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Edito Et si on parlait d’agrobiodiversité ?
L
a biodiversité en agriculture est un sujet très large. De fait, pas question d’être exhaustif dans ce numéro, mais nous lançons des pistes, pour vous donner des arguments pour la pratique, mais aussi pour la communication : oui, l’agriculteur est un acteur de la biodiversité, nous le démontrons tout au long de ce magazine à travers moult exemples. On pourrait même parler d’agrobiodiversité, comme le suggère notre grand témoin. Notre grand témoin justement, Jean-Pierre Sarthou, présente la particularité d’être à la fois agriculteur et chercheur. La pratique, et la théorie, les deux étant, pour une fois, étroitement liés. Par ailleurs, trois reportages viennent apporter autant d’éclairages : sur les apports en biodiversité de la filière riz en Camargue, dans la Dombes où ce sont très souvent les agriculteurs qui entretiennent les étangs (en plus de leur activité principale bien sûr), et dans le Jura où nous avons rencontré un agriculteur s’étant diversifié dans le drainage, et créant aujourd’hui une association pour aider ses confrères ayant un souci sur la problématique de l’eau. Nos « brèves des champs » sont autant d’exemples de conduites agronomiques allant dans le sens d’une plus grande biodiversité. Nos pages Moteur vous feront vrombir de plaisir, vous découvrirez la directrice d’AGCO dans « paroles d’entrepreneur », tandis que nos partenaires rédactionnels, Agritel pour les marchés céréaliers, et CerFrance pour la gestion d’entreprise, sortent du thème général pour partager leurs analyses. Enfin, nous concluons avec une autre analyse, celle d’Eddy Fougier, sur un fait de notre temps…
La rédaction
A.J.
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Sommaire WikiAgri n°12 / JUILLET 2014
u Directeur de publication Yannick Pages Rédacteur en chef Antoine Jeandey Rédaction Eddy Fougier Raphaël Lecocq Opaline Lysiak redaction@wikiagri.fr Ont participé à ce numéro AGRITEL CERFRANCE
Edito P.3
THÉMA l
Le dessous des graphes
P.6 et 7 - Graphiques et infographies
l
Cambon lui semble
P.8 - Le dessin de Michel Cambon
Dessinateur Michel Cambon
l
Photographe Jean-Marie Leclère
P.9 à 12 - L’interview de Jean-Pierre Sarthou, enseignant, chercheur et agriculteur
Publicité Tél. 06 89 90 72 75 | pub@wikiagri.fr Consultant Média Bernard Le Blond - Vision bleue Tél. 06 83 92 08 61 Conception graphique et maquette Notre Studio www.notrestudio.fr Conseil éditorial Sylvie Grasser - Hiceo Tél. 06 32 75 11 94 www.hiceo.fr ISSN ISSN 2258-0964 Dépôt légal A parution Service abonnements 4, impasse du Faubourg 38690 Le Grand Lemps Tél : 04 76 31 06 19 E-mail : contact@wikiagri.fr Abonnement annuel 34,90€ TTC (4 numéros) Prix au numéro : 10€ Site internet www.wikiagri.fr Impression SAS Imprimerie Leonce Deprez Zone industrielle de Ruitz 62620 Ruitz Tirage 48 000 exemplaires (dont 45 500 expédiés) Le magazine WIKIAGRI ® est edité par la société : DATA PRO SOLUTIONS BP 70132 38503 VOIRON CEDEX
Le Grand témoin
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Théma : La biodiversité
u
MOTEUR
P.14 - Acteurs de la biodiversité P.18 - La biodiversité et vous, d’après vos témoignages recueillis sur wikiagri.fr P.20 - En Camargue, le riz à sec sans les aides couplées ? P.22 - Dans l’Ain, les étangs de la Dombes, toute une faune bien entretenue P.24 - Dans le Jura, le bon drainage respecte les sols et la ressource en eau P.26 à 29 - Brèves des champs, les applications agronomiques en faveur de la biodiversité : ravageurs, variétés de blé, biocontrôle, prairies fleuries… P.30 - Moteur, les dommages collatéraux sous contrôle
P.32 - L’autoguidage qui ne se débine pas (première mondiale !) u
Paroles d’entrepreneur
P.34 à 36 - Entretien avec Nathalie Peslerbe, directrice générale d’AGCO SAS u
Pédagogie des marchés
P.38 - Par Agritel, les perspectives pour la campagne 2014-2015 u
stratégie et benchmark
P.40 - Par CerFrance – Trésorerie, soyez fourmi u
reflexions
P.42 - Matières premières agricoles, haro sur la spéculation
Ce numéro comporte un encart Yara, et un encart sélectif Florimond Desprez.
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COMPRENDRE
Le dessous des graphes 1. Gain de biodiversité est une seule espèce, celle du blé tendre La biodiversité en agriculture peut aussi ne pas se voir en termes de paysages. Ainsi, le Gnis précise que sur la seule espèce du blé tendre, le nombre de variétés augmente continuellement. Donc, la biodiversité augmente aussi grâce à la recherche !
Source Gnis, groupement national interprofessionnel des semences
2. Les différentes catégories de biodiversité Selon notre grand témoin (lire son interview à partir de la page 9) Jean-Pierre Sarthou, chercheur à l’Inra et aussi agriculteur, la biodiversité se compose de différentes catégories qui interagissent. Selon lui (extrait de son interview), « on parle d’« agrobiodiversité », c’est-à-dire la biodiversité qui permet de faire fonctionner les écosystèmes agricoles. Elle comprend la biodiversité utile (les pollinisateurs, prédateurs, parasitoïdes, décomposeurs…) mais également les ravageurs, les agents pathogènes, etc. Et bien sûr, la composante productive de la biodiversité, qui comprend les espèces domestiquées et sélectionnées par l’homme. »
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3. La biodiversité dans le sol, ou comment un sol riche devient plus facile à travailler Pour l’agriculteur, il est très important de savoir travailler son sol. Tous les sols ne peuvent pas supporter de la même façon une pression, quelle que soit la nature de cette dernière. Cette infographie prend le cas d’un sol rocheux, travaillé (éventuellement naturellement par les eaux excédentaires, l’autre cas est celui de l’action de l’homme) en un endroit précis. Le schéma de gauche prend le cas d’un tel sol avec peu de matière organique, comprenez peu de vers de terre pour la créer. Là, l’attaque sur le sol peut prendre une forme dramatique, en le rendant friable. Le schéma de droite montre un sol riche en matière organique, donc avec une forte biodiversité implantée dans le sol. Et dans ce second cas, le fait que le sol soit travaillé a beaucoup moins d’impact sur la partie rocheuse, celle qui soutient l’ensemble. La biodiversité dans le sol a donc aussi son importance.
Infographies : Notre Studio
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Le dessin
Cambon lui semble
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GRAND TÉMOIN Jean-Pierre Sarthou D.R.
« L’opposition entre agriculture et biodiversité s’estompe » Repères Jean-Pierre Sarthou chercheur et agriculteur.
est
enseignant,
Il enseigne à l’Ensat (école nationale supérieure agronomique de Toulouse) et mène des recherches à l’Inra, au sein de l’UMR Agir (unité mixte de recherche en agroécologie, innovation et ruralité). Il a notamment coordonné le chapitre « services écosystémiques » de l’expertise « Agriculture et biodiversité » parue en 2008, dont les conclusions visent à mieux prendre en compte la biodiversité dans la politique agricole française.
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La définition de la biodiversité est-elle la même en agriculture qu’ailleurs ? J.-P.S. : Si on s’intéresse à tous les milieux qui composent une matrice agricole, oui, la définition est la même. Il faut alors prendre en compte les parcelles cultivées mais aussi les bords de champs, les friches, les bocages, les mares… La biodiversité, c’est toute forme d’expression du vivant, que l’on peut observer sur trois axes : composition, structure et fonction. Les deux premiers axes déterminent le troisième. Au final, on peut observer la biodiversité depuis la diversité des gènes jusqu’à la diversité des paysages. C’est très vaste ! Par définition, l’agriculture consiste à remplacer le paysage naturel par des cultures. On pourrait penser que biodiversité et agriculture s’opposent. J.-P.S. : Oui et non ! Oui, car en général l’agriculteur organise ses productions de manière uniforme :
un champ de blé, un champ de colza. Une seule espèce sur une surface donnée, sans en autoriser d’autres, ce qui est contre nature. On estime qu’en 1950, avant le remembrement, l’agriculture était organisée à l’échelle paysagère d’une telle manière qu’elle favorisait au maximum la biodiversité par unité de surface. C’est à partir de cette période que la biodiversité a commencé à diminuer. L’agriculture ne peut donc pas promouvoir la biodiversité ? J.-P.S. : Si ! Depuis quelques temps, l’opposition entre agriculture et biodiversité s’estompe. Déjà, l’agriculture a, de tous temps, fait appel à un panel d’espèces animales et végétales pour produire. Elle a produit de la biodiversité au travers des variétés cultivées et races élevées. Alors que l’agriculture traditionnelle mélangeait les espèces au sein d’une parcelle (méteil par exemple), ces pratiques
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GRAND TÉMOIN Vous êtes à la fois chercheur et agriculteur. Qu’est-ce que cette double fonction vous apporte ? J.-P.S. : Je n’ai pas une contrainte économique aussi forte que tous les agriculteurs car je suis fonctionnaire. Mais je veux que mon exploitation soit rentable. Cette contrainte me ramène à la réalité et me permet d’avoir les pieds sur terre. En tant que chercheur, j’estime que la théorie, c’est bien, mais faire le lien avec la pratique rend cette théorie beaucoup plus utile. Avec la pratique, sur mon exploitation, je sélectionne les connaissances qui sont vraiment intéressantes sur le terrain. Quelle est la place des expérimentations « sur parcelles » dans vos travaux ? J.-P.S. : Je ne fais que ça ! Je travaille essentiellement chez des agriculteurs. Actuellement, nous mettons en place un réseau pour étudier le lien entre biodiversité fonctionnelle et agriculture de conservation (Ndlr : lire notre rubrique « Brèves des Champs », pages 26 à 29). D.R.
Deux espèces différentes de syrphe, dont les larves se nourrissent des pucerons.
ont presque disparu. Mais on y revient. Au final, on peut distinguer deux familles de biodiversité agricole : la biodiversité planifiée, celle qui est décidée par l’homme, et la biodiversité associée, celle qui s’invite toute seule dans le champ (auxiliaires et ravageurs). Quelles formes différentes la biodiversité peut-elle prendre en agriculture ? J.-P.S. : On parle d’« agrobiodiversité », c’est-à-dire la biodiversité qui permet de faire fonctionner les écosystèmes agricoles. Elle comprend la
« L’agriculture a, de tous temps, fait appel à un panel d’espèces animales et végétales pour produire. Elle a produit de la biodiversité au travers des variétés cultivées et races élevées. »
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D.R.
biodiversité utile (les pollinisateurs, prédateurs, parasitoïdes, décomposeurs…) mais également les ravageurs, les agents pathogènes, etc. Et bien sûr, la composante productive de la biodiversité, qui comprend les espèces domestiquées et sélectionnées par l’homme. Qu’est-ce qui vous a amené à vous intéresser à la biodiversité agricole ? J.-P.S. : L’agriculture est une passion depuis toujours. Quand je voyais, enfant, autour de chez moi dans le Béarn, au pied des Pyrénées, les paysans travailler de manière organisée, pour que sorte d’un champ, d’une ferme, quelque chose qui pouvait se manger, cela me fascinait ! Ma deuxième passion, ce sont les bestioles qui vivent dans les champs et aux alentours. Si l’on réunit ces deux passions, on arrive à la troisième : l’homme peut produire tout en permettant à la vie sauvage d’exister. Le fait que cette association harmonieuse se perde peu à peu m’a déplu. C’est pourquoi aujourd’hui, dans mon travail, je m’efforce de montrer que la biodiversité sauvage contribue à la production agricole.
Concrètement, qu’est-ce que la biodiversité peut apporter aux agriculteurs ? J.-P.S. : Si les infrastructures écologiques sont présentes, une biodiversité utile peut se développer. Je vais prendre l’exemple. Un paysage riche en milieux seminaturels (lisières de bois, prairies, friches, talus, fossés, jachères en fleurs…) favorise ses pollinisateurs qui y trouvent une nourriture en quantité et en qualité. Certaines larves sont aphidiphages : elles se nourrissent de pucerons. Chez certaines espèces, les femelles pondent dans les milieux cultivés, ce qui fait de cet insecte un auxiliaire. On sait aujourd’hui qu’elles peuvent pondre aussi à l’automne, dans les jeunes blés, réduisant d’autant les risques de pullulation de pucerons au printemps. Pouvez-vous illustrer l’effet positif des syrphes par un exemple ? J.-P.S. : J’aime raconter cette anecdote, celle d’un agriculteur en Charente-Maritime qui devait partir en vacances juste au moment où il avait prévu de passer un insecticide sur ses parcelles de blé. Sa femme a insisté pour qu’il parte, ce qu’il a fait, anxieux à l’idée de retrouver ses blés dévastés par les pucerons. Retrouvant, à son retour, un
« On peut distinguer deux familles de biodiversité agricole : la biodiversité planifiée, celle qui est décidée par l’homme, et la biodiversité associée, celle qui s’invite toute seule dans le champ (auxiliaires et ravageurs). » des molécules à spectre plus étroit, sont des exemples d’actions simples. Elles permettent aux auxiliaires de terminer leur cycle dans la culture sans être perturbés.
