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Edito Passer du sol mineur au sol majeur
S
’il est une profession qui sait garder les pieds sur terre, c’est bien celle des agriculteurs. Seulement cette terre vit, évolue, se dérobe, est menacée…
Des menaces qui sont multiples, que nous vous proposons de visualiser en deux schémas pages 6 & 7, avec les effets de l’érosion due au ruissellement et au compactage d’un côté, et ceux de l’artificialisation (urbanisation) de l’autre. Quelle est l’importance de ces phénomènes ? Leurs implications ? Comment combattre l’érosion lorsque l’on constate que son sol en souffre ? Tout cela s’étudie scientifiquement (lire l’interview de notre grand témoin, Dominique Arrouays, chercheur à l’Inra et expert international du sol) mais aussi pratiquement sur le terrain (lire nos reportage dans le Lauragais d’une part, et le pays de Caux d’autre part). La question du matériel utilisé est posée, les engins trop lourds pouvant être à l’origine de tassements sur certains sols trop humides. Mais aussi pour les charrues, avec des constructeurs qui s’adaptent. Celle des parcours agronomiques aussi, il n’est pas forcément si simple de choisir comment vaincre son propre problème de sol, car chaque cas est particulier. Une chose est sûre, aujourd’hui l’accent n’est pas suffisamment mis sur le sol. 2015 sera l’année internationale des sols, avec donc des perspectives de communication sur le sujet. Mais d’ores et déjà, il est temps de passer du sol mineur au sol majeur…
La rédaction
A.J.
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Sommaire WikiAgri n°9 / OCTOBRE 2013
Directeur de publication Yannick Pages Rédacteur en chef Antoine Jeandey Rédaction Maxime Boutevin Raphaël Lecocq Benjamin Masson redaction@wikiagri.fr Ont participé à ce numéro AGRITEL CERFRANCE Dessinateur Michel Cambon
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Edito P.3
THÉMA l
Le dessous des graphes
P.6 et 7 - Graphiques et infographies
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Cambon lui semble
P.8 - Le dessin de Michel Cambon
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Le Grand témoin
Photographe Jean-Marie Leclère
P.9 à 13 - L’interview de Dominique Arrouays, ingénieur de recherche à l’Inra, expert international spécialisé dans le sol
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Théma Recherche
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moteur
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BREVES DES CHAMPS
Service abonnements 4, impasse du Faubourg 38690 Le Grand Lemps Tél : 04 76 31 06 19 E-mail : contact@wikiagri.fr
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Pédagogie des marchés
Abonnement annuel 34,90€ TTC (4 numéros) Prix au numéro : 10€
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Consultant Média Bernard Le Blond - Vision bleue Tél. 06 83 92 08 61 Conception graphique et maquette Notre Studio www.notrestudio.fr Conseil éditorial Sylvie Grasser - Hiceo Tél. 06 32 75 11 94 www.hiceo.fr ISSN ISSN 2258-0964 Commission paritaire 0314 T 91288 Dépôt légal A parution
Site internet www.wikiagri.fr
P.14 à 17 - Le sol, l’oublié sur lequel tout repose P.18 - Reportage dans le Lauragais, « On ne fera pas de grandes cultures hors sol » P.20 - Reportage dans le pays de Caux, l’érosion combattue par l’observation du terrain
P.24 - « La charrue demeure un très bon décompacteur » P.26 - Et pourtant elle (re)tourne
P.28 à 31 - Les applications agronomiques pour prendre en compte le sol (labour et TCS, cultures et carbone, fertilisation et acidification, azote, dépollution…)
P.32 - Par Agritel – Blé, bilan de récolte et perspectives
Impression SAS Imprimerie Leonce Deprez Zone industrielle de Ruitz 62620 Ruitz
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Tirage 48 000 exemplaires (dont 45 500 expédiés)
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Le magazine WIKIAGRI ® est edité par la société : DATA PRO SOLUTIONS BP 70132 38503 VOIRON CEDEX
stratégie et benchmark
P.36 - Par CerFrance Ce qui ne change pas dans l’entreprise, quel que soit le contexte
Paroles d’entrepreneur
P.38 à 41 - Entretien avec Jean Pelikan, PDG d’Amazone France
initiatives
P.42 - La Grange Berrichonne, un magasin de producteurs à Châteauroux
Ce numéro comporte un encart YARA + un encart abonnement
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COMPRENDRE
Le dessous des graphes 1. Le cycle de l’eau Après les pluies, l’eau vient imbiber le sol. La végétation ne peut cependant en utiliser qu’une partie, que l’on appelle la réserve utile en eau stockée dans le sol. Interviennent : la structure du sol, sa profondeur, la profondeur d’enracinement des plantes, l’utilisation par l’ensemble des êtres vivants… Selon la capacité d’un sol à préserver une réserve utile, il sera utile ou non d’intensifier l’irrigation.
Eau stockée
Inflitration Percolation
Parallèlement, une partie de l’eau stockée retourne dans l’atmosphère, par évaporation du sol ou transpiration des végétaux. Et dans le même temps, sous l’effet de la gravité, une autre partie de l’eau part dans le soussol. Elle contribue alors à recharger les nappes souterraine, ou s’écoule latéralement sous la surface du sol (ce que l’on appelle le ruissellement hypodermique) vers les cours d’eaux.
ÉVAPORATION
TRANSPIRATION
Précipitations
Ruissellem ent
Source : rapport sur l’état des sols en France - Inra
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Circulation dans
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Rivière
2. L’artificialisation des terres détériore les sols Ce schéma est la démonstration de l’effet épouvantable que peut avoir l’artificialisation sur les sols. Ce que l’on appelle « artificialisation », c’est le changement d’occupation des sols à des fins de civilisation. Milieu naturel
Milieu cultivé Milieu rural
Sol
Corridor écologique
Eaux superficielles
Roche Pouvoir épurateur
Eaux souterraines
Corridor écologique
Recharge
Pressions Fonctions des accès
L’agriculture peut y participer, en créant de l’érosion ou du ruissellement après un défrichement. Ce numéro de WikiAgri s’est penché sur ces cas, notamment à travers ses reportages et à la manière de combattre ce phénomène par les agriculteurs. Il existe un autre risque, plus fort encore, c’est l’urbanisation, qui avec le bétonnage pour les habitats et les voiries imperméabilise le sol. D’où des pollutions du sol, mais aussi des risques d’inondations en des lieux qui n’en avaient jamais connu avant. Source : GIS sol 2011, repris dans le rapport sur l’état des sols en France.
Enjeux environnementaux
Erosion ruissellement
Pouvoir épurateur
Inondations
Augmentation Diminution
Recharge Pollution industrielle domestique
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Infographies : Notre Studio
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Le dessin
Cambon lui semble
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GRAND TÉMOIN Dominique Arrouays
D.R.
« Le sol n’est pas un support inerte, il est vivant, réactif » Repères Dominique Arrouays est ingénieur de recherche à l’Inra, du comité info sol de l’Inra (institut national de recherche agronomique). Il est agronome, docteur en sciences du sol, spécialiste du sol et de sa cartographie. « J’ai créé l’unité info sol en 2000, dont j’ai quitté la direction en 2011 », précise-t-il. Il participe à plusieurs programmes nationaux et internationaux. Il est coauteur, en novembre 2011, d’un rapport sur « l’état des sols en France ». Il est également président de l’AFES, association française pour l’étude du sol. Enfin, il fait partie des 27 experts mondiaux mandatés par la FAO (organisation des Nations-Unies pour l’alimentation et l’agriculture) pour une expertise mondiale des sols.
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En quoi a consisté le rapport que vous avez cosigné sur l’état des sols en France ? D.A. Ce rapport représente dix ans de travaux. Il s’agit d’une synthèse des services rendus par les sols, des pressions qu’ils subissent, et d’un diagnostic sur leur état. Je ne donne pas de réponse unilatérale, car le bilan est nuancé. Quel est le plus grand danger pour nos sols ? D.A. La plus grande préoccupation à mon sens est l’artificialisation, car nous perdons l’équivalent d’un département tous les sept ans du fait de l’urbanisation. Et cette tendance s’accélère, qui plus est souvent au détriment des sols agricoles les plus productifs. Historiquement, les villes ont été installées dans de grandes vallées, avec l’agriculture organisée autour pour l’approvisionnement.
En grandissant, les villes empiètent de fait sur les zones agricoles. Et ce phénomène est pratiquement irréversible : à partir du moment où l’on bétonne un territoire, il ne retrouve plus sa vocation initiale. On perd ainsi une des fonctions les plus importantes des sols, servir de filtre pour l’eau. Vous parlez également beaucoup de l’érosion dans votre rapport… D.A. Il s’agit de l’autre menace pour nos sols en effet. Nous avons 17 à 20 % de notre territoire qui est touché par davantage d’érosion que la nature est capable de créer comme sol. Quand on dépasse la perte de 100 kilos de terre par hectare et par an, ce n’est pas durable. Sont
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GRAND TÉMOIN
touchés les grandes plaines du nord parisien, le pays de Caux (Ndlr : lire notre reportage sur place page 20), la Somme, le sud-ouest toulousain (Ndlr : lire notre autre reportage, page 18), une partie de la Bretagne, une partie de l’Alsace… Les conséquences sont environnementales, comme le sol qui s’en va dans le lac. Les causes
« Mes conseils : avoir un sol couvert en permanence ; raisonner l’occupation à l’échelle du paysage ; mettre en place des fossés, ou des haies, ou les deux... » peuvent être des phénomènes naturels, l’intensité des pluies ou les pentes, mais aussi d’origine humaine, comme le taux de couverture du sol : si le sol est nu pendant l’interculture, l’érosion peut être déclenchée. Au niveau des pratiques agricoles, comment combattre l’érosion ? D.A. C’est le sens du travail du sol. Il faut mettre des barrières à l’écoulement de l’eau. Le paysage doit être aménagé de telle façon que le ruissellement soit freiné, sinon arrêté. On y arrive avec des haies, des fossés. Mais il faut regarder son terrain, chaque cas est particulier. Globalement, quels conseils donneriez-vous aux agriculteurs ? D.A. D’avoir un sol couvert en permanence. De raisonner l’occupation à l’échelle du paysage, comme par exemple dans le pays de Caux où les agriculteurs travaillent à l’échelle du bassin versant. De mettre en place des fossés, ou des haies, ou les deux, pour arrêter le ruissellement. La façon de labourer, ou non, a-t-elle son importance dans l’érosion ? D.A. Un labour très profond, à mon avis, dilue la matière organique, dont on perd de fait l’effet protecteur. Les techniques culturales simplifiées comme le semis direct et un labour occasionnel intéressent de plus en
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Une bande enherbée, l’un des moyens pour lutter contre l’érosion.
