Participer n°663

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Juin . Juillet . Août 2017 . Numéro 663

)Participer( Magazine des sociétés coopératives et participatives

Coopératives et collectivités locales :

)Enjeux(

Scic : 15 ans de développement durable

)Rencontres(

la nouvelle donne

Odile Kirchner :

« se doter d’une dynamique collective »

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Sommaire p.4 Média Scop Vie du réseau p.6

)Enjeux Scop( p.12 Scic : 15 ans de développement durable

)Dossier(

De l’ambition pour l’avenir Après une campagne présidentielle où deux visions de la France et du monde se sont affrontées, c’est heureusement la vision tournée vers l’Europe, les entreprises, l’acceptation du libre-échange dans une logique progressiste et sociale qui l’a emportée. C’est dans ce contexte, après de longs mois d’attentisme dus à l’incertitude de l’issue électorale, que notre Mouvement va continuer de mieux faire entendre ses différences et poursuivre sa dynamique de développement. Dans cette perspective, le Bureau de la Direction nationale a présenté le 19 mai à la Direction nationale, les moyens du plan de développement stratégique et opérationnel à mettre en œuvre. À l’unanimité, la Direction nationale en a validé les trois points clés qui seront présentés à la Convention nationale du 6 et 7 juillet :

p.14 C oopératives et collectivités locales :

la nouvelle donne

)Rencontres( p.20 Odile Kirchner : « se doter d’une dynamique collective »

)International( p.22 Colombie : une des premières universités du pays est une Université coopérative ! p.24 Pratique : tout savoir sur la Commission d’arbitrage

)Scop en action( p.26 Europ3D : l’innovation libère du temps pour le commercial p.28 Groupe Demain : la métamorphose de Juratri APA : business vert et promotion de l’emploi en situation de handicap p.29 Parcours p.30 Lectures

Participer. Magazine des Sociétés coopératives et participatives 37, rue Jean Leclaire 75017 Paris - tél. : 01 44 85 47 00, fax : 01 44 85 47 10 • www.les-scop.coop Réalisation : Scopedit, 37, rue Jean-Leclaire 75017 Paris. Gérant : Jacques Landriot. Rédacteur en chef : Pierre Liret. Secrétariat de rédaction : Corinne Lefaucheux. Conception, réalisation, appui éditorial : Philem Despiney, Scop In Studio 4, Bruno Chambrillon. Impression : Chevillon Imprimeurs. Dépôt légal : 3e trimestre 2017. CPPAP 1115 T 87741 . ISSN 1264-949X. Abonnement : 1 à 3 abonnements souscrits : 26 € par abonnement, à partir de 4 abonnements 22 € par abonnement. Contact abonnement : 03 80 48 95 37

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• Premier point clé : doublement de l’abondement supplémentaire pour le développement de nouvelles Scop • Deuxième point clé : abondement sur la croissance des coopératives existantes • Troisième point clé : aide aux unions régionales pour un renfort en nombre de délégués concourant au développement. Afin d’animer la dynamique de partage, de mutualisation, de savoir-faire entre les directeurs et les équipes des unions régionales, nous allons aussi créer une fonction de coordination réseau. Enfin, nous allons renforcer notre structure juridique afin de mieux accompagner nos unions régionales et nos coopératives. En parallèle, nous devrons bien sûr continuer d’accompagner sur le chemin de la réussite les projets de création, de transformation d’associations, de transmissions reprises, toujours plus nombreux. Ces enjeux et nouveaux défis peuvent sembler complexes, voire impossibles à relever, mais ils le seront car rien n’est impossible à notre Mouvement grâce aux compétences des femmes et des hommes qui le composent et à leur engagement. Avec les moyens alloués, nous réunissons tous les atouts pour permettre aux UR et aux coopératives de pérenniser leur activité et se développer. Au plaisir de vous retrouver nombreux à la Convention nationale.

Jacques Landriot Président de la Confédération générale des Scop

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Scop et Scic sont maintenant bien présentes dans les nouveaux Schémas régionaux de développement économique, d’innovation et d’internationalisation. Ici, le groupe Demain.


