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Edito Investir, l’heure des choix

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st-ce quand la trésorerie est là ou lorsque le moment s’en fait sentir qu’il faut investir ? Par moment, il faut savoir trancher, et profiter des aubaines. Une trésorerie assainie par plusieurs années de prix élevés en céréales en est une. D’ailleurs, nos graphes pages 6-7 démontrent que ce sont avant tout les prix céréaliers qui justifient l’investissement. Dans ce numéro de WikiAgri, nous avons recherché à donner un maximum de pistes pour bien réfléchir à son investissement. Des pistes issues du terrain, ou de réflexions poussées de femmes et d’hommes ayant pris le temps de s’arrêter sur le sujet. Nous avons aussi bien constaté sur place, en Charente-Maritime, le bon fonctionnement d’un important cercle d’échanges fort de 370 adhérents, que discuté longuement avec Christoph Büren, viceprésident de la Saf, qui se trouve justement être un cercle de réflexion sur l’agriculture. Investir, cela peut se concrétiser de différentes façons. Sur le matériel de pointe par exemple, et notamment dans l’agriculture de précision. En faisant attention aux nouvelles approches fiscales, la déduction pour investissement vient d’évoluer. Mais aussi sur une unité de méthanisation, ou encore sur du photovoltaïque, redevenu récemment compétitif grâce à la revente de l’électricité produite. Et enfin, ne l’oublions jamais, sur l’humain. Le salarié agricole mérite d’accéder à un confort de travail tel que sa pénibilité s’en trouve réduite, il doit être considéré, même s’il doit aussi, en échange, savoir s’adapter aux aspects nouveaux du travail demandé. Vous trouverez également, après notre théma, un important reportage sur la canne à sucre sur l’île de La Réunion : une filière très intéressante, La Réunion bénéficiant des dernières nouveautés et autres technologies de pointe. Rencontre avec un planteur, découverte de ces technologies, données économiques chiffrées : en quatre pages, vous pouvez tout savoir sur le sujet. Ce numéro est complété par les perspectives sur les marchés en 2013 dégagées par Agritel, ou l’innovation vue de manière iconoclaste par CerFrance. Enfin, notre rubrique de clôture, insolite, vous dira comment un éleveur s’est retrouvé assigné en justice parce que les cloches de ses vaches faisaient du bruit… Et comment il a obtenu le retrait de la plainte de son voisin. La rédaction

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nt PréseMA au SI

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Stand Crédit Mutuel Pavillon 6, Allée B Stand 028


Sommaire WikiAgri n°6 / FÉVRIER 2013

u Directeur de publication Yannick Pages Rédacteur en chef Antoine Jeandey Rédaction Maxime Boutevin Raphaël Lecocq Benjamin Masson redaction@wikiagri.fr

THÉMA l

Le dessous des graphes

P.6 et 7 - Graphiques et infographies

Ont participé à ce numéro AGRITEL CERFRANCE Hervé Cailleaux

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Dessinateur Michel Cambon

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Publicité Tél. 06 89 90 72 75 | pub@wikiagri.fr

Edito P.3

Cambon lui semble

P.8 - Le dessin de Michel Cambon

Le Grand témoin

P.9 à 12 - L’interview de Christoph Büren, vice-président de la Saf

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Théma Retour sur investissement

ISSN ISSN 2258-0964 Commission paritaire 0314 T 91288 Dépôt légal A parution

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Brèves des champs

Service abonnements 4, impasse du Faubourg 38690 Le Grand Lemps Tél : 04 76 31 06 19 E-mail : contact@wikiagri.fr

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Moteur

Abonnement annuel 34,90€ TTC (4 numéros) Prix au numéro : 10€

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AILLEURS

Site internet www.wikiagri.fr

P.34 à 37 - Découverte de la filière canne à sucre sur l’île de La Réunion : portrait d’un planteur, haute technologie, et prix garanti

Impression SAS Imprimerie Leonce Deprez Zone industrielle de Ruitz 62620 Ruitz

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Consultant Média Bernard Le Blond - Vision bleue Tél. 06 83 92 08 61 Conception graphique et maquette Notre Studio www.notrestudio.fr Conseil éditorial Sylvie Grasser - Hiceo Tél. 06 32 75 11 94 www.hiceo.fr

Tirage 48 000 exemplaires (dont 45 500 expédiés) Le magazine WIKIAGRI ® est edité par la société : DATA PRO SOLUTIONS BP 70132 38503 VOIRON CEDEX

P.14 - Retour sur investissement, parlons-en ! P.18 - Reportage, le cercle d’échanges favorise la rentabilité de chacun P.20 - La parole à un entrepreneur, « l’agriculture de précision va révolutionner l’agriculture de cette décennie » P.22 - Oui Mais : Remettre l’humain au cœur des territoires ruraux P.24 - Vous et le retour sur investissement, d’après vos témoignages recueillis sur wikiagri.fr

P.26 à 29 - Les applications sur les champs du retour sur investissement (désherbage, fertilisation, semences, photovoltaïque…)

P.30 - La machine, le fisc et la pompe à huile P.32 - un moteur d’avance

Pédagogie des marchés

P.38 - Par Agritel, les perspectives 2013 u

stratégie et benchmark

P.40 - Par CerFrance L’innovation n’est pas simplement technologique u

Insolite

P.42 - Les vaches, les cloches, la pétition et le tribunal

Ce numéro comporte un encart broché abonnement Wiki Agri et un encart RL Distrib 80.

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COMPRENDRE

Le dessous des graphes

Infographies : Notre Studio

Investir, le fruit d’une stratégie

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nvestir ne s’improvise pas, même quand la trésorerie autorise cet investissement. Car les années qui vont suivre dépendront du bien-fondé de ce choix. Si l’on prend l’exemple du matériel agricole, notre grand témoin (lire page 9 et suivantes) Christoph Büren estime que le bon matériel est celui que l’on pourra revendre presque sans décote cinq ans plus tard. Dans tous les cas de figure, une réflexion s’impose. Connaître parfaitement le contexte des réglementations d’une part (avec leurs évolutions) et de son exploitation d’autre part (ce qui peut éventuellement signifier une étude particulière) doivent conduire aux justes choix pour l’avenir. Investir est obligatoire. A bon escient est vital. Sources : CerFrance Alliance France et SAF.

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Part du patrimoine professionnel dans le patrimoine global de l’entreprise

Vous préférez l’agriculture Qui dit trésorerie d’avance sous-entend investissements variés. Certains agriculteurs achètent des appartements et les mettent en location, par exemple : c’est un complément de revenu comme un autre. Pour autant, majoritairement, vous préférez réinvestir dans votre outil de production. Bien plus que ne le font les autres professions indépendantes.

Sources : enquête Patrimoine 2003-2004, INSEE et SAF

Une corrélation entre les prix agricoles et l’investissement Euro/tonne

42000

40000

700 650 600

Quand les prix agricoles montent, les immatriculations suivent, avec un léger décalage. Les agriculteurs ont pris l’habitude de renouveler leurs matériels davantage quand leur trésorerie le permet que par besoin. Le décalage s’explique par le fait qu’une trésorerie sortant d’une période de bas prix doit d’abord être reconstituée avant d’être utilisée dans l’investissement. En 2012, il y a 11 % d’immatriculations de tracteurs agricoles neufs de plus qu’en 2011. Une tendance appelée à se poursuivre en 2013.

550

37000

500 450 400 350 300 250 200 150 100 50 0 Juil. Nov Mars Juil Nov Mars Juil Nov Mars Juil Nov Mars Juil Nov Mars Juil

Sources : Insee, La Dépêche, et Axema.

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2007 2007 2008 2008 2008 2009 2009 2009 2010 2010 2010 2011 2011 2011 2011 2012

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Le dessin

Cambon lui semble

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GRAND TÉMOIN

Christoph Büren : « C’est le moment de tester de nouvelles méthodes » D.R.

Repères Christoph Büren est chef d’entreprise agricole dans la Marne (420 hectares de céréales, oléagineux, protéagineux, pommes de terre, betteraves, asperges). Il est également vice-président de la Saf (société des agriculteurs de France, lire l’encadré dédié à ce think thank pages suivantes), et administrateur à Vivescia. Toujours actif, il fut par le passé secrétaire général de l’AGPB, administrateur d’Arvalis, ou encore administrateur de Parmentine. Enfin, au niveau européen, il est membre du board d’ELO (European Landowners Organisation) où il représente la Saf.

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Sommes-nous réellement dans une période où l’agriculteur céréalier ou en polyculture peut dégager de la trésorerie ? C.B. Si l’on prend les dernières années, 2007 fut une bonne année, contrairement à 2008 puis 2009. 2010, 2011, 2012 et maintenant 2013 sont des bonnes années. On constate ainsi que ce que l’on appelle une « bonne année », c’est celle où les prix sont hauts, pas celle où les rendements sont les plus élevés. En France nous fluctuons, au maximum, entre +/- 20 % en termes de rendements, le triptyque climat-sol-plantes fonctionne bien, les évolutions sont donc moins critiques en la matière. Comment appréhender une stratégie d’exploitation lorsque l’on est sur quatre bonnes années, série en cours ? C.B. Déjà, il faut penser qu’il a d’abord fallu se sortir des mauvaises années, et donc réussir un rattrapage financier notamment sur les investissements. Ensuite, aujourd’hui, nous ne sommes plus dans un cadre général qui convient à tous. Il n’existe plus une seule stratégie d’entreprise, il convient de se soucier de chaque contexte :

périurbain, zone intermédiaire, diversifiée, structuration familiale… Les pools d’agriculteurs sont différents, leur stratégie doit l’être aussi. Comment définiriez-vous l’investissement ? C.B. Je rappelle les fondamentaux de l’investissement. Il peut être de remplacement (lorsqu’il s’agit de remplacer à l’identique), mais aussi de productivité (pour que le travail à venir coûte moins cher ou dure moins de temps), ou encore de capacité (avec l’agrandissement par exemple). Sachant qu’il n’y a pas de cloison entre ces catégories, qu’un même investissement peut répondre à plusieurs besoins. Il existe aussi ce que l’on appelle l’investissement de confort… Mais ce terme est discutable. Lorsque l’on équipe une cabine de la climatisation, c’est du confort certes, mais en même temps, grâce à elle, celui qui conduit pourra travailler plus et mieux. Les matériels plus grands rentrent aussi dans cette dernière catégorie, et même les GPS, encore que l’on puisse débattre pour ces derniers.

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GRAND TÉMOIN avons plus de lisibilité que d’autres reste celui des rendements. Notre climat globalement tempéré – si l’on met de côté les phénomènes très exceptionnels – nous donne une moyenne de rendement à peu près stable. Les marchés à terme permettent un arbitrage à deux ans mais il faut accepter d’en payer le prix.

«Investir dans la méthanisation, c’est un véritable choix d’entreprise.»

Pourquoi investir dans du nouveau matériel ? C.B. Nous sommes de plus en plus opposés à des phénomènes climatiques exceptionnels. Les pluies sont plus intenses, les sécheresses plus fortes… Aujourd’hui, il faut intervenir plus vite, commencer et terminer sa parcelle suffisamment rapidement pour que le changement climatique ne vienne pas détruire, fut-ce partiellement, le travail. Ce qui signifie plus de puissance, et plus de largeur. Financièrement, comment dégager de la trésorerie d’investissement ? C.B. Nous entrons dans le domaine de la stratégie financière de l’entreprise. Il faut prendre en compte le revenu, la fiscalité, les charges sociales... Le chef d’entreprise agricole peut anticiper ses investissements par rapport aux pics de trésorerie. Il a à sa disposition deux outils, qu’il connaît bien. La moyenne triennale d’une part, et le crédit bail ou leasing d’autre part. Dans ce second cas, le fait d’avoir de la trésorerie peut lui permettre de déduire plus rapidement le matériel acheté sur sa comptabilité. Il a ainsi un véritable intérêt à amortir son tracteur sur 3 ans au lieu de 7 ans. L’objectif réside bien entendu dans le lissage des revenus et non dans le sur-investissement.

