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Edito Parce que les réponses sont diversifiées…
C
omment obtenir un complément de revenu, qui soit à la fois une sorte d’assurance quand l’activité principale fonctionne moins bien, et qui mérite l’engagement qu’on lui donne ? Répondre à cette question, c’est l’objet de ce numéro de WikiAgri dédié à la diversification. Une seule question, mais une multitude de réponses. C’est donc par l’exemple, par les exemples plutôt, que nous illustrons le propos. Diversifier en devenant entrepreneur (autre qu’agricole), en transformant, avec de nouvelles cultures, en créant des gites, bref en apprenant un deuxième métier, ça marche, vous pourrez le lire tout au long de ce magazine. Au-delà des statistiques que nous vous donnons pages 6-7, c’est surtout l’esprit qui anime l’agriculteur qui diversifie qui est intéressant. Bien sûr, il y a moyen de « se contenter » d’un placement financier, acheter un appartement, le louer… Une solution de « facilité » qui n’est certes pas dénuée d’intérêt, et qui peut représenter, comme l’un d’entre vous en témoigne page 18, un complément de retraite intéressant le moment venu. Mais chez tous nos interviewés de ce numéro il existe un point commun : la « fibre ». L’envie. La passion. Bien sûr, il s’agit d’obtenir un complément de revenu, mais au passage il doit y avoir une forme d’accomplissement personnel. WikiAgri, le rendez-vous des passionnés…
La rédaction
A.J.
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Sommaire WikiAgri n°11 / avril 2014
u Directeur de publication Yannick Pages Rédacteur en chef Antoine Jeandey Rédaction Eddy Fougier Raphaël Lecocq redaction@wikiagri.fr Ont participé à ce numéro AGRITEL CERFRANCE Dessinateur Michel Cambon
Edito P.3
THÉMA l
Le dessous des graphes
P.6 et 7 - Graphiques et infographies
l
Cambon lui semble
P.8 - Le dessin de Michel Cambon
l
Le Grand témoin
Photographe Jean-Marie Leclère
P.9 à 12 - L’interview de Patrick Pérard, président de Pérard SAS et de l’Axema
Publicité Tél. 06 89 90 72 75 | pub@wikiagri.fr
l
Théma : La diversification
u
PORTFOLIO
Consultant Média Bernard Le Blond - Vision bleue Tél. 06 83 92 08 61 Conception graphique et maquette Notre Studio www.notrestudio.fr Conseil éditorial Sylvie Grasser - Hiceo Tél. 06 32 75 11 94 www.hiceo.fr ISSN ISSN 2258-0964 Commission paritaire 0314 T 91288 Dépôt légal A parution Service abonnements 4, impasse du Faubourg 38690 Le Grand Lemps Tél : 04 76 31 06 19 E-mail : contact@wikiagri.fr Abonnement annuel 34,90€ TTC (4 numéros) Prix au numéro : 10€ Site internet www.wikiagri.fr Impression SAS Imprimerie Leonce Deprez Zone industrielle de Ruitz 62620 Ruitz Tirage 48 000 exemplaires (dont 45 500 expédiés) Le magazine WIKIAGRI ® est edité par la société : DATA PRO SOLUTIONS BP 70132 38503 VOIRON CEDEX
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P.14 - Pourquoi, comment, jusqu’où ? P.16 - Les exemples que vous avez peut-être déjà lus P.18 - La diversification et vous, d’après vos témoignages recueillis sur wikiagri.fr P.20 - Agriculteur et collecteur, diversification pois chiche, reportage dans le Tarn P.22 - Diversification gite, reportage dans les Ardennes P.26 - Agriculteur et concessionnaire, dans la Meuse P.28 - Agriculteurs et web business, avec AgriAffaires
P.30 - Le temps des semis u
MOTEUR
P.34 - Semoirs monograines, tous ex æquo sur la ligne d’arrivée ? u
Pédagogie des marchés
P.38 - Par Agritel, les événements d’Ukraine et leurs implications sur les marchés céréaliers u
stratégie et benchmark
P.40 - Par CerFrance – Pac 2015, diversification des assolements, plus d’agronomie et moins d’économie ? u
reflexions
P.42 - L’insécurité alimentaire, graine de violence sociale
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COMPRENDRE
Le dessous des graphes 1. Quel est le profil de ceux qui se diversifient ? En pourcentage
Selon les données recueillies en France métropolitaine lors du recensement agricole de 2010 (les dernières que l’on ait à disposition, source Agreste), les activités de diversification concernent souvent les circuits courts, qui donnent également dans la transformation de leurs produits, et même jusqu’à la vente. Souvent associée, l’activité agro-touristique croît régulièrement.
EXPLOITATION AVEC UNE ACTIVITÉ DE DIVERSIFICATION EXPLOITATION SANS ACTIVITÉ DE DIVERSIFICATION
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CHAMP : France métropolitaine NOTE : 41% des exploitations ayant une activité de diversification pratiquent la vente par circuit court. Seules 10% des exploitations ayant des activités exclusivement agricoles utilisent ce mode de communication PART DES ACTIFS FAMILIAUX, EN POURCENTAGES
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Pour les activités de service, le travail à façon se développe, principalement par les exploitations de grande taille (90 % des agriculteurs qui proposent du travail à façon sont des hommes). On note également l’augmentation notable de la production d’énergie renouvelable.
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30
20
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1
4
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1
Circuit court
Agriculture biologique
Exploitants de niveau bac ou supérieur
Exploitants de moins de 50 ans
Avec production sous signe de qualité (IGP, AOP/AOC, Label Rouge, CCP, autre)
2. La diversification moins présente chez les plus de 60 ans 4
CHAMP : France métropolitaine SOURCE : SSP - Argreste - Recensement agricole 2010 AVEC ACTIVITÉ DE DIVERSIFICATION
court. mmunication PART DES ACTIFS FAMILIAUX, EN POURCENTAGES
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SANS ACTIVITÉ DE DIVERSIFICATION 2
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ÂGE 4
AVEC ACTIVITÉ DE DIVERSIFICATION
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SANS ACTIVITÉ DE DIVERSIFICATION
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L’esprit de diversification correspond à un niveau de formation élevé. Or, au fil du temps, les agriculteurs sont de mieux en mieux formés, donc d’une manière générale plus enclins à se diversifier. Les agriculteurs de plus de 60 ans, qui représentent 25 % des agriculteurs actifs, ne fournissent que 13 % de ceux qui se diversifient.
3. La diversification, une solution pour les petites exploitations visibles dans leur chiffre d’affaires La comparaison du tableau ci-joint entre l’ensemble des exploitations et les seules petites exploitations permet de constater que, pour ces dernières, l’agritourisme représente une solution budgétaire essentielle, puisque allant à 43 % du chiffre d’affaires total de l’exploitation. D’une manière générale, pour tous, la transformation des produits de la ferme représente une aubaine en terme financier.
Une place importante de la diversification dans le chiffre d’affaires des petites exploitations Part du chiffre d’affaires selon le type d’activité de diversification pratiquée
Ensemble des exploitations Exploitations
Part de la diversification sur le chiffre d’affaires total ≤10%
Nombre
Petites exploitations Exploitations
≥50%
% du nombre d’exploitations
Part de la diversification sur le chiffre d’affaires total ≤10%
Nombre
≥50%
% du nombre d’exploitations
Transformation des produits de la ferme (hors viticulture)
17 700
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5100
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Travail à façon
15 100
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1460
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Agritourisme
10 650
45
28
3750
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Transformation de bois
850
60
13
370
46
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Artisanat
450
34
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230
22
60
Autres activités de diversification (aquaculture, production d’énergie renouvelable...)
6250
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25
1590
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Exploitations avec plusieurs types d’activité de diversification
5700
28
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1500
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Ensemble des exploitations pratiquant au moins une activité de diversification
56 700
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14 000
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50
Exploitations exerçant un seul type d’activité de diversification
Source : SSP - Agreste - Recensement agricole 2010 Infographies : Notre Studio
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Le dessin
Cambon lui semble
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GRAND TÉMOIN Patrick Pérard A.J.
« La diversification, la solution pour éviter l’immobilisme » Repères Patrick Pérard, agriculteur de 56 ans, est à la tête de l’entreprise familiale Pérard SAS, à Verdun, dans la Meuse. L’exploitation céréalière, également familiale, fait 260 hectares. Son épouse est engagée dans l’activité depuis le début (d’abord pendant les heures de repas alors qu’elle était infirmière, puis directement), s’occupant de la comptabilité. Trois enfants travaillent également dans la structure, le premier en tant que directeur commercial France, le deuxième comme responsable de production, et le troisième est responsable du secteur de vente sud-est. Parallèlement, Patrick Pérard est également président de l’Axema (lire l’article dédié). > On retrouve Pérard SAS sur internet sur : http://www.perard.fr
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Expliquez-nous comment vous-même vous vous êtes diversifié ? P.P. J’ai repris l’exploitation céréalière de mon père en 1979. Elle faisait 120 hectares et avec le temps compte aujourd’hui 260 hectares. Au début, mon épouse travaillait à l’extérieur, comme infirmière. En 1988, j’ai cherché à me diversifier. J’envisageais deux possibilités : l’élevage, ou une entreprise de travaux agricoles. Mon père et moi avons mis au point un cric sur bras de relevage du tracteur, que j’ai breveté : c’est l’histoire du début de l’entreprise. Un commercial nous a vendu ainsi 30 appareils. Ensuite, l’entreprise a créé un pulvé automoteur. En 1990, nous avons créé une rallonge de coupe pour colza, pour vendre 35 machines de ce type en 1991. 1992 fut l’année de la mise en place de la première Pac. A l’époque, le colza a chuté de 330 à 110 francs, et nous avons donc créé des chariots de coupe de moissonneuses batteuses
pour compenser le colza. En 19931994, des années « light » en raison de l’inquiétude agricole à propos du maintien du revenu, nous avons mis au point « plat o sol », soit des plateaux transporteurs qui peuvent s’affaisser jusqu’au sol. Quand l’activité a repris fin 1994, nous avons explosé nos ventes. En 1996, nous avons développé des godets désileurs, pour avoir une activité fondée sur l’élevage. En 1999, nous avons construit des chariots de coupe de moissonneuses batteuses en sous-traitance pour Claas. En 2001, c’est au tour de l’inter-benne, avec un prototype de transbordeur. En 2002, nous reprenons la même machine, mais en passant par un bureau d’études et un nouveau design, et ça a suffi pour la vendre. Fin 2003, avec trois partenaires, nous avons repris une entreprise de matériels agricoles à Albi (Tarn). Malheureusement nous avons dû
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GRAND TÉMOIN
Le grain et le matériel Pérard sont étroitement liés.
