WIKIAGRI Mars 2012 | n째2
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Edito
Eau rage, eau des espoirs
L
’eau, source de la vie. Indispensable pour l’homme, pour les cultures qu’il mange, pour les cultures que mangent les bêtes à viande que mange l’homme. Indispensable aussi pour l’électricité, pour de nombreuses utilisations industrielles, pour l’usage domestique. Avec une obligation : il en faudra encore demain, donc il n’est pas question d’aller se servir à la source sans connaissance du possible – ce qui nuirait à la reconstitution de la nappe phréatique – donc sans organisation entre les différents utilisateurs. Il existe une concurrence, et un arbitrage, que chaque acteur cherche à influencer. En France, l’eau ne manque pas. Mais ceux prêts à la puiser non plus. La rage vient lorsque, pendant une période – en particulier de sécheresse – le volume disponible n’est plus suffisant pour alimenter tout le monde. Les agriculteurs sont montrés du doigt, là où personne ne rappelle qu’éteindre la lumière dans une pièce où l’on n’est plus économise l’électricité, donc l’eau. Différentes associations instillent le doute : et si les agriculteurs forçaient trop la dose en termes de consommation hydrique ? Mais les espoirs aussi sont là. Pour être pérennisée, l’irrigation doit être accompagnée de possibilités d’économies d’eau. C’est là qu’interviennent tant la technologie que l’ingéniosité de chacun et la recherche, que ce soit sur le parcours agronomique ou sur la plante. A terme, les producteurs peuvent espérer devenir indépendants des décisions collectives, même si on n’en est encore loin aujourd’hui. Ce numéro de WikiAgri est donc consacré entièrement à la gestion de l’eau en agriculture. Daniel Martin, président des Irrigants de France, trace les contours de la problématique pour la profession, il est notre grand témoin. Deux reportages, l’un en Aveyron auprès d’éleveurs en polyculture qui ont installé leur propre retenue collinaire, l’autre en Eure-et-Loir auprès d’un producteur qui utilise la nappe de Beauce, éclairent sur l’utilisation agricole de l’eau. Vos témoignages lus sur wikiagri.fr donnent l’opportunité d’une vision encore plus large. Nous avons aussi interviewé un contradicteur, Sébastien Treyer, plus environnementaliste qu’agricole, qui préconise une alternative au maïs irrigué : son point de vue ne vous plaira peut-être pas, mais nous avons considéré que vous deviez aussi en prendre connaissance. Nos rubriques agronomique (Brèves de Champs), et machinisme (Moteur) développent enfin la gestion de l’eau sous différents angles pratiques, très proches du terrain. Pour tout savoir sur l’eau, votre source, c’est WikiAgri. La rédaction
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Sommaire Wiki Agri n°2 / Mars 2012
u Directeur de publication Yannick Pages Rédacteur en chef Antoine Jeandey Rédaction Raphaël Lecocq Benjamin Masson redaction@wikiagri.fr Ont participé à ce numéro AGRITEL CERFRANCE Dessinateur Michel Cambon Publicité Tél. 06 89 90 72 75 pub@wikiagri.fr Consultant Média Bernard Le Blond - Vision bleue Tél. 06 83 92 08 61 Conception graphique et maquette Notre Studio www.notrestudio.fr Conseil éditorial Sylvie Grasser - Hiceo Tél. 06 32 75 11 94 www.hiceo.fr ISSN ISSN 2258-0964 Commission paritaire En cours Dépôt légal A parution
Edito P.3
THÉMA l
Le dessous des graphes
P.6 et 7 - Graphiques et infographies
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Cambon lui semble
P.8 - Le dessin de Michel Cambon
l
Le Grand témoin
P.9 à 12 - L’interview de Daniel Martin, président de Irrigants de France
l
Thema irrigation
l
Brèves des champs
l
Moteur
u
Pédagogie des marchés
P.15 - L’irrigation de manque pas de ressources P.18 - Reportage dans la nappe de Beauce P.20 - Reportage chez un agriculteur de l’Aveyron P.22 - Oui Mais : Et pourquoi pas du sorgho ? P.24 - Ils parlent de la gestion de l’eau sur wikiagri.fr
P.26 à 31 - La gestion de l’eau du point de vue agronomique.
P.32 - « Du matériel de précision dans les tuyaux » P.34 - « Quand le goutte-à-goutte s’enterre »
Service abonnement Tél. 04 76 93 58 91 contact@wikiagri.fr Abonnement annuel 34,90€ TTC (4 numéros) Prix au numéro : 10€ Site internet www.wikiagri.fr Impression SAS Imprimerie Leonce Deprez Zone industrielle de Ruitz 62620 Ruitz Tirage 48 000 exemplaires (dont 45 500 expédiés)
P.36 à 39 - Par AGRITEL
u
stratégie et benchmark
u
L’interview réelle et ludique
P.40 et 41 - Par CERFRANCE
P.42 - Mais si, Chirac était présent au Salon 2012
Le magazine WIKIAGRI ® est edité par la société : DATA PRO SOLUTIONS BP 70132 38503 VOIRON CEDEX
Ce numéro comporte un encart sélectif VADERSTAD, un encart sélectif MONSANTO, un encart YARA sur la totalité de la diffusion, un encart broché abonnement.
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Comprendre
Le dessous des
FRANCE
En il tombe
487 milliards de m d'eau/an 3
L
a France ne manque pas d’eau ! Il tombe chaque année 487 milliards de mètres cube, c’est beaucoup. En revanche, la perméabilité des sols ne permet qu’à un tiers seulement de ce total d’être utilisable. Et sur ces 168 milliards de mètres cube, 35 sont utilisés pour l’agriculture. Les 133 autres sont destinés à la ressource qu’il faut conserver au dessus du seuil critique, à l’utilisation domestique, aux utilisations industrielle et hydraulique.
168
milliards
sont considérés comme
UTILES L'AGRICULTURE
35
en prélève
milliards
Infographies WikiAgri/Notre Studio
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graphes betteraves et pommes de terres cultures fourragères
S
’il est beaucoup question de maïs irrigué, il faut savoir cette production ne représente « que » 42 % des cultures irriguées en France (soit 630 000 ha de maïs grain et semence), tout en étant, certes la culture principale. Mais l’irrigation concerne aussi d’autres céréales, le blé, les oléoprotéagineux, des pommes de terre, betteraves, fruits et légumes, jusqu’aux cultures fourragères pour l’alimentation animale. En tout, 1,5 million d’hectares sont irrigués.
11%
15% vignes, fruits et légumes
42%
ma s
26% céréales et oléoprotéagineau oléoprotéagineu
ARTOIS PICARDIE
SEINE NORMANDIE
6%
RHIN MEUSE
LOIRE BRETAGNE
ADOUR GARONNE
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RHÔNE MEDITERRANEE CORSE
P
our l’eau, la France se divise en six régions hydrographiques, qui correspondent aux fleuves de France et de ses frontières. Le sud-ouest dépend de la région AdourGaronne, plus au nord Loire-Bretagne, puis Seine-Normandie, puis ArtoisPicardie au nord, Rhin Meuse à l’est et enfin Rhône-Méditerranée-Corse pour le sud-est. Ce découpage montre toutefois quelques bizarreries, comme la gestion de la nappe de Beauce, qui dépend en son sud du bassin Loire-Bretagne, et en son nord du bassin Seine-Normandie.
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Le dessin
Cambon lui semble
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GRAND TÉMOIN
Daniel Martin :
« C’est dans notre intérêt d’économiser la ressource »
AGPM
Repères Daniel Martin est d’abord un agriculteur, producteur dans la plaine de l’Ain (entre Lyon et Bourg-en-Bresse) de maïs et blé principalement, mais aussi de colza et luzerne. 80 % de son exploitation sont irrigables. Daniel Martin est aussi président d’Irrigants de France. Créé comme une section de l’AGPM (association générale des producteurs de maïs) en 1999/2000, Irrigants de France concerne toutes les cultures irriguées depuis 2003. 35 groupements y adhèrent (des céréaliers mais aussi des représentants de la filière pommes de terre, des fruits & légumes…). Sur les 1,5 millions d’hectares irrigués en France, 1 million est représenté dans Irrigants de France.
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Quelles sont les vertus de l’irrigation pour l’agriculture ? D.M. L’irrigation sert à entretenir la régularité dans plusieurs domaines. Dans la quantité de la production, mais aussi dans la qualité, notamment amidonnière. Et dans l’agriculture moderne, l’irrigation est aussi un outil pour stabiliser les prix agricoles en assurant la régularité de la production. Sachant que dès que les volumes baissent, les prix montent : l’irrigation évite en partie les spéculations. D’une manière générale, comment se passe le partage de l’eau avec les autres utilisateurs ? D.M. D’abord, pour tous, il est clair que l’eau potable est prioritaire, il faut conserver la ressource, pas question d’y toucher. Ensuite, entre les utilisations domestiques, industrielles et agricoles, il faut bien se rendre compte qu’en définitive l’agriculture n’est pas le plus grand consommateur. En France, il tombe près de 487 milliards de m3 d’eau par an. Sur cette quantité, près d’un tiers, soit 168 milliards de m3 plus précisément, est considéré comme de l’eau « utile », c’est-à-dire à disposition des différents acteurs. Et les agriculteurs utilisent 35 milliards de m3, soit 6,5 % des précipitations totales ou près de 20 % de l’eau utile. Mais cette vision très globale mérite
d’être affinée par bassin, car il pleut 500 mm en Beauce, et ce sont 1200 mm qui arrosent la région de Pau. De fait, les problématiques posées ne sont pas les mêmes partout. Vous voulez dire qu’il existe des régions où les irrigants sont moins contestés ? D.M. Non. Même avec une abondance apparente dans les nappes, des conflits d’usage existent. Le changement climatique est tel qu’il y a des pluies importantes quand on n’en a pas besoin, mais moins d’orages en été. Il faudrait pouvoir stocker l’eau qui tombe l’hiver pour l’avoir à disposition l’été. C’est un travail qui est en train de se réaliser. Et cela à plusieurs niveaux. Pas seulement celui du stockage. A propos du changement climatique, comment réagissent les plantes ? D.M. Mon père faisait ses premiers semis le 5 mai, moi c’est le 5 avril, et peut-être que mon fils ce sera le 5 mars. Avec ces semis plus précoces, on peut gagner jusqu’à deux tours d’eau, la plante ayant plus de temps pour se développer et étant plus forte pour supporter le stress hydrique.
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Le stockage de l’eau est-il réellement la meilleure solution ? D.M. Pour préserver nos capacités de production, oui. Nous avions demandé à pouvoir stocker 300 à 400 millions de m3 d’eau. Le projet a été adopté sur 40 millions de m3 : on est loin du compte, mais en même temps, il faut bien commencer. 150 millions de m3 supplémentaires pourraient être stockés, s’il n’y avait de multiples contraintes administratives avant d’aboutir. Nous sommes conscients des règles à suivre. On nous demande de respecter le visuel, les zones humides, des compensations environnementales de plus en plus draconiennes. D’aller récréer jusqu’à 5 fois la zone humide qu’on est sensés détruire avec notre retenue. Pourtant, on peut aménager les bordures, participer réellement à l’environnement tout en obtenant nos retenues. Mais les financements (Ndlr : agences de l’eau, ou européens) sont de plus en plus soumis à des normes strictes.
«
Le maïs est une plante extraordinaire ! Esthétiquement belle dans les champs, avec du potentiel.
En dehors du stockage, quelles sont vos autres possibilités ? D.M. Nous apprenons à bien définir les volumes dont nous avons besoin. A bien connaître la ressource. De façon à savoir ce que l’on peut utiliser : où, quand et combien. Nous nous améliorons aussi dans le matériel qui apporte l’eau : plus sophistiqué, il définit les doses exactes des besoins. L’addition reste salée : en argent (investissements techniques), en présence, en travail. Comment expliquez-vous que les irrigants soient parfois montrés du doigt ? D.M. On dirait qu’il existe comme une doctrine. A chaque fois qu’apparaît un problème d’utilisation de l’eau, c’est « on en profite pour limiter l’irrigation ». Alors que celle-ci nous est indispensable. Dans mon département, le blé non irrigué me donne 15 quintaux quand celui qui est irrigué m’en donne 85. Et nous ne faisons pas que du grain. Nous assumons aussi l’approvisionnement du bétail. En 2011, l’irrigation est venue à la rescousse de nombreux éleveurs.
