Urbaphobie

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Couverture : Makoto Sasaki, Tokyo Layers n째19,photographie 2011



Introduction Faire une architecture c’est projeter une idée. Cette idée provient de moi, je la porte parce que je suis fait de connaissances, de sentiments, de choses qui me constituent. Le but de ce rapport de licence était de comprendre mes choix architecturaux lorsqu’il m’a été demandé de travailler sur l’habitat en zone urbaine (j’ai fait trois projets d’habitations urbaines). Ces choix, je les ai faits car je ressens que la grande ville est complexe à vivre pour l’humain. Ma première posture a été de conduire l’habitant à rejeter l’environnement de la rue et de laisser ce dernier percevoir de l’extérieur seulement quelques éléments. Ma seconde posture a été de constituer des filtres entre la rue et l’intérieur pour transformer la fenêtre perméable aux nuisances en une épaisseur significative capable de transfigurer la réalité extérieure. Dans les deux cas, l’habitat devait être capable de répondre au besoin vital du retour sur soi. Il devait recentrer le demeurant dans un contexte écarté de la complexité (notamment sensorielle) de la grande ville. Il me semble alors que lorsque l’on prend des décisions telles, c’est que l’on est directement influencé par son environnement et sa vie quand on dessine. Pour moi, qui ne suis un Parisien que depuis 3 ans, j’ai dû apprendre à composer avec ma nouvelle vie. J’ai découvert la promiscuité, l’agression via les sens avec par exemple la gestion du vis-à-vis, du bruit. Ces termes sont peut être un peu forts mais sont soumis à bon nombre de citadins, « esclaves de l’instinct grégaire »1, pour reprendre les mots de Franck Lloyd Wright. Pour nourrir ces réflexions, j’ai donc pris comme exemple mon expérience personnelle à travers l’exercice du projet, mes lectures. De plus, j’ai étudié certains projets de Tadao Ando, qui a été largement préoccupé par la question d’habitat en ville. Et pour finir je voulais parler de Lacaton et Vassal, qui dans leur architecture, placent la qualité de l’habitat au centre de leurs questionnements.

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In L’urbanisme, Utopies et réalités, Françoise Choay, p.298

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Ainsi, en premier lieu, je définirai la nocivité de la ville, notion que je déclinerai en deux sous-parties. Tout d’abord je parlerai d’urbaphobie, terme englobant les phénomènes de rejet de l’urbain, puis j’expliquerai la notion de rapport affectif à la ville. Dans un second temps, je parlerai de l’architecture de Tadao Ando et de Lacaton, Vassal et Druot, architectes Japonais puis Français qui travaillent sur la notion de « havre urbain ». Et enfin, je parlerai des projets que j’ai effectués durant mes premières expériences d’architecture et surtout de mes lectures qui m’ont influencé et guidé dans mes intuitions en ce qui concerne l’habitat en ville.

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I. De la perception négative de la ville I.1 L’antiurbanisme Nombres de penseurs, d’architectes ont considéré la ville comme néfaste, productrice de maux. La ville, comme rassemblement composite d’humains produit un mélange, la confrontation de population et s’écarte du système rural et communautaire où l’individu est reconnu, connu, au centre de la vie sociale. La vie sociale se transforme dans les mégalopoles, l’Homme s’y perd et n’existe qu’à travers le prisme de la masse. Quand Franck Lloyd Wright projette son Utopie Broadacre city (figure 1), il se base sur le constat que l’Homme actuel dans la grande ville est miséreux, pour reprendre le titre du chapitre de Françoise Choay dans L’urbanisme, Utopies et réalités. Il pense ainsi que le citoyen ‘’urbanifié’’ est soumis à « une agitation perpétuelle (qui) l’excite, le dérobe à la méditation et à la réflexion plus profondes qui furent les siennes lorsqu’il vivait et se mouvait sous un ciel pur, dans la verdure dont il était, de naissance, le compagnon »1. On perd en ville le lien étroit que l’Homme autrefois avait tissé avec la Nature, comme le déplore Rousseau lors de ses séjours qu’il effectue en Suisse, terre de l’antiurbanisme. La bible apporte d’autres éléments de réponse à cette vision néfaste de la ville. Par exemple, pensons à l’épisode de Sodome et Gomorrhe (figure 2), villes mentionnées dans la genèse. Celles-ci représentant le péché ont été détruites par la colère de Dieu. La métaphore, très puissante, indique que la ville dans ce qu’elle représente de plus mauvais est soumise à la morale et au geste divin qui condamne. Pensons aussi à l’épisode de Caïn qui tue son frère Abel et qui est soumis à l’errance dans le pays de Nod. Il y devient bâtisseur de ville, ‘ir’ en hébreux, qui signifie l’éveil. Ainsi naît l’idée de la ville berceau de l’éducation, du savoir et de la fraternité mais aussi l’idée de la guerre. Voilà le paradoxe de la ville qui attire, lieu de savoir, mais aussi qui est productrice de terreur et de destruction de l’être humain. Ce paradoxe nourrit le XIXème siècle durant la période de la révolution industrielle occidentale, qui a vu le prolétariat souffrir des débuts de l’urbanisation de masse. En 1

In L’urbanisme, Utopies et réalités, Françoise Choay, p.299.