nous en séparer trois années plus tard, avec toutefois une nouvelle expérience en matière d’épandage. J’ai développé suite à cela notre propre gamme d’épandeurs de fumiers. En 2007, Claas a repensé son système de fabrication des chariots de coupe et nous avons cessé notre collaboration avec eux. Aujourd’hui, nous proposons trois gammes de transbordeurs,
« Si performant que l’on soit, pour éviter l’immobilisme, il n’y a guère que la diversification. On s’ouvre ainsi à d’autres horizons, on rencontre de nouvelles personnes : on gagne toujours à rencontrer des gens qui ont une autre approche. »
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Pérard SAS
trois d’épandeurs de fumiers, trois d’épandeurs d’engrais, des barres de coupes, des chariots de coupes, des plateaux… Notre chiffres d’affaires est de 7 millions d’euros, 35 % sont réalisés à l’export (pays européens, Russie, Egypte, Australie…), et nous embauchons 50 personnes. Notre activité est globalement croissante, nous avons un bureau d’études qui occupe 6 % du chiffre d’affaires avec des produits en développement pour 2015-2016…
seule activité agricole. Au-delà du fait que ce soit mal vu, mon contexte local ne s’y prêtait pas. Enfin, l’idée est aussi de ne pas mettre tous les œufs dans le même panier : on se protège sur le lendemain.
Vous exportez aussi en Australie ? P.P. Oui, nous cherchions un marché pour l’hiver, à lisser l’activité pour éviter des creux de trésorerie quand l’activité est au repos chez nous.
Parlons de manière plus générale, quelles qualités faut-il à votre avis pour se diversifier ? P.P. L’ouverture d’esprit. Si performant que l’on soit, pour éviter l’immobilisme, il n’y a guère que la diversification. On s’ouvre ainsi à d’autres horizons, on rencontre de nouvelles personnes : on gagne toujours à rencontrer des gens qui ont une autre approche. Et puis il y a une part de rêve : en 1988, nous avons débuté avec une entreprise en nom propre, pas de société, sans profil d’industriel…
Quelle logique vous a conduit à diversifier ? P.P. Le fait d’avoir l’esprit d’entreprise, car l’agriculteur est un chef d’entreprise. Et parallèlement, je ne pouvais pas avoir de logique d’agrandissement pour accroître ma
Quels arguments donneriez-vous en faveur de la diversification ? P.P. Notre système de fonctionnement est un peu verrouillé pour tout le monde. Un
« Il arrive un moment où la diversification prend le devant sur l’activité principale, tant il faut être passionné pour réussir. Sinon, elle n’évolue pas. » Etes-vous sûr qu’il s’agit de freins à la diversification ? On dirait plutôt des arguments qui lui sont favorables… P.P. Vous avez raison, ces problèmes peuvent devenir autant d’incitations à la diversification, justement pour éviter d’en rester tributaire.
Parmi les produits qui ont fait le succès de Pérard SAS, le « plat o sol », un plateau qui s’abaisse jusqu’au sol pour supporter de lourdes charges.
Pérard SAS
agriculteur responsable de son exploitation depuis des années à qui DR on demande de prendre des cours pour avoir un permis pour utiliser des phytos, ça me fait sourire. On sait tous comment utiliser les intrants, en les économisant. Aller vers une autre activité, cela permet aussi de prendre ce genre de mesures avec plus de recul.
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D’avoir l’impression de moins tourner en rond. Sans parler de la prise en compte des capacités de l’agriculteur à créer. Et quels seraient les freins ? P.P. La complexité du système, l’incertitude du lendemain, la réglementation qui change tout le temps…
Quelles conditions fautil réunir pour réussir sa diversification ? P.P. Deux choses. D’abord l’envie. C’est elle qui génère l’énergie pour réussir. Les journées ne font que 24 heures, et si on considère que l’on reste 8 heures par jour pris par son exploitation agricole dans sa première fonction, alors il faut avoir l’envie de prendre du temps en plus sur la diversification.
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GRAND TÉMOIN D’ailleurs, il arrive un moment où la diversification prend le devant sur l’activité principale, tant il faut être passionné pour réussir. Sinon, elle n’évolue pas. Second aspect, il faut être courageux, avoir le goût de l’aventure. Parce que sans engagement on n’y arrive pas. Un mot sur le regard des autres ? P.P. On a de tout. Des « bravo, c’est magnifique, vous êtes courageux », avec pour certains «en voix off», la certitude d’une mort annoncée. Plus la diversification est téméraire, plus elle fait l’objet de jugements, voire de critiques. Heureusement, à l’inverse, il existe aussi d’autres agriculteurs qui vous aident, qui vous font confiance, vous proposent de tester vos machines… Quels conseils donneriez-vous à un agriculteur qui se lance dans la diversification ? P.P. Les agriculteurs ont tout intérêt à aller de plus en plus loin dans la transformation. J’en connais un qui a investi dans la production d’œufs, aujourd’hui il en livre deux millions par jour... En fait, pour une diversification, il faut chercher à aller dans le sens de la population : elle veut les meilleurs produits, aux meilleurs prix. Donc prévoir un coût de main-d’œuvre relativement faible, et penser à se développer conformément à sa taille. Il faut être bon gestionnaire… Propos recueillis par Antoine Jeandey
A Cournon en octobre dernier, lors du Sommet de l’élevage, Patrick Pérard sensibilise le Président de la République aux dernières problématiques de l’agroéquipement.
« Un agriculteur responsable de son exploitation depuis des années à qui on demande de prendre des cours pour avoir un permis pour utiliser des phytos, ça me fait sourire (…) Aller vers une autre activité, cela permet aussi de prendre ce genre de mesures avec plus de recul. »
L’Axema, l’union des industriels de l’agroéquipement Depuis avril 2008, tous les acteurs industriels de l’agroéquipement sont réunis sous une seule bannière, l’Axema. L’Axema est ainsi la réunion du Sygma (syndicat professionnel des constructeurs de tracteurs et de machines agricoles), du Secima A.J. (syndicat des entreprises de commerce international de matériels agricoles et d’espaces verts) et du SNCVA (syndicat national des constructeurs de véhicules agricoles et matériels connexes). La présidence de l’Axema est tournante entre ses trois composantes. Elle est donc exercée aujourd’hui par Patrick Pérard, au titre de président du SNCVA. Ces industriels de l’agroéquipement représentent 25 000 salariés avec un chiffre d’affaires de 5 milliards d’euros sur le marché français. 230 entreprises sont adhérentes. Elles trouvent dans la structure des conseils avec différents experts, notamment techniques ou juridiques. On retrouve l’Axema sur internet sur : http://www.axema.fr
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Axema
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THÉMA
A.J.
Diversification : pourquoi, comment, jusqu’où ? Les chiffres Le recensement agricole de 2010 permet de chiffrer ce que représente la diversification en France métropolitaine aujourd’hui. Ainsi, selon Agreste (institut de la statistique agricole), en plus de leurs productions agricoles, 57 000 exploitations exercent en 2010 des activités para-agricoles pour compléter leurs revenus, soit 12 % des exploitations. Près de 70 000 actifs familiaux agricoles y participent, soit comme complément de leur travail agricole, soit comme fonction première sur l’exploitation. Et la précision va même au-delà : concernant les petites exploitations, une sur deux parmi les diversifiées double son chiffre d’affaires. Autant dire que ce phénomène est conséquent, et finalement il concerne, sous une forme ou une autre, nombre
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d’agriculteurs. Sans compter ceux qui n’ont pas été recensés mais qui y pensent… Car une diversification réussie, ça se prépare. Pourquoi Les raisons qui poussent à la diversification sont multiples et variées. Dans le cas particulier de l’Outre-Mer, c’est une obligation vivrière et culturale : il faut produire le maximum de denrées différentes sur place tant les importations sont chères. Mais plus généralement, la diversification est motivée par deux aspects : sécuriser son revenu d’une part, et entreprendre une activité nouvelle dans laquelle on s’investit et pour laquelle on se passionne d’autre part. Sécuriser le revenu, cela concerne tout le monde, tous les agriculteurs, celui qui souffre aujourd’hui comme celui qui craint
de souffrir demain. Des aides Pac en baisse et dont il faut devenir de moins en moins dépendant, cela concerne tous les céréaliers. La fin des quotas laitiers dont on ne sait si elle s’accompagnera d’un maintien correct des prix ou non, c’est pour les éleveurs laitiers. Et ainsi de suite. Pour chaque activité agricole aujourd’hui, il faut penser à un lendemain qui pourrait déchanter. Comme dit notre grand témoin, Patrick Pérard, « ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier », c’est encore la meilleure façon de pouvoir faire face demain à un revers, si le besoin s’en fait sentir. L’activité nouvelle correspond tant à l’individu qu’au profil de son exploitation. L’agriculteur est un chef d’entreprise agricole. S’il se sent à l’étroit dans son activité originale, il doit élargir son horizon.
