TRACES magazine #99

Vol. 9 n o 03 - 23 janvier 2015 | MenSUeL GRatUit | 20 000 eXeMpLaiReS CeRtiFiÉS | iMpReSSion inteRGLoBe tC tRanSContinentaL

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9E ANNÉE !

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charlie Où est Charlie ?

Maryam Deschesnes, notre correspondante à Berlin

Il est dans nos cœurs et nos pensées.

Il est dans le monde entier qui ont manifesté depuis plusieurs jours; 54 dirigeants étrangers étaient attendus le dimanche 11 janvier à Paris.

Il est dans la création de tous les artistes solidaires qui dénoncent les massacres perpétrés dans la capitale contre un journal satirique le 7 janvier 2015 : Charlie Hebdo.

Qu’est-ce qu’une satire ? Une satire est une œuvre dont l’objectif est une critique moqueuse de son sujet, souvent dans l’intention de provoquer ou de prévenir un changement. Elle a pour but de faire rire en donnant une image volontairement déformée de la réalité, notamment grâce à la caricature.

L’humour comme outil.

L’humour au nom de la liberté d’expression.

Un humour corrosif qui, évidemment, plaît comme il déplaît, et Charlie Hebdo, depuis son retour dans les kiosques en 1992, a fait l’objet de 48 procès, dont 9 jugements rendus en sa défaveur.

La France, haut lieu de la presse satirique, la France où Cabu, caricaturiste de 76 ans, une des douze victimes de l’attentat contre Charlie Hebdo, avait publié en 2012 un livre ayant pour titre Peut-on (encore) rire de tout ? Dans la préface, l’auteur écrivait : « Ni les religions et leurs intégristes, ni les idéologies et leurs militants, ni les bien-pensants et leurs préjugés ne doivent pouvoir entraver le droit à la caricature, fût-elle excessive. » Depuis ce drame, des témoignages émouvants de proches et de moins proches des victimes sont relayés par les médias.

La souffrance, l’horreur, l’incompréhension, le choc, l’impuissance, la révolte, tous ces sentiments se bousculent et nous conduisent à l’essentiel.

Des paroles, lourdes de vérité et de sens, sont dites, dessinées ou écrites.

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23 janvier 2015

Ce massacre en lui-même nous rappelle que beaucoup d’entre nous s’étaient endormis.

Nous dormions sur nos lauriers, doutant mollement d’une menace pour nos libertés. La menace n’est pas seulement à nos portes dans les différentes dictatures du monde; elle est chez nous, bien ancrée. Toute idéologie, quelle qu’elle soit, produit des fanatiques hiérarchisés qui attendent leur heure en couveuses.

Il est grand temps de réfléchir ensemble à des préventions efficaces, et au rôle de chacun d’entre nous.

Une prévention qui prendra en compte que les terroristes se servent des réseaux sociaux, de l’ignorance, de la pauvreté, de la coercition pour recruter et donner l’ordre de tuer.

Une prévention qui s’interrogera sur le fait que le terrorisme se sert des médias, qu’il a besoin d’une couverture médiatique pour s’étendre plus encore.

Et notre rôle, à nous, dans tout ça ?

Avoir bien à l’esprit que nos libertés ont été arrachées à l’histoire par des hommes qui l’ont trop souvent payé de la torture et de la vie.

Que Charlie nous réveille : des droits sont en danger !

Que ces héros, ces combattants pour la liberté d’expression ne soient pas morts en vain : protégeons et aidons nos journalistes et les autres, tous ceux qui œuvrent pour que nous conservions nos libertés et droits fondamentaux.

Qu’il n’y ait plus de kalachnikovs contre des crayons.

– Où es-tu, Charlie ? On veut se réveiller pour que vous ne soyez pas morts en vain. On veut t’avoir encore et encore entre nos mains…

– Entre vos mains ? Je serai donc là, mercredi matin, malgré mes morts.