AGPM
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GRAND TÉMOIN
Vous qui êtes maïsiculteur, comment définiriez-vous cette plante ? D.M. C’est une plante extraordinaire ! Esthétiquement belle dans les champs, avec du potentiel, elle est celle qui possède la meilleure efficience de l’eau. Et nous avons des débouchés avec le maïs, nous savons où nous allons. Bien sûr, la contrepartie est le besoin d’eau l’été. Mais le maïs n’est pas le seul dans ce cas. Les pommes de terre, des légumes, des fruits se réclament désormais de l’irrigation.
Vous avez parlé de régularité y compris économique, maintenant de débouchés. Les cultures irriguées vous rassurent-elles ? D.M. Elles nous permettent surtout d’assurer la régularité de la production par rapport aux besoins du monde. Ce faisant, naturellement, elles jouent un rôle contre la volatilité des cours, ce qui est loin d’être négligeable également. Parlez-nous d’Irrigants de France. Quelle est votre action ? D.M. Nous intervenons pour défendre les intérêts des irrigants à tous les échelons, par du lobbying jusqu’au gouvernement, mais aussi au niveau local. Des membres de notre bureau siègent dans les agences de l’eau ou dans les commissions locales de l’eau (CLE), et participent à la discussion en étant force de propositions. Vous avez donc un représentant dans chaque bassin d’eau en France (* voir en pages 6-7 les six bassins d’eau de la France). Quel est leur rôle ? Quelles problématiques rencontrez-vous ? D.M. Le rôle de nos représentants dans les bassins est de représenter les agriculteurs en tant qu’utilisateurs d’eau et donc l’irrigation comme un facteur essentiel à la production agricole et à l’économie locale. Dans de nombreuses instances locales de l’eau (comité de bassins, commissions locales de l’eau…), la profession agricole (et a fortiori les irrigants) est souvent sous-représentée. Toutefois, une gestion locale de l’eau,
Les productions irriguées Les éléments qui suivent sont issus de la plaquette de Irrigants de France, dont Daniel Martin est le président.
AGPM
dans un cadre national définissant les grands axes, est justifiée par le fonctionnement propre à chaque nappe. Certes la loi sur l’eau définit les grands axes, mais en pratique ceux-ci ne sont pas applicables uniformément à l’identique. Médiatiquement, c’est dans le sud-ouest que l’irrigation est la plus critiquée... D.M. Il y a une part d’injustice, car l’irrigation apporte non seulement son revenu à l’agriculteur, mais encore soutient l’emploi local. Qui plus est, quand une retenue est établie elle ne profite pas qu’au maïs, mais aussi à
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d’autres activités agricoles, légumières ou fruitières qui viennent se greffer dessus. Des producteurs de melons ou d’asperges n’auraient pas les moyens de mettre en place une retenue tout seuls. Que pensez-vous d’une anticipation au réchauffement climatique qui consisterait à cultiver du sorgho plutôt que du maïs ? D.M. Il faudrait déjà créer un marché pour le sorgho afin d’assurer des débouchés pérennes avant de vouloir
69 des 102 départements français ont une surface irriguée significative (5,7 % de la SAU nationale est irriguée). L’irrigation concerne de nombreuses productions : • Pomme de terre : 22 % des exploitations et 36 % de la surface. • Maïs : 27 % de la surface. • Vergers et petits fruits : 70 % des exploitations et 85 % de la superficie arboricole. L’irrigation très contrôlée (essentiellement du goutte-à-goutte) est indispensable pour produire des fruits correspondant aux normes du marché et aux attentes du consommateur. • Légumes frais : 86 % des exploitations et 80 % de la surface. L’irrigation des légumes a lieu au moins une fois par cycle de production et parfois pendant toute sa durée. En horticulture, un arrêt total de l’irrigation entraîne la mort du végétal. L’irrigation est obligatoire pour certaines cultures de semences (betteraves ou potagères) pour assurer un approvisionnement en semences de qualité.
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GRAND TÉMOIN
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Nous nous améliorons dans les parcours agronomiques et dans le matériel. L’addition reste salée : en argent (investissements techniques), en présence, en travail.
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le cultiver. Aujourd’hui la viabilité économique de cette culture est loin d’être assurée. Les rendements ne sont pas toujours au rendez-vous et des difficultés concrètes liées au désherbage existent. Le Grenelle de l’environnement prévoit, à l’échéance de 2020, que tous les usagers quels
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AGPM
qu’ils soient aient diminué leur consommation d’eau de 20 %. Comment cela peut-il se passer pour l’irrigation en agriculture ? D.M. Pourquoi pas, à condition de prendre en compte les progrès réalisés par les irrigants (en investissant dans du matériel qui calcule les mesures d’eau), et les moyennes sur l’ensemble des parcours agronomiques. L’économie de 20 %, nous y arrivons naturellement. Peutêtre plus sûrement sur certains sols que sur d’autres, et plus facilement certaines années que d’autres. Mais en moyenne, je n’ai aucun doute, nous serons cohérents avec cet objectif. Et avant tout par notre conduite je dirais à la fois économique et citoyenne. Nous ne gâchons pas l’eau parce que nous la payons. Nous
ne voulons pas aller au-delà des possibilités des nappes parce que nous voulons encore irriguer demain. C’est donc dans notre intérêt, et avec responsabilité, que nous contribuons à l’effort général pour économiser la ressource. Très franchement, nous pourrions adopter une autre attitude, les surfaces irriguées ont diminué de 14 000 hectares dans la région Rhône-Alpes, donc rien qu’avec cette chute des surfaces notre production a déjà baissé de plus de 20 % ici. Mais c’est par la participation et notre volontarisme que nous parviendrons aux objectifs, pas en jouant les fortes têtes, n’en déplaise à nos détracteurs. Propos recueillis par Antoine Jeandey
«
On dirait qu’il existe comme une doctrine. A chaque fois qu’apparaît un problème d’utilisation de l’eau, c’est « on en profite pour limiter l’irrigation ».
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THÉMA
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L’irrigation ne manque pas de ressources Les sources du malentendu Lors de l’été 2005, le président de l’association de consommateurs UFC Que Choisir avait pointé du doigt la carte de France de la sécheresse, puis celle des cultures de maïs irrigué, avait constaté que les deux étaient superposables, et avait conclu que la culture du maïs était à l’origine des pénuries d’eau. Un raccourci surprenant, que les agriculteurs s’étaient empressés à l’époque de contester, mais le mal était fait, le doute s’était instillé dans l’inconscient populaire. Cette attaque n’est évidemment pas la seule qu’ont dû subir les prod ucteurs utilisant l’irrigation, mais venant d’une association de fait populaire, elle faisait mal. D’une manière générale, l’arrosage de la plante en période de restriction est toujours très mal perçu, tout simplement parce qu’il est visible. Personne ne voit si son voisin continue à prendre deux douches par jour là on lui demande de se limiter à une,
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ni l’utilisation de l’eau que peuvent avoir les industriels. En revanche, l’arrosage d’un champ, lui, est visible. Donc, de fait, c’est devenu quasi systématique, à chaque fois qu’il faut compter les disponibilités en eau, l’agriculteur est montré du doigt. C’est médiatique, c’est populaire, c’est aussi décisionnel : ce comportement ainsi généralisé finit par influencer les décideurs qui, lorsqu’ils doivent partager une ressource amoindrie, arbitrent le plus souvent en défaveur de l’irrigant. La concurrence entre les utilisateurs de l’eau En termes de consommation annuelle d’eau, l’agriculture arrive finalement derrière l’hydrologie, l’utilisation domestique ou la reconstitution de la ressource, et de peu devant l’industrie. Pour autant, des problèmes de conflit d’usage sont régulièrement posés, mais à une période précise et en des lieux précis. L’agriculture a
besoin d’eau l’été, et sur cette seule période, elle devient le plus grand utilisateur. A chaque sécheresse, elle est de fait la première victime. Ensuite, toutes les régions n’ont pas le même taux d’irrigation dans leurs cultures. Entre 1 % en Lorraine à presque 80 % en Poitou-Charentes, les différences sont énormes, et donc les conflits d’usage ressentis différemment. Enfin, les détracteurs de l’irrigation ont un argument réel : si l’hydrologie consomme près de 44 % de l’eau (les deux chiffres fournis ici concernent l’ensemble de l’Europe), elle en rejette presque la totalité, alors qu’a contrario seul un tiers des 24 % de la consommation agricole est rejeté. Nous mangeons l’eau plus que nous ne la buvons Le saviez-vous ? Les aliments que nous consommons contiennent entre 35 et 90 % d’eau. A cela il faut
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THEMA
ajouter l’eau qu’il faut pour nourrir les bêtes à viande. Pas seulement pour les abreuver, mais pour les nourrir, puisque leur fourrage vient de plantes. Les arguments en faveur de l’irrigation dans la production agricole L’irrigation est un moyen naturel et sain d’augmenter les rendements et de stabiliser les productions. D’après notre grand témoin Daniel Martin, ces rendements sont de 5 à 6 fois supérieurs en faveur d’une parcelle irriguée par rapport à une autre qui ne l’est pas. Dans le n°1 de WikiAgri
pects sont-ils insuffisamment portés à la connaissance du grand public. Enfin, autre argument en faveur de l’irrigation, le fait qu’elle stabilise les productions en fait une arme contre la spéculation et les effets de yoyo des prix agricoles. Les implications du changement climatique Plus d’eau qui tombe l’hiver, moins de pluies orageuses l’été, avec un ré c h a u ffe m e n t g lo b a l e t d e s « anormalités climatiques » de plus en plus fréquentes. Voilà ce à quoi doivent faire face tous les agriculteurs, et en particulier les irrigants. Il s’agit donc de se creuser la tête pour ne pas être en pénurie l’été. La possibilité avancée le plus souvent aujourd’hui consiste à creuser, mais le sol cette fois, en créant ce que l’on appelle des retenues collinaires, donc des réserves d’eau aptes à se remplir l’hiver pour être utilisées l’été. Si un plan existe pour la création de ces retenues, il n’est suivi que partiellement pour l’instant : trop de formalités à remplir selon Daniel Martin, mais aussi des réticences du lobby environnemental, que ne cache pas notre autre interviewé, de la rubrique « oui mais » (page 22), Sébastien Treyer. Les efforts des producteurs sur les gains d’eau dans le parcours agronomique ou grâce à leurs équipements n’en ont que plus de signification.
« A l’échelle cosmique, l’eau liquide est plus rare que l’or. » Hubert Reeves Magazine, nous avions vu qu’il est aujourd’hui indispensable de penser à produire plus dans l’optique d’une société qui compterait plus de 9 milliards d’humains à nourrir en 2050. Dans ces conditions, l’irrigation, en tant que facteur de ce « produire plus », ne peut être abandonnée. D’autant que le comportement des agriculteurs est devenu exemplaire. Victimes de la crise, ils sont les premiers à vouloir économiser une ressource qu’ils chérissent. Ils étudient au plus près leurs plantes pour les arroser quand elles en ont besoin, mais pas plus. Ils s’équipent en différentes technologies et logiciels pour mieux connaître le taux d’humidité de leurs sols. Ils investissent dans la performance de leur irrigation. Sans doute ces derniers as-
Les axes de la recherche La recherche ayant trait à l’irrigation part dans deux directions essentielles. D’une part, la résistance au stress hydrique, à la sécheresse.
La sécheresse, un fléau combattu par l’irrigation.