« L’humanité est constamment aux prises avec deux processus contradictoires dont l’un tend à instaurer l’unification, tandis que l’autre vise à maintenir ou à rétablir la diversification. » Claude Lévi-Strauss Comment En restant dans l’agricole, en en sortant ? Ça dépend de vous ! Les activités de transformation sont les plus courantes dans la diversification. Elles concernent surtout les petites exploitations (ah, le petit fromage de chèvre fermier…), mais peuvent tout aussi bien s’envisager à plus grande échelle. On connaît (lire pages suivantes) des céréaliers qui deviennent brasseurs ou boulangers. Ou, comme notre grand témoin, qui s’intéressent tant au machinisme agricole qu’ils en viennent à en devenir un acteur, comme concessionnaire (lire page 26), ou comme fabricant (page 9). Une autre manière de se diversifier
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peut consister à aller chercher une nouvelle culture avec son effet de niche. Vous lirez page 20 un reportage dans le Tarn sur une culture de pois chiches. Ou encore de créer des gites (reportage dans les Ardennes page 22). Mais attention, dans tous les cas, la diversification mérite toute votre attention, vous devez soigner tous les détails, presque la considérer comme une activité principale. Et surtout, bien réfléchir avant… Jusqu’où La question est iconoclaste. Mais mérite d’être posée. Notre grand témoin l’affirme : « Il arrive un moment où la diversification prend le devant sur l’activité principale,
A.J.
tant il faut être passionné pour réussir. Sinon, elle n’évolue pas. » L’agriculture est une passion, vous le savez tous. Et la diversification aussi. Il faut ainsi être ouvert à de nouvelles formes d’agriculture. Dépasser le débat (et il a existé, j’en ai été le témoin) se posant de la question de considérer ou non un agriculteur à 100 % s’il avait une autre activité. Il ne s’agit évidemment pas de collectionner les activités, de s’éparpiller, mais d’en choisir une nouvelle en plus, dans laquelle il faut s’investir pleinement. Pour son avenir, pour son revenu, mais aussi pour son épanouissement personnel. Antoine Jeandey
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Diversification > Sur wikiagri.fr ou sur WikiAgri Magazine
Les exemples de diversification que vous avez peut-être déjà lus Une diversification correspond souvent à un parcours original. De fait, nous vous avons proposé à wikiagri.fr plusieurs articles qui en ont fait mention, sans en porter le nom. Une manière d’avoir un panorama rapide sur tout un éventail de possibilités. Le céréalier qui est devenu éleveur Est-ce une diversification ? Une reconversion ? Sans doute un peu des deux. Gaël Grosmaire était céréalier, il est devenu éleveur de brebis. Dans une tribune qu’il a rédigée lui-même sur wikiagri.fr, il explique ses choix, partant d’un principe : « Avant tout, je suis un agriculteur, pas un éleveur, pas un céréalier ».
Winocour, fils et père.
Lien sur internet : http://wikiagri.fr/ articles/et-si-la-folie-cetait-detrecerealier-/487
A.J.
Le céréalier qui fait sa farine, et son pain En mai 2013, nous avons choisi, sur wikiagri.fr, de traiter le sujet de la Fête du pain de manière originale, en allant rendre visite à un céréalier fabriquant lui-même ses farines, et allant même au-delà puisqu’ayant ses fours et faisant ses pains ! Dans les Yvelines, Marc Winocour, céréalier depuis 1984, travaille ainsi avec ses deux fils, Jules et Emile : l’un est boulanger, l’autre s’occupe de la commercialisation. Tout est calculé : le choix des céréales par rapport au produit final que sera la farine, la meunerie, la qualité de la farine, et bien sûr celle du pain. A l’arrivée, l’exploitation céréalière est « moins dépendante des aides Pac » selon Marc Winocour, et il a assuré un métier à ses deux fils. Lien sur internet : http://wikiagri.fr/ articles/cerealier-et-boulangers-pereet-fils/564
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Cultiver l’orge, la transformer en malt, et devenir brasseur Nous avons rencontré deux cas similaires de céréaliers cultivant l’orge, la faisant transformer en malt, et brassant celui-ci pour
produire leur propre bière. Deux cas dans la région parisienne, à l’opposé l’un de l’autre par rapport à la capitale, le premier dans le Val-d’Oise (Denis Sargeret, avec son fils Aurélien, pour la bière du Vexin, régulièrement primée au concours général du Salon de l’agriculture), le second en Seineet-Marne (Hugues Rabourdin, avec son fils Hubert, pour le bière de Brie). Vous pouvez retrouver le reportage complet concernant le premier dans le n°3 de WikiAgri Magazine qui était consacré aux stocks (pages 18-19). Concernant le second, nous avons juste passé sa photo dans notre page Facebook dans un album relatif au tout dernier Salon de l’agriculture… Mais guettez nos parutions sur wikiagri.fr, il a des projets, et nous devrions le rencontrer bientôt.
Hugues Rabourdin, céréalier, exposant lors du dernier Salon de l’agriculture en tant que brasseur.
A.J.
Il était une fois le journaliste devenu agriculteur La diversification peut aussi être le nécessaire intermédiaire pour l’installation, en particulier pour un hors cadre agricole. Quelqu’un a une profession, veut devenir agriculteur : dans un premier temps il ne lâche pas complètement sa précédente occupation, le temps de vivre complètement de son activité. Ce fut le cas de Benjamin Masson, journaliste notamment signataires d’articles pour WikiAgri, et qui a expliqué dans le dernier d’entre eux, sur wikiagri.fr, comment il devenait agriculteur à part entière. Lien sur internet : http://wikiagri.fr/ articles/linstallation-ca-vous-changeun-homme/912.
Les viticulteurs, champions de la diversification S’il est une catégorie d’agriculteurs qui ne se contente pas de produire, mais qui, le plus souvent, transforme aussi et commercialise, c’est bien celle
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des viticulteurs. Certains sont même astucieux. Wikiagr.fr s’était fait l’écho de l’initiative du Bourguignon Ulrich Dujardin, producteur de monthélie, qui a lancé une souscription sur ses futures vendanges pour se financer l’équivalent d’un prêt gratuit pour construire un bâtiment d’accueil et dégustation. En d’autres termes, il pré-vendait (avec une assurance au cas où) ses millésimes futurs… Lien sur internet : http://wikiagri. fr/articles/un-vigneron-lanceune-souscription-sur-ses-futuresvendanges/333.
Gabrielle Nicolas.
A.J.
Dans les Dom, la diversification est une obligation Quand tous les produits importés coûtent cher, il vaut mieux produire sur place. Les agriculteurs de l’OutreMer le savent bien, et ont intégré depuis toujours des productions très variées. L’interview récente de Gabrielle Nicolas, première vice-présidente de la Chambre
d’agriculture de Guyane, sur wikiagri.fr, expliquait parfaitement cette démarche. Lien sur internet : http://wikiagri.fr/ articles/dans-les-dom-nous-navonspas-de-solutions-pour-reduire-lesphytos/971.
Antoine Jeandey
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C’est vous qui le dites .... Quelle est la définition d’une diversification réussie ? Le thème est très large, les exemples particuliers foisonnent, à l’intérieur de l’agriculture ou totalement en dehors. Mais tout vient de vous, vous l’avez exprimé sur un forum de wikiagri.fr.
U
ne chose est sûre, une diversification se réfléchit. Et il est difficile de catégoriser. On en note qui sont directement liées à l’activité agricole de base, d’autres absolument pas ; qui sont déjà débutées, ou qui ne sont que des projets à terme, susceptibles encore d’évoluer ; qui sont des nécessités économiques actuelles, ou qui doivent représenter une sécurité pour plus tard…
Du temps à consacrer, une réflexion en amont Une base commune toutefois : l’investissement. En soi, et en temps. Laconique, Dumdum (selon son pseudo sur wikiagri.fr) analyse cela en une phrase : « La diversification pour moi est synonyme de gestion du temps, on peut se diversifier si on maîtrise le temps, les priorités liées a chaque activité... » Et c’est un fait qu’il faut se donner du temps. Du temps pour réfléchir, et pour agir. La réflexion,
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Cerealier80 la pousse au maximum. Il évoque des projets qui ne sont pas encore concrétisés, fait même au passage quelques mystères montrant ainsi que cette phase préalable à l’action n’est pas encore tout à fait terminée. Il commence par un credo : « La diversification a pour moi un but : compenser une surface trop faible pour apporter un revenu suffisant et/ou un temps de travail trop faible pour s’occuper toute l’année. » Puis livre en vrac un catalogue de possibilités : « Plusieurs pistes s’ouvrent à moi : atelier élevage hors sol ou presque (poules pondeuses par exemple), production maraîchère (légumes ou petits fruits qui combleraient les temps morts), prestation de service pour un voisin... Si je suis incapable de savoir quelle sera ma voie parmi toutes ces pistes, il conviendra que la diversification choisie rentre dans le cadre que je me suis fixé : ne pas compromettre l’exploitation, assurer un revenu au moins équivalent à mon travail extérieur à terme, et surtout m’épanouir pleinement... » Mais au moins le cadre global est fixé : il s’agit de travailler plus pour gagner plus, dans un domaine qui permette simultanément un épanouissement personnel.
Une activité supplémentaire qui passionne et/ou crée de l’emploi Deux témoignages parlent de diversifications déjà lancées qui sont directement liées à l’activité de base. Le premier dans l’élevage. Franoise produit des bovins lait et viande, elle a lancé son atelier de transformation en fromages. Elle explique : « Il y a un peu plus de 20 ans, j’ai créé un atelier de diversification. Je travaille depuis 24 ans dans un Gaec, nous produisons du lait et des bovins viande. En tant que femme, les papiers et l’aide à la traite ainsi que de l’aide diverse dans les bovins me laissaient un peu de temps et je trouvais que je n’étais peut-être pas assez rentable. Je me suis mise à fabriquer des fromages car j’avais le lait. J’ai fait plein d’essais, mes associés étaient mes cobayes. J’ai acheté un peu de matériels pour fabriquer un peu plus de fromages et mes voisins ont commencé à les acheter. Voilà le début d’une folle aventure, je suis passé en 20 ans de 10 litres par jour à 400 litres par jour en
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......... sur wikiagri.fr été et à cette saison, il faudrait en faire 500 par jour pour couvrir la demande. Résultat, j’avais du temps disponible et maintenant nous avons embauché les épouses des deux des autres associés. » Ou comment la diversification devient génératrice non seulement d’activité, mais d’embauches. L’autre témoignage est celui de Quad41, dans les cultures cette fois. Il explique : « Actuellement j’ai mis en route une diversification dans la production semences potagère. Une forte demande dans ces productions par les maisons de semences m’a permis de me lancer en production d’oignons et plants pomme de terre. Les cultures se ressemblent un peu surtout au niveau des traitements fongicide. Elles demandent beaucoup d’observation, de traitement, d’épuration. »
Penser à la (trop basse) retraite (agricole) Parmi les « prévoyants », on note le témoignage de Gytdm. Lui sort totalement de l’activité agricole et pense à ses vieux jours, quand il lui faudra un complément de retraite : « Perso, je choisis une diversification dans l’immobilier locatif. En gros, avec une maison, à réhabiliter pendant les périodes creuses. Des revenus prévus post activité agricole. Une certaine souplesse
dans la fiscalité. L’avenir nous dira si le raisonnement était bon. » En ce qui le concerne, visiblement, le besoin n’est pas actuel, mais il sait (comme vous tous) combien les retraites agricoles sont basses et s’est donc projeté dans cet avenir pour s’octroyer un complément de revenu sans avoir alors à travailler outre mesure. Malin, non ? Il reste un témoignage que je n’ai pas encore évoqué, le plus long, et aussi le plus original, celui de CdinoV. Car la diversification tient pour lui ni plus ni moins de l’histoire de sa vie, de toute une destinée.
