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Edito La meilleure synthèse entre rendements et conservation des sols
L
a conservation des sols n’est pas un thème nouveau. Mais renouvelé, et à renouveler. Même si les rendements sont bons en conventionnel, on sait que la terre risque l’épuisement… Pour autant, force est de constater que, si le mouvement existe et avec de chauds partisans, il n’est pas encore suffisamment prégnant dans le monde agricole français. Moins de 1% des surfaces cultivées le sont en semis direct. Cette technique est pourtant la plus aboutie aujourd’hui en matière de conservation des sols… Ce numéro de WikiAgri a cherché à comprendre le pourquoi du comment des freins qui subsistent pour franchir le pas. En prenant les thèmes un par un, en commençant par les rendements, qui sont pour l’instant (globalement, on trouve bien sûr des contre-exemples) encore un tout petit peu inférieurs en techniques simplifiées qu’en traditionnel. Mais cela ne devrait pas poser de problème au niveau individuel, pour chaque agriculteur, puisque parallèlement les charges baissent conséquemment. Notre grand témoin, Frédéric Thomas, est l’un des pionniers des TCS, techniques culturales simplifiées. Il répond sans détour aux questions, y compris parfois a priori gênantes pour lui, comme l’utilisation du glyphosate. Nos reportages dépeignent d’autres pionniers, en Bretagne, aux sources même du mouvement, il y a quelques années. Egalement en Seine-et-Marne, avec Dominique Guyot, qui démontre chiffres à l’appui comment il est venu aux TCS non pas par souci environnemental, mais parce qu’économiquement il a trouvé cela plus rentable. L’agriculture traditionnelle a encore de beaux jours devant elle. Pour autant, la conservation des sols est loin constituer un sujet négligeable. Ce numéro de WikiAgri donne des pistes pour mieux se projeter dans l’avenir.
La rédaction
A.J.
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WIKIAGRI Le savoir partagé
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Sommaire WikiAgri n°13 / OCTOBRE 2014
Directeur de publication Yannick Pages Rédacteur en chef Antoine Jeandey Rédaction Eddy Fougier Raphaël Lecocq Opaline Lysiak redaction@wikiagri.fr Ont participé à ce numéro AGRITEL CERFRANCE Dessinateur Michel Cambon Photographe Jean-Marie Leclère
u
Edito P.3
THÉMA l
Le dessous des graphes
P.6 et 7 - Graphiques et infographies
l
Cambon lui semble
P.8 - Le dessin de Michel Cambon
l
Le Grand témoin
Publicité Tél. 06 89 90 72 75 | pub@wikiagri.fr
P.9 à 13 - L’interview de Frédéric Thomas, agriculteur et rédacteur en chef du magazine TCS
Responsable commerciale Anne Messines Tél. 06 08 84 48 02 Mail : anne.messines@wikiagri.fr
l
Théma : La conservation des sols
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Pédagogie des marchés
Consultant Média Bernard Le Blond - Vision bleue Tél. 06 83 92 08 61 Conception graphique et maquette Notre Studio www.notrestudio.fr Conseil éditorial Sylvie Grasser - Hiceo Tél. 06 32 75 11 94 www.hiceo.fr ISSN ISSN 2258-0964 Dépôt légal A parution Service abonnements 4, impasse du Faubourg 38690 Le Grand Lemps Tél : 04 76 31 06 19 E-mail : contact@wikiagri.fr Abonnement annuel 34,90€ TTC (4 numéros) Prix au numéro : 10€ Site internet www.wikiagri.fr
P.16 - La conservation des sols P.22 - En Seine-et-Marne, « économiquement je suis gagnant » P.24 à 29 - En Bretagne, « le plus gros décompactage c’est dans la tête », avec les portraits de Martial Morio (page 25), Bertrand Paumier (page 26), et Dominique Luherne (page 28) P.30 à 33 - Brèves des champs, stockage de carbone et travail du sol, désherbage d’automne, infiltration de l’eau, réparer le filtre du territoire… P.34 - Moteur, semis direct et sous couvert, la transition est aussi mécanique P.36 - Moteur, pneus, la piste des pistes
P.38 - Par Agritel, la baisse des cours est-elle une fatalité u
stratégie et benchmark
P.40 - Par CerFrance – Panorama comparatif de l’installation en Europe u
reflexions
P.42 - Sombres perspectives pour l’emploi agricole à l’horizon 2022
Impression SAS Imprimerie Leonce Deprez Zone industrielle de Ruitz 62620 Ruitz Tirage 48 000 exemplaires (dont 45 500 expédiés) Le magazine WIKIAGRI ® est edité par la société : DATA PRO SOLUTIONS BP 70132 38503 VOIRON CEDEX
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Ce numéro comporte un encart AMAZONE ZA TS, un encart AMAZONE Semis et un encart sélectif YARA.
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COMPRENDRE
Le dessous des graphes 1. Quelques chiffres clés
Moins de 1% des surfaces cultivées sont exploitées en semis direct.
4,6 millions
d’hectares sont conduits en techniques culturales simplifiées, soit un tiers des surfaces cultivées.
Source : document de l’Ademe paru en juin 2014 sur le carbone des sols
Couvert végétal permanent
ELEVÉ
Coût
ELEVÉ
Source : document de l’Ademe paru en juin 2014 sur le carbone des sols
Haies Bandes enherbées
MODÉRÉ
2. Estimation de l’impact des pratiques agricoles sur le stockage de carbone Agroforesterie
Productivité végétale accrue >
Mécanismes impliqués dans le stockage C
Protection physique des matières organiques accrue> Réduit les pertes par érosion et lessivage >
Entre 0,1 et 0,35
Potentiel unitaire de stockage de carbone sur 20 ans utilisé dans le cadre de l’étude INRA en tC/ha/an
Haies l Sur prairies : 0,14 sur terres cultivées : 0,25 l Bandes enherbées 0,5 plus ou moins 0,3
Entre 0,1 et 1,35 dont 2/3 dans les sols
Remarques : Une tonne de carbone stocké équivaut à environ 3,66 t de CO² captées
l
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Plante
3. Observation du développement racinaire
Sol
{
Déchaumage
{
Selon l’agriculteur Dominique Guyot (lire notre reportage page 22), les racines ne se développent pas en cas de tassement par un labour, et vont chercher la terre en dessous pour assurer leur croissance. Il estime donc qu’avec un tassement moindre la plante s’épanouit davantage dans le sol, plus vite et plus abondamment, donc en surface.
Racine
Labour
{
Epandage effluents et composts
MODÉRÉ
Techniques culturales sans labour
MODÉRÉ
Gestion des prairies
MODÉRÉ
Enherbement vigne et vergers
MODÉRÉ
ELEVÉ
Développement racinaire
Restitution des résidus de culture
Augmente le retour au sol de matières organiques
Productivité végétale accrue >
Réduit les pertes par érosion et lessivage > Minéralisation plus faible si le rapport C/N est élevé l Pour les couverts permanents en vergers : 0,5 plus ou moins 0,3 l Pour les couverts permanents en vigne ; 0,3 plus ou moins 0,2 l Pour les couverts temporaires en vigne : 0,16
l
l Augmentation de la durée des prairies temporaires (< 5 ans) : 0,15 l Intensification modérée des prairies permanentes pauvres : 0,4
La surface agricole Française représente 28,2 Mha
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Passage en semis direct: 0,15 Passage en labour quinquennal : 0,10 l Travail du sol superficiel : pas de stockage de C additionnel l l
Entre 10 et 50% du carbone apporté selon le type d’apport
0,15 pour 7 tonnes de paille
Infographies : Notre Studio
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Le dessin
Cambon lui semble
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GRAND TÉMOIN Frédéric THOMAS D.R.
« On est passé du pourquoi au comment » Repères Frédéric Thomas exploite une ferme de 120 hectares dans le Loir-et-Cher. Il est le fondateur du magazine TCS, en est aujourd’hui le copropriétaire et en assure la rédaction en chef. Il intervient également en tant que conseil auprès d’agriculteurs. Une triple casquette qui n’est pas sans rappeler le triptyque de l’agriculture de conservation : réduction du travail du sol, couverture végétale, rotations diversifiées et allongées. Frédéric Thomas est tombé dans l’agriculture grâce à l’exploitation familiale et dans le concept de la conservation des sols (www.agriculture-de-conservation.com) grâce à ses expériences de jeunesse aux Etats-Unis, en Australie et en Nouvelle-Zélande.
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L’agriculture conventionnelle, ça marche. Pourquoi changer de système ? F.T. : Ça marche mais au prix de la dégradation de nos sols et de notre environnement. Et si l’on ne change pas de modèle, c’est parce que la technologie compense, voire surcompense, les travers engendrés par certaines de nos pratiques. Sur des zones pédoclimatiques performantes, on peut pousser le bouchon assez loin car le sol et le climat pardonnent. Dans les secteurs plus limitants, les remises en question pointent plus rapidement. L’agriculture de conservation elle-t-elle synonyme de renoncement à la technologie ? F.T. : L’agriculture de conservation ne renonce en aucun cas au progrès technique. La technologie développée dans les semences, les phytos, les machines, l’agriculture de précision etc. C’est de la compétence et c’est très bien. La technologie, on peut la vendre
et l’acheter, l’adopter ou pas. L’agriculture de conservation, c’est une agriculture de connaissance et de savoir avant d’être une agriculture de technologie. Elle est basée sur l’observation, la compréhension, la réflexion, l’échange etc. En résumé, elle remet l’homme au centre. Est-elle compatible avec les cultures à haute valeur ajoutée ? F.T. : Des agriculteurs appliquent les principes de l’agriculture de conservation sur des productions telles que telles que la betterave sucrière ou la pomme de terre avec des résultats que pourraient envier certains agriculteurs conventionnels. Cela n’exclut pas des contreperformances, comme en système conventionnel. La variabilité des résultats d’une exploitation à l’autre, ou d’une année à l’autre, est propre à tous les systèmes d’exploitation.
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GRAND TÉMOIN
L’agriculture de conservation peut-elle affecter les rendements voire la puissance agricole de la France ? F.T. : Sur mon exploitation comme dans mes interventions auprès d’agriculteurs, ma ligne de conduite est la suivante : je veux avant tout de la réussite au champ et je me battrai toujours pour avoir une agriculture la plus performante possible. C’est du reste une condition indispensable pour voir se développer l’agriculture de conservation. Le respect de l’environnement et de la biodiversité n’est
« Quelqu’un qui a des problèmes en traditionnel ne va pas les résoudre en passant à l’agriculture de conservation ou à l’agriculture biologique. »
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pas une fin en soi. Ce n’est qu’une conséquence, une conséquence positive en l’occurrence. Est-elle une agriculture de décroissance sinon de sobriété ? F.T. : L’économie d’intrants n’est pas la clé d’entrée de l’agriculture de conservation. Ce n’est encore une fois, le cas échéant, qu’une conséquence. J’interviens depuis plusieurs années auprès de distributeurs dans différentes régions de France et qui manifestent la volonté de passer à un autre modèle. L’agrobusiness n’a rien à craindre de l’agriculture de conservation. Des transferts de business peuvent s’opérer. C’est le cas par exemple en colza avec les plantes compagnes qui peuvent se substituer aux herbicides. L’agriculture de conservation est génératrice de valeur ajoutée. Faisons confiance aux agriculteurs pour réinvestir à bon escient leurs suppléments de revenus.
Les marges sont-elles plus importantes en agriculture de conservation qu’en conventionnel ? F.T. : L’agriculture de conservation, c’est rentable mais ce n’est pas automatique. Quelqu’un qui a
« La transition concerne tout autant l’homme que le sol. C’est peu dire que l’agriculteur doit être convaincu des bénéfices attendus de la transition à moyen et long terme, en se fixant des objectifs tangibles. La tâche est plus ardue s’agissant du sol. » J’aurais tendance à dire que, en agriculture de conservation, les agriculteurs ont davantage l’esprit entrepreneur que la moyenne.
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des problèmes en traditionnel ne va pas les résoudre en passant à l’agriculture de conservation ou à l’agriculture biologique par exemple. Passée la phase de transition, les agriculteurs sont très à l’aise économiquement, sous
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l’effet des économies réalisées et du maintien voire de la progression des rendements. Les vers de terre, les carabes, les couverts, etc. ne monopolisent pas les discussions au sein des groupes. Les questions économiques sont omniprésentes.