Le mercredi 14 janvier 2015, 5 000 000 d’exemplaires (60 000 habituellement) de Charlie Hebdo attendront leurs lecteurs.

charlie Paris s’éveille Léo Pineda

2015-01-07. Paris. Douze morts, onze blessés. Allah Akbar. Qu’est-ce qu’on ne ferait pas pour un prophète ? Je ne peux croire qu’un prophète souscrirait à ce genre d’action. Ici, on parle de trois types qui débarquent dans un journal. Et qui n’ont pas le sens de l’humour. Je peux très bien comprendre que des gens soient fâchés (fascistes !) de ce genre d’humour.

Après tout, l’avancement social se fait généralement dans la controverse, qui est une vieille amie de la place publique française. Peut-être plus qu’ailleurs. Là où j’ai de la difficulté à comprendre, c’est comment ce genre de phénomène peut contribuer à l’avancement d’une cause. Qu’on aime ou pas la caricature, qu’on aime ou pas l’humour.

Dans cette situation, il s’agit d’un exemple typique de terrorisme. Je crois nécessaire ici de rappeler brièvement ce qu’est le terrorisme. C’est de cultiver la peur, de l’inculquer, de l’encastrer dans la société. Et c’est là toute l’horreur de la chose. Le terrorisme fonctionne subrepticement, de façon insidieuse. Il y a l’acte, qui n’est qu’un tiers de la recette. Le second tiers est plus complexe; il s’agit de l’attitude des médias, de l’in-

formation en général, qui dramatise, s’il est encore possible de le faire, de tels incidents. Pensons-y : cette nouvelle accapare beaucoup plus que sa juste part; ça frôle la névrose. Ensuite qu’on nous parle de sécurité, de contrôles accrus, de douaniers armés, de professeurs avec formation de combat et j’en passe. J’exagère à peine. Voilà le deuxième tiers. Il ne reste qu’à laisser macérer – c’est le dernier tiers – et nous obtenons une peur des gens, des races, des cultures où même la bonne action est source de méfiance crasse. Nonobstant leur cause, qu’il serait difficile de moins bien représenter, ces trois gars-là ont raté le coche pour Allah.

Par contre, sur le plan de la terreur, c’est nickel.

Je pense qu’il faut se battre plutôt en se méfiant de la méfiance, sans rester stoïque, qu’il faut relativiser et éviter d’avoir peur de son voisin. Oui, je crois que la meilleure réponse au terrorisme n’est pas d’en faire plus (de terreur), mais plutôt de continuer à croire que l’homme est fondamentalement bon, sans naïveté stupide non plus.

Mes sincères condoléances, si tant peu qu’elles soient lues.

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123 janvier 2015

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charlie Les nouveaux romantiques Patrice G. Llavador

Ils sont tout en noir, portent d’amples vêtements légers comme de la soie qui scandent leur démarche assurée contre le vent du désert. Une chevelure longue et bouclée, sombre, comme le sont leurs yeux, offrant un regard sévère qui ne fixe jamais l’objectif, comme a dû le recommander le preneur de vue de cette superproduction. Le bandeau que portent la plupart signale l’appartenance à une secte quelconque; c’est le signe de ralliement de ces combattants qui drainent de plus en plus d’admirateurs.

Et d’admiratrices prêtes à s’offrir pour cette cause.

Quand j’étais lycéen, nous avions des copains qui se réclamaient aussi d’un romantisme puissant, nouveau pour l’époque. Se donner tout entier à une cause, franchir le pas, comme aller en Amérique du Sud se battre aux côtés de Che Guevara. Ou aller en Amérique du Sud se battre contre Che Guevara. Certains voulaient aussi rejoindre l’armée royaliste yéménite pour en découdre avec l’envahisseur égyptien. Nous étions sérieux : nous l’évoquions lors de nos soirées interminables encombrées de discussions fébriles et enfumées. Il y a toutefois une différence de taille entre ces deux vagues de romantiques. Ceux d’aujourd’hui, qui paradent devant la caméra en traînant des officiers avia-