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N’existe-t-il pas un problème de lisibilité pour se lancer aujourd’hui dans l’investissement ? C.B. Effectivement, lorsque l’on regarde le contexte européen, les lenteurs pour l’adoption de la Politique agricole commune sont un frein à la lisibilité. Nous n’avons pas aujourd’hui les clefs de répartition par pays. Par exemple, que se passerat-il exactement en France sur les 50 premiers hectares ? Aujourd’hui (Ndlr l’interview est réalisée fin janvier 2013), nous n’avons aucune certitude là-dessus. Si l’on regarde les marchés physiques, la lisibilité est nulle. Les agriculteurs ont besoin d’une vision à moyen terme, au moins à deux/trois ans. S’ils sentent qu’ils commencent une période de deux, voire trois bonnes années, ils peuvent investir sur du matériel en cherchant à le déduire plus vite, comme je le disais plus haut. 2013 sera une bonne année… Si l’agriculteur sent que 2014 aussi, il peut tenter quelque chose à ce niveau. En fait, le domaine où nous

Comment tenir compte des demandes environnementales dans ses investissements ? C.B. Globalement, s’il ne les a pas déjà entrepris, l’agriculteur doit faire des efforts environnementaux. Gérer des pollutions ponctuelles grâce à des bacs de rétention. Ou investir directement dans des haies, des GPS dont la précision lui rendra le geste plus sûr et plus économe, des épandeurs d’engrais plus précis… La quête environnementale représente effectivement un investissement important. Dans le domaine de la pomme de terre que je connais bien, les efforts demandés en conditionnement ou autres sont d’ailleurs un frein à l’entrée de nouveaux producteurs. Que pensez-vous de la pluriactivité ? Y a-t-il là des pistes en termes d’investissements ? C.B. Depuis les années 1990, nous n’avons cessé de gagner en productivité. A l’époque, il fallait 3 personnes pour semer 12 hectares en un jour. De nos jours, une personne suffit pour 24 hectares. Que fait-on du temps dégagé ? Une stratégie envisageable consiste à penser à la pluriactivité. Cela peut aller de prestations de service d’agriculteurs pour le monde agricole, ou à la location de chambres d’hôtes. Le non agricole aussi est envisageable : investir dans un bureau de tabac, dans du photovoltaïque sur son toit pour revendre l’électricité à EDF, pourquoi pas dans la construction

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« Le fait d’avoir de la trésorerie permet à l’agriculteur de déduire plus rapidement le matériel acheté. Il a un véritable intérêt à amortir son tracteur sur 3 ans au lieu de 7 ans. »

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de piscines… Une piste me semble très intéressante, la méthanisation, sans doute plus pertinente pour l’élevage. En Allemagne, elle est utilisée aussi pour le maïs, mais dans notre contexte elle constitue une vraie possibilité pour l’élevage. Ou alors, pour le maïs, il faut résoudre la question de l’eau, de l’irrigation. Mais il s’agit là de vrais choix stratégiques d’entreprises, également pour la France. Que pensez-vous de ceux qui investissent dans des terres à l’étranger, par exemple en Roumanie ? C.B. Attention, ce n’est pas gérable

de loin. Tous ceux qui ont suivi cet effort financier sans faire celui d’aller sur place très régulièrement, et longtemps, ont fini par perdre une bonne partie de leur investissement. Il s’agit d’un vrai choix de vie. Est-on prêt à partager son temps de vie entre une contrée lointaine et son pays d’origine ? C’est une condition pour réussir en l’occurrence, tout simplement en raison des spécificités agricoles. Ce n’est pas si compliqué de fabriquer des boulons à l’étranger. Mais vérifier les bons choix de cultures, d’agronomie, réagir aux intempéries, cela ne s’improvise pas sans être sur place.

Une loi agricole a été annoncée par le gouvernement pour le second semestre 2013. Qu’aimeriez-vous y voir figurer qui puisse inciter à l’investissement ? C.B. Peut-être pourrait-elle donner des outils aux agriculteurs. Comme le compte épargne, apporter de la flexibilité aux moyennes entre 3 et 5 ans, autoriser des amortissements plus rapides… Avoir de la trésorerie devant soi, n’est-ce pas aussi le bon moment pour penser aux formations ? C.B. L’agriculture évolue, donc il faut savoir évoluer avec elle. L’agri-écologie implique un besoin

Canon - Procethol 2G Projet Futurol

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GRAND TÉMOIN

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La vraie bonne innovation, c’est le matériel que je pourrai revendre avec le moins de décote possible dans quelques années.

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de formations pour rechercher de nouvelles techniques. Beaucoup ont des incertitudes par rapport à cela. Il faut donc mener des expériences chez soi, et c’est évidemment plus facile pendant les années favorables. Un exemple avec le nouveau matériel, le strip till. Il est très tendance, convient à merveille aux cultures du continent américain en soja et maïs. Mais est-il adapté chez nous, et plus particulièrement à sa parcelle ? Avec de la souplesse dans la trésorerie, on peut louer le matériel, le tester, construire sa propre courbe d’expérience. Même principe par rapport aux techniques culturales simplifiées : elles sont beaucoup plus compliquées que ce qui se fait aujourd’hui. Une trésorerie saine, c’est aussi le moment de se permettre de faire des tests. Par rapport aux ressources humaines, aux salariés agricoles, à quoi peut servir un peu de trésorerie ? C.B. Un salarié aura plus de plaisir à venir travailler chez vous si vous lui offrez un outil adapté, si vous savez réduire la pénibilité des tâches. Un exemple, les semoirs à remplir. Pourquoi porter, ou faire porter, des sacs de 35 kilos alors qu’il existe aujourd’hui des « big bag » ? Le GPS est aussi un outil d’aide à la conduite qui permet au salarié d’être plus reposé et aussi de porter son attention à d’autres aspects qu’il doit mener de front, comme le semis ou la profondeur. Donner la possibilité à ses salariés de se former peut aussi se réfléchir plus sereinement dans des périodes de trésorerie saine. Et dans la quête d’informations, que pourriez-vous suggérer ? C.B. L’information, on en a énormément. Mais rien n’empêche d’aller en chercher de nouvelles. Internet a changé notre vision à ce niveau-là. J’ai un voisin qui a recherché sur le net tout ce qu’il pouvait trouver sur la fertilisation

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localisée. Il a fini parPROJET dénicher aurait-il d’autres horizons en France JOLYOT - PROCETHOL 2G FUTUROL Jolyot - Procethol 2G Projet Futurol plusieurs études américaines en se lançant plus délibérément datant d’il y a 20 ans qui répondaient sur l’export ? J’ai l’impression qu’il à toutes ses questions. Il me les a manque une véritable stratégie de fait suivre. Une seule personne peut production à notre élevage. faire gagner du temps à plein de gens, c’est intéressant. On ne l’a pas encore évoqué, mais un peu de trésorerie, cela Un mot sur l’antagonisme peut aussi signifier vacances ? céréaliers-éleveurs. Car si l’on C.B. Il faut également savoir en évoque des gains en trésorerie, profiter. Une bouffée d’oxygène, ce n’est pas le cas chez les profiter de la vie, sans aucun excès éleveurs en ce moment… cependant, on ne sait pas de quoi C.B. J’ai voyagé un petit peu, et demain sera fait. je suis surpris que cet antagonisme existe davantage en France Pour conclure, quelle serait votre qu’ailleurs. Peut-être cela vient-il définition de la vraie bonne des politiques suivies. En Irlande, innovation ? les productions d’élevage visent C.B. Là, je vais vous confier ce que l’export. J’ai eu l’opportunité m’a appris un agriculteur rencontré au de rencontrer le ministre de Québec : la vraie bonne innovation, l’Agriculture du Portugal, c’est c’est le matériel que je pourrai pareil chez lui. En Allemagne revendre avec le moins de décote aussi, la production augmente, possible dans quelques années. en visant l’export. Au Danemark, J’adhère complètement. Danish Crown envisage d’aider les producteurs à augmenter la taille de Propos recueillis par leurs élevages. Peut-être l’élevage Antoine Jeandey

La Saf, un think thank agricole créé en 1867 La Société des agriculteurs de France (Saf), dont Christoph Büren est vice-président, a de l’antériorité puisque née en 1867. Cette association loi de 1901 est désormais un think tank agricole français, à vocation nationale et européenne. Chaque année, elle lance un cycle de réflexion au cours duquel elle confronte les avis d’une centaine d’experts et de chefs d’entreprise. Elle vise à « étudier et promouvoir tout ce qui peut contribuer au développement de l’agriculture et de l’espace rural, en particulier aux progrès social, technique, scientifique, économique ». A la fois plate-forme d’échanges, forum de réflexions, et force de propositions, la Saf conforte les chefs d’entreprise agricole et rurale dans leurs métiers en proposant les adaptations aux milieux économique, juridique, fiscal, social, environnemental. La Saf organise des commissions de travail, colloques et autres formations. Elle communique à travers sa newsletter hebdomadaire gratuite, son site internet (http://www.agriculteursdefrance.com), et depuis peu sa page Facebook.



THÉMA

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Retour sur investissement, parlons-en ! « Les profits d’aujourd’hui sont les investissements de demain et les emplois d’après-demain » Helmut Schmidt

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Une vraie bonne nouvelle pour les céréaliers Comme dit la pub, nous sommes dans le cadre d’une « vraie bonne nouvelle » pour les céréaliers. 2010, 2011, 2012 et maintenant 2013, les prix élevés ont permis d’abord de se remettre à flot, et maintenant de dégager de la trésorerie. Il est temps de réfléchir à sa stratégie d’entreprise, à ses investissements, chacun dans son contexte. Les incertitudes venues de la Pac Il existe néanmoins un frein non négligeable, qu’il faut savoir cerner tout de même pour pouvoir investir sans se tromper. Le budget de la Politique agricole commune 20142020 n’ayant pas été conclu dans les temps prévus, ses implications sur le terrain vont mettre du temps

à être connues. Dans le calendrier, il va falloir déterminer les clefs de répartition par pays, et ensuite faire savoir aux agriculteurs ce que cela engage pour eux, sur le terrain. Autant dire que cela prendra plusieurs semaines, voire plusieurs mois. En revanche, une fois cet horizon éclairci, la lisibilité sera relativement bonne à moyen terme, au moins à ce niveau-là. Savoir diagnostiquer ses besoins Majoritairement, vous préférez investir dans l’agriculture, donc sur votre exploitation. Bien sûr, vous êtes aussi quelques-uns à acheter puis louer des appartements (pour citer un exemple) ou plus globalement à rechercher des


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THEMA

investissements allant au-delà de votre activité naturelle. Mais la tendance reste votre exploitation. De fait, il vous faut cerner parfaitement vos besoins pour réussir dans votre entreprise. Notre grand témoin, Christoph Büren, suggère de faire des tests sur de nouvelles méthodes de cultures, avec du nouveau matériel que l’on peut louer dans un premier temps. Ce « luxe » de tester avant d’acheter « pour de bon », on ne l’a pas souvent, il faut vraiment avoir de la trésorerie d’avance pour l’envisager. Là, c’est le moment. L’innovation, ou le plus apporté par la technique nouvelle Ce numéro de WikiAgri est prévu pour sortir juste avant le Sima 2013. Ce salon du machinisme agricole draine traditionnellement son lot de nouveautés, de techniques nouvelles qui doivent permettre des gains de productivité, en temps ou en argent. L’agriculture de précision est ainsi vantée tant par les constructeurs (lire l’interview de Michel Tramier, directeur général de Kverneland, page 20) que par les utilisateurs. Pour autant, les innovations (et c’est heureux) étant multiples, comment choisir ? Christoph Büren nous donne la définition qu’il retient pour luimême de la bonne innovation : « C’est celle qui permet de revendre le matériel acheté sans décote quelques années plus tard ». Avoir de la trésorerie, c’est bien, pour la faire durer, il faut être bon gestionnaire… L’engagement à plusieurs Notre reportage en Charente-Maritime montre une manière d’assurer son retour sur investissement dans une structure collective (page 18, chez Pascale Croc, présidente d’un cercle d’échanges), à travers la possibilité, par exemple, d’effectuer du travail à façon chez le voisin. Il en existe d’autres, sous différentes formes associatives. L’engagement individuel est parfois lourd, il faut donc soit s’assurer un revenu complémentaire grâce à lui, soit diviser la charge en multipliant l’utilisation (dans le cadre de Cuma par exemple). Savoir être gestionnaire L’agriculteur moderne doit savoir tout faire, y compris sa compta. Christoph Büren explique ainsi qu’il est possible d’amortir son tracteur neuf en trois ans plutôt qu’en sept. Il s’agit d’une économie qui est loin d’être négligeable !

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« Un investissement dans le savoir paie toujours les meilleurs intérêts » Benjamin Franklin Méthanisation, on y vient… Le ministre de l’Agriculture Stéphane Le Foll a annoncé un « plan méthanisation » susceptible d’intéresser nombre d’agriculteurs. Il souhaite une méthanisation différente de celle de l’Allemagne, qui, en France, traite les excédents d’azote plutôt que d’utiliser des cultures. Ce sont donc les éleveurs en premier lieu qui seront concernés. Pour autant, il s’agit selon Christoph Büren d’un réel choix stratégique d’entreprise. Photovoltaïque on y revient Le photovoltaïque avait eu un premier essor grâce à des aides, puis s’était affaissé avec l’arrêt de la majorité de celles-ci. Aujourd’hui, il semble que la conjoncture de l’investissement dans le photovoltaïque soit à nouveau favorable, en grande partie grâce

à la revente de l’électricité produite à EDF. A étudier. Et l’humain dans tout ça ? Investir dans l’humain, est-ce devenu si impertinent aujourd’hui ? « Il n’est de richesses que d’hommes », selon la citation de Jean Bodin. Il existe deux manières pour y parvenir. Par le matériel, en le renouvelant de telle manière que l’ouvrier agricole ait moins de pénibilité à son travail. Et par l’embauche, ou la formation de ses salariés. David Lacrépinière, salarié agricole d’un service de remplacement, repositionne le contexte propice à l’embauche, tant du point de vue du chef d’entreprise qui doit déterminer ses besoins et y faire face, que de celui du salarié qui doit savoir s’adapter (lire page 22).

