original de production d’idées et de projets, une force de propositions, un think tank, un catalyseur dans le jeu d’acteurs sur le Grand Paris, ainsi qu’un lieu de diffusion et de débats publics.


La Fondation Louis Vuitton à Boulogne par Franck Gehry architecte © D. R.

de son intensité, de son rayonnement et de son identité. Paris et l’Île-de-France sont riches d’une offre culturelle pléthorique. Leur patrimoine compte plus de mille monuments historiques protégés, de nombreux secteurs sauvegardés, des zones de protection du patrimoine urbain et paysagé et des sites protégés, dont des sites classés au patrimoine mondial de l’Unesco. Ceci permet à Paris de rester la première ville mondiale en termes de fréquentation touristique, avec 44 millions de visiteurs chaque année. Les musées et les lieux dédiés à l’art sous toutes ses formes y sont aussi nombreux : plusieurs centaines, même si les plus prestigieux et les plus fréquentés sont à Paris, tels que le Louvre, le musée d’Orsay, le Centre Pompidou ou le musée d’Art moderne de la Ville de Paris. De nouveaux lieux d’exposition permanente ou temporaire ont cependant vu le jour hors les murs tels que le MAC/VAL à Vitry, la Maréchalerie à Versailles, le Crédac à Ivry, la Ferme du Buisson à Noisiel, l’île Seguin et ses lieux dédiés à l’art contemporain et à la musique ou la Fondation Louis Vuitton dans le bois de Boulogne. Les cinémas se sont largement étendus sur tout le territoire du Grand Paris, même s’ils ont connu leur heure de gloire à la fin des années 1950, quand Paris comptait presque 350 salles pour moins d’une centaine aujourd’hui. L’essor des multiplexes a permis de conserver un nombre d’écrans stable, autour de 375, mais les cinémas se concentrent désormais dans quelques sites : les Champs-Élysées, les Grands Boulevards, le quartier des Halles, le Quartier latin, Montparnasse. D’autres pôles sont cependant apparus : à Bercy, autour de la Grande Bibliothèque, le long du canal Saint-Martin. En parallèle à ce mouvement, toute une série de complexes sont apparus en banlieue, souvent liés à de grands centres commerciaux. Le phénomène est semblable quoique moins marqué pour les théâtres : on dénombre quelque 130 salles de théâtre à Paris, à la programmation plus ou moins régulière, et un

nombre équivalent de salles dans les trois départements de petite couronne. Les communes de banlieue ont certes fait beaucoup d’efforts, à coups d’investissements et de subventions, sans compter les scènes nationales de Bobigny, Cergy, Évry, Sénart, Malakoff, Marne-la-Vallée, Saint-Quentin-en-Yvelines, Sceaux ainsi que les centres dramatiques nationaux à Aubervilliers, Gennevilliers, Montreuil, Nanterre, Saint-Denis, Sartrouville pour maintenir à flot une offre importante. Mais les enjeux du Grand Paris de la culture sont bien au-delà de ses équipements culturels et de leur programmation. Il s’agit d’abord de redonner à Paris le souffle qu’il a perdu, d’en refaire un lieu de vie culturelle où il se passe quelque chose, face à la concurrence d’autres villes comme Londres ou Berlin – pour ne citer que des exemples européens – de renouer avec certaines époques où Paris fut un haut lieu de l’art, de la libre vie sociale et nocturne. Paris s’est assoupie, engluée dans ses difficultés de circulation et de stationnement, handicapée par la cherté des lieux et la nécessité de vivre grâce aux subventions, paradoxalement trop encadrée par les institutions publiques. Le deuxième enjeu est de renforcer la présence de la culture sur tout le territoire métropolitain et dans toutes les typologies de lieux : lieux culturels bien sûr, mais aussi grandes surfaces, commerces, rues, gares, où les nouvelles gares programmées offrent une occasion unique de faire venir l’art au plus près des habitants, par exemple en y exposant par rotation quelques chefs-d’œuvre dûment protégés. On peut aussi imaginer déployer des architectures culturelles d’urgence : théâtres, cabarets, ateliers graphiques, écoles d’art… D’autres activités que les cinémas ou les théâtres ont timidement franchi le périphérique, comme les galeries d’art, avec deux récentes implantations de prestigieuses galeries à Pantin et au Bourget, ou de nouveaux lieux comme la Cité du cinéma, le 6B à Saint-Denis ou le Cube,


57 centre de création numérique à Issy-les Moulineaux. Le troisième enjeu est de construire une identité commune au Grand Paris, et la culture est évidemment un puissant facteur d’intégration et de création du lien social. Sans doute diverses initiatives pourraient-elles être prises pour faire bouger les lignes : interventions artistiques à l’échelle du grand territoire, créations d’ambiances sensibles, mises en lumière, démarches d’appropriation visuelle ou sonore des lieux du Grand Paris… Il faut articuler les pôles de développement économique avec des « hauts lieux » à forte valeur culturelle ajoutée, y compris à Paris ; favoriser les synergies et les réseaux entre institutions et associations en matière de création contemporaine (musique, arts vivants, arts plastiques…), musées et écomusées à l’échelle métropolitaine ; décentraliser à l’échelle de la métropole les grandes institutions culturelles (grands musées, opéra, théâtres…), à travers des antennes locales, tels un LouvreCergy, un Beaubourg-Vitry, un musée d’Orsay-Giverny ; enfin, penser le patrimoine, y compris celui du XXe siècle et celui de l’industrie, comme facteur de lien social et d’identité métropolitaine. La culture est bien l’un des enjeux essentiels du Grand Paris.

La Galerie à Noisy-le-Sec © D. R.

Le MAC/VAL à Vitry-sur-Seine © D. R.


LE GRAND ALGER, UNE PROFONDE MUTATION JEAN_-PIERRE COURTIAU

Le projet d’aménagement de la baie d’Alger, copyright la wilaya d’Alger


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 INTERNATIONAL Centralités du Grand Paris enrichit le débat autour des métropoles en se tournant vers l'international.



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En sept années, le paysage d’Alger s’est profondément modifié. Ces mutations du cadre urbain, de la relation à la mer, des transports, des infrastructures, surprennent l’observateur, le voyageur, le professionnel des territoires, à la fois par son ambition, l’ampleur du chantier, la diversité des réalisations et sa cohérence. Jean-Pierre Courtiau Chef de la mission de la formation continue, à la direction de l’architecture et du patrimoine

