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Le Covid, ou l’invention d’un autre universel Émeline Baudet Doctorante à l’Université de la Sorbonne Chargée de recherches à l’Agence Française de Développement Campus de la Transition
Le coronavirus semble avoir réussi là où nombre de politiques, d’associations, d’initiatives portées par des militant.e.s engagé.e.s depuis des années ont échoué : unir l’ensemble de la population mondiale dans une lutte commune contre un fléau qui s’attaque à tous, sans discrimination de classe ni de nationalité. Cela nous rappelle que, paradoxalement, le changement climatique, qui aura un impact bien plus dramatique humainement et écologiquement, peine toujours à mobiliser autant d’efforts.
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foi65 juin-juillet-août 2020
Est-ce parce que le virus s’attaque à nous de manière bien plus immédiate et personnelle, tandis que les effets des bouleversements écologiques tardent à se faire sentir, du moins en Occident ? Mais dans ces deux types de lutte, une réponse internationale, forte et multidimensionnelle est nécessaire, si l’on veut éviter de dépasser des seuils qui rendraient tout retour à la « normale » impossible. Mais, si l’origine du coronavirus suscite encore des débats, les réponses qu’on lui apporte pourraient toutefois bien tenir lieu de répétition générale dans la lutte qui doit être la nôtre contre les dérives écologiques actuelles. Le Covid, révélateur de l’ère anthropocène Le coronavirus n’est pas né par hasard. La thèse de l’émergence d’un virus transmissible à l’homme à partir d’animaux sauvages avait été énoncée dès 2012 par
une équipe de chercheurs américains. Ils avaient averti dans le New York Times que le braconnage accru, la destruction progressive des écosystèmes et l’inévitable rapprochement vers les espaces humains qui en résulte pouvaient mener à des maladies nouvelles et rapidement évolutives (zoonoses). Les ravages infligés aux espaces naturels à cause des activités humaines finissent par se retourner contre ces dernières. La déforestation, l’épuisement des ressources en eau, la stérilisation progressive des sols à cause de pratiques agricoles intensives, le changement climatique et le déplacement des gradients de température qu’il provoque, tout cela conduit à bouleverser les milieux de vie de milliers d’espèces animales. Or ces ruptures dans les espaces impliquent une remise en cause des frontières « naturelles » entre êtres vivants, humains et non-humains, qui finit par porter préjudice à tous.