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Figure 1

: Broadacre city, 1934-1958, Franck Lloyd Wright (source : L’architecture moderne, Kenneth Frampton, p190)

Figure 2 : Figure The destruction of Sodom and Gomorrah, 1852, John Martin (source : wikipĂŠdia)


effet, la ville est attractive face à l’exode rural et en même temps devient l’endroit le plus infâme à vivre. Elle fabrique le logement insalubre, la promiscuité, les maladies prolifératives comme la tuberculose… Pour la première fois, l'entassement urbain du prolétariat marque la rupture entre l'homme et la nature. L’urbanisation apparaît alors au XIXème siècle en tant que phénomène décrivant la suprématie de la ville par rapport à la campagne. Le tissu urbain se transforme et les nouveaux moyens de transports réorganisent l’espace. Nous assistons à une rationalisation des voies de communication (grandes artères et voies de chemin de fer) qui transpercent la ville, la divisant en secteurs urbains spécialisés (quartiers d'habitations, quartiers d'affaires...) pendant que prennent naissance de nouveaux organes urbains (gares, grands magasins, palais d'exposition...). Peu à peu la ville se laisse envahir par la machine et la pollution, agents de destruction qui la transforment bientôt en une Cité carbonifère insalubre : c’est le début de l’ère machiniste. L’urbaphobie, pour Joëlle Salomon, c’est cela : « un système de croyances, un système d’idées hostiles à la ville et qui a la capacité d’orienter les pratiques, les comportements. Il s’agit d’une condamnation de la ville qui s’articule autour d’une opposition entre la ville et la campagne ou la nature est jugée meilleure »1. Le XIXème siècle marque évidemment un point de départ significatif dans cette rupture entre la façon de vivre des mondes ruraux et urbains. Le livre L’Antiurbain réunit de nombreuses

pensées,

de

nombreux

exemples

décrivant

le

phénomène

d’urbaphobie. De la Suisse à la France, en passant par les Amériques, les auteurs s’entendent à décrire des faits marquants dans l’histoire de la condamnation des villes. Cette énumération de faits n’a pas pour but d’être exhaustive mais se veut seulement représentative de la vision d’un imaginaire collectif qui voit la ville et peut être plus précisément la mégalopole comme étant invivable, ségréguée où l’individu peine à trouver sa place. Ce n’est d’ailleurs pas une idée absolue, certains aiment la ville et il s’agit peut être plus de penser que tout cela traite du rapport affectif que l’on a avec elle.

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In antiurbain, Origines et conséquences de l’urbaphobie.

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I.2. Le rapport affectif à la ville. L’expérience personnelle apporterait peut-être autant d’éléments de réponse à la question est-il possible de vivre ici, si oui comment ? Donc lorsqu’un architecte crée un logement en situation urbaine, il est nécessairement submergé par son expérience, par le moi qui prend une part importante dans le projet : est ce que j’ai envie de vivre comme cela ? Le rapport affectif à un quelque chose renvoie au je. Serge Carfantan, dans son livre conscience et connaissance de soi, parle de la nature du sujet conscient. Il explique que le sujet (le je) et l’objet sont un même concept duel. Sans objet il n’y a pas de sujet et inversement. Et que du point de vue de l’expérience, il y a dans le vécu de la vigilance (conscience éveillée de l’objet) une triade, celle du sujet, de l'expérience qui fait le lien et de l’objet. On peut aussi dire observateur-observationobservé. Denis Martouzet oppose les approches individualistes et non individualistes de la ville1. Ainsi, l’urbaphobie comme vision collective peut être analysée à travers les notions de politiques publiques, d’approches spatiales (qu’offre la ville, que n’offre-telle pas ?), etc. Néanmoins, il indique que : « l’expression ‘’rapport affectif à la ville de l’individu’’ n’est pas ou peu utilisée alors qu’elle permet, notamment de dépasser la notion de représentation en évaluant celle-ci, d’englober la notion d’attachement enfin d’affirmer le rapport de soi à soi, l’ipséité »2. Il reprend plus loin : « La géographie des représentations (Paulet, 2002 ; Hoyaux, 2006) postule que le rapport à l’espace de l’individu, son ‘’habiter’’, ne repose pas sur la connaissance de la réalité spatiale mais sur la représentation de l’espace, érigée comme connaissance.

[…] Le rapport affectif à la ville traite du rapport qu’entretien l’individu avec ses propres représentations (idéologiques, sociales...) »3. Le Cogitos ergo sum de Descartes renvoie à l’idée que l’individu est au centre de la construction du savoir et au regard de cela, je ne pourrais que proposer une vision de la ville qui m’est propre et qui influe sur ma façon de penser l’architecture. Ainsi, 1, 2, 3

In Antiurbain, Origines et conséquences de l’rbaphobie. p306, 307.

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j’entretiens un rapport difficile avec la ville qui représente pour moi un endroit où les sens sont pervertis, où le bruit provoque le stress, où l’indifférence règne, où la nature peine à exister et où l’individu se confond dans la masse. Tadao Ando exprime à travers l’architecture une solution brutale déduite de sa représentation de la ville. Cette dernière est basée sur une expérience de cet espace. Dans le film architecte du silence, nous est expliqué que Ando a vu Osaka se transformer à l’heure de la spéculation foncière et a vu la grande ville engloutir les quartiers de son enfance. Il réagit grâce à l’architecture.