A.J.
champ magnifique, il remercie son voisin d’avoir traité ses parcelles à sa place. Mais son voisin DR avait traité uniquement ses propres parcelles ! En fait, le problème des pucerons s’est solutionné grâce aux syrphes, qui, non perturbés par un insecticide, ont régulé la première pullulation. Il n’y a donc pas eu de deuxième pullulation : les pucerons
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étaient là, mais leur population n’a pas atteint le seuil de nuisibilité. Cet agriculteur n’a pas du tout traité, alors que ses voisins ont fait deux passages. Cette histoire montre que pour que la biodiversité l’aide, l’agriculteur doit aider la biodiversité. Eviter des dérives phytosanitaires sur les bords de champs, cibler les ravageurs avec
Peut-on savoir si une parcelle ou une exploitation est riche en biodiversité ? J.-P.S. : On peut estimer la biodiversité d’une exploitation, mais le plus intéressant serait de savoir à quoi elle sert. C’est le sens du projet européen BioBio, auquel j’ai participé : il a pour objectif de définir des indicateurs de biodiversité pertinents et harmonisés au niveau européen, pour les utiliser ensuite sur les exploitations agricoles.
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GRAND TÉMOIN
Les agriculteurs sont-ils conscients de l’intérêt de la biodiversité sur leurs exploitations ? J.-P.S. : Il y a une prise de conscience partielle. La frange des agriculteurs convaincus de l’intérêt de la biodiversité est restreinte mais s’étoffe d’année en année. Quel lien existe-t-il entre biodiversité sauvage et biodiversité cultivée ? J.-P.S. : Une exploitation avec une diversité de cultures dans l’espace (assolement) et dans le temps (rotation) est moins sensible aux bioagresseurs car ceux-ci n’ont pas en permanence accès à la source de nourriture nécessaire à leur développement. On applique moins de produits phytosanitaires, ce qui favorise la biodiversité sauvage, et notamment les auxiliaires des cultures.
« La recherche est importante pour prouver que la biodiversité est utile mais la diffusion des résultats par la sensibilisation est essentielle. Je crois beaucoup aux formations. »
A quels niveaux doit-on agir pour que la biodiversité soit considérée comme un outil de production par les agriculteurs ? J.-P.S. : La recherche est importante pour prouver que la biodiversité est utile mais la diffusion des résultats par la sensibilisation est essentielle. Je crois beaucoup aux formations. Le papier est moins convaincant. C’est étonnant la quantité d’informations que l’on peut transférer en quelques heures sur le terrain !
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Selon Jean-Pierre Sarthou, il faut sensibiliser les agriculteurs pour favoriser la faune sauvage.
Que pensez-vous de la création de l’agence nationale de la biodiversité ? J.-P.S. : Je ne me suis pas penché sur la question. Tout ce que je peux dire, c’est que l’on verra dans cinq ans si cette structure aura apporté quelque chose. Mais la France n’en est pas à son premier affichage de bonne volonté en la matière… Vous travaillez sur le thème de l’agriculture de conservation. Comment les agriculteurs engagés dans cette démarche considèrent-ils la biodiversité ? J.-P.S. : Il est trop tôt pour le voir, mais il me semble que ces professionnels sont particulièrement sensibilisés à la biodiversité du sol. Pensez-vous que la biodiversité soit prise en compte de la même manière partout dans le monde ? J.-P.S. : Dans beaucoup de pays anglophones, notamment aux EtatsUnis, le transfert des connaissances auprès des agriculteurs est partie intégrante de la mission des
A.J.
universitaires. Les chercheurs ont également des partenariats forts avec les agriculteurs. En Thaïlande, les résultats de recherches en lutte biologique par conservation ont donné lieu à des aménagements favorisant les auxiliaires afin de mieux contrôler un ravageur du riz, la cicadelle... Plus près de chez nous, la Suisse, l’Allemagne et l’Autriche sont en avance sur la question de la biodiversité. Que pensez-vous du rôle des agriculteurs dans l’entretien de la faune sauvage ? J.-P.S. : Malgré quelques initiatives locales, en exerçant leur métier les agriculteurs ne favorisent pas la faune sauvage. Des parcelles de plus en plus propres diminuent les ressources pour les insectivores (cailles, perdrix, faisans). Je pense que nous avons les moyens de changer cela, mais il y a un gros travail de sensibilisation à faire. Propos recueillis par Opaline Lysiak
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THÉMA
Sur un seul cliché, sans trucage, un faisan (tête rouge) et un lièvre, entre un champ de blé et un de colza : qui dira que la biodiversité n’est pas agricole ?
A.J.
Acteurs de la biodiversité Définition de la biodiversité en agriculture Qu’est-ce que la biodiversité en agriculture ? La réponse à cette question n’est pas si simple, car après tout, le principe de l’agriculture, c’est de domestiquer la nature pour produire. Donc, a priori, d’aller contre la biodiversité. Du reste, dans l’inconscient populaire, les agriculteurs sont parfois plus facilement, encore aujourd’hui, assimilés à des pollueurs plutôt qu’à des acteurs économiques de la nature et de la biodiversité. Pour autant, notre
« Si la vie n’est qu’un passage, sur ce passage au moins semons des fleurs » Montaigne
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grand témoin Jean-Pierre Sarthou observe que « depuis quelques temps l’opposition entre agriculture et biodiversité s’estompe ». Cela va même plus loin, les agriculteurs sont de véritables acteurs de la biodiversité, tout le présent magazine le démontre. Le rôle des agriculteurs Il est souvent question de maintenir, de préserver… Le rôle des agriculteurs va bien audelà en matière de biodiversité. Il consiste aussi à cultiver. Et même à l’intérieur d’une culture, par exemple le blé, il existe quantité de variétés (voir notre infographie page 7). Certains céréaliers peuvent même être conduits à cultiver des espèces très particulières selon une commande, par exemple émanant de la meunerie. Quand on dit
« le blé », on est déjà dans la biodiversité, contrairement aux idées reçues… Plus globalement, au-delà des cultures, le rôle des agriculteurs s’étend sur une quantité d’aménagements, de débroussaillages de fossés, d’entretien de haies, de bords de cours d’eau, de jachère, le tout dans le respect des normes. Qui peut en dire autant ? Les personnels territoriaux en charge des entretiens fluviaux ou de voiries savent-ils utiliser les bonnes charges en produits ? Travaillent-ils au moment où il faut ? Le monde rural dans son ensemble à beaucoup à apprendre des agriculteurs en matière de biodiversité… Un contexte législatif évolutif Loi agricole. Loi sur la biodiversité. Lois diverses et variées ayant un
« La biodiversité nous concerne au premier chef, car cette biodiversité c’est nous et tout ce qui vit sur terre. » Hubert Reeves volet « biodiversité »… Le contexte législatif qui encadre la biodiversité est pour le moins évolutif. Il est donc difficile de suivre. Là où, bien souvent, les agriculteurs ont surtout besoin d’informations, ou dans le pire des cas de rappels à l’ordre des bonnes conduites, le législateur l’assène de nouvelles règles, de nouvelles normes. Néanmoins, la loi sur la biodiversité reste du plus grand, puisque impactant directement les pratiques. Discutée fin juin, elle présente six volets, dont la seule semblant dépasser le cadre de la sémantique est la création d’une agence nationale de la biodiversité (point suivant). L’Agence de la biodiversité, un simple déménagement de fonctionnaires ? La création d’une agence nationale de la biodiversité a été présentée comme une mesure-phare, susceptible de faire évoluer les pratiques humaines en faveur de la biodiversité. Dans la pratique, des doutes sont permis. On constate que les 1 200 fonctionnaires concernés émanent en fait de différents services d’Etat qui seront débaptisés pour l’occasion. Entre autres, le transfert des 800 fonctionnaires de l’Onema (office national de l’eau et des milieux aquatiques) laisse supposer que la biodiversité dont il sera question sera axée principalement sur l’eau. Pour mémoire, l’Onema a été très critiquée par les agriculteurs, notamment dans le cas des inondations du Var, ou dans son rôle de gestion des rivières… Par ailleurs, il semble (sous réserve de confirmation au moment du débat parlementaire) que même avec ces composantes d’Etat, toutes ne soient pas représentées au sein de cette agence de la biodiversité. L’association Humanité et Biodiversité (présidée par Huvert Reeves) estime ainsi dommageable que l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) ne rejoigne pas l’Onema dans la nouvelle agence. Pour préserver les abeilles, faut-il aller jusqu’au travail de nuit ? Parmi les règles qui doivent (en principe) être instituées sous peu, il y a celle demandant à tous ceux qui utilisent des pesticides de travailler la nuit… Tout simplement parce que les abeilles dorment la nuit et qu’il existe donc moins de probabilités de les affecter ainsi. Le ministre de l’Agriculture Stéphane Le Foll a annoncé vouloir aller dans cette direction, mais la FNSEA, notamment par la voix de Christiane Lambert sur wikiagri.fr, préférerait un rappel des bonnes conduites en la matière plutôt qu’un texte supplémentaire à suivre à la lettre. Il faut protéger les abeilles, c’est un fait. Quelle est la meilleure méthode ? Comment rétribuer l’effort agricole en biodiversité ? Et pourquoi pas en effet ? Il est souvent demandé aux agriculteurs, au travers de la Pac notamment, des compensations environnementales à leur action. Mais quand cette dernière inclut directement un effort en faveur de la
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biodiversité > Sur wikiagri.fr ou sur WikiAgri Magazine
Les cours d’eau au milieu d’une terre agricole présentent bien des contingences à connaître…
A.J.
« Ne juge pas la journée en fonction de la récolte du soir, mais d’après les graines que tu as semées. » Robert Louis Stevenson biodiversité, alors pourquoi ne pas la rémunérer spécifiquement ? Le think thank agricole SAF Agr’Idées notamment planche sur cette idée et commence à avancer des solutions, comme ces contrats privés que l’on appelle les « paiements pour services environnementaux », ou PSE (plus de détails, lire page 23). Il pourrait s’agir ainsi d’une voie d’avenir, incitative (et donc attractive), contrairement à bien des dispositifs actuels ou en réflexion par ailleurs, malheureusement plus proches de « l’environnement sanction » que de la « croissance verte ». Eau, l’intéressante création de l’association Andhar Nombre de problématiques agricoles sont liées à l’eau : cours d’eau, barrages, entretien, irrigation, drainages, zones humides, avec tout un contingent de choses à savoir à chaque, tant d’un point de vue juridique que pour savoir user des bonnes pratiques. Pour répondre à tout
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cela, une nouvelle association a été créée par un agriculteur par ailleurs ayant diversifié dans une entreprise de drainage : l’Andhar (lire plus de détails page 25). Des pistes intéressantes, tout en préservant les rendements Il faut savoir ne pas tomber d’un excès à l’autre. S’il y eut une époque où les charges ont
été insuffisamment calculées en fonction de leur apport réel, retirer totalement tous les intrants aurait aussi des conséquences catastrophiques pour notre économie. Un pays comme le Danemark exportait largement son blé avant de tomber dans le « zéro pesticide » ou presque, d’où une baisse des rendements et surtout de la teneur en protéines : derrière, les pays importateurs ont choisi d’autres fournisseurs, et le Danemark n’est plus aujourd’hui un pays exportateur en blé, au grand dam de son économie. Il s’agit donc de concilier le niveau des rendements, et donc des taux protéiques, et une conduite culturale préservant la biodiversité. Avec l’interview de notre grand témoin, ou encore notre rubrique « brèves des champs » (pages 26 à 29), vous verrez que de nombreuses pistes sont explorées pour, petit à petit et en prenant le temps d’effectuer des essais, savoir de mieux en mieux doser les produits, et utiliser les meilleures techniques. On parle beaucoup du biocontrôle, mais ce n’est pas tout… Antoine Jeandey
Des cultures comme le colza présentent un couvert formidable pour toute une vie, notamment giboyeuse.
A.J. A.J.
A.J.
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C’est vous qui le dites .... Agriculture et biodiversité, il s’agit évidemment d’un sujet très vaste, où il est possible d’entrer en de multiples endroits. La meilleure définition est donnée par l’un d’entre vous, il en parle ainsi comme d’une « évolution permanente de toutes les espèces animales, (et) végétales ».