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)Dossier(

Coopératives et collectivités locales :

la nouvelle donne

© photo Jean-Robert Dantou

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Depuis toujours et par leur nature même, les coopératives ont œuvré et continuent de travailler au développement économique local. Avec les récentes lois Hamon et NOTRe(1), c’est une forme de reconnaissance de leur action qui émerge au sein des nouvelles grandes Régions. Scop et Scic sont bien présentes dans les nouveaux Schémas régionaux de développement économique, d’innovation et d’internationalisation (SRDEII).

a loi Hamon sur l’ESS de 2014 et la loi NOTRe (Nouvelle organisation territoriale de la République) de 2015 ont récemment bousculé les façons de faire des coopératives, mais en douceur, car tout au long du processus de construction des lois, elles ont constamment été associées aux réflexions et aux objectifs. Dans les relations entre les entreprises coopératives et les collectivités locales, plusieurs éléments viennent donc de changer : la taille des Régions, qui recoupe en partie celle des unions régionales, la compétence économique dévolue à ces seules grandes Régions et l’obligation de la présence de l’ESS dans les nouveaux SRDEII qui viennent d’être signés pour quatre ans. Appuyées par les efforts des unions régionales, la plupart des Régions avaient déjà une politique ESS dans la manda-

ture précédente, mais la nouvelle obligation légale l’a imposée dans d’autres et a amplifié cette politique en faveur de l’ESS pour les plus convaincues. Aujourd’hui, Scop et Scic prennent peu à peu connaissance de qui seront leurs nouveaux interlocuteurs et des dispositifs dont elles vont pouvoir se saisir.

Anticiper le Schéma régional « Dès que nous avons lu les objectifs de la loi NOTRe, nous avons décidé d’anticiper et de nous rapprocher des élus et des techniciens concernés, explique Pascal Borne-Brugat, chargé de mission à l’UR Scop Grand Ouest. La réforme territoriale portée par la loi NOTRe a impacté notre territoire. L’UR Ouest couvre la Bretagne, les Pays de la Loire et l’intégralité de la Région Normandie. Afin d’intégrer pleinement la stratégie régionale de l’ESS (SRESS) à la SRDEII, nous avons tra-

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)Dossier(

L’inauguration des locaux de la Scop Titi Floris à Nantes.

vaillé de concert avec chacun des exécutifs concernés, en tenant toujours compte des spécificités et situations politiques territoriales ainsi que des besoins exprimés par nos interlocuteurs ». La Région Pays de la Loire, en collaboration avec la CRESS et avec le soutien des services de l’État, a choisi d’impliquer les acteurs de l’ESS en Région. La SRESS est le fruit de la concertation des réseaux et des acteurs de terrain. Elle porte l’ambition de consolider et de déployer l’ESS au profit des territoires ligériens. « Amorcée

par les services de la Région début 2016, la SRESS a été signée le 6 mars dans les locaux de la Scop Titi Floris, un symbole fort pour notre UR. Pour finir, la mise en place de la loi NOTRe n’a pour le moment pas d’impact négatif, la Région continue à nous apporter son soutien et pérennise le dispositif Capital Scop », poursuit Pascal Borne-Brugat. Ce que confirme Paul Jeanneteau, viceprésident de la Région Pays de la Loire : « Nous ouvrons les dispositifs de droit commun à l’ESS et nous proposons des aides dédiées. La Région a aussi repris le réseau

des développeurs économiques, qui étaient en place dans les départements, et qui vont être formés aux statuts de l’ESS ». C’est bien avant la loi NOTRe en 2009 que la Région Bretagne a amorcé une démarche de reconnaissance et une stratégie de développement de l’ESS. La SRDESS traduit la volonté conjointe des acteurs de l’ESS et des Pouvoirs publics de fixer un nouveau cap à l’ESS, de permettre son développement sur le long terme. Le prochain comité de pilotage SRDESS est prévu au troisième trimestre 2017.

« Nous ne sommes plus des exceptions, mais des O Tempora est une agence de communication des politiques publiques et territoriales, principalement dans le logement social, la santé, l’environnement et l’emploi. L’agence accompagne des projets à gouvernance complexe et s’attache à faire (re)connaître certains dispositifs. Elle participe aussi en tant que cabinet d’études et agence conseil à ce qu’on appelle le « design territorial » pour les services et établissements des collectivités locales.