Antoine Jeandey

Jérémie Girard, forestier, victime d’un accident de travail Dans le numéro 5 de WikiAgri, vous avez pu lire un reportage effectué avec Jérémie Girard, dans l’Allier. Il expliquait ainsi les arcanes de son métier de forestier. C’est avec douleur que nous avons appris, après le bouclage de notre magazine et alors qu’il était en cours de distribution, la disparition de Jérémie Girard suite à un accident de travail. Cet article avait pour vocation de montrer une manière d’aller vers la croissance verte. Il devient par la force des choses un hommage à un homme passionné, entrepreneur, actif, et donc jamais à l’abri dans un métier comportant des risques évidents. A son épouse, à ses enfants, à toute sa famille et tous ses proches, WikiAgri adresse ses sincères condoléances.


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RETOUR SUR INVESTISSEMENT > Reportage en Charente-Maritime

Le cercle d’échanges favorise la rentabilité de chacun Pour illustrer une manière d’obtenir un retour sur investissement individuel à partir d’une démarche collective, nous avons rendu visite à Pascale Croc, agricultrice en Charente-Maritime, et présidente d’un cercle d’échanges fort de 370 adhérents.

Pascale Croc, agricultrice, présidente du cercle d’échanges Cemes qui rayonne sur la CharenteMaritime et la Charente.

Photos : Antoine Jeandey

P

ascale Croc a 40 ans, elle est la mère de deux enfants. Elle est venue à l’agriculture par passion. Ou plutôt par passions, au pluriel. Elle a d’abord passé un bac littéraire à Bayonne, option « arts plastiques », dans l’optique de devenir décoratrice d’intérieur. Sa rencontre avec Gary Charré, devenu son mari, agriculteur, l’incitera à choisir finalement une autre voie, du BTA au BTS agricole au lycée agricole de Saintes, en quittant au passage son pays basque natal pour la commune de Thézac. Son mari est installé depuis 1993, elle depuis 1997. L’exploitation est en Earl, sur 100 hectares de cultures (blé et tournesol, mais aussi orge, DR colza, pois de printemps, chanvre, maïs, lentilles et pois chiche) et 25 hectares de vignes, au cœur du vignoble de cognac (production de pineau et de jus de raisin). Le mode de culture se veut le plus proche possible du respect de l’environnement : « D’une manière générale, nous n’utilisons que ce

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qu’il faut en pesticides ou autres produits chimiques. Nous avons même reconverti notre vignoble en bio. Dans ce domaine, j’ai influencé mon mari. Fils d’agriculteur, ancré dans certaines habitudes, ça n’a pas été simple pour lui au début. Mais aujourd’hui, l’un et l’autre, nous sommes heureux de nos choix. Nous faisons passer la santé avant tout. » Cette recherche constante d’une agriculture écologique est importante pour elle, elle y revient souvent dans la conversation. La commercialisation s’opère de manière classique en coopérative pour l’essentiel, mais avec également un atelier de vente directe pour le jus de raisin. Pascale Croc est adhérente d’un groupement, le GIE des paysans mouliniers des estuaires charentais (GIE : groupement d’intérêt économique). Le principe : tout le

Huile de chanvre et jus de raisin, deux productions maison.

monde ne produit pas toutes les graines, mais toutes les graines arrivent au moulin. L’un des adhérents est maître moulinier, effectue toutes les opérations (avec la presse à froid notamment) pour obtenir l’huile artisanale. Chacun récupère les tourteaux, qui sont

Le fonctionnement Le conseil d’administration est composé de 10 agriculteurs, plus un « stagiaire ». Par ce terme, il faut comprendre « futur membre du conseil d’administration en puissance » : en permettant à une 11e personne de suivre tous les travaux, le conseil d’administration prépare l’avenir : le prochain qui rentrera en son sein sera déjà au fait des problématiques. Pascale Croc est donc présidente du conseil d’administration. Deux animatrices s’occupent de l’emploi et de la restauration hors domicile, un animateur du réseau, l’équipe étant complétée par une secrétaire comptable, le tout sous l’influence d’un directeur. Le cercle vit grâce aux cotisations des adhérents, mais aussi avec des subventions. « Nous tenons à la fois à être indépendants et tisser le lien avec les collectivités. Pour ce lien, il faut demander et obtenir des subventions, elles sont la reconnaissance des collectivités pour notre travail pour elles. Mais aussi faire en sorte qu’elles ne soient pas si fortes qu’elles nuisent à notre autonomie d’action. »


cédés ensuite aux éleveurs. Et le nombre de bouteilles d’huile qu’il s’est réservé. « Nous sommes tous, individuellement, responsables de notre commercialisation, précise Pascale Croc. L’unique consigne est d’éviter de se faire concurrence. Donc certains vendent à des restaurants, d’autres sur les marchés, moi, c’est en boutique… Par ailleurs, le GIE a son propre débouché dans la restauration hors domicile, à travers le cercle d’échanges. »

Toute une organisation Le cercle d’échanges, parlons-en. C’est une association loi de 1901, classique. L’objectif est de mettre en relation un réseau d’adhérents, pour mutualiser le matériel, la maind’œuvre et les services. « Tout se qui se fait à plusieurs nous donne des gains économiques, mais nous allons au-delà, avec des coups de main ponctuels, et des échanges d’idées. Je précise que le cercle est apolitique, asyndical, et areligieux. » En 2011, il y a eu une fusion, entre le Cemes (créé en 1989, cercle de Charente-Maritime) et le Cesam 16 (cercle de Charente). L’ensemble est désormais fort de 370 adhérents. Pascale Croc en est la présidente, et en détaille le fonctionnement : « Nous gérons plusieurs outils que nous mettons à disposition des adhérents. Cemes-emploi est un groupement d’employeurs, une association rattachée au cercle. 130 adhérents du cercle font aussi partie du groupement d’employeurs. Nous y avons 15 salariés en CDI, et en tout 20 emplois équivalents temps plein en comptant les CDD. Les salariés sont sûrs de travailler, sur plusieurs fermes. Certains sont spécialisées en viticulture, d’autres interviennent en bovins allaitant. Pour répondre aux besoins des adhérents, nous assurons aussi des formations. » Outil suivant, Cemes-environnement. Là, nous sommes dans le cadre d’une Sarl à associé unique, le cercle d’échanges. « Il s’agit donc d’une entreprise associative, avec un projet associatif, qui soit aussi économiquement viable. En l’occurrence, Cemes-environnement

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Avec son mari, un projet pour la ferme, un nouveau bâtiment.

s’occupe des achats et ventes pour la restauration hors domicile, notre cible étant passée du territoire de Royan en 2009 à toute la moitié sud de la Charente-Maritime aujourd’hui. Cemes-environnement a un chauffeur-livreur pour chercher les produits dans les fermes (on demande à chacun de préparer des lots) selon les commandes puis pour assurer la livraison. Nous créons ainsi un lien ville-campagne dans un circuit court de commercialisation. A travers cet outil, nous pouvons aussi négocier des tarifs préférentiels dans le cadre d’achats groupés, par exemple pour le fioul, ou encore dans le service d’accompagnement à la mise en place de panneaux photovoltaïques. Nous sommes également en lien avec la FD Cuma pour le bois-énergie. Parallèllement, nous étudions avec des collectivités les solutions de compostage et de co-compostage avec les effluents animaux de nos adhérents, pour les déchets verts.»

Des fermes sauvées, plus trois installations Entre la ferme, sa vie de famille, et le cercle, sans parler de ses fonctions nationales (elle est administratrice du réseau Trame) Pascale Croc doit « savoir déléguer », et utilise donc elle-même les possibilités d’embauche des salariés de Cemes-emploi. Avec ce système qui permet aux agriculteurs de toujours travailler y compris les uns chez les autres (et donc d’avoir un complément de revenu, lire l’encadré « les intérêts des adhérents »), « le cercle d’échanges a permis de maintenir des fermes », commente Pascale Croc. « Il est même directement à l’origine d’une installation puisqu’un salarié du groupement d’employeurs a pu devenir agriculteur en fermage sur

des surfaces cédées par plusieurs de ses utilisateurs». En tout, le cercle d’échanges a permis trois installations. Des résultats qui donnent tous son sens à son implication, qu’elle estime à 400 heures par an d’après un agenda où la partie « loisirs famille », qu’elle tient à préserver, est surlignée d’une autre couleur que chacune de ses activités.

Les lentilles doivent geler pour laisser la place nette au colza. « Une méthode que nous pratiquons après l’avoir testée grâce aux travaux du groupe agriculture durable créé par le cercle », précise Pascale Croc.

Antoine Jeandey

Les intérêts des adhérents Les adhérents du cercle payent une cotisation de l’ordre de 200 €, plus 16 € s’ils font partie du groupement d’employeurs. Pour ce prix, les échanges sont multiples. Si l’on veut implanter une nouvelle culture, il est possible de la tester avec l’intervention d’un collègue adhérent qui a déjà une expérience en la matière, donc à moindre coût. Pour la main-d’œuvre, l’utilisation de saisonniers a des revers, car il faut parfois les former, sans être sûrs de les retrouver l’année suivante, et donc en devant à nouveau assumer une formation. « Avec le cercle et son groupement d’employeurs, précise Pascale Croc, le salarié formé revient chaque année pour le même job grâce au CDI à temps partagé. » Et l’utilisateur ne récupère le salarié en question que pour le nombre d’heures dont il a besoin, d’où une économie substantielle La restauration hors domicile est un débouché supplémentaire pour chacun organisé de manière collective par le cercle, avec enlèvement à domicile. « Et aussi la possibilité d’introduire de nouvelles cultures, pour répondre aux besoins d’un catalogue plus étoffé. Moi, je me suis ainsi lancée dans les lentilles. » Le matériel de l’un peut servir à l’autre. « Si l’on prend notre exemple, avec 100 hectares, certains investissements peuvent se révéler peu rentables. Donc nous nous arrangeons avec un voisin pour le semis et la récolte. Entre-temps, nous gardons la mainmise sur les soins aux plantes. » De cette manière, le voisin en question est rétribué pour le travail fourni, ce qui lui vaut un complément de revenus. Il rentabilise ainsi son matériel plus rapidement.

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RETOUR SUR INVESTISSEMENT > La parole à un entrepreneur

« L’agriculture de précision va révolutionner l’agriculture de cette décennie » Michel Tramier, directeur général de Kverneland Group soutient l’investissement dans le domaine de l’agriculture de précision. A travers une description détaillée de ses produits, il explique pourquoi elle est une source de compétitivité et surtout de rentabilité.

Michel Tramier : « Les économies d’intrants remboursent l’investissement en une à deux campagnes »

D.R.

Quels sont les produits que Kverneland propose en agriculture de précision ? M.T. Kverneland propose une offre très complète regroupée sous le concept IM Farming. Elle se compose de plus de 50 outils Isobus aptes à l’agriculture de précision, d’un terminal universel, l’ISOmatch Tellus avec applications GEOcontrol, connexion internet wireless, antenne, barres de guidage et joystick... Cette offre a reçu plus de 20 médailles dans les salons internationaux de 2009 à 2011 en récompense de son caractère très innovant. Parmi les réalisations remarquables et qui sont aussi de vrais succès commerciaux, il y a le GEOspread, un distributeur d’engrais à pesée continue avec 22 coupures de sections, le GEOseed, un semoir de précision avec coupure de rang électrique automatique et toutes les gammes de pulvérisation sprayerControl (pulvérisateurs Vicon) avec coupure de tronçon, modulation, rapports de tâche…

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Combien coûtent ces produits, du minimum pour débuter au maximum pour s’équiper totalement ? M.T. Avec IM Farming, nous entrons dans l’agriculture de précision pour environ 7000 €, en exploitant le signal gratuit Egnos. L’équipement est valable pour tous les matériels Isobus quelles que soient les marques. L’agriculteur est donc libre de ses choix et s’équipera rapidement en semoirs, pulvérisateurs et distributeurs d’engrais Isobus, ce sont les bases. En général les économies d’intrants permettent un remboursement de l’investissement en une à deux campagnes. C’est une vraie aubaine car, outre les économies, les autres bénéfices sont considérables : confort et sécurité, travail de jour

D.R.

comme de nuit, bonne pratique écologique, parfaite traçabilité et contrôle des travaux. Ces produits ont tous accès à notre financement intégré bonifié, le « crédit Chorus » de trois à sept campagnes qui est un des plus utilisés du marché. En quoi cette offre apporte-telle une compétitivité accrue à l’utilisateur ? M.T. Les économies de coûts sont substantielles, de 5 % à 10 %, et souvent plus si le parcellaire est compliqué, cela va de 27 à 137 €/ha. C’est là un apport majeur qui va en s’accroissant avec l’augmentation des coûts des intrants. Le confort et le contrôle des tâches est aussi un facteur certain de compétitivité. A ce jour, cette offre est tout simplement la plus compétitive du marché et elle possède le « pay back » le plus rapide. Contrairement aux idées reçues, le système est rentable à partir de 70 hectares et particulièrement en polyculture où le parcellaire est très morcelé. Quant au retour sur investissement, il se fait par économies d’intrants principalement et souvent dès la première campagne. Savez-vous quel budget moyen un agriculteur donne pour s’équiper en nouvelles technologies ? M.T. Certainement beaucoup plus que 7000 € et pour des solutions beaucoup moins rentables, ce sont les matériels d’accompagnement Isobus adaptés qui dopent la rentabilité.

