Participer 664 - Les coopératives répondent aux nouveaux besoins de la société

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Septembre . Octobre . Novembre 2017 . Numéro 664

)Participer( Magazine des sociétés coopératives et participatives

Les coopératives répondent aux

)Enjeux(

Bilan chiffré 2016 : Scop et Scic en progression

)Rencontres(

nouveaux besoins de la société

« En coopérative, la démocratie au travail est une réalité »

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La Scop Aquabio, de Saint-Germain du Puch (Gironde) se veut la sentinelle de la flore et de la faune des points d’eau

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)Enjeux Scop(

Bilan chiffré 2016 : Scop et Scic e Nouveau bilan positif en 2016 : 2 991 Sociétés coopératives et participatives, 53 850 emplois et un chiffre d’affaires de 4,6 milliards d’euros. Au sein du Mouvement l’an passé, le nombre de coopératives a crû de 4 %, l’emploi de 4,2 % et le chiffre d’affaires consolidé de 2 %. Ce bilan met en perspective le développement des Scop et des Scic dans l’ensemble des régions de France.

En 2016, 266 nouvelles Sociétés coopératives et participatives se sont créées sur le territoire, toutes origines de création confondues. Parmi celles-ci, 143 Scop et 118 Scic. Dans le même temps, 151 coopératives ont disparu, d’où un solde net de création de 115 coopératives. Au total, ce sont 2 298 Scop et 627 Scic qui opèrent désormais en France. Autre preuve de dynamisme : près de 3 200 emplois ont été créés en 2016, les deux tiers provenant de l’évolution nette des emplois dans les coopératives existantes, et un emploi créé sur cinq étant issu des transmissions-reprises en coopérative. Toutefois, dans la même année, la disparition de coopératives engendre une perte de plus de 1 000 emplois, d’où un solde net positif de près de 2 200 emplois, 1 200 dans les Scop et 1 000 dans les Scic.

Une implantation et des dynamiques de développement inégales dans les régions Les Sociétés coopératives et participatives sont réparties dans toutes les ré-

Des directions un peu plus égalitaires En 2016, 26 % de l’ensemble des dirigeant.e.s des Scop sont des femmes. Cette proportion est en hausse d’un point de pourcentage par rapport à l’année précédente.

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gions, cette répartition restant inégale d’une région à l’autre. On peut observer le poids significatif de la moitié sud et de l’ouest de la France, ainsi que de la région Île-de-France qui concentre un grand nombre de coopératives. Parallèlement, les effectifs sont répartis de façon différenciée dans les régions, la densité des effectifs n’étant pas toujours en phase avec celle du nombre d’entreprises d’une région à l’autre. Les Scic participent notablement au développement en nombre d’entreprises de trois régions : l’Occitanie, l’Île-de-France et l’Auvergne-RhôneAlpes où une centaine de Scic sont localisées. La Nouvelle-Aquitaine et Paca accueillent chacune une soixantaine de Scic. Et toutes les autres régions ont moins de 50 Scic sur leur territoire.

Le secteur des services en tête Plus d’une coopérative créée en 2016 sur deux est active dans le secteur des services, lequel totalise 23 % du chiffre d’affaires global des Scop et des Scic. Les secteurs historiques restent prépondérants avec 31 % du chiffre d’affaires pour la construction et 28 % du CA pour l’industrie. Des sociétaires sur tout le territoire Les Sociétés coopératives et participatives comptent désormais près de 27 800 sociétaires salariés. Le taux de sociétariat salarié médian en 2016 est de 75 % dans les Scop.

En outre, le nombre d’associés total, salariés et non salariés, approche les 70 000 (+ 13 % en 2016), dont presque 39 000 sociétaires actifs au sein du multi-sociétariat des Scic.