plus de gens, et c’est tant mieux. Mais c’est surtout là où le sol est en état d’humidité qu’il faut éviter les engins trop lourds : à ce niveau, les forêts sont particulièrement touchées, peutêtre plus que terres agricoles. Les sols forestiers se tassent volontiers sous l’effet de ces engins. Quels sont les effets de l’urbanisation, ou de la pollution humaine, sur les sols ? D.A. Les sols autour de Paris et du Nord - Pas-de-Calais sont contaminés par des métaux lourds, nous avons une véritable auréole de plomb. Il n’y a pas de quoi alerter la population, les métaux sont fixés dans le sol, ils ne passent pas dans l’alimentation. Mais il faut le savoir et s’en préoccuper. Mais il existe aussi des contaminants d’origine agricole. On trouve dans le sol certains d’entre eux qui sont pourtant interdits depuis 20 ans. Comme le chlordécone dans les Antilles par exemple. On a même calculé qu’il faudrait 7 à 8 siècle pour l’éliminer totalement du sol antillais, si l’on reste au rythme actuel. Qu’avez-vous observé au niveau de la pollution des eaux ? D.A. Parlons des teneurs en phosphore. Nous sommes dans des situations contrastées. La plupart des
régions ont une teneur faible, presque trop faible. D’autres en ont beaucoup trop. C’est le cas de la Bretagne, lié à l’élevage intensif. Pour les sols en eux-mêmes, ça ne dérange personne. Mais derrière il y a les eaux, boues, algues, contaminations de rivières… Il y a quelque chose à creuser, pour transférer du phosphore d’une région (qui en a trop) à une autre (en déficit)… Globalement, diriez-vous que la France est dans une situation catastrophique ? Acceptable ? Correcte ? D.A. Tout ne va pas si mal. La fertilité chimique des sols, les apports en engrais, est plutôt bien gérée, avec une certaine maîtrise. Les forêts manquent d’entretien, le milieu y est acide, sans doute faudrait-il du chaulage. Pour autant, vous souhaitez communiquer sur l’intérêt de se préoccuper des sols… D.A. Le rapport a été diffusé à 6000 exemplaires papier, plus l’accès par internet. Les Chambres d’agriculture, les services déconcentrés de l’Etat l’ont reçu. Une réflexion interministérielle existe pour mener à une stratégie nationale sur les sols. Mais il faut être patient. L’air, tout le monde le respire, l’eau tout le monde la boit. Le sol n’est pas perçu comme
« Nous perdons l’équivalent d’un département tous les sept ans du fait de l’urbanisation. Et cette tendance s’accélère, qui plus est souvent au détriment des sols agricoles les plus productifs. » étant aussi prioritaire, c’est plus difficile de convaincre de l’utilité d’une telle directive.
A.J.
Et au niveau européen ? Qu’en est-il de la directive sols ? D.A. Il y a eu une communication de la Commission européenne en 2002 qui a abouti sur une phrase concernant les sols : « il faudrait mettre en place une directive ». Des groupes de travail se sont montés avec des scientifiques de tous les pays d’Europe, un premier rapport sur l’état des sols en Europe est sorti en 2004… D’où le projet de directive en 2006. Le Parlement européen a voté pour, les ministres de DR l’environnement des pays-membres ont eu une attitude différente puisque quatre pays ont voté contre (Allemagne, Royaume-Uni, Pays-Bas et Autriche) et la France s’est abstenue. Aujourd’hui, nous en sommes toujours là, en discussion. Notamment sur le degré de subsidiarité.
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Au niveau mondial, vous êtes l’un des experts de la FAO. En quoi cela consiste-t-il ? D.A. La FAO a levé un partenariat pour essayer de travailler sur les sols à l’échelle mondiale. Il s’agit de récupérer le plus de données possible, de communiquer auprès des politiques, d’éduquer en particulier les pays en voie de développement, et d’établir une carte des sols du monde. C’est très ambitieux. Cela réclame des moyens, des financements internationaux. Les experts sont répartis par zones géographiques. Nous sommes cinq en Europe. Mais les plus gros problèmes sont sans doute ailleurs. La Chine et l’Inde connaissent des problèmes d’érosion énormes. Mais nous sommes moins bien lotis que les Etats-Unis qui mis en place des systèmes anti érosion depuis longtemps.
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GRAND TÉMOIN « Nous n’avons identifié les gênes que de 10 % des microorganismes qui vivent dans le sol. Il existe donc un potentiel énorme à ce niveau. Car avec des connaissances approfondies en ADN microbien, il devient envisageable de dépolluer un sol plus rapidement que la nature seule ne le pourrait. »
D.R.
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Quel type de recherche existe-til en matière de sols ? D.A. Il nous faut extraire les ADN des organismes microbiens des sols. Nous n’avons identifié les gênes que de 10 % des microorganismes qui vivent dans le sol. Il existe donc un potentiel énorme à ce niveau. Car avec des connaissances approfondies en ADN microbien, il devient envisageable de dépolluer un sol plus rapidement que la nature seule ne le pourrait. Je parlais du chlordécone qui doit mettre plusieurs siècles à disparaître,
si l’on arrive à déterminer les gênes de la bactérie susceptible de l’ingérer, on peut accélérer le processus. De même pour l’atrazine, etc. En conclusion, quel est votre credo ? D.A. Le sol n’est pas un support inerte, il est vivant, réactif. Il faut le respecter, le protéger, en tenir compte. Propos recueillis par Antoine Jeandey Note : le rapport sur l’état des sols en France est lisible sur internet à l’adresse : http:// www.gissol.fr/RESF/Rapport_BD.pdf.
L’AFES, une association de spécialistes à l’usage de tous L’AFES, association française pour l’étude du sol, réunit des spécialistes du sol. « C’est une société savante au départ, précise Dominique Arrouays, son président. Un lieu d’échanges entre la recherche et les praticiens. » L’association compte plus de 400 adhérents, et 1200 personnes abonnées à sa liste de diffusion. D’après son site internet (www.afes.fr), elle a aujourd’hui pour buts principaux « de promouvoir le développement de l’étude du sol, sous tous ses aspects et dans toutes ses applications et par tous les moyens ; de créer un lien et rassembler tous les membres de la communauté scientifique et technique s’intéressant aux différentes branches de la Science du Sol et à ses applications ; d’établir des contacts aussi fréquents et aussi étroits que possible avec les organisations similaires de l’étranger, et en particulier l’UISS au plan international (Ndlr : UISS, International Union of Soil Science, sorte de fédération mondiale dont l’AFES est la branche française) ; de provoquer, aider, coordonner des recherches et vulgariser l’application de leurs résultats ; d’attirer l’attention des pouvoirs publics et des organisations agricoles sur le caractère utilitaire de ces recherches. »
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THÉMA
A.J.
Le sol, l’oublié sur lequel tout repose « Les problèmes sont rares dans les airs, c’est toucher le sol qui est dangereux » Amélia Earhart (aviatrice)
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Parlons du sol ! Notre grand témoin le dit, il est plus facile de sensibiliser sur l’air que l’on respire ou l’eau que l’on boit que sur le sol. Et pourtant, de son état dépend beaucoup de choses, pour l’ensemble de la société, et en particulier pour ceux qui travaillent avec lui, les agriculteurs. Pour autant, les connaissances restent mesurées. Dominique Arrouays nous informe ainsi que la recherche peut encore largement progresser, qu’il est envisageable de savoir dépolluer en connaissant davantage les microorganismes qui habitent le sol…
2015 sera l’année internationale des sols Au chapitre de l’actualité internationale sur les sols, la directive européenne est prête depuis longtemps mais tarde à sortir du fait des négociations entre les pays européens (lire l’interview de notre grand témoin). Parallèlement, au niveau mondial, une information : les sols ont été choisis par la FAO pour être représentatifs de l’année 2015. Voici comment le site internet de la FAO décrit ce choix : « L’année internationale des sols 2015 servira de plateforme pour sensibiliser
« Personne ne sait comment sont exactement les choses quand on ne les regarde pas. » Hubert Reeves
l’opinion à l’importance d’une gestion durable des sols en tant que base pour les systèmes alimentaires, la production de combustibles et de fibres, des fonctions écosystémiques essentielles et une meilleure adaptation au changement climatique, pour les générations présentes et futures. » Au-delà, il est à espérer que ce choix fera avancer la communication en faveur de la préservation et de la reconstitution des sols. L’artificialisation s’accélère… L’artificialisation, c’est-à-dire la perte pour les sols de leur fonction première (principalement l’urbanisation et les structures qui l’accompagnent), s’accélère en France. Il y a quelques années, il était observé que l’on perdait l’équivalent d’un département
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français en agriculture tous les dix ans. Maintenant, c’est tous les sept ans. La perte de ces terres ne signifie pas seulement la diminution du nombre d’agriculteurs et donc leur portée sur les choix sociétaux. Pour les sols, le bétonnage est une véritable plaie. D’autant qu’il irréversible. D’ailleurs, pour ne rien vous cacher, nous avons recherché pour ce magazine de WikiAgri l’exemple d’une aire bétonnée qui soit retournée à l’agriculture, pour prendre le contre-pied et dire « c’est possible ». Mais nous n’avons pas trouvé. … sans réelle solution politique Cette artificialisation se poursuit au delà des évolutions des politiques au pouvoir. Régulièrement, les uns ou les autres promettent d’inscrire dans des lois d’aménagement du
territoire des « garde-fous » pour éviter une trop forte urbanisation, et surtout n’importe comment, sans respect des paysages agricoles ou forestiers existant. A ce jour, aucune carte avec les limites à ne pas franchir n’a été dressée… L’érosion, le ruissellement, et les tassements Au niveau de l’agriculture, trois problèmes, souvent liés entre eux, sont observés. L’érosion est la perte de la terre en surface, le plus souvent entraînée par le ruissellement des eaux vers des lacs, en créant au passage des ravines ou autres effondrements de terrain. Les tassements sont dus essentiellement aux passages
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THEMA
> Le sol, l’oubliÉ sur lequel tout repose
d’engins trop lourds pour la consistance du sol. Il n’y a pas de vérité universelle en la matière : certains sols supportent ces engins, d’autres beaucoup moins. A noter que ces tassements interviennent sur certaines terres agricoles, mais aussi beaucoup en forêts, dont les sols sont souvent humides du fait de la végétation. Comment combattre ces phénomènes A travers les conseils de notre grand témoin, Dominique Arrouays, mais aussi avec deux reportages sur le terrain, nous essayons d’apporter des réponses quant aux manières pour arrêter l’érosion en agriculture. Premier constat : là aussi, pas de solution universelle, il convient avant tout d’observer son terrain et de lui trouver les formules les plus adaptées. Parmi cellesci, on sait que l’on peut freiner le ruissellement en cas de forte pluie
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avec des fossés, des haies, ou des bandes enherbées. Mais dans certains cas, ça ne suffit pas. Il faut aussi créer des fascines, et penser à améliorer sa terre, notamment en termes de matière organique, et ne pas hésiter à aller jusqu’à des plantations spécifiques pour cela. Ou
encore évoluer dans ses méthodes agronomiques, s’intéresser soit au semis direct, soit au sans labour, ou à tout le moins à des labours différents. De très nombreuses méthodes existent, vous trouverez dans nos deux reportages pages suivantes, ou dans les conseils de
plusieurs. Or, aussi bien dans le pays de Caux (Seine-Maritime) que dans le Lauragais (HauteGaronne, Aude, Tarn), soit pour nos deux reportages, les solutions trouvées sont, aussi, collectives. Pour le pays de Caux, l’association constituée s’appelle l’AREAS. Dans le Lauragais, c’est l’Association occitane de conservation des sols. L’échange d’informations sur un même territoire permet de trouver les actions les plus complémentaires.