N’est-il pas étonnant d’entendre des agriculteurs évoquer ouvertement leurs échecs en matière d’agriculture de conservation ? F.T. : En agriculture conventionnelle, tout ce qui peut vous arriver de négatif n’est pas de votre fait ! C’est la faute au climat, à tel parasite, à l’année, etc. Dans l’esprit d’un tel
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GRAND TÉMOIN
agriculteur, quand son collègue en agriculture de conservation échoue, c’est parce qu’il n’a pas labouré. Quand vous changez de système, alors que rien ni personne ne vous y contraint, la responsabilité du résultat vous incombe entièrement, d’où l’aveu d’échec le cas échéant. Cependant, je mets en garde les agriculteurs contre un excès d’autoflagellation ! Plus sérieusement, il faut faire passer l’idée que l’on peut avoir une prise sur les événements et que l’on peut limiter sa sensibilité aux phénomènes négatifs. Comment gérer au mieux la période à risque qu’est la transition entre les deux systèmes ? F.T. : La transition concerne tout autant l’homme que le sol. C’est peu dire que l’agriculteur doit être convaincu des bénéfices attendus de la transition à moyen et long terme, en se fixant des objectifs tangibles. La tâche est plus ardue s’agissant du sol. Dans quel état se trouve le sol ? Quelle est son exposition au salissement ? Quel
« Il ne faut pas faire rêver les gens. Dès lors que l’on pratique l’agriculture, on impacte l’environnement, d’une manière ou d’une autre. » degré de simplification peut-il supporter sans trop de risque ? En présence d’une semelle causée par la charrue ou des herses rotatives, il faudra commencer par un travail de verticalisation avant d’aller plus loin dans la simplification. En agriculture de conservation, il faut abandonner la systématisation des interventions pour éviter des erreurs en matière de réorganisation de sol. C’est l’un des gros défauts de l’agriculture conventionnelle, qui a abandonné la systématisation en matière de phytos, mais pas en matière de travail du sol. On peut raccourcir le pas de temps de la transition, avec des
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rotations adaptées, des couverts, du compost etc. La transition, ce n’est pas nécessairement un purgatoire de 15 ans avant de toucher le paradis. De toute façon, il n’y a pas de paradis en agriculture. Il n’y a pas non plus d’« abcd » de la transition vers l’agriculture de conservation. Peut-on concevoir l’agriculture de conservation sans le glyphosate ? F.T. : Le glyphosate a été et demeure un outil déterminant dans le développement de l’agriculture de conservation. Il faut lui rendre ce mérite. C’est le glyphosate qui nous a permis de nous aventurer sur des chemins un peu compliqués en nous offrant un filet de sécurité. Il ne faut pas faire rêver les gens. A un moment donné, il faut donner la priorité à la culture par rapport à l’environnement. Et il faut détruire une végétation existante soit avec un herbicide, soit avec une façon culturale. L’expérience et la pratique démontrent que les doses de glyphosate sont inversement proportionnelles à l’expertise développée. Qu’est-ce qui distingue l’agriculture de conservation (AC) de l’agriculture biologique (AB) ? F.T. : Les réseaux AC et AB font la même analyse du système conventionnel qui, depuis 30 ou 40 ans, épuise le sol et impacte fortement l’environnement. L’AB désigne les produits de synthèse comme étant le facteur le plus négatif du système tandis que l’AC pointe le travail du sol. Peu ou pas de travail du sol, avec un minimum de phyto, c’est très bien. Pas de phyto avec un minimum de travail du sol, c’est bien aussi. Je suis pour la diversité. Dans l’état de nos connaissances actuelles, on ne sais pas faire avec zéro phyto et zéro travail du sol. Personnellement, je considère le travail du sol comme un stress pour l’activité biologique du sol et c’est pour cette raison que je me suis engagé dans l’agriculture de conservation. Mais il ne faut pas faire rêver les gens. Dès lors que l’on pratique l’agriculture, on impacte l’environnement, d’une manière ou d’une autre. Faut-il investir d’emblée dans du matériel spécifique ? F.T. : On peut faire plein de choses avec du matériel conventionnel mais
pour aller plus loin, il faut se donner les moyens. Les moyens, ce n’est pas forcément ce qui manque. On peut commencer par acheter du matériel d’occasion à bon compte. Je suis toujours un peu désolé de voir les agriculteurs défiscaliser en achetant des tracteurs et rechigner
« Mon rendement en maïs est passé de 55-60 q/ha à 70-100 q/ha et il continue d’évoluer, sans être irrigué. » La formation, le conseil et l’accompagnement sont-ils à la hauteur des enjeux ? F.T. : L’accompagnement est un point crucial de la démarche. Il doit discerner les agriculteurs habitués à suivre un ordonnancement de ceux qui sont très performants dans le système traditionnel et qui doivent le rester dans le nouveau système. Il existe de nombreuses associations d’agriculteurs partageant leurs expériences. Ça bouge aussi dans les coopératives, dans les négoces et dans les Chambres d’agriculture. L’agriculture de conservation est l’occasion de sortir du champ de l’obligation réglementaire pour réinvestir le champ de l’agronomie, en rechaussant les bottes comme dans les années 60-70.
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à s’aventurer avec du matériel innovant qui aurait le même effet défiscalisant, sans prendre nécessairement beaucoup de risque. De toute façon, c’est la vocation d’un entrepreneur que de prendre certains risques pour en éviter d’autres.
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Comment se porte et se comporte votre propre exploitation ? F.T. : Je me suis installé en 1997. La transition a pris plus de temps que je ne le pensais, soit environ 6 ans. Mais je suis allé aussi plus loin que je ne le pensais. Du reste, les sols continuent de bouger, et dans le bon sens. La question de l’eau était la principale problématique : excessive en hiver et manquante en été. Il fallait que mon système pompe un maximum d’eau en été pour pouvoir absorber l’eau en hiver. Le maïs et les couverts végétaux ont répondu à cet objectif. Je suis passé d’une Rfu de 25-35 mm à une Rfu de 150-180 mm. Mes sols sont devenus moins humides en hiver et moins secs en été. Le maïs est la plante qui réagit le mieux aux sols retrouvant un caractère vivant. C’est aussi mon anti-graminées d’automne ! Mon rendement en maïs est passé de 55-60 q/ha à 70-100 q/ha et il continue d’évoluer, sans être irrigué. C’était un postulat de départ avec la réduction du travail du sol, l’implantation de couverts et l’épandage de compost car je suis sur des sables lessivés, sans fertilisation cachée. Le compost est à la fois mon chaulage et mon engrais de fond. L’assolement compte du blé,
de l’orge, du triticale, du sarrasin, du trèfle incarnat, de l’avoine brésilienne, du colza. Cette année, après un hiver pourri, j’ai récolté 70 q/ha d’orge implanté en semis direct derrière le maïs sans herbicide et sans fongicide ! Pour autant, certaines de mes parcelles ne me font pas toujours plaisir. Je suis sur un terroir très compliqué. C’est une énorme chance car j’ai beaucoup appris grâce à cela, ainsi qu’en recroisant les expériences d’autres agriculteurs. Comment a réagi votre père à votre conversion ? F.T. : Il a dit : « pourquoi pas ? ». Mon père était interpelé quand quelque chose ne marchait pas sur l’exploitation, donc il était ouvert au changement. Mais en même temps, il avait aussi tendance à oublier ce qui ne fonctionnait pas dans son système et je ressortais alors quelques photos. On a eu quelques discussions épiques. Il m’a laissé une ferme en bon état. Mon père nous a quitté en 2010. A la fin, il semait dans des couverts aussi hauts que le capot du tracteur. Il ne l’aurait pas fait s’il n’avait pas eu le sentiment de bien faire. L’agriculture de conservation est-elle condamnée à la marginalité en France ? F.T. : Il faut donner envie aux agriculteurs. Les choses bougent depuis cinq ou six ans. Le questionnement des agriculteurs a changé. On est passé du « pourquoi » au « comment ». C’est un changement notable. Cela prendra du temps mais peu importe. Malgré la relative marginalité de l’agriculture de conservation, la France est avec la Suisse un des pays leader en matière d’expérimentation et de développement. Je pense que nous avons une carte à jouer et que la France peut prendre le leadership de cette agriculture durable. Aucun territoire, aucun système est inapte à l’agriculture de conservation. Propos recueillis par Raphaël Lecocq
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publireportage
Roundup : Itinéraires de et protection des sols. Les méthodes conventionnelles de préparation des terres : Les méthodes conventionnelles utilisent le travail mécanique du sol pour à la fois nettoyer les terres des végétaux indésirables au semis (mauvaises herbes ou couverts végétaux semés en interculture), ameublir les sol, et préparer le lit de semences de la nouvelle culture. La technique particulière de déchaumage, consiste, sur les chaumes, à travailler le sol en surface pour créer un faux-semis, favorisant la levée des mauvaises herbes annuelles, qui seront ensuite susceptibles d’être détruites par un ou des passages ultérieurs d’outils superficiels ou un traitement chimique, dans l’espoir d’épuiser les stocks grainiers et diminuer la pression des adventices dans la culture suivante. Dans ces itinéraires, le choix d’un traitement efficace avec Roundup permet d’économiser du temps et du fuel, et d’améliorer le résultat technique en évitant les repousses et en diminuant les passages. Dans les conditions où il s’agit soit de labourer des terres couvertes de végétation, soit de reprendre des labours reverdis, les agriculteurs ont depuis longtemps constaté l’intérêt d’inclure Roundup en complément des itinéraires de préparation des terres : il détruit les racines des végétaux, permettant aux mottes de s’émietter beaucoup plus facilement : le travail du sol est facilité et de meilleure qualité, il y a moins de bourrage, les tassements dus au travail en conditions humides sont moindres, et les repousses de végétation indésirable sont supprimées. Ces bénéfices sont d’autant plus visibles que la végétation à détruire est importante : prairies, couverts végétaux d’interculture, longue période d’interculture où les adventices annuelles et vivaces se sont développées…
Roundup : des caractéristiques uniques : Roundup est un désherbant à base de glyphosate qui n’a jamais été remplacé depuis près de quarante ans, ceci par ses caractéristiques uniques : - Il assure une efficacité très complète et polyvalente sur la plupart des végétaux chlorophylliens. - Son absence de persistance d’action dans le sol permet de ressemer une culture tout de suite après élimination de la végétation indésirable. - Il dévitalise les racines et les organes souterrains de réserve à toute profondeur, et donc empêche les végétaux traités de repousser : c’est le seul outil capable d’éliminer les plantes vivaces définitivement ou presque, contrairement à toutes les autres solutions, chimiques, mécaniques ou manuelles, qui ne peuvent pas intervenir en profondeur. Ainsi, la maîtrise des adventices avant l’implantation d’une nouvelle culture, par l’application d’un désherbant à base de glyphosate réalisée selon les bonnes pratiques agronomiques permet d’accroître le potentiel des récoltes jusqu’à 30% pour de nombreuses productions européennes majeures, en fonction des types de mauvaises herbes et des conditions agri-pédo-climatiques (L. Bouchet – H. Cocard, 2012. Etude socio-économique de l’utilisation du glyphosate – ENVILYS). Cette capacité à détruire durablement les organes souterrains des végétaux fait de Roundup un instrument unique dans la préparation des sols avant semis, autant dans les méthodes conventionnelles avec travail mécanique que dans les méthodes de préservation ou d’amélioration des sols.
Les techniques culturales sans labour : Le cas des techniques culturales sans labour, dont les techniques culturales simplifiées, se rapproche du travail conventionnel, auquel il est d’ailleurs assimilé dans la plupart des pays agricoles hors Europe occidentale : le principe est similaire, puisqu’on compte sur la mécanique pour préparer le lit de semences. La qualité de celui-ci repose sur la capacité de détruire correctement les végétaux, adventices ou couverts semés, pour permettre aux outils superficiels de faire correctement leur travail d’affinage. C’est précisément ce que permet de faire le Roundup, et lui seul. Ne pas intégrer Roundup dans ces itinéraires peut entraîner : - La reconstitution de stocks grainiers d’adventices annuelles en quelques années : il suffit qu’une mauvaise herbe échappe au passage mécanique, pour reconstituer un stock de quelques centaines à quelques milliers de graines viables de quelques années à quelques dizaines d’années selon l’espèce. - Donc augmentation de la pression d’adventices dans la culture suivante. - Avec comme conséquence le choix entre une perte de rendement et de revenu, ou une augmentation du poste de désherbants sélectifs dans la culture.