V
ous êtes habitués désormais à cette rubrique. Nous ouvrons un forum sur wikiagri.fr, ce qui vous permet de vous exprimer sur le thème du numéro suivant du magazine. D’où cet article, micro ouvert sur vos remarques, témoignages et opinions. Le premier d’entre vous à donner une définition, et des chiffres sur la biodiversité en agriculture est CDinoV (de son pseudonyme sur wikiagri.fr) : « La biodiversité beaucoup en parlent autour de nous ou en tribune, sans en connaître la véritable définition ; mais trop peu agissent pour la stimuler : en effet la biodiversité est une évolution permanente de toutes les espèces animales, végétales. La France est d’ailleurs au premier rang européen pour la biodiversité des vertébrés et arbitre 40 % de la flore européenne. » En même temps, dans son argumentation, CDinoV insiste sur la rentabilité. Aller sans discernement vers la biodiversité sans tenir compte des baisses de rentabilité, ça a un coût. Il
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insiste : « Quelle serait la réaction d’un citoyen français qui verrait son salaire taxé de 10 % supplémentaire pour financer la biodiversité ? » Guy Bordenave va un peu dans le même sens, à savoir que la biodiversité fait partie des priorités certes, mais sans être la première d’entre elles : « La biodiversité ? Quésaco ? Encore un mot du vocabulaire que beaucoup de gens prononcent, mais dans la réalité, je ne vois pas dans mes Pyrénées les progrès réalisés par cette pauvre agriculture, qui ne cesse de voir disparaitre bon nombre d’exploitations. (…) Nous, les agriculteurs, allons faire de la
Qu’est-ce qu’un carabe, demande Gytdm. Il s’agit d’une famille d’insectes, dont le scarabée est le plus célèbre, connus pour être les prédateurs naturels des œufs de limace.
biodiversité parmi tous ces gens qui viennent a la campagne mais ne veulent pas les inconvénients. En attendant la retraite, je biodiversifie mon jardin, et je mange à ma faim sans RSA, APL, etc. »
« C’est quoi un carabe ? » Gytdm, lui, va dans un autre sens, il pousse même un coup de gueule contre ce qu’il estime être de mauvaises pratiques : « Posez la question sur l’utilité d’un carabe dans le milieu agricole, et la réponse est souvent «c’est quoi un carabe ?» Chaque problème est
A.J.
L C
1120 Membres
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......... sur wikiagri.fr réglé de façon indépendante, sans s’occuper de ses répercutions ou dommages collatéraux. Un exemple fort simple, nos fournisseurs de phytos actuellement nous bombardent de SMS, pour nous alerter de la présence de charançons des siliques sur les colzas, le but étant de faire traiter en principe après vérification. Dans les faits beaucoup de traitements sont réalisés sans vérifications, d’ailleurs c’est quoi un charançon ? Mais le souci de ce traitement pour rien, c’est qu’il va augmenter votre risque limaces, dans votre culture suivante... En agriculture, chaque pratique influence, la biodiversité, que ce soit un traitement phytosanitaire, un travail du sol, même un choix d’assolement. » De son côté, Bacou Yann se dit « pas écolo mais respectueux du monde qui (l’) entoure ». Ce qui lui fait dire, par exemple, qu’il est prêt à accepter le travail de nuit, pour les abeilles, qu’il considère comme « des amies qui nous aident à produire ». Quasi lyrique dans son ton, DumDum, qui fait du théâtre amateur, cite carrément le texte
d’une pièce où il joue : « La biodiversité dans ce champ, tu la feras dans le temps avec une succession de cultures différentes. Vous êtes toujours pressés, vous les humains, ici et maintenant, avec vos bilans annuels et le taux d’évolution sur trois ans. Les rythmes de la nature, des plantes, de la climatologie sont différents… » Carole Zakine, docteur en droit spécialisée dans l’environnement, qui a d’ailleurs signé une tribune sur wikiagri.fr sur le thème de la journée mondiale des zones humides, est également intervenue dans ce forum (de son propre chef, et nous l’en remercions), pour présenter une solution qui pourrait regrouper tout le monde, à savoir rémunérer spécifiquement l’effort agricole en faveur de la biodiversité. Elle dit ainsi : « On peut considérer que la biodiversité est une opportunité pour les agriculteurs de se positionner en tant que gestionnaires d’un patrimoine commun. En effet, la biodiversité est considérée comme tel par le droit. On peut aussi estimer qu’à
ce titre les agriculteurs doivent percevoir des paiements incitatifs pour les rémunérer du service qu’ils rendent AJen adaptant leurs pratiques à des objectifs de production de biodiversité. » Evidemment, elle positionne ainsi dans la prospective (lire également page 23 l’encadré sur les PSE). Le mot de la conclusion, nous le donnons à TGV36, qui synthétise pas mal l’esprit de ce forum : « La biodiversité, c’est très important, la rentabilité de nos exploitations passe par le respect de la nature, car elle travaille pour nous. Connaitre le fonctionnement de ses sols égale de grosses économies en énergies et en intrants… Mais ne pas oublier l’environnement de l’exploitation. » A.J. Retrouvez tous ces témoignages, et ceux qui auront été ajoutés entretemps, sur wikiagri.fr, rubrique « forums ». Lien direct : http://wikiagri.fr/ topics/lagriculteur-acteur-de-labiodiversite/147.
DR
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Biodiversité > Reportage en Camargue
Le riz à sec sans les aides couplées ? Le delta du Rhône est l’un des rares deltas méditerranéens à préserver la biodiversité. La riziculture et le pompage des eaux du Rhône n’y sont pas étrangers. Mais sans les aides couplées, on ne fera pas du riz en sec ! 70 % de la Sau en Camargue, l’agriculture représentant 40 % de la superficie du delta du Rhône. Dans ces conditions, difficile de ne pas considérer les 700 millions de m3 extraits du Rhône chaque année par les riziculteurs comme étant une contribution directe à la préservation de la biodiversité.
L’irrigation est indispensable à la culture du riz, mais elle sert également les cultures sèches de la rotation, en repoussant le sel dans les profondeurs de la nappe phréatique.
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n 1970, l’organisation non gouvernementale WWF (World wildlife fund ou Fonds mondial pour la vie sauvage) a mis au point un indice permettant de mesurer l’évolution des populations de vertébrés sur la planète. Il s’agit de l’Indice planète vivante. 1970, c’est précisément l’année où a été créé le Parc naturel régional de Camargue. Appliqué à toutes les espèces et à toute la planète, l’indice témoigne d’une perte de 35 % des populations de vertébrés depuis 1970. En ce qui concerne la Camargue, l’indice montre que les populations de vertébrés ont augmenté de 65 % depuis cette même date, avec un net avantage pour les espèces inféodées aux marais d’eau douce, au détriment de celles des marais lagunaires. L’eau douce, c’est précisément la ressource essentielle de la riziculture. Avec ses 20 000 hectares, celle-ci représente bon an mal an
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« Convention Ramsar portant sur la valorisation et les gestion des zones humides, directive européenne oiseaux et habitats, réserve de biosphère Unesco, conventions de Bonn et de Bern, Natura 2000, Parc naturel région de Camargue, etc. : en tout pour tout, notre région est à la croisée de 17 réglementations nationales et internationales à vocation environnementale, déclare Bertrand Mazel, président du Syndicat des riziculteurs de France et filière (Srff). La riziculture n’est pas seulement compatible avec le respect du milieu : elle est le premier garant du maintien et du développement de la biodiversité. »
Un tsunami, sans vague, mais avec du sel Les origines de la culture du riz en Camargue remontent au XIIIe siècle. En 1593, le roi Henri IV ordonne que l’on cultive le riz en Camargue, aux côtés de la garance et de la canne à sucre. Les projets sont contrariés par les crues du Rhône et les épidémies de paludisme. Le fleuve est endigué en 1860. Si le fleuve ne déborde plus, il ne dessale pas non plus les terres. C’est alors qu’est créé un vaste réseau d’irrigation, constitué de 440 kilomètres de canaux principaux. En 1942, les pouvoirs publics reconnaissent le riz comme culture à part entière destinée à subvenir aux besoins de la population. En 2000, le riz devient (et demeure) la première céréale à obtenir une Indication géographique protégée (Igp). La culture du riz se stabilise sur 20 000 hectares, un équilibre qui satisfait l’ensemble de la filière.
Bertrand Mazel : « La riziculture n’est pas seulement compatible avec le respect du milieu, elle est le premier garant du maintien et du développement de la biodiversité. »
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Si l’irrigation par submersion est indispensable à la culture du riz, elle sert également les cultures sèches de la rotation, blé dur en tête, en repoussant le sel dans les profondeurs de la nappe phréatique sous l’effet de la densité, avant sa remontée insidieuse dans les cultures sèches par évapotranspiration. Le maintien des prairies, et avec elles des activités d’élevage, est directement lié à la riziculture. Selon le Syndicat des riziculteurs, 150 éleveurs de taureaux de Camargue labellisés en viande Aop ainsi que 120 éleveurs d’ovins en dépendent. Le 16 décembre 2013, le ministère de l’Agriculture a fait connaître ses arbitrages concernant les aides couplées aux productions végétales telles que le chanvre, le lin, le houblon, la fécule de pomme et le riz. Ce dernier est sacrifié totalement. Au printemps 2014, les emblavements chutent de 6 000 à 7 000 hectares, soit le tiers de la sole. Un tsunami. Sans vague. L’eau douce se retire doucement, l’eau salée reprend ses droits.
La biodiversité, dommage collatéral Les riziculteurs sont sous les choc. Les manifestations, requêtes et argumentaires n’y feront rien. « Les aides couplées, c’était une enveloppe de 8 millions d’euros, indique Bertrand Mazel. La filière riz en Camargue, c’est 80 millions d’euros de chiffres d’affaires et 2000 emplois directs et indirects, auxquels s’ajoutent 1600 emplois liés aux filières d’élevage. Pour ne parler que des seuls salariés, 1000 emplois sont menacés par la
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suppression des aides couplées, ce qui va représenter une facture sociale de 12 millions d’euros pour l’Etat. La profession demandait une enveloppe de 4 millions d’euros : c’est ni plus ni moins que les frais engagés par les agriculteurs pour entretenir le réseau d’irrigation. » Au plan économique, le riz est pris entre plusieurs étaux. Il est en prise directe avec le marché mondial, un marché ultra sensible du fait de la dépendance d’environ la moitié de la population mondiale à l’espèce, une des seules sinon la seule céréale valorisée à 100 % en alimentation humaine. Des distorsions intraeuropéennes s’en mêlent au plan
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des aides ou encore du catalogue phytosanitaire. L’irrigation plombe les coûts de production. L’Igp peine à revaloriser les prix. Le ministère n’a pas totalement lâché le riz et met en avant des Mesures agro-environnementales (Mae) compensatoires, qui ne satisfont pas la profession. « Les critères d’éligibilité tels que l’exercice à titre principal ou l’âge éliminent deux tiers des producteurs, souligne Bertrand Mazel. Les Mae sont plafonnées et financées par les régions. Or nous sommes sur deux régions. » Deux régions qui risquent de voir le niveau de la mer monter un peu plus vite… Raphaël Lecocq
Le riz est en prise directe avec le marché mondial, ultra sensible du fait de la dépendance d’environ la moitié de la population mondiale à l’espèce.
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A défaut du riz, les agriculteurs pourraient réorienter une partie de leur sole vers le melon ou la tomate de conserve. Mais toutes les terres ne seront pas reconverties.
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Un tiers de la consommation nationale de riz La filière rizicole française repose sur une poignée d’acteurs : 230 riziculteurs, quelques organismes stockeurs, une dizaine de riziers-conditionneurs et négociants metteurs en marché. Au total, environ 2000 personnes assurent la production et la valorisation de 20 000 hectares de riz, une céréale inféodée à 90 % à la Camargue. La riziculture trouve sa « source » dans le Rhône et son delta. Son origine remonte à la fin du XIIIe siècle. Dans un rapport trois quarts / un quart, les Bouches-du-Rhône et le Gard concentrent la production française. La France se place au cinquième rang des surfaces cultivées dans l’Union européenne. Avec environ 240 000 hectares, l’Italie assure 50 % de la production devant l’Espagne (25 %), la Grèce et le Portugal. La production européenne couvre les deux tiers des besoins de l’Union. Quant aux 230 riziculteurs français, ils assurent à eux seuls un tiers de la consommation nationale. Le rendement moyen du riz camarguais est de 58 q/ha.
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biodiversité > Reportage dans l’Ain
Les étangs de la Dombes, une faune entretenue Les étangs de la Dombes font partie de ces espaces écologiques dont on ne soupçonne pas le travail d’entretien qu’ils requièrent… Un travail accompli par des agriculteurs. Gilbert Limandas, au cœur de la Dombes.
Photos : A.J.
La fierté d’un parcours peu commun Gilbert Limandas, trois enfants et sept petits-enfants, a gravi les échelons un à un. D’abord salarié agricole de 1977 à 1983, il s’est donc installé en 1983. Parallèlement à ses activités d’exploitant, il s’est engagé dans le syndicalisme agricole, passant les différents niveaux de délégué cantonal, secrétaire général départemental puis président départemental de la FDSEA de l’Ain, de 1987 à 1993. Il a ensuite été président de FRSEA de la région Rhône-Alpes, puis est devenu vice-président national de la FNSEA, jusqu’en 2011. Parallèlement, il est président de Bovicoop, coopérative bovine, depuis 2000.