AJ
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Vous pouvez lire page 24 le témoignage de l’un de nos internautes sur le sujet. Des essais existent depuis 10 ans dans son secteur, en Charente. D’autre part sur la résistance… Au froid ! Aussi abscons au premier abord que cela puisse paraître, une plante résistante au froid présente un grand intérêt par rapport à l’irrigation : elle peut être plantée plus tôt, aura donc développé des racines plus importantes quand viendra la sécheresse, et sera donc plus à même d’aller puiser l’eau du sol : la résistance au gel d’hiver permet donc d’économiser de l’eau l’été. Ces recherches sont en cours. De l’alternative contestée au compagnon de cultures : du sorgho à la luzerne Vous lirez page 22 l’alternative au maïs irrigué proposée par Sébastien Treyer : le sorgho. Il sait la plante plus résistante au stress hydrique, et pense qu’il doit être possible d’anticiper le réchauffement climatique avec sa culture. Pour autant, les arguments contre existent aussi : Daniel Martin balaye d’un revers de main cette possibilité en s’interrogeant sur les débouchés économiques de la culture, inexistantes aujourd’hui selon lui. Une autre plante fait parler, la luzerne. Mais cette fois pas en concurrent ou alternative. La luzerne est à considérer comme un compagnon de cultures. Plus précisément, elle trouve sa place dans les rotations en grandes cultures. Semée après une orge d’hiver, elle présente l’avantage d’éviter de laisser le sol à nu trop longtemps. Par rapport à la gestion de l’eau, la luzerne est considérée comme une plante épuratrice, capable de préserver la qualité de la ressource en eau. Communication : et pourquoi pas La Nuit Verte ? Tous les producteurs savent que l’irrigation est mal vue, mal comprise, pour les raisons exposées plus tôt dans cet article. Des arguments en sa faveur existent pourtant, la question est : comment les faire valoir ? La première réponse qui vient à l’esprit est déjà qu’il ne faut pas avoir peur de son ombre : les agriculteurs sont des chefs d’entreprise, responsables, mais ont souvent tendance à éviter le problème lorsqu’il s’agit de se mêler à la lutte pour conquérir l’opinion publique. La raison, on la connaît : ils ont pris trop de coups sur ce plan-là pour avoir envie d’y
L’affiche de La Nuit Verte, une opération de communication agricole sur le thème de l’eau.
retourner. Mais il existe pourtant une manière de parvenir au but : la communication « positive ». Si l’agriculteur monte au créneau pour se défendre, il subit un tir croisé et finit par être écœuré. En revanche, s’il vient apporter de la joie, de la bonne humeur tout en diffusant son message, il peut être entendu. Dans cet ordre d’idée, Philippe Meurs (qui fut président national du syndicat des Jeunes agriculteurs de 2006 à 2008 et qui aujourd’hui est responsable au sein de la FNSEA du nord bassin parisien) lance une opération
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de communication sur Paris qui réunit a priori tous les ingrédients : attractivité (pour les visiteurs) et message (pour les organisateurs). Cette opération s’appelle La Nuit Verte, sa première édition est programmée pour le vendredi 13 avril 2012 et aura justement pour thème l’eau, et son utilisation dans l’agriculture. Pour les visiteurs, il s’agira d’avoir tous les éléments pour faire la fête cette nuit-là du côté de Trocadéro. Au passage, selon la brochure vantant l’événement, « 12 escales invitent le grand public, les politiques et les médias à découvrir le lien vital entre l’agriculture et l’eau à travers des animations pédagogiques et des oasis points-rencontres partenaires ». Bars, animations et jeux divers sont mêlés aux messages disséminés par les agriculteurs. Est-ce la bonne méthode ? Ça vaut le coup d’essayer en tout cas. Cette opération, La Nuit Verte, est appelée à se renouveler tous les
deux ans, à chaque fois sur un thème nouveau. L’échéance de 2020 Quel avenir peuvent espérer les producteurs irrigants ? Ils devront déjà faire face à une échéance, fixée par le Grenelle de l’environnement : en 2020, tous les usagers de l’eau, quels qu’ils soient, devront avoir économisé 20 % de leur consommation d’eau. Pour les agriculteurs utilisant l’irrigation, cet objectif ne semble pas insurmontable. Car ils sont déjà sur la bonne voie, celle de la recherche de l’économie en eau. Que ce soit par leur comportement, par les progrès techniques ou scientifiques, cette échéance ne représente a priori pas pour eux une menace mais, comme le souligne Daniel Martin, un engagement citoyen. Il s’agira juste d’être vigilant sur les modes de calcul de cet engagement. Antoine Jeandey
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IRRIGATION
> Reportage dans la nappe de Beauce
« Je veux continuer à irriguer dans 30 ans » En Eure-et-Loir, à moins de 10 kilomètres d’un village qui se réclame du centre de la Beauce, Thibault Tourne, jeune agriculteur installé depuis 2008, a appris à gérer l’irrigation dans sa particularité propre à l’utilisation de la nappe de Beauce. Il livre son expérience, et ses sentiments.
E
Sur une parcelle voisine, le pivot fait partie du paysage de la Beauce.
n allant sur l’exploitation de Thibault Tourne, le panneau « centre de la Beauce » orne l’entrée au village voisin du sien. Dans le sud de l’Eure-et-Loir, à Orgères-en-Beauce, les agriculteurs sont au centre, aussi, de l’utilisation des eaux de la nappe de Beauce. Parmi eux, Thibault Tourne, 33 ans, installé depuis 2008 en individuel sur 100 hectares, avec principalement des céréales (maïs et blé), mais aussi 10 % de betteraves éthanol et 5 % de pommes de terre. Il partage les moyens de production avec son frère. « Dans la Beauce, explique-t-il, l’irrigation s’est développée dans les années 70, et a permis de maintenir un revenu malgré les aléas climatiques. Les producteurs devaient composer avec une terre
argilo-calcaire peu profonde, pas vraiment idéale, d’où la mise en place de l’irrigation. Plusieurs activités se sont développées simultanément, industrielles ou encore agricoles avec la production légumière. » L’irrigant (« ah non, ne m’appelez pas irrigant, mais producteur, je suis d’abord producteur », corriget-il) dépend donc de la gestion de la nappe de Beauce, dont il explique le fonctionnement général et la mise en pratique pour lui : « Quand je suis arrivé, la gestion de l’eau par l’agence Loire-Bretagne était déjà en place. Déjà, chaque département concerné par la nappe a mis en place un système différent. Pour l’Eureet-Loir, il est d’abord pris en compte une classification des terres de 1 à 5 (de très bonne à très mauvaise). Ce sont les communes qui décident du
Le producteur est habitué à manier l’enrouleur, qu’il faut déplacer au moins une fois par jour.
classement des terres. Un volume est alors attribué. Quelle que soit la production, c’est la qualité des terres qui prime – ce n’est pas le cas partout, par exemple dans le Loiret voisin, c’est l’historique des cultures de la ferme qui est pris en compte –. Ensuite, imaginez une échelle de 100. On vous accorde 100 unités comme base de fonctionnement. Depuis 2 ou 3 ans, on est passés à 80. Sur cette base de 80, il a été décidé qu’il n’y aurait plus de possibilité de report d’une année sur l’autre. Par exemple, une année où il pleut, si je n’utilise pas tout mon quota, je n’aurai pas plus d’eau pour autant l’année suivante. Ce changement en soi n’est pas neutre, on a perdu 20 % d’eau de report de l’année précédente, il a donc fallu revoir pas mal d’aspects dans l’exploitation. Donc reprenons, nous avons donc une base de 80. Mais il s’agit en fait du maximum que l’on peut percevoir. Le volume d’eau attribué est dégressif en fonction du niveau de la hauteur de la nappe de Beauce. »
Des restrictions qui s’additionnent
AJ
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En sachant que la nappe ne se remplit que par les pluies et, ajoute Thibault Tourne, qu’il y a un trou au niveau de l’imperméabilité du sol et qu’une partie s’échappe dans la Loire. Thibault Tourne reprend sa démonstration : « Selon le débit et la période, le préfet de région peut prendre des arrêtés pour limiter les apports en eau. L’année
AJ
dernière par exemple, il a d’abord été interdit d’irriguer le dimanche, puis également le samedi, et on a failli aller jusqu’à un troisième jour. Le problème, c’est qu’il n’est techniquement pas possible pour nous d’arroser plus les jours autorisés pour compenser : les débits de nos pompes sont enregistrés, et il ne nous est plus possible de les modifier sans autorisations particulières, que l’on n’obtient pas de toute façon. Donc, vous voyez, sur notre échelle à l’origine de 100, on est passé à 80, puis on enlève une partie en fonction de la hauteur de la nappe, et sur ce qui reste, on a perdu l’année dernière deux 7es du volume. Et avec ça, il faut qu’on arrive à produire… » C’est là qu’entre en jeu toute une stratégie de production dont la vertu première est l’adaptabilité aux circonstances. « Avec la chambre d’agriculture et différents organismes, nous avons des logiciels d’irrigation qui nous permettent de mesurer au plus juste l’apport précis dont ont besoin les plantes. Pour schématiser, quand une plante a 80 cm de racines, le volume d’eau qui les entoure est plus important qu’à 40 cm. Avec une station météo et d’autres équipements, on peut décider de la culture à arroser en fonction de la consommation de la plante. En fait, nous pouvons calculer le taux d’humidité de la terre. Nos appareils nous permettent d’entrer en action – d’arroser donc – avant que le seuil critique de la plante ne soit atteint. C’est très précis. Tous les agriculteurs de la Beauce se servent d’un système de gestion de
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Concernant ses propres terres, Thibault Tourne a été amené à faire des choix : « L’année dernière, quand il y a eu des restrictions, j’ai décidé de moins arroser le blé. Ce qui correspond normalement à une perte de rendement. Là, j’envisage d’introduire du tournesol sur ma ferme, car il est moins consommateur en eau. » Pour autant, il ne faut pas croire que Thibault Tourne se plaigne de quoi que ce soit. Cette gestion compliquée et astreignante, il AJ l’assume pleinement. « La nappe de Beauce permet tant l’alimentation humaine, l’approvisionnement industriel que l’usage agricole. Partager la ressource sans la gâcher, et bien sûr la préserver, je suis totalement pour. Je suis installé depuis peu, j’ai encore pas mal d’années devant moi, je veux pouvoir continuer à irriguer dans 30 ans. Je veux vivre de mon métier,
Antoine Jeandey
AJ
Une fois l’enrouleur en place, il faut programmer son fonctionnement.
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« Parfois je me demande « Quelle culture sacrifier ? » »
j’y tiens. Alors, à l’extrême, il arrive que je me pose la question : quelle culture sacrifier quand les conditions climatiques deviennent défavorables ? Autrement dit : où est-ce que je décide de perdre de l’argent ? D’où l’implantation d’un peu de colza, et maintenant de tournesol, qu’il est possible de moins arroser. » En termes de matériels, en tant qu’installé récent, Thibault Tourne est allé à l’essentiel. « J’ai des enrouleurs. C’est souple, ça peut être déplacé sur n’importe quelle parcelle du moment qu’on a un raccordement à l’alimentation. Le problème est qu’il faut le déplacer une à deux fois par jour. Le matin, je sais quand je commence, jamais quand je vais terminer. Si jamais une canalisation explose, il faut agir rapidement. Pas question de gâcher l’eau. Déjà économiquement. L’eau, je la paye, elle doit servir mes cultures, rien d’autre. » A peine plus loin, sur les parcelles de ses collègues et voisins, les pivots semblent faire partie intégrante du paysage de la Beauce. Moins de main-d’œuvre pour eux que pour le jeune installé, mais toujours le même souci de raisonner les tours d’eau.
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la nappe. Celui-ci peut être plus ou moins sophistiqué – le top ce sont les sondes tensiométriques reliées à un GPS – mais de toutes façons tout le monde doit être techniquement équipé, c’est indispensable. »
Nappe de Beauce, les bases du fonCtionnement C’est en 1990 qu’une grande sécheresse a mis en lumière l’obligation da la mise en place d’une organisation pour gérer l’utilisation de l’eau issue de la nappe de Beauce. Cette organisation a pris plusieurs formes, une charte a été rédigée en 1995 et suivie jusqu’en 1998 ; le Sage (schéma d’aménagement et de gestion des eaux) de la nappe de Beauce, élaboré depuis 2000, détermine désormais les modalités de la gestion quantitative de la nappe. Ainsi, tout est calculé au plus près. Chaque utilisateur (et notamment les agriculteurs qui irriguent) sait de quel contingent d’eau il peut disposer. Et ces quantités sont révisées au fur et à mesure des évolutions climatiques et pluviométriques. L’objectif est de faire en sorte que la nappe n’atteigne jamais de niveau critique, qu’elle puisse se reconstituer, et donc durer. Il y a de l’eau, on peut l’utiliser, à condition de le faire intelligemment et dans la concertation entre les besoins exprimés et les capacités hydriques. Pour y parvenir, il faut une autorité, c’est le Sage qui l’endosse depuis septembre 2010, doté ainsi d’une valeur juridique (l’avis de l’Agence de l’eau Loire-Bretagne, s’il est souvent suivi, est à la base consultatif). Les producteurs utilisant l’irrigation reçoivent donc des consignes, et peuvent même anticiper grâce à plusieurs adresses internet (par exemple : http://www. donnees.centre.developpement-durable.gouv.fr/nappe_de_beauce.htm).