A.J.
notre grand témoin au début du journal, une forme d’inventaire et des applications concrètes. L’union fait la force L’une des préconisations de notre grand témoin est de réfléchir à l’échelle du paysage, et donc à
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La matière organique La matière organique, soit les vers de terre mais aussi toutes les bactéries de la terre, joue un rôle non négligeable pour maintenir les sols, pour leur fertilité comme nous en avons déjà parlé lors de numéros précédents, pour aussi pour freiner le ruissellement. C’est la raison pour laquelle les agriculteurs recherchent des solutions à la fois dans leurs parcours agronomiques (lire la rubrique « brèves des champs »),
dans l’utilisation de leurs matériels, et même pour réintroduire cette matière organique lorsqu’elle vient à manquer. La charrue évolue, mais n’est pas hors-jeu Techniquement, comme vous pourrez le lire dans nos pages « Moteur », le labour évolue, et la charrue avec. Pour autant, elle n’est pas devenue obsolète. Elle retourne le sol différemment, avec moins de profondeur ici, moins de pesanteur là, mais conserve un attrait indéniable. De la même manière que les agriculteurs envisagent désormais plusieurs solutions, la charrue s’adapte, mais sillonnent toujours… Antoine Jeandey
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La clé du sol > Reportage dans le Lauragais
« On ne fera pas de grandes cultures hors sol » Denis et Roger Beziat conduisent en semis direct six espèces sur 170 hectares de coteaux argilo-calcaires. Un système qui préserve la qualité de leurs sols tout en réduisant leur exposition aux aléas climatiques et économiques.
L
e Lauragais. A la croisée de l’Aude, de la Haute-Garonne et du Tarn. Ses coteaux, ses sols argilo-calcaires, son vent d’autan, ses coups de chaud, ses orages violents, sa rotation emblématique blé tournesol en sec. « Les coteaux, pour combien de temps ? » ironise Denis Beziat. « Quand j’étais gamin, je ne voyais que le coq l’église en face de notre ferme située à Vernerque (HauteGaronne). Aujourd’hui, je vois tout le clocher. Soit l’église a fait un bond en direction du ciel, soit la bosse qui la dissimule s’est érodée. »
Quand une distribution Herriau s’invite dans la trémie d’un semoir John Deere.
Les tons de la terre nue, et notamment la blancheur des sommets, sont, selon les agriculteurs, un autre indicateur de l’érosion qui sévit. « Le vent et la pluie n’expliquent pas tout, ajoute Roger Beziat. Avec la mécanisation, on a labouré plus
Depuis 30 ans, Denis et Roger Beziat remettent constamment en question leur système de production.
profond, agrandi les parcelles, supprimé fossés, arbres et haies. L’élevage et le fumier ont disparu au profit d’une rotation blé dur tournesol. Merci la Pac. On a fait des retenues collinaires, on arrose donc
R.L.
on érode, la terre fine envase les lacs et il manque toujours de l’eau ! Et puis survient une coulée de boue, et ce jour là, on paie des décennies d’inepties. Et pour peu que la coulée déborde dans la lotissement… »
Un « John d’Herriau » pour semer 140 % de l’exploitation « John d’Herriau » : s’est ainsi qu’on baptisé les frères Beziat leur semoir, qui combine les éléments de mise en terre du semoir direct John Deere 750 A en 4 m et deux distributions empruntées au semoir de précision Turbosem Herriau. Deux distributions pour pouvoir semer les six espèces du Gaec (blé tendre, blé dur, dur, colza, sorgho, pois protéagineux et tournesol sinon pois chiche), en 12 ou 24 rangs selon le cas, ainsi que les couverts implantés sur deux sixièmes des surfaces.
R.L.
La distribution d’origine peut quant à elle servir la fertilisation localisée sinon une espèce associée. Un seul semoir tracté par un 150 ch sème ainsi 140 % de la surface de l’exploitation, sans aucune autre forme de travail du sol.
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170 hectares de Phytobac Les frères Beziat n’ont pas toujours eu cette conscience. Charrue, roto-bêche, herse rotative, décompacteur, cultivateur, vibroculteur : en 30 ans, ils ont progressivement et successivement abandonné ces différents outils pour en venir au semis direct sur les 170 hectares de l’exploitation, depuis 10 ans. Au début des années 2000, les 170 ha ont été scindés en six îlots correspondant à 6 espèces, sans compter les couverts, ce qui fait dire à Denis Beziat qu’il totalise 170 ha de Phytobac ! Cela commence avec le sorgho. Ses racines pompent en profondeur et structurent le sol y compris après récolte quand des pluies le font repartir en végétation. Faible charge de travail (semis, désherbage, apport d’engrais), fenêtre météo grande ouverte, résidus vites dégradés, 45 à 50 q/ha. Lui succède le pois protéagineux et ses racines de « feignasse », un très bon indicateur de la structure du sol. Semé idéalement en décembre, pouvant être décalé jusqu’à février y compris sur sol gelé, il donne bon an mal an 30 q/ha. Récolté en la deuxième quinzaine de juin, il fait place au colza semé début septembre. Pendant deux mois, il faut gérer le salissement peu compatible avec un semis de petites graines. Première option : un semis de sarrasin à la volée avant récolte du pois roulé après récolte mais à condition de miser sur la pluie. Autre option : tamponner les repousses de mauvaises herbes en broyant à raz avant d’appliquer 1 l/ha de glyphosate sur des jeunes pousses, juste avant le semis du colza, récolté en juin, à raison de 25 à 35 q/ha. Puis
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R.L.
vient le tour du blé tendre. « Un blé tendre plutôt qu’un blé dur, précise Roger Beziat, car si les limaces se gavent des repousses de colza, elles peuvent déborder sur le blé tendre, plus apte à les supporter. Mais cela fait 4 à 5 ans que l’on ne met plus d’anti-limace dans nos blés de colza. Les repousses de colza font en prime un excellent travail de vibroculteur sur 10 cm. »
Désensibiliser l’exploitation des aléas de prix, de la météo et du temps Les 60 à 75 q/ha de blé récoltés en juillet laissent place un couvert (sorgho, ou sarrasin, pois protéagineux, féverole), broyé, roulé, gelé ou récolté pour la semence selon les cas, avant le semis de tournesol. « En 2014, nous allons exclure le tournesol au profit du pois chiche,
Et les cours des céréales et oléoprotéagineux dans tout cela ? « Notre système à est moins sensible aux fluctuations de cours comme aux aléas climatiques, affirme Roger. Mais ce n’est pas tout. Notre assolement rime avec échelonnement des chantiers alors que dans le même temps, les sols sont portants. On réduit l’usage de phytos et dans le même temps, nos sols biologiquement très actifs les dégradent. La terre et l’eau sont dans le sol et pas au fond du lac ou de la vallée. On plante 300 m de haies tous les ans pour contrarier le vent. On a démarré l’agroforesterie. Et on consomme 50 l/ha de gazole, moisson et transports compris. Tout cela au service d’un seul but : continuer à produire autant sur la même surface. Ni plus ni moins. » Raphaël Lecocq
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Les coteaux du Lauragais sont exposés à l’érosion hydraulique, éolienne… et mécanique.
annonce Denis. La graine de tournesol est très sensible à l’état du lit de semence. En argilo-calcaire, avec des printemps très humides à très secs, on passe de la pâte à modeler à la brique. Quand ce ne sont pas les limaces qui se glissent dans les lignes de semis rouvertes, ce sont les pigeons ou les palombes sédentarisées qui pénalisent des levées trop longues. On sème, on re-sème et on n’est pas les seuls. Entre 15 ou 20 q/ha de tournesol et 15 q/ha minimum de pois chiche avec un prix garanti et des économies d’azote, je vais insérer la légumineuse entre le sorgho et le colza, avant le blé tendre, les pois et le blé dur. Le tournesol reviendra peut-être en version couvert 90 jours entre le blé et le pois, à moins qu’un sorgho fourrager ou un sarrasin ne fassent l’affaire. »
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AOC Sols reconnue par l’Agence de l’eau Adour Garonne Roger Beziat préside l’Association occitane de conservation des sols. Créée en 2009, elle rassemble une cinquantaine d’agriculteurs de Haute-Garonne et des départements limitrophes. Objet : l’échange d’expériences, souvent bonnes, parfois moins bonnes, mais pas conservatrices, ou seulement des sols. AOC Sols est partie prenante d’Agr’Eau, un programme de développement de la couverture végétale en Adour Garonne, porté par l’Association française d’agroforesterie, avec le soutien de l’Agence de l’eau Adour Garonne pour cinq ans. « C’est une marque de reconnaissance de notre travail, se félicite Roger Beziat. Dans le domaine de la conservation des sols, ce sont les agriculteurs qui financent la recherche et le développement. Pour une fois, nous serons indemnisés. »
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La clé du sol > Reportage en Seine-Maritime (pays de Caux)
L’érosion combattue par l’observation du terrain Ayant investi dans des cultures industrielles sur une terre ne les acceptant pas, Benoist Leforestier n’a pas renoncé et a su, au contraire, observer son terrain pour vaincre l’érosion des sols. Il livre le fruit de ses recherches. se glacent à la première grosse pluie. Deviennent imperméables. Le phénomène est accentué par le système des cultures industrielles, et le fait qu’il y ait peu de matière organique dans le sol. Sur les parcelles en pente, la moindre pluie accélère la formation de ravines. »
Benoist et Elisabeth Leforestier avec du lin à la main, l’une de leurs cultures industrielles.
A.J.