Sophie Humbert, gérante de la Scop O Tempora

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)Dossier( En Normandie, la démarche est une démarche « pro-business » attractive et innovante. L’ESS est intégrée pleinement dans le SDRDEEII et la SRESRI, elle est considérée comme étant une composante de l’économie « classique » devant à ce titre bénéficier des mêmes services, tout en reconnaissant ses spécificités et en proposant des dispositifs d’aides spécifiques (ex. : Emergence ESS et Emergence ESS coopérative). La Région Normandie, en collaboration avec les services de l’État et la CRESS, organise courant juin 2017 sa première conférence de l’ESS.

Les conseils départementaux n’abandonnent pas « La loi NOTRe a par contre bouleversé nos rapports avec les conseils départementaux qui ont perdu la compétence économique », ajoute Pascal Borne-Brugat. Pour autant, le Conseil départemental du Finistère a choisi de continuer à collaborer avec l’UR Ouest sur d’autres volets : « Je pense que l’exemple finistérien nous permettra de renouer des liens avec des partenaires historiques comme le Conseil général d’Ille-etVilaine. La loi a renforcé la position d’autres partenaires, comme les Métropoles. Nous pouvons nous féliciter des rapports entretenus et des actions menées avec les Métropoles de Nantes, Rennes et Brest. Cela montre que tous les étages des collectivités continuent de s’intéresser à l’ESS. » Dans la Région Grand Est, l’UR Scop a également pris le taureau par les cornes, avant la mise en place de la réforme territoriale. « Nous voulions une harmonisation par le haut des trois ex-Régions (Alsace,

L’équipe de la Scop Isopeint a reçu le double soutien de l’Union régionale et de la Région.

Lorraine, Champagne-Ardenne), indique Marie-Madeleine Maucourt, directrice de l’UR Grand Est. Nous avons donc accompagné l’évaluation des dispositifs, sachant que notre UR avait déjà adopté les contours de la nouvelle Région ! » Ainsi, le dispositif de Bourses d’émergence (soutien de 4 000 euros maximum aux associés, qui existait en Champagne a-t-il été étendu à la grande Région, ainsi que l’appui aux Scic.

Dans la cour des grands Mieux même, le Conseil régional, par la voix de Catherine Zuber, conseillère déléguée à l’ESS annonce des nouveautés pour le mois prochain, avec un dis-

positif de soutien aux CAE : « il en existe déjà 6 dans le Grand Est qui ont fait leurs preuves. Nous voulons continuer à les encourager, au travers des nouveaux moyens du SRDEII. Le Conseil régional va abonder leur budget de fonctionnement, donnera une aide pour chaque entrepreneur-salarié hébergé et ajoutera un bonus pour chaque entrepreneur-associé. Pour nous, l’ESS et les coopératives sont dans la cour des grands. Nous allons également les appuyer en maintenant des services économiques, avec des référents ESS, dans les anciennes Régions ». Pour les PME coopératives, le soutien des collectivités locales, par ces dispositifs

acteurs du développement économique comme les autres » Quel impact ont les réformes territoriales pour votre Scop ? Comme nos clients sont dans plusieurs Régions, nous pouvons observer l’impact de la loi NOTRe sur leur périmètre de travail : certaines structures sont amenées à fusionner pour épouser les contours des Régions élargies, les intercommunalités ont plus de poids, les circuits de finan-

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cement changent… La recomposition territoriale touche toute la sphère publique et parapublique. Vous êtes installés à Bordeaux. Quelle est la situation pour la Nouvelle Aquitaine ? Elle est très intéressante, car les trois Régions fusionnées avaient historiquement des approches différentes de

l’ESS. Par exemple, l’Aquitaine était centrée sur l’IAE et Poitou-Charentes sur les coopératives et les mutuelles. On retrouve aujourd’hui cette diversité d’entrées dans l’ESS dans le schéma régional. C’est lié à la fusion des trois Régions, mais aussi à une prise de conscience de l’apport de l’ESS au développement économique.