Un taux de pérennité élevé Le taux de pérennité à cinq ans des entreprises du Mouvement est de 66 %, à savoir que les deux tiers des coopératives créées entre 2007 et 2011 sont toujours actives fin 2016. Pour comparaison, ce même taux relatif à l’ensemble des entreprises françaises est de 60 % selon l’Insee (2017). Plus récentes, les Scic affichent des taux de pérennité plus élevés que les Scop dans la plupart des régions. Catherine Friedrich

66 % Taux global 63 % Scop

79 % Scic

Taux de pérennité sur 5 ans des coopératives en 2016

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c en progression

Nombre de Scop et de Scic, effectifs et évolution en 2016.

118 Scop 36 Scic Effectifs 4 560 (+16)

Le réseau compte également plus de 60 coopératives autres (loi 47, UES, Union de Scop…)

92 Scop 24 Scic

Hauts-de-France

Effectifs 3 082 (+61)

196 Scop 38 Scic Effectifs 3 600 (+135)

Normandie

Bretagne Pays de la Loire 144 Scop 20 Scic

Île-deFrance

106 Scop 39 Scic

310 Scop 89 Scic Effectifs 9 749 (-164)

Effectifs 3 564 (+510)

Grand Est

Centre Val de Loire 62 Scop 12 Scic

Bourgogne 74 Scop 27 Scic Franche-Comté Effectifs 1 486 (-51)

Effectifs 1 120 (+115)

Effectifs 4 450 (+438)

Nouvelle Aquitaine

Auvergne 384 Scop 88 Scic Rhône-Alpes Effectifs 7 661 (+536)

253 Scop 67 Scic Effectifs 5 338 (-59)

Occitanie

Provence Alpes-Côte d’Azur 247 Scop 56 Scic

278 Scop 110 Scic

Effectifs 2 906 (+232)

Effectifs 5 505 (+336)

Dom-Tom 21 Scop 14 Scic Effectifs 670 (-26)

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13 Scop

7 Scic

Effectifs 159 (+87)

Corse

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L’économie sociale et les coopératives, une économie à visage humain pour répondre aux besoins croissants de demain, tels que la petite enfance.

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)Dossier(

Les coopératives répondent aux

nouveaux besoins de la société

Nouveaux modes de garde d’enfants, conditions de logement des personnes âgées, alimentation durable, préservation de l’environnement… Les coopératives, Scop et Scic, sont une réponse cohérente et collective à bon nombre de besoins qui émergent dans la société.

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epuis des décennies, les acteurs de l’économie de proximité qu’incarne l’ESS et particulièrement les coopératives sont à la pointe pour voir émerger les besoins non satisfaits des collectivités humaines, soit que les services publics n’aient pas détecté les signaux faibles ou manquent de financements, soit que le secteur privé lucratif n’y trouve pas encore de marges de rentabilité… Mieux même : la forme collective des coopératives, impliquant tout l’écosystème local, répond parfaitement à la recherche et l’expérimentation de ces nouvelles tendances. Alors que ce que Pierre Bourdieu appelait la main gauche de l’Etat, la dimension protectrice de la puissance publique, ne parvient plus à assumer le coût de pans entiers de la solidarité à l’égard des plus faibles, l’économie sociale et les coopératives parviennent à répondre aux besoins

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croissants de demain, tels que la dépendance, l’autonomie des personnes âgées, la petite enfance, mais aussi la biodiversité et l’alimentation saine. « Les habitants de Clichy-sous-Bois n’arrivaient plus à se faire soigner ou alors au prix de longues semaines d’attente pour les spécialistes, raconte le docteur Bernard Huyhn, syndicaliste médical engagé et gérant bénévole de la Scic Med Clichy. Nous ne sommes qu’à quelques kilomètres de Paris, mais le territoire devenait un désert médical… Avec le soutien de la mairie, nous avons créé en 2014 une nouvelle maison de santé, accueillant des médecins anciennement installés dans la commune et des jeunes praticiens que nous essayons de fidéliser. » Ouverte 6 jours sur 7, la maison de santé regroupe 22 professionnels, dont deux spécialistes, sept généralistes, trois dentistes, des psychologues et des infirmières.

