Décembre 2017 . Janvier . Février 2018 . Numéro 665
)Participer(
)Enjeux(
TPE/PME et numérique : la stratégie avant les outils
)Pratique(
Magazine des sociétés coopératives
Réformes de la formation : certification, parcours et qualité
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La croissance, un levier pour les coopératives La Scop Ceicom, symbole du retour de la croissance.
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)Actualité(
La CG Scop et le Crédit Coopératif réaffirment leur partenariat Partenaires historiques, la Confédération générale des Scop et le Crédit Coopératif ont renouvelé leur partenariat en novembre dernier et concrétisent le renforcement de leurs synergies pour appuyer le financement et le développement des Sociétés coopératives et participatives.
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n 1969, la Banque coopérative des sociétés ouvrières de production fusionne avec le groupe Crédit Coopératif. Depuis lors, les liens n’ont cessé de se renforcer entre le Mouvement des Scop et la banque. Aujourd’hui, le Crédit Coopératif est la banque de plus de 75 % des Sociétés coopératives et participatives. Le renouvellement de leur partenariat en novembre dernier exprime leur volonté commune de favoriser le développement, les créations, les transmissions-reprises d’entreprises sous forme de Scop ou de Scic ainsi qu’en témoigne Jean-Louis Bancel, président du Crédit Coopératif : « Le renouvellement de notre partenariat avec la CG Scop, c’est continuer à agir concrètement ensemble pour favoriser le développement d’une économie française diversifiée et dynamique où se concilient efficacité et plus-value sociale. »
Une convention au service du développement coopératif D’une durée de 4 ans, le partenariat répond plus précisément à plusieurs objectifs : intensifier l’utilisation des outils de financement, systématiser les interventions conjointes, optimiser le processus d’analyse des dossiers de demandes de financement des coopératives, faire évoluer et créer de nouveaux outils. Enfin, le dernier objectif est de favoriser la communication et la formation respectives, en impliquant notamment en amont les unions régionales
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Signature du partenariat entre Jean-Louis Bancel, président du Crédit Coopératif, Christine Jacglin, directrice générale, et Jacques Landriot, président de la CG Scop.
des Scop, les délégations régionales et les centres d’affaires du Crédit Coopératif. « Le Crédit Coopératif est pleinement présent aux côtés du Mouvement Scop. Au-delà des outils, la force du partenariat réside dans l’analyse de terrain mêlant pragmatisme, ambition, savoirfaire et relations humaines. », a souligné lors de la signature Jacques Landriot, président de la Confédération générale des Scop.
Des outils financiers spécifiques Pour accompagner au mieux les Sociétés coopératives et participatives, le Mouvement Scop dispose déjà de solides outils : Socoden pour consolider la trésorerie, Sofiscop pour substituer à la caution personnelle du dirigeant et Scopinvest pour financer sur le long terme. Ces outils représentent 36 millions d’euros de fonds propres et 23 millions d’euros engagés dans les dossiers de Scop ou Scic. Attentifs à leurs nouveaux besoins, la CG Scop et le Crédit Coopératif travaillent en étroite collaboration pour développer et créer de nouveaux outils. Le fonds Impact Coopératif est dédié aux projets de croissance et projets de transmission en Scop ou Scic. Le site www.jefinanceunprojetcooperatif.fr a vocation à promouvoir le financement participatif. Et plusieurs projets sont en cours de gestation : fusion de Sofiscop et Sofiscop Sud Est (établissements associés au Crédit Coopératif), création d’une foncière coopérative et participation à Coopventure, le fonds accé-
lérateur en montage pour les start-up coopératives.