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publireportage
e travail du sol La protection des sols : Quel qu’il soit, et quel que soient ses avantages, il est incontestable que le travail mécanique perturbe le sol. Il est donc défavorable aux organismes vivants qui l’habitent, même et surtout en surface : champignons filamenteux, microorganismes, vers de terre, microarthropodes, insectes, carabes…, tous sont perturbés, soit par destruction directe, soit par le bouleversement de leur habitat, soit par la suppression ou la raréfaction de leur nourriture. De plus l’aération artificielle par les outils accélère considérablement l’oxydation de la matière organique, principale composante de la fertilité des sols, transformant son carbone en CO2, et son azote en nitrates (NO3-), mais surtout ce phénomène de minéralisation de la matière organique a comme effet très négatif de faire baisser le stock de matière organique du sol. Les sols cultivés en systèmes conventionnels sont donc très généralement appauvris en matière organique et en vie biologique quand on les compare aux sols natifs dans le même environnement (forêts ou prairies permanentes), et continuent de les perdre. Les effets de la perte de matière organique associée aux sols nus sont maintenant bien connus : érosion, compactions, ruissellements, pollutions… Une étude de la Commission Européenne, le projet SoCo, publiée en 2009, a largement documenté tous ces aspects de la dégradation des sols. Par ailleurs, on constate aussi que les graines sont capables de germer sans que l’on ameublisse le sol : il suffit de placer une graine dans un trou pour qu’elle germe, pour peu que la profondeur et le contact avec le sol soient corrects et qu’il y ait assez d’humidité. Mais il faut pour qu’elle se développe ensuite que la végétation en place lui cède la place pour que la plantule ait accès à la lumière, et puisse profiter des nutriments. Ces principes ont présidé à la mise au point des méthodes de préservation des sols, surtout développées à grande échelle dans les pays du sud, où l’intensité de l’érosion rend ces pratiques indispensables. L’étude européenne SoCo recommande l’adoption de ces méthodes sous le nom d’Agriculture de Conservation. La FAO en définit très précisément les principes : - Perturbation minimale des sols (semis direct) - Couverture permanente des sols (pas de sol nu), - Rotations diversifiées. Le CIRAD utilise l’acronyme de SCV : semis direct sous couvert végétal. Actuellement, des millions d’hectares sont produits selon ces systèmes dans les Plaines nord-américaines, sans aucun travail du sol, avec des rendements élevés, une couverture permanente (vivante ou morte), et des cultures diversifiées, ou même associées, par exemple : colza + trèfle, tournesol + pois, maïs + pois, blé + vesce,… C’est très impressionnant de voir une luzerne durer 4 ans, dans laquelle sont semés successivement blé, tournesol, maïs, soja, triticale, colza… La luzerne reste vivante, n’handicape pas les cultures, leur fournit de l’azote, sert de dérivatif pour les limaces, diminue la pression des adventices… Mais elle est gérée de manière très fine : quand la luzerne menace de prendre le dessus et d’être une nuisance pour la culture, il faut la contrôler. Des doses adaptées et très faibles d’herbicides ad hoc sont alors appliquées. Ce système nécessite des connaissances pointues dans tous les domaines, génétique, parasitisme, nutrition… C’est pourquoi ce sont des chercheurs spécialisés des gouvernements canadiens et US qui mettent au point toutes ces techniques et recommandations pratiques sur des stations de recherche officielles. L’investissement dans la connaissance est immense, il débouche sur des avancées très significatives : des régions du Dakota du sud ont ainsi augmenté leur production agricole de 30 % en 10 ans sans défricher d’herbages (Dr Dwayne Beck, Université du Sud Dakota, USDA). Ce mouvement participe du mouvement international de l’Agriculture de Conservation, qui a également sa version sud-américaine, australienne, africaine, asiatique, et dans une moindre mesure européenne. Dans ces systèmes, la destruction des couvertures végétales avant semis et la gestion des adventices aussi bien annuelles que vivaces est possible sans aucune perturbation mécanique du sol grâce - aux rotations diversifiées, - à l’absence de lit de semences qui favoriserait les adventices annuelles, - à leur l’étouffement permanent par les couverts et les cultures, - complétés par l’utilisation adaptée d’herbicides, sélectifs ou non. Le Roundup, seul outil permettant de dévitaliser les végétaux sans perturber le sol, est un allié idéal de ces méthodes. On constate après quelques années d’application continue et soignée de ces principes, que les parcelles sont de plus en plus exemptes de végétation indésirable, parce qu’on ne lui laisse pas la place de se développer et de se reproduire. Et que l’utilisation d’herbicides diminue corrélativement. ROUNDUP® - AMM: 7400057 - Substance active : 360 g/l de glyphosate acide (30,7 % p/p), équivalent à 486 g/l de sel d’isopropylamine de glyphosate (41,47% p/p).) - Usages, se référer à l’étiquette – DANGER- H318 Provoque des lésions oculaires graves. Respecter les précautions d’emploi. Lire attentivement l’étiquette avant toute utilisation. Monsanto SAS, 1 rue Buster Keaton 69800 St Priest - N° SIREN 420019812- N° d’agrément : RH02103. Entreprise agrée pour l’activité de distribution de produits phytosanitaires à des professionnels (site : Monsanto SAS, Eden Park, 1 rue Buster Keaton 69800 St Priest) et pour l’activité d’application des produits phytosanitaires en prestation de service (Usine de Trèbes : 20 route du Théron 11800 Trèbes - Usine de Peyrehorade : 1050 route de Pardiès 40300 Peyrehorade). Consultez les informations sur nos produits sur la base de données Phytodata : http://www.phytodata.com
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THÉMA
Photos : A.J.
La conservation des sols « La terre est révoltée des injustices de la création. » Alfred de Vigny Pourquoi vouloir conserver les sols ? La question mérite d’être posée. Elle ressemble un peu au débat sur le réchauffement climatique, on y croit sans y croire, tant qu’on n’en subit pas les conséquences directes. En France, les sols ne sont visiblement pas si altérés que cela pour l’agriculture ; les rendements, globalement, se maintiennent. Il n’existe donc pas de raison apparente de se soucier des sols. La question des générations futures
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peut être contestée avec des arguments qui ressemblent à ceux de ceux qui contestent que l’on puisse agir contre le réchauffement climatique : avant de s’affoler, il faut des preuves, concrètes. Or force est de constater, au niveau français en tout cas, qu’il faut une observation fine pour se rendre compte des problèmes que notre manière de produire peut susciter sur l’état du sol. Qui plus est, certains agriculteurs en ayant pris conscience n’ont pas su s’approprier les techniques prônées aujourd’hui pour combattre l’altération des sols, et ont subi des échecs : ils sont les premiers témoins d’un courant de scepticisme. Pour autant, aussi peu perceptible que cela puisse paraître, oui, on le
sait, certaines pratiques agricoles contribuent à l’érosion. Petit à petit, imperceptiblement presque, certaines parcelles souffrent de tassements, d’érosions diverses, de manque de matière organique sur les premiers centimètres de profondeur du sol. Cette matière organique, ces vers de terre, aussi ridicules qu’ils soient en apparence, sont essentiels pour maintenir la vie, y compris végétale, sur la surface des terres. Parvenir à trouver le moyen de les maintenir, de les laisser jouer leur rôle, profite à deux niveaux : d’une part il s’agit d’une méthode plus naturelle (au sens de « proche de la nature ») pour faire pousser les plantes ; et d’autre part l’avenir est plus sûrement préservé ainsi.
« Il est dans la nature de l’homme de piétiner ce qui est à terre. » Eschyle Les bonnes pratiques, un apprentissage lent, qui réclame et une attention accrue Longtemps, les techniques simplifiées ont été victimes de leur mauvaise image. Un champ bien labouré, ça fait plus propre qu’un autre avec des résidus de pailles, ou un couvert hésitant. Mais au-delà du « paraître », ces techniques souffrent surtout des mauvais exemples qu’elle a connus. La bonne idée, c’est de s’intéresser aux TCS. La fausse bonne idée c’est de s’y convertir totalement du jour au lendemain sans avoir pris le temps (donc des années) d’observer. Nous sommes dans un mode cultural qui fait l’apologie de la patience, il faut s’en accommoder. Vous lirez d’ailleurs dans nos pages « Moteur » que même des vendeurs de matériels préfèrent conseiller de commencer « petit » avant de se convertir totalement. Mais dans « commencer petit », il y a aussi « commencer », les sols réclament que l’on s’intéresse à eux. Agriculture de conservation, associations… Rien de mieux que l’entraide, les comparaisons, le dialogue entre agriculteurs pour parvenir à trouver ses marques. Le passage aux techniques culturales simplifiées est une suite
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de tâtonnements, une école de la modestie où l’oreille prêtée à l’expérience est fort utile. Dans ce numéro, vous lirez un important reportage en Bretagne (pages 24 à 29), « où tout a commencé » en raison d’une érosion plus forte. Aux racines de l’entente entre plusieurs pionniers des TCS… Le site internet agriculture-de-conservation.com recèle une foule d’infos et de possibilités d’échanges. Toujours sur le net, agricool.net offre quantité de forums axés sur les TCS,
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et où donc chacun témoigne de ses expériences et y va de ses commentaires. L’association la plus célèbre s’appelle Base, et consiste également en un réseau d’échanges (sur le net, asso-base.fr). Et à partir de ces trois sites, vous pourrez trouver quantité d’autres liens pour mieux vous informer encore… Et l’on reparle de rendements… C’est l’un des grands reproches adressé à l’agriculture de conservation : ses rendements seraient moindres. Légende ou r é a l i t é ? L e s d e u x m o n g é n é r a l ! Avec le temps, les tenants de ces pratiques ont su sans cesse améliorer leurs résultats, et donc avoir désormais des rendements réellement compétitifs. Mais ça n’a pas toujours été le cas c’est vrai,
A.J. A.J.
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Exemple d’un couvert de trèfles utilisé sous colza.
« La terre ne rend jamais sans intérêt ce qu’elle a reçu. » Cicéron et surtout les échecs mentionnés plus haut ont fourni des contre-exemples concrets. Pour autant, il semble qu’aujourd’hui la différence soit minime, sur le seul terme des rendements, entre les deux systèmes culturaux. Vous lirez même la démonstration chiffrée de Dominique Guyot, agriculteur de Seine-et-Marne, qui explique qu’il est venu aux TCS avant tout en vertu des gains économiques ! (reportage page 22) Les réalités économiques L’économie, justement, parlons-en. Et poussons le raisonnement très loin. Si l’on suit celui, de raisonnement, de Dominique Guyot, les gains financiers du passage aux TCS viennent du fait que les économies réalisées sur les charges sont supérieures aux gains acquis avec un rendement finalement à peine supérieur en agriculture traditionnelle. Et donc, finalement, on arrive à un système qui produit moins, même si c’est de peu. Si, à l’échelle de l’agriculteur, cela s’accepte facilement grâce aux gains globaux de productivité dus aux baisses des charges, c’est plus délicat à l’échelle d’une grosse coopérative et encore
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plus d’un pays. La production française de céréales constitue l’une de ses forces, pour son marché intérieur mais aussi pour sa balance commerciale grâce à une exportation bien huilée (d’une manière générale, je ne parle pas ici des soucis de qualité du blé de cette année). Avec une production globalement moindre, la force exportatrice s’affaiblit d’autant, et toute la chaîne qui va avec (transports, ports céréaliers, organismes stockeurs ou autres…). De fait, si l’on examine l’économie vue d’en haut, nous n’avons pas intérêt à baisser nos rendements, même de peu. C’est
donc là tout l’enjeu des techniques simplifiées, gagner encore cette petite différence qui subsiste. Car de système (tourné vers l’export) on ne changera point, même le ministre socialiste Stéphane Le Foll l’a vivement encouragé lors de la célébration du 90e anniversaire de l’AGPB (association générale des producteurs de blé). L’ambiguïté politique Et puisque l’on parle de Stéphane Le Foll, allons jusqu’à « son » concept d’agroécologie. On connaît l’histoire, il a été créé à la base comme une sorte de caution faite aux Verts, la partie « écologie » du mot ayant une signification plus politicienne qu’environnementale. Mais aujourd’hui, derrière ce mot,
se fédèrent de multiples moyens, gouvernementaux, de recherche, pédagogiques… Des ingénieurs en agroécologie interviennent sur le terrain, avec un souci qui lui n’a rien de politicien. Or, parmi les techniques prônées par cette politique agroécologique, le travail du sol simplifié tient une place importante. Sans doute y a-t-il à la base une volonté récupératrice, mais le mouvement des TCS appartient bel et bien aux agriculteurs, ce sont eux qui l’ont lancé, porté, et qui poursuivent dans cette voie aujourd’hui. Il durera au-delà de l’effet de mode sémantique d’un seul mot… Antoine Jeandey
Le strip-till : transitoire ou pas ? En Europe, les semoirs brésiliens Semeato sont distribués sous les couleurs de New Holland.