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Lutter contre les déserts médicaux « Pour que le projet soit viable, on a besoin de ces équipes nombreuses, complétées par une dizaine de techniciens et d’administratifs, poursuit Bernard Huyhn. La Scic donne plus de sécurité aux médecins qu’une SCM (Société civile de moyens), la forme habituelle des maisons de santé, qui ne fait que juxtaposer des médecins libéraux. Les collectivités locales devraient encourager les Scic qui associent les professionnels et les habitants, mais elles préfèrent construire des bâtiments avant de monter un projet collectif, qui ne va pas fonctionner… » Comme la Scic Med Clichy, la Scic Habiter autrement de Cerizay (Deux-Sèvres) est elle aussi un modèle unique qui ne demande qu’à essaimer. C’est la première coopérative d’intérêt collectif à gérer un Ehpad. Elle s’est créée fin 2016, là encore avec le soutien de la mairie, grâce à l’ADMR, une association nationale du secteur médico-social. « Les Deux-Sèvres comptent plus de 70 maisons de retraite, précise Jérôme Houmault, directeur général de la Scic SAS. C’est tout public ou tout privé. Nous proposons une solution alternative, entre les gros établissements et le domicile, avec des prestations pour les résidents et un prix accessible. » Dans cet établissement de 26 lits, les familles ont aussi leur place dans la gouvernance. « Nous croyons à l’avenir de ces Ehpad à taille humaine avec des petits services mutualisés, complète Jérôme Houmault. L’ADMR a défini le concept Habiter autrement que nous commençons à dupliquer

Le fonctionnement coopératif ouvre des perspectives dans le domaine de la santé.

à d’autres départements. Et nous pensons adapter aussi le statut coopératif à d’autres services à la personne, statut qui associe toutes les parties intéressées autour d’un projet de territoire. »

Des solutions pour l’autonomie des seniors Autre innovation sociale, partie de Lyon celle-ci, celle de Trois Colonnes. Cette coopérative, créée en 2013, traite aussi de la dépendance et du logement des personnes âgées, mais par le moyen du viager solidaire. « Tout le monde a envie de bien vieillir à domicile, mais on n’en a pas toujours les moyens, assure Sébastien

Tchernia, gérant de Trois Colonnes. C’est pourquoi, notre solution est de proposer à des personnes propriétaires de leur logement de nous le vendre sous forme de viager, avec un capital, le bouquet, et une rente, qui leur rapporte des revenus réguliers, pour leurs soins par exemple. En outre, nous les déchargeons des tâches administratives. Et en plus, nous leur proposons une gamme de services : du portage de repas à domicile, du sport adapté avec l’association Siel bleu, des visites à leur appartement, etc. » En s’adossant au système coopératif, Trois Colonnes évite le côté spéculatif des achats immobiliers, associe des partenaires institutionnels garants du bon

« Les coopératives sont toujours parties de besoins concrets et se so Trois questions à : Sandrine Aboubadra, responsable de projet Prospective des métiers et des qualifications à France Stratégie

Sandrine Aboubadra

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Pourquoi France stratégie, organisme de réflexion rattaché au Premier ministre, se préoccupe-t-il de l’évolution des métiers et des qualifications ? Le rapport de France Stratégie Les métiers en 2022 est un travail prospectif que nous avons entrepris avec la DARES (Direction des statistiques du ministère du Travail) depuis 2012. Il vise à fournir des éléments d’aide à la décision pour nourrir les politiques publiques dans le secteur emploi-formation et dans un contexte

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La Scop Trois colonnes a réuni ses bénéficiaires pour une matinale « bien dans son corps, bien dans sa tête ».