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IRRIGATION > Reportage en Aveyron
Un réservoir au milieu des vaches Dans l’Aveyron, des éleveurs ont fait pousser un lac pour assurer et sécuriser leur autonomie fourragère. Mais ils ont fait beaucoup plus que de transformer de l’eau en lait.
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n Aveyron comme partout ailleurs, après la pluie vient le beau temps, et inversement. Les surfaces toujours en herbe, qui représentent 44 % de la surface agricole utile du département, s’en accommodent. Et les éleveurs avec. Neuf agriculteurs sur dix élèvent ou des bovins ou des ovins, ou lait ou viande. Les vendeurs de canons enrouleurs passent leur chemin. Merci le pont de Millau. Irrigation zéro. Ce n’est pas le slogan d’une quelconque association « anti » mais la réalité. Mais quand, tous les trois, quatre, cinq ans, ça gueule dans les étables et les bergeries, ça se jette sur les routes pour acheter du fourrage, ça liquide des animaux prématurément, ça fait… Fatalité ? Non, a décrété un groupe d’éleveurs dans le secteur de Luc-la-Primaube, à quelques encablures de Rodez (Aveyron).
Le lac n’est pas seulement utile, il embellit le paysage.
d’eau du département, d’une capacité de 450 000 m3, couvrant un peu plus de 10 ha, gérée par 16 éleveurs réunis dans une Asa, l’Association syndicale autorisée d’irrigation de Luc-la-Primaube.
Petit ruisseau pas tranquille La création du plan d’eau n’a pas été un long fleuve tranquille (lire l’encadré). Peu importe. En 2012, huit ans après sa mise en service, toutes les parties sont satisfaites, à commencer par les éleveurs. « Ce plan d’eau est et restera le meilleur investissement que mon exploitation n’a jamais réalisé , affirme Benoît Vieilledent, éleveur de bovins laitiers et président de l’Asa. Il est important de souligner que l’irrigation telle que nous la
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Au milieu des années 80, ils sont quelques-uns à réfléchir à la création de lacs individuels. Le relief aveyronnais se prête à la création de retenues d’eau, que la pluviométrie est à même d’alimenter, sans rien retirer aux autres usagers. Un aménagement routier, synonyme de réaménagement foncier, donne le prétexte à réfléchir collectivement. Et c’est ainsi que va pousser une des plus grosses, sinon la plus retenue
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Les éleveurs ont suivi des formations pour valoriser au mieux leur ressource en eau.
pratiquons n’a rien à voir avec une RL quelconque intensification de nos productions. L’herbe reste une ressource fourragère première dans nos exploitations. L’irrigation est une irrigation de complément, qui nous assure bon an mal un rendement de 16 à 17 t/ha de matière sèche en maïs ensilage, ce qui garantit l’alimentation de nos troupeaux, indépendamment ou presque des aléas climatiques. » L’ensilage de maïs pour rompre avec la monoculture d’herbe en quelque sorte, et l’irrigation au service du développement du territoire et non comme fossoyeur d’espaces et de ressources naturels. Les éleveurs non desservis par le réseau et qui tirent régulièrement la langue en savent quelque chose. Lorsque le projet a émergé il y a 20 ans, il fallait y croire et s’engager financièrement et lourdement pour de longues années.
Un réservoir au long cours Vingt ans : c’est le délai qui sera écoulé entre la réflexion de départ et la première campagne d’irrigation. En 1985 sort un projet de passage en deux fois deux voies de la RN 88 entre Rodez (Aveyron) et Baraqueville. Luc-la-Primaube est sur le tracé. Qui dit bitume dit emprise foncière. Les agriculteurs lâchent des terres moyennant la création d’un plan d’eau collectif. Entre l’enquête publique, les revirements politiques locaux, l’administration qui administre, les « anti » de tout poil et de tout bord qui font leur boulot d’« anti », le bouclage du financement, une bonne dizaine d’années s’écoule.
Benoît Vieilledent, président de l’Asa : « Le lac est sans conteste le meilleur investissement de mon exploitation ». DR
« Le projet de plan d’eau arrive peu de temps après la mise place des quotas laitiers, poursuit Benoît Vieilledent. La recherche de terres passe avant la question de l’eau. La retenue, pour peu qu’elle se remplisse, a un volume fixe. Le réseau enterré est lui aussi cadenassé, il n’est pas possible d’accueillir de nouveaux irrigants. »
Un lac qui crée des ponts Chaque associé bénéficie d’un volume de 1500 m3/ha, ce qui est loin d’être prolifique. Et du reste, certaines campagnes, les irrigants sont rationnés. Mais pendant ce temps, les annuités restent fixes. Pour gérer au mieux la ressource, les éleveurs ont suivi des formations car irrigation et Aveyron, c’était comme Mc Do et Millau, ça n’a pas toujours
rimé. L’Asa peut compter sur l’aide de la Compagnie d’aménagement des coteaux de Gascogne, impliquée dès le départ du projet en tant que maître d’œuvre et maître d’ouvrage, et qui continue d’encadrer les associés dans la gestion administrative et comptable du plan d’eau. « Actuellement, nous aidons l’Asa à obtenir une évolution du règlement d’eau, déclare Jean-Jacques Weber, chef de projet à la Compagnie d’aménagement des coteaux de Gascogne. Ce règlement, particulièrement sévère, s’est avéré inadapté au fil du temps. Plus que les irrigants, les obligations en matière d’étiage aboutissent à pénaliser les autres usagers du plan d’eau que sont les pêcheurs et les promeneurs. » Car le plan d’eau, dont la dimension paysagère est une réussite, se double d’une fonction structurante au plan urbanistique, en créant un pont (un paradoxe pour un lac) entre les bourgs de Luc et la Primaube, tout en prévenant les phénomènes excessifs d’extension urbaine.
Les travaux de construction du plan d’eau s’étalent entre 1999 et 2001, suivis de la construction du réseau d’irrigation. En 2004, les maïs ensilage reçoivent leurs premiers apports d’eau. En 2012, les éleveurs irriguent, les promeneurs se promènent, les pêcheurs pêchent, les caravanes passent sur la 2X2 voies…
construction du lac, il faut continuer de défendre son pré-carré pour ne pas risquer de faire passer, dans l’esprit des habitants, au fil des ans et de l’eau, l’irrigation au second plan (d’eau). La gestion d’une telle structure n’est pas une mince affaire. Outre les aspects administratifs et les risques financiers, il faut aussi gérer les risques sociaux. Seize éleveurs sont dans le même bateau, pour des décennies, descendants compris. On appelle cela une aventure humaine. A Luc-la-Primaube, ça vogue sans vague. « Irriguer ? Une formalité », conclut Benoît Vieilledent.
L’irrigation au second plan ?
RL DR
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Zone de loisirs, chemin piétonnier, réserve de pêche, chasse : le lac profite à de multiples usagers. « Nous en sommes les premiers satisfaits, note Benoît Vieilledent. C’est d’autant plus réjouissant que parmi les usagers actuels figurent certains opposants de la première heure à la construction du plan d’eau. Lorsque le niveau du lac baisse en été, pour cause d’arrosage, il nous faut rappeler que l’infrastructure est la propriété d’agriculteurs et que la première vocation du lac, c’est l’irrigation. » Bref, après avoir lutté pour la
Raphaël Lecocq
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Le lac sert de multiples usagers, au risque d’en faire oublier sa vocation première.
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IRRIGATION
«Pourquoi pas OUI MAIS...
«
du sorgho à la place du maïs ?
AJ
L’environnementaliste Sébastien Treyer expose un point de vue iconoclaste.
Sébastien Treyer est directeur des programmes à l’Iddri (institut du développement durable et des relations internationales), également vice-président du conseil scientifique du bassin Seine-Normandie chargé de la prospective et d’anticiper la politique de l’eau. Se définissant plus environnementaliste qu’agricole, il livre un point de vue iconoclaste sur l’irrigation.
Pouvez-vous définir les axes de vos recherches qui concernent la gestion de l’eau en agriculture ? S.T. En effet, je participe à des programmes de recherche d’innovation en matière d’agrobiologie. Je regarde les productions agricoles avec leurs écosystèmes, en tenant compte des bénéfices environnementaux dégagés. Pour l’irrigation, je constate que la solution la plus souvent retenue est la retenue collinaire. Or, ce n’est pas la seule possibilité. Des organisations innovantes, qui font travailler les agronomes et les écologues, permettent de bien assumer la gestion de l’eau à l’échelle de la parcelle. Je pense qu’il s’agit d’un champ à explorer : bien consommer déjà ce que les sols peuvent donner. Quelles réflexions l’évolution climatique vous inspire-t-elle ? S.T. Compte-tenu du financement des retenues hydrauliques, je pense qu’il faut penser au-delà de la construction d’infrastructures. Et réfléchir aussi à éviter d’aller acheter l’eau des barrages par exemple, car l’eau dont dispose ainsi EDF est vouée à faire de l’électricité en cas de pic de froid l’hiver. Il s’agit d’une réserve, mais pour un autre usage.
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De fait, EDF ne peut que la vendre, sans doute très cher pour des agriculteurs. Mieux faire face aux sécheresses, c’est aussi possible en allant plus loin dans l’agronomie, en remettant de la compréhension écologique dans les modes de production, et cela à l’échelle spatiale de plusieurs exploitations. Pour le sud-ouest de la France en particulier, quelle est votre opinion ? S.T. Peut-être y a-t-il une stratégie sur laquelle les producteurs peuvent s’attarder : remplacer le maïs irrigué par du sorgho, très économe en eau. Cela signifie diversifier les exploitations, aller jusqu’à changer les objectifs, accepter une forme de restructuration. Je donne modestement ce point de vue depuis mon bureau parisien, je ne suis pas un homme de terrain, je ne conteste pas qu’il puisse exister des difficultés de mise en pratique. Mais une expertise « sécheresse » de l’Inra posait cette question : est-ce qu’on ne peut pas remplacer le maïs par du sorgho ? Cela, pour anticiper le réchauffement climatique et des sécheresses à venir probablement de plus en plus fréquentes. Dans le sud-ouest en particulier, maintenir les écosystèmes tout
en répondant aux demandes en eau tant domestiques, hydroélectriques, industrielles, qu’agricoles, cela devient de plus en plus compliqué. Il va falloir faire des concessions. Et donc regarder de près ceux qui peuvent en faire. Vous allez vous faire des amis… S.T. Non, attendez, moi, je ne demande rien, j’essaye juste de réfléchir. Il existe, ou il va exister bientôt, un conflit d’usage de l’eau dans le sud-ouest. Ça, ce n’est pas moi qui le dis. Et il faut donc réfléchir à des solutions. Maintenant, les décisions se prennent à un autre niveau. Il faut une discussion collective, et la décision finale reviendra de toute façon aux agriculteurs. Je pose juste le problème : entre les coûts de constructions des retenues collinaires, ou les coûts d’achat de l’eau dans les centrales hydrauliques le cas échéant, n’est-il pas plus rentable à terme de réfléchir dès à présent à une évolution des cultures ? Je pose le problème, ce n’est pas à moi d’y répondre. Propos recueillis par Antoine Jeandey
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IRRIGATION > TÉMOIGNAGES
Ils parlent de la gestion de l’eau
sur wikiagri.fr
WikiAgri est un pôle agricole multimédia. C’est-à-dire qu’il y a le magazine que vous avez entre les mains, mais aussi un site internet avec sa newsletter. Or, sur le site wikiagri.fr, l’un des forums concerne la gestion de l’eau. Paroles d’agriculteurs internautes
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ous êtes curieux, vous voulez allez voir par vous-même ? Rien n’est plus simple, voici l’url directe de ce forum http:// wikiagri.fr/topics/gestion-de-leau--irrigation/14. Mais maintenant que vous êtes lecteur du magazine, en voici quelques morceaux choisis. La question posée aux internautes est simple, ouverte, permettant à chacun d’aller où il veut : « Vous êtes irrigant. Quels sujets vous préoccupent ? ». Rien de plus, aucune direction donnée, de façon à vraiment laisser l’expression la plus ouverte possible.