« LA VRAIE GÉNÉROSITÉ VIS-À‑VIS DE L’AVENIR CONSISTE À TOUT DONNER AU PRÉSENT. » L’HOMME RÉVOLTÉ, ALBERT CAMUS LE GRAND ALGER : UN PARI D’AMÉNAGEMENT CAPITAL LE PLAN STRATÉGIQUE Le mérite de ce que dès lors on peut saluer comme une performance du plan stratégique d’Alger à l’horizon 2030, revient en premier lieu à une forte volonté politique portée au plus haut niveau par le Président Abdelaziz Bouteflika et l’ancien Wali d’Alger Mohamed Kebir Addou qui affirmait « la vision globale à très long terme destinée à restructurer, d’une manière progressive mais durable, la ville d’Alger ». Son successeur, Abdelkader Zoukh, s’inscrit dans la continuité des actions engagées, en leur imprimant une démarche à la fois pragmatique et accélérée. La wilaya a constitué un comité de pilotage regroupant ses directions sectorielles, des élus des assemblées populaires et d’un assistant à la maîtrise d’ouvrage, le consultant du Wali, Amine Benaïssa. Ce plan stratégique, totalement financé pour la première phase, devrait être alimenté par un budget de 15 milliards d’euros pendant la période 2009 - 2029. L’ambition semble démesurée ; il s’agit de faire d’Alger une ville emblématique devant renforcer son statut international, sa situation géographique exceptionnelle et son patrimoine tout en gardant son identité ; une ville en fort développement économique et tertiaire en renforçant sa capacité d’accueil d’investissements et sa compétitivité, une ville-jardin, par la valorisation de sa qualité urbaine ; une ville qui saura organiser les 6,3 millions de déplacements quotidiens, une ville plus sûre en terme de risques naturels et technologiques. Afin d’assurer la cohérence de ces différentes politiques sectorielles, la wilaya a réuni en trois ans plus de vingt comités techniques, plus d’une centaine de rencontres avec les élus et la population.

Le nouveau campus de medicine, © Amine Benaïssa

LE CADRE DE COHÉRENCE Le cadre de cohérence, résultat de cette large concertation repose sur plusieurs plans thématiques : le plan blanc concernant la structuration du tissu urbain, les plans vert et bleu relatifs aux équilibres écologiques, le plan mobilité, le plan économie-emploi et le plan de cohésion sociale et d’équipements. Ces différents plans ont identifié une soixantaine de projets stratégiques pour la métropole. Afin de mettre en place le schéma de cohérence, un appel à deux consultations internationales a eu lieu dès 2006, ayant pour objet, la première, la révision du Plan directeur d’aménagement et d’urbanisme (PDAU), la deuxième concernant le projet d’aménagement de la zone côtière de la baie d’Alger. Sur quinze réponses, deux équipes ont été retenues : Parque Expo, le bureau d’études portugais pour le premier thème et le groupement Arte Charpentier réunissant sept partenaires pour le développement du linéaire côtier de 70 km entre le Cap Caxine à l’ouest et le lac de Reghaia à l’est. La mise en synergie des deux processus a été orchestrée par la wilaya, un comité de pilotage et le consultant Amine Benaïssa.

IL S’AGIT DE FAIRE D’ALGER UNE VILLE EMBLÉMATIQUE DEVANT RENFORCER SON STATUT INTERNATIONAL, SA SITUATION GÉOGRAPHIQUE EXCEPTIONNELLE ET SON PATRIMOINE TOUT EN GARDANT SON IDENTITÉ.


LES AXES FORTS

LES QUATRE ÉTAPES

Quelques grandes lignes du modèle territorial peuvent être dégagées reposant globalement sur trois axes forts : le « macromaillage » organisant le réseau des infrastructures existantes est relié par des voiries perpendiculaires avec l’objectif de rééquilibrer l’est et l’ouest par notamment l’implantation de la grande gare ferroviaire sur le site de l’oued El Harrach. Les nœuds créés par l’interaction des différentes voiries sont à l’origine de nouvelles polarités urbaines où des équipements comme des universités, un quartier d’affaires, des équipements sportifs seront implantés. En deuxième lieu, les nouvelles centralités contribuant à éviter les asymétries territoriales seront focalisées en partie autour du centre de gravité de la métropole : l’oued El Harrach avec notamment l’implantation du Grand Musée d’Afrique et la Grande Mosquée. Le projet offre l’opportunité du traitement et de l’aménagement de l’oued sur 18 km consistant à traiter les berges, à améliorer la qualité des eaux, à lutter contre les inondations et à proposer des espaces de loisirs… L’aménagement de la baie, enfin. Il s’agit pour le groupement d’Arte Charpentier chargé de l’étude du projet de favoriser le lien entre la population et la mer, d’éradiquer l’ensemble des pollutions, de concevoir un nouveau site pour le port en eau profonde et un habitat respectueux du paysage et de l’environnement. Si, aujourd’hui un premier tronçon concerne 4,5 km, la grande promenade longera la mer sur 50 km à terme. Pierre Clément, président du groupement Arte Charpentier, salue l’exposition sur le projet : « un lieu d’accueil et de débat en centre ville pour l’architecture et l’urbanisme qui témoigne qu’Alger se transforme qualitativement et que mille projets fleurissent. »

Un projet d’une telle ampleur, ayant à la fois l’ambition de faire d’Alger la porte de l’Afrique et de renforcer ses liens économiques, en particulier avec l’Europe et la France, a été conçu en quatre grandes étapes : 20122016, structuration avec la reconquête du front de mer, réhabilitation du centre historique, restauration des équilibres écologiques, refonte de quelques quartiers périphériques et du système des transports ; en 20172021 sont prévus l’aménagement de la baie consistant en la délocalisation progressive du port existant, en la reconquête des friches industrielles, en la conception de liaisons entre les quartiers éloignés et la baie, la mise en place du tram-train de la rocade sud et la mise en œuvre de la ceinture des agri-parcs ; la troisième étape (20222026) verra la poursuite de l’aménagement de la baie et structuration de la dernière couronne périphérique ; enfin dans la période 2027-2030 c’est la fin de l’aménagement de la baie, l’extension d’Alger à l’est et l’achèvement du macromaillage en transports.

LES NŒUDS CRÉÉS PAR L’INTERACTION DES DIFFÉRENTES VOIRIES SONT À L’ORIGINE DE NOUVELLES POLARITÉS URBAINES OÙ DES ÉQUIPEMENTS COMME DES UNIVERSITÉS, UN QUARTIER D’AFFAIRES, DES ÉQUIPEMENTS SPORTIFS SERONT IMPLANTÉS.

Vue nocturne d’Alger et mise en lumière, © La wilaya d’Alger, architecture lumière groupe Citelum


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Les terrasses du port, © Arte Charpentier

LES RÉALISATIONS CONCRÈTES Même si le projet du Grand Alger consiste en un défi immense, même si la capitale est un grand chantier, des traductions visibles de cette performance sont déjà nombreuses : le réseau routier fondamental, de grands équipements comme les facultés de droit et de médecine qui ont accueilli leurs premiers étudiants cette année, les chantiers des stades de Douera et de Baraki, la zone d’affaires de Bab Ezzouar qui accueille ses premiers sièges d’entreprises, l’aménagement du bord de mer et en particulier la promenade des Sablettes ; les premiers travaux concernant le traitement et la dépollution de l’oued Harrach ont démarré. Près de 70 000 logements sociaux sont en cours de réalisation, l’ambition affirmée est de construire 25 000 logements par an. Près de 20 000 baraques dans les bidonvilles ont déjà été éradiquées. Aujourd’hui, grâce à l’implantation de grandes infrastructures souterraines, l’eau potable coule dans les foyers 24 h sur 24. Des collecteurs de dimension impressionnante traitent les eaux usées, les décideurs estimant qu’en 2016 il n’y aura plus de rejets de matières polluées dans la mer. Et quarante ans de décharges à l’air libre disparaissent progressivement. Enfin, deux agri-parcs sont lancés, celui de Khraïssa (340 hectares) et celui de Chéraga (2 223 hectares). Dans son enthousiasme devant tant de métamorphoses importantes, le voyageur ou l’aménageur étranger, un peu étonné devant la dégradation de l’hypercentre, souhaiterait que les préconisations du « plan blanc » concernant notamment la réhabilitation des immeubles dégradés et de la casbah soient appliqués dans de bons délais d’autant plus que d’excellentes études traitent de l’identification des problèmes et les méthodes de réhabilitation à l’instar du « diagnostic du quartier Ben M’hdi » commis par l’école Polytechnique d’architecture et d’urbanisme et l’Université polytechnique de Madrid.