fonctionnement et ouvre son capital à des épargnants solidaires, pour financer de nouvelles acquisitions. Afin d’éviter les dérives qui peuvent s’attacher au viager, l’entreprise réalise, avec ses partenaires, une enquête sociale pour sélectionner les personnes qui ont un réel besoin de cette solution. La dimension solidaire du projet est couronnée par l’engagement de l’entreprise de remettre les logements, au décès de leur occupant, dans le circuit de la location solidaire, au bénéfice de per-

sonnes à faibles revenus. Depuis le début, Trois Colonnes compte 80 bénéficiaires, dont les deux tiers en Rhône-Alpes-Auvergne, et 20 locations solidaires. « Pour les unes et les autres, les demandes sont de plus en plus importantes chaque année, répondant à de réels besoins », conclut Sébastien Tchernia. Comme dans l’entourage des fondateurs de Trois Colonnes, c’est souvent la confrontation avec ces nouveaux besoins, qui donnent des idées aux entrepreneurs

coopératifs. C’est ainsi une rencontre entre un événement personnel (le décès de sa grand-mère), l’envie de créer son entreprise (elle était salariée dans le tourisme) et le constat que le secteur des pompes funèbres devenait purement financier, qui ont incité Sabine Le Gonidec, à fonder la Coop funéraire de Nantes, avec deux associées. La Scic est née il y a un an sur le modèle des coopératives funéraires du Québec et des coopératives de consommateurs d’Angleterre.

se sont organisées pour y répondre » qui vise à renforcer l’individualisation des parcours, en améliorant leurs capacités, leur autonomie et leur mobilité. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, les évolutions dans les métiers sont lentes ! Peu de métiers disparaissent complètement, peu de métiers sont en forte hausse. Dans l’ESS, on voit apparaître ces métiers nouveaux, mais vont-ils se développer ? C’est ce que nous essayons d’analyser au travers de monographies annuelles, comme celle parue sur le numérique et

celle en cours sur le recyclage. Dans ce secteur, il y a par exemple de nombreuses coopératives. Elles sont toujours parties de besoins concrets, se sont organisées pour répondre à ces besoins. Ensuite, le marché se stabilise et le secteur privé lucratif arrive… L’ESS et les coopératives doivent réfléchir à leur différenciation. Dans le recyclage, mais aussi dans la santé et les services à la personne, où elles sont présentes, elles doivent grandir, changer d’échelle et s’adapter à la concurrence.

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Sur l’ensemble des métiers que vous avez analysés, quelles sont les grandes tendances de fond ? Il y a d’abord la poursuite de la tertiarisation des emplois, tendance dans laquelle les emplois de l’ESS ont une part importante depuis les années d’après-guerre. Ensuite, la féminisation se poursuit : dans la structure des emplois, les emplois dynamiques sont plutôt féminisés et les emplois les plus qualifiés sont plutôt paritaires (sauf l’informatique). Enfin,

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)Dossier( « Au Québec, les coopératives funéraires sont nées il y a une trentaine d’années, précise Sabine Le Gonidec, parce que des personnes étaient obligées de s’endetter pour payer un enterrement et parce que les services n’étaient pas satisfaisants. Nous avons repris ce modèle pour proposer un prix juste et surtout de l’accueil et de l’information. Nous mettons en avant principalement un rituel laïc, qui est la demande de nombreux parents. Aujourd’hui, de plus en plus de personnes viennent nous voir, ainsi que des acteurs médico-sociaux, parce qu’ils comprennent que notre modèle coopératif ne cherche pas à exploiter le chagrin, mais à les accompagner. » C’est évidemment un besoin qui n’est pas limité à la région nantaise. La coop funéraire de Nantes veut aider d’autres entreprises à naître comme à Bordeaux.

Une crèche itinérante On le voit, avec le vieillissement de la population, de nombreuses initiatives coopératives naissent autour de la dépendance et de l’autonomie, mais l’autre bout de la vie n’est pas oublié ! Les coopératives apportent aussi des réponses humaines, en regroupant les bonnes initiatives locales. Pour les petits enfants, une question demeure récurrente : celle des modes de garde confrontés à des horaires mal adaptés, à des prix trop élevés, et à des effets de seuil pour le nombre d’enfants accueillis. La création de la Scop E2S il y a 5 ans, à Montreuil (Seine-Saint-Denis) cherche à répondre à ces différentes problématiques. « La question des besoins non couverts dans les quartiers prioritaires, plutôt à des-

Pour les petits enfants, une question demeure récurrente : celle des modes de garde confrontés à des horaires mal adaptés.