D.R.

22 coupures de tronçons sont disponibles sur le GEOspread.


Le terminal universel Isomatch Tellus permet de contrôler la totalité des actions de l’outil sans sortir de sa cabine.

D.R.

Selon vous, le marché français est-il un gros consommateur d’innovations ? M.T. Oui évidemment, mais surtout si elles présentent un bénéfice substantiel démontrable pour l’utilisateur. C’est ce que l’on appelle le progrès. Lorsqu’on s’est équipé avec vos produits et que les gains croissent, est-il dangereux de revenir à la normale ? De se déséquiper ? Y a-t-il un enfermement dans l’innovation ? M.T. Il n’y a aucun danger à se déséquiper, mais surtout aucune raison de le faire. En tout cas, il n’y a aucune captivité dans un tel système. IM Farming est fondé sur la norme ISO 11 783, qui est par définition est totalement ouverte à toutes les marques. Selon vous, l’agriculture de précision est-elle tout le temps un facteur de compétitivité ? M.T. Oui si on peut obtenir des économies, et ce sont les fonctions coupure de tronçon et modulation qui le permettent. Le GEOspread pour les épandages d’engrais en est la parfaite illustration. Il y a toujours de nombreuses voies, mais celle-ci semble bien être actuellement la meilleure pour un réel progrès. Quelles aides ou dispositifs manqueraient en France pour encourager l’investissement

Les résultats du GEOcontrol visibles sur le terrain.

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en faveur de l’agriculture de précision et de l’innovation en général ? M.T. L’agriculture de précision est une avancée majeure pour l’agriculture. Elle possède toutes les qualités attendues d’un vrai progrès agricole : économies, écologie, traçabilité, confort et sécurité des utilisateurs. En ce sens, elle va révolutionner l’agriculture de cette décennie. Pour accélérer ce processus, il faut que l’on sorte des systèmes captifs actuels, que les promesses des marques soient claires et les modalités d’applications contrôlées. C’est l’objet de la norme ISO 11783 qui garantit les compatibilités de communication électroniques entre toutes les marques et le bon fonctionnement des systèmes d’agriculture de précision normés Isobus. Tout doit donc être fait pour l’adoption rapide de cette norme, c’est la mission de l’AEF (Agriculture Electronic Fundation), regroupant les constructeurs leaders du machinisme. Enfin, la mise à disposition d’un signal dGPS ouvert, gratuit, stable, précis et à couverture totale type Egnos encore amélioré serait un progrès décisif. Et là, l’Etat a un rôle évident à jouer. Quelles vont être les futures innovations du groupe ? M.T. Au Sima sera présenté en avant-première une charrue semi portée varilarge PW avec applica-

D.R.

tion GPS « furrow control» permettant un labour de grande qualité. Ce sera également l’occasion de montrer une innovation importante primée aux Sima Awards : l’« Auto set Apps », qui permet le réglage automatique d’un outil en le connectant à notre serveur internet. C’est le début d’une série d’Apps de confort et de précision très novatrice, proposée ici sur un distributeur d’engrais GEOspread. Enfin il sera présenté sur notre stand une installation originale de simulateurs de fonctionnement et de coûts qui permettront à tout visiteur de tester l’intérêt d’IM Farming pour son exploitation. IM Farming est actuellement notre axe de développement prioritaire et le Sima en sera la vitrine.

La charrue semi portée PW sera présente sur le Sima.

D.R.

A quand l’Autoguidage RTK chez Kverneland ? M.T. Nous y travaillons en complément de l’offre de guidage IM « In line » dans nos réseaux certifiés IM et pour équiper les parcs. Mais il faut bien comprendre : l’autoguidage est un accessoire de grand confort qui nous vient des Etats-Unis où les parcelles sont immenses. Il ne procure pas en soit d’économies. Cela ne devrait donc pas être la priorité d’investissement, surtout en Europe de l’ouest où le parcellaire plus réduit est source de grandes économies grâce aux coupures de tronçons et à la modulation. Quant au RTK, son atout est la précision et la répétitivité qui ne sont nécessaires que dans des applications très particulières comme le binage ou le strip till. Le coût d’un autoguidage RTK est trois fois plus élevé (plus de 20 000 €) et son amortissement est beaucoup plus long. Il a également un coût annuel. C’est donc un facteur de grand confort avant tout. Ce qui est évidemment important mais plus difficilement amortissable sur les fermes de moins de 200 hectares. Propos recueillis par Maxime Boutevin

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RETOUR SUR INVESTISSEMENT OUI MAIS...

«

Remettre l’humain au cœur des territoires ruraux

«

DR

David Lacrépinière est vacher au service de remplacement des JA de l’Ain et du Haut-Bugey. En tant que salarié agricole, il donne les arguments en faveur d’un investissement sur l’humain, donc sur l’embauche. D.R.

L’emploi « passe aussi par la formation spécialisée en fonction des filières pour que les employeurs engagent des salariés compétents ».

Qu’observez-vous concernant l’emploi dans l’agriculture ? D.L. A l’heure de la modernisation constante du machinisme agricole et de l’innovation impressionnante dans les technicités du matériel, il me semble que l’humain perd peu à peu sa place. Après de bonnes années, les choix d’investissements peuvent être divers, multiples et variés en fonction de la filière, du territoire et des choix stratégiques de chacun. Mais les agriculteurs ont tendance à investir dans le matériel et non dans la main-d’œuvre. Il y a ceux qui renouvellent du matériel trop vieux, d’autres qui investissent dans les mises aux normes ou dans les nouvelles technologies, et ceux qui prônent la main-d’œuvre salariale expérimentée, à temps plein, saisonnière ou de remplacement. Hélas ces derniers sont trop peu nombreux. Nos villages se désertifient chaque jour un peu plus pour laisser place à des cités-dortoirs en faveur des grandes agglomérations. Alors que l’agriculture et ses acteurs sont les piliers de l’économie rurale. A quoi serait due cette désertification ? D.L. A plusieurs facteurs. D’abord, il y a un véritable manque de communication en faveur de l’emploi en agriculture. Il faut changer son image vieillissante pour donner envie d’y travailler.

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L’agriculture n’est plus comme il y a 60 ans, elle est moderne, active, technique, ce n’est plus l’agriculteur trayant sa vache sur son tabouret au milieu de la paille. Le syndicalisme doit réfléchir à cette question. De plus, les salariés disponibles manquent parfois totalement de qualification et sont souvent surprotégés. L’agriculteur rechigne à employer un salarié qui ne pourrait effectuer toutes les tâches. Enfin il y a aussi un problème de réglementation, un manque d’aides. S’il y avait moins de charges, les agriculteurs embaucheraient plus. Prenons l’exemple de l’élevage que je connais bien, les revenus stagnent, voire baissent, en raison de l’augmentation considérable des charges d’exploitation. Comment faire évoluer la situation ? D.L. Il serait grand temps de remettre l’humain au cœur de nos territoires ruraux. Que l’on conduise une réelle politique cohérente de l’emploi agricole, en lien avec la demande et les besoins des employeurs. Nous devons inverser la tendance en dynamisant l’emploi en milieu rural. Cela commence par maintenir sur leurs exploitations les agriculteurs qui engendrent des emplois directs et indirects. Cela passe aussi par la formation spécialisée en fonction des filières pour que les employeurs engagent des salariés compétents.

Et par un encouragement fiscal national et européen pour ceux qui accueillent des salariés, d’autant plus s’ils sont jeunes. Favorisons la transmission des outils de production. Avec l’espoir que les cédants les décapitalisent un peu. Ceci afin de trouver des jeunes repreneurs capables d’investir financièrement dans ces outils sans être pris à la gorge. Quel est l’intérêt pour un agriculteur d’embaucher ? D.L. Un salarié coûte, et n’est pas rentabilisé aussi vite qu’une machine. Mais le patron, qui qu’il soit, doit se reposer et le fait d’embaucher diminue fortement sa charge de travail. Une exploitation agricole peut générer sept emplois pleins du début à la fin de la chaîne alimentaire, ce chiffre parle de luimême. La productivité s’en voit améliorée, et en cas de maladie ou d’empêchement, l’activité de l’exploitation est assurée. Et même si ce n’est pas aussi rentable qu’une machine, embaucher permet de faire perdurer l’économie locale. La preuve qu’il y a une demande de main-d’œuvre de la part des agriculteurs est qu’il m’arrive de refuser des propositions d’emploi…

Propos recueillis par Maxime Boutevin


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C’est vous qui le dites

sur wikiagri.fr S

Faut-il investir dans du matériel quand la trésorerie est là, ou quand celui-ci le réclame ? Vos avis divergent, avec des arguments de part et d’autres.

V

os premiers commentaires dénotent une vision plutôt négative de la croissance verte dans l’agriculture. Tout d’abord, le verdissement vers lequel il faudrait tendre ne tirerait pas son origine au cœur de la société, mais serait le fait de lobbys et d’un phénomène de « mode ». Un phénomène qui n’aurait par ailleurs aucune mise en œuvre concrète. « Le verdissement n’est pas demandé par la société, mais par les lobbys écologistes et décroissants ! », affirme un internaute. Cette première approche s’accompagne même d’un rejet : « Je pense, que pour le moment, on devrait laisser les agriculteurs cultiver leurs parcelles car la planète peut tout juste nourrir ses habitants », ajoute un autre. Un exemple cité parmi d’autres, la culture du colza ou du tournesol utilisés pour faire des biocarburants, et le fait que vous vous apercevez que l’huile de palme – moins chère – est majoritairement

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ur le forum ouvert sur wikiagri. fr sur le retour à l’investissement, vous n’avez pas été trop nombreux à répondre, mais vous avez étayé vos réflexions d’arguments. La première proposition consiste à profiter d’une trésorerie avec un peu d’avance pour renouveler son matériel, ou faire ce qu’on ne fait (presque) jamais d’habitude : « Remplacer le pulvé qui commence à vieillir ; remplacer un tracteur

utilisée. D’autres ne sont franchement pas inspirés par la croissance verte : peu importe l’agriculture, la société désirerait plutôt une maison individuelle, avec jardin « vert » et sans voisin, des routes pratiques, larges, des lignes TGV directes... Les internautes pointent également du doigt le manque de moyens à l’heure où la France et l’Europe peinent à trouver des fonds. Manque de moyens présents aussi chez les exploitants. Des pratiques vertes doivent être rentables, sortir de la valeur ajoutée et de la TVA, ou alors être subventionnées. « Cette croissance, c’est plus de subventions mais les Etats européens ont-ils les moyens ? » La croissance verte serait donc une mauvaise blague ? « Je ne vois donc pas une possibilité de croissance grâce à cette supercherie, surtout si pour parvenir à un résultat on me parle de primes, d’indemnisations, ou de subventions », balance un internaute.

« Décroissance verte »

H

eureusement, tout le monde ne considère pas la croissance verte comme une supercherie. L’un d’entre vous observe toutefois un « phénomène contraire » depuis ces dix dernières années : « La France est passée de l’autosuffisance en viande de volaille et porcine à une position d’importatrice, certaines centrales de distribution importent du lait pour faire pression sur les prix, en céréales, nous assistons à une stagnation des rendements par hectares... » En cause ? Les mesures éco-environnementales ou le plan Ecophyto qui ajouteraient ainsi une couche à la perte de compétitivité des agriculteurs. Une solution prônée serait d’assister à une véritable volonté politique en faveur de l’agriculture, une mise en place de cadres bien définis et une tolérance accrue. « Orienter les recherches de l’Inra vers plus de productivité. Accepter le progrès sous toutes ses formes, en particulier les variétés


L C

461 Membres plus tôt que prévu pour avoir le temps de voir venir ; avec tout le matériel qui traîne dehors, construire un nouveau hangar ; acheter un peu plus d’engrais de fond P K après avoir fait quelques impasses ces dernières années ; faire le plein d’ammonitrate pour assurer de meilleurs rendements et/ou faire une bonne commande de phytos en morte saison pour pouvoir bien soigner les cultures en 2013 (si jamais les cours resteraient élevées…) ; garnir un peu le bas de laine pour que lorsque la bise sera venue, lorsque le vent tournera, avoir de quoi faire face ; épargner pour la retraite, avec le niveau des retraites agricoles, mieux vaut prévenir… »

851

Penser aux retraites agricoles, faut avouer que cela n’apparaît pas comme une priorité flagrante, alors qu’effectivement le sujet est préoccupant ! Un autre d’entre vous se pose la question : « Je ne sais pas si les bonnes années poussent à la diversification, aux nouvelles productions ? Au contraire, faire du blé à 250 euros c’est plus simple, non ? » Et du coup : « Investir dans la réduction des charges, dans les économies d’énergies, les engrais azoté, cela va être le nerf de la guerre rapidement. Disponibilité et augmentation des cours, voilà où je vais sans doute mettre de l’argent... »

U

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Et pour un troisième : « Le solde de trésorerie, doit me servir à préparer l’avenir en ne mettant pas tous les œufs dans le même panier, et en évitant de me créer un surplus de travail aux grosses périodes. Cela à été de l’immobilier locatif, de l’énergie renouvelable, de la commercialisation, de la formation. Le souci étant de pouvoir se garantir, autant que faire se peu, un après-agricole correct. » AJ

Retraites, après-agricole, diantre ! Et nous qui pensions que les agriculteurs étaient « des bosseurs qui ne comptent pas leurs heures » ? A.J.