Le strip-till peut-il participer à la transition entre travail et non travail du sol ou s’inscrit-il dans la durée comme un outil de sécurisation des implantations, notamment de printemps ? Les positions divergent. Pour Alfred Gässler, agriculteur dans l’Oise, conseiller et formateur spécialisé, le striptill est une fausse bonne idée, servant davantage le commerce que l’agronomie. « Soit je décide de travailler mon sol, soit je fais confiance aux plantes pour travailler le sol, explique-t-il. Je connais autant d’agriculteurs satisfaits qu’insatisfaits du strip-till. Certes, l’outil bouleverse peu le sol mais quand vous semez en direct un blé derrière un maïs préparé au strip-till, vous avez deux types de sol en présence, avec une alternance de bandes portantes et non portantes. Comment régler le semoir ? Faut-il intervenir à l’automne ou au printemps ? Que se passe-t-il si de fortes pluies referment le sol après le passage du strip-till? Je vois des agriculteurs le passer deux fois pour se rassurer. Je peux admettre son usage de temps en temps en phase de transition pour assurer et rassurer. Mais le recours au long cours du strip-till est selon moi contraire à la philosophie du semis direct. »
Doc New Holland
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Pour Hubert de Moroges, agriculteur dans le Puy-deDôme et importateur Bertini, « le strip-till est une solution intelligente pour aller vers du semis direct au printemps en présence de sols pas prêts, avec encore des ruptures et des horizons coupés. Sur nos semoirs, le travail du sol sur la ligne est en quelque sorte intégré avec un disque ouvreur qui réalise un micro-labour sur une profondeur réglable entre 0 et 9 cm ». R.L
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Conservation des sols > Reportage en Seine-et-Marne
« Economiquement, je suis gagnant » Dominique Guyot, céréalier à Poigny en Seine-et-Marne, est adepte depuis plusieurs années de ces techniques culturales révolutionnaires visant en premier lieu à observer la terre. Il ne le fait pas par environnementalisme poussé ou autres grandes idées du genre, mais parce qu’il s’estime ainsi économiquement gagnant. Démonstration.
d’orge de printemps cette annéelà, pour une parcelle au potentiel moyen, donc un bon résultat. En 1987 donc, j’ai arrêté le travail profond. » Il a également laissé des couverts, ce qui lui valut des commentaires parfois moqueurs de ses voisins, agriculteurs également. « Au début, tu regardes, il reste de la paille, ça fait pas propre. Et puis il y a un déclic, un jour où ça ne te gêne plus que ce ne soit pas joli à l’œil… »
Dominique Guyot en train d’observer la terre de son champ.
Photos : A.J.
D
ominique Guyot, vous le connaissez sûrement, ne serait-ce que virtuellement, si vous suivez wikiagri.fr. Il aime s’exprimer, laisser des commentaires aux articles d’actualités, ou participer aux forums. Il lui arrive même de pousser un coup de gueule, depuis son pseudo, désormais célèbre, gytdm…
C’est un homme calme et posé que nous avons rencontré sur sa ferme. Nous sommes à Poigny, juste à côté de Provins. Il plante de suite le décor avec malice sur le sujet des TCS : « Le souci aujourd’hui est de savoir ce que l’on fait… » Mais écoutons d’abord son histoire. Dominique Guyot s’est installé en
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1984, d’abord sur 50 hectares. « En 1987, raconte-t-il, j’ai eu la chance de rencontrer Bernard Demaine, du centre de gestion de l’Oise, qui travaillait sur les réductions de doses. A l’époque, ce n’était pas du tout d’actualité. Et je me souviens de ce qu’il m’a dit : « Si on veut continuer à produire avec des rendements, il faudra changer de méthode de culture ». J’ai donc commencé à m’approprier l’idée. Et à me faire critiquer aussi, ce n’était pas du tout à la mode à l’époque. Du coup, j’ai cherché à rencontrer des personnes qui défendaient ce courant. Claude Bourguignon, Yves Herody, Frédéric Thomas… Et puis j’ai récupéré un petit champ qui n’avait pas été travaillé pendant 25 ans. Dessus, j’ai fait 55 quintaux
Il précise : « Il y a une période où tu gardes le matos avec la pensée de t’en servir, de revenir à un labour si problème. Et puis un jour, tu observes, et la solution qui te vient à l’esprit, ce n’est plus le labour. Et là tu es sauvé ! » Cette dernière phrase prononcée avec un grand sourire.
Deux semoirs, pour répondre chacun à sa problématique.
Il ne l’a pas voulu, mais un de ses champs présente une coupe qui permet de se rendre compte de la différence entre la terre de surface et celle plus en profondeur.
En fait, le plus dur fut de s’y mettre, mais « aujourd’hui le semis direct ne me gêne plus, je l’utilise le plus souvent possible ». Et il compare les rendements avec ses voisins. « Les années humides, je suis endessous d’eux, les années sèches au-dessus. » Sans une grande différence. Dominique Guyot va même plus loin, l’aspect économique a largement compté dans ses choix (lire notre encadré). « Bien sûr que conserver la terre, ça compte. Mais moi je ne suis pas un écolo. Si je suis venu à l’agriculture de conservation, c’est parce que, économiquement, je m’y retrouve. » Pour autant, il prévient, rien ne s’improvise, l’observation, les échanges, sont la base de tout. « Avec quelques-uns, nous avons voyagé, vu comment on s’y prenait en Angleterre, en Belgique, en Tchéquie. En termes de techniques, de matériels, dans quels contextes… Partout, l’approche est différente, l’utilisation des pesticides varie par exemple. Mais en allant les voir, tu
comprends leurs problématiques et comment les agriculteurs de ces pays les résolvent. Et cette gymnastique de réflexion, ensuite, tu l’utilises chez toi, avec ton propre contexte. »
Semoirs à disques ou à dents ? Les deux ! Un exemple précis, Dominique Guyot cite « le dilemme du semoir, qui est à disques en Amérique du Sud et à dents en Amérique du Nord. Au sud, les dents s’accrochaient dans la végétation. Au nord, les disques sont inefficaces sur sols trop gelés. Nous, on peut avoir les deux. Mais on ne les utilise pas de la même façon. » La nature du terrain aussi est importante. Sur les 200 hectares que compte aujourd’hui l’exploitation de Dominique Guyot, le parcellaire est tel qu’il a deux types de terres : des
« très bonnes terres », et d’autres plus crayeuses. Il prend bien garde à observer l’une et l’autre, ses choix ne sont pas unilatéraux, mais adaptés à l’une et l’autre. Mais partout il a adopté le travail simplifié, travail de la terre en surface mais plus en profondeur, moins d’intrants sans se les interdire non plus, des couverts… Et ça lui convient très bien, y compris économiquement (lire l’encadré) car il obtient ainsi des rendements qui soutiennent la comparaison avec ceux de ses voisins. Antoine Jeandey
ZOOM
« Je ne suis pas un écolo »
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Dominique Guyot sort sa calculette Entre les intrants et les charges du matériel, Dominique Guyot dépense 150 € à l’hectare de moins que ses collègues en traditionnel. Pour un blé vendu à 160 € la tonne en septembre, il estime donc que son gain en charges représente 9 quintaux de blé de rendement. « Si mes voisins (Ndlr : avec des conditions de cultures similaires) ne font pas plus que 9 quintaux que moi, alors je suis économiquement gagnant. Discussion avec l’un d’eux, je lui dis avoir fait 75 quintaux à l’hectare sur un type de parcelle, si lui n’a pas 84 quintaux au moins, alors je suis gagnant. Et c’est le cas, le plus souvent. » Et il va plus loin : « Maintenant calculer non plus sur un hectare, mais sur 100. Si mon voisin arrive à un rendement supérieur au mien de 9 quintaux, ça lui en fait 900 à l’échelle de l’exploitation, soit trois camions en plus pour les charger, des camions qui s’ajoutent à ses charges… Derrière, tu as les organismes stockeurs, qui facturent 900 quintaux en plus, et les organismes techniques, qui taxent aussi dessus… » Si, pour un hectare, Dominique Guyot doit obtenir un rendement au plus inférieur à 9 quintaux de celui de ses voisins, sur l’ensemble de l’exploitation il a donc une marge plus grande… Alors que ses rendements sont bons !
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Conservation des sols > Reportage en Bretagne
« Le plus gros décompactage, c’est dans la tête » Pour comprendre ce qui pousse les agriculteurs à mettre en œuvre des techniques préservant leurs sols, Wikiagri s’est rendu dans l’un des « foyers » de l’agriculture de conservation : la Bretagne. L’association Base y a vu le jour en 1999. Elle compte aujourd’hui plus de 800 adhérents. temps, et donné l’opportunité de le réorganiser. J’ai aussi plus de temps pour imaginer des nouvelles méthodes de travail, en échangeant avec les autres : agriculteurs, chercheurs, techniciens, et pourquoi pas journalistes ! » La présence de « locomotives » comme Bertrand est sans aucun doute l’un des piliers du développement pérenne de l’agriculture de conservation dans une région.
Problématique spécifique à la Bretagne
Champ de comparaison situé à Maure-de-Bretagne.
Photos : Opaline Lysiak
«
Dans le train de l’agriculture, il y a la locomotive, la 1ère classe, et la 2e classe. Je pense que je fais partie de la locomotive, parce que j’ai imaginé des solutions, je les ai testées et mises en œuvre. La locomotive tire les wagons qui sont derrière. Ceux qui sont en 1ère classe, les suiveurs, expérimentent sur leur exploitation des techniques que nous proposons. En 2e classe, on
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a plutôt des râleurs, qui critiquent beaucoup mais finiront bien par devoir changer leurs pratiques ! » Voilà comment Bertrand Paumier, agriculteur à Maure-de-Bretagne, décrit l’innovation en agronomie. A 54 ans, l’homme impressionne par son optimisme, et par la gestion du temps sur son exploitation : il a reporté la moisson de son blé pour consacrer une demi-journée à une journaliste de Wikiagri ! « L’arrêt du labour m’a libéré du
En général, c’est là où les problématiques sont fortes que les agriculteurs cherchent des solutions pour faire évoluer leurs pratiques. Début 2014, WikiAgri évoquait le département du Gers et ses agriculteurs fédérés avec l’AOC Sols, pour lutter contre l’érosion des sols. En Bretagne, la pollution des eaux, l’érosion (le ravinement des terrains en pente fraichement labourés après des trombes d’eaux) et la portance des sols sont trois problèmes majeurs qui ont poussé quelques pionniers à vouloir faire bouger les choses. Jean-Luc Le Bénézic, animateur du réseau agronomie de Caliance (union de coopératives), est un des membres fondateurs avec entre autres Frédéric Thomas
Martial Morio : « J’ai le pouvoir de modifier la couleur de la nature » Martial Morio récupère, en 2009, des surfaces en non-labour depuis 20 ans. C’est ce qui l’a incité, peu à peu, à arrêter le labour sur toutes ses surfaces. « J’avais deux préoccupations principales : la portance des sols, difficile à conserver lorsque l’on produit beaucoup de lisier, et le gain de temps. » Les résultats sont là : la portance est améliorée est les rendements maintenus, voire également améliorés. Il attire l’attention sur l’importance des couverts, parfois oubliés de ceux qui souhaitent se lancer : entre deux céréales, il implante une dérobée composée de ray-grass italien et de trois variétés de trèfle, ou un mélange protéique ensilé à l’automne, les restes servant de couvert.