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teurs par les cheveux, tenus volontairement courbés, comme un bourricot qu’on tient par la crinière, avant de leur couper la gorge, ces romantiques-là s’attaquent à des civils et se comportent vis-à-vis d’autres soldats comme des bourreaux déchaînés et sans moralité. Nos romantiques d’avant, Madame, ils se battaient dans des armées, contre d’autres soldats. Ils ne s’en prenaient jamais aux civils, déplorant toujours les éventuels dommages collatéraux. Les nouveaux romantiques décapitent un soldat ou un travailleur d’ONG juste pour ce qu’il est. Nous replongeant dans l’horreur nazie, celle dont nous disions : « Plus jamais ça. » Aujourd’hui, les nouveaux romantiques, ceux qui s’ennuient dans les banlieues déglinguées, absents des cours de philo ou de géographie, n’écoutent plus que ces prédicateurs qui leur enfoncent un idéal dans leur jolie tête à coups de formules sataniques. Et ils terminent leur itinéraire comme des bestiaux qu’ils sont, à défourailler dans des bureaux où la crème de la crème tente de mettre un peu de légèreté dans ce monde de brutes. Et on se lève un matin, en se disant : « Mince ! Cabu qui vient de mourir était un vieux copain. » Qu’on vient de t’enlever trop tôt, alors que ce mercredi tu attends la livraison du Canard enchaîné pour

23 janvier 2015

savoir quelles facéties le Grand Duduche ou le Beauf ont, encore, bien pu inventer pour mettre en perspective cette société moderne objet de leur dérision. Tu te dis que si par hasard tu avais croisé Cabu dans la rue tu l’aurais salué d’un signe de tête, comme si tu le voyais souvent, trop souvent. Et que tu le connaissais depuis si longtemps que tu savais tout de lui, de ses phantasmes, de ses forces et ses faiblesses. Et toi qui as toujours refusé de t’attendrir sur la nouvelle en boucle, qui as toujours ironisé sur les manifestations de douleur photogéniques, ces accolades mièvres et ces marches blanches convenues, eh bien, tu te surprends à avoir l’œil humide. Mais peu importe ta proximité avec les morts, peu importe ta propre peine. La seule chose qui vaille qu’on s’arrête le temps qu’il faut sur cette horreur, c’est justement cet événement extravagant. Cet épisode historique. Tu as vu comme tout le monde cet homme en noir qui semblait peu pressé mettre en joue le policier implorant et l’achever calmement et sans hésiter; effectuant cette tâche comme si elle était anodine. Prendre ensuite le temps de ramasser un objet par terre, entrer dans cette auto, noire elle aussi, qui s’en va pesamment.

Voilà. Le fait que peu de temps avant il ait anéanti des géants de la satire

n’a plus d’importance. Cet assassin s’est offert un bonus, et il va se faire prendre; mais peu importe, la fascination qu’il exercera sur les petits romantiques lui vaudra des adeptes.

D’où la question qui ne sera pas : « Se réveilleront-ils un jour ? », mais bien : « Quand se réveilleront-ils ? » Le nouveau romantique établit lui-même les règles esthétiques de son émotion. Il se réfugie dans une pseudo-spiritualité, déroulant un texte sacré terriblement facile à dévoyer. Il passe de l’écrit à l’acte féroce, absolu, dans une exécution que le caricaturiste se serait bien gardé de recommander. Quand celui-ci disait que c’est dur d’être aimé par des cons, il ne disait pas qu’ils étaient tous cons. Il disait que sont cons ceux qui ne comprennent pas son humour. Et les cons se sont vengés, illustrant trop tragiquement la profondeur de leur connerie. Que le lecteur excuse ma trivialité, qui n’est qu’une pâle mesure de ma sidération.

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23 janvier 2015

Site WeB Michèle potvin, Webgraf.ca michele.potvin@tracesmagazine.com DéPÔt léGal Bibliothèque nationale du Québec Bibliothèque nationale du Canada iSSn 1922-3463 toute reproduction des annonces et articles de traceS est interdite sauf contrat spécifique.

eXPo Ottawa : un 2 pour 1 bien calculé !