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ous sommes dans l’Ain, au centre ou presque d’un triangle Mâcon, Bourg-en-Bresse, Lyon. Les étangs se suivent, et avec eux tout un cortège d’espèces d’oiseaux aquatiques s’égaye dans les roseaux. Avec eux, bien sûr, on devine le poisson, à travers les sauts à la surface de l’eau. Toute cette nature, toute cette faune, n’existe en fait que grâce à la main de l’homme. C’est l’entretien de ces étangs qui leur donne le droit d’y vivre, et non l’inverse. Gilbert Limandas fait partie de ces agriculteurs qui participent ainsi, sans bruit ni revendication, au maintien d’une grande biodiversité à travers les étangs. Aujourd’hui président de la Chambre
d’agriculture de l’Ain, il a connu un parcours atypique, celui d’un salarié agricole qui s’est installé à 30 ans en location, en polyculture élevage. Les 52 hectares de terres, pour le maïs ensilage et aussi pour les jeunes bovins, il a fallu les drainer, dans la période 19831985 : « La maitrise de l’eau était un facteur important. » A côté, il y avait 15 hectares d’étangs. La production bovine était de 120 jeunes par an. La réforme de la Pac de 1992 apporte un soutien qui autorise un agrandissement de 45 hectares, avec une petite cinquantaine de vaches allaitantes. Il dresse un bâtiment de 1000 mètres sur le terrain de son propriétaire. En 1995, des canalisations sont enterrées sur les 52 premiers hectares. Puis, en 1999, les 42 hectares repris sont drainés à leur tour. En 2004, son fils Jérôme s’installe à son tour, en 2006 un nouveau bâtiment, de 1500 mètres carrés, est construit, ce qui permet de passer à 200 jeunes bovins. Aujourd’hui, l’exploitation représente une centaine d’hectares en herbe, une soixantaine en céréales autoconsommées, et 40 à 50 hectares d’étangs…
Le rôle historique des agriculteurs Les étangs, parlons-en ! Gilbert Limandas les connaît par cœur, il peut même retracer leur histoire : « La Dombes, c’est près de 85 000 hectares, dont 10 à 11 000 d’étangs. Ces étangs ont été réalisés par les moines aux XVIe et XVIIe siècles. Ils ont représenté jusqu’à 20 000 hectares. Il s’agissait d’assurer l’équilibre alimentaire de la population avec les protéines du poisson, et
Un bâtiment, des vaches, un tracteur : n’oublions pas l’activité principale de Gilbert Limandas.
Valoriser l’effort pour la biodiversité par des aides, ou par les PSE A.J.
puis à l’époque, c’était sacré, le vendredi était le jour du poisson. Des problèmes de santé humaine, de maladies, sont apparus, dus à l’excès d’eau. C’est là qu’une partie des étangs a été asséché. Au XIXe siècle, de nombreux étangs ont été acquis par de grandes familles lyonnaises, réservés pour la chasse aux canards. Mais le reste du temps, il fallait les entretenir. Les exploitations ont été louées à des agriculteurs, ayant pour production principale l’élevage bovin. Les étangs sont gardés 3 ou 4 ans en eau, et sont mis à sec un an. Leur eau sert au bassin versant des terres agricoles. Plusieurs populations humaines se croisent sur ces étangs : les propriétaires pour la chasse, les agriculteurs pour produire, les pisciculteurs, les chasseurs, les environnementalistes… » Le boulot représenté par l’activité « étang » ne peut être parachevé qu’avec une forte dose de volonté et de passion. Nettoyer les prises d’eau, les berges, les fossés, sur des centaines de mètres de tours d’étangs. Composer avec les prédateurs des poissons (hérons, et surtout cormorans, des volatiles jadis de passage et qui se sont sédentarisés, causant dès lors de lourds dégâts dans les populations
piscicoles). Aménager des bassins entiers pour la reproduction, avec une canalisation pour les remplir et les vider. Vérifier l’acidité de l’eau et le cas échéant intervenir (avec de la chaux, l’objectif étant l’équilibre phosphore/azote). Contrôler qui rentre l’étang. Empoissonner. A chaque étape, observer, éventuellement réviser pour le coup d’après. Gilbert Limandas raconte par exemple l’histoire de l’étang d’un voisin devenu improductif, parce que pas entretenu comme il fallait… Et tout cela pour une production de poisson finalement relativement peu productive, tant en quantité qu’en prix, d’où l’idée aussi, à concrétiser, de transformer pour valoriser. En quelques mots, c’est un travail de titan qui est résumé. Un travail qui s’ajoute à celui d’éleveur, le tout sur des terres louées, que Gilbert Limandas n’a jamais pu acheter. « Et finalement c’est très bien comme ça, une question de confiance avec le propriétaire. » C’est là qu’on renverse la question : que peut trouver de mieux un propriétaire qui voit son patrimoine enrichi avec un paysage à ce point entretenu ?
Le think thank Saf Agr’Idées réfléchit aux moyens de valoriser l’effort agricole sur la biodiversité, comme celui de notre exemple des Dombes. Laurent Klein, son président, pose ouvertement la question : pourquoi est-ce qu’un agriculteur qui cultive la biodiversité ne bénéficierait-il pas d’aides spécifiques pour cela ? S’il n’a pas la technique technocratique autorisant l’entrée de cette nouvelle aide, il en formule volontiers le principe. Carole Zakine, spécialiste des questions environnementales pour ce même think thank, défend elle le principe des « paiements pour services environnementaux » (PSE). Ceux-ci sont définis dans un cadre réglementaire, pour l’instant encore suffisamment lâche pour qu’il soit possible d’y inclure différents travaux. Ces contrats privés interviennent au-delà des compensations environnementales demandées réglementairement, principalement par la Pac. Pour autant, cette seconde solution étant fondée sur le droit rural tel qu’il existe aujourd’hui, ces transactions sont réservées aux propriétaires, excluant le fermage : elle ne pourrait donc pas s’appliquer à un cas similaire à celui de Gilbert Limandas.
Ce petit bassin proche de l’étang, explique Gilbert Limandas, sert à la reproduction des poissons.
Antoine Jeandey
Une association pour promouvoir le poisson des Dombes Il existe une association « de promotion du poisson des étangs de la Dombes ». Créée en 2001, elle regroupe les acteurs touristiques, les partenaires agricoles, les propriétaires, les pisciculteurs, les transformateurs, les écloseurs, les lycées, les restaurants… Ses objectifs sont d’assurer la viabilité économique de la filière, de fédérer les acteurs de la filière piscicole, ou encore de développer la visibilité commerciale d’une marque collective « poissons de Dombes ». Cette association a un site internet : www.poissonsdedombes.fr
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La ferme, derrière la pâture, vue de l’étang.
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biodiversité > Reportage dans le Jura
Le bon drainage respecte les sols et la ressource en eau Noël Chalumeau s’est diversifié avec une activité de drainage. Il est devenu un véritable spécialiste de tout ce qui a trait à la régulation de l’eau, dans le respect des règles et de la nature. Il a également créé une association, l’Andhar, pour apporter informations et services dans le domaine. des tuyaux et des drains, j’en ai commandés deux kilomètres, venus par train... »
Le chantier en cours d’un drainage dans un champ agricole.
Photos : A.J.
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eux qui lisent WikiAgri sur internet ont peutêtre suivi ce que nous avons appelé l’affaire du maraicher d’Annemasse. Passons sur les multiples rebondissements de cette histoire où l’agriculteur tient à préserver son foncier face à une emprise souhaitée par la mairie, pour nous attarder sur le dernier : l’analyse du sol faite par un spécialiste, qui conclut à une tourbière, donc à un sol qui ne peut être rendu constructible qu’à certaines conditions drastiques : depuis, et sous réserve de nouveaux épisodes, le maraicher conserve son foncier, la mairie n’insiste plus pour le
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lui prendre. Or, ce spécialiste à l’analyse déterminante, c’est Noël Chalumeau. Agriculteur à Villevieux dans le Jura, Noël Chalumeau s’est diversifié il y a 35 ans avec une entreprise de drainage. L’Earl Chalumeau, avec son frère et son fils, compte 460 hectares de céréales en propre, 540 si on intègre la Scea. L’entreprise de drainage, elle, s’appelle la SAS Chalumeau, et rayonne sur sept départements. « Au début, se souvient Noël Chalumeau, j’étais précurseur. Après avoir créé une entreprise de travaux agricoles, j’ai initié le drainage. Il me fallait
Ses premiers chantiers sont sur ses terrains, il se fait la main, se documente bien sûr, mais apprend aussi en faisant. Il est passionné, s’investit, et investit les gains de son exploitation dans sa diversification. Le principe du drainage, c’est d’en finir avec la saturation en eau que peuvent connaître certaines parcelles aux sols hydromorphes. Ceux-ci sont souvent argileux, vous savez, ce sont ceux où l’on voit une nappe d’eau quasi permanente en période de pluie, qui refuse de s’imbiber dans le sol. Le drainage favorise l’évacuation de cette eau. L’opération consiste à aller dans le sol, le fracturer, pour créer des écoulements, tout en récupérant l’eau avec les tuyaux, les fameux drains. Au fil du temps, la SAS Chalumeau a grandi, les chantiers se sont succédés, au point d’une reconnaissance réelle en la matière dans les milieux agricoles.
Une fracturation utile, à condition de savoir Pour autant, cette fracturation des sols pose des problèmes écologiques. Noël Chalumeau ne les nie pas, au contraire, il se les approprie, les étudie, au point d’être devenu un expert en zones humides : « Tous les sols ne se prêtent pas au drainage, et tous les drainages ne s’effectuent pas
Noël Chalumeau sait inspecter les sols, tant pour ses choix culturaux personnels, qu’avant d’entreprendre quelque travail de drainage que ce soit..
L’Andhar, une association pour résoudre les problèmes liés à l’eau A.J.
Noël Chalumeau a créé l’Andhar en mai 2012. « L’ association nationale de drainage et d’hydraulique agricole responsable » a pour vocation de s’emparer de tous les problèmes que les agriculteurs rencontrent avec leur gestion de l’eau, pour les résoudre et permettre de poursuivre l’activité économique tout en respectant le contexte environnemental.
de la même façon. Il existe des règles sur les zones humides, sur les tourbières entre autres, pour citer l’exemple de mon intervention à Annemasse. Avant tout début de travaux, j’inspecte les sols. S’il s’avère qu’il s’agit d’une tourbière, c’est-à-dire d’une zone humide réglementée, j’explique au commanditaire qu’il n’est pas possible de drainer. » A son propre niveau d’agriculteur, Noël Chalumeau fut en son temps un précurseur dans les techniques du strip-till. La visite de son hangar pousse à la découverte de modèles importés du Brésil, de l’époque où on n’en trouvait pas chez nous, retapés de ci de là en fonction des observations du terrain, avec la passion du sculpteur qui trouve toujours quelque chose à parfaire à sa statue. Et son premier souci, c’est le respect En tant qu’agriculteur, Noël Chalumeau est un amoureux de tous les matériels, capable de raconter l’histoire de chacun…
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du sol, et de sa biodiversité. Son credo, augmenter l’épaisseur de la couche de matière organique en surface, encore la meilleure manière de conserver un sol en bon état. Par exemple, son colza est semé avec du trèfle, lequel protège l’humus. Avec son entreprise, il a le même esprit : l’objectif est d’aider la nature à bien faire les choses, pas d’aller contre elle. Une zone humide constitue un site environnemental remarquable, riche en biodiversité. Le drainage « version Chalumeau » rend compatible l’activité agricole avec elle, dans un réel respect de la nature. Il ne la détruit pas. Antoine Jeandey Note : site internet de l’entreprise : http://www.drainageagricole.com
Le drainage est l’une des problématique, mais pas la seule. Souvent mal vu, il conserve pour autant des vertus directement environnementales : ainsi il a été constaté, sur le site expérimental de la Jaillière (Loire-Atlantique) qu’une parcelle drainée émettait moins de N2O (moins de gaz à effet de serre si vous préférez). Cette information est l’une de celles que l’on trouve dans la lettre aux adhérents de l’Andhar, rédigée par Audrey Abot, chargée d’études à la SAS Chalumeau, et appelée à s’occuper prochainement particulièrement de l’Andhar. Avec elle, mais aussi avec les connaissances juridiques de Carole Zakine, docteur en droit rural et droit de l’environnement (elle travaille majoritairement pour le think thank SAF Agr’Idées, mais donc aussi pour cette association), l’Andhar espère se poser comme un acteur capable de conseiller efficacement tous les agriculteurs ayant quelque problème que ce soit lié à l’eau. Des conseils pratiques, juridiques, des études de terrain… A ce jour, l’Andhar commence tout juste son existence, termine à peine sa propre structuration. Mais nos discussions avec nos interlocuteurs ont su nous persuader que son rôle est appelé à grandir, et dans un futur proche : si vous êtes agriculteur avec une problématique liée à l’eau, d’une manière ou d’une autre, vous pouvez dès à présent entrer en contact. Site internet : http://andhar.fr Tél. : 03 84 85 19 77 / E-mail : contact@andhar.fr
Du trèfle sous les colzas pour améliorer les sols, sur l’exploitation de Noël Chalumeau.