La diversification, l’histoire d’une vie L’histoire est longue, je n’en reprends ici que des extraits, et je vous invite à aller sur internet lire l’ensemble (le lien figure à la fin de cet article). Ainsi CDinoV a d’abord été salarié agricole, puis a eu l’opportunité de s’installer en tant qu’agriculteur, tout en poursuivant son activité initiale. Il explique : « J’ai tout d’abord commencé ma carrière en tant que technicien, puis commercial pendant 13 ans pour une firme d’agrofourniture. J’étais très satisfait de cette fonction jusqu’au jour où un voisin m’a proposé de reprendre son exploitation à proximité de celle de mon épouse. Exploitation sur laquelle j’exerçais déjà le métier
d’agriculteur et où je menais de nombreuses expérimentations. AJ Etant donné ma passion pour ce métier je n’ai pas hésité, je me suis donc installé en 2002 sur une petite surface et en accord avec mon employeur je suis passé à mi-temps. Je combinais ainsi deux métiers très complémentaires, mais après 10 ans de « double activité » intense, j’ai dû faire un choix, cette diversification était trop prenante en temps : en juin 2012, j’ai donc quitté l’entreprise pour laquelle je travaillais depuis 23 ans pour devenir un agriculteur à part entière avec mon épouse. » En d’autres termes, CDinoV est devenu agriculteur grâce à la diversification. Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Après juin 2012, il s’est rendu compte que financièrement il ne dépendait plus que du résultat de son exploitation. D’où l’idée d’une activité complémentaire, une nouvelle diversification : « (Elle) a démarré il y a maintenant un an, elle consiste à proposer mes services (conseil, expertise, expérimentation, formation…) aux firmes et organismes de la filière agricole. » Là encore, l’histoire ne s’arrête pas là… Mais allez donc faire un tour sur le net, et pourquoi pas apposer, à votre tour, votre témoignage ?
A.J.
DR
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Diversification > REPORTAGE DANS LE TARN
Les pois chiches sortent de leurs cellules Depuis 20 ans, la famille Gucémas produit et collecte du pois chiche et tente de libérer l’espèce, mineure en surface, majeure en atouts. Un pois pas chiche en bénéfices Ces vertus du pois chiche, quelles sont-elles ? Le pois chiche est une légumineuse, donc économe en azote, capable de produire 25 q/ha en moyenne (mais jusqu’à 35 à 45 q/ha), sans eau et sans phytos ou presque, pour la bonne et simple raison que le catalogue se limite à quelques herbicides et fongicides.
Jérôme Gucémas, agriculteur et gérant d’Esca : « Nous sommes devenus organismes stockeurs il y a 18 ans du fait du désintérêt des structures en place pour le pois chiche ».
R.L.
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érôme Gucémas exploite 200 hectares à Saint-Viviersles Lavaur (Tarn). Signe particulier : l’assolement compte bon an mal an 80 hectares de pois chiche. Il est aussi le gérant la Sarl Esca, qui a le statut d’organisme stockeur. Signe particulier : Esca est un des rares organismes stockeurs à collecter du pois chiche en France.
« Mon père et mes oncles ont créé l’entreprise en 1996 pour la simple et bonne raison qu’aucun organisme ne souhaitait leur acheter leur production de pois chiche, explique Jérôme Gucémas. Considérant les vertus de l’espèce, il ont décidé d’investir dans des installations de stockage, de tri et de calibrage et développer l’espèce, en ralliant d’autres agriculteurs et en contractualisant la vente auprès de conserveurs. J’ai pris leur suite en conservant les deux casquettes de producteur et de collecteur. »
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« Le pois chiche permet de casser la rotation blé tournesol, explique Anthony Cazaban, technicien assurant le suivi des cultures. C’est un très excellent précédent pour le blé et il permet de limiter l’exposition au risque en tournesol, les deux espèces étant souvent antagonistes en terme de conditions et de résultats. » Le pois chiche a l’avantage de minimiser la mise de fond, et pour
Destiné à l’alimentation humaine, le pois chiche produit en France ne couvre pas la consommation.
lui-même et pour le blé à suivre qui peut se contenter de 80 unités d’azote au lieu de 160 ou 180. Et les prix ? « Le pois chiche est une espèce très spéculative, dont le prix peut varier entre 150 et 600 euros la tonne, souligne Jérôme Gucémas. La particularité d’Esca, c’est de nouer des partenariats avec nos acheteurs pour lisser les fluctuations et fidéliser les agriculteurs. » A la fois producteur et collecteur, Jérôme Gucémas tente de concilier les intérêts des deux parties. Pour la récolte 2014, Esca s’est engagé sur un prix d’environ 450 €/t. L’agriculteur collecteur développe par ailleurs une vente en circuits courts et en petits conditionnements pour coller à la tendance locavore tout en grappillant de la marge, partagée avec les agriculteurs. « Ces derniers sont également sensibles au fait de retrouver leurs produits en magasin », constate Jérôme Gucémas.
R.L.
La Sarl Esca assure la collecte, le tri, la calibrage et le conditionnement du pois chiche, en big bag de 1100 kg ou en sachet de 500 g.
Si le pois chiche se cantonne à 5000 hectares dans ses régions d’adoption que sont Midi-Pyrénées, LanguedocRoussillon et Paca, il doit bien receler quelques inconvénients. « Le pois chiche ne passe pas dans toutes les terres, indique Anthony Cazaban. Il n’aime ni les terres acides, ni les bas fonds. La sensibilité à Aphanomyces euteiches, commune au pois protéagineux, impose des rotations de quatre ans dans le meilleur des cas voire de dix ans en cas de sols infestés. Malgré ces limites agronomiques, le pois chiche dispose d’un gros potentiel de développement. » Et pourtant, l’espèce peine à se faire une place dans les assolements. Et pourtant, depuis quelques années, Esca a trouvé avec des gros opérateurs comme Sud céréales et Arterris d’autres promoteurs de l’espèce. « Il se trouve que ces deux opérateurs sont aussi les détenteurs des deux seules variétés commercialisées en France, déclare Jérôme Gucémas. Le pois chiche souffre d’un sous-investissement technique à tous les niveaux. Plus nous serons nombreux à défendre les vertus de l’espèce, et plus nous aurons de chance de la voir se développer. »
Déficit de production Le pois chiche a incontestablement un rôle à jouer dans la quête de Anthony Cazaban, technicien : « Moyennant le choix de parcelles appropriées, le pois chiche est une culture économe et rentable et un très bon précédent pour le blé ».
R.L.
durabilité de l’agriculture, qui passe notamment par la diversification des assolements et l’allongement des rotations. Hormis les cas de déclassement, pour cause de calibre insatisfaisant ou de tache dues à la morelle par exemple, le pois chiche sert quasiment exclusivement l’alimentation humaine, apprécié par sa richesse en protéines. Il a par ailleurs une carte à jouer
en bio. La production française ne couvre pas les besoins, que s’empressent de satisfaire des pays comme l’Egypte, la Turquie ou encore le Canada. Les clients d’Esca louent la valeur gustative sans égale des pois chiches produits en France. Tous les espoirs sont permis pour l’agriculteur-collecteur.. Raphaël Lecocq
ZOOM
Des conditions restrictives mais pas trop
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Le pois chiche et l’agroécologie Avec une dizaine d’autres espèces, dont le pois protéagineux, la féverole, le lupin, le soja, le sorgho, le chanvre, ou encore la luzerne et le lin, le pois chiche fait partie des cultures identifiées par l’Inra comme pouvant accompagner la transition agroécologique. Chacune de ces espèce n’atteint par les 100 000 ha quand le blé tendre, l’orge, le maïs grain, le colza et le tournesol occupent bon en mal an plus de 10 millions d’ha en France, soit environ 60 % des terres arables. Le paysage actuel est le fruit d’un processus de spécialisation des exploitations et des territoires, amorcé après la seconde guerre mondiale. La tendance sera difficile à inverser car de nombreux freins s’opposent au déploiement des cultures secondaires. En amont, les firmes semencières et agrochimiques ne sont peu tentées d’investir dans la recherche et le développement. Pour les agriculteurs, la mise en culture d’espèces secondaires peut revêtir davantage de risques, du fait de la rareté voire de l’absence d’essais et de références techniques. En aval enfin, la promotion d’espèces alternatives n’est pas forcément compatible avec les impératifs logistiques (stockage, transport) et commerciaux des organismes stockeurs. L’Inra ne sombre pas dans la fatalité et ouvre des pistes au développement des espèces secondaires, à commencer par la recherche de nouveaux débouchés, s’appuyant sur les qualités nutritionnelles, technologiques ou environnementales des matières premières générées. L’Inra plaide aussi pour un renforcement de la coordination entre les acteurs des filières amont et aval. Les efforts de recherche et de développement méritent aussi d’être mieux soutenus, aux plan européen, national et régional.
R.L.
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Enfin, l’Inra pointe une multitude de leviers relevant de l’action publique : mise en place et soutien de dispositifs de partenariat entre acteurs des filières, renforcement des dispositifs de mentions valorisantes, soutien à l’innovation technologique, génétique et phytosanitaire, mise en place d’un observatoire des cultures mineures, soutien à la diversification des cultures via les règlements de la Pac, orientation des marchés publics vers ces nouvelles productions…
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Diversification > Reportage dans les Ardennes
Fabriquer puis louer des gites, ça ne s’improvise pas La diversification, Sébastien Loriette la connaît. Il la pratique naturellement dans ses cultures. Alors quand il a fallu investir d’abord dans du photovoltaïque puis dans des gites, il a pris le temps de réfléchir ses projets. Réflexions qu’il livre à WikiAgri. « En 2008, j’ai pensé que je devais rationaliser mon exploitation. Je devais revoir mon atelier, mon local phytos, la cuve de remplissage… J’ai demandé des conseils. Derrière le hangar, j’avais toute une zone de fouillis… Et là, on m’a conseillé de bien séparer deux zones, la zone de vie, et la zone de bruit. Du coup, j’ai aménagé derrière le hangar la partie « bruit »
D’abord le photovoltaïque…
A.J.
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ur la commune de Banogne, dans les Ardennes, presque au centre d’un triangle Reims-CharlevilleLaon, Sébastien Loriette, la quarantaine vigoureuse, tient une exploitation de 160 hectares : céréales, betteraves, tournesol, colza, faverole, maïs… En fin de Champagne crayeuse, la terre offre ainsi comme une opportunité de diversifier ses assolements.