O.L.
Il a mis au point un engin de semis adapté à ses pratiques, combinant un rotalabour et un semoir. Le résultat est une sorte de strip-till amélioré. Administrateur de la coopérative Triskalia, Martial Morio est en plein cœur des discussions sur l’agriculture de conservation : « Il y a un vrai frein psychologique : avant, je ne trouvais pas « beau » un sol couvert entre les rangs. A coups de réunions, de visites, on comprend peu à peu que les résultats économiques sont là si on travaille sérieusement. » Lieu : Cruguel (Morbihan) Main-d’œuvre : Martial Morio, son épouse et ses deux fils SAU : 170 ha. Céréales, maïs, prairies temporaires Productions : 60 laitières et 200 truies en naisseur-engraisseur Sols : de très léger sableux et superficiel à limono-argileux plus froid. Exemple d’ITK : dérobée consommée ou ensilée le 20 avril > glyphosate 2,5 l/ha 20 avril > Lisier 50 m3/ha semis de maïs fourrage à 110 000 grains/ha rotalabour + semoir 1h/ha.
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Conservation des sols > Reportage en Bretagne
Bertrand Paumier : « Mon élevage est là pour gérer mes cultures » Bertrand Paumier a construit sa maison au milieu de son parcellaire et en hauteur, afin qu’il puisse avoir une vue sur la quasi-totalité de ses champs. De là, il observe ses vaches, réparties sur son parcellaire afin d’entretenir les bandes enherbées ou manger les couverts végétaux. « Je me suis dit, au lieu de payer un broyeur, pourquoi ne pas mettre des bêtes ? » Il a ainsi parallèlement répondu à une demande de viande dans son entourage, en produisant un bœuf par mois en moyenne. Il a mis en place des couverts végétaux il y a 6 ans, et mène depuis des essais pour voir comment les faire valoriser au mieux par les animaux. « Les vaches mangent en moyenne un tiers du couvert. Le reste n’est pas perdu : il retourne au sol ! » Passionné à la fois par la nature et la mécanique, il réfléchit, au sein de la Cuma qu’il a créée, à l’adaptation du matériel aux enjeux locaux : comment réduire les coûts de mécanisation ? Quel matériel adapter à nos sols ? Comment améliorer la qualité de l’eau bretonne tout en produisant autant ? C’est à ce moment qu’il met en place le « champ de comparaison (lire l’article leader), en collaboration avec Base, qui vient juste de naître. Les premières expérimentations portent sur le tassement du sol, à l’époque où on aime le gros matériel. « Mais si on a du gros matériel, on tasse le sol, donc on doit utiliser encore du matériel pour le travailler… Ce n’est pas logique. » Pour lui, l’objectif est d’avoir un outil large, peu puissant et léger. Aujourd’hui, il possède un tracteur et consomme 5000 litres de fioul sur l’exploitation… Au lieu de 15 000 litres il y a 20 ans. Le gain de fioul a été réinvesti en semences, pour nourrir le sol. « Aujourd’hui j’ai plus d’UGB dans le sol que sur le sol ! » conclut-il. Lieu : Maure-de-Bretagne (Ille-et-Vilaine) Main d’œuvre : Bertrand Paumier et sa femme SAU : 120 hectares. Cultures : blé, maïs grain, colza, pois protéagineux, haricots, prairies temporaires. Production : bovins viande (production de 70 bœufs environ par an). Sols fragiles : limons fins et profonds du bassin de Rennes.
(grand témoin de ce magazine, page 9) de l’association Base (Bretagne, Agriculture, Sol et Environnement à l’époque). « Base est aujourd’hui présente dans plus de 20 départements, et même en Suisse et en Belgique. Le B de Base est naturellement passé de « Bretagne » à « Biodiversité ». L’objectif de l’association est de mettre en œuvre l’agriculture de conservation. Quand on sait que plus de 90 % des agriculteurs
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bretons sont des éleveurs, il faut remettre le cycle animal-sol-plante au centre de tout ! » explique Jean-Luc Le Bénézic, schéma à l’appui, que nous reproduisons cidessous.
O.L.
L’animal nourrit le sol, qui nourrit la plante. Un cycle si simple et pourtant pas assez maîtrisé ; les éleveurs œuvrent pour mieux l’utiliser. Jean-Luc Le Bénézic a longtemps réfléchi à la manière de partager la connaissance et l’adapter au mieux à chaque contexte d’exploitation. « Au cours d’une discussion avec Frédéric Thomas, nous avons fait un constat : il fallait mettre des plantes pour tenir les sols. C’est à la fin des années 1990 que les premières expérimentations de couverts végétaux sont mises en place, notamment chez Dominique Luherne, agriculteur à Sulniac (Morbihan) et chez d’autres TCistes. Dominique Soltner (Ndlr : auteur de nombreux ouvrages d’agronomie) , Claude Bourguignon (Ndlr : ingénieur agronome spécialiste de la vie du sol) sont venus voir ces essais ; c’était une grande première en France ! A l’époque, les agriculteurs considéraient les couverts végétaux comme une petite manne financière. Il fallait absolument leur rappeler que l’agronomie est à la base de tout, mais comment s’organiser pour transférer ces connaissances ? »
Mise en place d’un réseau de partage Ce n’était pas gagné : les pionniers de Base furent d’abord, au début des années 2000, considérés comme les « pompiers » des TCS. Un problème de sol, et des
collègues les demandaient. Mais l’objectif était que les agriculteurs parviennent à comprendre et gérer seuls leur sol… Il fallait donc les former. L’enjeu fut de placer l’agronomie avant A.J. le matériel, mais les références manquaient, et les principes de la conservation des sols, en intégrant d’abord les couverts végétaux, puis l’allongement de la rotation et un moindre travail de sol, n’étaient pas faciles à transférer aux adhérents de coopératives. En 2005, Martial Morio, agriculteur et à l’époque administrateur à la Coopérative agricole du Morbihan, déplorait un manque de conseil en techniques culturales simplifiées ou plutôt déjà en Techniques de Conservation des Sols : « Il y a 8 ans, environ 20 % des surfaces agricoles du Morbihan étaient conduites en non-labour permanent ou partiel. Mais nombreux étaient les agriculteurs qui, essuyant des échecs importants, étaient Voici un outil de travail superficiel mis au point par Martial Morio.
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Conservation des sols > Reportage en Bretagne
Bertrand Paumier inspectant ses cultures.
découragés » déplore-t-il. Les données technico-économiques manquaient de trop pour rassurer les candidats potentiels.
Naissance d’Agrosol C’est à partir de ce constat que le groupe d’échanges Agrosol est né. « Trois à quatre fois par an, on se réunit dans un champ et on discute, souvent autour d’un profil cultural. Ce sont les agriculteurs qui définissent le thème de la réunion. Jean-Luc Le Bénézic est simplement là pour cadrer les échanges, trouver des intervenants, des supports de discussion », précise l’agriculteur. Destruction de couverts, semis de céréales, agriculture de précision sont les derniers thèmes abordés. Le groupe, constitué d’un noyau dur de 20 agriculteurs, a créé
une dynamique, les débutants se mêlent aux plus expérimentés, avec un bon esprit. « C’est l’occasion d’échanger, de se connaître. On ne se prend pas la tête, on parle de nos échecs, de nos réussites, et c’est comme ça qu’on avance, ajoute Dominique Luherne. Dans le goupe Agrosol, nous avons tous le même objectif par l’échange d’expériences améliore nos systèmes en allant voir chez les autres. Ensuite chacun à son rythme effectue des adaptations sur son exploitation à partir des façons de faire des collègues et des connaissances acquises par les réseaux Agrosol, Base, la revue TCS ou sur les sites en ligne comme celui de « agriculture de conservation ». Lorsque les fermes sont visitées, elles sont analysées de A à Z, selon un thème spécifique. « De façon à que les
Dominique Luherne : « Le fumier, c’est de l’or pour mon sol » Les parcelles de Dominique Luherne ont connu, pendant presque des siècles, la culture du sarrasin, adapté aux terres pauvres. L’élevage a impacté ces sols, qui ressemblent aujourd’hui à du sable très riche en matière organique. Et le fumier lui permet d’être presque autonome en fertilisants ; seules les 130 unités d’azote nécessaires pour le blé sont appliquées sous forme chimique. Le labour a été abandonné progressivement à partir de 1975, à cause de la présence de cailloux en trop grande quantité.
O.L.
Le changement s’est fait assez facilement. Ses couverts sont composés d’une part de ray-grass italien, trèfle et radis chinois, et d’autre part d’un méteil (pois, vesce, avoine) ; ils sont bien valorisés par les animaux. Pour l’implantation du maïs (rotalabour + semis), il est passé de près de 30 litres de fioul à l’hectare à moins de 15 litres aujourd’hui. Il hésite à passer en semi-direct ; le travail du sol sur 10 cm permet d’enfouir le fumier de volailles qui peut rapidement perdre son azote s’il est laissé en surface. Selon Dominique Luherne, l’arrêt de labour permet au sol de rester une véritable éponge qui garde mieux l’azote ; les apports sont diminués, tout comme le lessivage. Lieu : Sulniac (Morbihan) Main-d’œuvre : Dominique Luherne, sa femme et son fils SAU : 165 hectares. Maïs, colza, céréales à paille, luzerne, ray grass pâturé Productions : vaches laitières (800 000 litres en moyenne) et 45 taurillons Sols : sableux, 10 % de matière organique, caillouteux par endroits, 15 à 25 cm de profondeur Exemple d’ITK : récolte du maïs ensilage > semis tardif (octobre) d’un ray grass italien, pâturé > destruction chimique (2l/ha glyphosate) > apport fumier : 25 t/ha bovins et 3 t/ha poules > passage du cultivateur > semis de maïs.
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avec des analyses de reliquats d’azote et d’azote potentiellement minéralisable (APM) réguliers. Ces travaux présentés en ce mois de septembre. « Tous les ans, nous essayons de capter un spécialiste national ou international sur un des thèmes à l’étude sur le champ de comparaison pour valoriser les références obtenues », ajoute Jean-Luc Le Bénézic. Début 2012, un réseau de fermes a été constitué, avec un travail important sur la simulation de résultats économiques pour faire le lien entre les performances du troupeau laitier et le système de culture.
Chez Martial Morio, maïs en semis direct.
agriculteurs visiteurs comprennent bien comment l’agriculteur hôte oriente ses choix », précise JeanLuc Le Bénézic. Un outil, créé en 2000, s’avère précieux : c’est le « champ de comparaison », situé sur le
parcellaire de Bertrand Paumier. Trois bandes de 300 x 24 mètres permettent de faire des études de comparaison en labour, TCS et semi-direct. Cette année sont étudiées les différentes pratiques de destruction de prairies et leur impact sur la culture de maïs,
Lorsque l’on demande à chacun quels sont les freins au développement de l’agriculture de conservation, leurs mots sont différents, mais l’idée est la même : « les techniques nous les avons ». Lorsque les agriculteurs accepteront des champs qui ne sont pas parfaitement « propres », en laissant des résidus végétaux sur les sols, un grand pas sera fait. Bertrand Paumier conclut avec le sens de la formule : « Le plus gros décompactage, c’est dans la tête ! » Opaline Lysiak
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Conservation des sols
Brèves des champs u
Stockage de carbone et travail du sol
Désherbage d’automne Comment diminuer la pression des graminées
Les dernières avancées Longtemps, on a cru que le passage au travail du sol simplifié permettait un stockage de carbone important dans le sol. Les travaux réalisés par Arvalis-Institut du végétal sur l’essai « travail du sol » à Boigneville (Essonne), sur une durée de 41 ans (unique en France), vont à l’encontre de nombreuses idées reçues. Jérôme Labreuche, spécialiste travail du sol, précise : « Il existe de nombreuses bonnes raisons d’adopter des techniques de conservation du sol ; mais il ne faut pas penser que cela améliore tout, tout de suite ». Ainsi, tous les 4 ans, les mesures de matière organique à plusieurs profondeurs permettent de déduire les stocks de carbone. Elles ont montré que oui, il y a bien un stockage de carbone important, mais majoritairement sur les premiers centimètres de sol, là où il y a accumulation de matière organique. « En fait, le travail du sol réduit crée une stratification de la matière organique dans le profil, avec un accroissement de carbone dans les 10 premiers centimètres, puis une baisse de 15 à 30 cm », ajoute le spécialiste. Les expérimentations ont montré, en outre, qu’en travail du sol réduit, on stocke du carbone les années sèches alors que l’on en déstocke les années humides. « Ce qu’il faut retenir, c’est qu’en non labour, la matière organique se trouve en surface, là où on en a besoin : elle permet de limiter la battance, l’érosion, le ruissellement », conclut Jérôme Labreuche.