A
Sainte-Colombe, à quelques kilomètres de la côte et de la station balnéaire Saint-Valéry de Caux, Benoist et Elisabeth Leforestier sont installés en EARL sur 110 hectares, en polyculture, avec cultures industrielles (rotations blé-betteraves, blélin-pommes de terre), en étant spécialisés dans la pomme de terre et le lin. Cela varie avec les rotations, mais globalement l’exploitation se retrouve avec 33 hectares de pommes de terre, 28 de lin, 12 de betterave
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sucrière, 7 de betterave potagère, et 15 à 20 hectares de blé. A côté de l’exploitation, un poulailler de 1000 m² avec des poulettes prêtes à pondre. « Pour le matériel, précise Benoist Leforestier, nous sommes en commun avec un autre agriculteur, au pro rata des surfaces, soit avec 65 % pour moi et 35 % pour lui. » Plus du matériel de récolte en Cuma. Le problème Leforestier doit l’érosion de ses comportent 11 à
auquel Benoist faire face est sols. « Nos sols 12 % d’argile. Ils
Pas question pour Besnoit Leforestier de renoncer à ses investissements pour les cultures industrielles alors, dans un premier temps, il « pare au plus pressé » : là où les ravines se forment, il « ajoute des bandes enherbées à l’aval des parcelles ». Pour celles à très forte pente, « nous avons laissé en herbe ». A l’arrivée, le sacrifice représente « cinq hectares de jachère avec bandes enherbées ». Pour cet effort environnemental, il perçoit des aides (« nous avons d’abord été en CAD, contrat d’agriculture durable, puis refinancés à l’aide du bassin versant, ce qui en échange nous oblige à un entretien pendant la durée du contrat »), mais si ces aides permettent surtout d’accepter la perte de surfaces cultivées, elles restent bien inférieures aux rendements des cultures : de 420 €/ha/an au titre de la MAE (mesure agro environnementale). Petit à petit, Benoist et Elisabeth Leforestier observent de plus près leurs parcelles, et s’informent sur les solutions trouvées en d’autres lieux. Et ils combattent l’érosion avec plusieurs types d’actions.
Fascines, travail du sol, couverts… Ils créent ainsi des bandes d’herbe en travers des parcelles, avec des fascines (branchages pour combler les fossés), pour freiner le ruissellement et provoquer la sédimentation de la terre. Les fagots de branches filtrent les éléments terreux et freinent ainsi le ruissellement, et donc la formation de ravines. Ils vont même jusqu’à planter des saules pour renforcer ces fascines. Parallèlement, ils limitent le travail du sol, en « arrêtant le labour autant que faire se peut », mais pas systématiquement. Pour les betteraves, ils ont ainsi constaté que les roues des bennes tassent la terre. Dans la rotation, il faut donc re-labourer derrière pour restructurer le sol avant le blé. En revanche, « j’ai arrêté la herse rotative pour semer le blé ». D’où l’implantation de couverts, la moutarde des premières années a cédé la place à de plus en plus d’avoine associée à des
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A.J.
légumineuses. Avec, toujours aujourd’hui, des recherches sur les choix les plus judicieux à adopter. « Le lin est une culture que l’on rentre autour du 15 septembre, soit assez tard dans l’année. Quel engrais vert peut-on mettre derrière ? Nous cherchons toujours…»
De nouvelles habitudes culturales Benoist Leforestier adopté de nouvelles
culturales, directement liées à son combat contre l’érosion. Pour la betterave sucrière, il fait « quasi systématiquement un binage pour redonner de la porosité au sol ». Pour les pommes de terre, il a adapté sa planteuse de telle manière qu’elle érige des microbarrages entre les buttes de terre, tous les 1,80 m. « Nous ne sommes pas nombreux à le faire, les constructeurs ne le proposent pas,
Entre deux parcelles, un véritable couloir. En tout, cinq hectares sont devenus jachère ou bandes enherbées.
a ainsi habitudes
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La clé du sol > Reportage dans le Lauragais
il a fallu mécaniquement bricoler la planteuse, mais cela réduit de manière notable les risques d’un ruissellement. » Tout en réduisant l’érosion, Benoist Leforestier pense à « apporter de la vie au sol, qui en manque », avec les vers de terre qui en améliore la structure. D’où l’ajout de matière organique. Des échanges paillefumier, ou encore l’épandage de compost de déchets verts font l’affaire. En ce moment il teste sur une petite parcelle un produit appelé Bacteriosol, destiné à faire retravailler la vie du sol.
A.J.
Benoist Leforestier décrit sur la carte les problèmes d’érosion rencontrés, avec la genèse de la formation des ravines.
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Pour mieux poursuivre dans les investigations permettant de combattre l’érosion, Benoist Leforestier travaille avec l’AREAS (association régionale pour l’étude et l’amélioration des sols) dont le siège est à Saint-Valéry-de-Caux, car il n’est évidemment pas le seul à devoir faire face aux caprices
du terrain. L’AREAS favorise les échanges et la mise en commun d’observations, mais peut aussi apporter un appui technique, et même dispenser des formations. Toujours dans l’optique de multiplier les expériences, Benoist et Elisabeth Leforestier viennent de créer avec dix autres agriculteurs l’association « Sol en Caux » pour promouvoir l’agriculture de conservation en pays de Caux dans ses systèmes de cultures industrielles. Car aujourd’hui, malgré tous leurs efforts, les risques demeurent. « Avant de passer au semis direct chez nous, il faut améliorer le sol », précisent-ils. Un long travail. Un mot sur les saules. « Nous en avons plantés un hectare en 2009, en partenariat avec la Chambre d’agriculture, sur une zone inondable suite à la mise en place d’un bassin par les bassins versants. Nous espérions vendre de la plaquette de chauffage, mais n’avons trouvé aucun débouché local. Nous pensons donc les utiliser comme «bois raméal
fragmenté» (BRF) l’an prochain, car ils peuvent, une fois épandus sur les champs, en reconstituer la matière organique structurelle. »
A droite la culture, au centre la bande enherbée, à gauche la plantation de saules pour reconstituer la matière organique structurelle.
Il a donc fallu toute une série de mesures, de pratiques, d’observations, sur son terrain et en commun avec les voisins à travers un réseau associatif pour se mettre en mesure de combattre l’érosion. Avec des évolutions en cours, des recherches qui ne sont toujours pas à terme, comme ce fameux couvert à dénicher pour suivre la culture du lin, ou savoir comment venir à une agriculture de conservation dans le contexte. Plus que par toute idée reçue, ou par une législation globale, c’est bien avec le travail de l’agriculteur sur son terrain que les ruissellements vont devenir moins dramatiques. Antoine Jeandey Note : le bacteriosol dont il est question dans cet article est proposé sur le site http://www.bacteriosol-sobac.com ; les travaux de l’association AREAS sont déclinés sur le site http://www.areas.asso.fr
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A.J.
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MOTEUR
> la clÉ du sol
« La charrue demeure un très bon décompacteur » u
Chercheur au Centre wallon de recherches agronomiques de Gembloux (Belgique), Christian Roisin dirige des essais sur le travail du sol. Il redoute moins la dégradation de la qualité des sols que les postures idéologiques encore trop prégnantes en la matière.
a été utilisé, elle est seulement sensible à la structure et aux obstacles éventuellement rencontrés. Le passé cultural de la parcelle ainsi que l’espèce à implanter, l’année N, voire l’année N+1, dictent la conduite à tenir. En cas de doute, un profil cultural s’impose.
Christian Roisin : « Une culture se fiche pas mal de savoir quel outil a été utilisé, elle est seulement sensible à la structure et aux obstacles éventuellement rencontrés. »
D.R.
A quoi sert le travail du sol ? C.R. : Il faut considérer toutes les techniques de travail du sol, du labour au semis direct, comme des techniques culturales ayant pour objectif de conférer aux cultures des conditions de croissance optimales sans perdre de vue que chacune peut avoir des conséquences différentes sur l’évolution de l’état structural du sol (tassements naturels et risques de compaction) la dynamique de l’eau dans le sol (capillarité, infiltration, drainage), l’environnement (protection contre la battance, ruissellement, érosion) et sur d’autres aspects comme la concurrence des adventices, des repousses, les maladies cryptogamiques, les insectes. On imagine mal un seul outil ou une seule technique répondre à toutes ces prérogatives ? C.R. : Peu importe l’outil et la technique. Seul compte l’état structural résultant de l’intervention ou de la non intervention. Une culture se fiche pas mal de savoir quel outil
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Qu’entendez-vous par passé cultural de la parcelle ? C.R. : En techniques culturales simplifiées, la densité apparente du sol et donc son niveau de tassement augmentent au fil des ans, plus vite que la régénération naturelle du sol. L’agriculteur ne doit pas perdre de vue que le sol a une mémoire et que des défauts de structure peuvent se conserver de nombreuses années dans le sol lorsque celui-ci n’est plus travaillé. Il doit donc considérer les évènements et interventions passés pour évaluer le besoin d’une restructuration éventuelle en profondeur. Suis-je dans le cas d’un passé cultural « à risque » ? Avec quel état structural vaisje me retrouver dans un an ? Quelle sera alors ma marge de manœuvre ? Devrai-je retourner vers des pratiques plus intenses ou pourrai-je me contenter d’un travail beaucoup plus simplifié ? Voilà le genre de questions que tout agriculteur devrait se poser avant chaque prise de décision. De la charrue ou du décompacteur, quel est le meilleur outil pour restructurer un sol en profondeur ? C.R. : Un décompacteur peut faire parfaitement l’affaire mais à condition
d’intervenir avant que la structure ne soit trop dégradée. Il ne faut pas surestimer les effets restructurants d’un décompacteur et se méfier des conditions, ou trop sèches et alors génératrice de grosses mottes, ou trop humides et synonymes de lissage. Dans nos essais, nous avons démontré que la charrue pouvait être un bien meilleur décompacteur… qu’un décompacteur. Mais encore un fois, tout dépend des conditions d’intervention. La charrue n’est pourtant pas indemne de défauts ? C.R. : On peut faire du très mauvais travail avec une charrue, c’est bien évident. La charrue a l’inconvénient de couper le sol en deux couches n’ayant quasiment plus de connexions entre elles. La rupture de capillarité qui s’ensuit peut avoir un effet dépressif sur la germination ou le développement de la culture. C’est pour cette raison que le non labour est bien adapté aux espèces de printemps et à leur cycle court, quitte à avoir labouré l’année précédente pour retrouver de la porosité. La charrue n’est-elle un outil anti-agronomique, du point de vue de la gestion de la matière organique ? C.R. : Il est indéniable que la matière organique en surface participe à la stabilité structurante du sol. Mais les techniques simplifiées produisent un effet antagoniste du fait des passages répétés d’outils en surface affinant trop le sol et de l’effet cumulatif des tassements dans l’horizon sousjacent. Je pense que l’on surévalue le rôle de la matière organique en
surface. Les belles théories sur la vie du sol ne reposent actuellement sur aucun fondement scientifique. Les études récentes menées en matière de microbiologie et d’activité biologique du sol et qui recourent aux dernières techniques de biologie moléculaire permettent en effet d’aller beaucoup plus loin dans la connaissance de ce qui se passe réellement dans le sol. On se rend compte que nous ne connaissons encore très peu de choses dans ce domaine et qu’il y a là un champ d’investigation tout à fait nouveau et beaucoup plus vaste qu’on ne pouvait l’imaginer. La qualité des sols agricoles estelle en péril en Europe ? C.R. : Même si l’alourdissement constant des machines me préoccupe, je ne suis pas de ceux
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Peut-on parler de techniques culturales sans être suspecté de promouvoir une technique au détriment d’une autre ?