« J’ai repris l’exploitation familiale en 1996, explique-t-il. On a coupé l’exploitation en deux, que chacun reste chez soi : mon père garde sa maison et son hangar.
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On voulait ainsi éviter le conflit de générations, que lui puisse garder son habitat et que moi j’ai la possibilité de travailler. L’exploitation par elle-même n’a pas changé, elle a gardé la même taille… »
Zone de vie, zone de bruit, bien distinctes Mais la diversification dont il est question dans cet article ne concerne pas les assolements, mais l’ouverture d’un gite, ou plutôt de deux gites, Le Clos de la Forge. Sébastien Loriette dresse la genèse de leur création.
Il poursuit : « Là-dessus, on entend parler des projets photovoltaïques. A l’époque, c’était intéressant. On avait une forge, bien exposée au sud, avec 120 mètres carrés de toit. Les opérateurs me disaient que ce n’était pas rentable de mettre des panneaux photovoltaïques sur une vieille forge, il a fallu que je me batte. Pensez au contexte : en 2009, les prix céréaliers étaient au plus bas, il fallait sécuriser le revenu. Avec une idée en tête, la loi des 80/20 : aller chercher 20 % dans la diversification. Or le photovoltaïque rapporte près de 7000 € par an, de quoi payer le toit pour commencer. » Une fois ce toit réalisé, Sébastien Loriette et son épouse Sophie se posent la question : que mettre dessous ? Comment réhabiliter la vieille forge ? « C’est là que nous nous sommes rendus compte que notre choix initial de bien séparer les zones de bruit et de vie était
« L’ouverture aux autres est primordiale » Zone de vie : au premier plan la forge entièrement refaite, avec des panneaux photovoltaïques sur le toit, les gites et la piscine en dessous.
judicieux. Car il était possible de confectionner des gites dans la forge, dans le prolongement de notre maison, et suffisamment éloignée de la « zone de bruit » pour être accueillante. »
… Puis les gites Les travaux ont donc été réalisés, et deux gites spacieux et parfaitement équipés ont vu le jour… Et même une piscine couverte, d’un agrément évident. « D’abord, il y a une phase où on va chercher des subventions. Il faut frapper à toutes les portes : région, département, Europe…
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A.J.
A l’arrivée, j’ai eu 30 % de mes coûts de construction des gites subventionnés. Evidemment, ça aide, cet accompagnement participe à la prise de décision. En échange, il faut se plier aux règles, il existe des normes à respecter, un cahier des charges. On n’improvise pas l’accueil. » Juillet 2011, les gites sont prêts. Et bien que le secteur ne soit en soi pas si touristique que cela, ils ne désemplissent. « A ceux qui se demandent pourquoi nous avons des clients dans notre campagne, je réponds : « c’est parce qu’il n’y a rien qu’ils viennent ici ».
Comment faire un gite ? Quelques conseils prodigués par Sébastien Loriette : « Des gites, ce n’est pas de l’hôtellerie, mais presque. C’est fini le temps où on héritait la maisonA.J. des parents que l’on transformait en gites. Maintenant, il faut répondre à un certain nombre d’exigences, de normes, à une qualité de confort réclamée par le client et formalisée par des textes qu’il faut suivre. On ne peut plus faire de gites, « comme ça », en petit complément, il faut investir, et s’y investir. Et surtout, quand on arrive à l’accueil, il faut discuter. L’ouverture aux autres est primordiale. En plus, il s’agit d’une possibilité pour expliquer notre profession, entendre les a priori pour mieux rétablir certaines vérités, tout en argumentant en montrant sur le terrain pour ceux qui le souhaitent. »
Nous sommes à deux heures de Paris, comme de Bruxelles. Et nous avons une clientèle qui ne rêve que de quitter la ville une semaine de temps à autre, ou un week-end. Et puis, même en
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Diversification > Reportage dans les Ardennes viennent. J’ai installé une ruche aussi, et je dois en mettre quatre autres. Il y a un âne dans un enclos qui se laisse facilement caresser… Il faut cette approche d’abord, ce qui n’empêche pas ensuite d’aller plus loin ensuite. On a même eu un visiteur qui nous a accompagné dans les moissons jusqu’à deux heures du matin, il était impressionné. »
Zone de bruit : Sébastien Loriette peut sortir son tracteur suffisamment loin de sa maison et des gites pour ne gêner personne.
Dynamisation de la ruralité A.J.
termes touristiques, nous sommes à une demi-heure du vignoble champenois d’un côté, ou du Chemin des Dames – pour le tourisme de guerre – d’un autre. » Mais les gites tout neufs, la campagne, ne suffisent pas. Il faut aussi se faire connaître. Se référencer. Sur internet bien sûr « qui a un impact ». Mais également dans les réseaux. « Nous sommes sur Clé-Vacances, avec quatre clés. » C’est-à-dire à un excellent niveau de confort
A.J.
Sophie Loriette, devant la piscine réalisée pour le bonheur des locataires des gites.
pour le locataire. A ce réseau « vacanciers » s’ajoute l’agricole : depuis un an les gites sont inscrits à « Bienvenue à la ferme ».
Expliquer le métier Au passage, Sébastien Loriette, qui est également président de la Chambre d’agriculture des Ardennes, n’oublie pas son engagement et se propose de faire découvrir l’agriculture aux locataires des gites, qui souvent ne connaissent pas l’univers céréalier. « Les gens viennent à la campagne avec de fausses idées, il faut leur expliquer. Je les emmène très vite au produit fini : pain, croissant, huile, sucre. Je leur explique simplement les choses. L’image du céréalier auprès du grand public n’a rien à voir avec la réalité, il faut prendre le temps d’expliquer. Et aussi faire l’effort d’aller soimême à la rencontre de nos visiteurs, de les écouter. J’ai un pommier qui donne bien, je fais désormais du jus de pomme, sans étiquette ni prétention, juste pour accueillir les gens qui
Avec les gites et l’accueil, Sébastien et Sophie Loriette (elle travaillait à l’extérieur pour un magasin de décorations, puis a créé son emploi dans la gestion des gites et l’accueil) participent également à la dynamisation de la ruralité : « Entre les petitsdéjeuners et le pain, nous devons être les premiers clients du boulanger du village. Il vient nous livrer tous les jours. On a aussi quelqu’un pour assurer le ménage des chambres, faire le repassage. Pas un temps complet, mais pour la personne c’est un bon complément de revenu. Et il faut ce suivi. Derrière, nous obtenons un taux de remplissage de l’ordre de 50 % alors que la moyenne du département des Ardennes est de 16 semaines sur 52. » A l’arrivée, le chiffre d’affaires annuel des gites « représente près de 20 000 €. Si on ajoute les 7 000 € du photovoltaïque, c’est loin d’être négligeable comme diversification… » Outre l’emploi de l’épouse, les gites représentent donc une assurance de premier plan dans le cas d’une « année sans » en termes de revenus céréaliers. Antoine Jeandey
Les autres diversifications agricoles du village Ancien maire de son village, Sébastien Loriette cite les exemples de diversification de ses voisins. « Sur 160 habitants, nous sommes encore 12 agriculteurs, dont 3 élevages. L’un de mes voisins le plus proche s’est spécialisé dans le sarrasin, et pousse sa diversification jusqu’au moulin et à faire sa farine lui-même. Il fournit des boulangeries. Un autre agriculteur du village cultive de l’avoine et livre les hippodromes parisiens pour nourrir les chevaux. Je pense qu’il n’y a pas de mauvaise diversification, mais qu’il faut aller au bout de la logique. Cultiver du sarrasin sans faire de farine, c’était insuffisant. Pareil pour l’avoine, ensuite il faut aller jusqu’aux hippodromes. »
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Diversification > Agriculteur et distributeur de matériel
Le matériel, une courroie de transmission u
Exploitant 270 hectares Brabant-le-Roi (Meuse), Alain Horiot est devenu concessionnaire McCormick par l’entremise lointaine d’une de ses filles. Ce qui lui a permis d’employer les deux autres, ouvrant la voie à la transmission… de l’exploitation.
Avec une exploitation de 270 hectares, l’agriculteur concessionnaire dispose d’un immense terrain d’essai pour qui veut jauger les performances des tracteurs McCormick.
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R.L.
A
18 ans, Bepa en poche, Alain Horiot aurait voulu être chef d’atelier ou tenir un magasin d’électronique grand public. A-t-il attendu le développement de l’électronique sur les machines agricoles pour allier ses deux centres d’intérêt ? Ce n’est pas tout à fait ainsi que l’histoire s’est écrite. La réalité relève d’un tout autre concours de circonstance, sinon de descendance.
En 2004, une des trois filles de l’agriculteur meusien épouse un horticulteur réunionnais, lequel pousse son beau-père à vendre du matériel vers l’île, qui souffre d’un déficit d’offre, doublé d’un défaut de compétitivité. L’agriculteur s’exécute et expédie un container par mois, depuis la Meuse sinon depuis Le Havre ou Anvers, avant de se structurer (TMA Horiot), d’ouvrir son atelier (Saint-Louis)
et d’embaucher le personnel technique, commercial et administratif requis. Côté tracteurs, Alain Horiot commence à vendre quelques McCormick, une marque non représentée sur l’île.
De nouvelles habitudes culturales Dans la Meuse, c’est sous la demande pressante de voisins agriculteurs qu’Alain Horiot s’est lancé dans la vente de matériels. « Pöttinger est l’une des premières marques à m’avoir fait confiance, se rappelle l’agriculteur. Je ne peux pas en dire autant de bien d’autres. Puis j’ai pris la carte Kioti, mais limitée en puissance. A l’automne 2012, McCormick m’a demandé si je souhaitais distribuer leurs tracteurs sur le sud meusien et deux cantons de la Marne. J’ai foncé. » Là aussi, la Sarl Horiot s’est structurée, l’aménagement des bâtiments étant en cours de réalisation au sein de l’exploitation. En ce qui concerne le personnel, Alain Horiot a intégré ses deux autres filles, dont une à mi-temps sur l’exploitation agricole. « Ce n’était pas du tout leur destinée et je ne les en rien obligées à intégrer l’entreprise », prend soin de préciser l’agriculteur concessionnaire, comme pour marquer la différence avec sa propre expérience, fils unique d’agriculteur qu’il était… « Ce que je constate, c’est qu’elles se plaisent énormément dans cet univers. C’est formidable que d’allier la famille et la passion. » Au passage, la question de la transmission de l’exploitation, même si elle n’est pas encore expressément posée, pourrait de fait être solutionnée.