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La Scic Enercoop assure la promotion des énergies renouvelables auprès des habitants et du territoire.

ou par des marchés publics, demeure un atout important, notamment au démarrage. « Pour la reprise d’Isopeint courant 2016, nous avons pu marcher sur deux pieds, souligne David Violier, le PDG de cette société de peinture de Golbey (Vosges). L’UR nous a épaulés sur les aspects techniques et le Conseil régional nous a fait bénéficier des Bourses d’émergence. Avec 9 associés, nous aurions eu du mal à repartir sans cet apport financier. » Le constat était le même pour Angélique Loeffel, gérante de Cheez, une

Quelle a été la contribution d’O Tempora à ce nouveau SRDEII ? Nous avons participé à des réunions de co-construction du Schéma et aussi à la Conférence régionale de l’ESS (pilotée par l’État et la Région). C’est important pour l’ESS d’être dans les SRDEII, du point de vue de la dynamique de développement des entreprises de l’ESS et de la visibilité pour les jeunes start-ups solidaires ; c’est également une reconnaissance

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Scop de communication de Mulhouse : « Pour reprendre l’an dernier, nous avons eu besoin d’aides extérieures, via les Bourses d’émergence et Alsace Active, qui nous ont soutenu pour notre fonctionnement. »

Droit commun et aides dédiées Dans le strict respect du calendrier prévu par la loi NOtre, la Région BourgogneFranche-Comté a déposé son nouveau SRDEII dès la fin d’année dernière. Ce faisant, les règlements d’intervention et

normale de ce que nous pesons en termes économiques. Cela nous démarginalise, nous ne sommes plus des exceptions, mais des acteurs du développement économique comme les autres. Quels sont les atouts des Scop et des Scic dans l’élaboration des nouvelles politiques territoriales ? La co-construction avec toutes les parties prenantes et la participation

les lignes budgétaires ont pu être adoptés en début d’année 2017. Le budget du développement économique s’élève à 100 millions d’euros, avec en outre 8 millions d’euros fléchés vers l’ESS. « Nous avons maintenu et amplifié plusieurs outils dédiés, se réjouit Denis Hameau, vice-président en charge de l’ESS. Dans l’ancien SRDE de la Franche-Comté, existait l’aide Emploi Tremplin Scop, une aide de 3 000 euros en subventions d’investissements pour les associés. Elle a été étendue

sont devenues les modes privilégiés d’action des collectivités locales. Ces méthodes croisent évidemment les façons de travailler en collectif des coopératives. Nous sommes à l’aise dans ces pratiques de co-construction. Les nouveaux Schémas sont donc porteurs pour nous.

Propos recueillis par Éric Larpin

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)Dossier( à la partie Bourgogne, et même doublée pour des publics-cibles. Il en va de même pour le dispositif Emergence pour les projets en amorçage. » Comme dans beaucoup de Régions, l’ESS est éligible aux aides de droit commun, ce qui lui donne un fort potentiel de développement, et elle bénéficie en plus d’aides spécifiques. « Les coopératives participent à la construction d’un projet économique régional, abonde Fabrice Azevedo, directeur de l’Union régionale Bourgogne-Franche Comté. La grande Région compte sur nous. Comme pour nos collègues, nous signons une convention annuelle avec l’exécutif, comprenant des objectifs, comme le nombre de Scop créées et le nombre de transmissions. » Le renouvellement de la confiance des Régions est un atout important pour les acteurs locaux. « Lors des réunions de préparation du SRDEII, nous avons pu décrire les caractéristiques de nos Scop, précise Pascal Olive, directeur des CAE L’Envol et Coop’en Bat en Côte d’or. Nous avons rédigé des contributions avec d’autres réseaux d’accompagnement et nous en avons rédigé une sur les CAE, qui ont nourri les débats. Pour l’accompagnement des entrepreneurs-salariés, une activité qui n’est pas immédiatement rentable, nous avons besoin de financements publics. » Il en va de même pour les PTCE, comme la Scic Cluster Jura. « Nous nous sommes demandés comment créer de nouveaux emplois sur le territoire, en partenariat avec les collectivités, précise Matthieu Grosset, dirigeant du groupe Demain, le nouveau nom de Juratri, spécialisé initialement dans le recyclage, l’insertion, la qualification et aujourd’hui diversifié plus largement dans les métiers de l’environnement (voir page 28). Elles ont toutes répondu présent, de la Région, aux intercommunalités, qui ont aussi un fort rôle dans le développement économique, en passant par les pays. »