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DR

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RETOUR SUR INVESTISSEMENT

Brèves des champs u

Désherbage

Fongicides

La charrue, cet herbicide révolutionnaire

Protection haut de gamme sans casser la tirelire ? Nous sortons, avec 2012, d’une campagne sous forte pression sur le front des maladies. 25q/ha de nuisibilité moyenne ! C’était aussi le baptême du feu pour les nouvelles SDHI, dernière génération de fongicides dont l’efficacité est à la hauteur du prix... Et justement, l’an dernier, Arvalis estime l’enveloppe fongicides à 78 euros/ha à l’échelle du territoire alors que la conjonction de la nuisibilité et des cours portait l’investissement optimal à près de 100 euros/ ha. Mais même pour 78 euros, il est, toujours selon Arvalis, parfaitement possible d’intégrer une SDHI à son programme, de profiter de sa souplesse et de son efficacité, quitte à adapter la dose à l’enveloppe... Et c’est ce qui s’est passé sur le terrain avec des passages à demi dose de SDHI. Les prévisions tablent d’ailleurs sur l’application d’une SDHI sur trois quarts des hectares de blé en 2013.

Tantôt symbole de l’agriculture diabolisée, avec ses semelles de labour, l’érosion, la destruction des horizons et des lombrics, tantôt porte étendard du désherbage mécanique, pour ne pas dire « écologique », le statut de la charrue est des plus ambigus... Ou du moins fonction des priorités du moment et du statut de ses « concurrents », tels les herbicides totaux. Une expérimentation comparative menée par Arvalis à l’échelle d’une exploitation de 135 ha dans les Pays de la Loire donne cependant une image très positive de l’utilisation du désherbage mécanique : réduction de moitié des charges en herbicides, possibilité de compenser l’augmentation des charges mécaniques par la diminution des charges herbicides, baisse des IFT (indicateur de fréquence de traitements phytosanitaires)... Mais au prix de 17 minutes de travail supplémentaires par hectare, d’une hausse de la consommation annuelle de carburant de 5 % et d’une dépendance accrue aux conditions climatiques. Une conclusion difficile à généraliser, notamment en raison des conséquences à long terme sur le stock semencier, certaines adventices appréciant l’enfouissement, d’autres étant capable de germer en étant remontées au labour suivant. Pour une flore à dominante de graminées, la charrue reste une arme extrêmement efficace et rentable. Quant au déchaumage, il conserve toutes ses lettres de noblesse, favorisant la levée des adventices avant le labour et la vie bactérienne. Reste un chèque à signer et à posséder un tracteur capable de tirer le tout.

Fotolia

A quelle dose ? A l’heure de planifier l’investissement, il faut aussi intégrer le retour d’une menace ancienne : la rouille jaune, dont les mutations permettent une extension rapide sur le territoire et le contournement d’un nombre croissant de résistances variétales. L’investissement est une chose, le positionnement permet d’en tirer les bénéfices et le top septoriose pour son premier traitement n’est plus forcément suffisant face à la rouille jaune.

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D.R


Semences certifiées Investissement ou acte militant ? Près d’un hectare de céréales à paille sur deux est aujourd’hui cultivé avec des semences de ferme. La part des semences certifiées se réduit, malgré le plaidoyer du Gnis pour l’achat de variétés permettant de financer le développement des variétés de demain. D’autant que le retour sur investissement ne se dément pas : selon le groupement, un euro investi en génétique rapporterait près de quatre fois la mise... « A partir de l’évolution du rendement moyen du blé tendre, en France, sur 10 ans, il a été prouvé un gain cumulé lié au progrès génétique, de 32 quintaux sur 1 ha pendant 10 ans (1995-2005). En tenant compte du droit de licence 2005 (permettant de financer la recherche variétale) : 6,6 €/q de semences. Le progrès génétique a coûté 8,31 quintaux alors qu’il en a rapporté 32. Soit un retour sur investissement de près de 385 % », promettait l’organisme il y a quelques années. D.R.

Fertilisation Une analyse des sols pour moduler l’azote

Un argumentaire qui reste d’actualité et pourrait même être renforcé par les questions de tolérances aux maladies, au stress hydrique, tout en améliorant les qualités nutritionnelles. Loin de vouloir diaboliser les semences de ferme ou de rentrer dans le débat sur l’obtention végétale, la recherche privée ne peut se passer du financement offert par la commercialisation de leurs variétés et la ferme France lui doit la moitié des quintaux gagnés depuis 60 ans. Alors si le retour sur investissement est présent, pourquoi pas ! D’autant que le retour de la rouille jaune et son contournement des tolérances chez les variétés de blé les plus communes relance la course.

En matière d’outils d’aide à la décision pour la fertilisation, il est possible d’aborder le problème par les deux bouts : par le ciel ou par le sol.

Rubrique écrite par Benjamin Masson

La première approche est maintenant bien connue, c’est celle de Farmstar, par exemple, ou des cartes de rendements passés. Mais si l’on considère le rendement comme le résultat plutôt que le point de départ, on se tourne immédiatement vers le sol et son analyse pour déterminer les besoins et les potentiels. L’idée est de multiplier les analyses de sols sur la parcelle et de caractériser les différences de PH, de KCI, de taux de matière organique, d’azote nitrique et ammoniacal, de type de sol, d’horizons... Et d’en tirer des zones homogènes de l’ordre de 8 ha entre lesquelles la modulation des apports est intéressante et marquée. C’est par exemple le type de prestation que propose Agro Conseil dans le nord de la France depuis 2008. La suite est plus classique : cartes de préconisations sur un PDA relié à la machine, détermination du fractionnement et des dates optimales, nous revenons en terrain connu et à des technologies banalisées. Mais maîtriser le cycle de l’azote dans le sol et en différents points de la parcelle permet de s’affranchir des marges de sécurité, des apports excédentaires et de l’argent qui se volatilise. L’analyse de sols est souvent coûteuse, surtout si l’on multiplie les échantillons, mais si l’on peut économiser 80 unités à l’hectare sur certaines zones, le jeu n’en vaut-il pas la chandelle ?

D.R.

Le choix de WIKIAGRI FÉVRIER 2013 | n°6

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RETOUR SUR INVESTISSEMENT > BREVES DES CHAMPS

Légumineuses Toujours rentables

Photovoltaïque

Les cours des céréales ne plaident sans doute pas pour un allongement des assolements à court terme... Grave erreur que ce raisonnement selon l’Unip (interprofession des protéagineux), qui s’appuie sur la réduction des charges et l’effet bénéfique sur le rendement de la culture suivante pour mettre les choses au point. Un gain de 10 % en rendement moyen pour le blé qui suit, une réduction des apports d’azote de 20 à 60 kg/ha sur le blé ou colza profitant de l’effet précédent, des charges de désherbage de 35 euros/ha/an sur la rotation par rapport à une rotation courte... La marge semi-directe est en hausse dans quasiment tous les cas de figure avec un intérêt environnemental plus qu’évident.

Le retour planifié Nombreux sont les exploitants à avoir surfé sur la première vague du photovoltaïque. Qu’il s’agisse de projets autofinancés ou de contrats avec des exploitants afin de construire un bâtiment à moindre frais. Avec la baisse des tarifs de rachat en 2010, ce fut un véritable coup d’arrêt pour la filière naissante, qui reprend aujourd’hui du poil de la bête... au nom du made in Europe. La ministre de l’écologie annonçait début janvier un doublement de la puissance installée, passant de 500 MW en 2012 à 1000 MW cette année. Comment ? Grâce à un bonus de 5 à 10 % sur le tarif de rachat des watts issus de panneaux et d’installations issus des usines européennes. Pour mémoire, le tarif de base est actuellement de 18,4 centimes le KWh. Pour un agriculteur, c’est la perspective d’une production énergétique rentable sur le long terme qui redevient possible. Car depuis cinq ans, les coûts des investissements ont largement chuté : s’il fallait compter la bagatelle de 500 000 euros pour une installation de 100 kWc en 2008 (panneaux, onduleurs, installation...), le prix a été divisé par quatre aujourd’hui. Attention cependant, le tarif de rachat des installations au sol reste en chute libre. Aux détenteurs de vastes toitures de saisir l’opportunité ; et les agriculteurs ont une belle carte à jouer. Signe d’un retour en grâce, la société Sunpartner (concepteur de solutions photovoltaïques) vient de signer un accord avec l’Inra afin de développer des systèmes de culture sous serre compatibles avec la couverture de panneaux solaires.

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Même son de cloche chez GL-Pro, réseau d’expertise européen sur les protéagineux, l’introduction d’un pois dans une rotation classique (colza-blé-orge) permettrait de réduire la consommation d’énergies fossiles de 12 % par hectare et par an du fait des économies d’azote et de réduire l’acidification des sols de 18 %. Sans parler de la relocalisation de la production, sujet à la mode, en l’occurrence pour les protéines végétales... De là à enfiler une marinière... Lors d’une étude sur l’intérêt économique des protéagineux, certes menée en 2006 avec un blé à moins de 120 euros, GL-Pro observait une augmentation de la marge brute de 1 % vis-à-vis de la rotation classique (en Picardie). Un bon résultat qui n’incluait d’ailleurs pas l’intérêt à long terme pour la gestion des adventices et des maladies.

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Vu du ciel L’investissement agricole, une question de société Vu d’ailleurs, le modèle Français est une exception hallucinante : des rendements stratosphériques, d’une régularité quasi infaillible, mais au prix d’un investissement à l’hectare trois à cinq fois supérieur à nos concurrents...

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Pour obtenir un coût final à la tonne dans la moyenne D.R des pays occidentaux. Autrement dit, investir plus pour gagner autant. Il est de coutume de pointer les charges de mécanisation à l’hectare et les volumes de produits phytosanitaires pour expliquer les handicaps de ce modèle. Mais prendre ce raccourci permet-il de considérer toutes les dimensions de notre modèle ? A commencer par la dimension humaine : nous comptions en 2010 plus de 119 000 exploitations céréalières spécialisées pour une surface moyenne de 77 ha (source Insee). Comment en tirer un revenu de si peu sinon en investissant pour assurer de bons rendements ? La conséquence, ce sont des campagnes vivantes, des activités économiques en milieu rural, des villages qui se maintiennent. Si l’on pousse un peu le raisonnement, ces petits villages de carte postale ne sont-ils pas ceux pour lesquels nos amis anglais ou américains payent leurs billets d’avion ? Le bucolique, l’art de vivre « à la française » avec ses territoires entretenus et ses terroirs qui s’exportent ; par opposition aux déserts humains des grandes plaines céréalières d’Ukraine, de Russie ou de la Corn belt. Alors oui, l’agriculture française investit beaucoup. Oui, parfois à l’excès quand les cours baissent et qu’il faut payer les traites, mais le retour sur investissement dépasse largement le « petit » paysan sous son béret. Rubrique écrite par Benjamin Masson

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MOTEUR

> RETOUR SUR INVESTISSEMENT

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La machine, le fisc et la pompe à huile

La déduction pour investissement (DPI) ne s’applique plus à l’achat de matériels. Une petite révolution. La ferme France peut-elle se gripper et redouter l’obsolescence ? Pas dans l’immédiat.

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Ce qui peut passer pour du suréquipement pourrait tout aussi bien être considéré comme une assurance face aux aléas climatiques dictant leur loi aux travaux.

u’est-ce qui est utilisé par 95 % des exploitations agricoles réalisant des bénéfices, permet de lisser les revenus et donc les impôts et cotisations sociales, tout en travaillant avec des machines récentes et performantes ? La déduction fiscale pour investissement (DPI). Jusqu’en 2011, la déduction, plafonnée à 20 000 €/an, pouvait être affectée à l’acquisition de biens amortissables (matériel), à l’achat de stocks à rotation lente (animaux reproducteurs, vaches laitières) ou encore à l’acquisition de parts sociales de sociétés coopératives agricoles. Désormais, seules les deux dernières possibilités demeurent dans le champ d’application de la DPI. Par son antériorité (la mesure est liée à la mise en place du régime fiscal du bénéfice au milieu des années 1970), son montant (20 000 €/an) et son succès (!), la DPI voit l’amendement voté par l’Assemblée nationale en décembre dernier comme une petite révolution. Le manque à gagner pour les finances de l’Etat et la protection sociale, retraite comprise, dans un contexte économique de crise, a fini par avoir raison de cette niche fiscale. L’application de cet amendement à l’exercice 2012 la prive du même coup d’un dernier baroud d’honneur.