LES RELATIONS EXCEPTIONNELLES ET DE NATURE PARTICULIÈRE QUI UNISSENT L’ALGÉRIE ET LA FRANCE. LES PRÉSIDENTS BOUTEFLIKA ET HOLLANDE ONT OUVERT LA VOIE À UNE COOPÉRATION FONDATRICE ENTRE LES DEUX PAYS.

Vue de synthèse des terrasses du port © Arte Charpentier

Plan de masse des terrasses du port © Arte Charpentier


LES TERRAINS DE LA COOPÉRATION FRANCO-ALGÉRIENNE Dans le journal Partenaires, revue de la Chambre de commerce et d’industrie algéro-française (CCIAF), le président de l’IPEMED (Institut de prospection économique du monde méditerranéen), Jean-Marie Paintendre salue « les relations exceptionnelles et de nature particulière qui unissent l’Algérie et la France. Les Présidents Bouteflika et Hollande ont ouvert la voie à une coopération fondatrice entre les deux pays. » Il propose aussi des recettes pour des rapprochements : « Quand la CCIAF encourage des partenariats et des opportunités d’affaires entre la France et l’Algérie, nous cherchons à créer un environnement favorable à ces échanges, en agrégeant les préoccupations et propositions des chefs d’entreprise au niveau régional. » Un an après la visite de François Hollande, les Premiers ministres Jean-Marc Ayrault et Abdelimalek Sellal tiennent le premier comité intergouvernemental algérofrançais les 16 et 17 décembre 2013. Neuf ministres français accompagnaient le Premier ministre. Même s’il y fut question de « partenaire d’exception » ou « d’étranger privilégié », de « co-développement industriel », « de rencontre inimaginable il y a quelques mois », « de liens de confiance à préserver mais aussi à approfondir », « d’année charnière dans la coopération bilatérale », la France a des difficultés pour conserver son statut de premier fournisseur de l’Algérie depuis l’Indépendance. Ainsi pour les neuf premiers mois de 2013, la Chine représente 11,98 % des importations globales contre 11,37 % pour la France. Pourtant, si la France n’est que le quatrième client de l’Algérie avec 6,3 milliards d’euros d’exportation en 2012, l’excédent commercial en faveur de la France s’est élevé en 2013 à quelque 2,5 milliards d’euros (source : le magazine Alger Paris de janvier 2014). L’Algérie et la France « réunissent des facteurs de complémentarité économique. » Cela permettra-t-il de donner une nouvelle impulsion aux relations partenariales notamment dans les secteurs de la mécanique, la pêche, l’industrie pharmaceutique et du bâtiment ? Les investisseurs doivent avoir pleinement conscience des priorités économiques édictées par la wilaya d’Alger : améliorer le cadre de vie de la capitale pour devenir une ville attractive en termes d’investissements et de talents ; offrir des espaces tertiaires pour l’implantation d’entreprises (exemples de la zone d’affaires de Bab Ezzouar et l’aménagement de la baie) et, enfin, favoriser l’innovation, la création et la recherche. Actuellement, les compétences françaises sont représentées pour l’aménagement de la baie par la Société Arte Charpentier, dans le domaine de l’eau avec Suez, dans les transports avec Vinci associé à Siemens, la RATP et Alsthom pour les tramways. ADP a un contrat d’assistance pour les aéroports. La Société Générale et Nexity sont investis dans le domaine bancaire et Egis dans l’ingénierie. La Société Lafarge (cf. n°1 de la Tribune du Grand Paris) est très présente sur ce chantier et a

d’ailleurs marqué tout son intérêt lors d’une visite récente de Monsieur Lafont et des membres de l’équipe dirigeante à la Maison d’Alger au cours de laquelle « ils ont exprimé une vive admiration pour la beauté et la grandeur du projet même, la vision d’ensemble qui l’anime ainsi que l’ampleur du travail réalisé. »

C’EST POUR MOI ET MON ÉQUIPE UN GRAND BONHEUR D’AVOIR CETTE VISION GLOBALE D’ALGER DEMAIN, À LA FOIS RÉALISTE, AMBITIEUSE ET AU FINAL PORTEUSE DE BELLES PERSPECTIVES. De la même façon, le responsable de Suez en Algérie a salué la performance « C’est pour moi et mon équipe un grand bonheur d’avoir cette vision globale d’Alger demain, à la fois réaliste, ambitieuse et au final porteuse de belles perspectives en termes de mieux être des Algérois. SEAAL est l’une des continuités à cette démarche et s’engage à jouer, chaque jour un peu plus, son rôle d’Entreprise Citoyenne. Quels sont les challenges d’avenir ? Les grands équipements, le secteur du logement, les grandes structures comme le domaine hospitalier et de nouveaux champs de coopération apparaissent comme la réhabilitation du patrimoine ancien dans lesquels la mobilisation des PMEPMI est indispensable. Comment améliorer les performances des entreprises françaises ? Ayant évolué dans des marchés protégés, elles ont souvent beaucoup de difficultés à jouer avec des règles plus globales. Parfois, il est reproché que les Français plaquent un modèle et ne construisent pas sur mesure. Une enquête récente (avril 2013) réalisée par le cabinet Surveys & Consulting Institute à Alger, pour le compte de la Chambre de commerce algéro-française, portant sur le thème des potentialités en matière de partenariat entre entreprises algériennes et étrangères, a fait apparaître que plus de la moitié de celles-ci, algériennes, souhaitent établir des relations de partenariat avec leurs homologues étrangers. « Elles en espèrent des transferts de technologie et de l’information. Elles demandent que ce partenaire soit compétent, réputé et pédagogue. Elles privilégient directement l’association, par ouverture de capital, sans exclure d’autres formes de coopération. Des efforts sont à faire par les prestataires de service afin d’aider à la recherche de bons partenaires étrangers et les sécuriser dans les domaines juridiques et réglementaires. Les cinq secteurs les plus demandés sont la mécanique, le bâtiment, la chimie, l’agroalimentaire et la pharmacie ».