Les vacances y étaient, mais la neige, absente, a défendu la pratique de mon sport hivernal.

Que faire ?

Après avoir regardé tous les films à Ciné-cadeau, dégusté à de multiples reprises des chocolats innocemment placés sur le comptoir de ma cuisine, et même avoir fait le ménage de la maison… j’ai cherché des expositions captivantes à voir. Bingo !

Le Musée des beaux-arts du Canada présente un rassemblement de sa collection sur l’œuvre de M.C. Escher. Connaissant le travail précis de ce mathématicien estampeur, je me suis dirigée vers la capitale nationale, dans le but de mieux comprendre ces gravures déjouant nos normes visuelles en tentant de déchiffrer les formules de symétrie et de perspective utilisées.

Heureuse ? Oui ! C’est toujours un plaisir de revoir des impressions mondialement reconnues dans un musée canadien.

Surprise ? Encore plus !

Car, en plus de pouvoir admirer les techniques graphiques et scientifiques d’Escher, un précurseur de l’art optique, je suis littéralement tombée amoureuse des peintures chromatiques de Jack Bush, occupant temporairement la salle principale du musée.

Anciennement associé au Groupe des Sept, Jack Bush osa s’afficher aux grands de l’abstraction américaine, tels que Rothko, Pollock et Newman, pour ensuite évoluer seul vers une reconnaissance internationale. Je suis vendue à l’éclat des toiles minimalistes.

La mise en exposition des peintures du Canadien Jack Bush m’a fait suivre son parcours artistique vers sa recherche de simplicité et comprendre l’évolution d’un peintre, de sa marque d’illustrateur sans compromis, de son revirement créatif et de sa relation directe avec les émotions que procure une image. Malgré le côté « maladroit » de son esthétisme, ses couleurs, ses formats ainsi que ses compositions dévoilent l’œuvre réussie d’un homme ayant su utiliser l’art comme une béquille pour sa survie psychologique dans son quotidien.

Impressionnant, beau et… je voudrais tant acquérir une de ses œuvres ! Je suis revenue d’Ottawa le cœur plein, la tête légère et dans le parfait esprit des Fêtes.

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23 janvier 2015

édito

annie depont

CHARLIE HEBDO Les nouveaux immortels Au-delà du carnage, le symbole

Dix-sept morts, au fond, numériquement, ce n’est pas un record; nous sommes un peu en guerre partout dans le monde. Mais là, c’est un symbole de notre société, des artistes qui nous nourrissaient et, bien que nous ne fussions pas obligés d’aimer tout ce qu’ils nous offraient, c’est surtout l’idée de la liberté d’expression qui a été sauvagement attaquée.

Oui, il y a bien des limites à l’insolence et donc à la liberté d’expression : l’humoriste Dieudonné dépasse vraisemblablement les limites en se laissant happer par une spirale de surenchère; oui, Charlie Hebdo a subi plusieurs procès et les parties se sont expliquées, mais cela reste sur le plan des débats et procédures.

Le dessein de tuer

Il est évident que de tels actes sont issus d’embrigadement de forces dispersées qui arment leurs combattants d’idéologie haineuse. Un combattant ne réfléchit pas; il est là pour combattre, et les chefs choisissent leurs mires selon des préceptes qui ne souffrent aucune hésitation, aucune analyse. Ils n’ont donc pas vu qu’ils mettaient le bout de la kalachnikov dans une immense fourmilière.

Ils ont sauvé Charlie

À la suite de cette horreur, le média satirique a fait le plein d’appuis à un moment où il battait de l’aile. Il était dans la dèche; nous sommes pris dans Daech. Ils ont voulu « tuer Charlie ». C’est ridicule : on ne tue pas des idées. Au contraire, elles se sont aussitôt propagées dans de nombreux pays, jusqu’aux Golden Globes, auxquels les caricatures ont volé la vedette.