Premier souci, les dotations en eau Première remarque, les interventions sont venues uniquement sur le sujet des dotations en eau. Le premier intervenant conteste le fait que le système de dotations mis au point dans la Beauce par plusieurs, irrigants compris, ne soit devenu, « sous la pression des écologistes » qu’un « simple quota annuel agrémenté d’interdictions le week-end ». Un autre agriculteur, de la Charente-Maritime, expose ses contraintes suite à arrêté préfectoral : il ne peut arroser que la nuit et ne connaissait pas, lorsqu’il s’est exprimé en date du 9 février, les quotas dont il pourrait bénéficier.
Des tests pour adapter les densités en fonction des volumes Pas très loin, en Charente cette fois, un témoignage fait part de la gestion locale de l’eau, avec des quotas accordés à la semaine, sans
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visible connaissance agronomique, ni prise en compte de la réserve utile en eau des sols – très faible dans ce secteur – ce qui fait que certaines cultures ont eu leur part d’eau bien trop tard. D’où des rendements jugés extrêmement faibles. Pour autant, cet agriculteur cherche à trouver des solutions qui vont au-delà de l’espoir d’une meilleure compréhension préfectorale. Je le cite : « Afin de trouver des solutions, nous menons des essais en condition stressante depuis une dizaine d’années pour tester les variétés et adapter les densités en fonction des volumes disponibles. Nous testons également l’influence d’un stress précoce, continue ou de fin de cycle. » Sur ces sujets, il se propose de répondre aux questions et d’échanger… A suivre sur le forum internet ! En un autre endroit du site, parmi les commentaires à un article d’actualité sur un sujet proche (url directe : http://wikiagri.fr/ articles/les-paysans-epuisent-lesgisements-deau-non-durables/41),
un intervenant du nord de la France cette fois estime : « Quand on entend les conseils de modération de consommation d’eau, même si le gâchis m’insupporte, il n’y a tout de même pas péril en la matière dans le nord de la France ». En résumé, on sent les agriculteurs sensibles sur la question de l’irrigation. Ils sont attachés à la fois à l’image qu’ils dégagent et à leur bon droit d’utilisateur. C’est à l’échelle locale que la gestion en eau s’organise, avec plus ou moins de bonheur. Souvent moins, en tout cas si on en juge par ceux qui sont intervenus. Deux façons de voir les choses alors : essayer d’optimiser ces fonctionnements locaux en demandant une plus prise en compte de leur opinion ; ou alors ne plus espérer de ce côté, et espérer alors des progrès dans la recherche qui autorisent une adaptabilité aux circonstances. Il semble clair que les deux axes méritent d’être creusés. A.J.
Du magazine au site internet Wikiagri.fr n’existe que depuis fin janvier 2012. Les premiers sujets des forums ont été créés par la rédaction, mais rapidement vous vous êtes emparés de l’outil pour aller vous-mêmes proposer vos problématiques. On passe du coq à l’âne, du technique à l’agronomique, du dégât de gibiers ou de corbeaux à l’agriculture de conservation, mais à l’arrivée, c’est finalement un très large éventail d’échanges qui s’est ouvert. Qui plus est, vous réagissez relativement souvent aux articles d’actualité, il est vrai écrits dans l’esprit de vous faire réagir. C’est un début encourageant pour ceux qui ont créé le site, et surtout, nous l’espérons, pour vous qui l’utilisez. Le site wikiagri.fr propose de vous emmener dans trois directions : les forums, l’actualité, et les salons Expert. Pour les forums, c’est simple, chaque personne inscrite est libre de répondre à l’un des sujets existants, ou de créer le siens, ou les siens (la seule limite étant celle du respect d’autrui). L’actualité est écrite par des journalistes professionnels d’une part (les mêmes que ceux qui vous proposent ce magazine), ainsi que par des spécialistes de l’analyse (des marchés, ou des situations climatiques par exemple). Les salons Expert sont là pour vous permettre de discuter directement avec les marques. Cette partie du site a commencé doucement, mais n’hésitez à vous y manifester, car chaque marque a dépêché un interlocuteur patenté pour vous répondre : vous ne serez pas déçu.
Newsletter et réseaux sociaux Par ailleurs, wikiagri.fr propose une newsletter deux fois par mois à tous ses membres qui consiste à la fois en une très large revue de presse (de province, institutionnelle, professionnelle) et en un commentaire de l’actualité, touchant de près ou de loin, aux niveaux mondiaux, européens, français et locaux, l’agriculture. Une astuce, vous pouvez retrouver et télécharger toutes les newsletters déjà envoyées en allant sur le site wikiagri.fr, dans le salon Expert de WikiAgri. Enfin, si vous êtes adepte des réseaux sociaux, sachez que WikiAgri a une page sur Facebook et est présent sur Twitter.
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IRRIGATION
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Brèves des champs Pilotage Les sondes en quatre dimensions Le démarrage ou l’arrêt de l’irrigation ne peuvent pas être facilement décrétés à grande échelle et les outils de mesure de l’humidité du sol à la parcelle ne fournissent souvent qu’une information parcellaire à une profondeur donnée.
Équipement Rampe ou canon ?
Puisque chaque sol dispose de sa propre dynamique en fonction de son type, des pratiques, de la matière organique, et de ses horizons, pourquoi ne pas mesurer cette dynamique de circulation de l’eau ? Y’a qu’à... C’est pourtant ce que rendent possible les sondes de mesure de l’humidité du sol en 3D, autrement dit à différents horizons. Et si l’on ajoute le facteur temps pour suivre la circulation de l’eau dans le temps, nous voilà en 4D.
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Le canon et son enrouleur font quasiment partie du patrimoine agricole français. Adaptable à toutes les parcelles, (relativement) facile à manipuler, souple à l’usage, rapide, économique à l’achat... Il a tous les airs d’un mariage de raison pour les irrigants et ce n’est pas par hasard si le couple canon-enrouleur revendique un hectare irrigué sur deux en France.
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Concrètement, chaque sonde se présente sous la forme d’un tube dans lequel plusieurs capteurs peuvent être placés à différentes profondeurs. Ces capteurs effectuent une mesure capacitive en émettant un champ électrique de haute fréquence qui va faire réagir les molécules d’eau sur un rayon de 25 centimètres. C’est cette réaction qui sera mesurée et qui fournira les données. Avec une à trois sondes par parcelle, en fonction de son hétérogénéité, il devient alors facile de tracer des courbes d’évolution de l’humidité et de les croiser avec la pluviométrie et les tours d’eau pour connaître la consommation exacte d’eau de la culture à chaque jour. En prenant les prévisions météo en compte, on peut déduire le nombre de jours de réserve dans le sol. De quoi passer de la navigation à vue à une véritable stratégie de gestion de l’eau, là où elle servira la culture.
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Mais si l’on y regarde de plus près, le canon est loin de l’optimum technique. La chambre régionale d’agriculture du Centre s’est d’ailleurs livrée à une synthèse passionnante sur le sujet : « Même si la conception des machines a bien progressé ces vingt dernières années, l’irrigation reste moyenne si l’on considère la logique d’économie d’eau : répartition transversale des canons aléatoire, apport d’eau brutal, et modulation de doses compliquée. En effet, les installations d’irrigation avec enrouleur sont dimensionnées pour répondre à un objectif technique – être capable d’apporter 3.5 à 4 mm/ jour – défini en cohérence avec la ressource en eau, les moyens humains et financiers de l’exploitation et les restrictions administratives. Moduler un apport pour s’adapter au besoin de la plante, revient à déséquilibrer le tour d’eau », résume-t-elle. D’où sa recommandation d’opter pour le pivot ou la rampe frontale. Malgré un investissement 5 fois supérieur, les économies d’eau (20 % à 25 %), de main-d’œuvre, d’énergie et la durée de vie assurent la rentabilité à long terme. Reste à résoudre les problèmes de morcellement des parcelles tarabiscotées...
Conduite Semer les céréales plus tôt ?
Pratiques Le sol, une éponge à cultiver Avec un travail du sol limité et une couverture permanente, l’agriculture de conservation est devenue une alternative courante aux techniques classiques et sans les oppositions dogmatiques qui peuvent agiter les débats sur d’autres modes de production... Une corde supplémentaire à son arc. Pour le producteur, c’est la structure du sol qui va souvent jouer le déclencheur : matière organique, portance et dynamique d’enracinement pour le côté positif, gestion des adventices pour le revers de la médaille. Et l’eau ? Avec un couvert, la réduction de la battance accroît la quantité d’eau infiltrée et réduit donc le ruissellement, mais surtout, elle améliore l’aération des sols. En terres « séchantes », ce phénomène allié à l’accroissement de matière organique conduit peu à peu à une augmentation de la réserve utile du sol : 1 point de MO en plus, c’est souvent 20 points de réserve en eau facilement utilisable (RFU) supplémentaires. Cette fonction n’est pas linéaire mais exponentielle : plus le volume de matière organique progresse, plus la capacité du sol à retenir l’eau augmente rapidement.
C’est la question que soulève Arvalis à l’analyse de l’année 2011 et de sa météo déroutante. Autant l’intérêt des semis précoces n’est plus à démontrer sur le maïs afin d’éloigner la floraison des périodes de stress hydrique, autant la prudence s’impose pour les céréales. D’un côté, il y a l’envie de décaler le cycle, d’avancer le remplissage du grain, de l’autre côté il y a le risque d’une levée trop précoce qui exposerait la plante aux gelées tardives. Pour Arvalis, la recherche du bon compromis ne peut être que locale et nécessite de revoir les références historiques des dates de semis au regard du réchauffement observé. « On peut d’ores et déjà avancer que les semis tardifs sont plus exposés aux fins de cycles chaudes et éventuellement sèches qu’il y a 20 ou 30 ans, et nécessiteraient d’être avancés pour revenir à un niveau de risques climatiques moindre », préviennent les experts. Mais pas question pour autant de se caler sur la seule année 2011, sous peine de subir une année « normale ».
De nombreux autres facteurs entrent en action avec la limitation de l’évaporation d’une partie des réserves par le travail du sol de printemps, la « verticalisation » du profil qui permet une exploration plus profonde des racines et la conservation d’un mulch de résidus, voire d’un véritable paillage à la surface du sol afin de réduire l’évaporation pendant les deux premiers mois de végétation. Autant de raisons franchir le pas, là où la réserve utile est le principal facteur limitant. Fotolia
Pour les semis d’automne, un rapport d’expertise publié par l’Inra en 2006 livrait une conclusion sans appel : « La culture d’hiver semée tôt à l’automne ne présente pas d’avantage en terme d’esquive. » Ce serait donc sur les cultures de printemps que les marges de manœuvre seraient envisageables. « En conditions méditerranéennes semi-arides, le meilleur choix est généralement de privilégier l’esquive par des variétés à floraison précoce, alors qu’en conditions plus océaniques (à pluviométrie mieux répartie) la réduction de potentiel est probablement plus pénalisante que le risque de limitation sévère par le manque d’eau », résume l’Inra. Fotolia
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Rubrique écrite par Benjamin Masson
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Publi-Information
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IRRIGATION > BREVES DES CHAMPS
Qualité de l’eau
Variétés
Désherbage d’automne, entre risques et nécessité
OGM ou non, les progrès sont déjà là
Face à la montée des résistances, c’est souvent le désherbage d’automne qui apparait comme dernier (ou premier) recours. Certes les résultats peuvent paraître visuellement peu flatteurs au printemps, mais l’essentiel est là : l’infestation devient maîtrisable et la concurrence avec la culture passe sous contrôle. Problème, l’utilisation d’herbicides à proximité des périodes humides multiplie le risque de pollution des eaux. Les supporters du désherbage d’automne soutiendront, avec raison, qu’un bon programme bien raisonné et maîtrisé vaut mieux que la multiplication des rattrapages désespérés au printemps. Ses détracteurs pointeront du doigt les risques particulièrement marqués de contamination des eaux à l’automne.