Un accélérateur d’entreprises sociales La Région Occitanie est pleinement sensibilisée aux atouts des coopératives, mais la mise en œuvre a été plus complexe, à la fois parce que la fusion entre Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées n’allait pas de soi, et aussi parce que la situation de l’ESS n’y était pas la même, rattachée au développement économique dans un cas et au dévelop-

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pement durable dans le second. « Nous avons fait le choix de reprendre les bonnes pratiques de l’une et de l’autre, souligne Marie Meunier-Polge, conseillère régionale déléguée à l’ESS. La Région continue d’appuyer les deux incubateurs d’entreprises sociales et de soutenir les outils financiers (dont prochainement un fonds d’investissement coopératif). L’ESS a un budget global de près de 8 millions d’euros et a vocation à trouver aussi sa place dans les autres schémas régionaux (tourisme, santé, etc.). » L’élue se félicite également que les entreprises de l’ESS irriguent le reste de l’économie : « En Languedoc-Roussillon existait un outil de renforcement des équipes dirigeantes dans l’économie sociale, il a été étendu à toute la Région et s’adresse désormais à tous les types d’entreprises ! » L’Occitanie avait, c’est vrai, un atout dans sa manche, avec la présence à sa tête de Carole Delga, ancienne secrétaire d’État à l’ESS. « Elle a eu la volonté de poursuivre le chemin que nous avions tracé, se félicite Fatima Bellaredj, directrice de l’UR Scop Languedoc-Roussillon. Elle a aussi souhaité associer tout le monde dans la concertation du SRDEII. Nous avons ainsi pu être entendus sur la création d’un fonds pour les coopératives et d’un accélérateur d’innovation sociale. Car, si nous avons bien sûr accès aux aides comme toute entreprise, le droit commun, ce n’est pas suffisant ! » Scop et Scic de la Région se sont largement mobilisées dans le travail préparatoire au Schéma économique. Rien de plus naturel pour la Scic Cleaning Bio qui a souvent croisé la route de la Région dans son existence démarrée en 2012, une bonne fée pour cette entreprise qui compte aujourd’hui 70 salariés. « Si l’on détaille les dispositifs régionaux qui nous ont aidés, ils sont vraiment nombreux, indique Laurent Rodrigues, son directeur. Jusqu’à cette année, nous étions installés dans l’incubateur Realis de Montpellier, sachant que pour démarrer, nous avons eu une subvention d’investissement de droit commun, puis une avance remboursable Pacte de 50 000 euros. L’an dernier, nous avons eu une subvention d’exploitation, via le concours Coup de Pousse, qui a nous a permis d’ouvrir une antenne à Béziers. Enfin, nous allons bénéficier cette année d’Alter’Venture, l’accélérateur d’entreprises sociales. »

La nouvelle architecture institutionnelle L’appui aux entreprises coopératives n’est pas un vain mot en Occitanie. La Scic Enercoop Languedoc-Roussillon a eu les mêmes fées sur son parcours, avec un petit coup de baguette magique en plus ! « Nous sommes passés par l’incubateur Alter’incub et nous sommes désormais installés à Realis, raconte Simon Cossus, directeur général d’Enercoop. Nous avons été aussi lauréats de Coup de Pousse, ce qui nous a permis de prendre des risques. Symboliquement, le Conseil régional est aussi devenu sociétaire de la Scic il y a trois ans. Pourquoi ? Parce que nous aidons aussi le territoire et ses habitants à reprendre en main leur sécurité énergétique. La Région a lancé un appel à projets Énergies renouvelables coopératives et solidaires et nous sommes chargés d’accompagner les projets. Enfin, la Région a choisi de passer quelques-uns de ses compteurs chez nous, comme d’autres collectivités. » À la faveur de la loi NOTRe et des nouveaux SRDEII, la collaboration entre coopératives et collectivités locales est bien engagée. Mieux même, selon Pascal Borne-Brugat, chargé de mission à l’UR Scop Grand Ouest, « la nouvelle architecture institutionnelle peut engendrer de nouvelles façons de faire plus dynamiques et plus proches du terrain. Les coopératives peuvent investiguer de nouveaux champs, comme le médico-social, la petite enfance ou le handicap. Ce qui favorise aussi la transformation d’associations en coopérative Scop ou Scic ». Denis Hameau, viceprésident en charge de l’ESS et aussi président de la Commission ESS à Régions de France, reconnaît que certaines Régions n’ont pas encore donné à l’économie sociale la place qu’elle revendique, « mais les coopératives poursuivent leur route, comme leviers de développement économique, tant qu’il n’y a pas d’aspect idéologique dans le débat ». Éric Larpin