France : le réveil

La Belle au bois dormant s’est fait réveiller par une claque dans la gueule ce 7 janvier 2015. Elle dormait depuis plus de quarante ans. Ce n’est pas uniquement pour les victimes ou pour ce média précis que des millions de gens se sont levés – beaucoup ne l’avaient jamais lu; c’est pour le premier fondement de la République et de toute nation civilisée : la liberté.

Cachez ce dessin que je ne saurais voir

Parmi les désormais célébrissimes caricatures de Wolinsky, Cabu, Charb, Tignous et autres joyeux compères assassinés, il y en avait de salées, de très vilaines, de choquantes, à ne pas laisser traîner sur la table du salon. Il est évident que cela n’a pas incité à l’amour ni les juifs ni les musulmans. Deux communautés au sujet desquelles il est tabou de rigoler. Et pourtant, l’humour de la première est jouissif. Cela dépend sans doute de qui vient la flèche. « Tu ne blasphèmeras point » n’était-il pas un des commandements de la religion catholique ?

Désormais, on fait « Oh ! », mais on y va quand même. « Oui ! On a le droit de caricaturer Dieu », titrait Le Figaro.

La révolution des p’tits crayons

Au lieu de les faire taire, l’attentat à Charlie Hebdo a galvanisé les artistes, humoristes, dessinateurs, pamphlétaires. Je crois que nous allons bien rigoler avec cette invasion de pousse-crayons. « Charb n’aurait pas parlé d’une attaque contre la presse, croit son ami Jean-François Nadeau. Il aurait plutôt condamné une attaque contre une forme différente de pensée. » La relève est assurée.

Permettre aux voix discordantes de s’exprimer

Ce n’est pas le problème de l’islam; c’est un problème dans l’islam, une religion aux multiples branches et interprétations. Dans l’ensemble, nous explique Boris Cyrulnik, l’islam ne se serait pas encore adapté au monde moderne. Il est donc évident que ce silence peureux d’incompréhension grandit, tant parmi les croyants que vis-à-vis de l’Occident.

Il faudrait d’ailleurs trouver un détour de sémantique pour éviter les amalgames. Quand on dit « les islamistes », désigne-t-on nos voisins si sympathiques ou montre-t-on du doigt des extrémistes ?

La confusion est dommageable au dialogue. « He drew first ! » : la provoc’

Philippe Val, l’âme-pas-du-tout-damnée de Charlie Hebdo, rappelle quelques dates sanglantes et trébuchantes de notre époque – les attentats de Londres, Madrid, New York – et il s’insurge : « Et après ça, on n’aurait pas même le droit de se moquer des provocateurs ? » L’esprit de Charlie Hebdo survivra, affirment les survivants de la joyeuse équipe en préparant le numéro du 14 janvier 2015. Pour la petite histoire, la société des actionnaires de Charlie s’appelle « La kalachnikov », nous apprend le satirique Philippe Bouvard.

Déficit d’éducation contre excès de propagande

Dans tous les textes ou discours que j’ai lus ou entendus ces derniers jours, une urgence domine : l’éducation. Et je préciserais, car ce n’est pas pareil : l’enseignement. L’éducation comme apprentissage du vivre-ensemble sera d’autant favorisée que la connaissance sera entrée dans nos chères têtes blondes – ou brunes. Il faut instaurer une « contre-propagande » dans les banlieues. Accepter de vivre côte à côte – car nous n’aurons bientôt plus le choix – sera facilité par la connaissance de l’autre et la certitude que nous sommes utiles les uns aux autres. Je ne fais pas d’angélisme; je crois que le plus grand danger, c’est la désespérance de se sentir inutile.

123 janvier 2015

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liVre Bonne année... 223 !

Cynthia Cloutier Marenger

Au moment où j’écris ces lignes, la nouvelle année vient tout juste de se pointer, entraînant avec elle son cortège habituel de promesses de renouveau. Les souhaits de bonne année sont encore d’usage : « La santé, c’est tout ce qui compte ! » Les articles sur « 5 façons infaillibles de tenir vos résolutions » pullulent. Le gym est plein.