A.J.
Vulpins, ray-grass, bromes et autres graminées d’automne lèvent à la période de semis optimale des céréales d’hiver. Ces graminées sont d’autant plus problématiques si les cultures d’hiver prédominent dans la rotation ; toutefois intégrer une culture de printemps n’est pas toujours facile. La baisse d’efficacité des désherbants utilisés en sortie d’hiver rend indispensable une intervention dès l’automne, en combinant lutte agronomique et chimique si nécessaire. Les tendances saisonnières pour septembre et octobre annonçant peu de précipitations, les opérations culturales devraient être facilitées sur les parcelles. Herse étrille et houe rotative permettent de contrôler les premières levées d’adventices, à condition de les utiliser lorsqu’elles sont au stade plantule une première fois, puis 4 à 10 jours plus tard. L’outil doit être passé sur sol sec, pour limiter le redémarrage des adventices déracinées. Si le travail du sol est simplifié, il peut être judicieux de réintroduire un labour tous les deux ou trois ans, les graines de vulpin et de ray-grass enfouies perdront leur capacité germinative. Si les conditions météorologiques ne permettent pas d’intervenir mécaniquement, la lutte chimique en prélevée (juste après le semis) agit sur des adventices peu ou pas développées ; l’efficacité de l’herbicide est assurée. Il est aussi possible d’agir au stade 1-2 feuilles de la céréale, mais plus les traitements seront tardifs plus le contrôle des adventices sera difficile.
OL
Commencer la lutte dès l’automne élimine une partie de la concurrence ; cela préserve ainsi le rendement et assure l’efficacité d’un éventuel traitement de sortie d’hiver, à dose réduite. A.J
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Non labour Un festival annuel La 16e édition du Festival de non labour et du semis direct (NLSD) s’est tenu cette année au lycée agricole de Châteauroux, le 24 septembre. Jacques Commère, agriculteur gersois et responsable de l’OPG (Organisation des producteurs de grains) à la Coordination Rurale, en charge de l’organisation de l’évènement, rappelle que l’objectif initial du NLSD est de proposer une meilleure réponse aux enjeux environnementaux, économiques et agronomiques actuels que les célèbres concours de labour : « Nous nous orientons de plus en plus vers le public des lycées agricoles, qui doit absolument découvrir des techniques culturales qui préservent les sols ». Les intervenants de cette édition ont montré que les plus grandes avancées en termes de techniques culturales prennent naissance sur les exploitations. Au-delà du rendez-vous syndical qu’il propose, que nous n’avons pas à commenter dans cette rubrique agronomique, ce festival renouvelé chaque année à la même époque présente un réel intérêt pour se rendre compte des évolutions des techniques et approches autour du non labour. Plus d’infos : www.nlsd.fr
DR D.R.
Infiltration de l’eau Des travaux prometteurs Quels sont les différents scénarios d’infiltration de l’eau dans le sol des parcelles agricoles ? Aubin Lafon, étudiant en école d’agronomie, a effectué son stage de fin d’études dans le cadre du programme Agr’eau. L’un des objectifs était de mettre au point une méthode afin d’évaluer la durabilité des exploitations agricoles qui innovent dans leurs pratiques, et d’appréhender la gestion de l’eau dans les parcelles. La méthode utilisée, mise au point par l’USDA, mesure différents paramètres dans le sol : densité, porosité et fonctionnalité de la porosité, quantité d’eau présente dans le sol et activité biologique. Pendant la phase de terrain de son stage, Aubin effectuait ces mesures le même jour sur un sol nu et sur un sol couvert (par des couverts végétaux et/ ou de l’agroforesterie) situé à proximité. Cinq parcelles ont été suivies sur trois m o i s . « L’objectif final est d’identifier toute l’année les grandes différences dans la qualité des sols et la dynamique de l’eau entre les sols nus et les sols couverts, aussi bien en agriculture conventionnelle que biologique », précise le stagiaire. Les premiers résultats sur l’infiltration de l’eau sont formels : la plupart du temps, un sol nu met plus de temps à infiltrer l’eau qu’un sol couvert ; toutefois il infiltre l’eau plus vite uniquement juste après le passage d’outils et en l’absence de fortes pluies. De plus, quelques jours après les précipitations, le sol nu est quasiment imperméable, contrairement au sol couvert. Enfin, dans les parcelles d’agroforesterie, l’eau proche des lignes d’arbres s’infiltre aussi bien qu’entre ces lignes d’arbres, et toujours mieux que sur un sol nu. « Mon travail doit être poursuivi jusqu’en 2017 sur un nombre bien plus grand de fermes pilotes du bassin AdourGaronne afin d’obtenir des résultats fiables. » A suivre.
DR
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Rubrique écrite par Opaline Lysiak
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Conservation des sols > BRèVES DES CHAMPS
Biodiversité des sols Une conférence mondiale à Dijon Du 2 au 5 décembre 2014, la Global Soil Biodiversity Conference (GSBC) se tiendra à Dijon. Cet évènement regroupera des scientifiques du monde entier : « La notion de frontières n’a pas de sens quand on parle de biodiversité, et chaque sol revêt des attentes différentes, explique Philippe Lemenceau, directeur de l’UMR agroécologie de l’Inra de Dijon. Si nous voulons vraiment connaître la biodiversité des sols et l’effet des pratiques agricoles, nous devons mutualiser nos savoirs. » C’est en partant de ce constat que le programme européen Ecofinders a lancé la GSBC. Ecofinders fournit à la Commission Européenne les informations sur la biodiversité des sols afin que cette dernière construise sa politique. La GSBC est originale sur plusieurs aspects. Tout d’abord, c’est la première fois que l’on fait le point, à l’échelle planétaire, de l’ensemble des connaissances existant sur la biodiversité des sols. Ensuite, les invités ne seront pas seulement des scientifiques : agriculteurs, responsables de structures publiques (Ademe, espaces verts, espaces urbains…) et politiques seront présents. « Quand on parle de sol, on est obligé de parler aussi de l’eau, de l’aménagement… On aborde forcément d’autres thèmes ! », explique Philippe Lemenceau. Concrètement, la GSBC doit permettre à tous les gestionnaires du sol, au niveau mondial, de réfléchir ensemble à « comment maintenir la biodiversité des sols et sa multifonctionnalité ». Le programme ? En début de semaine, on essaiera de comprendre comment la biodiversité est distribuée dans les sols, et à différentes échelles (parcelle, exploitation, paysage). Puis on fera le point sur ce que l’on sait des services rendus par la biodiversité avant d’évaluer l’impact des changements globaux (notamment climatiques) sur les communautés microbiennes. En fin de semaine, les acteurs de la GSBC prendront leur agenda pour décider de stratégies à mettre en œuvre pour gérer les sols afin de préserver et valoriser la biodiversité.
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Couverture des sols Comment réparer le filtre du territoire L’histoire agricole récente le montre : laisser le sol nu, entre les rangs ou entre deux cultures, est une pratique qui ne va pas dans le sens d’une agriculture performante. Pour améliorer la qualité de l’eau en sortie de parcelle, réduire les besoins en irrigation tout en optimisant la production et les bénéfices écologiques, la couverture végétale n’a plus à faire ses preuves… Les pratiques de couverture des sols se développent vite, mais le besoin d’accompagnement des agriculteurs, de formation des conseillers, manque encore. Le programme Agr’eau répond à cela : il a pour objectif de sensibiliser les agriculteurs et développer les couverts végétaux et l’agroforesterie sur le bassin Adour-Garonne. Il est fondé sur un principe fondamental : la présence et le comportement de l’eau sur un territoire dépend de la qualité de son « paysage » végétal, quoi doit jouer son rôle de réservoir, de tampon et d’épurateur. C’est la règle des « 3F » : Fixer, Freiner, Filtrer. Agr’eau, né de la volonté d’agriculteurs, place ces derniers au cœur du dispositif, afin de les aider à développer la couverture des sols, dont les références techniques sont encore maigres. Christian Abadie, agriculteur dans le Gers sur 108 ha, a diminué de 30 % l’irrigation grâce aux pratiques d’agriculture de conservation, et le taux de matière organique de ses sols, a été multiplié par 2 en 10 ans. Son coût de mécanisation et sa charge de travail ont été diminués de 2/3 par rapport au labour, arrêté en 2002. Il se lance désormais dans un projet d’agroforesterie.
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Plus d’infos : www.agroforesterie.fr A.J
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Plantes bio-indicatrices Les mauvaises herbes pour diagnostiquer le sol Une parcelle qui n’a pas été cultivée depuis longtemps peut faire peur par la quantité de « mauvaises herbes » qui l’ont colonisée : la nature n’aime pas le vide. Si ces mauvaises herbes peuvent impacter fortement le rendement voire la qualité d’une récolte, elles sont, sur une parcelle non cultivée, de très bons indicateurs de l’état des sols : pH, teneur en azote et en matière organique, tassement, sont des phénomènes que les plantes peuvent nous aider à reconnaître. En fait, les graines des adventices ne germent que lorsque certaines conditions sont réunies. Lorsqu’une plante est présente de manière significative dans une parcelle, c’est que d’une part, des graines étaient stockées dans le sol et que d’autre part, toutes les conditions étaient réunies pour qu’elles germent. Certaines plantes peuvent ainsi devenir des outils d’aide à la décision, à deux conditions : la parcelle n’a pas été perturbée depuis au moins deux ans (absence de labour, désherbants ou fertilisants) et la plante en question est dominante et en nombre suffisant (5
aniqu g r o e n o b r Ca des sols
A.J. A.J.
à 10 pieds par mètre carré). Ainsi, si un champ est caractérisé par la présence de chardon commun, cela signifie que le pH est trop élevé ou qu’il y a un excès d’engrais azoté. Le chénopode blanc (comestible) affectionne les sols où une libération importante d’azote a eu lieu, ou les sols travaillés par temps trop sec. La folle avoine et le vulpin indiquent également que le pH est trop élevé, et que le sol est compacté. La matricaire, elle, indique un compactage, dans un sol déstructuré. Le chiendent rampant, enfin, indique souvent des sols fatigués par le labour. Rubrique écrite par Opaline Lysiak
Carbone organique des sols – L’énergie de l’agro-écologie, une solution pour le climat – réf.7886
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écologie, ro g a l’ e d L’énergie r le climat u o p n o ti lu une so
Une édition ADEME Un sol en bonne santé, vivant, équilibré, stockant du carbone, accroit le potentiel de production végétale, contribue à optimiser l’utilisation d’intrants agricoles, filtre l’eau de ses polluants, développe plus de biodiversité. Cette notion de services à la fois environnementaux et économiques s’inscrit dans les principes de l’agro-écologie. Pour faire le point sur le rôle du sol dans la lutte contre l’effet de serre et, au-delà, valoriser les bénéfices environnementaux associés à une meilleure gestion des matières organiques, l’ADEME a mobilisé experts, scientifiques, conseillers, représentants des pouvoirs publics, afin de vous proposer cette brochure « Carbone organique des sols – L’énergie de l’agro-écologie, une solution pour le climat ».
Collectivités
territoriales
et monde agr
et Connaître
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icole
agir
> Vous pouvez la télécharger gratuitement sur : www.ademe.fr /mediatheque référence 7886
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Moteurs > Conservation des sols
Semis direct et sous couvert, la transition est aussi mécanique L’adoption du semis direct et sous couvert passe par l’adoption de semoirs spécifiques. La transition peut néanmoins s’opérer progressivement. pratiques induit par le concept. « L’investissement n’est pas négligeable reconnaît Hubert de Moroges, agriculteur dans le Puyde-Dôme et importateur Bertini. Je conseille aux candidats de ne pas s’isoler et de se rapprocher d’agriculteurs ayant acquis de l’expérience. Les associations spécialisées telles que Base ou Apad sont là pour ça. Pour minimiser les risques, je conseille de réduire à la partie congrue les cultures de printemps. En ce qui concerne le matériel proprement dit, l’achat d’occasion peut constituer une solution, même si les matériels proposés ne sont pas automatiquement les plus performants. »
A l’aise dans les couverts, l’Easydrill de Sky Agriculture peut sols intervenir sur les sols déchaumés.