65 CONCLUSION Par rapport à d’autres capitales qui se voudraient être le « Grand », encore à la recherche d’un périmètre d’intervention, d’une gouvernance légitime, de réseaux de transports performants et, malgré la formulation de projets pertinents élaborés par des équipes de professionnels aguerris, Alger a réuni les conditions indispensables suivantes pour métamorphoser son cadre de ville et prétendre au titre de métropole du Grand Alger, à savoir : une détermination politique exprimée au plus haut niveau de l’État, une ambition affichée par les pouvoirs régionaux et la mise en place d’un outil de gestion territoriale conduit par des équipes complémentaires et cohérentes, une exigence de concertation permanente impliquant tous les acteurs à toutes les étapes du projet, de la conception à la réalisation. C’est pourquoi, nous avons mis l’accent dans cet article sur la démarche et les ingrédients de la performance qui peut apparaître exemplaire et, voire, reproductible pour d’autres capitales. Et, il n’est guère difficile d’imaginer Alger la Blanche, métropole réhabilitée, à la commande d’une nouvelle économie, assise à la fois sur l’un des plus grands pôles intermodaux de la Méditerranée (port aux super tankers et aux immenses porte containers voisin d’un aéroport international) et sur une attractivité touristique exceptionnelle, ouvert sur ce pays aux multiples richesses.

ALGER LA BLANCHE, MÉTROPOLE RÉHABILITÉE, À LA COMMANDE D’UNE NOUVELLE ÉCONOMIE, ASSISE À LA FOIS SUR L’UN DES PLUS GRANDS PÔLES INTERMODAUX DE LA MÉDITERRANÉE ET SUR UNE ATTRACTIVITÉ TOURISTIQUE EXCEPTIONNELLE.

Alger, porte du continent africain et en liaison avec les grandes métropoles de Barcelone, Gênes et Marseille (au débouché de la région Rhône-Alpes), aura enfin réalisé sa métamorphose avec bonheur.

La côte d'Alger de nuit © D.R.

La façade de la nouvelle Alger : le continuum et l'alternance des pleins et des vides © Arte Charpentier


EDF 552 081 317 RCS PARIS, 75008 Paris – Photo : Rob Payne

EDF CONÇOIT LE FUTUR RÉSEAU DE RECHARGE AUTOMOBILE Nous déployons des réseaux de bornes de recharge et nous concevons des batteries plus performantes pour circuler autrement. D’ici 2015, 5 000 bornes de recharge électrique seront installées partout en France. En partenariat avec les constructeurs automobiles, nous faisons entrer le véhicule électrique dans la ville. collectivites.edf.com L’énergie est notre avenir, économisons-la !


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Vue d'Alger © DR

Vue sur Alger © DR


 CULTURE Le Grand Paris, territoire polymorphe, profite d’une vaste politique culturelle. Centralités analyse les aspects marquants et les temps forts de l’animation de la métropole.

LA PHILHARMONIE DE PARIS, ENTRE URBANITE ET INTIMITE MARYSE QUINTON

Panneaux acoustiques réflecteurs © D. R.


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Après la Fondation Cartier en 1984, l’Institut du Monde Arabe en 1987 et le Musée du Quai Branly en 2006, Jean Nouvel offre un autre équipement culturel emblématique à la ville de Paris. Autant d’œuvres qui ont rapidement gagnées leurs galons d’icônes, témoignant de la capacité, jamais démentie, de l’architecte français à renouveler son écriture et à surprendre. La Philharmonie de Paris a ouvert ses portes après un chantier long et complexe, inhérent à tout projet hors-normes.


La Philharmonie de Paris, c’est d’abord un site. Par sa localisation, elle concrétise la volonté de démocratisation et l’idée d’un « Centre Pompidou de la musique » comme l’évoque Pierre Boulez, père spirituel du projet. Ainsi, à travers son caractère populaire, le lieu souhaite réunir tous les publics mais aussi tous les répertoires. La Philharmonie de Paris, c’est aussi une architecture puissante. Si le qualificatif « spectaculaire » est régulièrement convoqué depuis le concours, ce n’est pourtant ni le propos, ni l’enjeu. Certes, la morphologie singulière de ce bâtiment ne laissera personne indifférent. Certes, c’est un grand geste architectural pour Paris. Mais ce sont dans les entrailles de ses formes organiques qu’il faut plonger pour en saisir l’essence et la richesse spatiale. La Philharmonie de Paris, c’est enfin un programme longtemps attendu. La capitale souffrait d’une absence : un lieu capable de recevoir les plus grands orchestres mondiaux. Avec 87 000 m² de planchers construits et une salle offrant une jauge de 2 400 à 3 600 places, le bâtiment renforce l’offre métropolitaine en dotant la ville d’un équipement de prestige international. Pièce maîtresse du projet culturel du Grand Paris, elle amorce la mutation du territoire en reconsidérant ses portes et ses quartiers périphériques.

Le site de la Philharmonie en février 2013 © Borel photographe

La façade de la Philharmonie en février 2013 © Borel photographe

La grande salle en chantier © Borel photographie

UN SITE AUDACIEUX La Philharmonie prend place sur un site aussi audacieux qu’inattendu : un choix politique fort. Dans le parc de la Villette, entre la Cité de la musique et le périphérique parisien, le terrain n’a rien de faste ou de prestigieux. Ancien parking coincé entre infrastructures et ouvrages emblématiques du parc, ses atouts ne sautent pas aux yeux. Et pourtant. Il fallait toute l’habileté de Jean Nouvel pour en révéler le potentiel et l’affronter sans crainte. Installer la Philharmonie aux limites de l’est parisien, c’est s’inscrire sans ambages dans la dynamique du Grand Paris. Construire ce bâtiment d’envergure métropolitaine ici et maintenant constitue un signe fort envoyé aux quartiers environnants et aux territoires proches qu’il va contribuer à valoriser. L’architecture imaginée par Jean Nouvel traduit pleinement cet engagement d’un bâtiment posté aux abords du périphérique, aux portes de la banlieue. Plutôt que de juger ce site ingrat ou de n’y voir qu’une somme de contraintes, Jean Nouvel a préféré en exploiter le potentiel et assumer les nuisances. Tourner le dos au périphérique pour mieux s’en préserver ? Pas question. L’ignorer ? Impossible. Le trafic automobile est ici vécu comme un paramètre intangible du paysage urbain, pleinement constitutif du bâtiment. Il se donne à voir sans jugement aucun et rythme le parcours de son flux incessant au fil des niveaux. Geste fort, le foyer principal de la Grande salle accorde son altimétrie avec celle du périphérique comme une politesse faite à celui qui était déjà là. Mélomanes et automobilistes en vis-àvis, au même niveau, comme une invitation des premiers aux seconds. Autre symbole, les spectateurs accèdent à la salle par deux entrées, l’une depuis le parc de la Villette, l’autre Porte de Pantin — à l’image de ce double visage.


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LE TRAFIC AUTOMOBILE EST ICI VÉCU COMME UN PARAMÈTRE INTANGIBLE DU PAYSAGE URBAIN, PLEINEMENT CONSTITUTIF DU BÂTIMENT. IL SE DONNE À VOIR SANS JUGEMENT AUCUN ET RYTHME LE PARCOURS DE SON FLUX INCESSANT AU FIL DES NIVEAUX.