Ah ! L’espoir du Nouvel An... Pendant longtemps, j’ai embrassé cette croyance que « ça » y était, qu’on repartait « en neuf », que passer du 31 décembre au 1er janvier signifiait « quelque chose ». J’ai même eu peur (juste un peu, quand même) de l’arrivée de l’an 2000... jusqu’à ce que mon père me fasse réaliser qu’il n’arrivait pas au même moment partout sur la planète. Ça remettait les choses en perspective.

Quinze ans plus tard, je suis plutôt zen avec le concept de nouvelle année, qui m’apparaît de plus en

plus comme tel : un concept. Une œuvre littéraire singulière publiée à l’automne 2014 par la toujours excellente maison d’édition québécoise Alto a d’ailleurs contribué à ma réflexion sur le sujet : Révolutions, de Dominique Fortier et Nicolas Dickner.

Le projet en est simple, mais délirant : chaque jour pendant un an, soit pendant une révolution de la Terre autour du Soleil, un mot a été envoyé par courriel aux deux auteurs, qui devaient écrire un court texte sur ce qu’il leur inspirait. Quels mots ?

Ceux attribués à chacun des jours du calendrier révolutionnaire républicain, en vigueur en France des années 1792 à 1806... du calendrier grégorien.

Perdus ? On porte peu souvent attention aux structures qui façonnent notre quotidien. Remarquez pourtant que nos années, mois, jours et heures ne sont pas des absolus, mais des constructions, basées sur des observations astronomiques et

naturelles, certes, mais aussi sur des idéologies. Ainsi, à notre époque, le calendrier grégorien, un calendrier solaire adopté en 1582 par le pape Grégoire XIII, prévaut largement.

Il n’en a cependant pas toujours été ainsi, et notamment pendant 14 ans en France pendant lesquels les révolutionnaires ont imposé un découpage du temps plus conforme, croyaientils, aux idéaux de la République.

Végétaux, animaux et instruments aratoires ont donc chassé les saints du calendrier, dont les semaines et les mois ont été repensés en fonction du système métrique et du climat, d’où par exemple « brumaire » pour la période des brumes et des brouillards.

Fascinant, non ? Pas surprenant que Dominique Fortier et Nicolas Dickner, connus pour leur curiosité encyclopédique, aient décidé de plonger dans ce marathon d’écriture conduisant d’étonnement en étonnement. Le résultat en est exquis. Je vous en conseille la lecture en cette année 2231 !

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23 janvier 2015

Société Parents, réveillez-vous !

Mimi Legault

J’ai avalé de travers mon jus d’orange ce matin lorsque j’ai lu dans le journal la dernière bourde d’Yves Bolduc, ministre de l’Éducation… pour le moment. Il propose rien de moins que d’augmenter le ratio élèves-classe et d’intégrer davantage ceux en difficulté. Voulant se montrer pétri de bonnes intentions, il défend sa cause en affirmant que le fait d’avoir diminué le nombre d’élèves dans les années antérieures n’avait pas augmenté la réussite scolaire. Vraiment, c’est n’importe quoi. Le GPS du ministre Bolduc a perdu le nord. Il semble être entouré de conseillers davantage mercantiles que pédagogiques parce que la véritable raison de cette douteuse décision qu’il cache sous

sa toge d’ignorance de la réalité scolaire est d’ordre économique. La réduction du nombre d’élèves a coûté 179 millions en 2010 au gouvernement Charest. Un enseignant frustré – on le serait à moins – est allé porter en main propre une lettre au ministre, le qualifiant « d’hypocrite et d’incompétent ». M. Bolduc a simplement répondu que son ministère était à préparer une refonte pour les années 2020-25. Son attitude est extrêmement préoccupante parce qu’il démontre son incapacité à occuper un poste aussi important que celui de ministre de l’Éducation. Questionné, il ressort toujours la même cassette de langue de bois qui parle de l’enseignant, facteur le plus important dans la réussite scolaire. Comme quoi les bottines ne suivent pas toujours les

babines. Le système « humanitaire » du ministre Bolduc fait défaut; il n’est pas homme de terrain, il ralentit le groupe par un égo boursoufflé et des paroles apprises par cœur. Tenez, je vous raconte mon exemple vécu. À ma dernière année de l’enseignement, en 5e année, j’avais une classe de 28 enfants, dont trois gros cas de troubles de comportement.