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biodiversité
Brèves des champs u
Blé Des variétés génétiquement similaires
Ravageurs Une meilleure régulation avec l’agriculture de conservation ? L’agriculture de conservation favorise la biodiversité du sol. Mais au-delà, apporte-t-elle une régulation biologique ? « Les ravageurs constituent une source de nourriture pour les auxiliaires des cultures ; leur présence est nécessaire, mais elle doit être contrôlée. La parcelle doit être réfléchie comme un véritable écosystème », explique Ariane Chabert. Diplômée de l’Ensat, la jeune chercheuse a choisi un sujet de thèse porteur d’attentes fortes dans le milieu agricole. « Jusqu’à aujourd’hui, on montrait seulement qu’il y avait, par exemple, plus de biodiversité en agriculture bio qu’en agriculture conventionnelle. Mais on comprend encore mal l’intérêt de cette biodiversité augmentée sur le contrôle des ravageurs. » Si on pouvait prouver que, en agriculture de conservation, la biodiversité de la parcelle permet (par exemple) de diminuer la pression de limaces et donc les traitements, ce serait une petite révolution. Des protocoles expérimentaux suivant la prédation et le parasitisme sur quatre ravageurs des cultures seront mis en place en octobre 2014 chez des agriculteurs du Tarn, en partenariat avec l’association Sol et Eau en Ségala. L’effet des maladies, ravageurs et auxiliaires sera étudié sur des parcelles en agriculture de conservation et des parcelles labourées. Des données concrètes sont attendues pour se constituer une opinion sur l’impact des auxiliaires, et sur les aménagements et pratiques pour les favoriser. Sur le long terme, l’idée est de mettre au point un outil d’aide à la décision pour savoir sur quelles pratiques agricoles jouer afin de favoriser la régulation d’un ravageur par un auxiliaire selon le contexte de la parcelle. Les premiers résultats sont attendus pour avril 2015. Puceron
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L’agriculture moderne a entraîné une diminution du nombre d’espèces végétales cultivées. Mais à l’échelle de l’espèce, est-ce que les principales plantes cultivées en grandes cultures ont vu leur diversité génétique diminuer ? La diversité disponible au sein d’une espèce cultivée est essentielle, car elle permet une adaptation de l’agriculture à des contraintes environnementales comme les maladies et les changements climatiques. Cultiver une diversité de variétés régule en outre les pathogènes et conserve la biodiversité sauvage associée aux cultures. La sélection variétale ajoute chaque année de nombreuses variétés au catalogue officiel. En étudiant l’évolution de la diversité génétique du blé tendre, les chercheurs ont montré que, malgré une augmentation du nombre de variétés cultivées sur le territoire français sur la période 1912-2006, les différences génétiques entre les variétés sont stables. De 1912 à 1979, la diversité a diminué drastiquement, en raison du remplacement des variétés anciennes par les lignées modernes homogènes génétiquement. Après les années 1970, de nombreuses variétés ont été développées sur la base de ressources génétiques plus variées, renouvelant le matériel génétique utilisé par les sélectionneurs. Enfin, à partir des années 1990, la diversité génétique a commencé à décroître : le nombre de variétés cultivées augmente, mais elles sont plus apparentées génétiquement. Auparavant, chaque département français cultivait une série de variétés adaptées aux contraintes locales. Aujourd’hui, les variétés sont de plus en plus similaires : cinq variétés de blé occupent 60 % des surfaces.
Biocontrôle On avance, doucement Nombreuses sont les firmes phytosanitaires qui développent des produits de biocontrôle, encouragées par l’évolution des politiques agricoles. Les agriculteurs, eux, apprécient que les traitements de biocontrôle ne soient pas comptabilisés dans le calcul de l’Indice de fréquence de traitement (IFT). Le biocontrôle fait appel à des mécanismes naturels pour gérer les équilibres des populations de bioagresseurs. On peut utiliser des organismes vivants (Bio-logic utilise des trichogrammes, insectes qui permettent de lutter contre la pyrale du maïs), médiateurs chimiques (Checkmate est composé de phéromones du carpocapse, ravageur du pommier), ou des substances naturelles (Vacciplant, développé par Goëmar, est à base d’algues qui développent les défenses des céréales contre les parasites). Citons aussi Novozymes, groupe danois spécialisé dans les enzymes et les microorganismes, récemment associé à Monsanto en créant l’alliance BioAg, pour accélérer le développement des solutions à base de microorganismes. Novozymes a mis au point un bioinsecticide de contact, le Met52 granulé, pour lutter notamment contre l’otiorhynque de la vigne. Ou encore les solutions proposées par De Sangosse.
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Paysages et rendements Prairies fleuries et productions fourragèresl’agriculture de conservation Productivité et biodiversité ne sont plus antinomiques. Le succès croissant du concours agricole des prairies fleuries le montre ; il célèbre cette année son quatrième anniversaire. L’objectif est de faire concourir des parcelles de prairies permanentes. Les propriétaires doivent prouver comment leur prairie, par sa diversité floristique, occupe une place particulière dans la stratégie d’alimentation du troupeau. « Chaque prairie a une utilisation spécifique pour l’éleveur. L’exploitation de la prairie (fauche, pâture…) influence sa richesse floristique, qui en retour affecte la quantité de fourrage disponible et sa qualité nutritionnelle », précise l’agronome Philippe Mestelan.
Un otiorhynque adulte
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Aujourd’hui, le biocontrôle représente seulement 3,5 % du marché de la protection des plantes dans le monde, même si ce marché progresse. Les solutions développées concernent principalement le maraîchage et l’arboriculture ; on attend l’homologation de produits sur grandes cultures. L’IBMA (association des fabricants de produits de biocontrôle) regrette toutefois que la mise sur le marché de ces produits soit souvent (trop) longue.
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Au-delà de l’autonomie alimentaire du troupeau, le fourrage reflète le terroir local, et sa qualité se retrouve dans les produits carnés et laitiers : le dicton « à bon fromage, bon miel » montre à quel point la flore de la prairie influence le goût des produits agricoles. Sur chaque territoire, les parcelles sont évaluées par un jury selon six propriétés : fonctionnalité agricole, productivité, valeur alimentaire, souplesse d’exploitation et saisonnalité, renouvellement de la diversité végétale, et fonctionnalité écologique. Cette année, 500 éleveurs sont candidats dans 50 territoires en France. Le concours est désormais aussi ouvert aux classes de lycées agricoles. 14 lycées participent : les élèves joueront le rôle d’experts sur les parcelles, et c’est la qualité de leur analyse qui sera prise en compte pour savoir s’ils méritent de gagner. Rubrique rédigée par Opaline Lysiak
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biodiversité > BRèVES DES CHAMPS
Lombrics Un peu de géodrilologie ? Connaissez-vous la géodrilologie ? Il s’agit de la science des lombrics. Et les vers de terre, c’est peut-être Marcel Bouché spécialiste à l’Inra, qui en parle le mieux. Avec son livre « Des vers de terre et des hommes » (éditions Acte Sud), on apprend ainsi que la planète en compte environ 7000 espèces. Ils représentent entre 60 et 80 % de toute la masse animale du globe. Nous en avons environ 400 espèces en France, avec en moyenne 1,2 tonnes de vers de terre par hectare, soit loin devant les insectes (60 kg/ha) ou l’homme (50 kg/ha). La masse des vers de terre est constituée de 70% de protéines, qui contiennent des acides aminés essentiels. Comme nous, ils ont besoin d’une alimentation équilibrée : si on leur donne toujours la même culture à manger, ils n’ont pas envie de rester très longtemps ! En utilisant un marqueur, Marcel Bouché a montré que l’azote rejeté par les vers de terre sous forme d’excréments passe rapidement du sol aux racines de la plante, puis à la partie aérienne de la plante. Dans un sol couvert en permanence, sur 2,3 tonnes d’azote qui transitent par le tube digestif des vers de terre par hectare et par an, 500 kilos passent quasi directement du vers de terre à la plante. C’est bien plus que la fertilisation apportée par l’homme sur un sol cultivé. Toujours selon son livre, les vers de terre doivent être bien nourris pour bien travailler : « Sur un sol sain et productif, les vers de terre nourrissent les plantes, et s’en nourrissent. La plupart des gens ne savent pas que, lorsqu’ils marchent dans un pré, sous leurs pieds, il y a environ 4000 km de galeries par hectare. Nous devons mieux connaître la vie du sol pour adapter les pratiques agricoles. » Galerie faite par un ver de terre acnéique (de surface).
Une Cipan mellifère.
D.R.
Cipan Faciliter l’hivernage des abeilles Dans un contexte de polémique apiculteurs-agriculteurs, un projet attire l’attention. Selon Fabrice Allier, en charge des dossiers concernant les ressources alimentaires et les relations agriculteurs-apiculteurs à l’Itsap-Institut de l’abeille (porteur du projet en question), « les Cipan (Ndlr : culture intermédiaire piège à nitrate), qui constituent une obligation réglementaire dans les zones soumises à la directive nitrates, seraient un complément intéressant ou un substitut au sucre que les apiculteurs donnent à leurs abeilles l’hiver ». Mais toutes les Cipan ne sont pas intéressantes. « Elles doivent être semées suffisamment tôt en été pour fleurir au bon moment à l’automne. De plus le mélange doit être constitué d’espèces intéressantes au niveau nutritionnel (apport de pollen et nectar). » Le point fort du projet, c’est son approche participative : « Nous favorisons au maximum les échanges entre céréaliers et apiculteurs, et au sein de chaque profession, afin de prendre en compte les contraintes de chacun. » Le protocole vise à comparer un site dit « mellifère » où des Cipan mellifères ont été mises en place avec semis précoce, et un site « non mellifère » où les agriculteurs n’ont pas changé leur itinéraire technique.
O.L.
L’objectif du projet est de préconiser des changements dans l’itinéraire technique de la Cipan pour obtenir une floraison précoce ; les faisabilités technique, économique et sociale sont étudiées. Les premiers résultats sont attendus pour novembre 2014. A.J
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Blé tendre Mélanger les variétés pour limiter les maladies En raison de la météo, selon les années, les traitements fongicides varient du simple au double, et la stabilité du rendement est de moins en moins assurée.
A.J.
La Chambre d’agriculture de Poitou-Charentes teste le semis de variétés en blé en mélange. « L’idée consiste à réduire l’utilisation des fongicides et à assurer un rendement minimum afin de sécuriser la culture, et cela même lors d’années climatiques particulières », explique Vincent Trotin, en charge de la mise en place et du suivi de ces essais. L’agriculteur garde sa variété habituelle et y associe deux à trois autres variétés, avec des productivités et sensibilités différentes aux maladies. Par exemple, le mélange de la variété Pakito, tolérante à la septoriose, avec trois autres variétés, limite ce risque de septoriose. « C’est à l’agriculteur d’imaginer son propre mélange en fonction de ses objectifs de production, des semences disponibles, des problématiques locales comme la tolérance au chlortoluron, herbicide utilisé entre autres dans les zones de résistances des graminées », précise le conseiller. Le choix des variétés doit être réfléchi. Elles doivent avoir des PMG (poids de mille grains) proches pour que le mélange soit homogène et que le réglage du semoir facilité. Les précocités doivent être équivalentes, pour éviter des différences de maturité à la récolte. Enfin, il faut des qualités proches pour que la récolte soit acceptée par les organismes stockeurs. En respectant ces quelques règles, on obtient une sécurisation du système, quelles que soient les conditions climatiques. Avec en prime une valorisation de la diversité génétique disponible. Rubrique rédigée par Opaline Lysiak
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MOTEUR
> Biodiversité
Les dommages collatéraux sous contrôle Des capteurs infrarouges, des puces à radiofréquence, des drones : une débauche de technologies se déploie pour préserver la faune sauvage. Pendant ce temps, les loups sont bien gardés… Sous les céréales, la faune
Après avoir travaillé sur un système de détection par infrarouge, Claas s’oriente vers un système de puces Rfid.
Lièvres, faisans, cailles, perdrix, busards, chevreuils… Nombreuses sont les espèces animales qui trouvent, dans les cultures fourragères et céréalières les conditions idéales pour vivre et se reproduire. Mais, contrairement à l’adage si communément admis, la nature ne fait pas toujours bien les choses, tout du moins si l’on considère que les cultures fourragères et céréalières en question ont une autre vocation première, consistant à nourrir les hommes. Résultat, la faune sauvage paie chaque année un lourd tribu, difficile à évaluer, mais non négligeable.
Claas
A
l’heure où les coups de simples fusils sont comptés pour endiguer un animal nuisible dont les coûts ne sont pas comptés, la profession expérimente les hautes technologies pour se conformer à des pratiques et techniques toujours plus respectueuses de la biodiversité. Dernier exemple en date avec des drones mis au service du repérage des chevreuils. Cela se passe en Suisse à l’initiative de l’office fédéral de l’environnement, de la haute école des sciences agronomiques et alimentaires, de l’école polytechnique fédérale de Zurich et de la haute école spécialisée bernoise. Il n’en fallait pas moins pour mettre au point un drone
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équipé d’une caméra thermique permettant de repérer les jeunes chevreuils et de les soustraire des organes des faucheuses et autres matériels de récolte des fourrages. En détectant la température corporelle des faons, ces derniers sont géolocalisés et peuvent être extraits des parcelles avant le passage des engins agricoles. En 2012, l’expérimentation conduite sur une centaine de parcelles a permis d’épargner la vie de 21 faons et de dix chevreuils, moyennant un prix de revient d’environ 25€ par hectare. La statistique fédérale de la chasse estime à plus de 3000 les effectifs de faons meurtris chaque année par les machines agricoles.