tination des femmes, était clairement notre programme de départ pour la création de la coopérative, souligne Valérie Malhouitre, co-gérante d’E2S. Et nous avons constaté que le premier frein à l’insertion professionnelle des femmes, c’était le mode de garde : elles ont besoin de débloquer du temps en journée pour trouver du travail. C’est pourquoi nous avons inventé toute une gamme de propositions pour elles. » La plus spectaculaire de ces solutions est la crèche itinérante, qui s’établit deux

jours par semaine à Montreuil et à Bondy : la bébé-car a dans ses soutes de quoi accueillir des enfants dans les locaux mis à disposition par les collectivités locales. Il y a aussi une garderie éphémère, une fois par semaine dans les centres sociaux de Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne. Et aussi des garderies événementielles, lors de rendez-vous ponctuels, comme les journées portes ouvertes des missions locales. « Nous nous positionnons dans la continuité des services publics, sans nous substituer aux

sur la dynamique passée et actuelle des activités et des métiers, sur les tendances macro-économiques et sur les évolutions démographiques du marché du travail. On anticipe par exemple que les services aux personnes vont continuer de progresser, à la fois parce que la pyramide des âges de la population est vieillissante, mais aussi parce qu’il y a des départs à la retraite dans ce secteur. Le management informatique et la recherche devraient aussi se développer. Dans notre rapport de 2015, nous évoquons en effet trois scénarios : un scénario moyen qui suit la tendance, avec des contraintes budgétaires et la

baisse du nombre de fonctionnaires, un scénario pessimiste, sans reprise économique et un scénario optimiste, avec des gisements d’emplois nouveaux dans la transition énergétique, la transition numérique et les services à la personne. Dans tous ces secteurs, l’ESS et les coopératives inventent de nouveaux métiers, ce qu’elles ont toujours fait. Vont-elles résister et se développer ? Nous le saurons peut-être avec notre nouvelle étude qui nous amène jusqu’en 2030.

on observe les mouvements dans les bassins d’emploi : on constate malheureusement la présence dominante d’emplois précaires dans des zones déjà fragiles et des emplois plus permanents dans les zones plus riches. Il y a là aussi un enjeu fort pour les coopératives, avec la relocalisation des emplois, notamment dans les services aux personnes. Quels sont les scénarios envisagés et quelle place peuvent y prendre les coopératives ? Nous faisons des projections d’emplois et de besoin en recrutement en se fondant

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Propos recueillis par Éric Larpin

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La Scop Cambuza, près d’Aubagne (Bouches-du-Rhône) est un drive citoyen, qui propose des produits bio et/ou locaux.

autres modes de garderie, ajoute Valérie Malhouitre. Cela signifie qu’on co-construit des solutions sur chaque territoire avec les parties prenantes. » Ce mode d’action a rapproché E2S d’autres coopératives de la petite enfance. Ensemble, à cinq pour démarrer, elles viennent de porter sur les fonts baptismaux la nouvelle Scic Coop Petite enfance, pour développer de nouveaux projets ailleurs en France. Parmi ces nouveaux projets, il y aura peut-être des micro-crèches solidaires, un véritable nouveau besoin, qui reste pour l’heure cantonné à des ménages aisés et que Valérie Malhouitre voudrait voir étendu à des familles plus modestes. Entre la petite enfance et le grand âge, les coopératives ne se détournent évidemment pas des besoins fondamentaux. Depuis le début des années 2000, on a vu monter les enjeux d’une alimentation saine. Les coopératives sont ainsi nombreuses à se positionner sur ce créneau, leurs valeurs croisant celles d’une alimentation douce et locale. « Notre idée initiale est bien de développer le bio en Région Rhône-Alpes-Auvergne, affirme Kevin Guillermin, co-directeur de Grap. L’entreprise a pris la forme particulière d’une Scic CAE, qui permet d’apporter des réponses collectives et de la mutualisation de services aux porteurs