Trois autres souffraient de dysphasie, cinq élèves étaient du niveau de la 3e année, incapables de suivre le programme. Pour terminer, on avait placé dans ma classe un jeune Vietnamien nouvellement arrivé au Québec qui comprenait le français avec grande difficulté. Elle est là, la réalité.

L’intention du ministre risque d’apporter des dommages collatéraux ter-

ribles pour l’enfant moyen qui ne fait pas de vagues, qui désire travailler et apprendre. Lui, on le perdra de vue parce que l’enseignant(e), à qui on demande de mettre des chaussettes à une pieuvre, aura tellement à faire avec les plus faibles qu’il consacrera moins de temps tout aussi mérité à ceux qui en auront autant besoin.

Une solution pointe à l’horizon : parents, réveillez-vous ! Gueulez comme des écartés, faites-vous entendre bruyamment, signez des pétitions mais, de grâce, soyez du bord et du prof et de votre enfant. Monsieur Bolduc, je vous propose une résolution pour 2015 : celle de vous éjecter de votre siège politique; il ne vous sied pas du tout. Comme vous l’avez si bien dit, ça ne vous fera pas mourir.

Difficulté à écrire vos textes ?

Laissez Mimi Legault vous aider.

lettres | discours | corrections | travaux scolaires | c.v. | autobiographies mimilego@cgocable.ca

Ô temps, suspends ton vol (Lamartine) Robert Riel

En d’autres mots, attendez !

Nous vivons dans des sociétés aux prises avec des contradictions flagrantes, et ce, dans beaucoup de domaines. Dans une grande majorité des cas, les améliorations des techniques et des procédés d’opérations mises de l’avant au cours des dernières années visaient à simplifier notre vie, mais surtout à gagner du temps. Une course effrénée à gruger des minutes, voire des secondes.

Mais voilà, avec l’accroissement de la population combiné aux exigences d’offrir des services personnalisés, l’être humain n’a jamais autant attendu. Une dichotomie lacunaire.

Nos comportements amplifient continuellement la demande d’épargner du temps.

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On klaxonne à qui mieux mieux ceux qui n’ont pas une réaction au volant à une nanoseconde près, on peste quand notre ordinateur ou notre tablette électronique ne réagit pas immédiatement à notre demande de renseignements, on vocifère contre le serveur pour qu’il prenne soin de notre commande subito presto.

Nous sommes tentés d’imiter le roi Louis XIV, qui aurait dit : « J’ai failli attendre. » Toutefois, nous attendons de plus en plus. Ce nouveau phénomène, que j’intitule « l’attentivite », est plus que présent. En fait, cette attentivite peut être considérée comme une maladie qui se propage partout, par exemple : les heures d’attente dans les cliniques et les salles d’urgence des hôpitaux; les réparations à votre automobile au garage spécialisé; les files aux caisses de grands magasins au Boxing Day,

23 janvier 2015

au Vendredi fou, pendant les courses de Noël ou même certains jours de semaine trop tranquilles; l’obtention des renseignements des services publics avec les répondeurs automatiques (« Faites le 2 pour ceci, le 3 pour cela » ou encore « Votre appel est important pour nous. Gardez la ligne »); le franchissement des portes de la sécurité aux aéroports (« Veuillez enlever bijoux, ceinturon, souliers, etc. »); les autoroutes en rénovation (problème éternel au Québec); une livraison ou une visite à domicile (« Nous serons là entre 8 h et 17 h demain »). Toutes ces activités sont drôlement chronophages.