Un suivi optimal Cette convention permet de fixer et coordonner les conditions d’accompagnement des outils financiers du Mouvement Scop et du Crédit Coopératif en matière d’aide au financement. Pour mieux cerner et anticiper les besoins, les deux partenaires organiseront des comités de liaison national et régional, un interlocuteur dédié aux Scop et aux Scic sera présent au siège du Crédit Coopératif, un bilan annuel des actions sera réalisé. Berthille La Torre et Corinne Lefaucheux Le Crédit Coopératif en bref Banque coopérative, le Crédit Coopératif exerce tous les métiers de banquier au service d’une économie responsable, respectueuse des personnes et de leur environnement. La banque est réputée pour son expertise de la clientèle historique qui fait le cœur de son sociétariat : associations, coopératives, mutuelles, organismes d’intérêt général, mais aussi les autres entreprises, PME-PMI et leurs groupements. Mais aujourd’hui, les particuliers sont de plus en plus nombreux à rejoindre le Crédit Coopératif, grâce aux nombreuses innovations solidaires de la gamme Agir. www.credit-cooperatif.coop
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Nouvelle marque pour le Mouvement des Scop et Scic ! Le Mouvement des Scop et Scic lance une nouvelle architecture de marque, destinée à représenter les Scop et les Scic de manière unifiée et renforcer ainsi l’impact et la force du Mouvement.
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encontre avec Séverine Saint Martin, membre du Bureau de la Direction nationale en charge de la communication et de la formation, qui nous présente cette nouvelle architecture de marque. « En 2017, après 8 ans de capitalisation autour de la marque “Les Scop“, nous avons rencontré deux types de freins. D’une part, il était difficile d’intégrer les Scic, qui ont du mal à se reconnaître dans l’appellation “les Sociétés coopératives et participatives“. Et d’autre part, nous avons constaté une primauté du mot “coopérative“ dans le discours des dirigeants d’entreprises. Le besoin d’uniformisation au niveau de la communication du Mouvement nous est apparu alors nécessaire ». La Confédération générale des Scop représente à la fois les Scop et les Scic. L’enjeu était donc de pouvoir bénéficier d’une architecture de marque qui permette la représentation des deux, tout en conservant le capital notoriété de la marque “les Scop“, connue par 67 % des Français et 82 % des dirigeants d’entreprise. Une Commission communication a été créée, intégrant à la fois des élus du Mouvement, des permanents et un membre du Service communication de la CG Scop. Deux scénarios ont été travaillés par l’agence Fondamenti : la création d’une nouvelle marque institutionnelle et l’optimisation de la marque actuelle. La CG Scop a lancé une étude Ifop autour des mots “Les Scop“ et “Sociétés coopératives“.
Plusieurs allers-retours ont été faits entre la Commission et les instances du Mouvement. Cela a fait l’objet de discussions en Convention nationale. Enfin, les Scop de la communication ont restitué leurs propositions d’identité visuelle autour de l’optimisation de la marque existante. En adoptant comme marque Les Scop, Sociétés coopératives - en choisissant d’associer Les Scop (en tant que marque) et Sociétés coopératives (en déroulé), la CG Scop cumule donc les deux atouts identifiés dans l’étude et perçus par les Français interrogés : la modernité du terme “Scop“ et les aspects positifs qui sont perçus par les Français dans l’expression “sociétés coopératives“.
Séverine Saint Martin, membre du Bureau de la Direction nationale en charge de la communication et de la formation.
Nouvelle appellation, nouveau logo : Marque mère :
Cette nouvelle marque mère permet de représenter les Scop et les Scic de manière unifiée. Les deux S imbriqués rappellent l’expression du travail en équipe et la solidarité. Ce symbole a également vocation à représenter les deux familles Scop et Scic d’une seule voix. Le rond apporte impact et force. La suppression de la couleur prune très institutionnelle modernise le logo. Le gris taupe simplifie la lecture de Scop et Scic.
Deux marques filles : Chaque famille garde une identité propre avec un logo et un déroulé. Elles sont toutes deux représentées par la marque mère qui leur confère une identité commune.
« L’objectif visé est de renforcer l’impact et la modernité du Mouvement, unifier les deux familles grâce à une identité commune, renforcer la notoriété des Scop et des Scic et favoriser nos enjeux de croissance et d’emplois », conclut Séverine Saint Martin. Chloé Bigou
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)Enjeux Scop(
TPE/PME et numérique : la strat Les possibilités offertes aux entreprises par les nouvelles technologies sont énormes tant les applications des outils numériques sont nombreuses. Pour faire de cette évolution un atout plutôt que de la subir, chaque entreprise doit trouver et mettre en place les outils qui répondent à ses besoins propres, au service de sa stratégie.