Effets d’aubaine ? Si les événements se sont précipités fin 2012, la DPI était sur la sellette depuis de nombreuses années, y compris à l’intérieur de la sphère

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Amazone

agricole où certains dénonçaient ses effets pervers. Les Cuma notamment étaient contrariées par la logique d’investissement individuel qui pouvait prévaloir chez certains de ses adhérents. Au-delà de ces considérations catégorielles, la DPI était accusée d’accentuer le raisonnement fiscal des achats de matériels, au détriment de la logique économique. Avec des niveaux amortissements élevés dans les bilans comptables, le profil d’industrie lourde de l’agriculture en sortait renforcé, la transmission d’entreprise un peu plus compliquée, et le tout prêtait le flanc à des critiques pointant le surinvestissement.

C’est une façon de voir les choses. Il y en a plein d’autres, à commencer par celle qui consiste à considérer que le niveau d’investissement soutenu et régulier dans l’agroéquipement a permis à l’agriculture française de réaliser d’énormes gains de productivité, synonymes de compétitivité. C’est aussi à la qualité du parc de machines que l’on doit la régularité des niveaux de production, en déployant les moyens nécessaires aux moments les plus opportuns quand les aléas climatiques hypothèquent les semis, les traitements phytosanitaires ou encore des récoltes. La transition


« vers une agriculture durable passe aussi par des investissements dans les nouvelles technologies, avec en tête le géo-positionnement et toutes les applications qui en découlent (désherbage mécanique, modulation intra-parcellaire, coupures de tronçons…). N’oublions pas les bénéfices pour les agriculteurs et les chauffeurs en terme de confort, au sens large du terme (assistance à la conduite, suspensions, climatisation, insonorisation…). « La DPI était un véritable outil d’anticipation et de gestion des exploitations, relève Jean-Dominique Loiseau, conseiller d’entreprise au CER France Poitou-Charentes. Je ne connais pas d’agriculteur qui fondait sa stratégie d’équipement sur la DPI. »

New Holland

venir, en vertu de l’obligation de les réintégrer dans le résultat, à défaut d’investissement dans les cinq ans suivant la déduction. Et puis deux autres leviers favorables à l’investissement dans des biens amortissables restent effectifs, en plus d’une dotation pour aléas (DPA) revue et corrigée (lire l’encadré). Il s’agit d’une part de l’amortissement fiscal dégressif, qui permet d’amplifier l’amortissement du matériel acheté neuf au cours des premiers exercices. La seconde disposition, qui découle de la première, exonère d’imposition les plus-values qui résultent de la différence entre le produit de la vente d’un bien amortissable et sa valeur comptable.

John Deere

Enfin, la fin des DPI ne signe pas la fin des multiples formes d’accès à la mécanisation : crédit-bail, location, prestation, Cuma… « La fin de la DPI pour les biens amortissables, avec d’autres éléments comme l’agrément phytosanitaire ou les restrictions sur le travail à façon réalisé par les sociétés civiles, vont participer à faire évoluer les stratégies, note Jean-Dominique Loiseau. On peut imaginer un développement de sociétés associant plusieurs agriculteurs, spécialement dévolues à la mécanisation. »

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Raphaël Lecocq

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Deux leviers fiscaux maintenus Dans ces conditions, dans un domaine aussi vital qu’est l’agriculture, qui plus est un des rares secteurs d’activité contribuant positivement à notre balance commerciale (11,6 milliards d’excédent commercial en 2011), la suppression d’une aide à l’investissement est-elle tout à fait raisonnable ? Pour répondre à cette question, il faudra évaluer l’impact de la réforme de la DPI sur les investissements à venir, et ses conséquences éventuelles sur la production agricole et la capacité des exploitations à conserver un outil de production efficace. Cette analyse risque de réclamer quelques années. Les effets de la réforme seront néanmoins progressifs car les déductions réalisées au cours des exercices passés pourront être utilisées au cours des exercices à

La transition vers une agriculture durable passe par l’investissement dans les nouvelles technologies, dont le géo-positionnement.

ZOOM

La déduction pour investissement (DPI) a largement contribué à soutenir l’investissement dans du matériel récent et performant. Jusqu’à l’excès ?

La DPA privilégiée A l’inverse de la DPI, la déduction pour aléas (DPA), autre dispositif fiscal, bénéficie d’aménagements visant à renforcer son intérêt. La DPA voit sa condition d’assurance supprimée tandis que le blocage sur un compte bancaire dédié d’une somme équivalente au montant de la déduction est ramené à 50 % de la déduction appliquée. En outre, l’article 72 B du Code général des impôts stipule que les indemnités d’assurance perçues suites à des pertes de récolte sont imposables lorsque la perte est effectivement constatée, afin d’éviter des ressauts d’imposition. La DPA peut aussi servir l’achat de fourrages dans les six mois qui suivent ou précèdent la reconnaissance de l’état de calamité agricole. En contrepartie, le délai d’utilisation de la DPA est ramené de dix ans à sept ans. Les DPI et DPA ont donc un plafond commun de 25 000 €/an, quel que soit le montant du bénéfice de l’exploitation. Les Gaec et les Earl pourront multiplier les plafonds de déduction par le nombre d’associés exploitants, dans la limite de trois.

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MOTEUR

> RETOUR SUR INVESTISSEMENT

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Un tracteur d’avance Au-delà du tracteur, de nouvelles technologies, sinon de nouveaux concepts, s’invitent régulièrement dans la mécanisation. Quid du rapport entre bénéfices et risques ?

« Dans le domaine de l’agroéquipement, on trouvera difficilement des exemples de matériels confinant au fiasco technique et financier, note René Auttelet, consultant et membre du jury des Sima Awards. Cela a pu se produire dans le domaine du travail du sol mais avec des conséquences toutes relatives. »

La fabrication de bandes de caoutchouc sur mesure, pas par pas, autorise toutes les dimensions possibles sur tous types d’automoteurs.

Trimble

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es relevages avant intelligents capables de gérer des outils travaillant le sol en lieu et place de simples bras faisant office de porte-masses. Des semoirs et outils associés permettant de s’affranchir du labour quels que soient les volumes de résidus en présence. Des semoirs monograine capables de semer à 15 km/h, soit environ le double de la vitesse communément admise comme raisonnable. Des capteurs de rendement embarqués sur les moissonneuses-batteuses ouvrant la voie à la modulation intra-parcellaire des intrants. Des systèmes d’autoguidage dotés d’une précision de 2 cm. Des capteurs de biomasse embarqués sur une rampe avant du tracteur pour adapter en conséquence les doses d’azote, de fongicides ou de régulateurs apportées par l’appareil attelé à l’arrière. Convertir sa flotte de matériels à roues au « tout chenille », limitant

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les phénomènes de tassement et dotés d’une meilleure capacité de traction. Superviser sa flotte d’automoteurs depuis sa tablette tactile par télématique. Adopter des systèmes de propulsion alternatifs au tout gazole. Tester le concept et les avantages de l’injection directe en matière de pulvérisation, investir dans le goutte à goutte enterré, se lancer dans le strip-till, réintroduire le désherbage mécanique en mode hi-tech, localiser l’engrais au semis etc. S’il fallait des preuves que l’agroéquipement rime avec matériels innovants, en voilà.

Risques relatifs Comment apprécier l’intérêt d’une innovation, son retour sur investissement, le risque de la surpayer sinon d’en essuyer les plâtres, en déjouer les éventuelles sur-promesses, voire l’inintérêt total, pour ne pas dire la tromperie ?

En matière de travail du sol justement, le strip-till est depuis peu sur toutes les lèvres. En attendant d’être sur tous les bras de relevage ? « En ce qui nous concerne, nous n’avons pas achevé l’évaluation technique exhaustive de ces matériels, indique Damien Brun, sp écialiste travail du sol et semis à Arvalis Institut du végétal. Le strip-till n’est pas une révolution mais indéniablement une nouvelle solution. Les constructeurs qui les promeuvent sont très proches des utilisateurs, ce qui limite les risques de faire des erreurs pour les agriculteurs qui franchissent le pas. » A la fin des années 90, l’émergence de l’agriculture de précision a mis en exergue les capteurs de rendement, préludes à la cartographie et à la modulation d’intrants. Qu’en est-il 15 ans plus tard ? « Pour valoriser la modulation, il faut d’abord être en présence de sols hétérogènes, indique Caroline Desbourdes, spécialiste de l’agriculture de précision à Arvalis Institut du végétal. Aujourd’hui, la modulation s’appuie sur deux autres paramètres que sont les cartes de sol et l’état de la végétation. Les capteurs de rendement ne servent pas à ce pour quoi ils ont été vendus. Mais ils peuvent être utiles pour évaluer par ses propres moyens des variétés ou des programmes de protection. »


Plus que des machines révolutionnaires, engendrant des investissements conséquents, l’innovation opère le plus souvent par petites touches, autrement dit par des options techniques, dont le coût, et donc la prise de risques, sont tout relatifs. Dans le domaine du travail du sol, l’abandon de la charrue et du combiné de semis pour les techniques simplifiées est un virage technico-économique ardu, mais pas irréversible. Les bénéfices engendrés procurent-ils aux pionniers de ces systèmes des avantages compétitifs notables ?

Bénéfices plus ou moins quantifiables « Leur avance agronomique est réelle mais pas automatique au plan économique », relève Damien Brun. Dans certains cas, le retour sur investissement est immédiat. Illustration avec le relevage avant. « Sans asservissements électroniques, il est illusoire de travailler le sol en profondeur avec un outil avant, souligne René Auttelet. Mais avec les asservissements adéquats, l’équipement est rentabilisé le jour même de l’achat du fait des économies réalisées sur la puissance embarquée et la consommation de carburant. » Les systèmes de coupure de tronçons relèvent de la même logique, même s’il convient de relativiser les économies de produits phytosanitaires, plus proches des 5 % que des 10 à 15 % annoncés ici ou là.

Semis rapide et direct de maïs Waxy juste après récolte d’une orge d’hiver. Osé !

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« Un monograine rapide qui tient ses promesses » Entrepreneur de travaux basé à AinhiceMongelos (Pyrénées-Atlantiques), Eric Duguine est l’un des premiers à avoir investi dans un semoir monograine rapide. C’était en 2011. Deux campagnes et 1000 plus tard, il livre son verdict sur l’EDX d’Amazone en version portée 8 rangs.

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Mon semoir est équipé d’un système d’injection directe Dosatron pour appliquer l’herbicide et d’un système d’apport d’engrais liquide. Avec la trémie centralisée, le tout me permet de m’affranchir des contraintes liées au morcellement du territoire, les 500 ha de D.R. maïs étant semés chez 125 clients différents, avec une seule machine et un seul opérateur. Limité par le Dosatron, j’ai semé à 11 km/h la première année et à 12 km/h la suivante. Cette année, après de nouveaux aménagements, je vise les 15 km/h et les 700 ha. Mes clients sont satisfaits, la précision est au rendezvous, y compris en maïs semences. L’EDX permet aussi de faire des économies de préparation de sol selon la situation. Je considère avoir pris un risque en investissant sur un monograine rapide mais en contrepartie, j’ai bénéficié d’un très bon suivi technique de la part du constructeur et du concessionnaire. Au final, l’investissement est pertinent et payant. »

«

Pour rester dans le domaine de la pulvérisation, la révolution pourrait venir de l’injection directe, une solution intellectuellement parfaite : absence de fond de cuve, suppression du rinçage de cuve, réduction des risques de pollution accidentelle (débordement, renversement en

cours de transport), réduction des risques de réaction chimique entre spécialités (précipitation, floculation), possibilité d’interrompre un chantier à tout moment, modulation des doses sans modifier les paramètres de pulvérisation (débit, taille des gouttelettes), possibilité de réaliser des programmes différenciés par parcelles ou par variétés. Pour l’instant, elle est l’œuvre de quelques soustraitants mais d’aucun constructeur spécialisé. Au Sima, Berthoud lèvera le voile sur sa propre technologie. « Nous sommes encore en phase de test, souligne François-Xavier Janin, responsable marketing grandes cultures chez Berthoud. Mais notre objectif est bel et bien de proposer à moyen terme une solution commerciale, totalement sûre et qui lève l’ensemble des contraintes existant aujourd’hui dans ce domaine. » A bien y réfléchir, de révolution, il en est une, qui concerne les éleveurs laitiers. Il s’agit du robot de traite, au succès irrémédiable. Question : le robot de traction faitil rêver les céréaliers ?

EDX Amazone

Raphaël Lecocq

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I AILLEURS

> Ile de la Réunion

Jean-Bernard Jaurès :

la canne à sucre en monoculture Ailleurs, ce peut être en… France mais à 10 000 kilomètres de la « mère patrie », sur un petit confetti au beau milieu de l’océan indien… Là où la production agricole n’est pas si différente de celle de l’Hexagone, mais là où la canne à sucre reste le pilier de l’agriculture réunionnaise. pédoclimatiques. « J’ai conservé la R 570 et R 579 qui sont cultivées depuis plusieurs décennies et constituent des valeurs sûres. Ce sont des variétés rustiques mais résistantes aux conditions climatiques difficiles, avec une bonne teneur en sucre. J’ai aussi voulu expérimenter des variétés plus récentes comme la R 582 qui offre une bonne richesse en sucre et la R 585, la dernière créée, qui allie un bon tonnage, une teneur en sucre satisfaisante et un taux en fibre plus important que les autres. »

Jean-Bernard Jaurès n’hésite pas à tester les nouvelles variétés pour améliorer ses rendements.