Elément de béton © Borel photographe

La façade de la Philharmonie en décembre 2013 © Borel photographe

UN BÂTIMENT OUVERT ET DYNAMIQUE Pour Jean Nouvel, la Philharmonie de Paris est une nouvelle occasion de se confronter au monde de la musique. Dans cette histoire, l’Opéra de Lyon fait figure de point de départ. L’architecte est venu poser un demi cylindre en verre sur un édifice historique. Doublant ainsi la hauteur initiale, le dispositif permet d’aller chercher d’époustouflantes vues sur la ville. Il y eut ensuite le Centre de culture et de congrès de Lucerne, inauguré en 2000. Face au lac, sa toiture en apesanteur, incroyablement vaste et fine, défie l’horizon. Il fut unanimement salué pour son architecture et son acoustique exceptionnelle. Puis en 2009, le Concert Hall de Copenhague. Cette salle symphonique prend la forme d’un mystérieux cube bleu, traduisant l’immatérialité chère à Jean Nouvel. Comme à la Philharmonie, le contraste entre l’enveloppe-écran et la salle rougeoyante ne fait pas dans la demi-mesure. Autant de références qui ont forgé sa solide réputation dans le domaine ô combien délicat de la musique et de sa capacité à appréhender un lieu dans sa spécificité et à en tirer la substantifique mœlle.

Une des salles de répétition © D. R.


Les vues sur la capitale et la banlieue, sans distinction ou hiérarchie aucune, y sont grandioses et saisissantes. Pour affirmer sa stature, la Philharmonie de Paris est coiffée d’un mur-écran culminant à 52 m de hauteur qui accueille la signalétique et annonce la programmation. Par son envergure, le dispositif fait événement dans le paysage urbain. Intégré au projet dès les prémisses, le système lui permet de tutoyer habilement les cieux, formant un repère à grande échelle. Pas question de se cacher. La Philharmonie est le grand bâtiment que Paris attendait. Pour autant, la palette de gris qu’elle convoque est une autre politesse faite à la ville. Se montrer, mais ne pas s’imposer au regard par des couleurs bavardes. Subtil équilibre. Pour habiller ses différents versants, l’architecte a invité une des métaphores dont il a le secret et un motif récurrent : les oiseaux. Ils sont ainsi 340 000, répartis en sept géométries aux accents d’Escher et quatre teintes différentes pour envelopper le bâtiment. 265 000 oiseaux en tôle d’aluminium sont posés en bardage sur les façades tandis que les 75 000 oiseaux restants, en fonte d’aluminium ou en béton, investissent le parvis de la Philharmonie, ainsi qu’une partie de la toiture.

L'orgue dans la Grande Salle © D. R.

Quand Jean Nouvel remporte le concours de la Philharmonie de Paris en 2007, il évoque un relief minéral parcourable, une petite montagne, une butte de la Villette, un observatoire du paysage urbain… L’œil averti pourra y voir un hommage à la « fonction oblique » de Claude Parent et ses fameux plans inclinés. La dynamique que dégage le bâtiment est alors déjà présente dans la sémantique employée par l’architecte et prend aujourd’hui toute sa dimension. Malgré sa volumétrie, son emprise au sol et son envergure, l’architecture échappe ici au statisme, installant le visiteur dans un mouvement continu, à l’image du ballet qu’offre le périphérique. Par sa situation géographique, la Philharmonie est un bâtiment à l’interface entre deux mondes. Entre plusieurs mondes. Le proche et le lointain. Paris et la banlieue. La terre et le ciel. Le dessous et le dessus. Un lieu de convergence des lignes de force en place. À une sacrosainte façade principale, Jean Nouvel a donc privilégié les accès multiples d’un équipement vécu comme un tout, une entité globale. Il y a cette immense rampe qui trace une droite depuis la Porte de Pantin, véritable espace public sous lequel sont logés les bureaux administratifs et les espaces pédagogiques. Il y a ce large emmarchement, généreux. Autant de manières de gravir cette montagne habitée. Car ici, tout est question d’ascension. Les sensations physiques lorsque l’on découvre la Grande salle par le haut ou que l’on gravit progressivement la toiture, accessible par un parcours en zig-zag. Le bâtiment est une volumétrie soigneusement pensée, une géométrie autour de laquelle on gravite, sur laquelle on déambule, on se promène, que l’on arpente, que l’on découvre ainsi sous toutes les coutures. Au sommet, la récompense.

Les tribunes de la Grande Salle © D. R.

Mur acoustique dans la grande salle de répétition © William Beaucardet

Aspérités dans le mur de la grande salle de répétition © William Beaucardet


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LA PHILHARMONIE EST UN BÂTIMENT À L’INTERFACE ENTRE DEUX MONDES. ENTRE PLUSIEURS MONDES. LE PROCHE ET LE LOINTAIN. PARIS ET LA BANLIEUE. LA TERRE ET LE CIEL. LE DESSOUS ET LE DESSUS. UN LIEU DE CONVERGENCE DES LIGNES DE FORCE EN PLACE.

Mur écran qui annonce la progammation de la Philharmonie © Éric Guglielmi

La fin du chantier en janvier 2015 © Borel photographe


UNE SALLE INÉDITE À l’échelle urbaine, la Philharmonie prend ainsi le contre-pied des salles de concerts de musique classique traditionnelles généralement caractérisées par leur installation en centre-ville, une entrée unique et sursignifiante, un bâtiment fermé comme hermétique à l’environnement urbain. Nous sommes ici aux franges de la capitale, les accès sont multiples, l’édifice est généreusement ouvert sur son environnement. On ne bâtit certes plus une salle de concert comme au xixe siècle, mais la Philharmonie fait un pas de plus vers un modèle d’un genre nouveau. Si le bâtiment rompt avec les écueils du genre, la salle de concert offre elle aussi une typologie inédite. Avec Brigitte Métra, Jean Nouvel a imaginé un lieu capable d’accompagner la mutation du programme traditionnel d’une salle symphonique. Plus qu’une salle, c’est donc un véritable outil capable de se plier aux exigences de chaque partition, de chaque programme spécifique, avec une jauge oscillant entre 2 400 et 3 600 personnes. Perchée à 12 m du sol, elle repose sur le principe de boîte dans la boîte, notamment pour faire face aux bruits environnants propres à sa localisation. Le tour de force a consisté à imaginer une salle « en vignoble » capable de se faire frontale selon le répertoire qui de fait s’en trouve considérablement élargi. On écoute mieux si l’on se sent bien. C’est guidé par ce mantra que la salle a été conçue, savant mélange de typologies existantes afin de proposer ce nouveau modèle : un lieu modulable conjuguant immersion du public et intimité d’écoute. L’atmosphère y est chaleureuse et enveloppante. La proximité est bien réelle malgré

Vue sur la Grande Halle de la Villette © D. R.

Vue sur la Cité de la Musique par Christian de Portzamparc © D. R.

