Responsabilité professionnelle - Terrains minés

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et de 8 heures à minuit aux autres salariés, laissant supposer qu’il est possible de dépasser en une écoute la tourmente dans laquelle le télétravail les avait plongés. Cette forme de prise en charge pourrait s’imposer demain. Dans une lettre adressée en avril dernier au Premier ministre et au ministre de la Santé, les plus grandes associations professionnelles de psychologues du travail n’ont pas seulement dénoncé le bénévolat exigé de leurs collègues se proposant d’exercer sur ces plateformes d’écoute – un statut niant, à leurs yeux, leur travail et leur qualification, et passant un peu trop vite sous silence le manque criant de moyens alloués au service public de santé –, elles ont aussi souligné les risques que faisait craindre une telle initiative quant à une « déprofessionalisation de l’écoute » : la réduction de sa fonction à une « problématique individuelle, intime, décontextualisée de la situation de travail », comme l’a précisé l’association Penser ensemble le travail.

Ce que le bénévolat pourrait signifier

Nul ne le contestera : en ce printemps 2021, la santé psychique au travail est une question reconnue de tous. Mais cela ne suffit pas à rassurer ses intervenants. Comme le souligne l’une des leurs, Sylvaine Perragin, dans un livre paru en 2019, la souffrance au travail est devenue un « business » lucratif. De 2017 à 2019, c’est-à-dire avant même que la crise sanitaire n’advienne, le marché du conseil en la matière a crû de 10,5 %. Par ses solutions toutes faites pour troquer stress, mal-être et souffrance au travail contre « bien-être » et « bonheur » pour tous, il séduit de plus en plus de responsables du personnel. Et le phénomène pourrait encore s’aggraver. La facilité est toujours plus tentante que la complexité, se centrer sur les individus plus facile que se pencher sur les « causalités relatives à l’organisation du travail », explique son auteur. La psychologie du travail s’annonce-t-elle comme « la prochaine martingale » sur laquelle pourraient se jeter les entreprises pour colmater les brèches sans renoncer en rien à leur folle course à la performance ? C’est la crainte de Frédéric Conti. Mais le pire n’est pas certain. Comme l’épidémie a démontré que l’on ne peut jamais tout prévoir, ajoute-t-il, elle pourrait prouver l’importance de la prise en compte du travail aussi bien pour l’individu que pour la société. Démontrer que « l’optimum est bien préférable au maximum ». Martine HASSOUN 34

MÉDECINE DU TRAVAIL En toute transparence ? Désormais, les salariés devront dire si, oui ou non, ils acceptent qu’un médecin accède à leurs données médicales personnelles. Enjeu.

Vincent VOEGTLIN/maxppp

Le projet de loi sur la santé au travail, voté mi-février à l’Assemblée nationale, devrait entrer en vigueur au plus tard le 31 mars. Il consigne les limites de l’accord interprofessionnel « Santé au travail » sur lequel patronat et syndicats, Cgt exceptée, se sont accordés en décembre. Mais il introduit aussi des dispositions que l’Ani n’avait pas consignées, comme l’abolition du principe de non-accessibilité du dossier médical partagé par les médecins du travail. La raison en était simple, rappelle le quotidien juridique Liaisons sociales : une majorité d’organisations syndicales s’était opposée à une telle réforme. Demain donc, l’échange d’informations entre la médecine du travail et celle de ville sera possible. L’affaire est grave. Dans une tribune parue le 26 janvier dans le trimestriel Santé et Travail, Mélissa Ménétrier et Christian Torrès (médecins du travail) et Frank Héas (professeur de droit privé) s’en inquiètent vivement. Cette réforme, expliquent-ils, fait voler en éclats un principe fondamental : le caractère inviolable du secret médical. Un principe édicté dans le Code de la santé publique, et fondé sur une idée toute simple : « Il ne peut y avoir pas de soins sans confidences, de confidences sans confiance et de confiance sans secret. » À l’avenir, insistent les trois experts, les patients pourraient ne plus oser se confier à leur généraliste s’ils craignent que leurs données de santé puissent être communiquées au médecin du travail. Ce praticien, rappellent-ils, n’en est pas un comme les autres. S’il a pour fonction de prévenir les risques, il a aussi pour tâche de délivrer des avis d’inaptitude. Autrement dit, d’autoriser ou non la poursuite du contrat de travail. Et puis, comment ne pas craindre que cette porosité des données n’engendre une autre dérive : si ce n’est le développement d’une sélection à l’embauche des salariés fondée sur leur profil médical, un accroissement des discriminations dans les processus d’évolution de carrière, poursuit la Cgt dans une note rédigée par son secteur Santé-Travail. Le risque est tel que députés et sénateurs ont admis devoir fixer quelques garde-fous à cette réforme : n’autoriser le transfert de données du médecin traitant vers le médecin du travail qu’à la condition que le salarié ait été informé de cette éventualité, et qu’il ait donné son consentement. Spécifiant précisément qu’un refus ne pouvait être considéré comme une faute… M. H. OPTIONS N° 665 / mars 2021


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