C.R. : Il ne faut évidemment pas opposer les techniques les unes aux autres mais au contraire en jouer pour extérioriser leurs bénéfices dans un contexte et un environnement donnés. Le non labour recouvre énormément d’outils et de pratiques différentes. La première précaution, c’est de savoir de quoi on parle. La seconde, c’est de faire preuve d’humilité. Propos recueillis par Raphaël Lecocq
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D.R.
qui sont alarmistes sur la question de la qualité des sols. La meilleure preuve, c’est que les rendements sont au rendez-vous et que la question de leur plafonnement, évoquée ici ou là, est toute relative. Certains aspects de politique agricole, auxquels s’ajoutent des phénomènes de volatilité et de spéculation, vont parfois à l’encontre des règles de décision agronomiques et peuvent s’avérer tout aussi dommageables.
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Les essais longue durée de Gembloux u
Le Centre wallon de recherches agronomiques de Gembloux (Belgique) réalise des essais sur le travail du sol depuis 1967. A l’image d’Arvalis Institut du végétal, il a notamment réalisé le suivi de parcelles conduites en semis direct pendant 18 ans. Les derniers essais en date, portant sur la betterave et le lin, démontrent que les TCS gardent en mémoire les opérations culturales antérieures. Le non labour n’est opportun que dans les parcelles ayant un passé cultural favorable, un pH correct, une activité biologique suffisante et une structure en ordre.
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MOTEUR
> la clÉ du sol
Et pourtant, elle (re)tourne… u
Des ventes orientées à la hausse, des constructeurs qui l’intègrent à leur catalogue : la charrue continue de creuser son sillon.
La charrue déchaumeuse permet de limiter la profondeur de travail et donc l’effort de traction.
Doc Ovlac
Q
u’est-ce qui a progressé de 26 % en 2011, de 20 % en 2012 et devrait encore croître en 2013 ? Les ventes de charrues en Europe en général et en France en particulier. Trois années consécutives de hausse, ce n’est pas forcément le signe d’un retournement de tendance mais ce n’est ni anecdotique ni anodin, sachant qu’une relative stagnation du marché prévalait avant cette reprise des ventes. On peut s’étonner de la si bonne tenue des vente des charrues alors que les techniques simplifiées tirent la couverture (végétale) à elles, cumulant des atouts agronomiques (matière organique), écologiques (bilan carbone) et économiques
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(temps, carburant, usure). Certes, mais la charrue n’est non plus à jeter aux orties, et pour cause puisqu’elle reste l’arme absolue pour venir à bout d’adventices rétives aux herbicides sinon à d’autres pratiques agronomiques (rotation, interculture). Sans oublier certains parasites comme la pyrale. Une récolte en conditions humides et la nécessité de restructurer le sol constituent une autre justification de poids. Si l’impasse demeure l’option prioritaire des agriculteurs, le labour au coup par coup fait de la résistance, sans compter les situations où les terres n’offrent aucune résistance. La bonne tenue des cours des céréales ces dernières années ont aussi fourni
Doc Amazone
un prétexte à aller chercher les derniers quintaux rentables. Si la charrue ne se redéploie pas de manière ostensible, le renouvellement du matériel chez qui la charrue était toujours sous la hangar fournit une explication à la bonne tenue des ventes.
Innovations techniques Le renouvellement du matériel est aussi l’occasion de mesurer les évolutions apportées par les constructeurs, les plus fidèles n’ayant pas relâché leurs investissements. On notera aussi que de nouveaux intervenants ne sont pas insensibles aux vertus réitérées de l’outil (lire
Pour minimiser les contraintes et inconvénients, les fabricants ont travaillé dans trois directions que sont l’exigence de puissance, l’usure des pièces travaillantes
Amazone, un nouvel acteur dans l’univers de la charrue, avec les Cayron 200, des modèles réversibles en 5 ou 6 corps.
et l’ergonomie de conduite. En ce qui concerne l’usure des pièces, la forme des versoirs et les traitements des aciers restent les deux leviers exploités par les fabricants. En ce qui concerne l’ergonomie, les améliorations portent sur l’attelage et les réglages. Lorsque ces derniers restent manuels, les fabricants font en sorte qu’ils s’opèrent prestement et si possible sans outils. Mais les commandes électro-hydrauliques se substituent de plus en plus aux commandes manuelles. Terminés les allers et retours entre la cabine et les différents points de réglage plus ou moins accessibles. Depuis la cabine, au moyen d’un simple sélecteur hydraulique centralisé, il est possible de définir et d’ajuster en permanence l’aplomb (dévers),
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la largeur de la première raie (déport) ou encore la profondeur de la roue de terrage. Grâce à la norme Isobus, nul besoin de boîtier supplémentaire pour peu que le tracteur soit équipé d’un terminal normalisé.
Charrues déchaumeuses Les charrues actuelles sont aussi moins tirantes que les anciennes, et pas seulement en raison de la moindre profondeur de travail. L’architecture des nouveaux modèles (étançons déportés, roue pivotante, double roue) a pour effet de renforcer l’effet de report de charges, sans nécessairement demander davantage de puissance au relevage. Proposées en 5, 6 ou 7 corps, la largeur de travail des charrues portées pointe à 3,50 m. La possibilité de moduler la largeur de travail entre 12 et 20 pouces, sur les modèles dits à largeur variable, élargit leur champ d’action au gré des conditions de sol rencontrées. Les systèmes hydrauliques des sécurités nonstop jouent également dans ce registre, sans oublier la combinaison d’une charrue avant et arrière.
Relancées il y a quelques années par plusieurs constructeurs, les charrues déchaumeuses s’inscrivent dans cette démarche d’un labour à l’économie. Elles constituaient, dans le passé, aux côtés des outils à disques et des outils à dents, un autre moyen de déchaumer. Ces matériels ont deux traits caractéristiques : des corps de 10 pouces et l’absence de rasettes. Et c’est ça qui change tout par rapport aux charrues classiques, qui vont chercher dans les 14, 16 ou 20 pouces de largeur et qui sont dotées de rasettes au mieux ajustables vers l’arrière, au pire fixes. 10 pouces, ce n’est pourtant pas une indication de profondeur de travail mais de largeur. Mais en limitant la largeur de travail de chaque corps à 25 cm, on s’octroie la possibilité de travailler dans un horizon compris entre 5 et 15 cm de profondeur. Le rapport largeur sur hauteur retrouve des valeurs normales, aptes à positionner la matière organique sur un plan vertical et non plus plaquée en fond de raie, ce que vient conforter l’absence de rasette. Si les charrues déchaumeuses sont, à l’usage, plus économiques que les charrues traditionnelles, du fait de la moindre résistance à la traction, leur prix d’achat n’est pas allégé, compte tenu qu’elles intègrent des spécificités similaires telles que la largeur variable ou encore les sécurités non-stop. Raphaël Lecocq
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l’encadré). La charrue ne renie pas ses handicaps originels que sont l’exigence de puissance et la consommation de carburant qui l’accompagne, la faiblesse du débit de chantier, le tout plombant les coûts d’implantation d’une culture, avec en prime un relatif inconfort côté conduite. Autant de limites reléguées au second plan quand la charrue n’est plus considérée comme le problème mais comme la solution.
p Allez les vertes ! u
Au cours de l’été, deux constructeurs et pas des moindres ont annoncé leur investissement sinon leur réinvestissement dans la charrue. John Deere a signé un accord avec Grégoire-Besson pour concevoir et fabriquer sous ses couleurs des charrues destinées au marché de la Communauté des Etats Indépendants (CEI), dont la Russie. Sont concernés deux modèles semi-portés réversibles développant 5 à 13 corps. Un retour aux sources en quelques sorte pour l’ex-forgeron John Deere (1804 – 1886) qui, en 1837, s’inspirant d’une lame de scie, fabriquait la première charrue à versoir en acier poli. Amazone, l’autre constructeur concerné, n’a pas de patrimoine génétique en matière de charrue depuis sa naissance en 1883. Il s’apprête pourtant à fabriquer en propre avec les Cayron 200 une première gamme de charrues portées en 5 et 6 corps, par le biais de sa filiale BBG, rachetée en 1998, et qui, dès 1863, mettait au point en Allemagne la première charrue à train avant en fer auto-guidée.
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La clé du sol
Brèves des champs u
Idée reçue
Labour et TCS Herbicides contre charrue ? Sur le plan environnemental, comparer la charrue au désherbage chimique, c’est un peu l’histoire de la chèvre et du chou : moins de gasoil et de machines ou moins d’IFT ? Evacuons la question en renvoyant chacun à son contexte et ses priorités : pression, zones de captage, rotation, date de semis, cailloux, battance... Mais si moins du tiers de la SAU française est désormais labourée, ce n’est pas un hasard. Outre l’équation économique, la première préoccupation est sans doute devenue celle de la matière organique et de la bonne gestion de son « capital sol ». C’est cette boite noire mal connue qui constitue le premier maillon du cycle de l’eau comme de l’azote. Eh oui, les techniques simplifiées permettent de la voir se développer, à condition d’être patient : l’essai de travail du sol longue durée, en place depuis les années 70 sur la station Arvalis de Boigneville montre une augmentation du carbone stocké après 28 ans sans labour de 5 t/ha. Cette augmentation est obtenue durant les 20 premières années, le stock étant ensuite stable (45 à 46 t/ha à Boigneville), et correspond donc en moyenne à + 250 kg/ha/an de carbone stocké, soit environ 1 t de CO2/ha/an. Des chiffres mis en avant par l’Inra il y a déjà dix ans... Autrement dit, il existe un niveau d’équilibre pour le carbone stocké, et donc pour la matière organique, dans les terres céréalières. Un optimum difficile à dépasser artificiellement. Reste un débat scientifique : labourer signifie enfouir la matière organique (MO) sur une plus grande profondeur, donc la diluer dans un plus grand volume. Labourer détruit-il la MO ou la répartit-il différemment ? Faut-il alors raisonner en kg/ha ou par en kg/m3 de terre ? Les questions sont posées.
A.J.
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Un sol labouré se régénère plus vite...