Atelier musical dans une des salles de répétition © D. R.

l’importance de la jauge. Pour l’architecte, le concert constitue une expérience à part entière. Les formes organiques de la salle, associées à la chaleur du bois et des teintes chaudes concourent à la mise en condition du spectateur et à son confort. Un système audacieux de balcons flottants renforce la sensation d’immersion dans la musique mais aussi dans la lumière. Le hall et les foyers sont quant à eux pensés comme des lieux de rencontres et d’échanges. Les foyers s’enroulent autour de la salle et opèrent tels des espaces de transition entre le quotidien de la ville et le concert, moment exceptionnel et hors du temps. On retrouve dans ce bâtiment certaines marottes de Jean Nouvel. Ces failles qui permettent au regard d’aller chercher les vues au loin, dans le paysage urbain. Les ambiances monochromes comme le noir des espaces de bureaux ou le rouge des espaces pédagogiques. Comme à Copenhague, le contraste mis en œuvre entre l’enveloppe du bâtiment et l’atmosphère intérieure crée la surprise. UN LIEU DE VIE La Philharmonie s’est fixé l’objectif de devenir un haut lieu à l’échelle internationale en matière d’acoustique. Mais plus qu’une salle de concert, aussi majestueuse soit-elle, elle ambitionne d’être un véritable lieu de vie, fédérateur pour tous les Parisiens. Par sa programmation, sa politique culturelle et les services multiples qu’elle offre, elle revendique la notion de partage afin de dépasser les clivages propres au monde de la musique classique. Aller voir un spectacle mais aussi flâner ou se donner rendez-vous pour boire un verre, aller dîner pour profiter de la vue panoramique du restaurant ou se promener sur le toit sont autant de manières de s’approprier le bâtiment qui va au-delà de sa vocation première. La morphologie singulière imaginée par Jean Nouvel est au service de cette ambition. Le bâtiment porte en lui les gênes de cette mutation programmatique par une architecture réactive à son contexte, capable d’affirmer la perméabilité des territoires mais aussi des personnes, et in fine, d’écrire une nouvelle partition pour le Grand Paris de demain.


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ENTRETIEN AVEC OLIVIER CAILLAUD, RESPONSABLE PROJETS BATIMENT CONSTRUCTION CHEZ APERAM Quelle a été votre contribution à la Philharmonie de Paris ? Olivier Caillaud : Nous avons réalisé le cœur du bâtiment appelé « le Nid ». D’une surface d’environ 7000 m², il est revêtu d’inox d’aspect brillant, Uginox Bright en épaisseur 1,5 mm. Cet aspect crée un contraste avec le reste de l’ensemble mat de l’enveloppe et amplifie le relief en lui donnant une véritable identité. De plus, cet aspect à faible rugosité contribue à limiter le dépôt de poussières et de résidus de pollution. La Philharmonie est située à proximité du boulevard périphérique, cette atmosphère agressive a conduit au choix de la nuance 316L, particulièrement adaptée aux environnements sévères. Quelles sont les qualités de l’inox ? L’acier inoxydable, alliage de fer, de chrome, éventuellement de nickel et d’autres métaux, présente une excellente résistance à la corrosion. Il est couramment utilisé en extérieur pour les façades ou les toitures depuis les années 1930 (Chrysler Building, Empire State Building). Contrairement à d’autres matériaux qui se ternissent dans le temps, l’inox conserve sa brillance. Sa ductilité élevée autorise toute sorte de type de mise en œuvre, même les formes les plus complexes. Matériau pérenne, facile d’entretien et 100% recyclable, l’inox permet d’obtenir un faible coût global.

Le toit de la Philharmonie et ses oiseaux © Borel photographe

CONTRAIREMENT À D’AUTRES MATÉRIAUX QUI SE TERNISSENT DANS LE TEMPS, L’INOX CONSERVE SA BRILLANCE. SA DUCTILITÉ ÉLEVÉE AUTORISE TOUTE SORTE DE TYPE DE MISE EN OEUVRE, MÊME LES FORMES LES PLUS COMPLEXES.


FICHE TECHNIQUE

Maître d’ouvrage Association de la Philharmonie de Paris Équipe de maîtrise d’œuvre Architecte Jean Nouvel, Metra et associés, associé à la conception et à la réalisation de la salle de concert. Ingénierie Egis (structure, lots fluides, conformité technique en phase travaux), HDA (façades), ARCORA (étanchéité), Acousticiens MarshallDay Acoustics (acoustique salle), Nagata Acoustics (conseil acoustique), Studio DAP (acoustique du bâtiment), Ducks Sceno (scénographe) Entreprises groupement Bouygues Bâtiment Île-de-France, AMGFechoz, Cofely Axima, Belgometal NV, Cunin SA, EGA, Cofely, Gemo, Cofely Ineo, Ingerop Conseil et Ingénierie, Lindner AG, Otis, Philharmonie Park, QPark France, SAS Sodifra Agencement, Soletanche Bachy Pieux. Dimensions 300 m x 100 m x 52 m de hauteur totale Livraison et premier concert janvier 2015 Vues de la maquette, accès par le parc de la Villette et vue latérale sur le boulevard périphérique © Ateliers Jean Nouvel

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Plan écorché de la Philharmonie © PDP

Coupe de la Philharmonie © Ateliers Jean Nouvel

???? Coupe de la Grande Salle © Ateliers Jean Nouvel

Plan de la Grande Salle © Ateliers Jean Nouvel

Principe de la coque acoustique de la Grande Salle © Ateliers Jean Nouvel


 LES MÉTROPOLES FRANÇAISES Centralités du Grand Paris élargit son horizon et invite à la comparaison avec les autres métropoles françaises.

Vue sur la route de Rauba Capeu © ville de Nice


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N ICE

Quand j’ai compris que chaque matin je reverrais cette lumière, je ne pouvais croire à mon bonheur… je décidai de ne pas quitter Nice et j’y ai demeuré pratiquement toute mon existence. Henri Matisse


PULSION DE VILLE

NICE ET SON HISTOIRE

Au fil du temps, la lumière de Nice, sa situation stratégique sur la Méditerranée et la beauté de ses paysages n’ont cessé d’inspirer les créateurs et d’attirer conquérants, villégiateurs et immigrants. Depuis l’Antiquité, par vagues successives, les Romains, les Italiens, les Anglo-Saxons et les Russes ont marqué le site de leur empreinte pour en faire une ville de contrastes. Renommée pour sa vocation balnéaire, l’ancienne capitale historique du comté de Nice est aujourd’hui la cinquième ville de France et la plus internationale des villes françaises après Paris. Dans le panorama de la Riviera méditerranéenne, elle est marquée par son ancrage dans le relief accidenté d’un cadre naturel exceptionnel et par son passé turinois. Entre mer et montagne, entre la baie des Anges et le parc du Mercantour, elle s’est progressivement développée le long du littoral et sur les collines environnantes. À la fois baroque, turinoise, haussmannienne, moderne et balnéaire, elle est riche de sa variété et se renouvelle sans cesse.