Une étude conduite en Ille-etVilaine a pointé des pertes de 10 à 20 % de petit gibier dans une parcelle de luzerne, soit un taux équivalent à celui de la prédation naturelle ou du prélèvement par les chasseurs. Les systèmes de détection peuvent également être embarqués à bord des machines de récolte. Au Sima 2011, Claas avait présenté un détecteur de gibier basé sur la technologie infrarouge, dans le cadre du projet de recherche Wildretter, mené en partenariat avec différents instituts. Installée à l’avant d’une machine de récolte, une caméra de surveillance signale la présence d’animaux vivants sur l’écran de contrôle installé en cabine. Elle permet au chauffeur de stopper sa machine avant le risque de choc fatal. Avec ou sans l’aide du chauffeur, les animaux en présence peuvent sortir de la trajectoire de la machine. Au cours des expérimentations, la détection
embarquée sur la machine de récolte s’est avérée insuffisamment fine pour déceler la présence de petits mammifères et stopper dans la foulée la marche de la faucheuse. Qui plus est, des faux positifs, générés par des cailloux chauffés par le soleil, avaient le don d’alerter le chauffeur sans justification. En 2012, Claas a réorienté le protocole de détection en distinguant les opérations de détection de celle de la récolte. La détection s’opère par le survol d’un drone équipé de deux caméras dont une infrarouge, avec enregistrement des positions par GPS. Cette opération vis en particulier les jeunes faons qui, une fois repérés, sont marqués au moyen d’une puce Rfid (Radio frequency identification), détectée ultérieurement au moyen de récepteurs embarqués.
Barres d’effarouchement Si certains matériels peuvent, par leur action, meurtrir la faune sauvage établie dans les parcelles et cultures vouées à être récoltées, la solution peut venir d’autres matériels. Les barres d’effarouchement destinées à provoquer l’envol ou la fuite des animaux avant le passage d’une faucheuse par exemple en font partie. Attelée à l’avant du tracteur,
Le respect de la faune sauvage peut emprunter les systèmes les plus rudimentaires comme les barres d’envol.
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La moisson et son branle-bas de mécaniques présentent des risques pour la faune qui a fait des champs de céréales son habitat naturel.
à supposer qu’un attelage soit à la fois présent et disponible, la barre d’envol doit avoir une largeur au minimum égale à celle de la largeur de coupe. Elle se trouve déportée sur le côté de façon à balayer la bande qui sera fauchée au tour suivant. Selon les versions, la barre transversale supporte des tubes sonores, des chaînes ou encore des peignes censés faire fuir la faune. L’efficacité est réelle sans être absolue car certains animaux se figent sur place au lieu de fuir. Un essai conduit dans la Sarthe sur 40 ha de prairies de fauche avec une barre à peignes développée par le constructeur Asp Technologie a permis d’épargner la vie de 19 poules faisanes, 57 faisandeaux, 6 chevrillard et de nombreux lièvres. Pour que l’effarouchement soit efficace, il est conseillé de ne pas dépasser une vitesse de
Thiérart
fauche supérieure à 12 km/h. Le prix de revient d’une barre d’effarouchement à repliage hydraulique se situe entre 1500 et 1800 euros. Dans certains départements, les fédérations de chasse soutiennent des projets d’équipement. Raphaël Lecocq
Bonnes pratiques de récolte Prendre en compte l’existence et la préservation de la faune sauvage n’est pas forcément dispendieux, ni en temps, ni en moyens. La preuve avec les recommandations suivantes : - Sensibiliser les conducteurs des moissonneusesbatteuses et autres machines - Repérer et marquer préalablement les nids et récolter les œufs le cas échéant avant de les remettre à une société de chasse - Provoquer, juste avant récolte, l’effarouchement des animaux au moyen de cris, de canons à carbure, de chiens - Régler la barre de coupe au minimum à 15 cm de hauteur - Utiliser une barre d’envol correspondant à la largeur de la barre de coupe ou encore un détecteur infrarouge - Adopter un circuit de récolte centrifuge pour ne pas emprisonner la faune au centre de la parcelle et fur et à mesure de l’avancement du chantier - Eviter l’intervention de plusieurs machines dans la même parcelle - Limiter le plus possible les récoltes de nuit - Broyer simultanément la paille non récoltée pour économiser un passage d’engin supplémentaire - Presser la paille dans les 48 heures après moisson avant que la faune n’établisse son refuge sous les andains.
Lenormand
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MOTEUR
> Utilisation de la vidéo
L’autoguidage qui ne se débine pas Garford a mis au point un système de guidage alternatif au GPS au service du désherbage alternatif. L’œil d’une caméra embarquée sur le tracteur assure un guidage réel et non plus virtuel. Vu dans une exploitation bio des Landes.
La bineuse InRow de Garford travaille à la fois l’inter-rangs et l’inter-plants grâce à des socs rotatifs guidés par caméra. Garford
L
es systèmes d’assistance au guidage empruntant la vidéo sont développés depuis une dizaine d’années. Le constructeur britannique Garford en est un des promoteurs les plus en vue. Sa bineuse Robocrop permet par exemple de biner des céréales semées avec des inter-rangs de 17 centimètres. Comment ? En faisant appel à la vidéo. Installée sur la bineuse, la caméra est capable de discerner les pixels verts correspondant aux rangs de céréales en s’affranchissant des parasites que pourraient constituer les adventices ou encore les zones d’ombre. En cabine, le chauffeur dispose d’un moniteur vidéo en couleur pour contrôler le travail de la bineuse,
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attelée indifféremment à l’avant ou à l’arrière du tracteur. L’analyse d’images commande la translation latérale de la bineuse au service d’un travail de précision accroissant l’efficacité et la sélectivité du désherbage mécanique tout en réduisant l’astreinte du chauffeur. Cette technologie est également exploitée par le constructeur en cultures maraîchères au moyen d’un étonnant binage inter-rangs et inter-plants (lire l’encadré).
Signal GPS superflu Ce qui est possible sur des céréales à paille l’est nécessairement sur des espèces à grand écartement telles que le maïs. Dans les Landes, le domaine de Chante Caille cultive le grand écartement,
la grande largeur et les grandes surfaces. Son propriétaire, Nicolas Jaquet s’est équipé d’une bineuse développant 14,40 mètres apte à désherber 18 rangs de maïs par passage. Il faut dire que l’exploitation compte plus de 500 hectares, majoritairement conduits en bio, avec un assolement des plus variés (maïs grain, maïs doux, soja, haricots verts, petits pois, plantes médicinales…). Pendant deux campagnes, Nicolas Jaquet respecte le mode d’emploi de la bineuse. Le guidage GPS RTK du tracteur assure l’autoguidage tandis que trois caméras fixées sur la bineuse assurent l’autocentrage de l’appareil, en agissant sur un vérin relié à deux roues directionnelles intégrées au châssis de la bineuse. « Cette conception
Le respect de la faune sauvage peut emprunter les systèmes les plus rudimentaires comme les barres d’envol.
Le 10 juin dernier, les porteurs du projet ont invité la presse pour présenter un ensemble tracteur-bineuse autoguidé par caméra, une première mondiale.
était pleinement opérationnelle, précise Nicolas Jaquet. Jusqu’au jour où je me suis demandé si la caméra ne pouvait pas interagir directement sur la direction du tracteur, laquelle était déjà asservie au signal RTK. » L’agriculteur interroge Garford avant de se rendre en Angleterre au siège du constructeur, qui modifie la carte informatique de son système. Dans la nouvelle configuration, une des trois caméras est désormais « perchée » à l’avant droit du tracteur tandis que les deux autres restent embarquées sur la bineuse. Résultat : le suivi du rang gagne en précision tout en se dispensant du signal GPS. « Dans l’absolu, seule la caméra fixée sur le tracteur est nécessaire pour guider la bineuse, indique Nicolas Jaquet. Mais, dès lors que ma bineuse était équipée d’un essieu directionnel, j’ai conservé la possibilité d’optimiser son positionnement encore plus précisément. »
Première mondiale Le surcroît de précision cumule les bénéfices : binage au plus près des pieds de la culture en place, effet de recouvrement supérieur sur le rang, gain en vitesse de travail (7,9 km/h contre 6 km/h), astreinte de conduite allégée comparativement au GPS, gestion des courbes et des bords de champ plus aisée. La caméra est efficiente sur maïs dès le stade une feuille, et dès le stade deux cotylédons sur soja. Le quatuor constitué du
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D.R.
constructeur (Garford), de son distributeur en France (Novaxi), du concessionnaire régional (Agrivision John Deere) et de l’agriculteur réalise après coup avoir réalisé une première mondiale, démontrant au passage que quatre PME peuvent contribuer à relever des défis techniques majeurs. Nicolas Jaquet va tirer profit de cette avancée pour pousser plus loin le recours au désherbage mécanique dans ses cultures, à commencer par le maïs doux, dont les variétés,
R.L.
L’assistance vidéo permet de biner des céréales avec des inter-rangs de 17 centimètres.
beaucoup moins vigoureuses que celles de maïs conso, sont plus exposées aux infestations de mauvaises herbes. Des économies de main-d’œuvre, employée au désherbage, peuvent être escomptées et participer à amortir sans trop de peine l’équipement. Raphaël Lecocq Note : la vidéo de cette première mondiale est en ligne sur wikiagri.fr sous l’url http://wikiagri.fr/articles/le-premiertracteur-qui-voit-les-cultures-et-se-dirigeseul-entre-les-rangs/1154
InRow, une bineuse inter-rangs et inter-plants Les bineuses produisent leur action mécanique dans le sens longitudinal. C’est satisfaisant pour des espèces telles que le maïs caractérisées par un faible espacement sur le rang, sachant que des accessoires tels que des moulinets peuvent également agir sur le rang. Les cultures légumières réservent d’autres espaces, dans lesquels les adventices s’insinuent. Sauf à réaliser des passages croisés, discutables techniquement et peu recevables économiquement, le binage trouve là une limite technique. Garford a trouvé la parade en proposant une bineuse à socs rotatifs, doués d’un mouvement transversal. Ni plus ni moins que la reproduction du geste manuel. Mais à raison de dix salades à la seconde ! La bineuse InRow met en œuvre une caméra vidéo digitale pour capturer les images de la culture. Elle analyse les lignes vertes de la culture et commande la translation de socs rotatifs en forme de haricots scalpant les mauvaises herbes. Synchronisés, les socs assurent un binage avec une précision de 1,5 cm tout autour de chaque plante, sans négliger l’interrangs. Les planches de salades, carottes, oignons ou céleris peuvent être ainsi désherbées sur 95 % de la surface. Le système peut supporter une vitesse de travail de 3 km/h, ce qui procure un rendement de 10 plantes binées à la seconde dans une version en quatre rangs.
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Paroles d’entrepreneur
> Nathalie Peslerbe, directrice générale d’Agco SAS
« Devenir le premier constructeur en qualité perçue en 2016 » C’est l’un des objectifs énoncés par Nathalie Peslerbe, à la tête de la filiale française de distribution depuis trois ans. Une vingtaine d’années après sa création et de nombreuses acquisitions, le groupe Agco poursuit sa croissance organique et vise une montée en gammes. En s’appuyant sur trois marques fortes : Fendt, Massey Ferguson et Valtra, ainsi qu’une marque complémentaire, Challenger. Avec un effort tout particulier sur la récolte. réseau s’est logiquement reporté sur d’autres marques ou désengagé. Fendt et Massey Ferguson, en tant que marques et en tant que réseaux, disposent d’une puissance de feu qui doit être mise au service de notre gamme de moissonneusesbatteuses, fabriquées dans notre usine italienne de Bréganze. Environ 40 % de nos ventes en France sont réalisées sous la marque Laverda, dont la moitié dans le réseau Valtra. Le développement de nos volumes passe par un engagement plus grand de Fendt et de Massey Ferguson.