De nouvelles habitudes culturales Le tableau est-il aussi idyllique sur toute la ligne ? Les relations avec les voisins agriculteurs, devenus clients pour certains, n’en sont-elles pas changées ? Est-ce possible de mener de front deux activités professionnelles différentes même si l’agriculture est leur dénominateur commun ? « C’est tout à fait possible et avec la même exigence dans les deux cas, répond sans ambages Alain Horiot. Sur mon exploitation, j’ai simplifié mes itinéraires de préparation de sol, pas pour me simplifier le travail mais pour explorer d’autres pistes techniques. Certains en ont conclu que je délaissais mon exploitation pour mon activité de distributeur de matériel. C’est anecdotique. Une chose est sûre : les marges dans la vente de matériel sont extrêmement ténues et on n’est pas maître du client. Si je devais un jour choisir entre l’exploitation et la concession, il ne fait pas l’ombre d’un doute que je conserverais l’exploitation. » Raphaël Lecocq
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Diversification > Agriculteurs et web business
Agriaffaires, affaire d’agriculteurs La plus belle start-up conjuguant internet et agriculture est l’affaire de trois agriculteurs. Qui délèguent la gestion de leur propre exploitation.
T
rois agriculteurs : Marc Bergounian et Christophe Demars dans le Loiret, Julien Regouby dans la Marne. Deux sites internet : www.agriaffaires.com dédié au matériel agricole et www. machineryzone.fr dédié aux matériels de travaux publics. 7,8 millions de visites mensuelles à tous les deux ! Une activité commerciale dans toute l’Europe, Russie comprise, et en Amérique centrale pour le premier site, mondiale pour le second. Deux sociétés informatiques : MB Diffusion consacrée au management des deux sites d’annonces, MB Line dédiée à la conception et à la réalisation de solutions web. Une centaine de salariés basés à Evry (Essonne). Telle est l’annonce que vous ne verrez pas sur le premier site d’annonces de matériel agricole. Pour la bonne raison qu’Agriaffaires n’est pas à vendre.
Deux business Pourtant, en 2004, soit quatre ans après la création du site, les agriculteurs ont failli lâché l’affaire. « Entre 2000 et 2004, la ferme nous a permis de vivre et de supporter le développement du site, se rappelle Christophe Demars, directeur général. Puis l’activité a décollé avec le lancement d’une nouvelle version du site, une optimisation du référencement sur les moteurs de recherche et un changement du modèle économique. » En gros, faire ses preuves en gratuit avant de passer au payant, une formule rééditée au fil du développement de l’activité à l’étranger, en agriculture comme en travaux publics. Deux business qui, au passage, permettent de déjouer
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Christophe Demars, Marc Bergounian et Julien Regouby, les trois associés d’Agriaffaires.
en partie les cycles économiques. Concessionnaires, agriculteurs, constructeurs : les visiteurs du site se confondent avec leurs clients.
Une seule casquette En quelques années, le site a révolutionné la vente de matériel d’occasion et bousculé la presse en siphonnant les petites annonces. Agriaffaires pourrait-il subir un sort analogue sous l’effet d’un Bon coin par exemple ? « Si nous existons, c’est parce que nous avons répondu au besoin d’utilisateurs et de clients qui ne trouvaient plus leur compte avec l’ancien système. Cette loi dicte notre quotidien. Impossible de savoir ce que nous serons dans dix ans. » Agriculteurs ? Pourquoi pas. Parce qu’il leur était impossible de mener de front deux activité, sans risquer des les inhiber l’une et l’autre, les associés ont fait le choix de déléguer la gestion de leur exploitation à des collègues entrepreneurs. Vous avez dit diversification ? Raphaël Lecocq
MB Diffusion
Le premier site professionnel visité par les agriculteurs Selon l’enquête Visioweb réalisée par Adquation Etudes Marketing entre février et décembre 2013 auprès de 2048 agriculteurs exploitant au minimum 50 hectares de Sau, 52 % des agriculteurs consultent une à plusieurs fois par semaine Agriaffaires, ce qui en fait leur site préféré. 69 % des personnes interrogées indiquent leur attachement au site de vente et d’achat de machines agricoles. Plus de 70 % des jeunes chefs d’exploitation de moins de 35 ans ont consulté le site en décembre dernier.
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Portfolio Le temps des semis A Bazancourt, dans la Marne, sur les terres de l’Earl du Mont de Geai, l’heure est aux semis de l’orge de printemps. « Le geste auguste du semeur » décrit au XIXe siècle par Victor Hugo a bien changé, aujourd’hui la machine est là. Mais l’homme reste primordial, il doit la régler, vérifier qu’elle ne s’enraye pas. Le temps des semis, même au XXIe siècle, tient de la poésie… Par Jean-Marie Leclère
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PORTFOLIO > Le temps des semis
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MOTEUR
> Semoirs monograine
Tous ex æquo sur la ligne d’arrivée ? u
Ni la vitesse de semis, ni le type de semoir n’ont d’incidence sur le rendement du maïs. Telles sont les conclusions (rapides) des essais conduits par Arvalis Institut du végétal comparant semoirs rapides et conventionnels. Avec ses Maestro CC en 8 ou 12 rangs à réservoirs individuels et ses Maestro SW en 12 ou 24 rangs à trémie centralisée, Horsch cerne un large panel potentiel d’utilisateurs.
Doc Horsch
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km/h pour tous ? C’est la conclusion que l’on pourrait tirer des essais conduits par Arvalis Institut du végétal après l’introduction sur le marché de semoirs rapides que sont l’Edx d’Amazone, le Maestro de Horsch et le Tempo de Väderstad. L’Institut a conduit ses essais en Alsace en 2012 et 2013 en collaboration avec la Chambre d’agriculture du Bas-Rhin, et en Poitou-Charentes en 2013 en collaboration avec la Chambre d’agriculture des DeuxSèvres.
« L’analyse statistique des rendements ne montre pas de différences entre les vitesses testées, quelle que soit la situation », indique Damien Brun, ingénieur et spécialiste du travail du sol et du semis à Arvalis Institut du végétal. Arvalis se garde bien pour autant de délivrer un permis de semer à 15 km/h dans toutes les situations et avec tous les semoirs.
Résultats : à 7 km/h, à 11 km/h, à 15 km/h, en Alsace comme en Poitou-Charentes, en 2012 comme en 2013, avec un semoir rapide
« Sur des sols bien préparés, caractérisés par un lit de semences fin et une bonne planéité, on peut augmenter la cadence sans prendre
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EDX, Maestro ou Tempo, comme avec un Monosem NG4+ ou un Kuhn Maxima 2, aucune différence significative de rendement n’est enregistrée.
de risque mais sans obligatoirement travailler à 15 km/h », précise-t-il. 15 km/hectares, c’est grosso modo le double de la vitesse communément adoptée par les semoirs conventionnels pour assurer un placement graine par graine au millimètre près, tant en profondeur que sur le rang. 6 à 8 km/h pour semer du maïs quand les céréales et colzas flirtent avec les 20 km/h, le décalage en devenait criant. Amazone est le premier à avoir dégainé son semoir rapide
La course entre trois constructeurs Récompensé d’une médaille d’or à l’Agritechnica de 2007, l’EDX et sa distribution Xpress entrent dans leur phase commerciale en 2011, année où Horsch et Väderstad
présentent leur monograine rapide à l’Agritechnica. Construisant des semoirs monograine depuis 1985, Amazone développe avec l’Xpress une distribution centralisée qui sélectionne les graines par dépression d’air, avant leur expulsion vers les tuyaux de descente, via un système de doigts et de galets. Un double disque ouvreur précède une pointe de soc préparant la ligne de semis. Sitôt déposée, chaque graine est happée puis plaquée au sol par une roulette stop-graine. La trémie centralisée de l’EDX lui procure une autonomie renforcée, annoncée à 25 ha dans la version en 9 m. La pression s’exerçant sur les éléments semeurs, réglable jusqu’à 200 kg, est une autre source d’optimisation des temps de travaux préalables au semis. La gamme EDX se compose actuellement de cinq modèles, dont trois portés développant 6 m de largeur de semis et deux traînés en 6 ou 9 m, assortis de différents modules d’apport d’engrais. En plus des écartements classiques de 70, 80 ou 85 cm, la conception de l’EDX autorise des largeurs de semis pouvant être ramenées à 37,5 cm. Chez Horsch, le semoir monograine se décompose en deux séries distinctes. Les Maestro CC sont équipés de réservoirs individuels pour chacun de leurs 8 ou 12 rangs,. Ils sont proposés en 8 rangs avec un inter-rang de 70, 75 et 80
Le Twin Row, l’autre tendance du monograine u
Avec le semis rapide, le Twin row est une autre tendance qui se dégage en maïs, portée par plusieurs constructeurs (Great Plains, Monosem, Herriau…). Venue des Etats-Unis, la technique consiste à semer en quinconce deux rangs de maïs séparés de 20 cm et de réserver 60 cm entre chaque double rang. Objectif : modifier l’architecture du peuplement pour accroître la densité de semis et viser un rendement supérieur. D’après les essais menés par Arvalis Institut du végétal, le Twin Row n’a pas d’impact significatif sur le rendement mais l’institut n’exclut pas que des variétés puissent offrir une réponse positive. L’augmentation de la densité peut permettre de limiter la concurrence des adventices mais gêner aux entournures le passage d’une bineuse, voire le cueilleur à la récolte.
cm et en 12 rangs avec un interrang de 45 et 50 cm (trémie engrais de 2 800 l et réservoirs semences individuels de 70 l). Les Maestro SW adoptent quant à eux un système de gavage (Seed on demande) permettant d’acheminer la semence de la trémie centrale vers la minitrémie de chaque élément semeur, ce qui démultiplie l’autonomie, autre gage de productivité de chantier avec la vitesse de travail et le nombre de rangs semés. Le Maestro SW se décline en 12 et 24 rangs avec des inter-rangs de 70 ou 75 cm (trémie semences de 2000 l et trémie engrais de 7000 l). Le système de dosage développé par Horsch abandonne le disque à
Les essais d’Arvalis démontrent que la vitesse ne fait pas peur aux semoirs conventionnels, sur des lits bien préparés.
trous pour des rainures. Les forces centrifuges disparaissent au profit d’un mouvement linéaire vertical. La distribution électrique est des plus compactes et intègre, outre le système de dosage, le moteur, la transmission, les paliers et le boîtier électrique. Le contrôle du semis est assuré par un capteur logé dans le canal de distribution, capable de comptabiliser les grains mais aussi l’espacement entre deux grains, avec affichage en cabine. Chez Väderstad, la gamme Tempo se compose de deux modèles traînés en 6 ou 8 rangs (Tempo F) et de deux modèles portés (Tempo T) en 6 rangs (avec écartement entre rangs de 60 cm, 65 cm, 70 cm, 75 cm, 76.2 cm et 80 cm) et 7 rangs (écartements de 50 cm, 55 cm et 60 cm). Dans leur version Combi, les Tempo T intègrent une double trémie de 2 X 300 l dédiée à l’engrais, une capacité pouvant être portée à 1300 l. L’engrais est transporté par un flux d’air aux coutres fertiliseurs placés 5 cm à côté des éléments semeurs. Väderstad développe par ailleurs avec les Tempo R une gamme de semoirs à châssis fixe, des semoirs portés au travail livrés avec un chariot le cas échéant. Les Tempo R sont proposés en 3 m, 3,6 m, 4.5 m, 6 m et 9.3 m. L’écartement entre rangs peut varier de 45 cm à 100 cm et le nombre de rangs de 4 à 12.