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5 000 euros le mètre : tel est le ticket d’entrée dans l’agriculture de conservation, autrement dit dans un semoir capable de semer en direct et en présence de résidus sinon de couverts végétaux. Ce tarif est un ordre de grandeur mis en avant par MG International qui importe et distribue en France les semoirs argentins Bertini. C’est une somme, mais ces outils ne font pas dans la débauche, ni en largeur de travail ni en puissance de traction requise. Et lorsque que l’on pousse le concept d’agriculture de conservation à son paroxysme,
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le semis fait office de préparation de sol (un minimum sur la ligne de semis), de gestion de couverts (en semant dessous le cas échéant), de positionnement de la fertilisation dans la ligne de semis et bien entendu de placement des graines.
Retarder l’échéance L’investissement requis dans un semoir spécifique est un élément de nature à rebuter les candidats à la transition, peut-être moins par le niveau d’investissement requis que par le basculement des
Pour Christophe de Carville, chef de produit chez Sky Agriculture, l’investissement dans un semoir ne doit pas être précipité. « Je pense que c’est mettre la charrue avant les bœufs que de commencer par le semoir, indique-t-il. Il faut commencer par se documenter sur les changements que le semis direct va impliquer, ceci pendant une phase de 2 à 5 ans. Selon moi, il faut donner la priorité au couvert végétal, et se donner les moyens de pouvoir l’implanter. Pour gérer cette phase de transition, il faut un semoir polyvalent certes capable de semer en direct les couverts comme les cultures, mais également apte à intervenir sur des sols travaillés pour cause de récoltes en conditions défavorables. Mais la finalité est bel et bien de ne plus perturber le sol en surface, car c’est à cette condition que l’on dégage
et modèles est suffisamment large pour sélectionner un appareil répondant aux prérogatives pédoclimatiques ou autres.
Doc MG International
Le semoir Bertini est caractérisé par un disque d’ouverture à léger bosselage avant l’entrée en action de deux disques semeurs très étroits.
les bénéfices les plus importants de l’agriculture de conservation, notamment en ce qui concerne la maîtrise des mauvaises herbes. » Alfred Gässler, agriculteur dans l’Oise, conseiller et formateur spécialisé en semis sous couvert après avoir été importateur des semoirs brésiliens Semeato, est plus tranché. « Dès lors que l’on veut réaliser du semis sous couvert, il faut obligatoirement un équipement de semis direct, explique-t-il. En ce qui concerne les coûts, à niveaux de gammes équivalents, il n’y a pas de différences flagrantes entre un
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semoir de semis direct, un rapide ou un conventionnel. »
Critères de choix Conception européenne ou sud-américaine ? Dents ou disques ? Polyvalence à l’égard d’une éventuelle préparation de sol préalable au semis ? Quid de la nécessité d’une distribution monograine ? Le choix d’un appareil de semis direct capable d’assurer du semis sous couvert ne pose ni plus ni moins de questions que celui d’un autre matériel. L’éventail de marques
« Grosso modo, la photographie du parc de semoirs directs est schématiquement la suivante, détaille Hubert de Moroges. Dans les pays froids tels que le Canada ou la Sibérie, on trouve des appareils à dents car au moment du dégel, le sol n’est que poudre et aucun disque ne peut tourner. En situation très collantes, la dent parvient à ouvrir le sol et à positionner la graine là où le disque colle. La dent passe relativement bien dans les cailloux mais a tendance à les remonter là où le disque tend à les enfoncer. Aux Etats-Unis et en Europe, le système qui s’impose est celui doté d’un disque ouvreur et de deux disques semeurs, complétés par des étoiles pour faire de la terre. En zone tropicale, un disque ouvreur droit et un disque semeur décalé font l’affaire car il tombe 2000 mm par an et la température minimale et de 25°C. » Raphaël Lecocq
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Moteurs > Conservation des sols
Pneus, la piste des pistes Le Controlled traffic farming consiste à rouler dans les mêmes traces pour tous les passages dans la rotation, afin de concentrer le tassement sur les mêmes bandes de terre. Une nouvelle piste.
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es pistes au milieu des champs : c’est le principe du Controlled Traffic Farming (CTF). Cette technique est développée aux Etats-Unis, en Nouvelle Zélande ou encore en Australie. C’est aussi ce que tout agriculteur pratique de manière intuitive quand il réalise un premier passage de pulvérisateur à l’automne, ouvrant la voie et la portance au premier passage en sortie d’hiver. Le Controlled Traffic Farming repose sur les postulats suivants. Les grains de productivité sont peu ou prou proportionnels au gabarit, et donc au poids des engins. Le tassement des sols est une menace importante et croissante affectant la fertilité des sols, que les pneumatiques de gros volume ou les trains de chenilles peinent à juguler, sans pour autant renoncer. Faut-il tasser imperceptiblement mais sûrement 80 % à 90 % de la surface travaillée au fil des rotations ou damer – et condamner – les voies de passage des tracteurs, pulvérisateurs et autres automoteurs de récolte ? C’est tout l’enjeu de la technique.
Un constructeur en piste En 2012, Horsch fait l’acquisition d’une ferme de 3300 hectares en République Tchèque et décide d’expérimenter la localisation du trafic des engins. Un système d’autoguidage RTK sur les tracteurs mais aussi sur les outils attelés, des largeurs de travail multiples de 3 m avec
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La mise en pratique du CTF exige des adaptations non négligeables sur certains matériels.
un minimum de 6 m pour les opérations de travail du sol, des redimensionnements de largeur d’essieu sur certains équipements, des essieux à voie variable pour satisfaire les obligations de circulation sur route, une allonge de la goulotte de vidange de la moissonneuse-batteuse pour pourvoir atteindre la benne ou le transbordeur engagés dans la voie de circulation adjacente : tels sont les pré-requis techniques pour mettre en place le CTF. Certaines de ces adaptations commencent à faire leur apparition dans le catalogue d’options de certains constructeurs, tractoristes et équipementiers confondus.
Doc Horsch
Des voies toutes tracées Ces adaptations techniques ont évidemment un coût que seules de grandes parcelles et de grandes surfaces d’exploitation sont susceptibles de supporter. L’avenir dira si les bénéfices agronomiques (rendements) et énergétiques (capacité de traction) contrebalancent le surinvestissement et si d’éventuels inconvénients (orniérage) sont susceptibles d’apparaître sinon d’être déjoués. Si les expériences de CFT se développent dans des proportions significatives et dans différents contextes pédoclimatiques, elles
Taille, pression et consommation Le Controlled Traffic Farming est une des voies explorées par Efficient20, programme européen de réduction de consommation de carburant des automoteurs agricoles, s’inscrivant dans le paquet climat (- 20 % de consommation d’énergie, - 20 % d’émission de gaz à effet de serre et + 20 % d’énergies renouvelables d’ici à 2020).
Les pneumatiques posent des enjeux de compaction mais également de consommation de carburant.
permettront, si besoin en est, d’authentifier et de matérialiser les méfaits du tassement des sols et de laisser entrevoir des perspectives au déplafonnement des rendements, en misant sur la capacité de résilience des sols. Si les indicateurs sont concluants, il n’est pas exclu de voir la technique se développer à grande échelle. En contingentant le tracteur et ses
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outils dans ses fameuses pistes, le CFT pourrait indirectement marquer la fin de l’inflation du gabarit des machines. La condamnation des pistes irrémédiablement tassées poserait peut-être également avec moins d’acuité la recherche de pneumatiques toujours plus performants.
Aux côtés de sept autre pays, la France supervise neuf projets pilotes sur un total de 30. Outre le CTF, Efficient20 a mis en lumière l’impact de la pression et de la taille des pneumatiques. Réalisée par un agriculteur anglais, l’expérience a mis en évidence une réduction de 5 % de la consommation de carburant entre des pneus surgonflés à 1,6 bar, et des pneus avant et arrière gonflés respectivement à 1 et 1,2 bar. S’agissant de la taille des pneumatiques, la réduction de consommation de carburant s’est avérée encore plus importante. Entre une monte de 420/85 R28 à l’avant et de 520/85 R38 à l’arrière usés à 15 % et des pneus neufs de 540/65 R28 à l’avant et de 650/65 R38 à l’arrière, la réduction de consommation s’est élevée à 30 %. Le tracteur testé était un John Deere 6910 attelé à une charrue 5 corps et affichant 8000 heures au compteur.
Raphaël Lecocq
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Pédagogie des marchés
La baisse des cours est-elle une fatalité ?
Sébastien Techer
Conseiller en investissements financiers chez Agritel
Disons le, la campagne 2014/2015 ne s’annonce par sous les meilleurs auspices pour les céréaliers français. En effet, les bonnes récoltes au niveau mondial ont très nettement pesé sur les prix des céréales et oléagineux qui s’affichent désormais sur leurs plus bas niveaux depuis 2009/2010. Cette année souligne, une fois de plus, l’intérêt pour le producteur de gérer sa commercialisation. Alors que les récoltes de l’hémisphère nord sont bien avancées, il est temps de faire le point sur les perspectives de marché pour la campagne 2014/2015. Nous verrons également les outils dont disposent aujourd’hui les agriculteurs pour suivre et adapter leur commercialisation tout au long de la campagne.
2014 : l’année des records Blé La récolte 2014 de blé au niveau mondial s’affiche, selon le dernier rapport de l’UDSA, à 720 millions de tonnes, soit un record historique. Ainsi, les stocks de report mondiaux s’affichent en hausse de 10 millions de tonnes par rapport à la campagne dernière à 196,4 millions de tonnes soit plus de 27 % de la consommation, un niveau relativement confortable. Concernant les grands exportateurs de l’hémisphère nord, les récoltes ont été particulièrement bonnes notamment sur le bassin mer Noire où la récolte de blé s’approche des 100 millions de tonnes contre 88 millions de tonnes l’année passée. Les fortes disponibilités export de la Russie et de l’Ukraine devraient être un élément de pression important pour les cours du blé. En Europe, les volumes sont présents, avec une production estimée à près de 151 millions de tonnes, mais les pluies survenues au moment des récoltes ont quelque peu dégradé la qualité limitant les disponibilités en blé meunier.
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Figure n°1 : les stocks de report en maïs au niveau mondial (Source : Agritel) (millions de tonnes) Face à cette hausse des disponibilités chez les grands exportateurs de l’hémisphère nord, la demande des pays importateurs devrait diminuer en particulier pour le Brésil et la Chine. Dans ce contexte, le marché du blé offre peu de perspective de hausse à moyen terme. En revanche, en seconde partie de campagne, les opérateurs resteront attentifs à l’évolution des conditions climatiques en Australie et en Argentine car ces dernières seront déterminantes pour l’évolution des cours.
Maïs Les cultures de maïs de l’hémisphère nord ont profité de conditions climatiques quasi idéales ce qui devrait propulser la production mondiale à près d’un milliard de tonnes en 2014. La croissance de la consommation aura du mal à absorber la forte hausse de production ce qui va se traduire par une nette hausse des stocks de report à 189,91 millions de tonnes, un niveau historiquement élevé comme le montre le graphique ci-dessus :
Aux Etats-Unis, le premier pays producteur et exportateur de maïs au niveau mondial, la production est en passe de battre un nouveau record pour la deuxième année consécutive avec 366 millions de tonnes selon l’USDA. En outre, l’Union Européenne et l’Ukraine affichent également des bons potentiels de production ce qui sera un élément de pression supplémentaire pour les cours du maïs tout au long de la campagne. Encore une fois, les opérateurs seront vigilants à l’évolution des conditions climatiques sur l’hémisphère sud d’autant plus que l’attractivité économique du soja aura pour conséquence de réduire les surfaces en maïs. Colza En Europe, la production de colza atteint 23,5 millions de tonnes contre seulement 21,3 millions de tonnes l’année passée. De plus, en Ukraine, la production de colza s’affiche à 2,2 millions de tonnes ce qui devrait conduire le pays à exporter plus de 2 millions de tonnes au cours de la campagne 2014/2015. Ainsi, les bonnes disponibilités en colza de la « grande Europe » seront un poids pour les prix de la graine. En outre, en ce qui concerne la graine de soja, le marché directeur des graines oléagineuses, les perspectives sont également lourdes. En effet, les Etats-Unis, le premier producteur et exportateur mondial de soja, sont sur le point de faire la plus importante récolte de leur histoire avec 106 millions de tonnes. Aussi, la compétitivité économique du soja face au maïs devrait inciter les farmers argentins et brésiliens à augmenter leur sole de soja ce qui sera, en l’absence d’incidents climatiques, un élément baissier supplémentaire pour l’ensemble du complexe oléagineux. En conclusion, des records de production vont être battus en
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Figure n°2 : la gestion de sa commercialisation avec le logiciel AgriNext Source : Agrinext
blé, en maïs et également en soja ce qui aura pour conséquences de reconstruire les stocks mondiaux et peser les prix des matières premières agricoles.