de projet du bio et aussi de prendre des participations minoritaires dans des entreprises associées. Aussi bien ces structures que les entrepreneurs-salariés doivent valider un cahier des charges très exigeant. » La coopérative créée en 2012 à Lyon regroupe désormais 85 salariés, dont une dizaine pour les fonctions support de la CAE, et 12 entreprises associées (épiceries bio, paniers bio, boucherie, etc.), qui sont sous statut coopératif ou commercial, mais avec l’obligation d’ouvrir leur capital aux salariés. Le projet a accompagné le boom du marché bio (+ 20 % en 2016) et ne cesse de susciter de nouvelles initiatives, comme un restaurant en Scop à Tours ou la Scop Cuisine itinérante, qui gèrera l’épicerie de la Halle de la Martinière à Lyon. « Notre projet collectif est politique, avec l’objectif d’augmenter la diffusion du bio », se réjouit Kevin Guillermin. Et bien sûr, dans l’alimentation bio, comment ne pas citer le réseau Biocoop dont de plus en plus de membres se créent ou se transforment en Scop, encouragés par le réseau qui y voit une forme d’avenir cohérente avec son projet.

Drive citoyen Il y a la même satisfaction pour Fabrice Maunier d’avoir porté un projet qui associe le collectif (ils sont trois associés) et l’alimentation durable. La Scop Cam-

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buza, près d’Aubagne (Bouches-duRhône) est un drive citoyen, qui propose, depuis l’an dernier, des produits bio et/ou locaux, disponibles en ligne et que les consommateurs viennent chercher dans la boutique. « Avec la Scop, on se situe dans un écosystème humain, indique Fabrice Maunier. Comme nous, notre public militant est attentif aux produits de qualité, qui valorisent le local et l’économie des émissions carbone. » Au-delà de l’alimentation durable, de nombreuses coopératives se préoccupent de l’environnement et de la biodiversité. La Scop Aquabio, de SaintGermain du Puch (Gironde) se veut la sentinelle de la flore et de la faune des points d’eau. « En 1998, j’ai d’abord créé mon emploi, se rappelle Bruno Fontan, son gérant. Puis avec des marchés publics, la société s’est développée jusqu’à 90 salariés sur six sites. Mais être patron ne m’allait pas du tout ! Nous avons transformé la société en Scop en 2007 et en Scop SA en 2011. Je suis plus un militant coopératif qu’un militant de l’écologie ! ». Numéro un en France pour ce type de prélèvements aquatiques, Aquabio a les cartes en main pour poursuivre son rythme de développement, avec des habitants de plus en plus investis dans l’environnement, mais aussi de nouvelles compétences pour les agglomérations dans la protection des milieux aquatiques et une directive européenne qui fixe des objectifs d’assainissement de l’eau jusqu’en 2032. Dépendance, petite enfance, alimentation durable, bio-diversité : les réponses des coopératives ne s’arrêtent pas à ces domaines encore peu ou mal satisfaits. Il est dans l’objet même des Scop que de favoriser l’emploi, sa pérennité, son ancrage local et la qualité de vie au travail, quel que soit leur métier. Les Scic sont par nature un levier de développement local. Mais quelle qu’en soit la forme, les coopératives sont déjà très nombreuses (et copiées !) dans le recyclage ou la mobilité douce et s’attaquent aujourd’hui à de nouveaux besoins sociétaux, comme l’accessibilité numérique, les autres services aux particuliers et toujours bien sûr l’insertion des personnes fragiles. Éric Larpin

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)Rencontres(

« En coopérative, la démocratie au t Observateurs de longue date des Scop et du Mouvement coopératif, Benoît Borrits et Aurélien Singer viennent de publier un livre entièrement consacré aux Scop et aux Scic et aux réponses qu’elles apportent aux enjeux du travail, de l’emploi et du développement local durable. tion face aux grands donneurs d’ordre. B. B. : Les innovations sociales existent dans tous types d’entreprises, mais c’est dans les coopératives de travail que les salariés ont le plus grand pouvoir de décider et qu’on y trouve la plus grande sincérité dans la démarche.