Νίκαια en grec ancien, Nice en français, Nizza en italien, Nissa en niçois… L’histoire de Nice se lit dans l’évolution du nom. Si le site Terra Amata témoigne d’une présence humaine depuis 400 000 ans, ce sont les Grecs venus de Marseille qui, vers l’an 350 av. J.-C., édifient le petit port militaire de Nikaïa dans l’actuel secteur du Vieux Nice. Un comptoir commercial dépendant de Marseille est créé et l’on y cultive la vigne et l’olivier. En l’an 13 av. J.-C., les Romains créent le district militaire des Alpae maritimae. Au Ier siècle, la province éponyme est fondée autour de la cité de Cemenelum, qui devient la préfecture, sur l’actuelle colline de Cimiez, avec son amphithéâtre et ses thermes. De 972 à 1860, Nice est tour à tour provençale, savoyarde, piémontaise et française, d’où sa tonalité singulière face aux autres villes. Elle ne devient définitivement française qu’en 1860 suite au traité de Turin signé par Napoléon III et Victor Emmanuel II. Au fil de l’histoire, Nice n’a pas été épargnée. Guerres, occupations, annexions, peste, séisme vont se succéder, jusqu’aux inondations du Var et du Paillon – deux des trois fleuves qui traversent la ville. Au XVIIIe siècle, elle connaît une impulsion décisive avec la construction du port Lympia (1748). En 1750, on assiste au percement de la place Garibaldi, suivi d’une première terrasse en bord de mer, mais après la chute de Bonaparte et le traité de Paris (1815), qui rend Nice au royaume de PiémontSardaigne, l’âpre concurrence du port de Gênes pèsera sur l’économie niçoise.

UN POÈTE INVENTE LE TERME DE « CÔTE D’AZUR » ET, SOUS L’EFFET DU TOURISME, LA VILLE VA CONNAÎTRE UNE FORMIDABLE EXPANSION.

Vue sur la promenade des Anglais © ville de Nice


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Vue sur la Cathédrale Sainte-Réparate de Nice © ville de Nice

Place Masséna © ville de Nice


L’ART DE LA VILLÉGIATURE

L’Opéra. Façade arrière vue de la promenade des Anglais © ville de Nice

Entre le xixe et le début du xxe siècle, la petite cité côtière italienne se métamorphose. En 1822, les hivernants anglais, s’inspirant des déambulatoires de bord de mer de Brighton, financent la construction de ce qui deviendra leur célèbre Promenade. Après l’élan donné par le plan régulateur du Consiglio d’Ornato (1832-1860), la Belle Époque dessine un autre âge d’or. Anglais, Français, Allemands, Russes et Américains s’accordent sur ce lieu de villégiature en vogue. La reine Victoria y séjournera. Un poète invente le terme de « Côte d’Azur » et, sous l’effet du tourisme, la ville va connaître une formidable expansion. À l’aube de la première guerre mondiale, Français et immigrants italiens s’y installent en nombre. Les années 1930 marquent une autre grande étape architecturale, mais après la seconde guerre mondiale, la villégiature élégante des élites fortunées cède peu à peu la place au tourisme de masse, au détriment des paysages. Depuis, au-delà de sa vocation balnéaire, Nice s’affirme comme une jeune ville universitaire et une ville verte renouant avec l’esprit de la ville-parc du xixe siècle. Depuis 2008, une politique urbaine et architecturale volontariste articule les infrastructures, l’architecture des équipements, le paysage, les espaces publics, l’urbanisation des collines, le travail sur la ville constituée et la mutation des terres agricoles. Tout cela modifie la physionomie de la ville et ses liens avec la métropole et la plaine du Var où se fabrique désormais la ville. Le cours du Paillon, recouvert au xixe siècle, redevient lui aussi l’un des enjeux de l’urbanisme actuel.

AU-DELÀ DE SA VOCATION BALNÉAIRE, NICE S’AFFIRME COMME UNE JEUNE VILLE UNIVERSITAIRE ET UNE VILLE VERTE RENOUANT AVEC L’ESPRIT DE LA VILLE-PARC DU XIXE SIÈCLE.

Vue sur la mer depuis la Côte d'Azur © ville de Nice

Affiche, Jean Luchesi, 1948


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Promenade des Anglais Š Ville de Nice


UNE NOUVELLE GÉNÉRATION D’A RCHITECTES NIÇOIS Des architectes auxquels les comtes de Savoie ou les riches hivernants accordaient leur confiance à tous ceux qui construisirent des œuvres anonymes, nombreux sont ceux qui ont laissé leur empreinte sur la ville de Nice et beaucoup ont marqué leur époque. Après Charles Bellon, Charles et Marcel Dalmas, Georges Dikansky, Gaston Catena, Honoré Aubert, Marcel Guilgot, Jean-Antoine Scoffier, René Livieri, Georges Buzzi et tant d’autres, la relève est assurée. Voici quelques noms à retenir parmi les architectes qui contribuent au renouveau des quartiers niçois et, pour certains, au renom de l’architecture française. Marc Barani : L’architecte du terminal du tram, Équerre d’argent 2008, également nominé pour le Prix Mies Van der Rohe, est sans conteste la tête de file de la nouvelle génération. Après le cimetière de Roquebrune-Cap-Martin, une villa luxueuse et les ateliers de Mouans-Sartoux, il a récemment terminé un parc de stationnement de l’aéroport et des logements dans le quartier de l’Ariane. À Boulogne-Billancourt, c’est un pont qu’il a construit. Son architecture ciselée étant appréciée au-delà de nos frontières, il est aussi l’auteur de la tombe de Rafic Hariri à Beyrouth et d’une bibliothèque à Tripoli.

Michel Brante et Gérard Vollenweider : Après de nombreuses réalisations dont l’élégant gymnase de Mouans-Sartroux et le Centre d’enseignement et de recherche en modélisation de Sophia Antipolis, Michel Brante et Gérard Vollenweider ont réalisé l’internat du lycée Pasteur. Pierre-André Comte et Stéphane Vollenweider : Chez les Vollenweider, on est architecte de père en fils. Au sein de leur agence commune, Pierre-André Comte et Stéphane Vollenweider ont notamment construit plusieurs bâtiments à Nice, Vallauris et Roquebrune-CapMartin, le gymnase du lycée Guillaume-Apollinaire de Nice, des logements sociaux dans le quartier de l’Ariane à Nice, le Garden Tennis Club de Cannes-La-Bocca. En 2007, ils ont été lauréats du prix de la Première Œuvre pour une cité artisanale à Valbonne.

LES ARCHITECTES CONTRIBUENT AU RENOUVEAU DES QUARTIERS NIÇOIS ET AU RENOM DE L’ARCHITECTURE FRANÇAISE.

Pierre-Louis Faloci : Né à Nice, établi à Paris, PierreLouis Faloci est une autre figure de la scène architecturale. C’est le premier Niçois lauréat du prix de l’Équerre d’argent en 1996 pour le musée de la Civilisation celtique du mont Beuvray. Le Centre Européen du Résistant Déporté du Struthof qu’il a construit a aussi été nominé pour le Prix Mies Van der Rohe. En 1984, profitant de la création d’une piscine à côté d’une maison provençale sur une colline de Nice, il installe des murs et un jeu d’optique. Cette œuvre de jeunesse orientera de façon décisive sa démarche, son approche des cadrages, des sites et du grand paysage. À Nice, il a aussi réalisé un immeuble de logement, des bureaux pour la ville et la communauté urbaine et une maison.

Parc de stationnement de l’aéroport © Marc Barani

Bureaux pour la ville et la communauté urbaine © Pierre-Louis Faloci


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Internat du lycée Pasteur © Michel Brante et Gérard Vollenweider

Logements sociaux dans le quartier de l’Ariane © Pierre-André Comte et Stéphane Vollenweider


ENTRETIEN AVEC CHRISTIAN ESTROSI Propos recueillis par Christine Desmoulins

© D.R.