Doc Kuhn
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MOTEUR
> Semoirs monograine Vitesse de semis, largeur de travail, autonomie en semence, pression de terrage tout terrain : l’EDX d’Amazone joue sur ces quatre facteurs pour forcer la productivité de chantier.
Mais pas dans toutes les conditions, prévient Damien Brun. « Les nouveaux semoirs sont caractérisés par des éléments semeurs au poids conséquent et par leur force de terrage. Cette conception permet de limiter le pianotage et de préserver la régularité de la profondeur de semis, dans une certaine mesure. Sur ce paramètre, les semoirs conventionnels peuvent décrocher plus vite. » Mais sans impact significatif sur les rendement dans le cadre de ces essais. Autre paramètre analysé par Arvalis lors des deux campagnes d’essai : la régularité sur le rang. Avec la régularité de la profondeur, elle est un facteur essentiel de la réussite des semis et au final de la détermination du rendement. Une vérité en partie remise en cause par les essais.
Doc Amazone
Le Tempo repose sur une distribution par surpression à entraînement électrique et des éléments semeurs dotés d’une capacité de terrage 325 kg permettant de s’affranchir des obstacles et des vibrations, et de garantir une profondeur de semis constante.
La régularité de semis affectée Toujours à Agritechnica, édition 2013 cette fois, Lemken a dévoilé un projet de semoir monograine capable de semer à 15 km/ha. A noter enfin qu’aux Etats-Unis, John Deere vient de présenter avec l’ExactEmerge un semoir capable de semer à 16 km/h, caractérisé par une distribution à cône perforé sans réglage et un dispositif de transport des grains vers le sol reposant sur une courroie recouverte d’une brosse, le tout entraîné par un moteur électrique. Bref, le semoir monograine rapide essaime. Les essais d’Arvalis ont permis de valider le fait qu’il était possible d’accélérer la cadence avec les nouveaux équipements. Avec les semoirs conventionnels aussi : c’est le deuxième enseignement, beaucoup plus inattendu, de ces essais.
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« La régularité sur le rang, exprimée par le coefficient de variation, diminue au fur et à mesure que la
Azurit, le futur monograine de Lemken u
A l’Agritechnica de novembre dernier, le constructeur a présenté avec l’Azurit un prototype de semoir monograine. S’inspirant de son savoir-faire en semis de céréales, le constructeur a opté pour un système d’enterrage à double disque associé à une roue plombeuse. Le présence de deux éléments de mise en terre par rang a donné à Lemken l’idée de doter son semoir Azurit d’une répartition des graines en quinconce. Avec le système Delta Row, les graines ne sont pas déposées sur une même ligne mais sur deux lignes séparées de 12,5 cm. Le semis en double rang est réalisé grâce à un système de sélection à entraînement électrique comportant deux disques percés synchronisés, distribuant alternativement les graines dans les deux éléments de mise en terre. Autre particularité notable de l’Azurit : la possibilité de faire jouer l’écartement entre les unités de semis dans une fourchette comprise entre 37,5 cm et 75 cm. Une amplitude qui convient bien évidemment aux espèces monograine mais qui n’interdit pas d’imaginer le semis de céréales, sans parler du colza. En ce qui concerne la productivité de chantier, l’alimentation des unités de sélection à partir d’une trémie centrale ainsi que la possibilité de travailler jusqu’à 15 km/h laissent entrevoir le potentiel de l’Azurit. L’apport d’engrais localisé n’est évidemment pas oublié. Il est réalisé au beau milieu du double rang et à 5 cm sous le positionnement des graines, à partir de la trémie d’un Compact Solitaire sinon d’une trémie séparée.
vitesse de semis augmente, relève Damien Brun. Ce n’est pas tant la distribution qui est en cause que le cheminement de la graine une fois éjectée, parasité par le transport, gravitaire ou pneumatique, la hauteur ou la longueur du tube de descente, les éventuels rebonds ou encore la présence ou non d’une roue bloquant la graine dans le sillon. La régularité sur le rang est un facteur visuel auquel tout maïsiculteur prête une attention majeure. Mais dans nos essais, aucun impact n’est enregistré sur le rendement, ce qui signifie que le maïs compense des écarts, pour peu que la densité de levée soit respectée. »
Les éléments semeurs du Tempo sont dotés d’une capacité importante de terrage 325 kg pour s’affranchir des obstacles et vibrations et garantir une profondeur de semis constante.
En résumé, le maïs semble s’accommoder de vitesses de semis plus élevées et plus irrégulières du point de vue de la profondeur et de l’espacement sur le rang, et plus sûrement avec un semoir rapide qu’avec un appareil conventionnel. Une question demeure : à rendements non significativement différents, comment valoriser le gain de productivité permis par des semoirs deux fois plus rapides mais significativement plus chers que des semoirs conventionnels ? Raphaël Lecocq
Väderstad
L’Aerosem, un semoir polyvalent pour céréales et maïs u
Toujours à Agritechnica, Pöttinger a présenté avec l’Aerosem série 1002 un semoir pneumatique capable de semer, classiquement, des céréales mais également des espèces monograine telles que le maïs ou le tournesol. Cette polyvalence est permise par le système PCS (Precision Combi Seeding) qui peut compter jusqu’à 10 distributions monograine en version 4 m, pour des inter-rangs de 37,5 cm et 75 cm. La tête de distribution IDS se charge quant à elle du semis des céréales. Elle peut également servir la sélection et la distribution d’engrais associées au semis des espèces monograine, moyennant la double compartimentation de la trémie (400 litres pour les semences monograine, 850 litres pour l’engrais sinon la semence d’une culture associée). L’entraînement de la distribution monograine est totalement indépendante de la distribution standard. La sélection graine par graine se fait mécaniquement. Les graines sont ensuite transportées sous pression au double disque semeur DualDisc. Les Aerosem série 1002 sont proposés en largeur de travail de 3 et 4 m. La trémie a une capacité de 1250 litres avec une ouverture est de 2,2 m de large. L’entraînement hydraulique de la turbine génère une consommation de 25 l/mn pour un régime de 4.000 tr/min. La distribution, à entraînement mécanique ou électrique, autorise des densités de semis comprises entre 1,5 et 340 kg/ha et une vitesse de travail pouvant atteindre 12 km/h. L’Aerosem peut recevoir des socs traînants disposés sur 3 rangées, des socs mono-disques disposés sur 2 rangées ou encore des socs double-disques Dual Disc également disposés sur 2 rangées. Le terminal Power Control sinon la console Isobus du tracteur assurent le pilotage de l’ensemble des fonctions du semoir.
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Pédagogie des marchés
Ukraine : un colosse aux pieds d’argile
Sébastien Techer
Conseiller en investissements financiers chez Agritel
L’Ukraine attire depuis plusieurs années l’intérêt des investisseurs étrangers pour son potentiel agricole. En effet, ses 41,3 millions d’hectares de surfaces agricoles utiles et ses tchernozioms, réputés pour être les meilleures terres du monde, pourraient faire de ce pays l’un des plus grands exportateurs mondiaux de céréales. Cependant, l’équilibre économique, politique et social plus que précaire en Ukraine est le principal frein à l’expression de ce potentiel de production. Alors que les scènes de guérilla sur la place Maïdan ont fait la Une de tous les journaux, quelles seront les conséquences de l’actuel soulèvement populaire sur les potentiels de production de céréales ?
Figure n°1 : Production et exportations cumulées de blé-maïs-orge (en milliers de tonnes)
(Source : USDA, Agritel)
L’Ukraine, une puissance agricole montante Ex-pays de l’Union Soviétique, l’héritage communiste est encore lourd dans le paysage agricole ukrainien comme l’illustrent les 5 millions de fermes qui font vivre 12 millions de personnes. Ces fermes, dites autosuffisantes, font en moyenne 3,6 ha et servent exclusivement à alimenter leurs propriétaires.
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Cependant, le potentiel de l’Ukraine, jadis appelé le grenier à blé de l’URSS, a attiré de nombreux investisseurs ces dernières années. Avec une force de frappe sans commune mesure aux agriculteurs ukrainiens, ces investisseurs ont défriché les terres laissées à l’abandon après la chute de l’URSS et ont modernisé les outils de production. A l’heure actuelle, ces exploitations, dites professionnelles, sont au nombre de 50 000 mais
Fermiers dans la région de Dniepropetrovsk.
occupent environ 60 % de la surface agricole ukrainienne. Certaines de ces mégastructures ou agroholdings font plus de 500 000 hectares et ont leurs propres terminaux portuaires. Les agroholdings connaissent un développement rapide et sont les responsables de la forte croissance de la productivité de la production de céréales. Le graphique, cidessous, montre l’explosion de la production de céréales du pays.
Figure n°2 : Evolution de la parité UAH/USD
Un pays politiquement instable Le potentiel de production de céréales, et plus largement le développement de l’économie, sont entravés par la lourdeur de l’administration, d’autant plus que cette dernière est corrompue jusqu’au plus haut niveau. L’incroyable enrichissement du Président fraîchement destitué en est la parfaite illustration. La population, l’une des plus pauvres d’Europe en termes de PIB par habitant, aspire à plus de transparence et de démocratie. Ainsi, le récent refus du gouvernement ukrainien, représenté par le Président Viktor Ianoukovitch, de signer l’accord d’association avec l’Union européenne a débouché sur une vague de contestation du peuple ukrainien. Cette dernière s’est d’abord concrétisée par l’occupation de la Maïdan à Kiev.
