Carlo scarpa

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un tuyau a ici une petite frise. C’est important, parce que tout de suite, il a une signification, il est signifiant. Si on l’imagine plus grand il pourrait devenir une colonne type Le Corbusier, une descente d’eau seulement. Mais il est difficile de créer des formes nouvelles si un tuyau d’écoulement des eaux est suffisant comme soutien. Alors comment pourra t-il devenir forme conquise, sinon par des connaissances techniques de structures et d’applications même de technologies nouvelles, différentes de la tradition récente qui est plutôt pauvre. Une phrase célèbre de Leon Baptiste Alberti dit que les composantes de l’architecture sont trois : la beauté, la structure et l’économie. L’économie, comme l’entend Alberti, n’est pas l’économie moderne mais : une cohérence, « l’union formelle » de l’architecture du passé qui ne permet aucune suppression ; il faut alors accepter la forme comme elle est. En conclusion on pourrait dire, comme un slogan, que l’architecture doit coûter cher. »

Nous allons premièrement réfléchir sur le sens du lieu en prenant comme exemple précis le pavillon du tombeau et deuxièmement nous essaierons de comprendre que les détails sont des vecteurs à la compréhension de la dimension symbolique.

I. Le sens du lieu, une méditation sur la vie et la mort ! « Mort et naissance ne sont au fond que les deux faces du même changement d’état » Carlo Scarpa.

Le tombeau est le théâtre d’une poétique profonde pour Carlo Scarpa qui reprend de vieilles lectures pour inventer un lieu qui transcende l’idée de la mort, « pour créer un certain type d’architecture d’où émane, peut-être des formes, un sens poétique »! Ainsi

les enterrements deviennent pour Scarpa des cérémonies funèbres et le cimetière un lieu de méditation sur le couple mort/vie. Le pavillon à baldaquin est alors pour l’architecte « la synthèse » du tombeau. Nous allons maintenant voir les thèmes abordés par Scarpa dans ce lieu pour essayer de comprendre la complexité qui en émane.

La question du temps ! !!Le temps qui s’écoule et un thème prépondérant dans ce travail. En effet, le pavillon n’est autre que le lieu du tombeau qui permet la méditation sur la question du temps qui passe.

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L’involucre qui se trouve au cimetière est recouvert de mélèze avec incrustations d’ébène. Les planches, petites, sont clouées à une surface continue qui se trouve en dessous d’elles et juxtaposées de façon à rappeler les motifs graphiques de Paul Klee. La tonalité grise acquise par le bois après plusieurs années d’exposition avait été prévue et, en fait, a constitué un facteur

déterminant pour Scarpa. Des

panneaux de rabattement recouverts de laque verte qui se détériore avec le temps et rentrant par rapport au revêtement filtrent jusqu’à hauteur d’œil la vision du visiteur qui s’attarde sur la plate-forme afin d’y méditer. On est ici dans un monde intermédiaire entre la vie et la mort et la matérialité du lieu nous le rappelle. Carlo Scarpa est un génie des matériaux, et il sait pertinemment que ce lieu vieilli et cela est parfaitement maîtrisé. « (…) Et qui, si le temps le permet aussi, deviendra meilleur »."

Le pavillon, lieu des Nymphes !

! La symbolique de l’île est très importante dans ce lieu. Scarpa aime le jeu de la référence et il semble que lorsqu’il dessine le pavillon et qu’il esquisse des corps de femmes nues, il fait référence à des nymphes. Rappelons l’épisode dans l’Iliade et l’odyssée où l’on découvre Calypso (fille d’Atlas, Nymphe et reine de l'île d'Ogygie), qui sur l’île de Ogygie médite sur l’éternité et qui amoureuse de Ulysse, lui propose de vivre à jamais avec elle. On perçoit dans les dessins de Scarpa, cet univers divinatoire. Et est ce une coïncidence encore si le bassin est dessiné avec des nénuphars (nymphéacées) ? Le symbole de l’île renverrait en fait à cet épisode qui traite de l’éternité. Et ceci transcende l’architecture, rendant possible l’éternité à travers elle et le lieu méditatif.