Pourquoi la création de la métropole Nice Côte d’Azur ?

Christian Estrosi : Constituée le 1er janvier 2012, c’est la première métropole de France née de la loi du 17 décembre 2010 sur l’intercommunalité. Il est important de comprendre qu’une telle organisation librement consentie entre 46 communes est en fait un instrument au service d’un projet collectif pour organiser l’avenir d’un territoire, de ses activités et de ses habitants. Le périmètre de cette métropole puise paradoxalement sa cohérence dans la diversité et la complémentarité des communes qui la composent. Sa géographie, du littoral à la montagne, des plages aux stations de ski et au parc naturel du Mercantour, de la Méditerranée à la frontière italienne, recouvre également une histoire et une identité partagées. Ce territoire regroupe tous les grands atouts significatifs pour l’équilibre et le développement d’une collectivité humaine : pôles urbains, espaces naturels, grands équipements publics, systèmes de transports denses (dont le deuxième aéroport de France), pôles d’excellence en économie, réseau universitaire et de recherche de pointe, terre d’art et de création contemporaine. L’idée porteuse est que, sur ce territoire, les innovations préparent une économie de demain créatrice d’emplois, et donc de cohésion sociale, dans un souci de meilleure qualité de vie.

CE TERRITOIRE REGROUPE TOUS LES GRANDS ATOUTS SIGNIFICATIFS POUR L’ÉQUILIBRE ET LE DÉVELOPPEMENT D’UNE COLLECTIVITÉ HUMAINE.

LA SPÉCIFICITÉ DE SON PATRIMOINE ARCHITECTURAL, DE SON HISTOIRE ET DE SA GÉOGRAPHIE EST UN ATOUT PEU CONCURRENCÉ DANS LE MONDE.

Quelles sont les bases du projet ?

Ce projet se nourrit avant tout des qualités remarquables du lieu. Sur quelques dizaines de kilomètres, il réunit tous les climats et toutes les variétés de flore et de faune, des rivages de la Méditerranée à la montagne. La spécificité de son patrimoine architectural, de son histoire et de sa géographie est un atout peu concurrencé dans le monde. Fédérer et développer un territoire durable pour un modèle de développement centré sur l’homme constitue donc logiquement le fondement du projet métropolitain autour de trois axes principaux. Le développement de nouvelles technologies vertes est le premier. Il s’appuie sur les mobilités propres, les énergies renouvelables, les réseaux de distribution d’électricité intelligents (smart grids), les nouvelles technologies de l’information et de la communication. La réduction de la dépendance énergétique est une seconde ambition que permet la nouvelle échelle territoriale, propice à la mutualisation des ressources naturelles. Il n’est pas souhaitable en effet que le développement de notre territoire engendre une surconsommation énergétique : il doit pousser au contraire à mettre en œuvre de nouvelles attitudes et les technologies appropriées. La promotion du mieux-vivre est, enfin, un objectif qui découle en partie de ce qui précède, où les modes de vie bénéficient des nouvelles approches en matière de logement (éco-quartiers) et de services de proximité, autant que de mobilités facilitées.


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Selon quels axes prioritaires s’articule cette stratégie ?

Outil de développement durable, notre Agenda 21 métropolitain favorise l’émergence d’un modèle de développement équilibré, qui est celui de l’archipel urbain, permettant d’organiser des villes voisines de toutes tailles avec des réseaux pour les ressources, les services, les transports et l’ensemble des besoins collectifs. Il ne s’agit pas seulement de créer un quartier d’affaires de plus en Europe, mais de commencer à dessiner ici la ville complexe de demain en mêlant activités et logement, commerce et loisirs, infrastructures et culture pour créer les conditions d’une véritable urbanité réconciliée avec la nature. S’y ajoutent des projets pour une université tournée vers le développement durable et des labels européens en matière de recherche et de nouvelles technologies. Ainsi, la fondation IBM a choisi notre territoire pour expérimenter des techniques de gestion urbaine innovantes, faisant de Nice Côte d’Azur l’une des cinq seules villes européennes retenues dans le cadre du programme « smarter cities ».

IL NE S’AGIT PAS SEULEMENT DE CRÉER UN QUARTIER D’AFFAIRES DE PLUS EN EUROPE, MAIS DE COMMENCER À DESSINER ICI LA VILLE COMPLEXE DE DEMAIN EN MÊLANT ACTIVITÉS ET LOGEMENT, COMMERCE ET LOISIRS, INFRASTRUCTURES ET CULTURE POUR CRÉER LES CONDITIONS D’UNE VÉRITABLE URBANITÉ RÉCONCILIÉE AVEC LA NATURE.

SI AUJOURD’HUI NICE EST UNE VILLE QUI FÉDÈRE À NOUVEAU, SI ELLE EST À NOUVEAU REGARDÉE AVEC ATTENTION PAR LES MEILLEURES ÉQUIPES DE CONCEPTEURS RECONNUS AU PLAN INTERNATIONAL

Ce territoire géographique exceptionnel a toujours été un creuset pour l’innovation et la création. En quoi cela se reflète-t-il dans le champ de l’aménagement ?

Ce qui est vrai pour les activités économiques ou d’enseignement et de recherche l’est aussi s’agissant de la manière d’aménager et d’habiter ce territoire. Aujourd’hui plus que jamais, la qualité urbaine et l’architecture font partie intégrante des multiples critères qui influent sur l’attractivité des villes et des territoires. Ces critères sont décortiqués, étalonnés, hiérarchisés à l’échelle planétaire, et ils font partie de l’indispensable palette d’outils des villes pour penser leur aménagement et leur devenir. En ce qui concerne la production architecturale, l’influence de Nice a toujours été un des éléments importants dans l’attractivité exercée par la Côte d’Azur. Cette ville est en effet un creuset de croissance et d’innovation qui agit sur un territoire dont les limites dépassent largement celles de la commune. Les efforts engagés par la Ville pour renouer avec les fondements de l’urbanisme, ainsi qu’avec sa tradition d’innovation urbaine, donnent les signaux de l’ambition retrouvée pour une métropole qui affirme son identité. À ce titre, la future éco-vallée dans la plaine du Var présente aussi la particularité d’être un laboratoire de qualité architecturale, urbaine et paysagère – un caractère également présent sur d’autres projets stratégiques de la métropole. Si aujourd’hui Nice est une ville qui fédère à nouveau, si elle est à nouveau regardée avec attention par les meilleures équipes de concepteurs reconnus au plan international, c’est autant en raison de l’exception de son territoire et de sa tradition architecturale qu’en raison de l’intérêt, de la lisibilité et de la crédibilité de son projet et des démarches et des opérations qu’elle a engagées. Ce renouveau s’appuie de plus sur un tissu professionnel particulièrement dense, qui constitue le terreau nécessaire à l’émergence de nouvelles démarches. La création de la métropole Nice Côte d’Azur, qui permet d’unir à nouveau le littoral et le haut pays, est sans nul doute le moteur d’un ambitieux projet de territoire où la réflexion et la création ont un rôle prépondérant à jouer.


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