Comme le rappelle Marc Perotto, de la Scop Widip, en une décennie, les géants de l’internet ont contribué à faire connaître et démocratiser les outils numériques. Fidéliser ses clients, en toucher de nouveaux, commercer à distance, faciliter les processus internes, travailler en réseau... De la TPE à la grande entreprise, l’utilisation de ces outils peut favoriser l’activité et le développement. Pour autant, il ne s’agit pas de faire un copier/ coller de solutions toutes faites sans se poser de question. Réussir cette transformation demande d’être acteur plutôt que consommateur.
Éviter le piège Aujourd’hui, chaque entreprise fait comme elle peut face aux mutations engendrées par ces nouvelles possibilités mais, estime Philippe Charton, de la Scop Oonops, nombre d’organisations tombent dans le piège qui consiste à vouloir mettre en place ou utiliser tel ou tel outil dont elles ont entendu parler. Ainsi, par exemple, beaucoup créent un site internet, cherchent à être présentes sur les réseaux sociaux... Même analyse pour Dominique Oheix, d’E-Formadis, qui constate qu’il est fréquent que des entreprises investissent dans des outils dont elles ne se servent pas. Or, précise le premier, « les nouvelles technologies sont au service d’une stratégie. Et sans réflexion sur sa stratégie, une entreprise a autant de chances de réussir que d’échouer. La mise en place d’un outil inapproprié peut même détruire de la valeur au sein de l’organisation. » Il prend pour exemple l’arrivée du mail qui, utilisé à tort et à travers dans certaines structures, a plus généré des
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Marc Perotto au centre et l’équipe de Widip. Photo en haut à droite : Philippe Charton de la Scop Oonops.
pertes de temps et d’efficacité qu’autre chose... Il convient donc de réfléchir non pas aux outils mais aux usages de l’utilisateur final que celui-ci soit un client, un salarié ou un partenaire. C’est pourquoi Philippe Charton préfère utiliser l’expression « transformation digitale » qui fait plus allusion à l’usager que « transition numérique » qui s’associe plus aux technologies.
Être visionnaire, adopter une stratégie Pour ces experts, il faut avant tout s’interroger sur les services qu’on voudrait voir rendus par des outils numériques, qu’il s’agisse d’améliorer ceux qui existent déjà ou d’en rendre de nouveaux. Il semble avisé d’investir temps et moyens dans l’ingénierie de ce projet. Il n’y a pas de stratégie unique et, parfois, la stratégie digitale qui
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tégie avant les outils le mouvement de fond car la digitalisation touche tous les secteurs et aussi bien les entreprises que les institutions, voire les États. Les stratégies sont différentes suivant que l’entreprise est une actrice historique sur son marché ou une nouvelle pousse, suivant son secteur d’activité et dans quel type de cycle d’innovation elle se trouve. Il est plus facile de passer le cap lorsque le dirigeant est visionnaire. Ainsi, Philippe Charton le rappelle, il est important de faire de la veille, d’identifier les tendances de son secteur et leurs impacts sur les métiers présents dans l’entreprise ainsi que de savoir où son activité se situe par rapport au cycle de rupture. Certaines activités, comme le tourisme, ont déjà passé le cap, c’est-à-dire que le chiffre d’affaires généré par le nouveau modèle (via les applications digitales) a dépassé celui du modèle traditionnel (agences de voyage).