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Caverne fantastique avec Ulysse et Calypso (1616), Brueghel l’ancien.

" " Dans ce tableau de Brueghel, sont traités les autres symboles du pavillon : l’eau et la caverne. On ne peut pas affirmer que Scarpa a vu ce tableau mais il connaissait très sûrement l’épisode de l’Iliade. Scarpa aimait beaucoup James Joyce. Or, il possédait apparemment Ulysse dans sa bibliothèque. L’hypothèse que l’épisode de Calypso soit réinterprété est plus probable encore. Mais ce qui est intéressant, c’est l’analogie entre le travail de Joyce et de Scarpa sur la réécriture de symboles, de codes ou de mythes grecs comme ici."

" L’eau et la caverne. ! « Au milieu de cette vasque, ornée de plantes lacustres, s’élève un petit pavillon construit en matériaux composites. Sa couverture carrée en bois, soutenue par des montants métalliques abrite une végétation naine. L’île sur laquelle est posée le pavillon offre une vue générale des lieux de sépulture cernés par le long mur incliné, qui évoque une atmosphère de jardin bouddhiste. »

! En embrassant du regard cet ensemble, le symbole annoncé par le tempietto s’éclaircit et s’enrichit d’attributs nouveaux et de solutions plus recherchées. C’est

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dans la vasque qui entoure le pavillon de la méditation que se situe le premier élément symbolique soulignant l’importance de l’eau dans l’allégorie de l’œuvre. Il s’agit d’une pierre composite en forme de croix, qui semble posée à fleur d’eau. Elle est une réitération d’une solution typique de l’architecture scarpienne expliquée dans des projets antérieurs. Cette

réitération peut maintenant être expliquée à

partir du symbolisme de la caverne.

L’association de la pierre a une forme de labyrinthe est traditionnelle et trouve sa justification dans la racine grecque commune aux deux mots, là, d’où sont issus les termes Labris et Laos. Cette association implique la relation entre le labyrinthe et la caverne, avec l’antre primordial creusé dans le rocher. La caverne renferme le lieu de passage où se manifeste la coïncidence de la vie et de la mort, coïncidence que la tradition orientale nous fait retrouver avec un sens assez semblable dans l’accouplement de la pierre et de l’eau. Pour l’art oriental, la pierre baignée par l’eau exprime la naissance du mystère de la vie. Ce mystère est constamment rappelé dans la tombe Brion, non seulement par l’évolution du labyrinthe de pierre, mais aussi par la présence constante de l’eau, confirmant la disposition et dans le dessin des chemins par rapport aux éléments architecturaux de la tombe. Significativement, l’eau coule vers le grand bassin, affleurant du même terrain sur lequel sont posés les sarcophages protégés par l’arcosolium. Surgissant du lieu de la mort, l’eau entoure l’ile de la méditation sur laquelle s’érige le pavillon que Scarpa a dessiné en l’imaginant fréquenté par les formes arrondies des corps de jeunes femmes. L’élément liquide soude ainsi les images du début et de la fin. Représentant la coïncidence du premier et du dernier.

L’eau

est

l ‘élément

de

méditation

symbolique

de

tous

les

composants

architectoniques. Elle a aussi pour fonction de protéger l’architecture, ritualisant la consistance de la matière. Le thème décoratif unifiant les parties architecturales de la tombe, c’est à dire la corniche moulurée, s’insinue également au-dessous du niveau de l’eau entourant le tempietto. Les racines que l’architecture enfonce dans le terrain apparaissent à peines voilées par la transparence. Ces racines sont rendues visibles et en même temps protégées par l’eau. Reproduisant presque un rite lointain, l’architecte semble vouloir confier à l’eau la protection des fondations

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de l’édifice et le vouer à une divinité maternelle protectrice des choses contre le temps.