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II. A la solution de l’habitat II.1. Tadao Ando et la question de l’habitat Japonais comme solution radicale. Quand Pascal Bertrand parle des maquettes de Tadao Andô il se dit « surpris par un changement d’attitude très nette suivant l’environnement immédiat du bâtiment conçu »1. Il explique ensuite : si le bâtiment se trouve dans un site naturel, chaque élément constitutif de la nature sera représenté, or si ce dernier est localisé dans une ville, seuls les axes circulatoires seront légèrement indiqués par de simples traits. Il ne représente plus le bâti environnant, le contexte n’est pas exprimé. En effet, Ando pense la ville de façon négative et la récuse : « Comme nos cités sont remplies de bâtiments sans vie, je suis devenu particulièrement conscient de la nature mortelle et oppressive de l’environnement dans lequel je vis. »2 Ou bien encore : « La tristesse de notre environnement révèle combien il est vide de sens de s’abandonner et de s’immerger dans ce milieu. »3 Il parle de déviances et d’uniformisation de l’humain : « L’Homme entre dans un cycle ininterrompu, jusqu’à être dominé par l’excès de ses propres désirs. Qu’est ce qui réellement enrichit notre vie personnelle à notre époque ? Il est important de découvrir ce qui est essentiel à la vie de l’homme et de s’interroger sur ce que l’abondance signifie en vérité. »4 Voici la clé de voûte de l’architecture urbaine de Ando, il veut revenir aux fondamentaux de l’être humain et pour cela réintroduire la nature dans l’habitat et faire comme il les appelle « des espaces fermés »5. Vocabulaire de l’architecte est un texte qui nous éclaire sur les intentions principales de Tadao Ando. Il discute de l’utilité du mur d’enceinte « défensif » et raconte que la vraie nature doit pénétrer le cœur (exprimé pas la cour) de l’habitat. La vraie nature c’est la lumière, le vent, la pluie. « L’espace fondamental des émotions »6 (l’habitat) est baigné par celle-ci qui s’introduit pour faire retrouver à l’individu les fondements de la vie que la ville a perdus selon lui.

1, 2, 3, 4 5 6

In la maîtrise de la ville, urbanité française, urbanité nippone, sous la direction d’Augustin Berque, p141.

In Tadao Ando et la question du milieu. P168. Ibid. p168.

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A l’aide d’une géométrie platonicienne très épurée et de matériaux « nus », Ando traite l’habitat de deux façons différentes, selon deux périodes, mais ayant toujours à l’esprit de purifier l’intérieur grâce à la nature organique, « ordonnée par l’être humain »1 où la lumière devient abstraite, ainsi que l’eau et le vent. Les deux périodes sont : les années 70, dont notre exemple sera la maison Azuma (19751976) et les années 80 dont l’exemple sera la maison Kidosaki (1982–1986). On passe alors d’une organisation du plan centripète à centrifuge : les espaces de purifications au centre de la maison dans la maison Azuma sont transférés aux pourtours de la maison Kidosaki qui se confronte donc plus à son environnement que la première. II.1.1. La maison Azuma De la rue, on ne perçoit qu’un mur en béton banché (figure 3), rectangulaire, nous faisant face et une entrée représentée simplement par un percement également rectangulaire, la porte étant plongée dans l’ombre. N’est offert à l’urbain que la sévérité de ce mur. Quand on rentre dans celle-ci, on passe de l’ombre à la lumière, la cour centrale étant la seule source de lumière (figure 4). Le parcours devient rituel, liturgique. On rentre dans le lieu de vie comme dans une église. Au centre, le cœur (figure 5), seul lieu d’arrivée de lumière, là où s’exprime la nature devenue abstraite. C’est aussi l’endroit de la circulation. Pour passer d’une pièce à l’autre, on doit soit emprunter un escalier pour monter à l’étage supérieur, soit prendre une passerelle pour atteindre la deuxième pièce du niveau haut (figure 6). Dans le parcours presque sévère que propose Ando, on comprend son appropriation des concepts de la nature chers aux Japonais : « La cour est le nœud de toute activité existante dans le projet ; elle a pour fonction d’introduire dans le bâtiment les éléments naturels tels que la lumière, le vent et la pluie. Elle doit permettre de sensibiliser les occupants à la nature. » 2 (figure 7).

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Lieu, géométrie, nature, art. Citation. cit, In Tadao Ando, Kajima Publishing, Tôkyo, 1981, p115.

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Figure 3 : Maison Azuma, Tadao Ando (source : www.ananasamiami.com)

Figure 5 : La cour centrale, coeur puriTadao et la question du milieu, p105)

Figure 6 : Le dispositif de fermeture pour crĂŠer un halo de paix (source : Tadao et la question du milieu, p105)

Figure 7 : Maison Azuma, sous la pluie, Tadao Ando (source : ibid)

Figure 4 : la cour intĂŠrieure, Tadao Ando (source : ibid)


De plus, les concepts ma, oku et en, nous renseignent sur la conception de l’espace japonais, très différente du notre. Grossièrement, le ma est l’intervalle, l’oku est le lieu situé profondément dans l’intérieur des choses et le en, l’espace tampon qui exprime la possibilité de coexistence d’éléments contraires (cf. annexe). Ando a intégré ceux-ci, car culturels. Et voici ce qui nous intéresse dans la résolution de la problématique : Ando fabrique une intériorité très forte, plaçant l’humain entre quatre murs de bétons bruts qui permettent de concentrer son discours sur la matière abstraite de l’architecture et de replacer l’individu au centre de la question de l’habitat. II.2.2 La maison Kidosaki L’architecte du silence1 présente entre autres la maison Kidosaki qui se trouve a Tokyo. Le montage du film est intéressant car à chaque fois qu’est introduite une maison en situation urbaine, une séquence d’environ une minute expose la réalité contextuelle (figure 8). On peut y voir des autoroutes à perte de vue, une concentration de voitures extraordinaire, une ligne d’horizon devenue imperceptible du fait de la pollution et finalement on doit baisser le son du film car le vacarme engendré par la mégalopole japonaise dérange. Ensuite, dès que la caméra passe l’entrée de la maison, le silence se fait. La maison, de la rue, fait figure de labyrinthe (figure 9). De hauts murs courbes, en couches concentriques, toujours en béton brut, internalisent la maison. Le labyrinthe protège l’habitant qui seul détient le fil de dédale (figure 10). On ne perçoit à l’intérieur plus que le ciel. Les cours intérieures, dites espaces intermédiaires, se trouvent sur le pourtour des volumes d’habitation (figure 11 et 12). Elles constituent le vide nécessaire à l’intégration du vent, de la pluie et de la lumière dans la maison. La proportion de ces espaces est similaire à celle des espaces de vie intérieurs. Encore une fois, l’architecte porte un regard attentif à la vie spirituelle de l’habitant. Qui doit avoir le regard et les sens tendus vers la nature.