Reportage photos Jean-Marie Leclère
Massey Ferguson a fêté en 2013 les 75 ans de la moissonneusebatteuse automotrice. Quelle est l’ambition du groupe dans ce domaine ? N.P. : Nous voulons atteindre une part de marché qui soit à la hauteur de celle que nous avons en tracteur. En 2020, nous visons une part de marché de 20 % au plan mondial dans ce segment, contre 10 à 12 % aujourd’hui. En France, notre objectif
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est de doubler notre part de marché d’ici à 2017, pour viser 14 % avec la vente annuelle de 300 machines contre 7 % aujourd’hui, et 170 à 200 ventes. Comment Agco compte-t-il atteindre cet objectif ? N.P. : Nous allons agir sur les produits et sur leur distribution. Avant son rachat par Agco, Massey Ferguson avait stoppé l’activité moissonneuses-batteuses. Notre
La gamme de moissonneusesbatteuses va-t-elle évoluer à court terme ? N.P. : Notre gamme est encore un peu courte et nous allons l’étoffer pour répondre, point par point, à ce que peut proposer la concurrence, et à ce qu’attendent nos clients. Faire valoir la qualité de nos produits est un autre axe de travail fondamental. Le groupe Agco, dans sa globalité, a défini un certain nombre de standards qualitatifs. Certains secteurs ne sont pas encore perçus à leur juste valeur en la matière et nous travaillons d’arrache-pied à démontrer ce que nous avançons. C’est notamment le cas dans le domaine de la moissonneuse-batteuse. Nous réalisons d’énormes investissements dans l’usine de Bréganze. Ils concernent l’ensemble du process
de fabrication, jusqu’à l’expédition. La réputation des machines issues de Bréganze et travail de fond accompli nous permettent d’ores et déjà de proposer des extensions de garanties, gratuites ou presque jusqu’à trois ans, valables pour des commandes avant le 31 décembre. Comme évoqué, nous souhaitons être le numéro un en qualité perçue en 2016, dans le domaine de la récolte comme ailleurs. Que faut-il entendre par qualité perçue ? N.P. : Cette notion se réfère à trois types d’indicateurs correspondant aux trois phases essentielles de la vie d’un équipement, à savoir : la fabrication, la prise en charge par le réseau de distribution, et enfin l’utilisation par les agriculteurs. Des indicateurs objectifs complétés par des enquêtes permettent d’évaluer cette qualité perçue et de se situer par rapport à la concurrence. Agco a-t-il l’objectif de devenir un constructeur « full liner », proposant toute la gamme de matériels agricoles ? N.P. : Cette ambition est contenue dans notre signature : « Agco, your agriculture company ». Mais pour être totalement en phase avec cette signature, nous devons diversifier notre offre. Aujourd’hui, Agco est une entreprise qui réalise 70 % de son
Quelles sont les produits et marques à développer dans cette optique « full liner » ? N.P. : Les outils de travail du sol n’en font pas directement partie. La gamme « green harvesting » et la pulvérisation constituent en revanche deux enjeux majeurs de développement. Dans les deux cas, nous disposons de nos marques propres avec Fella et Challenger et donc de nos ressources pour faire évoluer nos offres et nos positions. Intégré à 100 % au groupe Agco depuis trois ans, Fella commercialise plus de 1600 machines en France dont 70 % en dehors du réseau Agco. L’élargissement de la gamme, ainsi qu’une mobilisation accrue des réseaux de vente Agco, doivent contribuer à nous faire progresser.
« Notre ambition est de diversifier notre offre, pour justifier notre signature mais plus fondamentalement pour capter des marchés qui nous échappent aujourd’hui. Notre métier, c’est l’agriculture et nous voulons en exploiter tous les segments. » chiffre d’affaires avec les tracteurs. Notre ambition est de diversifier notre offre, pour justifier notre signature mais plus fondamentalement pour capter des marchés qui nous échappent aujourd’hui. Notre métier, c’est l’agriculture et nous voulons en exploiter tous les segments. Cette stratégie permettra de nous assurer un réseau de distribution viable, fiable et pérenne, reposant sur trois marques fortes que sont Fendt, Massey Ferguson et Valtra. Valtra va d’ailleurs bénéficier à moyen terme d’extensions de gammes, en terme de puissance.
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Verra-t-on des pulvérisateurs portés et traînés de la marque Challenger ? N.P. : La pulvérisation est un des domaines dans lesquels AGCO souhaite élargir son offre. Sous les couleurs Challenger, nous proposons aujourd’hui une offre d’automoteurs de pulvérisation avec la gamme RoGator. Nous avons la volonté d’élargir notre catalogue en proposant, à terme, des appareils
Une carrière 100 % chez Agco Ou presque. Quand Nathalie Peslerbe décroche son job de « market analyst » en 1991, le site de Beauvais et la marque Massey Ferguson n’appartiennent pas encore au groupe Agco. Celui-ci, fondé en 1990, a acheté Massey Ferguson au groupe Varity en 1994. Originaire des Ardennes, bac D en poche, Nathalie Peslerbe choisit l’Institut supérieur d’agriculture de Beauvais (devenu en 2006 l’Institut polytechnique LaSalle Beauvais). « Je suis petite-fille d’agriculteur et j’ai dû convaincre ma mère, institutrice, que l’agriculture était un secteur d’avenir et pas du passé, se rappelle-t-elle. La perspective de décrocher un diplôme d’ingénieur a pesé dans la balance. » La jeune diplômée poursuit son cursus en Angleterre avec un master en marketing. La fibre biologique d’origine ne résiste pas à l’attirance pour le commercial et le marketing. De retour en France, un détour par le bureau des anciens élèves de l’école la mène à la fois loin et pas loin. Pas loin parce que Massey Ferguson est à dix minutes de tracteur de l’école. Loin parce que le double profil de la jeune ingénieur lui permet d’évoluer dans la hiérarchie de l’entreprise, en même temps que le portefeuille de marques ne cesse de grossir : « market analyst », responsable de la communication de la marque Massey Ferguson, directrice du marketing pour les marques Massey Ferguson, Fendt, Valtra et Challenger en France. Au Sima 2011, elle est nommée directrice générale d’Agco Distribution SAS, la filiale de distribution du groupe pour la France. Sur sa feuille de route figurent notamment la structuration et le développement des réseaux de distribution, la prééminence donnée à chacune des marques du groupe (brand leader) et un travail de fond et au long cours sur la récolte.
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Paroles d’entrepreneur
> Nathalie Peslerbe, directrice générale d’Agco SAS
portés et traînés. Mais il est trop tôt pour annoncer des éléments plus précis aujourd’hui. Où en est Agco dans la recherche de moteurs animés par des énergies alternatives ? N.P. : Agco investit dans la recherche fondamentale et explore plusieurs voies dont le biogaz porté par Valtra et l’énergie électrique portée par Fendt. Nul ne sait aujourd’hui si une énergie alternative en particulier émergera parmi celles qui sont explorées. Nous ne délaissons aucune piste. Néanmoins, les plus gros investissements dans le domaine de la motorisation ont été jusqu’à présent consacrés aux moteurs thermiques conventionnels du fait des exigences requises par les normes anti-émissions. En vogue, les tracteurs et machines à chenilles sont-ils l’avenir de la traction ? N.P. : Nos projections laissent entrevoir un développement des matériels à chenilles. Mais il faut en relativiser la portée. Les équipements à chenilles font supporter des contraintes et des surcoûts aux utilisateurs qui exigent, pour être valorisés à plein, d’opérer des choix radicaux. Je ne pense pas que l’on assiste à un développement de masse des équipements à chenilles.
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« Agco investit dans la recherche fondamentale et explore plusieurs voies dont le biogaz porté par Valtra et l’énergie électrique portée par Fendt. Nul ne sait aujourd’hui si une énergie alternative en particulier émergera parmi celles qui sont explorées. Nous ne délaissons aucune piste. »
Un think thank dédié à la place des femmes dans l’entreprise Agco Global Women’s Network : c’est le nom du think thank mis en place par le groupe à l’échelle mondiale et destiné à assurer une plus forte représentation des femmes dans les postes à responsabilité. Nathalie Peslerbe en est la représentante pour le site de Beauvais, activités industrielles et commerciales confondues. Dans le périmètre européen du groupe, elle est la seule femme à exercer la direction d’une filiale commerciale, ce qui n’exclut pas que d’autres femmes exercent des niveaux de responsabilité équivalents dans des services financier, juridique ou encore technique. Les effectifs d’Agco au plan français comptent 12 % de femmes. Pour assurer la montée en responsabilité des femmes, il faut miser sur un vivier plus important que cette base relativement restreinte. C’est ce à quoi s’emploie la directrice générale d’Agco Distribution SAS : « Quel que soit le secteur d’activité considéré, la prise de responsabilité est moins le fait des femmes que des hommes. L’agriculture et l’agroéquipement en particulier cumulent un handicap supplémentaire avec un faible taux de féminisation. Pour accroître la place des femmes dans les fonctions à responsabilités, il faut commencer par faire en sorte que des femmes postulent. Leur sous-représentativité limite de fait cette possibilité. Il faut par conséquent agir en amont pour ouvrir davantage aux femmes les portes de ce secteur en général et de notre entreprise en particulier. »
Le GuideConnect de Fendt préfigure-t-il l’avènement du tracteur sans chauffeur ? N.P. : Fendt a reçu une médaille à l’Agritechnica 2011 pour cette technologie qui permet à un seul chauffeur de conduire un tracteur maître et de piloter à distance un tracteur esclave grâce à un asservissement électronique. Je crois au développement de l’automatisation, aussi bien en ce qui concerne la collecte d’informations que la réalisation de certaines tâches et opérations. Notre innovation n’est pas vouée, à moyen terme, à être développée en « grandeur nature ». Fendt est pionnier en matière de location de tracteurs. Est-ce une stratégie d’avenir ? N.P. : Mise en place en 1993, la location a contribué à faire émerger Fendt sur le marché. Vingt ans plus tard, la location n’a rien perdu de sa pertinence pour la marque. Outre le service rendu aux clients, elle permet de générer une offre de tracteurs d’occasion, à un prix attractif, intéressant aussi bien notre réseau que les agriculteurs. Mais il ne faut pas se méprendre : nous sommes là pour vendre du neuf. Davantage que la location, nous appuyons le leasing assorti d’une offre full service. C’est un bon moyen de faire percevoir nos produits comme des solutions globales plutôt que comme de simples machines.
Agco investit 15,2 millions d’euros dans Beauvais 2 Situé à moins de 2 kilomètres du site historique Beauvais 1, créé en 1957, le groupe Agco a inauguré en début d’année un nouveau site de production baptisé Beauvais 2. Ce dernier accueille la ligne de montage de cabines ainsi que le centre de formations commerciales et les bureaux d’Agco Finances. Le nouveau site, couvrant 20 000 m², a engendré la création de 50 nouveaux emplois et un investissement de 15,2 millions d’euros, s’ajoutant aux 250 investis à Beauvais au cours des cinq dernières années. L’usine Massey Ferguson de Beauvais (Oise), qui s’étend sur 25,5 hectares, est le premier site producteur et exportateur de tracteurs en France. Beauvais 1 et 2 emploient 2500 personnes.
Agco a beaucoup investi dernièrement à Beauvais. La France est-elle attractive et compétitive ? N.P. : Je ne dirais pas que tout est simple en France. Mais si Agco a décidé d’investir massivement en France, c’est que le groupe a jugé que notre pays disposait d’atouts certains sur les plans de la productivité et de la qualité. A ce propos, le site de Beauvais fait partie des deux usines pilotes au monde pour explorer les voies d’amélioration globale de la qualité de nos process et de nos produits. Beauvais est bel et bien un site stratégique pour Agco. Propos recueillis par Raphaël Lecocq
« Fendt et Massey Ferguson, en tant que marques et en tant que réseaux, disposent d’une puissance de feu qui doit être mise au service de notre gamme de moissonneuses-batteuses, fabriquées dans notre usine italienne de Bréganze. Environ 40 % de nos ventes en France sont réalisées sous la marque Laverda, dont la moitié dans le réseau Valtra.»
A propos, les agriculteurs français aiment beaucoup les tracteurs. Est-ce bien raisonnable ? N.P. : Ils possèdent des parcs de machines sans doute un peu supérieurs aux besoins réels, ce qu’explique en bonne partie la fiscalité. Je ne considère pas que cette situation représente une menace, ni pour les agriculteurs, ni pour les fournisseurs que nous sommes. Pour autant, le marché sera peut-être plus lisse dans les années à venir compte tenu de l’évolution actuelle de cette fiscalité… Mais ce ne sont pas les industriels qui s’en plaindront finalement. L’évolution des structures agricoles devrait maintenir en place bon nombre d’exploitations. C’est en tout cas la volonté politique. Elle contribuera à préserver la demande. La concentration, qui va malgré tout se poursuivre, aura aussi pour effet de réorienter les investissements vers d’autres types de machines, sans doute plus puissantes.