convient le mieux à une entreprise, son modèle, ses produits et ses valeurs est de ne pas développer d’application digitale. Et ceci peut se révéler aussi vrai pour un artisan que pour une plus grosse structure, mais il s’agit d’un véritable parti pris tel le choix fait par l’hebdomadaire Le Canard enchaîné qui ne met qu’une palme dans la mare numérique... Le risque serait d’être attentiste et de ne pas prendre en compte
Aventure humaine Entreprendre une transformation digitale de son entreprise met toute l’organisation en mouvement. Non seulement faut-il en amont que le dirigeant soit convaincu de son intérêt et de sa pertinence, que les besoins soient identifiés, qu’une stratégie soit définie et un cahier des charges précisément établi mais il faut ensuite lever les résistances internes au changement afin de faire évoluer les pratiques. Ces réticences peuvent être très diverses, aussi bien liées à la culture de l’entreprise que, comme le souligne Marc Perotto, à la crainte pour certaines personnes de perdre du pouvoir au sein de la structure. Cette aventure est donc avant tout humaine. Sensibiliser, former, impliquer toutes les parties prenantes, notamment opérationnelles, dans la rédaction de la feuille de route sont autant de gages de réussite. La taille de l’entreprise influe peu sur la démarche de conduite du changement et, une fois la conviction et l’envie de se lancer dans l’aventure acquises, trouver les moyens de le faire n’est pas le plus complexe dès lors qu’on est bien accompagné.
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Des accompagnateurs de la transformation digitale • Agence de communication digitale depuis 2002, la Scop Oonops a développé son expertise en accompagnement à la transformation digitale des entreprises en 2010. Elle accompagne ses clients de la définition de leurs besoins à la mise en œuvre effective de solutions sur mesure. www.oonops.com • La Scop Widip offre des solutions d’hébergement de services informatiques, en particulier dédiées aux associations médico-sociales et de soins à domicile. Widip.fr • E-Formadis est un organisme de formation et un cabinet conseil au numérique qui accompagne les entreprises, les territoires, les institutions dans leurs activités distancielles et leurs projets de travail collaboratif et en réseau. www.e-formadis.eu
Coopératif et collaboratif Pour Dominique Oheix, un des enjeux pour les Scop est de « prendre conscience que la transformation numérique peut permettre de mener des projets collaboratifs qui vont aider l’ensemble des acteurs ». Car il en est certain, en particulier pour les TPE/PME, « la réussite numérique se fera de manière collective ». En s’appuyant sur la force d’être organisées en réseau, les Scop peuvent imaginer mettre à profit ces nouvelles technologies pour leur développement : interactivité avec leurs clients, simplification des processus et gain de temps, mutualisation de moyens, formations communes, etc. Ce peut donc être une des missions des différentes unions régionales que d’auditer les besoins et les attentes des adhérents puis les mettre en relation. La distance physique n’est plus un frein à la collaboration et les acteurs d’un même secteur peuvent trouver des solutions communes à des problématiques similaires. La Navette
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AlternMobil, une Scic toulousaine, s’est mise en ordre de marche pour répondre à la croissance d’un nouveau marché écologique de messagerie dans les grandes villes.
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La croissance
un levier pour les coopératives ! Depuis un an, les chefs d’entreprise voient les signes encourageants de la reprise économique se confirmer mois après mois. Les dirigeants de Scop et Scic se confient sur la façon dont ils ont anticipé la croissance et dont ils l’accompagnent pour créer de l’emploi.