(1) Loi Hamon sur l’économie sociale et solidaire de juillet 2014 et loi NOTRe sur la réorganisation des territoires d’août 2015 (2) Directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi

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)Pratique( Véritable juridiction de première instance, la Commission d’arbitrage du Mouvement Scop permet de régler des litiges avec des arbitres élus qui connaissent les Scop et les Scic et le droit coopératif. Cette instance citoyenne et démocratique, qui recherche en premier lieu la conciliation dans les conflits, gagne à être connue. Coup de projecteur.

« La volonté de notre Mouvement est de faire de cette Commission d’arbitrage un outil privilégié pour régler à l’amiable les litiges », précise d’emblée Jean-Pierre Azaïs, le président depuis 5 ans de la Commission d’arbitrage du Mouvement Scop. Une instance juridictionnelle bien ancrée dans le Mouvement dont on retrouve la trace dès 1900, alors que la CG Scop était encore une « Chambre consultative des associations ouvrières de production ». La Commission d’arbitrage est entièrement gratuite pour les coopératives adhérentes de la CG Scop, diligentée par des pairs connaisseurs des Scop et des Scic et qui deviennent, au fil des ans, spécialistes du droit coopératif. Son rôle La Commission permet de régler en premier ressort les litiges avec des per-

sonnes qui pratiquent (ou ont pratiqué) au quotidien le monde coopératif, son droit et ses usages. C’est une juridiction de l’ordre judiciaire, de nature privée,

qui agit comme un tribunal d’instance et fonctionne avec des règles identiques, inscrites dans son règlement intérieur ; elle est de plus placée sous l’autorité de la Cour d’Appel de Paris. Les litiges traités concernent les différends entre la coopérative et ses associés ou anciens associés, mais pas en leur qualité de salariés (compétence exclusive du Conseil de Prud’hommes), les conflits entre Scop ou Scic ou entre les coopératives et les organes du Mouvement. « Parmi les exemples fréquemment rencontrés », Jean-Pierre Azaïs évoque notamment « le remboursement des parts sociales d’un salarié-associé qui quitte une Scop, et qui n’aurait pas été remboursé de son capital dans le délai prévu, la saisine à la suite d’une assemblée générale d’associés irrégulière, ou encore la mise en cause de la responsabilité du dirigeant ».

Tout savoir sur la Commission d’arbitrage Son organisation La Commission a une organisation démocratique puisque les arbitres sont choisis par leurs pairs après un appel à candidatures. Les arbitres sont issus du Monde coopératif, actifs ou retraités. Leur mandat est totalement bénévole. Une liste de candidat(e)s, visée par les unions régionales et arrêtée par la Direction nationale est soumise au suffrage du Congrès des Scop, tous les quatre ans. « Cette année 2016 à Strasbourg, 9 arbitres ont été désignés et on note à la fois un rajeunissement et une féminisation avec 3 nouvelles arbitres », précise le président. (cf p. 29)

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Sa saisine Elle se fait directement auprès de la Commission basée dans les locaux de la CG Scop. La démarche est simple, mais il est nécessaire de bien établir ses prétentions : un courrier officiel est adressé par mail ou par courrier simple à la Commission qui se charge d’avertir la partie adverse de l’ouverture de la procédure. « La première phase de conciliation se fait au niveau de la région, dans les bureaux des unions régionales en présence d’un arbitre et du référent juridique de la CG Scop », précise le président.

« Si la conciliation échoue, une date d’audience de jugement est fixée pour les deux parties au litige et le procès se déroule alors comme toute instance judiciaire ».