Telle est la conclusion des chercheurs de l’Inra après 16 ans d’expérimentation en conditions réelles. Humidité des sols, poids des engins, position des roues, tassement par les différents passages, fragmentation par le travail du sol, processus naturels de régénération climatiques et biologiques… Autant de paramètres suivis dans la Somme sur une parcelle de 15 ha composée de limon profond à 20 % d’argile.
B.M.
Trois systèmes y ont été comparés : le premier de ses systèmes est celui qui présente le moins de risque de compactage avec une succession de pois, de blé d’hiver, de lin oléagineux et de blé d’hiver. Dans ce cas, toutes les interventions se concentrent sur la période sèche et les récoltes sont réalisées en été. Le sol ne s’en porte que mieux car a chaque essai les chercheurs ont utilisé des engins lourds, calibrés pour de grandes exploitations. Les deux autres systèmes font intervenir betterave, blé d’hiver, maïs et blé d’hiver avec, sur une parcelle des récoltes tardives pour privilégier l’interception lumineuse et les rendements, et sur l’autre des aménagements dans les dates pour limiter le tassement. Première conclusion, attendue, le risque est d’autant plus élevé que la récolte de betterave intervient tard dans l’automne. La seconde leçon surprend plus : les sols limoneux se régénèrent rapidement, même après un fort compactage, s’ils sont labourés. Sur les essais, un tassement sévère disparaît en deux ans à peine. Tandis que sur une parcelle voisine en travail superficiel, 6 cm maximum, les stigmates persistent plus de 7 ans après le tassement. Prudence, donc, avec les gros passages en techniques simplifiées. (Source : Inra)
Fertilisation et acidification Une étude sur près d’un siècle !
B.M.
Cultures et carbone Quels sont les meilleurs puits ?
Comment la fertilisation transforme-t-elle le sol à long terme ? Une question à laquelle l’Inra peut répondre grâce à 42 parcelles d’essais mises en place à Versailles en 1928 afin de comparer les effets de différents engrais et amendements. Son originalité, pour l’époque, est d’analyser l’impact des pratiques de fertilisation sur le sol lui-même et non sur le développement de la plante. Des générations de chercheurs ont ainsi pu comparer, pour des niveaux de fertilisation identiques, l’effet d’engrais azotés, phosphatés et potassiques, utilisés pour fournir aux plantes les éléments dont elles ont besoin, et d’amendements basiques visant à lutter contre l’acidification des sols. Les résultats les plus spectaculaires concernent l’évolution différenciée des sols en l’absence de plante et en fonction de la nature de l’engrais ou de l’amendement apporté. Résultats : 10 années suffisent pour abaisser le pH d’un sol agricole d’une valeur de 6,5 à une valeur de l’ordre de 3,5/4,0 (pH d’un sol sous forêt) sous l’effet, par exemple, d’engrais ammoniacaux (nitrate, phosphate et sulfate d’ammonium).
La question du bilan carbone de l’agriculture revient régulièrement sur le devant de la scène, notamment depuis le développement des biocarburants d’origine agricole. Cette fois, c’est le CNRS qui apporte sa pierre à l’édifice. Au programme, trois grandes cultures européennes : le blé, le maïs ensilage et le tournesol. Pendant sept ans, les chercheurs ont mesuré les flux de carbone et d’eau sur deux parcelles instrumentées. Résultat des chercheurs : « D’un point de vue agronomique, la culture de maïs ensilage offre le meilleur rendement en produisant jusqu’à 1,3 gramme de carbone par litre d’eau consommé, contre 0,65 gramme pour le blé et 0,2 gramme pour le tournesol. En revanche d’un point de vue environnemental, le blé dont le cycle est plus long, fixe davantage de carbone dans le sol : il permet de séquestrer jusqu’à 1 gramme de carbone par litre d’eau consommé. En revanche, le tournesol à cycle court et le maïs ensilage présentent des bilans négatifs : ils appauvrissent le sol en carbone et sont par conséquent producteurs nets de gaz à effet de serre. » Reste à intégrer l’introduction des cultures intermédiaires et des pièges à nitrates afin d’élargir le champ : « Ces cultures piègent les ressources minérales du sol et les rendent disponibles pour les cultures suivantes. Il est vraisemblable qu’elles augmentent de surcroit la capture de CO2 mais qu’elles réduisent la disponibilité des ressources en eau pour les cultures suivantes. Ces hypothèses seront testées dans le cadre des projets européens ICOS (Ndlr : Integrated carbon observation system) et GHG-Europe, qui visent à comprendre sur le long terme le cycle global du carbone et les émissions de gaz à effet de serre des différentes couvertures végétales existantes en Europe. » (Source : CNRS)
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A.J.
De même, l’apport d’une substance très banale comme le calcaire, c’est à dire la pratique ancestrale du « chaulage » contribue à l’effet inverse. L’effet le plus spectaculaire de la gestion des engrais et des amendements est l’évolution superficielle des sols sous l’effet de la pluie. Un enseignement qui parait aujourd’hui « enfoncer des portes ouvertes », mais validait, avant la révolution verte, une pratique empirique. (Source : Inra)
Rubrique écrite par Benjamin Masson
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La clé du sol > BRèVES DES CHAMPS
A creuser La folle vie du sol... Difficile à concevoir, mais chaque gramme de sol héberge plus d’organismes qu’il n’y a d’humains sur terre ! Et bien entendu, nous ne connaissons qu’une fraction de cet écosystème : lombrics, carabes, fourmis... Mais surtout acariens, nématodes, champignons, bactéries, protozoaires, chacun représente un maillon d’un écosystème qui rend, au final, la croissance des plantes possible. Une relation parfois parasitaire, parfois fructueuse. Et comme le note l’Unifa dans ses fiches « Ferti-Pratique », les racines créent des « points chauds » d’activité microbienne dans les sols. Comme les animaux qui ont besoin de bactéries associées à leur système digestif, les plantes vivent avec un cortège de microorganismes sur leurs racines qui favorisent l’assimilation des éléments nutritifs et assurent un effet tampon les protégeant de l’acidité ou de la sécheresse.
Cycle de l’azote Des bactéries à cultiver Des bactéries à cultiverrecoupant les données recueillies sur le terrain avec des modèles de développement de tel ou tel risque (insectes, maladies...). La plupart des produits phytos sont désormais associés à un outil de ce genre. L’objectif revendiqué ? Le bon usage du produit, en positionnement comme en volumes, afin d’en tirer le meilleur, voire de gagner un passage les années où cela s’avère possible.
Et si l’on admet mal connaitre ces populations, leurs interactions, et donc leurs besoins, il faut s’en remettre à quelques règles de bon sens pour stimuler les petits travailleurs du sous sol : éviter de laisser le sol à nu, préserver sa structure, chauler pour maintenir un pH compris entre 6,5 et 7, diversifier les rotations, jouer la carte des engrais verts afin de les nourrir... La meilleure illustration reste celle des mycorhizes, ces champignons filamenteux qui vont chercher à distance l’eau et les éléments minéraux peu mobiles comme le phosphore pour les amener aux racines. La plante en échange, alimente le mycorhize en sucres. Il est difficile de reconnaitre à quel point cet univers nous reste inconnu, et pourtant, ce sont les premiers maillons de l’agriculture. (Source : Unifa) Fotolia
Le premier acteur s’appelle nitrosomas. Une bactérie du sol qui tire son énergie de l’oxydation de l’ammoniac libéré par la matière organique. Elle rejette alors des nitrites qui vont alimenter le second étage de la fusée, représenté par une autre bactérie : nitrobacter. Nitrobacter récupère les nitrites émis par sa voisine pour en faire des nitrates... Et là, les racines peuvent démarrer leur travail.
A.J.
Mais comment s’assurer du dynamisme de ces ouvrières de l’ombre ? Le premier paramètre, comme pour toute bactérie, est la température : l’optimum se situe autour de 25°C pour nitrosomas et de 30°C pour nitrobacter. D’où une activité réduite en hiver. La présence d’humidité est évidemment une autre condition importante, et l’acidité du sol un paramètre majeur ! Nitrosomas aime les milieux plutôt basiques (pH entre 6 et 9), tout comme nitrobacter. D’où l’effet positif des amendements basiques sur l’activité biologique des sols... A.J
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Dépollution Un remède contre l’atrazine ? Herbicide phare de la révolution verte, incontournable sur maïs, l’atrazine est interdite en France depuis 2003 en raison de son énorme stabilité dans le temps et de son impact sur les milieux aquatiques. Mais durant la cinquantaine d’années d’utilisation de ce produit (jusqu’à 5000 t/an en France), certaines bactéries du sol ont su s’adapter, muter, pour mettre à profit ce nouvel « aliment » et devenir, par la même occasion, des épurateurs.
Fotolia
Les principaux acteurs semblent être certains pseudomonas, devenus capables d’utiliser l’atrazine comme seule source de carbone et d’énergie. Les premiers gènes impliqués sont identifiés depuis une quinzaine d’années. Et à en croire la thèse soutenue en 2008 par Céline Monard (université de Rennes 1), c’est sur les parois des galeries des lombriciens que l’activité de dépollution des bactéries apparait la plus importante, allant jusqu’à parler de « hot spots ». Mais toujours selon ces travaux, l’inoculation de ces bactéries issues d’une autre parcelle dans un sol fortement chargé en atrazine ne permet pas d’en accélérer la dégradation... Sans doute une question de dynamique de peuplement et de fonctionnement de chaque sol comme un écosystème à part. Moralité la dépollution doit prendre son temps, celle de la sélection d’organismes capables d’en tirer profit, quitte à les favoriser en agissant sur la structure du sol ! Quant à la chlordécone, autre polluant majeur des sols, notamment en Outre-Mer, les chercheurs s’orientent aussi vers l’utilisation de bactéries afin de dégrader la molécule, avec des résultats prometteurs : une équipe pluridisciplinaire associant, notamment, des chercheurs de l’Université des Antilles et de la Guyane a obtenu de bons résultats par cette voie, permettant, à une température de 40°, une dégradation de 76 % du sur des échantillons d’eaux usées dosées à 2 mg/l de chlordécone. Mais pour transposer le procédé à l’échelle des Dom-Tom, sans doute faudra-t-il construire une multitude de « réacteurs » riches en micro organismes afin de stimuler leur activité... Rubrique écrite par Benjamin Masson
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Pédagogie des marchés
Bilan de la récolte de blé hémisphère Nord et perspectives hémisphère Sud Alors que les récoltes de blé hémisphère Nord sont désormais bien avancées, l’heure du bilan est venue. En effet, après une année 2012 marquée par d’importants incidents climatiques notamment chez les principaux exportateurs mondiaux, les récoltes de blé pour la campagne 2013/2014 seront déterminantes pour l’évolution des cours dans un contexte où les stocks ont été fortement réduits.