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rimestre après trimestre, tirée par la reprise mondiale, l’économie française semble retrouver la croissance. Les indices se multiplient : décollage des investissements productifs, nouvelles embauches, création d’entreprises en hausse et défaillances en baisse, délais de paiement raccourcis, gonflement des carnets de commandes. Les Scop et les Scic n’échappent pas à cette embellie – certaines l’ont même devancée grâce au maintien de leurs fonds propres pendant les années difficiles. Tous les secteurs ou presque retrouvent le sourire, d’autant que les signaux semblent présager d’une croissance durable. Pour les coopératives, croissance rime avec création d’emplois. Si le symbole du retour de la croissance était un son, celui-ci pourrait être le
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bruit métronomique des presses de l’Union des Forgerons. En s’approchant de l’usine de Méréville (Essonne), on l’entend suivre son rythme régulier, manifestant par là la création de pièces métalliques destinées à l’aéronautique, à l’industrie pétrolière ou au nucléaire. Cela fait plusieurs mois que les presses tournent à plein régime. « Notre croissance est tirée par une forte activité dans tous les secteurs, confirme Jean-Léry Lecornier, PDG de la Scop Union des Forgerons. Et comme notre clientèle est diversifiée, nous avançons vite sur tous les secteurs. Cette année, notre chiffre d’affaires augmente de 17 %. »
La palette au cœur de la chaîne de production Fort de plusieurs années de stabilité et de réserves conséquentes, l’Union des
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)Dossier( Forgerons a anticipé la reprise, en se dotant d’une nouvelle unité de production sur le même site, dont les lignes de production viennent de s’ouvrir. « En façonnant des pièces plus grosses, ces nouvelles presses vont nous aider à ouvrir notre gamme commerciale, détaille M. Lecornier. Nous avons réussi à financer ce nouvel outil de travail, grâce à nos fonds propres, grâce aux taux d’intérêt très bas et grâce à une aide à la réindustrialisation de la DGE (Direction générale des entreprises). » Ces investissements (30 millions d’euros sur 15 ans) ont eu l’heureux effet de contribuer à des nouvelles embauches, des ingénieurs attirés par la coopérative et des jeunes issus de l’alternance. Si le symbole de l’amélioration de la situation économique était un objet, celui-ci serait sans conteste une palette en bois ! Karine Mahé, PDG d’Aprobois, une entreprise adaptée de Carhaix (Finistère), explique pourquoi : « nous sommes à un endroit de la chaîne de production, où nous pouvons juger de la santé de l’économie. Plus il y a de production de biens nouveaux, plus nos clients nous demandent de palettes. Plus il y a de palettes, plus nous travaillons et nous faisons travailler nos sous-traitants. » La reprise tombe à pic pour Aprobois, qui comme l’Union des Forgerons, a un coup d’avance, en venant d’investir dans une nouvelle unité de production à Rostrenen, un projet de 7 millions d’euros. « Quand on fabrique les palettes, on génère des résidus connexes, qu’on ne
L’Union des Forgerons a ouvert une nouvelle unité de production pour anticiper la reprise.
savait pas traiter, précise Karine Mahé. Avec cette usine, nous allons transformer les connexes en granulés pour le chauffage et ainsi garder la valeur ajoutée chez Aprobois. » Une seule nouvelle vient ternir ce cercle vertueux évoquée par la PDG, les annonces faites dans le projet de loi de finances 2018, sur le financement des postes adaptés pour les travailleurs handicapés : « une baisse des aides serait un mauvais signal, alors que, nous, entreprises adaptées, embauchons
Dépasser les capacités de production Si l’indice d’un retour de la croissance était une odeur, celle-ci pourrait être celle des banquettes en cuir, fabriquées par Scopema, une Scop d’Oradour-sur-Vayres (Haute-Vienne). Pour ce marché de niche (banquettes pour
« On peut être optimiste sur le maintien de la croissance en France » Mathieu Plane, directeur adjoint de l’OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques), Département Analyse et prévision
Mathieu Plane
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fortement. Nous venons de créer 15 nouveaux postes. Un retour en arrière serait dommageable… »
Est-ce que vous confirmez qu’on constate bel et bien une reprise de la croissance ? Oui, mais on attendait qu’elle arrive plus tôt, après la crise de 2008/2009 et la rechute de l’activité en 2012. En 2015, on avait déjà un alignement des planètes (baisse du prix du pétrole, dépréciation de la monnaie, politiques budgétaires orientées vers la croissance) et on avait aussi des indicateurs positifs venant des entreprises (reprise de l’investissement
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)Dossier(
Ceicom, Scop SA toulousaine évoque une croissance régulière.