Source : www.tradingeconomics.com
L’Ukraine au bord de la faillite
Les conséquences pour le marché des céréales
Avant les manifestations, l’Ukraine venait d’obtenir une aide financière de 15 milliards de dollars de la Russie pour réussir à boucler le budget. Toutefois, avec les récents mouvements pro-européens, la Russie a annoncé que ce prêt de 15 milliards, négocié par l’ancien Président, ne tenait plus. L’Ukraine a donc un besoin de financement estimé à environ 35 milliards de dollars pour les années 2014 et 2015.
A court terme, la constitution d’un gouvernement par intérim et les aides d’urgences libérées par le FMI, les Etats-Unis et l’Union européenne devraient limiter l’impact sur le marché des céréales dans un contexte où la prime de risque géopolitique s’est réduite.
Au fur et à mesure des semaines, ce mouvement de contestation a pris de l’ampleur jusqu’à virer en scènes de guerre civile avec plusieurs dizaines de morts à déplorer. Ce basculement de situation aura eu raison du Président Ianoukovitch qui a pris la fuite.
Avec le retour du « risque pays » en Ukraine, nombreux sont les investisseurs qui choisissent de réduire leur exposition à ce pays. Le fort retrait de liquidités pèse de manière importante sur la grivna qui s’achète à plus de 10 UAH contre 1 USD contre seulement 8 UAH/USD en début d’année.
L’instabilité politique et la précarité des finances publiques ne seront pas sans conséquence sur la production de céréales du pays.
En outre, les banques sont également devenues réticentes à prêter et ce, même avec des taux exorbitants aux environs de 30 %.
Place Maïdan à Kiev
Néanmoins, à plus long terme, le risque que représente l’Ukraine amène les opérateurs à la plus grande vigilance. Certains vendeurs d’intrants ont d’ailleurs déjà manifesté leur frilosité à l’égard de ce pays, d’autant plus que certaines créances de la campagne 2013/2014 auprès des distributeurs ne sont toujours pas couvertes. La forte dévaluation de la grivna (monnaie locale) intervient dans un contexte où cela va faire monter les coûts de tous les intrants importés. Les agriculteurs seront donc réticents à investir sur leurs cultures, d’autant plus avec l’assèchement du crédit. Dans un tel contexte, la production de céréales en Ukraine reste un élément d’inquiétude majeur pour la campagne 2013/2014. Certains analystes ont d’ores et déjà révisé en baisse leurs estimations de production de grains en Ukraine pour 2014 par rapport à leurs dernières estimations. L’évolution de la situation politique et économique du pays devrait faire l’objet d’une attention particulière car cette dernière sera déterminante. Réalisé par Agritel www.agritel.com
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Stratégie et Benchmark
Pac 2015, diversification des assolements : plus d’agronomie et moins d’économie ? La réforme de la Politique agricole commune impose aux producteurs en grandes cultures une plus grande diversité des assolements pour bénéficier dans le futur DPB (droit à paiement de base) du nouveau paiement vert. Les exploitations, dont la surface arable est supérieure à 30 hectares, devront pratiquer une rotation d’au moins trois cultures, la culture majoritaire devant être inférieure à 75 % de la sole et les deux cultures principales inférieure à 95 %. Par Jacques Mathé,
Economiste au réseau CerFrance, Professeur-associé à la faculté de sciences économiques de l’Université de Poitiers
Ce nouveau règlement peut-il impacter la performance économique en grandes cultures, en limitant l’optimisation du produit des cultures les plus rentables ? Oui certainement dans certaines exploitations du sudouest où la sole maïs est très largement majoritaire ou pour certains scopeurs qui avaient optimisé au maximum leur sole autour de deux cultures principales (blé/colza par exemple). La question pourra se poser de maintenir une sole mono culture et de renoncer au paiement vert (si le règlement y autorise, rien n’est tranché à l’heure actuelle). Cependant, dans la majorité des cas, cette règle ne devrait pas trop poser de problème d’application dans la mesure où la diversité des assolements est aujourd’hui une des voies au maintien du potentiel agronomique des sols. Il est vrai que la réforme de 1992 avait eu parfois des effets extrêmement dommageables sur les itinéraires techniques et sur les choix d’assolement. La prime à l’hectare n’a pas encouragé les meilleurs choix agronomiques et les choix avaient été plutôt guidés par l’optimum de la marge à l’hectare ou à la culture.
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Plus de cultures, les intérêts… La question centrale en grandes cultures est moins l’optimum du produit que l’optimum de la marge nette. Celle-ci est dépendante du rendement et du prix obtenu et des intrants dépensés. Sur ces trois paramètres, les arbitrages des producteurs sont déjà considérables, le rendement étant lié au potentiel agronomique et à la maîtrise de l’itinéraire technique. Tout le savoir-faire et la compétence du producteur s’y retrouve et les marges de manœuvre dans ce domaine sont encore considérables. Plus de cultures, c’est plus d’apprentissage sur de nouvelles compétences, des conduites de cultures différentes. Ajoutons les facteurs climatiques beaucoup moins maîtrisables mais dont les conséquences peuvent être accentuées par des choix techniques plus ou bien raisonnés. Face aux incertitudes météorologiques, la diversité des assolements est souvent vue comme une meilleure répartition du risque culture. La volatilité des prix observés depuis quelques années encourage aussi vers une diversité des assolements pour mieux gérer cette volatilité entre les cultures.
Des cultures différentes, c’est déjà en application. A.J.
… Plus de cultures, le bémol Un bémol cependant pour certaines cultures où les débouchés sont très incertains. Dans ce cas les possibilités de diversification des assolements peuvent être limitées. Difficile de se lancer dans certaines productions sans contrats ou garantie de collecte donc de débouchés (luzerne déshydratée, lupin…). Enfin la rotation des cultures peut avoir un effet positif dans la mise en œuvre du plan ecophyto et la diminution de la protection des cultures. Au total, les conséquences économiques de trois cultures au minimum dans la sole culture sont très
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limitées, au regard des autres facteurs de performance. On sait aussi que les marges de manœuvre sont grandes dans l’optimisation des coûts de mécanisation qui est le quatrième facteur de performance dans les exploitations de grandes cultures. Sur ce facteur on est encore très loin d’avoir saturé les moyens de production. N’oublions pas non plus que la variabilité prix pour une culture (ramenée à l’hectare) est souvent supérieure à la valeur du futur DPB, les arbitrages commerciaux impactent aussi la performance globale des exploitations céréalières. Réalisé par CERFRANCE www.cerfrance.fr
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REFLEXIONS
L’insécurité alimentaire, graine de violence sociale Et si les plus grands troubles récents constatés dans le monde étaient dus principalement au prix des denrées alimentaires ?
Ces dernières années, on a assisté un peu partout dans le monde à une multiplication des émeutes et des mouvements de protestation. Ce fut le cas en premier lieu en 2011 avec le fameux « printemps arabe », mais aussi dans l’Europe méridionale en crise et dans d’autres pays avec les divers mouvements d’« Indignés ». D’autres territoires ou pays ont été également touchés plus récemment par ce phénomène : le Québec en 2012, avec le « printemps érable », le Brésil, la Turquie, la Bulgarie ou la Thaïlande en 2013 ou l’Ukraine, la Bosnie ou le Venezuela ces dernières semaines. Différents facteurs ont été avancés pour expliquer ces événements, mais l’une des explications les plus originales, et sans doute les plus intéressantes, tend à mettre l’accent sur le rôle joué par le prix élevé des produits alimentaires, mesuré par un indice FAO. Des chercheurs d’un centre de recherche américain, le New England Complex Systems Institute, ont en effet étudié les événements qui se sont produits en 2011 dans la zone Afrique du NordMoyen-Orient. Ils en ont conclu que les prix alimentaires élevés ont constitué les conditions qui ont favorisé les émeutes. Ils estiment que les populations se sont révoltées à partir du moment où elles se seraient rendu compte que les gouvernements étaient dans l’incapacité d’assurer la sécurité, en l’occurrence alimentaire, dans des pays largement dépendants des importations de nourriture. Or, cette perception de l’incapacité du système politique à garantir la sécurité alimentaire aurait remis en cause la légitimité même de celui-ci aux yeux d’une partie de la population.
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Même la Bastille a été prise en espérant trouver du blé… Ces chercheurs sont même allés jusqu’à identifier un seuil de niveau de prix des denrées alimentaires à partir duquel la probabilité que des émeutes se produisent apparaît particulièrement forte : ce seuil correspondrait, selon eux, à l’indice 210 des prix FAO. On peut d’ailleurs remarquer que ce seuil a été franchi pour la première fois en novembre 2010, soit à peine un mois avant le démarrage des événements dans le monde arabe, et qu’à quelques exceptions près, l’indice des prix FAO est resté au-dessus de ce seuil jusqu’en juin 2013. Cette théorie est-elle totalement fantaisiste ? Pas tant que ça. En effet, si l’on regarde quelques événements historiques majeurs comme la Révolution française ou les révolutions européennes de 1848, on s’aperçoit que le prix élevé des céréales et des produits alimentaires a joué à
chaque fois un rôle déterminant. Les historiens ont ainsi établi un lien de causalité entre la crise alimentaire que connaît la France en 1788 et 1789 et le déclenchement de la Révolution française. De mauvaises conditions climatiques en 17871788 ont contribué à de mauvaises récoltes, qui ont provoqué une hausse spectaculaire du prix du pain et ont donc été à l’origine des révoltes populaires qui se sont produites de l’été 1788 à l’été 1789. N’oublions pas à ce propos que les Parisiens ont voulu prendre la Bastille le 14 juillet 1789 notamment parce qu’ils pensaient que des stocks de blé y étaient entreposés. Le fameux « printemps des peuples » de 1848 en Europe a été aussi en grande partie la conséquence de mauvaises récoltes à partir de 1846 dans de nombreux pays européens, en raison d’une sécheresse qui sévissait alors et de la maladie de la pomme de terre, maladie en provenance d’Amérique apparue en 1845 et qui a causé une famine en Irlande de 1845 à 1849. Eddy Fougier
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