Sébastien Techer
Conseiller en investissements financiers
Figure n°1 : Stocks fin et exportations des principaux exportateurs de l’hémisphère Nord (hors Canada) (Source : Agritel)
Amérique du Nord : des récoltes mitigées Sur le continent Nord-Américain, les récoltes sont partagées entre des productions quasi-records au Canada où les récoltes se finalisent et une production US impactée par un hiver extrêmement sec et des gelées tardives au mois d’avril. Ainsi, aux Etats-Unis, le premier exportateur mondial de blé, la production est estimée à 55,5 millions de tonnes, proche de la récolte de 2011 et contre 62 millions de tonnes l’an passé. En
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revanche, au Canada, la production de blé tutoie des niveaux records en s’affichant à 31 millions de tonnes soit 4 millions de tonnes de plus que l’année dernière.
Léger rebond de la production de blé dans l’Union Européenne Malgré un hiver très humide en Europe de l’Ouest, la production de blé rebondit nettement notamment en Allemagne où les estimations varient entre 24 et 25 millions de
tonnes contre seulement 22,7 millions de tonnes l’année dernière. En France, le constat est similaire avec la production la plus importante depuis 2008 à 37 millions de tonnes. Au final, la production européenne de blé tendre s’affiche en hausse d’environ 12 % à 132,7 millions de tonnes ce qui devrait permettre de reconstruire les stocks tombés à des niveaux historiquement bas.
Des potentiels de production contrastés sur le bassin mer Noire Sur la mer Noire, les productions de blé sont partagées entre des niveaux historiquement élevés en Ukraine d’une part et un potentiel de production mitigé en Russie ainsi qu’au Kazakhstan tant en terme de quantité que de qualité. Du point de vue de l’Ukraine, les conditions climatiques quasi-idéales durant la période de végétation permettent d’atteindre une production de 22 millions de tonnes. En Russie, les régions de production de blé d’hiver ont été impactées par une sécheresse qui a réduit de manière significative le potentiel de production de blé. Les zones de production de blé de printemps ont quant à elle été épargnées par la sécheresse mais les pluies ont gêné les travaux de récolte notamment dans les régions de la Volga et de l’Ural, affectant ainsi la qualité du blé.
Au final, la production de blé devrait rebondir par rapport à l’an dernier autour des 50 millions de tonnes. Néanmoins, en raison des qualités décevantes, le disponible export devrait rester sur des niveaux semblables à l’an passé. Pour finir, la production de blé au Kazakhstan est évaluée à environ 15 millions de tonnes, soit 5 millions de tonnes de plus que l’année dernière. Mais comme pour la Russie, les pluies incessantes au moment des récoltes ont été particulièrement préjudiciables à la qualité des blés récoltés.
A.J.
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Agritel Apprendre Pédagogie des marchés
Le léger rebond de la production des principaux pays exportateurs de blé de l’hémisphère Nord ne suffira donc pas à reconstruire les stocks de report de manière importante après la forte baisse de la campagne 2012/2013 (Cf. Figure 1). Concernant les exportations, le constat est le même, ce qui devrait limiter la détente du commerce mondial du blé en première partie de campagne. Dans ce contexte, les grands pays exportateurs de l’hémisphère Nord joueront un rôle déterminant pour l’évolution des cours du blé en seconde partie de campagne.
Australie : bon potentiel de production Après les craintes de sècheresse au mois de juillet, les pluies du mois d’août ont fait le plus grand bien
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Figure n°2 : Pourcentage des précipitations par rapport à la normale sur les 30 derniers jours. (Source : Agritel)
aux cultures du blé en particulier dans l’ouest du pays. Exclusion faite d’éventuelles inondations, fréquentes au moment des récoltes, la production australienne de blé est évoluée autour de 25 millions de tonnes contre 22 millions de millions de tonnes pour la récolte 2012.
Les cultures de blé en Argentine soumises aux caprices du ciel
En conclusion, les opérateurs resteront très vigilants à l’évolution des conditions climatiques sur l’hémisphère Sud car une poursuite des conditions climatiques sèches en Argentine ou un incident climatique en Australie dans le courant de l’hiver serait des éléments de soutien de choix pour les cours du blé. Réalisé par Agritel www.agritel.com
En Argentine, les cultures de blé ont été mises à rude épreuve depuis quelques mois. Après un épisode de gel à la fin du mois de juillet, le blé a du se développer dans des conditions climatiques extrêmement sèches comme l’illustre la figure n°2. Dès lors, la production de blé pourrait s’afficher au-dessous des 12 millions de tonnes estimées dans le dernier rapport de l’USDA.
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Stratégie et Benchmark
Ce qui ne change pas dans l’entreprise, quel que soit le contexte Quand tout bouge autour de soi, quand les contextes économiques ne sont plus les mêmes, lorsqu’ils nous interrogent professionnellement sur notre avenir, il est utile de revenir aux fondamentaux de gestion d’une entreprise afin de confirmer, ajuster, modifier au mieux son entreprise. Création de valeur ajoutée Par Alain PAPOT,
Directeur général du centre de gestion agréé CerFrance Centre – Ile de France
C’est le propre de l’entrepreneur que de choisir des activités (production, services…), de les réaliser en mettant en jeu des approvisionnements, des services extérieurs, et en les valorisant sur des marchés.
La valeur ajoutée doit représenter un volume financier conséquent (50 000 à 100 000 € par UTH – unité de travail homme – et plus) pour faire face à l’indispensable vie familiale de l’exploitant y compris les prélèvements sociaux et fiscaux, aux charges de structures (impôts, mécanisation et main-d’œuvre), aux échéances d’emprunt… C’est le cœur économique de l’exploitation et elle se raisonne sans prime, subvention ou toute autre aide extérieure.
Prise en compte des risques Connaître les aléas de productions et d’identifier les critères les plus discriminant en terme de risque économique est essentiel pour adapter son mode de gestion et l’assise financière nécessaire pour y faire face. Pour cela, le meilleur outil est la matrice de gain, où l’on fait varier un à un chaque critère important (rendement, prix de vente, prix d’achat, quantités consommées…) pour mesurer son impact sur la réalisation de valeur ajoutée. Maîtriser ce niveau de risque économique demande de ne pas choisir un coût de revient calculé avec les hypothèses économiques trop optimistes ; de consolider (en année favorable) un volant de trésorerie
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suffisant (ou une réserve financière mobilisable), pour compenser immédiatement toute partie mauvaise surprise survenant en année défavorable ; et d’identifier les valeurs « pivot » des différents critères autour desquelles s’expriment les risques positifs ou négatifs.
Les choix stratégiques Faire faire des travaux par des prestataires extérieurs n’engage que pour la période contractuelle décidée et permet, souvent partiellement, d’adapter le coût de la prestation au résultat espéré. Cette souplesse économique attendue est souvent anxiogène pour l’exploitant et génère des contraintes d’organisation et de mise en œuvre pas toujours facile à gérer. Renforcer sa structure de travail interne (matériels, installation, main-d’œuvre) au-delà d’un minimum nécessaire engage financièrement sur plusieurs années et augmentent souvent le coût de revient unitaire des productions (moins bonnes valorisation des équipements), en apportant disponibilité, liberté et confort autant pour l’organisation que pour la réalisation des process de productions. A chaque exploitant de mesurer véritablement si les surcoûts de matériel ou de main-d’œuvre choisis en interne se traduisent par des ressources nettes supplémentaires ou des coûts nets additionnels, avec comme conséquence, la maîtrise ou l’accroissement du risque entrepreneurial.
L’excédent brut d’exploitation Réelle mesure des excédents financiers dégagés par l’exploitation, il en mesure le potentiel économique dans
les conditions de l’année considérée. Ce critère sanctionne la gestion technico-économique de l’entreprise, avant les mouvements liés aux investissements, aux financements, à la rémunération des capitaux et à la vie familiale de l’exploitant. Plus son rapport au produit est élevé, plus la gestion est efficace. En monde agricole, la part d’excédent brut d’exploitation (EBE) dans le produit est très variable, elle peut être comprise entre 15 et plus de 60 % en fonction des filières de production, de l’implantation géographique, de l’organisation de l’entreprise et de l’habileté de l’entrepreneur. Cela démontre à la fois l’hétérogénéité des exploitations, les marges de manœuvre existantes ou la rigidité de certains systèmes. A chaque agriculteur de faire ses choix, mesurer ses acquis économiques pour les faire progresser. Ce qui se régit en aval de l’EBE, c’est d’une part l’équilibre de trésorerie de l’entreprise qui, cumulé sur plusieurs années, assure la pérennité de l’exploitation ; d’autre part le calcul des bases taxables socialement et fiscalement. Ces deux déclinaisons mettent le professionnel parfois devant des choix paradoxaux où il faut simultanément « charger » l’EBE pour minorer le revenu taxable socialement et fiscalement, et « l’alléger » pour dégager un maximum de disponibilité !
L’excédent régulier de trésorerie capitalisable L’axe de trésorerie met en compétition le niveau de vie des exploitants avec le volume de capitalisation dans l’exploitation à moyen terme (immobilisations) et à court terme (financement des stocks et créances) : l’EBE va être « consommé » en prélèvements privés, en annuités d’emprunt, en autofinancement des investissements et le solde vient consolider (excédent) ou éroder (déficit) le fonds de roulement.
Ce fonds de roulement permet le financement d’avance des dépenses du cycle de production en attendant la réalisation des produits. Plus l’espace entre le premier paiement (mise en terre, alimentation, insémination…) et le premier encaissement du produit commercialisé est long (de quelques mois à quelques années en agriculture), plus le fonds de roulement devra être important. Avec des cycles de productions atteignant ou dépassant les 12 mois, il n’est pas rare que les fonds de roulement souhaitables soient égaux ou supérieurs à une année de charges. C’est donc une masse importante de capital qui se constitue en cumulant les excédents de trésorerie annuels. Une fois constitué, le fonds de roulement sert « de premier amortisseur » des aléas économiques auxquels l’exploitant doit parfois faire face, il constitue l’assise de trésorerie interne. Il doit être complété par une réserve financière mobilisable à l’extérieur de l’entreprise qui viendra le soutenir ou l’écrêter en fonction de la situation.