Avec le maïs, chaque année les progrès de la sélection classique dans la tolérance au stress hydrique sont un peu plus visibles. Des essais multilocaux réalisés sur des hybrides développés Pioneer, entre 1953 et 2001, ont montré une augmentation constante des rendements de 189 kilogrammes par hectare et par an pour le maïs irrigué, et de 146 kilogrammes par hectare et par an lorsque les plantes sont cultivées en conditions de sécheresse modérée. D’une façon générale, la sensibilité au stress hydrique au moment de la floraison des génotypes les plus récents apparaît moins importante que celle observée pour les génotypes les plus anciens.
Pour les eaux de surface, les bandes enherbées apportent un début de réponse aux inquiétudes. Restent l’infiltration profonde et l’entraînement avec les eaux de drainage. Ce dernier point étant sans doute le plus crucial, d’où une réglementation serrée : pas d’isoproturon solo en parcelle drainée pendant la période d’écoulement des drains, une seule application par hectare et par an d’inhibiteurs de l’ALS (« sulfonylurées anti-graminées ») à l’exception des spécialités efficaces sur brome pour lesquelles deux applications sont possibles à moins de trois semaines d’intervalle. Attention également aux éventuelles restrictions spécifiques à chaque produit : bien lire les étiquettes (source : Arvalis).
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Deux variétés génétiquement modifiées sont aussi sur les starting-blocks aux USA. En Afrique, la question est encore plus épineuse et les expérimentations en cours inspireront peut-être un jour le vieux continent : le Cimmyt, l’Institut international de l’agriculture tropicale, et des semenciers privés ont collaboré pour évaluer, puis diffuser des variétés développées au sein de ces instituts. Selon la fondation FARM, la plus prometteuse de ces nouvelles variétés de maïs tolérantes à la sécheresse, ZM521, est maintenant cultivée sur plus d’un million d’hectares en Afrique du Sud et de l’Est. Avec le financement, par la Fondation Bill et Melinda Gates, le projet Drought Tolerant Maize for Africa (DTMA) a pour objectif de créer, d’ici cinq ou dix ans, une collection de lignées de maïs tolérantes à la sécheresse. Objectif : une augmentation de rendement de 20 à 30 % par rapport aux moyennes actuelles des agricultures peu intensifiées (1 tonne à 1,5 tonne par hectare).
Vu du ciel La mémoire (courte) de l’eau D’un côté, une population qui remplace sa baignoire par une douche, qui installe des économiseurs d’eau, qui place une brique dans le réservoir des toilettes pour, au bout du compte, grappiller une centaine de litres d’eau par foyer et par jour. De l’autre nous avons des agriculteurs qui « gaspillent » des centaines de mètres cubes sous le nez des passants juste parce qu’ils s’accrochent à des cultures qui « ont besoin d’eau ». Dans le débat démocratique et la hiérarchie des valeurs, l’eau agricole n’aura jamais la priorité sur l’approvisionnement des villes, le refroidissement des centrales ou le débit d’étiage. Au moment de partager la pénurie, à qui couper le robinet ? Fotolia
Goutte-à-goutte Une idée à creuser ou à enterrer ? En maraichage ou en arboriculture, le choix de la micro irrigation est devenu une évidence. Mais la solution serait-elle envisageable, intéressante et rentable sur des centaines d’hectares labourés ? C’est ce qu’a tenté de savoir l’IRSTEA (ex Cemagref) en testant depuis 2007 un goutte-à-goutte enterré (afin de permettre le passage des engins) sur blé, orge et maïs.
Il faut se débrouiller avec cette incompréhension, l’admettre et tenter de donner tort à ceux qui jugent sans savoir. Supprimer le maïs irrigué, puisque c’est souvent lui sur lequel les conflits se focalisent, c’est mettre la production de viande sur la paille... Qu’est-ce qu’on mange à la cantine ? OK, mais comment faisait-on avant, vous rétorquera-t-on ? Il faut avoir le courage d’admettre que l’on ne faisait pas, tout simplement. La viande était un mets d’exception, la protéine était réservée aux jours de fête et il n’en avait pas pour les 40 millions de français que comptait le pays en 1945. De la fourche à la fourchette, un steak de 100 grammes demande trois baignoires pleines... Au consommateur de s’en rendre compte. Du côté du producteur, il faut aussi reconnaître que de vastes économies sont possibles ; des économies coûteuses mais inévitables. D’ailleurs, il s’y emploie déjà.
Première conclusion, les économies d’eau sont bien réelles mais limitées : passer de l’aspersion à un goutte-à-goutte de surface permet d’économiser 15 % d’eau avec une économie supplémentaire de 10 % pour le goutte-à-goutte enterré. Depuis plus de 15 ans, la société Netafim USA propose aux maïsiculteurs américains du goutte-à-goutte enterré pour irriguer leur culture de maïs. Plus de 5000 ha sont annuellement installés aux Etats-Unis. La société tente d’adapter cette solution technique au contexte français et d’élargir son marché aux céréales et oléagineux. Enterrés à 40 cm, les tuyaux pourraient être posés à raison de 4 à 6 ha par jour pour une durée de vie de 20 ans, selon Netafim. Au delà de l’économie d’eau et d’énergie pour les pompes, le positionnement des goutteurs au cœur du profil racinaire de la culture, permet aussi d’optimiser la fertilisation et de réduire les risques de maladies puisque le feuillage reste sec. A cela, il faut ajouter un gain de temps année après année puisque tout l’équipement est déjà en place. Reste, selon la chambre d’agriculture du Centre, un coût de mise en place supérieur de 40 % à une installation classique et d’éventuels problèmes liés au bouchage des goutteurs dans le cas d’eaux calcaires. A suivre.
Rubrique écrite par Benjamin Masson
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MOTEUR
> IRRIGATION
Quand le goutte-à-goutte s’enterre u
Comparé à l’aspersion, le goutte-à- goutte enterré permet d’économiser 10 à 25 % d’eau. La technique se terre dans les maïs. Ou comment passer du pivot d’arrosage à l’arrosage du pivot racinaire.
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inis les canons à eau qui jettent l’eau par-dessus les maïs, débordent sur les voies de circulation, éclaboussent le pare-brise des automobilistes et inondent les écrans des téléspectateurs assoiffés de 20 heures ? Peut-être. Et autrement qu’en coupant purement et simplement le robinet. Comment ? En enfouissant entre les rangs de maïs des gaines en plastique à 30-40 cm de profondeur, avec des goutteurs disposés tous les 60 cm, diffusant l’équivalent de 1 litre d’eau par heure, avec une durée de vie estimée à 15 ans. Il faut le croire et sans rien voir puisque rien n’émerge du sol, pas même la trace d’un filet d’eau au pied des cultures. Comment les goutteurs ne se colmatent-ils pas au contact de la terre ? Comment les radicelles n’envahissent-elles pas les gaines enterrées ? Comment contrôle-t-on le bon fonctionnement de l’installation alors qu’aucun filet d’eau n’émerge de nulle part ?
particules fines lorsque l’on coupe l’alimentation en eau. Ces goutteurs anti-siphon réclament néanmoins des opérations de purge et de nettoyage des canalisations. Cellesci sont facilitées par la présence d’un collecteur aux deux extrémités des gaines enterrées, permettant d’évacuer et d’éliminer tous types de particules. Automatisé, l’entretien ne coûte rien, si ce n’est l’injection d’un peu d’acide citrique de temps à autre pour dissoudre les particules et mieux les évacuer. « En grandes cultures, nos installations de goutte-à-goutte enterré ont une durée de vie de 15 ans, voire davantage si l’entretien est réalisé régulièrement, déclare Loïc Debiolles, responsable des marchés agricoles chez Netafim. Elles se conçoivent évidemment en non labour, avec des écartements entre lignes compris entre 100
cm et 160 cm selon les cultures et les rotations envisagées par l’agriculteur. »
Moins d’eau et plus encore En fonction des types de sol, le fabricant estime entre 10 et 25 % l’économie induite par le goutte-àgoutte enterré, comparativement aux systèmes par aspersion. Le système renforce l’efficience des apports, en supprimant les phénomènes d’évaporation, de percolation et de dispersion hors de la cible. Les adventices sont automatiquement mis au régime sec tandis que l’atmosphère est moins propice aux parasites. Côté rendement, à apport racinaire équivalent, le goutte-à-goutte enterré ne peut théoriquement revendiquer des performances
Du pivot d’irrigation au pivot racinaire La technologie est développée et promue par Netafim, un spécialiste du goutte-à-goutte et de la microaspersion pour l’arboriculture, les cultures sous serre et les grandes cultures. Le fabricant développe cette technologie depuis 20 ans en Israël et essaime dans de nombreux pays. Le savoir-faire technologique se situe au niveau des goutteurs, équipés d’un système antisiphon, pour éviter le phénomène de succion et l’aspiration de
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Netafim
Introduit en France sur maïs semence, le goutte-à-goutte enterré cible tous les maïs mais aussi les betteraves, la luzerne, etc.
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Un premier bilan entièrement positif
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L’installation des gaines entre 30 et 40 centimètres de profondeur se réalise au moyen d’une sous-soleuse adaptée.
supérieures. Sauf que des maïs qui biberonnent dès leur plus jeune âge de l’eau à portée de radicelles ne peuvent que bien démarrer leur (court) cycle de vie. Sans compter que la technique est aussi un formidable faire-valoir pour la « fertirrigation », avec là encore une efficience craignant peu la comparaison. A l’arrivée, les rendements progressent. C’est en tout le bilan d’une des toutes premières installations mises en service en France l’an passé. C’était chez un producteur et non dans un cadre expérimental mais le goutte-àgoutte enterré cohabitait néanmoins avec du goutte-à-goutte de surface et de l’irrigation par aspersion (lire l’encadré). Au niveau de la qualité des récoltes, des bénéfices ne sont pas à exclure, du fait de la régularité des apports d’eau.
La fin des tirs de canon ? Voilà pour les bénéfices. Evidemment, le coût des fournitures, des infrastructures et de l’entretien est synonyme d’investissement et d’amortissement, que relativise la durée de vie de l’installation, si le goutte-à-goutte tient effectivement ses promesses. A noter qu’il n’est pas à exclure quelques coups de bêche de temps à autre pour réparer une fuite, à condition de la détecter, ce qui suppose un peu de sens de l’observation. « Le recul dont nous disposons dans certains pays comme les Etats-Unis nous prouvent que le goutte-à-goutte enterré est rentable, poursuit Loïc Debiolles. Et dans le cas du maïs, il l’est bien en-
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tendu dans les parcelles destinées à la production de semences mais également pour tous les autres débouchés de l’espèce. » Pour revenir à la France, après une première installation l’an passé, Netafim fait part de nombreux projets d’installation qui pourraient totaliser environ 500 ha d’ici à la fin de l’année, en maïs, betteraves et autres espèces. On peut compter sur d’autres fabricants pour se lancer dans cette voie, avec la tombée prochaine dans le domaine public du brevet que détient Netafim avec son goutteur anti-siphon. Plus économe, plus efficient, le goutteà-goutte enterré est aussi plus discret. A supposer que la technique se développe, le retrait de canons d’arrosage marquerait-il la fin des tirs de canon sur l’arrosage ?
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Daniel Grosbois s’est jeté à l’eau l’an passé, en installant 2,4 ha de goutte-àgoutte enterré à Mazé (dans le Maineet-Loire, près d’Angers). La parcelle est dédiée à la production de semences de maïs. Le canon enrouleur reste largement utilisé sur l’exploitation. Malgré les aléas de mise en route, le producteur est satisfait du système mais se veut prudent.
« Les rendements sont supérieurs, l’économie d’eau est perceptible, les parcelles sont nettement plus propres, la tenue de tige est améliorée et le gain de temps révolutionnaire, énonce Daniel Grosbois. Cette année, je vais ressemer du maïs semence sur la parcelle et ce sera l’occasion de mesurer plus précisément tous ces indicateurs. Les gaines sont espacées d’un mètre et je compte bien tester le système sur de la luzerne. Si le goutte-à-goutte est fonctionnel plus de 15 ans, la rentabilité sera largement assurée. D’ici là, je pourrai étendre mon premier îlot. J’espère simplement ne pas avoir besoin de décompacter, mais je suis confiant. Vis-à-vis du voisinage et de notre image, cette technique est également très positive. »
Raphaël Lecocq Avec les doubles peignes latéraux, la station de filtration prévient les phénomènes de colmatage.