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Film réalisé par Jean Antoine.

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(source : Tadao Ando et la question du milieu, p80) Figure 9 : La maison Kidosaki, vue de la rue (source : wikipĂŠdia)

ou espaces intermĂŠdiaires au pourtour (source : Tadao Ando et la question du milieu, p127)


Ces espaces sont relégués à la périphérie et intègrent un nouveau procédé. Dans le processus de purification, l’idée est de faire pénétrer par une petite fente, un morceau de nature, brute, désordonnée, dans un espace en partie borné par des murs ; celle-ci, par un phénomène de verticalité, va se trouver spiritualisée. Dans la réalité, le phénomène est avant tout une mise en scène pour pousser l’esprit de l’habitant à une échappée vers le ciel. Le changement de posture par rapport à la maison Azuma est notable, on comprend que dans les deux cas l’environnement extérieur est disgracié au profit de l’intimité. Néanmoins, la Kidosaki tend à intégrer certains éléments extérieurs pour les transfigurer. II.2. Un exemple français, Lacaton, Vassal et Druot. La transfiguration précédemment décrite passe par une modification perceptive d’une réalité extérieure. Quand elle est effectuée par un cadrage dans l’exemple de la maison Kidosaki, elle peut aussi se faire à l’aide de Sh!ji, ces cloisons faites en papier washi, translucide, que les japonais utilisent traditionnellement pour délimiter des espaces (figure 13). Ce qui est extérieur apparaît par transparence, la lumière parvient à entrer mais l’image devient une masse poétique, sombre. Lorsque l’on regarde le projet de l’université de Grenoble, on peut penser que les architectes Anne Lacaton et Jean Philippe Vassal sont sensibles à l’esthétique japonaise et aux ambiances apaisées et méditatives créées par des lumières filtrées à la façon des Sh!ji (figure 14). Néanmoins, c’est le polycarbonate qui est utilisé dans beaucoup des projets des architectes, cette matière plastique légère qui peut être utilisée en façade car imperméable aux intempéries (contrairement aux Sh!jis). La tour Bois le Prêtre est un ensemble d’habitation construit dans les années 1960 (figure 15). Tombée en désuétude, celle-ci a été une première fois réhabilitée (figure 16) mais après quelques années encore, Paris Habitat décide de la détruire pour reconstruire du neuf et salubre. Lacaton et Vassal s’opposent à la destruction et proposent une réfection intelligente qui leur a valu une équerre d’argent. Les habitants gagnent de l’espace de vie grâce à l’ajout d’un jardin d’hiver, d’un balcon et 11


Figure 13 : des Shojis ( source : wikipédia)

Figure 14 : Université des sciences et des arts de Grenoble, Lacaton et Vassal (source : photographie des architectes, lacatonvassal.com)

Figure 15 : la tour Bois le prêtre en 1960 (source : ibid, photographie du pavillon de l’arsenal, projet de Raymond Lopez)

Figure 16 : la tour avant la dernière réhabilitation (source : ibid, photographie de Lacaton et Vassal)


parfois de pièces entièrement greffées au bâtiment mais ils gagnent surtout de la lumière avec la transformation des petites fenêtres en grandes baies vitrées toute hauteur pour tous (figure 17). L’intérêt de l’opération réside aussi dans le fait que les occupants peuvent rester vivre dans leur appartement le temps des travaux. Ce qui nous intéresse ici, c’est surtout l’effet produit par la création de cette épaisseur ajoutée aux appartements. En effet, le jardin d’hiver est « coincé » entre une paroi en verre et un système de panneaux coulissants en polycarbonate qui le sépare du balcon (figure 18). Cette opération apporte tout d’abord un confort d’espace aux habitants (sans pour autant changer leur loyer car le jardin d’hiver et le balcon ne sont pas comptabilisés dans le prix). Mais en plus de ces considérations sociales importantes, les espaces ajoutés ont une valeur architecturale intéressante. Nous avons vu avec deux projets de Ando, deux procédés visant à rejeter l’urbain. Ici, l’idée est que les écrans en polycarbonate redessinent le paysage (figure 19), transforment la réalité extérieure qu’est la mégalopole dans ce qu’elle possède de plus terrible en matière de nuisance : le périphérique (figure 20). Tout d’abord, ceuxci jouent un rôle important d’apports énergétiques, ensuite, ils permettent de réduire les nuisances sonores dues aux voitures mais surtout ils recréent une intériorité. Cette intériorité décrite par Richard Scoffier dans un article paru dans D’A est peut être à nuancer car la réalité derrière les panneaux n’est pas effacée, elle est pixellisée, rendue poétique. Ce n’est plus la ville, c’est une métaphore, une toile impressionniste. En plissant les yeux on peut presque apercevoir une toute autre image : « Protégé par ses multiples couches plus ou moins opacifiantes, l’espace intérieur trouve en lui sa raison d’être, à l’opposé des maisons de verre modernistes qui la reçoivent de l’extérieur. »1. Lacaton et Vassal réfléchissent beaucoup sur la qualité de vie et mettent l’individu au centre de leur préoccupation qui fait de leur architecture une architecture exemplaire.

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Cit Richard Scoffier, D’A, n°207, Avril 2012.