À gauche : Benoît Borrits est journaliste, essayiste et animateur de l’association Autogestion. Il suit les reprises d’entreprises par les salariés en coopératives depuis 2010. Il a collaboré avec la revue Regards jusqu’en 2015. À droite : Aurélien Singer, universitaire, syndicaliste et membre de l’association Autogestion, est représentant du personnel au CHSCT d’un établissement public.

Pourquoi ce livre ? Benoît Borrits : Nous sommes des farouches partisans de la démocratie. C’est ce qui anime notre engagement dans l’association Autogestion(1). Et dans le Mouvement des Scop, la démocratie est une réalité. Ca nous intéressait de regarder ce Mouvement très ancien, avec une histoire complexe, changeante et pourtant toujours ce même fil conducteur de la démocratie au travail. Les Scop incarnent cette réalité, avec par surcroît une déconnection de la politique. C’est un mouvement d’affaires et un mouvement citoyen en même temps. C’est ce qui est passionnant. Aurélien Singer : Il y a un renouveau des coopératives de travail depuis une trentaine d’années et leur développe-

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ment semble s’accélérer. On pense que la coopération de travail va dans le sens de l’histoire. Nous cherchons aussi à savoir si les conditions de travail sont meilleures en Scop que dans les autres entreprises. Enfin, nous souhaitions proposer un guide pratique pour ceux que ça intéresse de savoir comment rejoindre ou créer une coopérative.

La coopération de travail est-elle selon vous la meilleure voie à suivre pour améliorer notre relation au travail ? A. S. : La Scop n’a pas le monopole de l’innovation en matière de relation au travail. Historiquement, les coopératives de consommateurs et les syndicats ont su aussi créer une force de négocia-

Pourquoi ce titre « travailler autrement : les coopératives » ? Toutes les coopératives ne sont pas des coopératives de travail, loin de là. Pour nous, la relation au travail et à l’emploi est le principal enjeu économique et social d’aujourd’hui. De ce point de vue, le modèle coopératif apporte une bonne réponse. En parlant de « coopérative » et pas de « coopérative de travail », on voulait aussi ouvrir aux coopératives multi-sociétariat. Ce n’est pas un hasard si la plupart d’entre elles sont en France adhérentes de la CG Scop et si, au niveau international, les coopératives de solidarité québecoises et les coopératives sociales italiennes sont membres de Cicopa qui historiquement, représente la coopération de travail dans le monde. Quelle est la valeur ajoutée du modèle coopératif par rapport à l’actionnariat salarié ? B. B. : Ce sont deux réalités différentes. Ce n’est pas pour rien qu’on parle de « part sociale » dans un cas et « d’action » dans l’autre. Dans un cas, la priorité est le travail avec comme outil le capital. Dans l’autre, la priorité est de valoriser son patrimoine avec le travail comme ressource et comme moyen. En coopérative, on est sur la base d’une voix par personne alors que dans les autres entreprises, on est sur 1 € = 1 voix. Par ailleurs, dans les Scop, les salariés sont forcément

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u travail est une réalité » associés majoritaires et l’esprit est que le plus grand nombre d’entre eux soient associés, ce qui n’est pas le cas dans les autres entreprises. La Scop, ce n’est pas de l’actionnariat salarié.

La critique de la coopération de travail comme forme d’autoexploitation est-elle fondée ? A. S. : En 2013, des chercheurs de Grenoble ont interviewé des membres d’une quarantaine de Scop en région RhôneAlpes(2), c’est-à-dire quand même 10 % des Scop de Rhône-Alpes. Leurs conclusions montrent que loin de l’auto-exploitation, les Scop favorisent les CDI, l’équilibre entre vie professionnelle et personnelle et proposent des salaires plus élevés que la moyenne avec une échelle plus resserrée qu’ailleurs. En moyenne, les Scop font mieux que les autres entreprises, même s’il peut exister des cas particuliers où ça se passe moins bien. Les Scop ont aussi un savoirfaire sur la transparence en interne. Ces conclusions justifieraient des enquêtes plus poussées sur les accidents de travail, les maladies professionnelles, l’absentéisme, le turn-over. Vous parlez longuement du groupe Mondragon. Pourquoi est-ce un cas unique au monde de votre point de vue ? B. B. : Avec plus de 70 000 salariés, Mondragon est le plus grand groupe coopératif au monde. C’est un groupe construit à l’inverse des groupes capitalistes. Au lieu d’une holding détenue par des actionnaires et qui possède une série de filiales, Mondragon est une pyramide inversée. Ce sont les entités de base, coopératives de travail, de producteurs ou d’usagers qui ont créé des coopératives de second niveau qu’elles contrôlent et ainsi de suite jusqu’à la tête du groupe. A Mondragon, une coopérative peut librement décider de quitter le groupe parce qu’elle est souveraine alors qu’une filiale traditionnelle ne le peut pas. Cette