Que fait-on ? On s’impatiente, s’agite, se morfond, s’énerve, s’exaspère, se crispe, poireaute, prend racine, gesticule : tous des comportements qui ont un effet sur l’humeur et la santé.

Pourtant, Étienne de Senancour a

bien spécifié que « vivre, c’est espérer et attendre ».

Y a-t-il un remède à cette attentivite ? Entreprendre une étude tératologique pour tenter de trouver des comportements humains plus conciliants ? Force est d’admettre que la situation globale ne changera pas dans un avenir prochain. Prendre un antidote comme la « dépêchonsvite » ?

Cause de stress inéluctable. On ne peut recourir à la dépêchonsvite que sporadiquement, car elle peut conduire à la rage au volant ou à une épargne parcimonieuse de temps.

Comme l’a si bien dit Didier van Cauwelaert, « ce qui compte, c’est d’avoir toujours quelque chose à attendre », car la vie a toujours à offrir.

Prendre son mal en patience ou perdre patience : voilà la question.

charlie S’abonner à une pensée Christian Delpla

Impossible de ne pas parler de « l’Événement ». Celui-ci arrive après une longue lignée sanguinolente d’autres attentats qui ont eu lieu aux États-Unis, en Espagne, en Angleterre, au Danemark ou en France dans les vingt dernières années. Tous ces attentats avaient pour origine des revendications d’une faction islamiste ou d’une autre.

L’originalité de celui qui a pris pour cible le journal Charlie Hebdo est qu’il vise à faire taire, par les moyens les plus radicaux, une parole qui s’oppose à la pensée de l’islam, ou tout au moins à une certaine pensée de l’islam, l’islam fondamentaliste. Les censeurs à la kalachnikov avancent en brandissant le Coran et en dénonçant le blasphème. Un tel acte barbare est un défi à la modernité, au vivre-ensemble et à la démocratie. C’est le propre de toute religion d’être dogmatique, voire intolérante.

Qu’on se souvienne des guerres de religion en France, il y a cinq siècles, et de la triste pratique de l’Inquisition. Depuis, nous avons compris que le vivre-ensemble réclamait plus de tolérance et d’ouverture d’esprit de la part de voisins qui ont des religions différentes ou sont même athées ou agnostiques. Dans cette perspective, le blasphème peut représenter une faute de goût, une faute de respect de l’autre, faute qui relève de la justice laïque, mais certainement pas de la justice de Dieu, quand on sait comment celle-ci se traduit habituellement.

L’islam doit donc faire son aggiornamento comme ont pu le faire ou le font d’autres religions. Cela est d’autant plus nécessaire que le monde évolue tous les jours vers un monde de plus en plus multiculturel où chacun peut de moins en moins s’attendre à côtoyer son double en déambulant dans les rues ou en se rendant à son travail. L’islam n’est pas une religion monolithique, beaucoup moins que ne l’est la religion catholique, par exemple. Beaucoup de musulmans ont déjà

suivi l’évolution du monde. Malheureusement, ceux qui aujourd’hui parlent le plus fort sont les fondamentalistes. Il ne faut pas qu’ils soient les seuls à s’exprimer. Dans le cas contraire, nous risquons de nous heurter à des amalgames; les fondamentalistes seraient alors finalement les gagnants.

Comme aurait pu le dire Mao, le terroriste doit être dans la population comme un poisson dans l’eau. Il faudra à l’avenir s’attacher à retirer l’eau, c’est-à-dire que cette communauté musulmane dans laquelle ce terroriste évolue, et qui pour sa très grande majorité désapprouve ces actes barbares, devra se mobiliser activement pour rejeter ces individus, et il faudra que la population d’accueil fasse aussi sa part en facilitant son intégration dans le cadre d’une société laïque, démocratique et juste. Cela est la seule solution viable, ou alors refuser la mondialisation, qui semble une transformation inéluctable de notre environnement.

Je n’ai jamais aimé Charlie Hebdo, que je trouvais trop provocant, mais je m’y suis abonné. Et vous ?

123 janvier 2015

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