La tombe Brion est l’œuvre dans laquelle Scarpa a prodigué toutes ses découvertes et sur lesquelles il a médité sans cesse. En façonnant cette construction symbolique inépuisable, il saisit l’extraordinaire occasion qui lui est offerte, car il semble être conscient que c’est « toujours en tant que tombe que s’élabore la culture. La tombe n’est autre que le premier monument humain érigé autour de la victime expiatoire, le berceau primitif des significations, le plus élémentaire et fondamental. Il n’est pas de culture sans tombe, il n’est pas de tombe sans culture ; la tombe est, à la limite, le premier et l’unique symbole culturel. #" "

Le cercueil ! Cet endroit est particulier, nous l’avons vu, chargé de symboles mêlant la mort, la vie. Cette question de la médiation vitale est mise en exergue lorsque Scarpa nous emmène dessous son pavillon. Le lieu est dessiné comme un cercueil retourné, les matériaux le prouvent (bois). On serait obligé de se baisser si l’architecte n’avait pas opéré des encoches dans la partie basse. La première encoche laisse le passage des épaules et internalise la visiteur, le plaçant sous la question méditative et la deuxième encoche rappelle l’axe que nous avons décrit tout à l’heure (du pavillon à l’arcosolium), tout en reprenant le motif des anneaux entremêlés.

Ainsi, le questionnement continue, le visiteur est entre la vie et la mort, entre la terre soulevée et la métaphore du cercueil, entre l’eau, la pierre, mais jamais proche du ciel qui n’est pas cherché pas le reflet puisque les plantes sont présentent et cachent la vue vers les cieux ce qui prouve que l’éternité s’atteint par l’architecture seulement et non plus avec l’accession vers ceux-ci.

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II. Le détail, vecteur de la compréhension symbolique L’architecture, c’est la relation qui existe entre le fragment et l’ensemble, entre le détail et l’invisible unité du projet.

« Le but essentiel du post-modern est de redonner à l’architecture sa dimension figurative. C’est le commun dénominateur qui réunit aujourd’hui les tendances les plus disparates ; il faut faire une architecture intelligible, c’est à dire humaine, au sens propre du terme. »

Cette phrase de G.Norberg Schulz est représentative de l’authenticité recherchée par Scarpa et résume parfaitement l’idée que le détail dans son l’architecture répond à l’ensemble figuratif. C’est l’économie d’Alberti dont il parle dans sa conférence de Vienne. C’est l’union formelle qui ne permet aucune suppression.

Nous allons maintenant reprendre les points abordés dans la partie précédente et tenter d’expliquer par le dessin et l’écriture la portée symbolique insufflée par le détail à l’ensemble architectural.

! La question du temps ! La mise en œuvre de la matière est ici le garant de la profonde symbolique du lieu. En effet, il est difficile de séparer la question du détail et de la matière. Les deux sont intimement liés. Le travail de la matière qui se dégrade avec le temps est un détail en soi. C’est la liaison non formelle entre le présent, le passé et le futur, un autre lieu de la discontinuité. L’important c’est que ce travail sur la matière est une pensée qui englobe le projet et tous ces aspects qui le constitue, c’est à dire la réflexion sur le temps qui passe, la mort et la vie.

! Le pavillon, lieu des nymphes Le détail doit dans cette problématique répondre à la figure de l’île que représente le pavillon. Les deux points notables sont le joint entre la passerelle et l’île ainsi que le vide entre la dalle du pavillon et l’eau.

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Le joint entre l’île et la passerelle est un vide mais sa lisibilité renforce l’idée principale que lorsque l’on franchit d’un pas cette séparation, on se trouve sur un objet isolé. L’image est fortement symbolique car cet écart entre les deux parties de béton n’était pas nécessaire au bon maintien de l’ensemble, or cela satisfait l’idée globale, c’est cela qui importe à Scarpa. Tout comme le détail du vide pensé entre la dalle fine de béton du pavillon et l’eau qui une fois de plus répond à l’envie de marquer une séparation de l’île par rapport au reste.