conception de groupe à une telle échelle internationale, c‘est unique au monde. L’autre intérêt, c’est l’attachement constant depuis les débuts à donner la parole et le pouvoir aux travailleurs. Au départ, Mondragon rassemble des coopératives de producteurs, puis des coopératives de consommateurs, mais en prévoyant toujours un collège de vote pour les travailleurs. Mondragon est le premier exemple de groupe coopératif à multi-sociétariat, avant même les coopératives sociales en Italie.

Selon vous, la valeur ajoutée est un meilleur indicateur de la performance économique d’une coopérative de travail que le résultat d’exploitation. Pourquoi ? B. B. : Dans une entreprise traditionnelle, le principal indicateur est le résultat final qui est en gros la valeur ajoutée moins la masse salariale(3). Pour les propriétaires de l’entreprise, la masse salariale est une charge qui minimise leurs dividendes comme les consommations intermédiaires. Dans une Scop, les détenteurs du capital et les salariés sont les mêmes personnes. La pratique des Scop montre qu’elles sont plutôt prudentes sur leur politique salariale. Mais ce n’est pas un problème puisque la richesse créée leur reviendra plus tard sous forme de part travail ou de pérennisation de leur outil de travail. Donc pour arbitrer de la répartition des richesses en coopérative de travail, la valeur ajoutée est plus pertinente que le résultat net. Vous évoquez la singularité du modèle Scop dont les travailleurs ont un statut salarié. Comment est-ce ailleurs et pourquoi le modèle français est-il selon vous le modèle à suivre ? B. B. : Effectivement, en Espagne, en Italie ou en Argentine, les travailleurs sont considérés comme entrepreneurs, et ont donc un statut de travailleur indépendant. Le principal inconvénient du tra-

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vailleur indépendant, c’est la moindre protection sociale. C’est aussi le risque de détourner ce statut pour assujettir à moindre coût les travailleurs aux donneurs d’ordre. Une multinationale en Italie a suscité la création d’une coopérative de travail pour embaucher des travailleurs migrants sans droit pour déroger au droit du travail. Inévitablement, après un certain temps, les travailleurs de la pseudo-coopérative se sont mis en grève. En France, c’est grâce au statut de salarié que les Scop évitent ces risques de dérive. A. S. : En Argentine, il y a eu des dérives similaires de donneurs d’ordre qui ont externalisé la main d’œuvre avec des coopératives de travailleurs. Ce qui a suscité l’hostilité des syndicats contre les coopératives de travail. Propos recueillis par Pierre Liret

(1) Association autogestion : www.autogestion.asso.fr (2) Charmettant H., Juban J.-Y., Magne N., Renou Y., Vallet G., 2013, « La qualité des relations sociales au sein des SCOP, premiers enseignements d’une enquête en Rhône-Alpes », Rapport d’étude, Grenoble, Université Pierre Mendès France, Centre de recherche en économie de Grenoble. (3) Valeur ajoutée : différence entre le chiffre d’affaires et la valeur des biens consommés pour produire. Cette richesse produite par l’entreprise est répartie entre les salaires, les impôts et taxes, les actionnaires, les prêteurs et les investissements pour développer l’entreprise.

Travailler autrement : les coopératives Broché, de Benoît Borrits avec la contribution d’Aurélien Singer, éditions du Détour, 223 pages, 19 €

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