Netafim
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MOTEUR > IRRIGATION
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Du matériel de précision dan
L’efficience de l’irrigation offre des marges de manœuvre, de l’ordre de 20 %. Le « smart farming » qui intéresse aussi l’irrigation, devrait apporter de l’eau au moulin.
Les fabricants de systèmes d’irrigation affichent régulièrement leur nom dans les concours de l’innovation, tel Irrifrance au Sima 2011.
Volet énergétique
Irrifrance
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’irrigation rime-t-elle avec innovation ? La question peut se poser car l’irrigation rime avant tout avec discrétion. Le fait est que les fabricants spécialisés sont peu nombreux, ce qui limite leur visibilité. Le business de l’irrigation est relativement circonscrit et n’intéresse qu’une minorité de producteurs, qui plus est éparpillés dans des productions multiples et variées. Et pour finir, mais on aurait peut-être dû commencer par là, irrigation rime avec procès d’intention, d’où la discrétion. Et l’innovation alors ? Il n’y a qu’à se pencher un instant sur les palmarès (de l’innovation) du Sima pour s’en faire une petite idée. Lors de l’édition 2009, pas moins de quatre récompenses, sur un
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total de vingt-cinq, concernaient directement les équipements et outils d’aide à la décision attachés à l’irrigation. Une médaille d’or était ainsi attribuée à Comer Industries pour un système de pilotage par GPS et communication sans fil, applicable aux canons enrouleurs. Agralis Services recevait une citation pour des sondes racinaires mesurant en continu la teneur en eau et en éléments fertilisants. Même distinction pour Irrifrance et une solution informatique globale permettant de gérer à distance n’importe quel système d’irrigation (enrouleur, pivot, rampe, couverture intégrale). Enfin, Lindsay Europe était distingué pour un système de configuration et de contrôle total des pivots par internet.
En 2011, Irrifrance inscrivait de nouveau son nom au palmarès du Sima, récoltant une médaille d’or pour ses arroseurs I-Rotor, développés en partenariat avec le Cemagref, devenu depuis Irstea (institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture). Dotés d’un micro-moteur électrique, ces arroseurs économisent une partie de l’énergie hydraulique nécessaire au fonctionnement d’arroseurs traditionnels, ce qui améliore significativement le bilan énergétique de l’irrigation. Les constructeurs ne se contentent donc pas d’améliorer l’efficience de l’eau. « L’énergie est une composante indissociable de l’irrigation, souligne Bruno Molle, responsable du Laboratoire d’essais et de recherche sur les matériels d’irrigation (Lermi), au sein d’Irstea. L’équation est la suivante : les infrastructures les moins exigeantes en énergie, comme les pivots et les rampes, sont les plus coûteuses à l’investissement. A l’inverse, les matériels les plus légers, comme les canons enrouleurs, compensent leur conception basique par une consommation supérieure d’énergie, en l’occurrence d’énergie hydraulique. » Dans ces conditions, on ne sera pas surpris d’apprendre que le canon enrouleur, économe à l’achat, beaucoup moins en maind’œuvre, se déroule largement dans les parcelles. C’est aussi la solution idéale pour une irrigation de complément. L’attelage d’une rampe arrière diminue la sensibilité au vent et réduit significativement l’exigence de pression. La prédominance du canon enrouleur tend à baisser, au profit des pivots
ns les tuyaux
Irrigation géo-localisée
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ne sont pas négligeables, et pas seulement au plan quantitatif. « L’irrigation de précision est porteuse d’une économie d’eau de l’ordre de 15 à 20 %, déclare Bruno Molle. Mais le bilan global mériterait de prendre en compte des éléments qualitatifs, tels que le lessivage d’éléments fertilisants, que l’irrigation de précision doit contribuer à réduire. »
Le canon enrouleur gagne en précision avec l’attelage d’une rampe arrière, tout en exigeant moins de pression.
Raphaël Lecocq
Bruno Molle, ingénieur de recherche à Irstea : « l’irrigation de précision est porteuse d’une économie d’eau de l’ordre de 15 à 20 % ».
Irstea
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C’est en rapprochant les diffuseurs de leur cible que l’efficience de l’irrigation montera en puissance. Et en ce sens, les goutteurs enterrés biberonnant les radicelles des maïs et autres espèces, avec ce qu’il faut d’éléments minéraux, c’est en théorie le nec plus ultra. Mais la quête de précision n’est pas interdite avec les matériels en usage aujourd’hui. « Nos recherches actuelles s’orientent sur l’irrigation de précision à partir des pivots ou rampes frontales, poursuit Bruno Molle. Il s’agit, comme c’est le cas pour les autres intrants, de réaliser des apports différenciés et géo-localisés, en s’appuyant sur des cartographies de capacité de stockage du sol et des cartographies de la croissance végétative des plantes. Dans
l’absolu, il faudrait intégrer dans le programme de distribution les remontées capillaires dont on sait qu’elles peuvent être importantes mais que l’on l’appréhende encore mal dans l’état de nos connaissances actuelles. Le dernier paramètre à prendre en compte concerne la maîtrise des facteurs climatiques et en particulier l’interaction du vent. » Le concept d’irrigation de précision peut aussi être appliqué sur les canons enrouleurs, mais avec une unité de base qui se rapprocherait davantage du demi-hectare que du mètre carré d’un pivot ou d’une rampe frontale. Cette irrigation de précision va de moins en moins faire la distinction entre les équipements d’une part et les outils d’aide au pilotage d’autre part, étroitement associés via des capteurs, des programmes de calcul et de distribution embarqués. Cette irrigation de précision relève encore de la théorie aujourd’hui mais le passage à la pratique n’est pas un défi à portée de jet. Les enjeux
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et des rampes frontales. Dans ce domaine, les constructeurs ont adapté leur offre en proposant des installations de moindre envergure, plus facilement déplaçables, donc accessibles à une plus large clientèle, aux plans foncier et financier. Les pivots et rampes ménagent la consommation d’eau et d’énergie. Le goutte-à-goutte enterré verse aussi dans ce registre avec des arguments peut-être encore plus significatifs. L’investissement de départ et le manque de recul suscitent des interrogations et constituent des freins au développement mais la technique, en cours d’observation, est prometteuse et devrait se faire une place dans le paysage, discrète à tous égards.
Le canon enrouleur toujours au front Le canon enrouleur est l’équipement plébiscité par les irrigants. Il couvre environ 55 % des 1,5 millions d’hectares irrigués en France. Au début des années 2000, l’arrosage par canon concernait 70 % des surfaces irriguées. Le recul s’opère principalement au bénéfice des pivots et rampes frontales, qui couvrent aujourd’hui 35 % des surfaces, contre 15 à 20 % il y a 10 ans. L’irrigation localisée (goutte-à-goutte, micro-jet, micro-asperseurs et mini-asperseurs) se situe aux alentours de 5 %. La couverture intégrale, en retrait elle aussi, se situerait autour de quelques points, tout comme l’irrigation gravitaire, toujours en usage dans des secteurs très particuliers.
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Agritel Apprendre
Pédagogie des marchés Comprendre le marché à terme avec Agritel Épisode 2 Dans un marché de plus en plus volatil, comme nous avons pu l’observer dans le précédent numéro, chaque agriculteur doit définir une stratégie de commercialisation dans l’objectif de fixer sa marge. Quelle que soit la méthode de commercialisation choisie, un agriculteur s’expose à différentes contraintes, que ce soit en termes de qualité, de livraison, de paiement ou de manque d’opportunité. Nous allons donc aborder les notions du marché à terme (Euronext) qui permet, dans une certaine mesure, de pallier à ces contraintes, et d’aider l’agriculteur dans sa stratégie de commercialisation.
Qu’est ce-qu’un marché à terme ? Un marché à terme est un instrument de gestion qui permet aux opérateurs de la filière de réduire le risque de fluctuation de prix. Les marchés à terme sont des extensions des marchés physiques. Ils leurs apportent une meilleure efficacité, notamment grâce à leur rôle d’information sur les prix diffusés à tous. Un marché à terme est un marché dérivé du marché physique d’une matière première. Dans ce marché, les spéculateurs sont attirés par les perspectives de profit en anticipant des hausses ou baisses de prix. Ils facilitent la recherche d’une contrepartie et apportent de la liquidité sur le marché à terme. Un opérateur a la possibilité d’aller en livraison (livrer la marchandise à un lieu défini) selon certaines modalités, assurant ainsi la concordance entre les prix physiques et ceux d’Euronext. Cependant, cela est réservé aux organismes stockeurs et exportateurs. L’agriculteur ne peut donc y prétendre.
En pratique, en quoi cela consiste t-il ? Le marché à terme européen (Matif ou Euronext) est un marché financier sur lequel sont échangés des contrats à terme définis par différents paramètres (caractéristiques du contrat blé encadré 2), on parle d’un marché papier. Les opérateurs peuvent ainsi acheter ou vendre des volumes de ces différentes matières premières (blé, maïs, orge, colza) sous forme de contrat sans pour autant gérer la logistique de ces produits. Il est ainsi comparable au marché des actions. Ils ne constituent pas une alternative aux modes de livraison traditionnels des agriculteurs (coopérative, négoce, OS…), mais un outil de fixation de prix. Encadré 2 : Caractéristiques du contrat blé meunier d’ Euronext (Source Agritel)
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Agritel Apprendre > EPISODE 2 Le négociateur et le compensateur sont bien souvent réunis au sein d’une même entreprise.
En quoi le marché à terme peut-il m’aider ?
Encadré 1 : Fonctionnement du marché à terme (Source Agritel)
Quel est son fonctionnement ?
Le fonctionnement du marché à terme est contrôlé par un organisme central appelé chambre de compensation. Celui-ci assure la solvabilité de tous les opérateurs intervenant sur le marché à terme, via des flux financiers quotidiens avec chacun d’entre eux. Les adhérents compensateurs jouent le rôle d’intermédiaire entre le compte bancaire de chaque intervenant et la chambre de compensation. Le marché à terme fait appel à un autre organisme, appelé négociateur, qui joue le rôle d’interface entre le marché et les utilisateurs (agriculteurs), pour les passages d’ordres. (encadré 1).
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Un marché à terme remplit plusieurs rôles : - Découverte et diffusion d’un prix unique, anticipation d’un prix futur (ex : blé récolte 2012). Le marché à terme centralise toutes les offres et demandes d’un produit à un moment donné. Un prix unique est mis en évidence par la rencontre de l’offre et de la demande sur le marché afin que toute la quantité offerte soit égale à la quantité demandée. Les prix et volumes traités lors de chaque transaction sont rendus publics, c’est-à-dire portés à la connaissance de tous, notamment des opérateurs de la filière. Vous pouvez retrouver ces cotations sur agritel.fr. - Transfert du risque de fluctuation de prix entre les opérateurs. Un agriculteur craint une baisse des prix, il va donc se tourner vers le marché à terme pour fixer un prix de vente et ainsi annuler son risque. Ce marché permet donc également de fixer des prix en l’absence de proposition de la part de son organisme collecteur, tout en gardant une certaine souplesse par rapport aux volumes et qualités engagés. Il permet également de gérer son risque de prix indépendamment de ses aspects et contraintes logistiques. - Le marché à terme offre d’autres possibilités via les options, qui permettent aux agriculteurs de se fixer un prix minimum garanti, tout en restant sensible à la hausse des cours.
Y a-t-il des risques à utiliser le marché à terme ?
La pratique des marchés à terme ne présente pas de risque, tant qu’il s’agit d’opérations de couverture adossées à des volumes physiques. En revanche, la prise de positions spéculatives peut s’avérer dangereuse. Il est donc important de ne pas spéculer et d’être accompagné par la société Agritel, pour éviter les erreurs.