! L’eau et la caverne Les dessins du soutènement du pavillon sont nombreux. Dans ceux-ci on remarque que le niveau de l’eau est finement maîtrisé. Or, le bassin est artificiel, cela implique un grand travail sur ce qui est immergé et émergé. Scarpa a choisi d’enfoncer les pieds de poteaux dans l’eau, à un niveau ou ceux-ci seront vus, effleurant le « pelo acqua », le niveaux de l’eau (inscription se retrouvant systématiquement sur les dessins.). Carlo Scarpa aurait pu décaler ces poteaux pour les interner sur l’île et donc les enfouir dans une masse de béton. Deux raisons précisent le choix du détail. Tout d’abord, l’élément veut être montré, on doit pouvoir voir que les racines de l’architecture s’enfoncent dans l’eau qui les protège et la nourrie sans cesse. Et on doit pouvoir comprendre le changement d’élément, par un changement de matière. Le passage d’un état à un autre comme le dit Scarpa. La matière change d’aspect, on passe du béton au fer refoulé des poteaux. Le détail est savant et constitue la deuxième raison ; les matières s’imbriquent et communiquent pour transmettre quelque chose de symbolique et non plus simplement des charges mécaniques. Au centre de cette imbrication se retrouve le nœud qui va lier les changements d’état (tube plein en métal de Müntz) qui joue le rôle d’annulaire, symbole de passage de la vie vers la mort.

L’eau est bien le lieu de la théâtralisation. On a vu avant la première partie le désir de liaison entre l’arcosolium et le pavillon. Mais en fait le désir de lier les parties pour former un tout se révèle dans un détail très probant : le motif 5,5 X 5,5 cm. Ce motif de moulure, que l’on retrouve dans le micro - emmarchement qui est plongé dans

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l’eau, régit la conception globale du tombeau Brion. C’est un

point de repère

géométrique, sûrement visuellement inconscient.

Le cercueil ! « Il me semble intéressant au contraire, de prendre des profils et de les composer. Les nouvelles jonctions révèlent la structure de l’élément et les nouvelles fonctions. » Scarpa.

Classiquement lorsque un poteau reprend une charge verticale, son dessin est en adéquation avec sa fonction première, c’est à dire qu’il sera vertical et sans cassure dans sa longueur. Or, pour Scarpa le poteau dépasse cette fonction primordiale. Il doit exprimer une idée. Ici, l’idée est que le visiteur doit se sentir interner par le cercueil qui se trouve au dessus de sa tête. Et pour accentuer cela, l’architecte effectue un glissement de deux poteaux qui se rejoignent en leur milieu. L’effet cherché est que le décalage crée une dynamique, comme si à tout moment on pourrait mourir, être enterré debout (idée chère à Scarpa).

En outre, on peut voir que les extrémités de chaque segment sont coiffées d’un motif symbolique en métal de Müntz, sorte de demi-shère polie d’une hauteur de 5,5 cm, qui peut rappeler les motifs circulaires utilisés pour symboliser les amants qui se conjuguent.

Conclusion ! !L’architecture de Scarpa fait penser à une horloge. De la mécanique complexe à la poétique du temps, tout n’est que question de travail de précision et de métaphores.!

! « Pour revenir au petit travail assez récent que j’ai fait et que j’estime assez bon, si vous me le permettez, et qui, si le temps le permet aussi, deviendra meilleur, j’ai cherché à y mettre, comment pourrait-on dire, de la fantaisie poétique, si vous voulez. Mais pas pour faire de l’architecture poétique, non, simplement pour créer un certain type d’architecture d’où émane, peut-être des formes, un sens poétique. Les formes exprimées peuvent devenir poésie. » Carlo Scarpa

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Le pavillon à Baldequin et l’axe de l’arcosolium


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