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Figure 17 : la tour après la dernière réhabilitaion (source : ibid, photographie de Lacaton et Vassal)

Figure 19 : le paysage urbain redessiné (source : ibid, photographie de Lacaton et Vassal)

Figure 18 : schéma décrivant le principe de la réhabilitation (source : ibid, dessin de Lacaton et Vassal)

Figure 20 : Le jardin d’hiver, le balcon sances


III. Réflexions personnelles III.1. Travaux personnels : l’exercice du projet Durant ma licence, j’ai eu l’occasion de réfléchir sur la condition de l’habitant citadin à travers 3 projets. Un premier à Clichy, un deuxième à Belleville puis un dernier dans le treizième arrondissement. Le premier projet augure un début de pensée sur la relation habitant – ville. Tout d’abord, j’ai fait en sorte que la circulation interne aux logements se fasse en façade. L’idée m’est venue à l’esprit après avoir pensé aux systèmes de circulation des châteaux qui se fait par enfilade de pièces (figure 21). Je pensais qu’un système en bandes permettrait à la seconde épaisseur, celle des lieux intimes, de pouvoir soit se renfermer sur elle même soit de s’ouvrir et ainsi fusionner avec l’espace de circulation. Dans le même projet, j’ai aussi travaillé la transition ville – logements, en prenant comme référence la fondation Cartier (figure 22). J’ai édifié une paroi entre les premiers logements et la rue, me permettant de respecter un alignement (figure 23). Une structure métallique accueillait tantôt des pleins, tantôt des vides pour à la fois permettre à la lumière de pénétrer mais aussi d’empêcher le passant d’avoir un regard sur l’intérieur des logements. La pensée s’est précisée ensuite avec le second projet mais cette fois, la position était plus radicale. Je devais cela au lieu, Belleville, qui est un quartier sans cesse en mouvement (figure 24). Or l’habitat pour moi, c’est l’état quasiment statique de l’Homme, la ville n’est pas reposante (figure 25). J’ai regardé Tadao Ando pour ce projet car pour atteindre cet état, il me fallait concentrer le regard de l’habitant sur ce qu’il appelle la nature qui elle est l’élément de méditation et de calme (figure 26 et 27). Ainsi, mes balcons ont dû porter de hauts murs qui aspiraient le regard vers le ciel, les séjours devaient regarder un fond de parcelle transformé en micro – jardin et un logement a même été complètement muré, ayant pour seule ouverture une fente le traversant. Le seul endroit qui avait l’autorisation de regarder la ville était une petite chambre sur le toit de l’immeuble. L’altitude de celle-ci me permettait d’oublier la rue, qui était devenue une image poétique, un tableau qui lui ne bouge plus (figure 28). 13


Figure 21 : Coupe du projet de Clichy

Figure 22 : plan 1er étage du projet de Clichy

Figure 23 : Plan masse du projet de Clichy

Figure 24 : Perspective du projet de Belleville

Figure 25 : plan 3ème étage du projet de Belleville

Figure 27 : perspective du projet de Belleville

Figure 26 : coupe sur un appartement du projet de Belleville

Figure 28 : perspective du projet de Belleville


Enfin, durant le troisième projet (figure 29), ma posture a été de transformer la fenêtre donnant sur la rue en une épaisseur significative. Cette épaisseur était faite de polycarbonate, d’un vide et d’une baie vitrée (figure 30). La partie en polycarbonate devait conférer à l’ensemble des logements un aspect monolithique et en plus permettre aux habitants de vivre dans un espace baigné de lumière sans être vus du dehors. C’est en me baladant dans la rue que j’ai remarqué que toutes les fenêtres étaient occultées par des systèmes de rideaux ou de stores. Pourquoi alors ne pas intégrer cela à l’architecture : de l’intérieur, la réalité de la rue tend à s’effacer et les habitants peuvent jouir d’une intimité totale (figure 31). Ainsi, ma pensée a toujours été de préserver l’individu, d’une manière ou d’une autre. III.2. Mes lectures, films et voyages La posture que l’on adopte lorsqu’on fait un projet d’architecture quand on est encore étudiant me semble être dirigée tout d’abord par les modèles que l’on prend comme exemple (je pense à Tadao Ando) mais aussi cette posture provient de tous ce qui nous entoure. Notre vie, notre éducation mais aussi les livres que l’on lit et les voyages que l’on fait nous ouvrent des domaines de réflexions qui peuvent nous aider à penser le projet d’une autre manière. Ma mère vit aux Etats Unis, j’ai donc eu l’occasion d’y aller. Quand j’y vais, j’aime bien lire « local », je trouve que ça met bien dans l’ambiance et ça permet de comprendre un peu les us et coutumes. Alors, j’ai lu des livres d’auteurs américains qui de deux façons différentes me racontent leurs façons de vivre. Ce que j’ai lu peut être divisé en deux. La première catégorie est représentée par Thoreau et Harrison et la deuxième par Bret Easton Ellis et Sallinger. Wolf, mémoires fictif, c’est l’histoire d’un homme alcoolique, rendu fou par la société américaine qui va se reclure dans les bois avec pour objectif de se défaire de son addiction. « Les bois peuvent être un peu étranges. Il faut longtemps pour avoir l’impression d’être un homme des bois, mais ensuite, jamais plus on ne peut redevenir un homme des villes. » Jim Harisson. Walden ou la vie dans les bois de Thoreau est un livre précurseur de cette idée que la cité est mauvaise pour l’homme. 14