Optimiser ses bases fiscales et sociales Choisir les amortissements, exonérer les plus-values, pratiquer des déductions fiscales pour investissement ou aléas, opter pour des stocks à rotation lente ou pour les moyennes pluriannuelles, revient à maîtriser les à-coups de la base taxable pour acquérir ses droits sociaux et payer ce que l’on doit à taux faible, en limitant le plus possible la croissance des taux d’imposition marginaux. Attention, en partant pourtant du même excédent brut d’exploitation annuel, les bases taxables calculées (et les prélèvements sociaux ou fiscaux qui s’en suivent) peuvent être très différentes voire à l’inverse de la réalité financière vécue en trésorerie. Il est possible de constater des revenus élevés alors que les disponibilités sont inexistantes, ou des excédents financiers conséquents avec peu ou pas de revenu. Dans un contexte beaucoup plus variable, les raisonnements économiques sont stables, mais les réserves et les marges de manœuvres doivent s’accroître. Le changement de contexte ne fait pas évoluer les raisonnements économiques fondamentaux, ce n’est pas le fonctionnement de l’entreprise qui est remis en cause par les aléas sur les prix que nous connaissons, mais les trop faibles marges de manœuvres des exploitations ou l’insuffisance des réserves financières mobilisables pour faire face à l’importance des aléas. Lorsqu’un aléa important survient, ce sont les productions à rentrées régulières qui sont le plus affectées : des encaissements mensuels habituent les exploitants à gérer au mois le mois alors que les enjeux sont annuels. Dans cette situation, un dérèglement des ressources remet en cause quasi immédiatement les habitudes de gestion en projetant les soldes bancaires au-delà des limites acceptables. Alors que les productions dont les encaissements sont irréguliers tout au long de l’année ne laisseront apparaître les incohérences qu’en fin de cycle.
A.J.
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Réalisé par CERFRANCE www.cerfrance.fr
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e
Paroles d’entrepreneur
> Jean Pelikan, président directeur général d’Amazone France
« Nous proposons un maximum de solutions à l’agriculteur » Avec une gamme très large proposant de nombreux outils de travail du sol, Amazone occupe une place importante dans le paysage agricole mondial. L’entreprise mise sur la diversification, mais aussi sur la qualité de ses prestations et de ses services. des déchaumeurs, des outils animés, des semoirs à céréales ou monograines, des semoirs TCS, des épandeurs d’engrais centrifuges et des pulvérisateurs. Tous ces matériels constituent une gamme tirant le meilleur parti des intrants dans lequel l’agriculteur investit. Comment se situe l’entreprise sur le marché français ? J.P. : Depuis son introduction en France en 1948, la marque n’a jamais cessé de gagner des parts de marché. Nous sommes désormais l’un des leaders sur plusieurs gammes de matériels : en épandeurs centrifuges avec les ZA M, en outils animés avec les Cultimix et les herses rotatives KE, et avec les semoirs à céréales D9, AD, AD P.
L’épandeur est l’outil phare d’Amazone, depuis 1917 l’entreprise en a vendu près d’un million.
D.R.
Pouvez-vous présenter Amazone ? J.P. : Amazone est une entreprise familiale allemande qui fête cette année son 130è anniversaire. L’entreprise dispose de sept sites de fabrication employant 1 800 collaborateurs. Cinq sont situés en Allemagne, un en France et un en Russie. Nous fabriquons
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Comment Amazone s’est-elle hissée à cette position ? J.P. : De décennies en décennies, nous introduisons de nouveaux concepts dont certains deviennent des standards. Nous avons ainsi inventé l’épandeur centrifuge, le combiné de semis, le rouleau packer pour les outils animés, le jalonnage, la rampe à repliage vertical sur les pulvérisateurs portés... Les nouveaux concepts mettent certes du temps à être perçus, mais deviennent intéressants dès qu’ils sont reconnus et se vulgarisent. Enfin, nous misons à tous les niveaux sur la qualité de nos prestations, tant vis-à-vis de l’utilisateur final que vis-à-vis de notre revendeur.
Jean Pelikan est président directeur général d’Amazone France depuis 1987.
Quels sont les produits phares d’Amazone, qui attirent l’utilisateur, ou ont fait votre réputation ? J.P. : L’épandeur centrifuge vendu depuis 1958 est à l’origine du développement d’Amazone en France. Les outils et semoirs, et plus généralement les combinés de semis, sont également des produits phares de notre gamme, tandis que les pulvérisateurs commencent seulement à se faire connaître.
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D.R.
Comment voyez-vous le marché français ? J.P. : Le marché français, le plus grand marché européen, présente toujours des opportunités intéressantes en quantité mais également en
technicité. Le développement des gestions automatisées d’un nombre croissant de fonctions des matériels
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e
Paroles d’entrepreneur
> Jean Pelikan, président directeur général d’Amazone France
La charrue réversible portée Cayron 200 est l’exemple type de l’extension des compétences d’Amazone.
va accélérer le renouvellement du parc. C’est déjà le cas, par exemple, pour les épandeurs centrifuges à pesée automatique, qui représentent aujourd’hui plus de la moitié de nos ventes. Comment vous situez vous par rapport à la concurrence ? J.P. : Nos concurrents ont souvent été mieux placés en matière de prix. Mais depuis dix ou quinze ans nous parvenons à être concurrentiels tout en proposant parfois des équipements plus complets comme c’est le cas de la coupure de tronçons GPS switch, qui est en série sur nos gammes ZA M Premium et pulvérisateurs UF ou UX Premium. Quelles sont les ambitions de l’entreprise ? J.P. : Etre performant au niveau des services afin de réduire au strict minimum l’immobilisation de nos matériels. Et toujours proposer de nouveaux matériels qui correspondront au mieux aux souhaits de nos clients.
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Amazone a récemment lancé une charrue traînée (la Cayron), pourquoi vous lancez-vous dans ce type d’outil ? J.P. : Les herses rotatives ou combinés de semis que nous vendons travaillent essentiellement sur des parcelles
D.R.
labourées. Etant l’un des leaders du marché de l’outil animé, nous estimons que nous pouvons jouer un rôle dans le labour. Comme pour les autres gammes Amazone, la charrue va être déclinée de façon à s’adapter à un maximum d’exploitations françaises.
Le Cirrus présentera de nouvelles fonctionnalités et sera proposé en version compacte.
D.R.
L’usine de Leipzig (Allemagne), d’une surface de 20 000 m2, dispose de parcelles d’essais et d’une piste de torture. Elle produit la charrue Cayron.
D.R.
Comment voyez-vous le travail du sol chez Amazone ? Avez-vous une voie privilégiée ? J.P. : Le type du sol, la pluviométrie, le relief, la surface de l’exploitation, l’expérience et la vision de chaque agriculteur sont autant de critères très variables. Donc, en matière de travail du sol, nous nous efforçons de mettre un maximum de solutions à la disposition des agriculteurs sans
favoriser plus particulièrement l’une d’entre elles. L’arrivée de la charrue chez Amazone est à considérer comme un complément de gamme par rapport aux outils traditionnels et simplifiés. Avez-vous une actualité importante à donner à nos lecteurs ? J.P. : Parallèlement à la présentation de notre charrue à Agritechnica
en novembre prochain, nous dévoilerons notre nouvelle gamme de semoirs pour techniques simplifiées, le Cirrus. Propos recueillis par Maxime Boutevin
A.J.
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INITIATIVES
La Grange Berrichonne, un magasin de producteurs à Châteauroux Des producteurs de l’Indre s’organisent pour ouvrir un magasin de la taille d’un petit supermarché avec uniquement des produits locaux dans le but de récupérer à leur profit la marge de la vente.
L
Notre reportage a été effectué peu de temps avant l’ouverture du magasin. Les murs des anciens bureaux avaient déjà été abattus, il restait à savoir où poser chaque linéaire ou autres vitrines réfrigérées.
es grandes surfaces n’ont qu’à bien se tenir ! Sous l’égide de la FDSEA de l’Indre et à l’initiative de son président Hervé Coupeau, plus de 40 producteurs locaux s’entendent pour approvisionner « leur » magasin. En fait, des magasins de producteurs, y compris ravitaillés A.J. par un nombre conséquent de producteurs, cela existe déjà. On pourrait par exemple citer Le Panier Vert, à Frelinghien dans le département du Nord (entre Lille et la frontière belge), qui a débuté avec deux producteurs et compte aujourd’hui 28 fournisseurs. L’originalité de La Grange Berrichonne qui s’ouvre dans Châteauroux est d’afficher clairement ses revendications : il s’agit de récupérer au profit des producteurs la marge des grandes surfaces. Hervé Coupeau précise encore : « Nous voulons aussi démontrer qu’il est possible de fonctionner avec une marge de fonctionnement réduite, qui laisse l’essentiel du prix du produit aux agriculteurs, ce qui leur permet de mieux gérer leurs exploitations, de se moderniser si besoin pour mieux répondre aux attentes des consommateurs. Et puis, en faisant tout nous-mêmes, nous récupérons notre image, si souvent utilisée par les grandes surfaces à notre détriment. » La marge de fonctionnement des grandes surfaces varie habituellement, selon Hervé Coupeau, entre 10 et 30 %, elle change d’un producteur à l’autre et
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d’une production à l’autre, et peut aussi évoluer dans le temps. Pour ce magasin de producteurs, il y aura une marge de fonctionnement unique, de 14 %, pour payer l’électricité et autres factures, et également les salariés du magasin : « Nous embauchons deux salariés temps plein plus un apprenti dans un premier temps, pas plus pour être sûrs de ne pas gaspiller l’argent des producteurs, reprend Hervé Coupeau. Mais si ça marche comme nous l’espérons, nous avons déjà envisagé qu’il nous faudrait une troisième personne... »
Principe du dépôt-vente A propos des prix, il a été décidé qu’ils ne devaient pas excéder ceux pratiqués sur les marchés de Châteauroux. Les prix affichés en linéaires seront donc, dans le pire des cas, les mêmes que ceux des marchés, le consommateur sachant que la marge du magasin, ces 14 %, est comprise. L’approvisionnement est géré comme un dépôt-vente, chaque producteur est responsable de ses marchandises. Chacun livre lui-même, doit donc
La pancarte vers une grande surface donne une direction, mais Hervé Coupeau préfère indiquer l’entrée de La Grange Berrichonne.
gérer ses stocks, reprendre ce qui n’est pas vendu à la date limite de vente (ou éventuellement accepter, à quelques jours de la péremption, que les salariés du magasin n’organisent une vente par lots à prix modérés). Le terroir berrichon est riche, les consommateurs trouveront donc de tout (fromages chèvre et vache, viandes et charcuteries variées, fruits et légumes, vins…) et auront même droit à des explications en direct, du style : « Nous allons en même temps expliquer aux clients ce que sont des fruits et légumes de saison, leur faire comprendre que, quand il n’y a plus un produit, il faut se diriger vers d’autres, en attendant son retour pour la saison suivante. » Régulièrement, les agriculteurs lamentent sur les marges prises par les grandes surfaces, l’initiative en question réinvente la distribution au niveau de circuits courts, localement. Agir plutôt que de se plaindre, finalement, c’est très agricole, non ? Antoine Jeandey Note : cet article est plus détaillé encore sur www.wikiagri.fr. Tapez « grange » dans la zone recherche pour y accéder rapidement.
A.J.
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