Quelles solutions pour les producteurs ?
pour les agriculteurs : AgriNext. Cette solution informatique permet de suivre au jour le jour ses ventes, connaître en un coup d’œil sa sensibilité à la baisse et à la hausse et comparer les prix de marché avec les prix objectifs de chacun comme le montre la figure n°2.
La campagne 2014/2015 souligne, une fois de plus, l’intérêt des outils de gestion du risque alors que les prix s’affichent, pour certains produits, en-dessous des coûts de production. Se former aux outils de gestion de risque de prix, suivre l’actualité des marchés et mettre en place des stratégies en conséquence n’est plus un luxe mais une nécessité dans un tel contexte de volatilité.
De cette manière, AgriNext sensibilise les producteurs à la notion de marge, ce qui permet de se détacher de l’évolution du marché en se mettant dans la peau d’un gestionnaire d’entreprise ! Cette démarche peut, à titre d’exemple, amener les agriculteurs à se poser dès maintenant la question de la commercialisation pour la campagne 2015/2016.
Pour accompagner les producteurs dans cette démarche, Agritel a développé un outil d’aide à la décision
Réalisé par Agritel www.agritel.com
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Stratégie et Benchmark
Panorama comparatif de l’installation en Europe L’installation constitue une phase de la vie de l’entreprise agricole à forts enjeux économiques dont les conséquences fiscales peuvent guider les choix et les stratégies financières, fiscales et patrimoniales à mettre en œuvre.
Les différents pays européens (Allemagne, Belgique, Danemark, France et Pays-Bas) développent des politiques nationales qui doivent répondre à différentes préoccupations : soutenir financièrement les jeunes agriculteurs, soutenir l’activité agricole qui est un secteur économique porteur, assurer le renouvellement des générations d’agriculteurs et maintenir une population rurale sur tout le territoire.
Par Rachida El Otmani,
Responsable juridique de CerFrance
Faciliter et réussir l’installation suppose la mise en œuvre d’une politique d’aide et d’accompagnement tant sur le plan financier que sur le plan fiscal. Faisant partie intégrante des politiques agricoles, les dispositions fiscales peuvent impacter les choix organisationnels des agriculteurs, la rentabilité des structures de production et la dynamique de leur évolution. Indéniablement, la question de l’installation renvoie à celle du financement qui est, en particulier en agriculture, cruciale compte-tenu du changement des méthodes de transmission de l’exploitation : la transmission s’effectue de plus en plus hors cadre familial. De plus, quel que soit le cadre de la cession – familial ou non – le cédant s’inscrit dans une démarche de récupération de son capital. L’Observatoire européen des PME indique que les entrepreneurs mentionnent l’accès au financement comme une des trois contraintes les plus importantes pesant sur le développement des PME et ce, dans l’ensemble des secteurs d’activité. Le financement de l’installation peut s’opérer de différentes façons : politique d’aide à l’installation, financement par prêt bancaires ou non et dispositifs fiscaux permettant un allégement des charges fiscales et sociales pesant sur le cédant ou le cessionnaire. Les aides fiscales au démarrage sont, selon les pays, plus ou moins incitatives.
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L’installation en agriculture en Europe : le défi du financement Allemagne Le cas allemand est assez particulier en ce sens que les mesures proposées sont d’un effet très limité, compte tenu du coût très élevé des installations qui entraînent des charges financières importantes et donc des revenus imposables peu élevés. De plus, il n’existe pas de dispositif fiscal spécifiquement agricole. Cependant, un système d’aide au démarrage d’entreprise est valable pour tous les secteurs d’activité. Ce sont des provisions (jusqu’à 306 775 €) réalisées pour investissements futurs durant les 5 premières années d’activité. Si le projet d’investissement ne se réalise pas, les sommes sont réintégrées au revenu et majorées de 6 % l’an.
Belgique Il existe un système de financement particulièrement intéressant, le « win-win-lening » (prêt « gagnantgagnant »). Ce dispositif est avantageux à la fois pour le prêteur et l’emprunteur. Pour le prêteur : Les personnes privées qui prêtent de l’argent à une entreprise agricole ou non-agricole bénéficient d’une fiscalité avantageuse sur les intérêts perçus. De plus, ces intérêts perçus sont supérieurs à ceux de placements d’épargne mais inférieurs aux taux d’emprunts bancaires. Le risque de défaillance de l’emprunteur est assuré par une réduction d’impôt en cas de perte du capital prêté. Pour l’emprunteur : L’intérêt de ce système réside dans les taux d’intérêts nettement inférieurs à ceux pratiqués par les établissements bancaires.
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Danemark L’approche y est différente car elle s’intéresse aux salariés et travailleurs indépendants projetant une installation. En effet, les salariés ou travailleurs indépendants (de tous les secteurs d’activité) qui souhaitent créer une entreprise, peuvent épargner une partie de leur salaire ou de leur revenu d’activité sur des comptes bancaires spécifiques. Cette faculté leur est offerte jusqu’à l’année qui suit leur départ à la retraite. Cette épargne est déduite de leur revenu imposable, ce qui procure une réduction de l’impôt sur les revenus du capital (environ 33 % en 2011). Si le versement provient des revenus professionnels, il procure une réduction de l’impôt sur les revenus du travail (environ 52 %). L’avantage fiscal consenti avant l’installation n’est qu’un différé d’imposition pour favoriser la création d’entreprise. Au Danemark, il existe aussi un mécanisme de financement très similaire à celui proposé en Belgique (« win-win lening »). France Il existe des dispositifs fiscaux encourageant les projets considérés comme viables d’installation de jeunes agriculteurs. Cela suppose d’être bénéficiaire de la dotation aux jeunes agriculteurs. Le revenu de l’exercice fiscal de perception de la dotation aux jeunes agriculteurs (DJA) bénéficie d’un abattement de 100 %. Les bénéfices dégagés durant les 60 premiers mois d’activité bénéficient d’un abattement de 50 %. Il est à noter que la dotation aux jeunes agriculteurs (DJA) s’inscrit dans le cadre du second pilier de la Pac. En France, un crédit d’impôt installation avait été instauré en 2005 et a pris fin le 31 décembre 2010. Pays-Bas Pour lever en partie les difficultés d’accès aux financements bancaires, les Pays-Bas connaissaient, depuis 1996, un double mécanisme dit de la « tante
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Agatha » qui a d’ailleurs inspiré le mécanisme « win-win lening » belge. Ce dispositif a été transformé en 2011/2012 en une déduction annuelle de 0,7% du capital prêté, car il s’était avéré très avantageux pour les prêteurs et coûteux pour l’Etat. Les Pays-Bas ont opté depuis pour des systèmes d’incitation sous forme d’aide : - pendant les trois premières années d’activité, une déduction fiscale pour investissement ; - une possibilité d’amortissement accéléré les 3 premières années. Conclusion : Au regard de ce tour d’horizon, il apparaît que seule la France joue directement sur l’impôt sur le revenu dégagé par le jeune installé, sous réserve qu’il respecte les conditions d’octroi de la DJA. Cette méthode a pour conséquence, au plan économique, de minimiser les effets fiscaux des aides à l’installation. Dans les autres pays, les dispositifs aidants jouent plutôt sur la détermination du revenu (avec des provisions ou des amortissements). Au plan économique, lorsque l’on joue sur la détermination du revenu, on vise à favoriser et à accompagner la modernisation et l’investissement. Prenons un exemple : un jeune installé décide de pratiquer une déduction pour investissement de 30 000 €. Si l’on applique le principe de la détermination du revenu, appliqué en Allemagne, au Danemark et aux Pays-Bas : son revenu imposable sera diminué de 30 000 €. Si l’on applique le principe de l’impôt sur le revenu dégagé, comme en France, son revenu imposable ne sera diminué que de 15 000 € du fait de l’abattement JA de 50 %.
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REFLEXIONS
Sombres perspectives pour l’emploi agricole à l’horizon 2022 Selon le rapport sur « Les métiers en 2022 » publié en juillet dernier, ce sont les agriculteurs qui, parmi toutes les professions, devraient voir leurs effectifs le plus diminuer d’ici 2022.
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e rapport sur Les métiers en 2022 publié en juillet 2014 par France Stratégie, l’ancien Commissariat général du plan, et la Dares, la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques du ministère de l’Emploi, dresse un panorama de l’évolution prévisible des effectifs par profession. Il indique que les professions du secteur agriculture, marine, pêche sont celles qui devraient perdre le plus grand nombre d’emplois d’ici 2022 (- 76 000). Ces pertes concernent avant tout les agriculteurs, éleveurs, sylviculteurs (- 90 000), alors que les techniciens et cadres de l’agriculture devraient, au contraire, voir leurs effectifs croître (+ 18 000), tandis que ceux des autres professions de ce secteur diminueraient très légèrement : - 3 000 pour les maraîchers, viticulteurs, jardiniers et - 1 000 pour les marins, pêcheurs, aquaculteurs. Les effectifs de l’agriculture et de la pêche s’établissaient à 948 000 en 2012, ce qui représentait 3,7 % de l’emploi total. France Stratégie et la Dares prévoient que ces effectifs atteignent 872 000 en 2022, soit 3,2 % de l’emploi total, voire 857 000 selon le scénario pessimiste. Même si cette destruction nette de 76 000 emplois est moins forte que durant les périodes précédentes (- 383 000 entre 1992 et 2002 et - 112 000 entre 2002 et 2012), ce secteur devrait néanmoins être le seul, avec celui de l’administration publique, à connaître une baisse de l’emploi d’ici 2022. En l’espace de 30 ans (1992-2022), les effectifs agricoles devraient ainsi baisser de 40 % en passant de 1,44 million à 872 000 (voir graphique). Leur part dans l’emploi total a été
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Nombre d’emplois, en milliers, 1992-2022 (France Stratégie et Dares)
quasiment divisée par deux : 3,2 % prévu en 2022, contre 6,3 % en 1992. Cette diminution des effectifs apparaît encore plus spectaculaire pour les agriculteurs, éleveurs et sylviculteurs puisque ceux-ci devraient baisser de 57 % durant cette même période.
De nombreux départs à la retraite non compensés Comment expliquer ces tendances ? Les pertes d’emplois seraient avant tout liées à un grand nombre de départs en fin de carrière qui ne seraient pas compensés par l’installation de jeunes exploitants agricoles. D’ici 2022, sont ainsi prévus 258 000 départs en fin de carrière dans le secteur agriculture, marine, pêche, soit 30 % des effectifs actuels, dont 161 000 départs pour les agriculteurs, éleveurs, sylviculteurs. On observe par ailleurs, déjà depuis plusieurs décennies, une baisse des
effectifs agricoles et industriels et une hausse significative des effectifs dans le secteur des services. Le différentiel de productivité entre ces différents secteurs explique donc en grande partie cette évolution de l’emploi. En clair, il faut des effectifs moins élevés pour produire autant, voire davantage dans les secteurs industriels et agricoles en raison d’importants gains de productivité. Evidemment, l’évolution de la situation économique du secteur agricole, compte tenu des différentes crises qu’il a pu traverser ces dernières années, explique aussi en grande partie cette baisse prévisible des effectifs. Faut-il tomber pour autant dans la sinistrose ? Non, car le secteur est loin d’être totalement bouché. Au contraire même, le rapport évalue ainsi à 182 000 le nombre de postes à pourvoir d’ici 2022, dont 71 000 pour les postes d’agriculteurs, éleveurs, sylviculteurs. Eddy Fougier
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