Figure 29 : perspective du troisième projet

Figure 30 : coupe de la façade du troisième projet

Figure 31 : principe des ouvertures de la façade du troisième projet


Thoreau en quittant la ville et en s’installant au bord d’un lac, seul dans une cabane, critique vivement la société de paraître, de cupidité, la société qui ronge l’homme. Quant à lui, Less than zero raconte l’histoire d’un jeune homme qui rentre pour les vacances à Los Angeles. Il est alors plongé dans les entrailles d’une ville nocturne où ses amis se prostituent, se droguent. Le livre est fait de phrases courtes dénuées de sentiments. On ressent que le personnage principal, qui est le narrateur, n’est pas capable de réagir à son environnement et se fait entrainer dans des histoires terribles. L’attrape Cœur nous présente l’histoire aussi d’un jeune garçon qui fuit de son collège pour aller à New York. Il se perd dans la ville et est sujet à des pensées dépressives. Ces deux livres présentent des cas extrêmes mais montrent deux esprits perdus dans la mégalopole américaine. Ce qui a été notable dans less than zéro et L’attrape cœur, c’est le fait les deux personnages, lorsque qu’ils sont dans des périodes de troubles, de faiblesses psychologiques, cherchent à retrouver le foyer familial, un endroit qui leur est familier, ou il pourront s’y réfugier. Quand j’ai replacé cela dans son contexte, cela ne perdait pas de sens. En effet, Los Angeles qui est une maille urbaine infinie peut rendre fou et à des moments je me sentais prisonnier de la ville à savoir que pour aller d’un point A à un point B, 3 heures d’embouteillages étaient prévus. C’est une ville de folie et David Linch perse une dimension de la ville dans ses films comme Lost Highway ou bien Mulholland drive. Il se sert des ambiances sombres et noires pour y développer des personnages névrosés, ayant des troubles de la personnalité. Mulholland drive débute par un accident sur la célèbre route de montagne de Los Angeles d’où on perçoit l’intégralité du tissu découpé des voies de circulations. Le personnage principal en situation de danger prend la fuite dans la direction de cette image figée, lieu rassurant de vie, qui apporterait du réconfort mais ce sera le lieu de se perte mentale.

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Dans ces films, livres puis dans mes voyages j’ai entrevu que la ville pouvait altérer la condition de l’être humain qui pour se « guérir » la quitte pour l’extrême opposé : la nature. C’est alors tout cela qui fait que lorsque j’ai fait des projets de logements en ville, je devais avec vigueur rejeter l’environnement ou bien transformer sa perception.

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Conclusion L’apparition des grandes villes sur la Terre a marqué un changement fondamental dans les façons de vivre et certains penseurs l’ont condamné. Paris a été taxé de « gouffre » par Rousseau et les grandes villes en règle générale sont sujettes à de nombreuses théories critiques comme « L’urbaphobie, équivalent des termes Antiurbanism (en anglais) et Grossstadtfeindschaft (en allemand), qui désigne une idéologie qui condamne la ville par opposition à la campagne ou à la nature. »1. A l’heure où les grandes villes sont mises à mal, l’habitat comme unité de base de celles-ci semblent permettre redonner du souffle à l’Homme citadin. Nous avons pu voir que le discours de Ando est bien porté sur le fait que cet habitat doit permettre à l’individu de se couper de la rue pour permettre un retour sur soi spirituel et mieux vivre en société, sa solution étant basée sur une purification des espaces intérieurs par la nature. Et quand Lacaton et Vassal développent leur architecture, ils permettent aussi au demeurant de créer cette forte intériorité sans pour autant quitter l’image de la ville. Alors, l’habitat peut sûrement réagir à la nocivité celle-ci. Néanmoins, ce n’est qu’une

solution

basée

sur

l’environnement

immédiat

(spatio-temporel).

Effectivement, le tissu urbain se transforme lentement (plus lentement qu’une architecture isolée), de même que les conceptions de la ville, tandis qu’il faut trouver des solutions directes pour permettre aux habitants de s’épanouir. Peut-être que c’est par un retour sur soi-même que l’on peut actuellement faire face à la ville qui paraît être productrice de maux. Ce retour sur soi-même peut s’apparenter à la notion d’individualisme. Néanmoins, je ne perçois pas celle-ci comme négative. Il ne faut d’ailleurs peut être pas opposer individualisme et collectivité car à la façon de l’intelligence sociale2 la solution réside sûrement dans l’articulation entre les deux termes. Et l’idée principale réside dans le fait que les architectures que j’ai présentées permettent de se ressourcer face à l’extérieur pour 1 2

Cit. Joëlle Salomon, interview.

L’intelligence sociale est la connaissance du lien social et sa capacité à le transformer de façon consciente et maîtrisée en aidant les parties prenantes à progresser dans la complexité.

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mieux vivre le reste du temps dans un environnement pesant. Pour l’instant, c’est l’architecture qui permettrait cette articulation entre le moi et le nous. Néanmoins, je peux percevoir à travers les cours qui nous sont donnés que les nouvelles considérations écologiques entre autres tendent à repenser la ville, pour la rendre plus vivable. C’est l’échelle de l’urbain qui permettra de reconsidérer la place de l’individu face à la voiture, de redéfinir la place de la Nature. Finalement ne faudra t-il pas abolir notre vieille image de la ville ? De même, les travaux des générations futures ne devront-ils pas se concentrer sur le mieux vivre ensemble ?

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Bibliographie 1. Ouvrages • CHOAY Françoise, 1965. Urbanisme, utopies et réalités, Paris, Éditions du Seuil, 445p. • NUSSAUME Yann, 1999. Tadao Andô et la question du milieu, réflexion sur l’architecture et le paysage, Paris, Éditions Le moniteur, 278p. • CARFANTAN Serge, 1992. Conscience et connaissance de soi, Nancy, Presses universitaires de Nancy, 272p. • HARISSON Jim, 1971. Wolf, a false memoir, Paris, Éditions Robert Laffont, 250p. • EASTON ELLIS Bret, 1985. Less than zero, Paris, Éditions 10/18, 250p. • Salinger J.D, 1966. L’Attrape-Cœurs, Paris, Éditions Pocket, 281p. • THOREAU Henry David, 1854. Walden ou la Vie dans les bois, Paris, Gallimard, 332p. 2. Ouvrages sous la direction de • BERQUE Augustin, 1994. La maîtrise de la ville : urbanité française, urbanité nippone, Éditions de l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, 595p. • SALOMON CAVIN Joëlle et MARCHAND Bernard, 2010. Antiurbain, Origines et conséquences de l’urbaphobie, Presses polytechniques et universitaires Romandes, 329p.