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Pédagogie des marchés
Les perspectives pour la campagne 2014-2015 Les cours des céréales ont baissé sur la campagne 2013/2014 et ce malgré le rebond de fin de campagne à la suite du risque géopolitique qu’a suscité l’Ukraine. Le rebond des récoltes 2013 au niveau mondial et la reconstruction des stocks ont pesé sur les cours après des récoltes 2012 particulièrement affectées par des épisodes de sécheresse aux Etats-Unis et en Russie. Après la nette correction sur le marché durant la campagne 2013/2014, que nous réserve le marché des grains pour la campagne 2014/2015 ? Sébastien Techer
Conseiller en investissements financiers chez Agritel
Figure n°1 : Pourcentage des précipitations par rapport à la normale sur les deux derniers mois. (Source : WorldAgWeather)
Blé : une situation équilibrée chez les grands exportateurs Sur l’hémisphère nord, les perspectives de production ont été mises à mal chez certains grands pays grands exportateurs. Aux EtatsUnis, le premiers pays exportateurs de blé au niveau mondial, les régions de production de blé d’hiver ont été touchées par de multiples vagues de froid cet hiver et par une sécheresse
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printanière. Ainsi, selon le dernier rapport de l’USDA, la récolte 2014 de blé US est estimée à 52,9 millions de tonnes contre 57,9 millions de tonnes en 2013. Dans ce contexte, le potentiel export du pays est affiché à 25 millions de tonnes contre 32 millions de tonnes pour la campagne 2013/2014. Concernant le bassin mer Noire, les perspectives de production en blé s’affichent sur des niveaux
inférieurs à ceux de l’année dernière. En Ukraine, les problèmes de financement auxquels sont confrontés les agriculteurs limitent les investissements en engrais et produits phytosanitaires. Par conséquent, les rendements en blé sont attendus en baisse par rapport à l’année dernière et ce, malgré des conditions climatiques plutôt bonnes. En Russie, les conditions climatiques sont particulièrement sèches dans le Sud et dans la région de la Volga comme
l’illustre la carte ci-dessous. Les conditions climatiques des prochaines semaines sur ce pays seront donc déterminantes pour l’évolution des cours du blé. En Europe, après les craintes de sécheresse printanière, les conditions climatiques se sont nettement améliorées, ce qui laisse augurer d’un bon potentiel de production en blé. Cependant, du fait de la baisse des disponibilités export aux Etats-Unis et sur le bassin mer Noire, l’Union européenne devrait être sollicitée à l’export, ce qui limitera la reconstruction des stocks. In fine, le commerce mondial du blé pour la première partie de campagne est relativement équilibré, ce qui sera de nature à limiter le potentiel de baisse des cours. De plus, les opérateurs seront attentifs à l’évolution des conditions climatiques sur l’hémisphère sud.
Maïs : la détente prédomine
Figure n°2 : Evolution des stocks de report en maïs aux Etats-Unis. Source : Agritel
conduire à une production de 25,6 millions de tonnes, soit la deuxième production la plus importante de l’histoire de l’Ukraine. Par conséquent, les stocks mondiaux de maïs devraient s’afficher en hausse par rapport à la campagne 2013/2014 constituant un élément de pression pour les cours du maïs.
A court terme, les tensions sur les bilans du soja US pourraient maintenir une certaine fermeté sur les cours du soja. A plus long terme, les bonnes récoltes de soja au Brésil (86,5 millions de tonnes) et en Argentine (55 millions de tonnes) seront un élément de pression pour le marché du soja.
De la même manière que pour le marché du blé, les conditions climatiques sur le Brésil et l’Argentine devront faire l’objet d’une attention toute particulière. En outre, la baisse des prix pourrait également être limitée par la forte demande en maïs tant pour l’alimentation animale que pour l’éthanol aux Etats-Unis.
De plus, aux Etats-Unis, les surfaces en soja s’affichent en hausse cette année. Si les conditions climatiques le permettent, la production de soja US devrait tutoyer les 100 millions de tonnes selon l’USDA ce qui sera un élément de pression supplémentaire pour le marché du soja.
Aux Etats-Unis, les surfaces de maïs s’affichent en légère baisse par rapport à l’année dernière notamment au profit de la culture de soja économiquement plus rentable. Néanmoins, sur une base de rendement tendanciel et en l’absence d’incident climatique, les Etats-Unis sont en mesure de produire 353,9 millions de tonnes selon le dernier rapport de l’USDA. Cela permettrait de conforter la reconstruction des stocks de report US comme le montre le graphique ci-dessous.
Vers une détente du marché du soja ?
Sur le Vieux Continent, les perspectives de production sont bonnes à 65,3 millions de tonnes contre 64,6 millions de tonnes l’année dernière. Concernant l’Ukraine, de nombreuses incertitudes ont entouré le potentiel de production en maïs du fait des coûts de production élevés de cette culture. Au final, les surfaces de maïs en Ukraine s’affichent sur des niveaux sensiblement égaux à ceux de l’année passée, ce qui pourrait
La production de soja est concentrée dans trois principaux pays : les Etats-Unis, le Brésil et l’Argentine qui représentent plus de 85 % du commerce mondial. Depuis 2011, ces pays ont été successivement touchés par des épisodes de sécheresse qui ont tendu de manière significative le marché du soja d’autant plus que l’intérêt acheteur de la Chine pour ce produit est croissant.
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Dans un tel contexte, les prix de la graine de colza pourraient poursuivre leur baisse alors que la production de colza dans l’Union européenne est estimée autour de 22 millions de tonnes contre 21,2 millions de tonnes l’année dernière. Sur les plans macroéconomique et géopolitique, l’évolution de la situation en Irak devra être suivie de très près car un envenimement du conflit ferait monter les cours du pétrole et, par voie de conséquence, les cours des huiles. Réalisé par Agritel www.agritel.com
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Stratégie et Benchmark
Trésorerie, soyez fourmi La trésorerie d’une exploitation est un des éléments important pour assurer sa pérennité. Une bonne trésorerie fait gagner 5 à 10 % de charges en achetant au bon moment sans être dépendant des fournisseurs. Elle permet également de vendre au meilleur prix et non dans l’urgence pour payer des factures.
Par Patrick Lévecque, conseiller d’entreprise à CerFrance Nord Pas de Calais
Devant des fluctuations de prix, tant pour les achats que pour les ventes les trésoreries voient des variations importantes. Rien que sur 500 tonnes de pommes de terre, un prix de vente moyen de 180 € en 2011 et 50 € en 2012 crée un différentiel de trésorerie de 65 000 €.
Comment gérer ces fluctuations Premier objectif : obtenir un fonds de roulement qui couvre son besoin. Ceci en cycle normal d’exploitation. Le fonds de roulement, (FDR sur notre tableau, différence entre les ressources stables (capitaux propres et dettes long et moyen terme) et les emplois stables (valeurs immobilisées) doit couvrir le besoin en fond de
Panel
roulement (BFR, stocks circulants, plus créance moins dettes court terme), la différence est la trésorerie nette qui se doit d’être positive. Selon les productions le besoin en fonds de roulement est différent et variable selon la date de clôture. Par exemple : Calculer le fonds de roulement en pourcentage du produit d’exploitation (hors DPU). Pour neutraliser les variations conjoncturelles de produit prendre le produit moyen sur trois ou cinq exercices puis multiplier par le pourcentage selon le panel de l’exploitation. Exemples précis (les taux sont à apprécier selon les productions et régions) :
Chiffre d’affaire moyen
Taux FDR / PB
Fond de roulement objectif
Céréales
160 000 €
50 %
80 000 €
Lait intensif
220 000 €
25 %
55 000 €
Céréales Pommes de terre frais
340 000 €
40 %
136 000 €
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A.J.
Ces chiffres sont à analyser selon son exploitation et les références régionales. Autre possibilité : calculer selon un nombre de mois de charges d’exploitation (voir tableau ci-dessous).
Panel
Mois de charges d’exploitation
Céréales
5 mois
Lait intensif
3 mois
Céréales Pommes de terre frais
4 mois
Par exemple un céréalier ayant 150 000 € de charges d’exploitation aura un fonds de roulement objectif de 62 500 € (150 000 x 5 :12). Ce chiffre donne une moyenne annuelle du fonds de roulement suffisant pour couvrir le besoin moyen. Pour gérer les fluctuations mensuelles de trésorerie, un budget mensuel prévisionnel quantifie les besoins ponctuels. Après avoir quantifié ces besoins une négociation avec la banque d’ouverture de crédit ou de prêt court terme facilite la gestion au mois le mois.
L’épargne de sécurité Deuxième objectif : se créer une épargne de sécurité. Elle vise, en cas de conjoncture instable, à combler le manque de trésorerie pour faire face aux charges. Elle peut être placée hors exploitation, mais doit être mobilisable rapidement. Un repère facile à retenir est « une année
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d’annuités en épargne de sécurité ». Notamment pour les exploitations avec un montant important d’annuités, comme le cas d’un jeune agriculteur ou récent investisseur. Une autre approche consiste à calculer en fonction du produit moyen par exemple 15 à 20 % du produit moyen d’exploitation. Reprenons l’exemple du céréalier : son produit d’exploitation est de 160 000 €, donc 20 % de ce produit font 32 000 € d’épargne de sécurité à se constituer. Comment se créer cette épargne ? Une année excédentaire constitue le bon moment pour créer cette épargne de trésorerie. La tentation est forte une année bénéficiaire d’investir, notamment dans un objectif d’optimisation fiscale et sociale. Il convient toutefois de privilégier la création de cette épargne de sécurité avant d’investir. Notre céréalier doit se créer 32 000 € d’épargne, il dispose aujourd’hui de 15 000 €. Il doit donc préserver 17 000 € pour atteindre le niveau souhaité de réserve de trésorerie. Sa valeur ajoutée augmentée des aides couvre les charges d’exploitation, les annuités et les charges de personnel (salaires, cotisations sociales et prélèvements courant de l’exploitant). Le solde, marge de sécurité, est de 20 000 € : c’est là qu’il doit prendre les 15 000 € qu’il gardera en réserves, et il peut investir les 5 000 € restant. En période de fluctuation de prix, pour pratiquement toutes les productions, il est essentiel d’analyser sa situation de trésorerie, et de disposer d’une estimation de l’amélioration trésorerie à réaliser. Ceci pour avoir une situation financière équilibrée, avec des réserves pour faire face à une éventuelle conjoncture défavorable postérieure.
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REFLEXIONS
Matières premières agricoles, haro sur la spéculation Il est bon ton de montrer du doigt la spéculation. Mais est-elle à ce point responsable des maux qu’on l’accuse ? « Mais arrêtez donc avec vos explications climatiques à la gomme… SPECULATION… c’est la seule spéculation qui affame le monde. Tout le reste est de la roupie de sansonnet… » C’est de cette façon qu’un internaute a réagi à la mise en ligne, le 30 mai 2014, d’un article sur le site de La Croix. Ce point de vue est semble-t-il partagé par beaucoup, de l’homme de la rue, qui a notamment découvert en 2013 le rôle joué par des traders dans le scandale de la viande de cheval, jusqu’à des représentants d’institutions internationales, en passant par des ONG ou des mouvements politiques.
En Chine, bourse aux denrées agricoles.
A.J.
En 2011, dans une tribune publiée dans Le Monde, Olivier de Schutter, le rapporteur spécial des Nationsunies pour le droit à l’alimentation, écrivait ainsi que « l’impact de la spéculation financière sur la flambée des prix alimentaires est désormais largement reconnu ». Son prédécesseur à ce poste, le suisse Jean Ziegler, a même appelé à plusieurs reprises à faire comparaître les spéculateurs devant un tribunal international pour crimes contre l’humanité.
à trois ans. Dans le cas où celleci serait adoptée, les investisseurs financiers ne pourraient « investir ni pour eux-mêmes ni pour leur clientèle et ni directement ou indirectement dans des instruments financiers se rapportant à des matières premières agricoles et à des denrées alimentaires ». Pour la JS, cette initiative apparaît d’autant plus importante qu’« un tiers des échanges spéculatifs mondiaux sur les biens alimentaires ont lieu sur le territoire helvétique ».
Les ONG se montrent, elles aussi, très actives dans la lutte contre la spéculation alimentaire. Oxfam France a ainsi mené en 2013 une campagne qui a incité BNP Paribas et le Crédit Agricole à fermer des fonds d’investissement qui permettaient de spéculer sur des matières premières agricoles. Plus récemment, en mars 2014, une coalition d’ONG suisses Alliance Sud a publié un rapport à charge sur le sujet. C’est dans ce contexte que la Jeunesse socialiste (JS) suisse a déposé ce même mois une initiative populaire fédérale, qui devrait être soumise à référendum d’ici deux
Pourtant, son rôle négatif n’est pas démontré
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Il est clair que les investisseurs s’intéressent de plus en plus aux matières premières, qu’elles soient agricoles ou non. Le rapport d’Alliance Sud indique ainsi que 13 milliards de dollars étaient investis en 2003 sur les marchés des dérivés des matières premières. Dix ans plus tard, ce montant s’élevait à 430 milliards. Il est également clair que, comme l’écrivait en 2010 les auteurs du rapport Prévenir et gérer l’instabilité
des marchés agricoles, « la volatilité naturelle des prix qui caractérise [les marchés agricoles] est amplifiée par de nouveaux facteurs et notamment par une spéculation excessive ». Il convient néanmoins de remarquer que ces phénomènes sont loin d’être nouveaux, même s’ils ont été renforcés dans la période récente, puisque c’est en 1848 que la première place mondiale des matières premières agricoles a été créée à Chicago. L’historien Alessandro Stanziani estime même qu’il a existé des marchés à terme agricoles dès le XVe siècle. Par ailleurs, le rapport d’Alliance Sud en convient luimême : il n’existe pas de consensus scientifique sur le caractère nocif ou non de la spéculation sur les marchés agricoles. Il paraît par conséquent très difficile de savoir si la spéculation ne fait qu’amplifier les « fondamentaux », c’est-àdire le rapport entre l’évolution de l’offre et de la demande, ou si elle contribue à provoquer une flambée des prix des produits agricoles et un accroissement de la volatilité des marchés et donc à affamer le monde. Eddy Fougier
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