Etape 3 : Mettre en place une stratégie de commercialisation, selon les différents objectifs fixés. Après avoir défini l’intérêt d’utiliser les marchés à terme, il sera intéressant, dans le prochain numéro, de passer à la pratique à travers des exemples simples et concrets. Réalisé par AGRITEL / www.agritel.com
Quelle est la démarche pour opérer sur ce marché ?
Pour bien appréhender les marchés à terme, une procédure bien stricte est définie par les organismes bancaires. Etape 1 : Les marchés à terme nécessitent de suivre une formation pour comprendre leur fonctionnement et les subtilités qui y sont liées. De plus, il est imposé aux personnes souhaitant ouvrir un compte marché à terme de pouvoir justifier de la participation à une formation sur les marchés à terme. Il faut donc se rapprocher d’Agritel (société de conseil agréée par l’Autorité des Marchés Financiers) pour obtenir cette accréditation. Etape 2 : Pour pouvoir accéder au marché à terme, l’ouverture d’un compte est nécessaire (documents nécessaires, encadré 3). De nombreuses banques permettent cet accès après une analyse de votre situation financière, ce qui permettra de définir les volumes qui pourront être traités sur les marchés à terme. (NB : certains OS proposent également des solutions par leur intermédiaire)
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Encadré 3 : Documents nécessaires à l’ouverture d’un compte marché à terme (Source Agritel)
Relevé de l’assolement
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CERFRANCE Stratégie et Benchmark
Investissements en grandes cultures : rester cigales ou devenir fourmis
Par Jacques Mathé,
Economiste au réseau CERFRANCE, professeur-associé en sciences régionales à l’université de Poitiers
La céréaliculture des 50 dernières années s’est caractérisée par le poids financier de la mécanisation. L’intensification de la production d’abord, la diminution de la main-d’œuvre dans les fermes ensuite, puis la forte augmentation des tailles d’exploitation ont encouragé les producteurs à capitaliser dans le matériel de cultures et dans la traction. Or la modification du contexte des soutiens à l’agriculture, notamment la diminution des soutiens aux marchés, expose les exploitations à la volatilité des prix. Cette incertitude sur les cours impose un pilotage plus fin dans la conduite économique, en ajustant les coûts de production aux variabilités du marché. Elle pose deux questions fondamentales, d’abord de connaitre ses coûts de production à la tonne récoltée et ensuite d’intégrer une part de flexibilité dans la composante des coûts, plus particulièrement des charges de structures. Deux stratégies qui ne sont pas vraiment rentrées dans les mœurs économiques des céréaliers français. Peu d’entre eux connaissent systématiquement leur prix de revient à la tonne de blé ou de maïs, alors qu’ils peuvent le jour des moissons fournir le rendement par hectare ou souvent la marge de la culture. Investir en grandes cultures doit se raisonner sur plusieurs années. Les experts économiques du réseau CERFRANCE estiment que le rayon de braquage est d’au moins 3 campagnes. C’est-à-dire qu’une décision de gestion (investissement, assolement…) aujourd’hui impactera l’entreprise pour 3 ans au minimum. Les bons résultats d’une récolte ne doivent pas faire oublier le risque d’un contexte de crise l’année suivante. Quand on observe les comportements des céréaliers irrigants en 2007, année record en prix et rendements, on voit un effet immédiat sur les investissements en matériels qui ont des effets désastreux sur les coûts de revient en 2008, année de chute des prix et des rendements.
Mais où sont les économies d’échelles ? Autre dysfonctionnement, les charges de mécanisation par hectare ont augmenté de 22 % en 5 ans alors que la surface des exploitations s’est accrue de 15 %. Cette question prend toute son importance dans le graphique suivant où avec les exploitations irrigantes spécialisées, on illustre que la taille n’est vraiment pas un élément clé
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dans la baisse tendancielle des coûts de production.Les exploitations de 220 ha à 340 ha supportent des charges de structures par hectares supérieures de moins de 150 ha, un comble. Repenser la mécanisation dans les exploitations, un challenge pour les constructeurs et les producteurs. Ce graphique n’illustrait-il pas la faible rationalité des exploitants dans les choix d’investissement et surtout les effets anesthésiants des politiques de soutien dans certains secteurs agricoles ? La question est d’importance. Les comportements des agents économiques sont souvent impactés par des effets d’aubaines qui « polluent » la décision du chef d’entreprise. Dans le cas des grandes cultures en scop majoritaire (superficie en céréales et oléo-protéagineux) ces effets déviants se retrouvent dans toute la chaine de la filière, que ce soit sur la partie aval dans l’adaptation mais aussi et surtout dans la partie amont. La PAC a nourri le dynamisme de l’industrie de la construction de machines agricoles, principalement en Europe. De nombreux observateurs estiment que les soutiens publics à l’agriculture, notamment les aides directes, ont beaucoup bénéficié à cette industrie plutôt qu’à consolider la situation financière des agriculteurs. Un jeu de vases communicants en quelque sorte. Mais un contexte économique qui oblige à revoir nos conceptions sur l’équipement des fermes.
L’offre de mécanisation est en décalage total pour répondre aux stratégies de compétition par les coûts Les constructeurs ont visé une stratégie unique, d’ailleurs souvent plébiscitée par les agriculteurs, avec du matériel toujours plus grand, toujours plus sophistiqué, toujours plus technologique. Les salons agricoles en témoignent, à l’image du SIMA 2011. Les visiteurs ont été surpris par le gigantisme et la sophistication des matériels exposés. Pour les acteurs extérieurs au milieu agricole, le décalage est total. Comment un secteur dit en crise peut-il afficher une telle offre d’équipements high tech ?
À quand le tracteur “low cost” ? Au cours du demi-siècle écoulé, le matériel agricole a pris des dimensions impressionnantes et a intégré les dernières avancées de la technologie. Mais, est-ce réellement une course vers le progrès pour la pérennité des exploitations ?
Il est aussi légitime de se demander si cette offre n’est pas en décalage avec les conditions économiques des exploitations, tout comme avec l’évolution de leur conduite. L’apparition, depuis une dizaine d’années, d’alternatives comme les techniques culturales simplifiées, modifie la demande et les besoins des producteurs. L’évolution vers une maîtrise accrue des coûts de production, voire vers des logiques d’exploitation à faible niveau de dépenses, doit nous engager à repenser toute la politique de mécanisation. Pourtant, force est de constater que les constructeurs ont peu anticipé ces nouveaux comportements des agriculteurs, s’éloignant même souvent de la réalité du fonctionnement des exploitations.
Changer de logique À quand le tracteur “low cost” à l’instar de ce que Renault a initié dans l’automobile ? Les nouveaux producteurs en quête d’alternatives sont sensibles à la logique du moins cher, moins sophistiqué, plus simple, plus adaptable et plus fiable. Les entrepreneurs de travaux agricoles expriment la même demande. Cette logique se retrouve dans les grands pays agricoles concurrents de la France. Ainsi, les agriculteurs français en visite dans les fermes brésiliennes sont surpris par la simplicité des matériels et leur vétusté. Ces derniers sont utilisés au maximum de leurs possibilités pour ne les renouveler qu’en fin de vie. Cette stratégie vaut également pour le secteur industriel. N’oublions pas que les investissements en mécanisation ont des impacts majeurs sur la performance financière des exploitations. La nouvelle politique agricole qui s’annonce en 2013 ne va pas dans le sens d’une augmentation inconsidérée des dépenses de machinisme. Pourtant, les offres commerciales alternatives (leasing, location longue durée…) sont relativement peu développées dans le secteur agricole, comparé à l’artisanat ou aux PMI. Comme pour les biens d’équipement des ménages, les constructeurs européens vont devoir repositionner leur gamme et, surtout, l’élargir vers des produits ultra compétitifs. Dans le cas contraire, certains agriculteurs pourraient s’orienter vers d’autres marques. Les visiteurs du dernier SIMA ont découvert les offres relativement attractives de constructeurs asiatiques. Les équipements proposés doivent encore faire la preuve de leur fiabilité. Mais l’histoire nous a enseigné que les Coréens et les Chinois apprennent vite… Très vite. C’est donc bien plus dans les têtes que les adaptations doivent se réaliser dans les exploitations grandes cultures orientées SCOP. Rester cigales ou devenir fourmis pourrait être le nouveau slogan des céréaliers. Des céréaliers qui se trouvent dans une conjoncture favorable, qui ont toutes les cartes en main pour adapter leurs systèmes, qui bénéficient d’énormes marges de manœuvre que ce soit sur les charges de structure mais aussi dans les itinéraires techniques. Dans la période économique troublée que nous vivons, bien des secteurs industriels souhaiteraient avoir les mêmes atouts. Aux céréaliers français de démontrer qu’ils resteront encore parmi les plus performants au monde. Réalisé par CERFRANCE www.cerfrance.fr
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L’INTERVIEW RÉELLE ET UE LUDIQ
Mais si, Chirac était présent au Salon 2012 ! Les médias ont affirmé que, pour la première fois depuis 1979, Jacques Chirac n’était pas allé au salon de l’agriculture ? WikiAgri rétablit la vérité : Chirac était bien là, c’est Jacques qui faisait défaut. Interview de Jean Mage, producteur récoltant du domaine de Chirac, et exposant au salon de l’agriculture.
On nous aurait menti, Chirac est bien présent au salon de l’agriculture ? J.M. Le village de Chirac ! Enfin, même pas un village, un lieudit : 4 maisons et 13 habitants. Et nous sommes en Corrèze, comme lui ! Plus précisément du canton de Beaulieusur-Dordogne. Quelles sont les spécialités de Chirac ? J.M. Je suis producteur de vin paillé (Ndlr : un vin liquoreux pour le blanc, le rouge pouvant s’apparenter à du porto), et de noix, avec ses produits transformés : vente de cerneaux et d’huile de noix. Le vin paillé est une spécialité du sud de la Corrèze. C’est un tout petit vignoble que je fais revivre depuis quelques années avec 18 autres producteurs.
Quel nom portiez-vous avant ? J.M. EARL Mage ! Ça sonne moins bien que Domaine Chirac, n’est-ce pas ? Remarquez, la magie, ce n’est pas mal non plus… J.M. Vous voulez dire le roi Mage de Chirac ? Ce nom de Chirac, juste le nom, que vous rapporte-t-il ? Avezvous une idée ? J.M. Le vin paillé est un produit un peu cher, car il faut beaucoup de raisin. Et si les consommateurs sont prêts à mettre un prix dans une appellation connue, pour du vin paillé, c’est plus délicat. Alors, c’est vrai, si le nom de Chirac aide à franchir le pas, il nous rapporte quelque chose comme 15 % de nos ventes, ce n’est pas négligeable.
La bouteille de vin paillé de Jean Mage affiche clairement « domaine de Chirac » sur son étiquette.
Et puis ça fait causer, vous devez avoir du passage juste pour cela… J.M. Oui, ça c’est vrai, la bonne humeur des visiteurs, ça compte dans la vie de tous les jours. Depuis quand êtes-vous exposant au salon de l’agriculture ? Jacques Chirac est-il déjà passé sur votre stand ? J.M. Depuis 2003. Et malheureusement non, j’aurais bien aimé, mais il passait tellement de temps dans le hall des bêtes qu’il n’allait pas jusque vers les produits. En revanche, on a eu l’autre Corrézien, François Hollande, il y a 2 ans, il avait fait des photos sur le stand. On va voir s’il revient cette année (Ndlr : interview réalisée sur le salon de l’agriculture, la veille du passage programmé de François Hollande). Quand j’ai appris que Jacques Chirac ne venait pas cette année, j’ai été déçu, j’aurais tellement aimé qu’on puisse prendre une photo avec lui sur le stand ! Propos recueillis par Antoine Jeandey
Pensez-vous que le nom de « domaine de Chirac » vous accorde une reconnaissance particulière ? J.M. Au départ, je ne voulais pas l’utiliser. Mais on avait tout de même des clients qui s’arrêtaient à cause du nom de Chirac. Forcément, ça interpelle. Et j’ai fini par mettre Chirac en avant. Je l’ai fait depuis 2007, depuis qu’il n’est plus Président de la République. Avant, je n’osais pas. Prendre le nom d’un Président en exercice, je ne pouvais pas.
Jean Mage, devant son stand au dernier salon de l’agriculture.
AJ
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