des camping-cars), tout est fabriqué sur place. Si la société se porte bien (les deux dernières années, les 47 salariés ont pu toucher jusqu’à neuf mois de salaire en participation), il n’en a pas toujours été ainsi. « Comme beaucoup d’entreprises, nous avons subi la crise de 2008/2009, se rappelle Gilles Ribette, PDG de Scopema. Nous avons perdu un quart de notre chiffre d’affaires, que nous avons compensé par des exportations, qui constituent maintenant 80 %
de notre chiffre d’affaires. Depuis deux ans, ces nouveaux clients, nous les avons gardés et les anciens sont revenus. A tel point que cette année, notre croissance est limitée par nos capacités de production. » C’est pourquoi, en Limousin également, le conseil d’administration de la Scop a décidé d’agrandir le bâtiment pour conserver son avance et accueillir de nouveaux salariés (déjà une vingtaine sont arrivés en deux ans). Comme ces trois entreprises du secteur
industriel, les coopératives d’autres secteurs ont aussi connu une forte croissance dans les derniers mois. À l’heure de dresser un panorama de ces dernières années, Isabelle Brasquiès, directrice administrative et financière de Ceicom, Scop SA à Toulouse, évoque plutôt une croissance régulière : « Nous n’avons pas vraiment connu de crise post2008. Dans l’informatique et l’édition de logiciels professionnels, des besoins nouveaux continuent d’apparaître sans
productif, création d’emplois dans le privé), mais la croissance restait bloquée à 1 % en France. S’il a fallu attendre 2017 pour constater cette croissance, c’est seulement parce que dans les deux années précédentes, celle-ci s’est évaporée dans le commerce extérieur.
marges et rétablissent leur situation financière. Leurs taux de marge sont historiquement élevés, mais n’ont pas encore généré toute la croissance attendue. Tous secteurs confondus, les entreprises recommencent seulement à investir. Ce qui rend donc optimiste pour 2018, qui devrait voir, selon les prévisions de l’OFCE, un taux de croissance d’1,8 %, analogue à celui de cette année.
Comment les Pouvoirs publics ont-ils encouragé cette croissance ? Sous le précédent quinquennat, c’était au travers du fameux choc de l’offre, symbolisée par le CICE (Crédit d’impôt compétitivité emploi), qui va perdurer l’an prochain au travers d’un allègement des charges. Aujourd’hui, la fiscalité du capital va baisser (ce qui ne concerne pas globalement les coopératives), mais il n’y a pas vraiment de problème de financement pour les entreprises. Les
Qu’a-t-il fallu pour que la situation s’améliore aujourd’hui ? Il a fallu attendre que les entreprises exportatrices redressent leurs
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)Dossier(
Toute l’équipe de SET, équipementier pour les semi-conducteurs possède une grande réactivité dans cette période.
lien avec la conjoncture. Mais il est vrai que depuis l’an dernier, on constate un fort investissement de nos clients (grossistes du négoce) pour tous nos produits et services (hébergement, cloud, logiciels de gestion). Nous avons aussi l’avantage de leur proposer des services sur la durée, le statut Scop choisi par nous en 2011, pouvant être pour eux une garantie en ce sens : les entreprises n’aiment pas changer tout le temps de système informatique ! »
Des portefeuilles clients bien garnis Car il semble bien que les coopératives aient des atouts pour accompagner la croissance. De son côté Pascal Metzger, PDG de SET, équipementier pour les semi-conducteurs à Saint-Jeoire-enFaucigny (Haute-Savoie) pointe un autre atout à l’heure où l’économie redémarre pour les marchés de niches et où il faut être réactif. « Dans une Scop, un statut que nous avons choisi il y a 5
ans après un redressement, explique-til, nous ne dépendons pas d’actionnaires extérieurs qui ralentissent les prises de décision. Les circuits courts sont bénéfiques pour l’entreprise. » C’est d’autant plus important dans une filière soumise à des cycles et des sauts technologiques. Faute de diversification, l’ancienne entreprise SET avait pâti de l’éclatement de la bulle Internet en 2002-2004. Pascal Metzger a fait un choix inverse de compter un portefeuille de clients
entreprises devraient donc poursuivre leurs politiques d’investissement pour augmenter leurs capacités de production, car au deuxième semestre, la reprise est si vive qu’on sature vite ces capacités. Il faut dire que dans la période de crise précédente, on avait perdu beaucoup de capacités de production, avec des fermetures de sites et des réductions de voilure…
en phase de reprise. Mais à l’OFCE, nous attirons l’attention sur des freins possibles à la croissance. En premier lieu, l’investissement public, qui est à son plus bas niveau depuis 1952, malgré l’annonce d’un grand plan d’investissement de 57 milliards d’euros ; de moindres investissements des collectivités locales peuvent avoir un effet négatif sur les carnets de commandes et sur la croissance potentielle future, en particulier des entreprises de proximité, comme les coopératives.