Jean-Bernard a été le premier agriculteur de son secteur à planter ces nouvelles variétés, pour juger de leurs performances. « Avec les variétés anciennes R 570, R 575 et R 579 j’atteins 80 à 90 tonnes/hectare. Avec la R 585, plantée il y a deux ans, je dépasse les 100 tonnes/ha. » Seule la R 583 ne lui a pas donné satisfaction car elle a tendance à se coucher lors de forts vents.

H.C.

A

400 mètres d’altitude, dans la région Nord-Est de l’île, Jean-Bernard Jaurès a patiemment façonné son « paysage » professionnel. « Je me suis installé en 2 000 sur 9 hectares. En 2001, j’ai récupéré 3,65 ha puis, au fil des ans, j’ai pu acquérir de nouvelles parcelles qui étaient en friches, pour atteindre aujourd’hui 20 ha. » Cela peut sembler peu mais à la Réunion, le foncier agricole se fait rare par rapport à la forte demande. La surface moyenne en canne des exploitations réunionnaises n’est que de 7 ha ; les exploitations sont majoritairement de type familial et ce qu’on appelle les grandes exploitations, de 200 ha et plus, se comptent sur les doigts des deux mains.

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Sur d’aussi petits espaces, la recherche d’une meilleure productivité est sans cesse d’actualité pour assurer la viabilité de l’exploitation tandis que les charges de production ont tendance à s’envoler si l’on n’y prend garde…. « Cette recherche de rentabilité ne me pose pas de problème car j’ai toujours essayé d’aller de l’avant », souligne JeanBernard Jaurès.

Progresser avec de nouvelles variétés Sur son exploitation morcelée, le planteur réunionnais privilégie un panachage de variétés de cannes à sucre, en fonction des conditions

Sur certaines de ses parcelles épierrées et au sol profond, JeanBernard Jaurès a opté pour la mécanisation de la coupe de ses cannes. « Sur les parcelles où cela est possible, en fonction du relief, je mécanise. C’est un gain de temps. Là où un coupeur récolte manuellement 20 tonnes par semaine, la machine coupe 60 tonnes la journée… » Gain de temps mais aussi économie puisque le coupeur est payé 16 euros la tonne de cannes coupées tandis que la coupe mécanique coûte 13 euros la tonne, en prestation, à Jean-Bernard Jaurès. La mécanisation de la coupe de la canne à sucre en est encore à ses premiers pas, à la Réunion, surtout sur les petites et moyennes exploitations. L’investissement est


Jean-Bernard Jaurès dépose ses cannes récoltées dans une remorque, à l’aide d’un chargeur Bell, pour livrer à l’usine. H.C.

lourd mais devient incontournable pour des raisons de maîtrise des coûts de production mais aussi de manque de main-d’œuvre pour un métier de coupeur de cannes particulièrement pénible. Les jeunes n’ont plus la fibre et les canniers réunionnais doivent ainsi s’adapter.

Démarche écologique et de rentabilité S’adapter et innover… Jean-Bernard Jaurès l’a bien compris : « Je me suis inscris dans la démarche des mesures agroenvironnementales pour m’aider à limiter l’utilisation de produits chimiques. » Depuis fin 2010, il est aussi adhérent du réseau Déphy, mis en place dans le cadre du programme Ecophyto 2018, pour tester des systèmes économes en produits phytopharmaceutiques. « Auparavant, pour le désherbage, j’utilisais un pulvérisateur à rampes. Cinq jours après la coupe, j’effectuais un premier passage. Un mois après, un 2e passage et deux mois après un 3e passage de rattrapage. Aujourd’hui, je fais un 1er passage avec un décompacteur. Un 2e passage avec une bineuse que j’ai moi-même modifiée avec des « dents » plus longues pour pouvoir intervenir dans un champ de cannes à sucre et un 3e passage avec un désherbant chimique si cela est nécessaire. » Au final, l’exploitant réunionnais a diminué de 50 % son utilisation de désherbants et réduit de même ses charges sur ce poste. « D’un coût de 200 euros/ hectare, je suis maintenant à 100 euros/ha », souligne-t-il.

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Malgré ces améliorations notables, la gestion de l’exploitation de JeanBernard Jaurès reste délicate. La faute à la sécheresse qui a sévi ces trois dernières années. Une sécheresse qui se répète et semble s’étendre sur des zones jusque là épargnées. « Je suis installé sur une partie de l’île habituellement bien arrosée par les pluies. Or, depuis l’an dernier, je ressens les effets de la sécheresse, pas aussi durement que mes collègues du Sud ou de l’Ouest de l’île, mais je vois que quelque chose a changé. Aujourd’hui, tous les agriculteurs sont concernés par cette sécheresse, même ceux qui sont en périmètres irrigués, et subissent des coupures d’approvisionnement en eau. » Lors de la dernière campagne qui s’est achevée début décembre 2012, Jean-Bernard Jaurès a récolté 200 tonnes en moins : « Mes cannes

ont poussé moins bien du fait du manque d’eau. C’est vraiment dommage, car les efforts réalisés pour gagner en productivité sont annihilés par des pertes de récoltes dues à la sécheresse. Il va falloir songer à investir dans du matériel d’irrigation dans cette région pourtant traditionnellement pluvieuse ; en tout cas trouver rapidement des solutions pour pallier à la sécheresse qui risque de se répéter… Nul ne sait, mais vu ce qui se passe depuis trois ans… Il vaut mieux se montrer prévoyant et aménager des retenues d’eau sinon les agriculteurs et l’agriculture réunionnaise, entre cyclone et sécheresse, risquent de se retrouver en grande difficulté. » Hervé Cailleaux

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I AILLEURS

> Ile de la Réunion

La haute technologie investit la filière canne à sucre La création variétale s’effectue par hybridation, en croisant par exemple une variété riche en sucre avec une variété forte en tonnage ou une variété sensible à une maladie et l’autre résistante…

La production réunionnaise de sucre est infime dans le concert mondial : 206 000 tonnes contre 160 millions de tonnes pour la production mondiale. Pourtant, la Réunion est connue dans tous les pays sucriers, grâce à la technologie et l’innovation développées autour de sa culture de la canne à sucre. Recherche de productivité dans les usines Dans les deux usines sucrières de l’île, la recherche de gains de productivité a fait appel à une innovation technologique de pointe. D’abord dans l’automatisation qui a apporté une fiabilité et une régularité dans le processus de fabrication du sucre ou la distillation… Dans la distillation, la conduite manuelle pouvait être sujette à l’erreur humaine ou dépendait du savoirfaire de l’opérateur. La technologie a aussi permis de poursuivre deux objectifs : récupérer le maximum de sucre avec l’extraction la plus forte possible et faire baisser autant que faire se peut la consommation d’énergie dans le processus de fabrication du sucre. Les usines sucrières de la Réunion ont par ailleurs expérimenté, en première mondiale, le « sixième effet » qui consiste à rajouter une étape d’évaporation du jus de canne aux cinq précédentes étapes tout en limitant la consommation d’énergie. Le jus de canne contient environ 15 % de matière sèche : en optimisant l’évaporation, l’usine peut transformer la vapeur d’eau en énergie. Dans le monde sucrier, les spécialistes reconnaissent que les usines réunionnaises obtiennent les meilleurs résultats au niveau de l’extraction et du process.

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H.C.

La télédétection pour optimiser l’irrigation Dans les champs, la télédétection ouvre la voie à une agriculture de précision à l’échelle de la parcelle. L’acquisition d’images par des capteurs embarqués par des satellites ou par des engins aériens comme des drones télécommandés ou les ULM sert à apprécier l’avancée de la récolte et au calcul des surfaces des parcelles. Dans le cadre d’un projet de mécanisation de la coupe, la télédétection permet de calculer avec précision les dévers et les pentes sur une exploitation. La télédétection peut aussi apporter une aide précieuse pour optimiser l’irrigation. Les images aériennes infrarouges de caméras thermiques révèlent les températures à la surface du sol. Il est ainsi possible de localiser les zones qui souffrent d’un déficit d’eau.

Des variétés très prisées eRcane est avant tout un centre de recherche variétale sur la canne à sucre. La sélection variétale consiste à obtenir par hybridation de nouvelles variétés et mettre en culture chez les planteurs celles qui produisent le revenu à l’hectare le plus élevé possible. L’aptitude à la repousse après les coupes successives ou la résistance aux maladies sont les critères les plus recherchés. Les conditions climatiques variées et les différences topographiques de la Réunion permettent de sélectionner une large gamme de variétés de cannes pouvant s’adapter dans de nombreux pays sucriers : Sénégal, Tanzanie, Côte-d’Ivoire, Congo, Malawi, les Antilles… A l’île Maurice, la moitié des champs de cannes (soit 30 000 ha) sont plantés de variétés réunionnaises. Il y a ainsi plus de cannes réunionnaises dans l’île voisine qu’à la Réunion où


H.C.

La bagasse, fibre de canne après extraction du sucre, sert à produire de l’électricité et alimente directement les deux centrales thermiques de l’île, comme ici celle du site industriel du Gol dans le Sud de l’île.

la culture de la canne à sucre s’étend sur 24 500 ha. La dernière née (la R 585, R pour Réunion et 585 car c’est la 585e de la lignée créée par le centre de recherche réunionnais qui existe depuis 83 ans) se caractérise par un rendement au champ bien supérieur aux meilleures variétés jusque là cultivées et un fort taux en fibre (+ 20 à 30 % par rapport aux autres variétés). Et qui dit riche en fibre, dit davantage de bagasse et de biomasse recyclable… Production d’énergie et chimie verte La technologie dans la filière canne à sucre ne s’arrête pas à la production de sucre ou de rhum. La bagasse – résidu fibreux de la tige de canne – est brûlée pour produire de

Barquette fabriquée à partir de la bagasse, coproduit de la canne.

H.C.

l’énergie, utilisée en premier lieu par les centrales thermiques et les usines sucrières pour leur consommation propre ; le surplus est vendu à EDF et participe à la couverture des besoins en électricité de l’île (environ 10 %). Par comparaison à d’autres plantes annuelles, la canne à sucre produit une biomasse très importante. Dans les coproduits ou les résidus de la canne, il existe également des molécules à valoriser, avec des débouchés économiques innovants, à la clé. Elle est donc une plante idéale pour servir de « matière première » à la bioraffinerie dont s’est dotée la filière canne à sucre réunionnaise. De même que dans le domaine de la pétrochimie, cette raffinerie du végétal utilise des procédés de séparation des différents constituants des végétaux utilisés ensuite pour la

fabrication d’agrocarburants, de biomatériaux, de bioplastiques (films d’emballages, barquettes…) ou une utilisation dans le domaine des cosmétiques, voire pharmaceutique… Les projets de recherche en chimie verte sont soutenus par le pôle de compétitivité réunionnais Qualitropic et offrent des perspectives nouvelles pour la filière, pivot de l’agriculture réunionnaise. Hervé Cailleaux

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ZOOM

Un prix garanti A la faveur d’une convention tripartite entre industriels sucriers, agriculteurs et Etat, les producteurs canniers de la Réunion bénéficient d’un prix garanti sur une période donnée. Cette « convention canne » est un accord interprofessionnel entre planteurs et industriels qui fixe les conditions d’achat de la canne à sucre pour la période considérée (2006-2015 pour la convention en cours) et constitue un document contractuel qui engage aussi l’Etat pour les règles d’attribution des aides publiques à la filière. Le prix d’achat de la canne à sucre varie en fonction de la richesse en sucre. En moyenne, pour une richesse de 13,8 %, l’agriculteur perçoit 39,09 euros par tonne. Plus la richesse en sucre est élevée et plus le prix payé par l’industriel (Tereos) monte. S’ajoute à cela, une « recette bagasse énergie », depuis 2009, de 11 à 12 euros par tonne de cannes, pour l’utilisation de ce coproduit comme biomasse servant à la production d’électricité. Les aides publiques de l’Etat et de l’Europe s’élèvent globalement à environ 28 euros par tonne. Ce qui donne au final un « revenu » de l’ordre de 70 à 80 euros par tonne de cannes, selon les résultats.

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Agritel Apprendre

Pédagogie des marchés Quelles perspectives pour le marché des céréales en 2013 et quelle(s) stratégie(s) adopter ?

Sébastien Techer

Conseiller en investissements financiers

Les marchés des céréales ont été particulièrement mouvementés en 2012 en raison des accidents climatiques qui ont frappé les principaux bassins de production de céréales dans le monde. En ce début d’année, l’heure est venue de s’intéresser à ce que la récolte 2013 nous réserve. Zoom sur les éléments qui animeront le marché des céréales pour la campagne à venir et surtout aux stratégies à adopter dans ce marché très volatil.