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3. Articles dans une revue • SCOFFIER Richard, 12 avril 2012. Rideau, Réflexions sur la réhabilitation de la tour Bois-le-Prêtre, Paris XVIIe, D’Architectures. 4. Mémoire d’étudiant • NOYEZ Christophe, 2004. L’utilisation de concepts traditionnels dans l’architecture japonaise contemporaine. 5. Films • ANTOINE Jean, 1989. Tadao Andô : Architecte du Silence, Production : La Sept, Cinéma et communication, couleur, 31 min.

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Annexes1

Notion du ma La notion du ma est une notion primordiale dans la culture japonaise. « En Occident la notion d’espace est constituée par trois dimensions, le temps en ajoute une quatrième, alors qu’au Japon l’espace comprend uniquement deux dimensions. Il est constitué par une suite de plans à d !eux dimensions. Ainsi la profondeur de l’espace était exprimée par la combinaison de plusieurs plans à travers lesquels plusieurs échelles de temps pouvaient être perçues. » (in Isozaki, 1978). Au Japon, le temps est indissociable de l’espace, et ces deux éléments intimement liés forment le concept du ma qui représente dans une seule et même idée l’intervalle entre deux chose, la pièce dans une maison, une certaine unité de mesure traditionnelle ou encore un temps de silence dans la diction. C’est une notion très difficile à comprendre pour les Occidentaux car elle met en relation des éléments totalement autonomes dans notre culture. Ainsi, pour les Japonais, le temps et l’espace étant liés, le moindre cheminement devient un parcours durant lequel l’idée de rythme est très présente. L’espace est donc pensé non pas de façon linéaire, mais marqué par des évènements qui imprime à la marche du visiteur un rythme particulier avec un jeu complexe d’écrans et de pauses dans la progression afin de supprimer la monotonie du parcours et de faire perdre au visiteur la notion de l’espace, mais aussi celle du temps. Il y a quelque chose de solennel dans chaque parcours. « Fondamentalement, le ma est l’intervalle qui existe obligatoirement entre deux choses qui se succèdent : d’où l’idée de pause. » (In Berque, 1982). La notion du ma est aussi très présente dans l’architecture car la forme même des bâtiments contribue à créer cette dynamique, ce rythme dans le parcours et la perte de repères due à la succession de plans verticaux qui modifient notre perception au fur et à mesure du cheminement. C’est aussi le cas à l’intérieur des bâtiments où les pièces ne sont pas agencées de manière continue et fonctionnelle, mais dans un mouvement discontinu, de façon à créer une diversité dans le parcours. De plus, l’espace de la maison japonaise varie en fonction du temps qui passe et une pièce peut accueillir des fonctions différentes suivant les heures de la journée. Cette modularité est possible grâce au jeu des cloisons amovibles et des différents éléments de mobilier qui apparaissent ou disparaissent suivant le moment de la journée : le temps imprègne l’espace. Cette modularité n’est possible que grâce à la grande liberté qui existe dans les espaces des maisons japonaises car cette notion de ma est aussi indissociable de la notion de vide, de néant. Ce sont ces vides, ces pauses, qui permettent de rythmer les parcours et d’offrir une si grande modularité et une si grande diversité de ces espaces.

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Ces textes proviennent du mémoire de Christophe Noyez, réalisé en 2004 : L’utilisation de concepts traditionnels dans l’architecture japonaise contemporaine.

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La notion du ma est donc prépondérante, mais elle est incomplète pour réellement appréhender les façons de concevoir des Japonais. En effet, deux autres notions elles aussi très importantes peuvent être conçues comme un complément du ma, qui lui-même enrichi et donne une compréhension plus importante de ces deux notions que sont l’oku et l’en. Notion d’oku En Japonais, le mot oku désigne « un lieu situé profondément dans l’intérieur des choses, loin de leur aspect externe.» (In Berque, 1982). Cependant, cette définition est loin d’être explicite telle quelle, étant donné que cette notion est difficilement séparable de celle du ma. En effet, l’oku a pour base le kehai, c'est-à-dire l’intuition qu’a le visiteur de ce qui va arriver, et cette intuition nait du rythme du parcours donné par le ma. L’oku permet donc de ressentir, de pressentir les choses, les évènements ou les bâtiments avant qu’ils n’arrivent, le parcours devenant le moyen de se préparer à ce à quoi on va être confronté, de donner l’envie d’aller voir plus avant, car l’oku signifie « que l’on peut voir au-delà de quelque chose ce que l’on ne peut pas voir. » C’est pour cela qu’au Japon, les lieux importants ou sacrés sont cachés ou difficiles à atteindre : dans la profondeur d’une montagne ou sur une colline isolée, au bout d’un chemin long et ardu. Il y a une valeur très spirituelle dans ces parcours, parcourir le chemin étant presque aussi important que l’acte que l’on va accomplir et faisant parti du rite, cette spiritualité étant très présente dans la culture japonaise. Cependant, les lieux sacrés ne sont pas les seuls lieux auxquels cette notion d’oku peut être appliquée, certains bâtiments peuvent par leur organisation et leur mise en scène créer un état proche de la spiritualité ressentie lorsqu’on aborde un lieu sacré. Le visiteur se sent alors attiré physiquement par son intuition, et arriver sans s’en rendre compte à destination. Un très bon exemple de cette notion est un bâtiment de T. ANDO : le Time’s. « L’espace en profondeur auquel je cherche à parvenir, n’est altéré par aucun élément décoratif. Il ne faut plus créer des significations qui ne touchent pas à l’essentiel, à savoir les sentiments que les édifices font naître en l’homme. S’abstraire, c’est recevoir l’émotion. » (T. ANDO) Ce bâtiment du Time’s est bâti le long de la rivière Takase, à Tokyo, et cet édifice, de par sa conception, associe le flux des activités humaines au flux de la rivière. L’espace est mis en œuvre pour mettre en relation l’environnement du parcours et sa finalité, l’arrivée au bâtiment. L’entrée ne se fait donc pas de front, mais par le côté. Ainsi, on chemine le long de la rivière en descendant jusqu’à pouvoir toucher l’eau des mains, ce que font généralement les visiteurs. Il y a une communion entre le visiteur et le Time’s qui se fait grâce à l’environnement, au parcours qui permet d’arriver à destination sans même en avoir la sensation, c’est ce que représente cette notion d’oku.