Cette croissance va-t-elle générer de l’emploi ? Nous pointons le fait que le taux de chômage va baisser, mais moins qu’il était attendu en 2018, à cause de la stagnation des emplois aidés et de l’arrêt de certains dispositifs, comme les aides à l’embauche. La croissance est moins riche en emplois. On estime même à 30 % la possibilité que le chômage ne baisse pas…
La croissance est-elle durable ? Oui, parce qu’elle s’inscrit dans un contexte européen favorable : la plupart des pays de la zone euro sont
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Propos recueillis par Éric Larpin
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)Dossier( le faire et où Nice s’apprête à la même politique. »
La reprise tombe à pic pour Aprobois et sa Pdg Karine Mahé qui vient d’investir dans une nouvelle unité de production.
variés (y compris à l’international, qui représente 90 % du CA de SET), qui lui donne aujourd’hui de la visibilité dans ses commandes sur plus d’un an ! Comme les palettes en bois, le nombre de colis en augmentation pourrait être un « indicateur avancé » de la reprise, dans le jargon des économistes. Avec 4 000 colis-jour, AlternMobil, une Scic toulousaine s’est mise en ordre de marche pour répondre à la croissance d’un marché (le dernier kilomètre des
centres-villes) que les grandes entreprises de messagerie continuent de concéder. « Nous sommes aussi positionnés comme des transporteurs écologiques en vélos, précise Cyril Marcerou, gérant d’AlternMobil. Notre croissance est donc aussi due au contexte de lutte contre la pollution. Nous sommes mieux disant que nos concurrents sur le volet environnemental, au moment où Toulouse a interdit les véhicules thermiques de marchandises, où Montpellier vient de
Investir pour anticiper AlternMobil a fait le choix de développer des établissements secondaires dans toutes ces villes, avec déjà une quarantaine de salariés. « Le marché est mûr, poursuit Cyril Marcerou. Il faut qu’on réponde vite à des offres globales. C’est un avantage d’être en coopérative face à des auto-entrepreneurs. » Et les financeurs suivent : Bpifrance, Socoden et France active pour une première levée de fonds il y a deux ans, et aujourd’hui, Wiseed, Macif Investissement et le Comptoir de l’innovation, pour une deuxième levée de fonds dédiée à l’essaimage. Pour Philippe Millon, directeur général de CEFF à Compiègne (Oise), Scop d’électricité industrielle, « l’entreprise a connu de longues années d’augmentation du chiffre d’affaires. Désormais, on augmente nos marges. Nous faisons de la croissance externe avec un rachat d’entreprise il y a douze ans et un autre l’an dernier (240 salariés au total). Nous voir en croissance rassure nos clients, car ils voient qu’on avance. De notre côté, cela nous permet de leur offrir une offre globale dans un secteur, celui du BTP, qui tire le reste de l’économie ». Et il n’est pas le seul ! L’aéronautique en particulier joue aussi ce rôle de moteur de l’économie. Il est facile de s’en rendre compte pour les trente salariés de SEFI, une Scop de Tarnos (Landes), qui font l’assemblage de pièces qu’ils ont usinés chez leurs clients. « Le secteur est reparti en croissance, se félicite Bruno Abane, PDG de SEFI. Alors que notre début d’année était un peu contracyclique, notre carnet de commandes auprès de grands donneurs d’ordre s’est bien rempli. » Si le chiffre d’affaires de SEFI augmente tous les ans, c’est, comme de nombreuses coopératives, qu’ils ont été en capacité d’investir, au moins 200 000 euros par exercice. L’investissement et l’anticipation semblent bien les deux clés pour continuer à entendre longtemps le son des presses de l’industrie, à scier des palettes de bois ou à sentir les odeurs du cuir. Éric Larpin
SEFI, un carnet de commandes de grands donneurs d’ordre en pleine croissance.
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