Pour en savoir plus : Marie Lefebvre, Service juridique de la CG Scop Tél. : 01 44 85 47 00

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)Rencontres(

Odile Kirchner : « Se doter d’une Déléguée à l’Économie sociale et solidaire (DiESS), Odile Kirchner dresse le bilan de son action depuis début 2016 et dessine les contours des actions à conduire pour le prochain ministère.

de l’ESS dispose désormais d’un support pour élaborer un plan de progrès interne et mieux faire coïncider ses pratiques et ses valeurs dans la gouvernance, les modalités de concertation avec ses parties prenantes, la qualité du dialogue social interne, la place des femmes, l’optimisation de son impact sur le territoire, etc. Seconde réflexion particulièrement riche, le rapport sur l’égalité femmes-hommes dans l’ESS et ses recommandations très opérationnelles, avec un objectif à moyen terme d’un taux de participation de 40 % de femmes dans toutes les structures de gouvernance. La Commission va poursuivre sa réflexion pour préciser les moyens nécessaires pour y arriver. Au bilan s’ajoutent aussi la grille de caractérisation de l’innovation sociale et la contribution à la stratégie de développement de l’ESS à trois ans que le Conseil vient d’adopter. Toutes les familles de l’ESS se rassemblent pour la première fois autour d’une vision commune des priorités stratégiques, avec douze propositions têtes de chapitre déclinant des mesures très concrètes. C’est un document de référence précieux qui sera présenté au prochain ministre en charge de l’ESS.

Odile Kirchner : « Il faut mieux faire comprendre les atouts et les valeurs communes à l’ESS aux jeunes, aux enseignants, aux parents. »

Quel bilan tirez-vous de cette première année à la tête de la Délégation interministérielle à l’économie sociale et solidaire ? La ministre, Madame Pinville, et les acteurs de l’ESS l’ont souligné lors du Conseil supérieur de l’ESS (CS ESS) du 4 avril dernier, l’année 2016 a été particulièrement productive. Le CS ESS est réellement, avec les

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travaux conduits dans ses différentes commissions, un lieu d’intelligence et de réflexion collective de toutes les familles de l’ESS avec les acteurs publics, et a produit en quelques mois plusieurs documents précieux pour la consolidation, le développement et la reconnaissance de l’ESS. Avec le guide d’amélioration continue des bonnes pratiques, chaque entreprise

Quels liens avez-vous développé avec les autres ministères ? La coordination interministérielle avec les différentes administrations qui mènent une politique publique en faveur de l’ESS a également bien progressé, avec le Commissariat général à l’égalité des territoires (CGET), la Délégation générale à l’emploi et la formation professionnelle (DGEFP), la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS), la Jeunesse et Vie associative (DJEPVA) et les différentes directions de Bercy, la DG Trésor bien sûr mais aussi la DGE et la DGFIP, impliquées dans le développement de l’ESS. Cette dimension inter-

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dynamique collective » ministérielle de ma mission comporte aussi l’animation du réseau des correspondants régionaux à l’ESS dans chaque préfecture de région et en outre-mer, qui constituent un relais indispensable au déploiement sur les territoires. Ils contribuent à assurer une meilleure transversalité avec les différents services de l’État concernés et sont un point de contact utile pour les acteurs de l’ESS. Les premières conférences régionales État-Régions et collectivités territoriales - acteurs de l’ESS, prévues par la loi, ont eu lieu dans toutes les régions en métropole. On a tenu cet enjeu, ce qui était une gageure dans un contexte de fusion, tant des régions que des Cress ! C’est une étape importante, indispensable à l’essor de l’ESS, qui est une économie qui se construit dans la proximité.

Vous évoquiez en 2016 un plan de développement par filière. À la stratégie nationale de développement proposée par le CS ESS est jointe effectivement une étude stratégique sur le potentiel de développement dans quatre filières, réalisée grâce à un co-financement de la DiESS, de DGE, de la Caisse des dépôts : les circuits courts, l’aide aux personnes âgées, la valorisation des déchets et le réemploi, l’éco-construction et la rénovation des bâtiments, dans lequel les Scop sont très présentes. Il est essentiel que les entreprises de l’ESS appréhendent leur développement dans une vision globale de leur secteur d’activité, qu’elles identifient leurs atouts et leurs faiblesses, leur positionnement par rapport aux autres acteurs de l’économie classique, leurs besoins d’évolution, et les leviers à mobiliser pour se renforcer. Les Scop et Scic le savent bien puisqu’elles sont en concurrence avec tous types d’entreprises dans tous les métiers. Quels sont les points-clé de votre plan d’action 2017 ? Pour répondre aujourd’hui à cette question, il faut attendre les orientations du nouveau ministre en charge de l’ESS ! Les douze propositions du CS ESS dessinent