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Notion du en Une autre notion très importante pour les Japonais est celle de la coexistence des éléments, représentée par l’idéogramme en. En effet, contrairement aux Européens et aux occidentaux, la continuité japonaise ne se caractérise pas par un passage graduel d’un élément à un autre, mais au contraire par une juxtaposition d’éléments bien qu’ils soient dissemblables ou de qualités opposées. C’est par ce jeu d’opposition que se crée la continuité japonaise, chaque élément étant pensé avec son contraire (le yin et le yang). Il existe donc au Japon une esthétique de la coexistence des contraires. Cette notion du en est basée sur le concept de la relation car même si les éléments sont de nature totalement différentes, les japonais parviennent à les mettre en relation grâce à des espaces « tampons » qui n’appartiennent ni à l’un ni à l’autre des deux éléments à mettre en relation, mais en même temps aux deux. Les Japonais transitent d’un monde à un autre par le biais de ces espaces. Ce qui permet de créer la continuité n’est donc pas la fluidité et l’homogénéité (ce qui voudrait dire l’amenuisement des espaces tampons et des éléments de séparation), mais au contraire le fait de charger ces éléments, ces membranes, d’une très grande intensité. Les shôji (panneaux de séparation en papier des maisons traditionnelles japonaises), par exemple, « constituent des intervalles qui séparent et connectent en même temps. Des intervalles de ce type qui délimitent et relient les différentes parties et scènes, sont un trait caractéristique, non seulement de l’architecture japonaise, mais aussi de tout l’art japonais et peuvent être considérés comme un symbole de l’esthétique japonaise. Le rôle principal est de provoquer l’anticipation de la scène à venir. Les parties rendues indépendantes par les intervalles, interfèrent et se recouvrent pour développer une nouvelle scène dans l’environnement global. » (T. Ando in AA n°250) Cette citation de T. ANDO permet de mettre en évidence les relations qui existent entre les notions de en et d’oku, la coexistence des éléments se faisant aussi au travers de l’intuition de ce qu’il appelle les « scènes à venir ». Cependant, la relation avec le ma est tout aussi importante car cette zone intermédiaire est un intervalle entre les deux espaces mis en relation qu’il faut franchir. Il y a là aussi une notion du rythme qui entre en jeu et qui participe à la relation qu’entretiennent ces espaces. Prenons par exemple l’engawa, la véranda, qui sert d’espace tampon entre la maison et le jardin. Cet espace a un statut bien particulier car il fait parti de la maison, étant abrité des intempéries, mais en même temps, il est totalement ouvert et exposé au vent, ce qui fait que de l’intérieur de la maison, on a l’impression qu’il fait parti du jardin. Cet espace est la marge qui relie les deux espaces contraires du jardin et de la maison : « au sein de la discontinuité générale de l’espace japonais, la marge rétablit la continuité. »

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Table des Matières

Introduction ..................................................................................................................2! I. De la perception négative de la ville .........................................................................4! I.1 L’antiurbanisme ..................................................................................................4! I.2. Le rapport affectif à la ville..................................................................................6! II. A la solution de l’habitat ...........................................................................................8! II.1. Tadao Ando et la question de l’habitat Japonais comme solution radicale. ......8! II.1.1. La maison Azuma .......................................................................................9! II.2.2 La maison Kidosaki....................................................................................10! II.2. Un exemple français, Lacaton, Vassal et Druot. .............................................11! III. Réflexions personnelles ........................................................................................13! III.1. Travaux personnels : l’exercice du projet .......................................................13! III.2. Mes lectures, films et voyages .......................................................................14! Conclusion .................................................................................................................17! Bibliographie ..............................................................................................................19! 1. Ouvrages ............................................................................................................19! 2. Ouvrages sous la direction de ............................................................................19! 3. Articles dans une revue ......................................................................................20! 4. Mémoire d’étudiant .............................................................................................20! 5. Films ...................................................................................................................20! Annexes .....................................................................................................................21!

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Résumé en 10 lignes :

Ce rapport de licence traite de l’habitat en milieu urbain. Il pose la question de savoir si la conception du logement peut répondre à la nocivité de la ville. A travers l’étude de l’urbaphobie, de l’architecture de Tadao Ando et de Lacaton et Vassal, le but était de comprendre les postures de l’architecte lorsqu’il construit en ville et plus précisément dans la mégalopole. La lecture d’auteurs américains comme Thoreau, Harrison, Bret Easton Ellis et Salinger, les voyages et l’exercice du projet d’architecture complètent la résolution de la problématique : L’habitat peut-il répondre à la nocivité de la vile ? Et finalement, le but était de comprendre aussi que l’architecte était sensible, éduqué et constitué de savoirs qui faisaient que sa posture (vis à vis de la ville) quand il dessinait des logements était résolument singulière.

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