Les très mauvaises récoltes de céréales en 2012 ont eu pour conséquence, en plus de provoquer la flambée des prix, de réduire de manière significative les stocks chez les principaux pays exportateurs mondiaux de céréales à l’image des stocks de maïs aux Etats-Unis qui s’affichent au plus bas depuis 1995 à seulement 18 jours de consommation soit environ 15 millions de tonnes. Cela signifie que la marge de manœuvre pour la campagne 2013/2014 sera extrêmement réduite. En d’autres termes, le niveau de stock de céréales chez les principaux pays exportateurs de céréales (cf. figure n°1) ne permettra pas d’absorber un nouvel accident climatique pour la campagne à venir. Dans ce contexte, les opérateurs seront particulièrement attentifs à la situation climatique en particulier aux Etats-Unis et sur le bassin mer Noire.

Une sécheresse persistante sur le Middle West américain

Aux Etats-Unis, le premier exportateur mondial de blé, la sécheresse de cet été se poursuit notamment sur les zones de production de blé d’hiver à savoir le Kansas, l’Oklahoma et le nord du Texas. Ainsi, les conditions de culture du blé d’hiver dans ces différents Etats sont mauvaises comme l’illustrent les Crop Ratings de l’USDA. En effet, chaque semaine jusqu’au début du mois de décembre, l’USDA note les cultures selon cinq catégories distinctes : Très bon, Bon, Moyen, Mauvais, Très mauvais. Comme le montre la figure n°2, depuis le lancement du Crop Rating de l’USDA en 1987, jamais la proportion de blé noté comme «bon à très bon » n’a été aussi faible à cette période de l’année e t à l’ inve r s e , la p ro p o r t ion d e b lé « mauvais à très mauvais » n’a jamais été aussi importante. Par conséquent, les conditions climatiques à la sortie de l’hiver seront déterminantes pour le potentiel de rendement du blé d’hiver US.

Une sécheresse naissante dans le sud de la Russie

Concernant la Russie, le sud du pays est toujours victime d’un déficit hydrique notable laissant craindre une reproduction du scénario de l’année passée. En outre, le couvert neigeux semble insuffisant sur certaines zones exposées aux dégâts de gel. Figure n°1 : Stocks mondiaux en blé-maïs-orges (Source : Agritel)

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Figure n°2 : Proportion de blé US dans des conditions de culture mauvaises à très mauvaises. (Source : USDA)

Vers des productions record en Amérique Latine et aux Etats-Unis

Pour l’année 2013, les opérateurs comptent sur des productions de soja et de maïs record en Amérique Latine. Toutefois, après un excès de pluies lors des semis c’est désormais un risque de sécheresse qui plane sur l’Argentine, faisant de ce pays une importante source de volatilité sur les marchés des matières premières agricoles. Aux Etats-Unis, des analystes tablent déjà sur des semis de maïs record à plus de 99 millions d’acres soit la surface de maïs la plus importante depuis 1936 (cf. Figure n°3). Avec de telles surfaces, les Américains pourraient produire à l’automne plus de 400 millions de tonnes de maïs, ce qui serait de nature à reconstruire les stocks de maïs et ainsi détendre les prix. Toutefois, au vu de la sécheresse qui perdure dans l’ouest de la Corn Belt, le scénario de l’an passé pourrait prendre à contre pied les opérateurs les plus optimistes.

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Figure n°3 : Vers des surfaces de maïs record aux Etats-Unis (Source : Agritel)

Les stratégies à adopter dans ce contexte de forte incertitude

Démarrant la campagne avec de faibles stocks de report, le marché ne peut absorber un nouvel accident climatique. Si tel était le cas, une nouvelle explosion des cours serait fort probable. Cependant, en scénario de climat normal, de bonnes récoltes et une reconstitution des stocks ne manqueraient pas de faire pression sur les cours. Face à un tel dilemme entre sécurisation et optimisation, les stratégies à base d’options prennent dès à présent tout leur sens. Ce d’autant plus que le prix des options est anormalement bas actuellement.

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CERFRANCE Stratégie et Benchmark

En agriculture, l’innovation n’est pas simplement technologique Contrairement à ce que l’opinion extérieure au milieu agricole puisse penser, c’est certainement dans ce métier que la résistance aux changements technologiques est la plus faible. Rappelons-nous la gourmandise avec laquelle les agriculteurs ont intégré les outils informatiques dans leurs fermes, notamment la comptabilité ou le suivi des troupeaux.

Jacques Mathé

Veille économique Réseau Cerfrance

Le secteur agricole est caractérisé par une forte intensité en innovation technologique, notamment depuis la fin des années soixante, que ce soit sur le machinisme, la génétique animale ou végétale. Et les agriculteurs sont d’excellents récepteurs à la nouveauté.

En 1990-1991 plus de la moitié des adhérents des Cerfrance du Poitou-Charentes saisissaient leurs pièces comptables informatiquement, grâce à la mise à disposition d’ordinateurs. En 2013, la totalité des fermes sont équipées, connectées à internet. L’informatique est embarquée dans les tracteurs, au cou des vaches, bref, la campagne est devenue high tech et reliée au monde entier. La généralisation du téléphone portable et aujourd’hui des outils ultra communicants comme les smartphones complètent la panoplie de l’ère de la communication globale. Ces technologies accompagnent les agriculteurs dans le pilotage de leurs entreprises, accélèrent la transmission de l’information, gardent le contact avec les associés, la famille, les partenaires. La diminution du nombre d’agriculteurs dans la campagne modifie les modes de communication. La relation directe, à vue d’œil, est remplacée par une relation à distance mais le contact oral reste ; on se parle, sans se voir.

Pour une innovation dans les performances économiques Pourtant, ces technologies ne doivent pas faire oublier qu’il reste des espaces d’innovation souvent moins visibles mais plus efficaces sur la performance économique. La première est celle qui touche à la productivité du travail, que l’on appelle innovation organisationnelle. Dans ce milieu très indépendant, la codification des tâches, l’efficience du temps travaillé, le rapport entre temps de travail et performance économique ont été peu étudiés. En clair les innovations ont plus porté sur les moyens de production que sur l’acte de production réalisé par le producteur. Les analyses des derniers travaux des Cerfrance sur les résultats économiques par système de production en témoignent. Jusqu’au milieu des années 1990, les écarts de revenu par unité de main-d’œuvre s’expliquaient par des moyens de production supérieurs (plus de vaches, plus de lait, plus d’hectares de céréales… et des conditions

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A.J.

agronomiques plus favorables). Vingt ans plus tard, le revenu par travailleur dans les exploitations céréalières du Poitou-Charentes vont de 5 734 € pour le quart inférieur des moins bons revenus à 80 605 € pour le quart supérieur des meilleurs revenus, alors que les surfaces cultivées par travailleur évoluent dans le même temps de 94 ha à 145 ha, soit un écart de revenu de 1 à 8 entre les deux groupes !

l’Agriculture, car il pose clairement l’utilité des aides à l’agriculture. Est-ce que l’on soutient les meilleurs ? Ou les moins compétents pour qu’ils améliorent leurs performances ?

En système laitier spécialisé, les revenus passent de 3 800 € par travailleur à 49 300 € dans le groupe de tête, alors que le nombre de vaches n’évolue que de 67 à 76 vaches laitières, soit un modeste écart de + 15 % en moyens de production. Les revenus du quartile supérieur sont 10 fois plus importants que ceux du quartile inférieur ! Les inégalités de revenu se creusent alors que les moyens de production sont plus homogènes.

Observons que dans les filières moins bénéficiaires des aides publiques (fruits et légumes, porcs, volailles...), les innovations organisationnelles ont été le passage obligé du maintien ou de l’amélioration de la performance dans ces productions. D’ailleurs, les producteurs qui n’ont pas intégré cette dimension de compétence et de savoirfaire ne sont plus là…

C’est donc la compétence, le métier, l’efficience et l’organisation qui font toute la différence. Un sujet explosif pour la profession agricole ! Et pour les chercheurs, les conseillers techniques et tous ceux qui sont en charge de la transmission des savoir-faire en agriculture. Un sujet brûlant aussi pour le ministère de

Des aides publiques qui n’incitent pas à l’innovation ?

On peut donc penser que les aides à l’agriculture ont été un anesthésiant dans certains processus d’innovation, notamment dans la conduite des ateliers laitiers, céréaliers, bovins... Pourtant, les innovations organisationnelles existent, mais elles ne se diffusent pas, elles restent chez ceux qui, dans leurs fermes, expérimentent au jour le jour, ceux qui mettent en place les savoir-faire de demain, les adaptations qui font la différence. Il faut repérer les « Géo Trouvetout », les astucieux. L’innovation existe, dans les fermes mais plus dans les labos, et la vulgarisation n’est plus la… C’est peut-être le challenge des politiques agricoles de retrouver la voie de la vulgarisation, d’inventorier tout cet espace d’innovations éparpillées et de le mettre à disposition des agriculteurs. La plus grande distorsion entre agriculteurs aujourd’hui est d’abord dans l’acquisition de nouveaux savoir-faire et l’accès à l’innovation organisationnelle, et moins dans le niveau des aides, des prix à la production ou dans la taille des moyens de production.

A.J.

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INSOLITE

Les vaches, les cloches, la pétition et le tribunal Dans le Gard, une assignation à comparaître a été déposée contre un éleveur parce les cloches de ses vaches faisaient du bruit. Mais l’éleveur en question a réagi et, grâce à une pétition en ligne particulièrement suivie, a obtenu le retrait de la plainte. « Le voisin est le pire ennemi de l’homme ». Cette citation de Pierre Desproges convient à merveille à la situation vécue dans ce petit hameau des Cévennes près d’Anduze (au sud-ouest d’Alès). Un éleveur, Claude Méjean, a quelque 80 têtes qui respirent le bon air en profitant du large espace des prairies qui leur sont offertes. L’élevage en question est des plus extensifs, les belles ont tout le pré pour gambader, et elles ne se privent pas de cette liberté. En particulier Etoile, Fifi et Castagne, elles qui profitent du pré jouxtant une propriété… Dont on va reparler à peine plus bas. Elles font plaisir à voir, et à entendre, avec ce tintement caractéristique des cloches à leur cou. Quoique. A entendre, pas par tout le monde. Un nouveau voisin demande d’abord à Claude Méjean de retirer les cloches à ses vaches, car il est gêné par leur bruit. « Mais ce n’était pas possible, a commenté l’éleveur pour WikiAgri. Parce que ces cloches, elles ne sont pas là pour embêter les voisins, mais pour retrouver les vaches si elles vont trop loin. L’espace est libre ici, il leur arrive de s’égarer, et dans ce cas il faut bien le son des cloches pour les ramener. » Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Le voisin en question va jusqu’à assigner l’éleveur au tribunal, les cloches en question suscitant « un état psychique d’épuisement et d’anxiété », selon les termes de l’assignation repris par le quotidien local, Le Midi Libre. Et il réclame 5000 € pour le dommage, plus une astreinte de 200 € par jour dans l’hypothèse où la décision ne serait pas suivie d’effet.

Une pétition sur internet signée depuis la France entière Indigné, Claude Méjean contreattaque. Il met en ligne une péti-

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D.R.

Etoile, Fifi et Castagne dans leur milieu naturel, éprises de libertés, celle de gambader dans le pré, celle de garder avec fierté leurs cornes, celle de porter leurs cloches.

tion sur un site spécialisé. Avec, en substance, ces termes : « (…) C’est non seulement une tradition de mettre des cloches mais c’est également utile en cas d’échappement du cheptel. Alors faut-il que je me plie aux exigences de ce Monsieur qui arrive dans la région alors que je fais mon travail depuis 20 ans et que les cloches n’ont jamais dérangé, bien au contraire ? En signant cette pétition, vous apporterez le soutien aux éleveurs de bovins et à leur travail ainsi qu’au respect des traditions. » Et que croyez-vous qu’il arriva ? Un autre agriculteur a mis le lien de la pétition sur son mur Facebook, puis un deuxième, un troisième… Le phénomène a pris une telle ampleur que les médias en ont eu vent et ont relayé l’info (tels le Midi Libre donc, mais aussi wikiagri.fr, tapez « cloches » dans sa zone recherche et vous retrouverez notre intervention). Et de fil en aiguille, la pétition en question D.R. a dépassé les 5000 signatures !

A force, le voisin s’est senti mal à l’aise. Et il a fini par retirer sa plainte ! Il s’agit évidemment en soi d’une grande victoire pour toute la communauté agricole, pour le pastoralisme, pour Etoile, Fifi et Castagne qui garderont leur hochet et avec lui la liberté de se perdre à longueur de pré. En fait, à l’heure où cet article est écrit, il ne reste plus qu’un problème à régler : l’assignation demandait à l’éleveur et au propriétaire du terrain de prendre un avocat, ce qu’ils ont fait. La plainte a été retirée mais les frais d’avocat restent encore, pour l’instant, à leur charge. Finalement, il y aura bien un procès, courant avril. Pas pour enlever les cloches aux cous des vaches. Mais pour savoir qui doit payer, en définitive, les frais d’avocat. S’il y avait une morale à l’histoire… Mais non, notre média n’a pas pour vocation de vouloir influencer la justice. Même si nous n’en pensons pas moins. Antoine Jeandey


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