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déjà une belle feuille de route. Dans les chantiers complémentaires récemment lancés, je citerais l’action sur les marchés publics et plus globalement les achats privés responsables. Il y a une prise de conscience croissante des acteurs, et en particulier de la Direction des achats de l’État, pour élargir les achats de produits et de prestations auprès des entreprises de l’ESS, au-delà même des clauses sociales. Un autre chantier concerne l’accès au financement des entreprises de l’ESS qui demande la réalisation, avec la Banque de France, d’un diagnostic précis qui nous manque encore. Beaucoup d’outils de financement sont disponibles mais on constate un besoin pour le financement du démarrage car le système de sociétés de capital-risque ne fonctionne pas dans l’ESS où la valorisation est limitée par les règles de gestion et de distribution de dividendes. Il faut donc trouver d’autres mécanismes tels que la Scop d’amorçage ou encore le projet CoopVenture, très belle initiative de la CG Scop à destination des jeunes entreprises du numérique. C’est dans cet esprit qu’il faut penser le projet de fonds de développement coopératif prévu par la loi, pour lequel nous attendons des propositions du monde coopératif.

Filières, marchés publics, financement… La stratégie de développement comporte-t-elle d’autres pistes d’action ? Certes ! Concernant par exemple les reprises et transmissions d’entreprises, la stratégie nationale de développement pointe la nécessité de mieux former les tribunaux de commerce et les administrateurs judiciaires aux spécificités coopératives. La visibilité est un autre enjeu et non des moindres, et il faut mieux faire comprendre les atouts et les valeurs communes à l’ESS aux jeunes, aux enseignants, aux parents. C’est l’objet notamment du programme Mon ESS à l’école et de la Semaine de l’ESS à l’école initiés par l’Esper, que j’ai trouvé très stimulants. La vidéo réalisée sur l’une des initiatives montre très bien

n Odile Kirchner en bref Nommée fin 2015 déléguée à l’Économie sociale et solidaire (DiESS), auprès du directeur général du Trésor, avec transfert de la Délégation interministérielle à l’ESS au ministère de l’Économie et des Finances, Odile Kirchner a un parcours professionnel mixte, alliant administration et entreprise. Entrée à la Direction générale du Trésor à sa sortie de l’ENA, elle a poursuivi ensuite dans le groupe Renault une longue partie de sa carrière, marquée souvent par des responsabilités transversales et le management de nouveaux projets. De retour en 2012 aux ministères économiques et financiers, elle a participé quelques mois à la préparation du projet de loi sur l’ESS, dans lequel elle était investie à titre privé. Elle a ensuite été secrétaire générale du Conseil national de l’industrie entre juin 2013 et fin 2015, en assurant la mise en place de cette nouvelle fonction.

comment les jeunes ont pris conscience de la force de la gouvernance en Scop pour mettre en œuvre leur projet. Lorsque l’artisanat a voulu s’affirmer, il a su se rassembler autour du slogan « Artisanat première entreprise de France » et l’ESS doit se donner les moyens de se faire reconnaître de cette manière. Quand les banques coopératives et mutuelles afficheront, sous leur logo, la mention « entreprise de l’économie sociale et solidaire », il sera plus facile d’expliquer au grand public qu’il y a un large mouvement en France d’entrepreneuriat différent, qui partage des valeurs communes sur les objectifs de l’entreprise, l’implication des salariés et les modalités de gouvernance, les relations avec les clients et les bénéficiaires, l’impact sur le territoire... Le modèle Scop illustre que l’on peut concilier performance économique et industrielle avec un objectif social et humain. Il y a un enjeu majeur à se doter d’une dynamique collective à l’échelle de toute l’ESS, par-delà les familles, pour gagner en visibilité. Propos recueillis par Pierre Liret

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